Hypothèses 2003/1 6

Couverture de HYP_021

Article de revue

La réception de la Géographie de Ptolémée en Occident au xve siècle

Un exemple de transfert culturel

Pages 201 à 211

Notes

  • [*]
    Thèse sous la direction de Michel Balard, Université de Paris 1 : L’Orient dans la cartographie médiévale (xive-xve siècle). Concept et représentation d’un espace.
  • [1]
    L. Bagrow, History of Cartography, Londres, 1964 (éd. révisée par R. A. Skelton), p. 77 : the work was to sweep aside the patristic world-picture. Cette histoire de la cartographie est largement renouvelée par l’ouvrage collectif de History of Cartography, J. B. Harley et D. Woodward éd., Chicago, 1987, vol. 1, Cartography in Prehistoric, Ancient, and Medieval Europe and the Mediterranean, notamment D. Woodward dir., « Medieval Mappaemundi » p. 286-370, et T. Campbell, « Portolan Charts from the Late Thirteenth Century to 1500 », p. 371-463.
  • [2]
    Les recherches de P. Gautier Dalché, S. Gentile et M. Milanesi, dont les articles seront cités ici, ne cessent d’apporter des arguments en ce sens.
  • [3]
    M. Espagne et M. Werner, « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (150-1914) », Annales ÉSC, 4 (juillet-août 1987), p. 969-992. Utile est aussi l’introduction à F. J. Ragep et S. P. Ragep, Tradition, transmission, transformation. Proceedings of two conferences on pre-modern science held at the university of Oklahoma, Leyde-New York-Cologne, 1996.
  • [4]
    History of Cartography, op. cit., vol. II, Cartography in the Traditional Islamic and South Asian Societies, Chicago, 1992, p. 90-108 et p. 156-174.
  • [5]
    S. Gentile, « Emanuele Crisolora e la ‘Geografia’ di Tolomeo », dans Dotti bizantini e libri greci nell’Italia del secolo xv, Atti del Convegno internazionale, Trento, 22-23 ottobre 1990, M. Cortesi et E. V. Maltese dir., Naples, 1992, p. 291-308 ; O. A. W. Dilke, « Cartography in the Byzantine Empire », dans J. B. Harley et D. Woodward, op. cit., vol. 1, p. 258-275 (sp. 266-275).
  • [6]
    Venuto Manuello in Italia nel modo decto con favore di messer Palla, mancavano i libri, che senza’libri non si poteva fare nulla. Messer Palla mandò in Grecia per infiniti volumi di libri, tutti alle sue spese : la Cosmographia di Ptolomeo con la pictura fece venire insino da Constantinopoli, le Vite del Plutarco, l’opere di Platone, et infiniti libri degli altri. Vespasiano da Bisticci, Commentario della vita di messere Palla Strozzi composta da Vespasiano mandata a Philippo Strozzi, cité par S. Gentile, Firenze e la scoperta delle Americhe, Florence, 1992, p. 77.
  • [7]
    J. Fischer, Claudii Ptolemaei Cosmographia, Leyde, 1932. Dans cet ouvrage qui fait toujours autorité, l’auteur recense et décrit 56 manuscrits contenant des cartes. Il en existe de nombreux autres, avec ou sans les cartes, le plus souvent des manuscrits de travail, peu ornés, mais annotés, et qui attendent une étude de détail.
  • [8]
    P. Gautier Dalché, « Le souvenir de la Géographie de Ptolémée dans le monde latin médiéval (vie-xive s.) », Euphrosyne, 27 (1999), Lisbonne, p. 79-106.
  • [9]
    L’édition d’Ulm, d’après les cartes réalisées par Nicolas Germanus, sort des presses de Lienhart Holle le 16 juillet 1482. Il s’agit de la quatrième édition, mais la première hors d’Italie. Les éditions précédentes étaient celles de Vicence, 1475, sans cartes, de Bologne, 1477 et de Rome, 1478.
  • [10]
    On peut appliquer à Ptolémée l’analyse ironique de T. Hentsch, L’Orient imaginaire. La vision politique occidentale de l’Est méditerranéen, Paris, 1988. L’auteur met en garde contre les distorsions historiographiques occidentales qui ont fait considérer comme « oriental » (c’est-à-dire non latin), tout ce qui, dans les échanges culturels méditerranéens, avait un aspect négatif (« les querelles byzantines »), et comme « héritage occidental » (c’est-à-dire, antique, y compris grec), tout ce qui semblait positif. On peut comparer ces préjugés au vain débat sur l’origine nationale des cartes marines (voir plus loin). L’intérêt n’est pas celui de l’origine, mais de la perception, la transmission et la réception d’un contenu de science.
  • [11]
    Jacopo d’Angelo, Dédicace…, op. cit. : Tulerunt …Ptolomeum divi Antonini tempora […], hic [Ptolomeus] enim alio quodammodo quam nostri latini, inter quos Plinius Secundus Cosmographorum palmam ferre videtur, rem hanc tractavit (« Il a traité cette question avec une méthode différente de celle des nôtres, parmi lesquels Pline paraît emporter la palme des cosmographes »). Il ajoute que « nos » auteurs latins ne sauraient être blâmés pour leur ignorance, et qu’ils ont apporté aussi des renseignements que Ptolémée semble avoir négligés.
  • [12]
    D. J. Geanakoplos, « Italian Renaissance Thought and Learning and Role of the Byzantine Emigrés Scholars in Florence, Rome and Venice : a Reassesment », Rivista di Studi Bizantini e Slavi, III (1983), p. 129-160. L’enseignement du grec fut essentiel mais reste à prouver l’apport d’une science byzantine dans la compréhension théorique de la Géographie.
  • [13]
    E. Mioni, « La formazione délia biblioteca greca di Bessarione », dans Bessarione e l’umanesimo, catalogue d’exposition, G. Fiaccadori dir., Naples, 1994, p. 229-260, p. 236.
  • [14]
    Dédicace de Jacopo Angelo de sa version latine de Ptolémée au pape Alexandre V, v. 1409-1410, texte établi d’après le Ms Vat. Lat. 2974. J’ai utilisé le texte et la traduction publiés dans Y. Kamal, Monumenta cartographica Africae et Aegypti, 1939, t. IV, p. 1351 (rééd. Francfort-sur-le-Main, 1987, t. VI, p. 1351).
  • [15]
    Ibid. : nostrorum etiam nullus tradidit habitabilem ipsum orbem in plures picture tabulas posse dividi, mensura cum toto eque servata (aucun des nôtres n’a exposé non plus comment l’orbe habitable peut être divisé en plusieurs cartes de peinture tout en conservant les proportions des parties par rapport au tout).
  • [16]
    Les premiers lecteurs occidentaux de ce texte se sont penchés sur ces noms anciens pour essayer de retrouver les villes contemporaines dans la géographie antique. La Géographie a servi ainsi de référence philologique en même temps qu’un outil scientifique de représentation du monde, sans que l’on puisse opposer « humanistes » et « savants » : la réception de l’ouvrage fut le fait d’une élite intellectuelle et sociale. P. Gautier Dalché, « Pour une histoire du regard géographique ; conception et usage de la carte au xive siècle », Micrologus, t. 4 (1996), p. 77-103 (en part. 79-89).
  • [17]
    J. Fischer, op. cit. Il existe deux versions des cartes. L’une, surnommée la « rédaction A », comporte 26 cartes régionales après la mappemonde ; la « rédaction B » en comporte 64. Selon Joseph Fischer, le manuscrit apporté en Italie par Manuel Chrysoloras serait celui qui est conservé à la Bibliothèque Vaticane sous la cote Urb. gr. 82 (27 cartes). Tous les autres manuscrits européens en seraient des copies directes et indirectes.
  • [18]
    Les manuscrits copiés par Hugues Commineau de Mézières et peints par Piero del Massaio contiennent des cartes modernes et des plans de villes : Paris, BnF, Ms. Lat. 4802 ; Bibl. Apost. Vat., Vat. Lat. 5699 de 1469, et Urb. Lat. 277, de 1472. Pour une étude codicologique et historique, cf. L. Duval-Arnould, « Les manuscrits de la géographie de Ptolémée issus de l’atelier de Piero del Massaio (Florence, 1469-478) », dans Humanisme et culture géographique à l’époque du concile de Constance, Actes du colloque de Reims, 18-19 nov. 1999, Turnhout, 2002 (à paraître, réf. communiquée par l’auteur).
  • [19]
    BnF, Ms. Lat. 4801. E. Pellegrin, « Les manuscrits de Geoffroy Carles… », dans Studi di bibliografia e di storia in onore di T. de Marinis, 1964, vol. III, p. 309-327, 1965, p. 806 ; P. L. Mulas, « De Borso d’Este à Geoffroy Carles… », Bulletin du bibliophile, I (2000), p. 57-72.
  • [20]
    Paolino Veneto, Chronica, Paris, BnF, Ms. Lat. 4939, fol. 10v-11. Il existe neuf versions anciennes de cette carte dont l’histoire est complexe. Cf. P. D. A. Harvey, « Local and Regional Cartography », dans History of Cartography, op. cit., vol. I, p. 473-476. Une mise au point récente par N. Bouloux, Cultures et savoirs géographiques en Italie au xive siècle, Turnhout, 2002, p. 53 sqq.
  • [21]
    L. Bagrow, op. cit., p. 77-78.
  • [22]
    Sur la découverte des Canaries, A. Cortesão, History of Portuguese Cartography, Coimbra, 1969, vol. II, p. 63-73. « Canada » était le nom antique donné à l’une des mythiques îles Fortunées, nom mentionné par Ptolémée lui-même. Lors de la découverte de l’archipel au xive siècle, on l’appela « Canaries » en référence à ce toponyme ancien. L’archipel est représenté notamment sur l’Atlas catalan (Paris, Bnf, Ms. Esp. 30).
  • [23]
    Marica Milanesi a exhumé un manuscrit peu connu de la Géographie, illustré de cartes inspirées des cartes marines. Ces dernières, par définition, ne correspondent nullement à la projection et aux coordonnées du géographe alexandrin. Cf. M. Milanesi, « A forgotten Ptolemy : Harley Codex 3686 in tne British Library », Imago Mundi, 48 (1996), p. 43-64.
  • [24]
    Le plus récent est A. Cortesão, voulant à tout prix démontrer l’antériorité des cartes portugaises, op. cit.
  • [25]
    Patrick Gautier Dalché fait avec vigueur le point sur cette « question des origines » dans P. Gautier Dalché, « Cartes marines, représentation du littoral et perception de l’espace au Moyen Âge. Un état de la question », dans Castrum 7. Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur. Actes du colloque, Rome, 23-26 oct. 1996, Rome-Madrid (École Française de Rome, Casa de Velázquez), J. M. Martin éd., Rome-Madrid, 2001, p. 9-33, spécialement p. 17-23.
  • [26]
    P. Falchetta, « Marinai, mercanti, cartografi, pittori. Ricerche sulla cartografia nautica a Venezia (sec. xiv-xv) », Ateneo Veneto, 33 (1995), p. 7-109, notamment p. 17.
  • [27]
    Je songe à comparer les cartes modernes et plans de ville de la Géographie dans le Ms. Lat. 4802 de la BnF et les différents manuscrits du Liber Insularum Archipelagi de Cristoforo Buondelmonte. Les manuscrits de Nicolas Germanus utilisent également des couleurs qui rappellent les cartes marines pour les îles. Cf. Les Couleurs de la Terre, catalogue de l’exposition à la Bibliothèque nationale de France, Paris, 1998.
  • [28]
    La mappemonde conservée à Venise (Bibl. Nazionale Marciana) serait datée de 1459.
English version

1C’est à la fin du xive siècle que l’Occident prit connaissance d’une œuvre antique dont l’usage avait été perdu dans le monde latin depuis le vie siècle environ : la Géographie de Ptolémée, astronome et géographe alexandrin du iie siècle après J.-C. (v. 100-v. 170) L’ouvrage, traduit en latin, contribua largement à un renouvellement des représentations cartographiques – mappemondes et cartes marines – au point que les historiens modernes ont souvent vu dans l’histoire de ce manuscrit le paradigme même de la « redécouverte » de l’Antiquité à la Renaissance, de la fin de l’obscurantisme médiéval grâce aux lumières oubliées du monde antique. L’œuvre de Ptolémée aurait ainsi « balayé » les données précédentes de la cartographie occidentale [1].

2En réalité, l’étude de la Géographie au xve siècle s’est bien plutôt intégrée aux cartographies existant auparavant en Occident [2]. Peut-on l’interpréter comme un « transfert culturel » complexe, à la fois diachronique et synchronique, entre l’Antiquité et la Renaissance d’une part, entre Byzance et la latinité d’autre part ? Cette notion de transfert, théorisée pour l’histoire moderne et contemporaine par Michel Espagne et Michael Werner [3], met ici en question moins la transmission, mieux connue, des manuscrits et d’un contenu de savoir, que l’existence d’ensembles culturellement distincts et de pratiques, techniques et artistiques, extérieures à la culture occidentale réceptrice. Elle suppose une assimilation par cette dernière, non pas sur le mode de « l’influence », mais bien d’une appropriation. De fait, la traduction en latin donne lieu à des interprétations du texte, tandis que les cartes au cours des différentes copies sont transformées et modernisées, parfois sur le modèle des cartes marines circulant à l’époque.

3Contrairement à l’Almageste et à la Tetrabible du même auteur, la Géographie, connue des géographes de l’Islam, ne parvint pas en Occident par le biais des traductions de l’arabe réalisées aux xiie et xiiie siècles [4]. C’est à Constantinople que Maxime Planude, un érudit byzantin, en découvrit le texte seul. Il fit réaliser les cartes à partir des indications fournies par Ptolémée lui-même et offrit alors une copie du manuscrit à l’empereur Andronic II Paléologue [5]. Cependant l’œuvre resta inaccessible en Occident jusqu’au moment où Manuel Chrysoloras reçut la chaire d’enseignement du grec à Florence en 1397. Vespasiano da Bisticci raconte ainsi que Palla Stozzi fit venir pour le professeur, qui manquait de livres pour enseigner, des manuscrits de Plutarque, de Platon, et une Cosmographia di Ptolomeo con la pictura[6]. Chrysoloras commença à en réaliser une traduction en latin, achevée après sa mort par son élève Jacopo d’Angelo de Scarperia. Des cartes furent alors sans doute copiées sur le manuscrit byzantin.

4L’ouvrage connut immédiatement une large diffusion. En témoigne le nombre important de copies [7], la qualité des décorations, la relative rapidité avec laquelle fut mise au point une édition imprimée du texte et des cartes. Patrick Gautier Dalché a montré que la Géographie n’avait pas été « oubliée » en Occident, comme on le dit trop souvent. Le texte avait été perdu, mais son contenu était connu, au moins de réputation, et, à la fin du xive siècle, les humanistes cherchaient activement à se le procurer [8]. Les conciles de Constance (1414-1418), et surtout de Bâle (1431-1449), Ferrare (1438) et Florence (1439-1443) furent l’occasion pour les savants de toute la chrétienté de confronter leurs découvertes et d’échanger leurs livres. Dès le milieu du xve siècle, toute bibliothèque princière se doit d’avoir son Ptolémée : René d’Anjou, Borso d’Este (fig. 1), les rois aragonais de Naples, ou encore Mathias Corvin, roi de Hongrie, possèdent tous leur exemplaire richement enluminé dans les ateliers de Florence, de Venise ou d’ailleurs. Les artisans du livre réalisent alors leurs plus belles créations, jusqu’au début du xvie siècle, alors que les premières éditions imprimées du livre apparaissent dès la fin du xve siècle [9].

5Le transfert suppose deux cultures distinctes : l’arrivée du manuscrit a-t-elle été perçue à l’époque comme un apport spécifique du monde grec ou comme un héritage scientifique commun, sans connotation nationale ? Que la Géographie ait été partiellement connue en Occident avant le xive siècle, ne veut pas dire pour autant qu’elle fît partie du patrimoine culturel occidental [10]. La manière même dont Jacopo d’Angelo oppose Ptolémée aux auteurs latins nostri latini – identifie l’apport scientifique du savant alexandrin à une culture grecque, distincte de celle des cosmographes de langue latine, tout en le situant dans le creuset commun de l’Empire romain. Ainsi rend-il hommage à Pline, référence antique essentielle des encyclopédies médiévales comme des humanistes du xve siècle, mais pour mieux mettre en avant l’autorité scientifique du Grec Ptolémée, issu de l’époque éclairée d’Antonin le Pieux [11].

6Par ailleurs, la traduction et la compréhension de la Géographie de Ptolémée en Occident ont été rendues possibles en partie par le travail des immigrés grecs en Italie, à une époque où la culture byzantine, sous les Paléologues, connaissait un renouveau [12]. Le cardinal Bessarion, représentant de l’Église grecque au concile de Florence où fut réalisée très provisoirement l’union des Églises d’Orient et d’Occident face au danger turc, prit conscience de la menace pesant sur la culture hellénique. Pris d’une « héroïque fureur », il multiplia les achats et les copies de manuscrits grecs. Il se sentait en effet investi d’une mission, ainsi qu’il l’écrit à son ami Michel Apostolios au lendemain de la chute de Constantinople, en 1453 : rassembler un exemplaire de tous les auteurs grecs, non pour lui-même, mais pour tous les Grecs, afin qu’ils puissent en un jour meilleur « retrouver intacte, gardée en un lieu sûr, leur Phônè (????) telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous et pouvoir l’améliorer encore ». Le mot ???? désigne non seulement la langue, mais aussi la littérature, les sciences et les arts [13]. La Géographie de Ptolémée fait partie de ce patrimoine culturel à préserver : Bessarion en fait réaliser une magnifique copie en grec, calligraphiée et décorée par des artistes italiens (Venise, Biblioteca Marciana, Marc. Gr. 31).

7À cause de son contenu théorique, proposant une définition de la mesure de la terre à l’équateur et un système de projection cartographique, son traducteur Jacopo d’Angelo préféra lui donner le titre de Cosmographie, en référence au vocabulaire employé jusque-là en Occident pour désigner les descriptions du monde et des astres. La transmission de ce savoir passait en premier lieu par un transfert linguistique et une interprétation du vocabulaire, dont Jacopo d’Angelo, traducteur imparfait, s’excuse d’avance dans la dédicace au pape Alexandre V [14]. Par le titre qui lui était donné, cette traduction s’adressait d’emblée à un public bien déterminé, celui des lecteurs de Pline, celui des savants qui s’intéressaient auparavant aux mappemondes, à l’astrologie, aux traités sur la sphère. De fait, la Géographie est fortement liée aux ouvrages d’astronomie et d’astrologie de Ptolémée, puisqu’il s’agit de déterminer sur la surface de la sphère terrestre l’emplacement exact des villes et des régions du monde, afin de connaître l’influence des astres sur eux. L’auteur explique donc, dans le premier livre, comment représenter sur un plan la surface de la sphère terrestre et expose ainsi les premiers principes de la projection cartographique. Autre innovation, soulignée de manière élogieuse par Jacopo d’Angelo dans la dédicace, celle des coordonnées en latitude et longitude, qui permettent de situer sur la carte n’importe quel point du globe, et de le retrouver sur les cartes régionales quelle que soit l’échelle employée [15] (fig. 2).

8Les livres suivants sont des descriptions de toutes les régions du monde connu à l’époque de Ptolémée, avec les coordonnées des villes les plus importantes. Un des objectifs de l’auteur était de permettre à quiconque de dessiner des cartes à partir de ses instructions. Des noms de régions, de villes sont énumérés, ainsi que des frontières. Il s’agit bien entendu des toponymes et des divisions de l’empire romain à l’époque de Ptolémée, différents des réalités géopolitiques du xve siècle ; par ailleurs les indications de l’auteur ne permettaient pas un tracé très précis. En ce qui concerne le bassin méditerranéen, du strict point de vue descriptif, la Géographie ne pouvait donc être considérée comme un progrès par rapport aux noms de lieux fournis par les cartes marines, mais permettait de confronter le présent au passé, une connaissance empirique de la Méditerranée à une représentation mathématisée du monde [16].

9Chaque manuscrit contient les traces de son histoire, des transformations et des ajouts qu’il a subis. Il n’est pas rare de trouver, dans les marges d’un codex en latin, des notes et des corrections en grec. La qualité des manuscrits est très diverse : grande est la distance entre les manuscrits de travail, peu soignés, souvent sans cartes, et les exemplaires de luxe, à la présentation magnifique, mais dont le contenu semble avoir eu moins d’importance. Les cartes qui illustrent les manuscrits parvenus jusqu’à nous ne sont probablement pas des copies de cartes antiques, mais ont été réalisées d’après les indications fournies par Ptolémée, et sans cesse adaptées et transformées. Elles doivent de ce fait beaucoup aux conventions artistiques de leur temps. La qualité et la teneur des cartes varient fortement d’un manuscrit à l’autre, y compris pour ceux qui provenaient des mêmes ateliers [17]. Transmission, transfert signifient bien dans le cas des cartes : transformation, voire interpolation. En effet, accompagnant une curiosité philologique et archéologique pour la géographie antique, vint rapidement le souci de l’actualisation des atlas, afin de les rendre opératoires, par ajout, mais aussi par des modifications des cartes anciennes. Très tôt, des cartes modernes, en particulier des cartes de la péninsule ibérique, de la « Gaule », de l’Italie, viennent compléter certains exemplaires de la Géographie, offrant une comparaison entre les toponymes antiques et les noms contemporains [18]. À la différence des cartes prévues par Ptolémée, elles ne comportent pas de coordonnées géographiques ni d’indications mathématiques, et le tracé a souvent été rectifié, sans doute à partir de cartes marines ou d’autres types de cartes qui circulaient alors en Occident. Une carte marine représentant l’océan Atlantique septentrional, y compris le Groenland redécouvert par Pietro da Sintra en 1462, a ainsi été ajoutée à la fin d’un manuscrit ayant appartenu à Borso d’Este puis à Geoffroy Carles [19]. Une carte de Terre sainte complète de même l’exemplaire réalisé à Gand et Bruges en 1485 par Johannes de Kriekenborch pour Louis de Bruges (Paris, Bnf, Ms. Lat. 4804, fol. l60v-161). Elle est inspirée d’une carte célèbre réalisée à Venise par Pietro Vesconte, pour un projet de croisade du xive siècle et accompagnée d’une mappemonde et de cartes marines classiques [20]. Elle fut également intégrée à l’édition imprimée à Ulm de 1482 d’après la version de Nicolas Germanus.

10Ce dernier apporta des modifications décisives dans l’aspect des cartes ptoléméennes. Suivant avec audace les explications de l’Alexandrin, il donne aux cartes régionales, et plus seulement à la carte générale, une forme trapézoïdale censée rendre compte de la projection conique simple (parallèles incurvés, méridiens convergeant vers les pôles), et dessine des mappemondes selon la projection conique arrondie (parallèles et méridiens incurvés). Bien plus, il améliore notablement la présentation des cartes, en hiérarchisant les toponymes, en choisissant à bon escient des couleurs variées pour les différentes régions, en accentuant les effets d’ombres pour les reliefs. Très souvent par ailleurs, il ajoute des cartes modernes aux cartes anciennes, et intervient même dans ces dernières pour les mettre à jour. Le cardinal Guillaume Fillastre avait dès 1427 fait ajouter une carte moderne des pays du Nord, réalisée à partir des travaux du danois Claudius Clavus [21]. Cette partie de l’Europe n’existait pas plus que le Groenland dans l’œuvre initiale de Ptolémée, pour la bonne raison que ces régions réputées inhospitalières ne figuraient pas dans l’œcoumène (le monde habité) antique. Nicolas Germanus déforme alors la carte générale de ses manuscrits de la Géographie pour intégrer les pays Scandinaves à l’œcoumène ptoléméen.

11L’esthétique et le sens des cartes anciennes sont également transformés en tenant compte de la tradition des cartes marines. Sur la carte de l’Espagne antique comme celle de l’Espagne moderne du manuscrit Vaticanus latinus 3811, les îles de l’océan Atlantique ont pris des formes, des dispositions, des couleurs, qui, malgré leur emplacement, rappellent la représentation, sur les cartes marines, de l’archipel des Canaries, découvert au plus tôt, en 1336 [22].

12Il est ainsi manifeste que ces cartes, loin d’avoir été rendues obsolètes par l’apport de la Géographie, ont été au contraire utilisées pour compléter ou pour mettre à jour les cartes anciennes. Ce mélange des genres cartographiques est peut-être le signe d’un autre type de transfert culturel, à l’intérieur même des sociétés occidentales : un transfert entre les conceptions et les connaissances des cosmographes et le savoir, ou le savoir-faire, des navigateurs. Le propos des cartes marines est en effet très différent de celui des cartes ptoléméennes. Comme les portulans, ces livres de navigation qui décrivent en détail les parcours maritimes et les dangers des côtes, elles offrent une image minutieuse, mais à petite échelle, des contours de la Méditerranée, de la mer Noire et de leurs îles. Mais elles ne donnent que peu de renseignements sur l’intérieur des terres, et sont dépourvues (dans l’état où elles nous sont parvenues), d’appareil théorique expliquant leur usage. Il était paradoxal d’associer ces deux outils cartographiques, aux concepts si différents, si ce n’est pour confronter deux images du monde présentant chacune inconvénients et avantages [23].

13Les cartes marines elles-mêmes sont issues de transmissions de connaissances. Des générations d’historiens ont voulu classer les cartes médiévales en une taxinomie qui faisait une grande part aux orgueils nationalistes [24]. À partir de détails stylistiques et de rares signatures sur les cartes marines, on a reconstitué des « écoles cartographiques » catalanes, portugaises ou génoises, se demandant laquelle avait « influencé » l’autre. Une étude attentive des toponymes semble prouver qu’y sont mêlés toutes sortes de dialectes. Les connaissances géographiques ayant permis l’élaboration des cartes marines proviennent sans doute d’une expérience accumulée de port en port, lieu-interface, lieu de passage le plus propice, justement, au brassage des savoirs et des cultures [25].

14Ceux-ci étaient des savoirs concrets, pratiques, des ports de la Méditerranée et de la navigation, par opposition au savoir théorique des cosmographes, auteurs de mappemondes et lecteurs de l’œuvre de Ptolémée. Mais c’est avec prudence que l’on doit évoquer l’idée de « milieux culturels » distincts. Piero Falchetta dans une étude sur le milieu des cartographes vénitiens à la fin du xve siècle s’interroge sur la notion de « culture nautique », par opposition à la culture dominante issue des monastères, des universités et d’une certaine élite intellectuelle [26]. D’après les archives de Venise, sur les navires de la Sérénissime, l’on rencontre à la fois les membres des familles patriciennes et des capitaines de naves privées qui s’embarquent momentanément sur les galères d’État. Cette sorte de « service » maritime favoriserait la rencontre de milieux sociaux différents, aux références et aux savoirs distincts, et aurait pu être un facteur de transfert entre les genres cartographiques – les mappemondes et les cartes marines notamment. Cependant, si le contenu des cartes reflète assurément cette « culture nautique », le tracé et la décoration ne relèvent pas d’une compétence propre à ces navigateurs. Ils ne nécessitent aucune connaissance scientifique ou pratique de la navigation, mais seulement un savoir-faire artistique plus proche du travail des enlumineurs que de celui des marins. Il serait intéressant de savoir si ces mêmes artistes se consacrent à la décoration d’autres types de cartes, ce qui expliquerait également une certaine uniformisation stylistique, et sémiologique, entre les cartes de Ptolémée, les cartes marines, et les autres genres de cartes. Le liseré de couleur pour souligner les côtes, les vignettes pour signaler les villes par exemple, les éléments de géographie physique tendent à se ressembler de plus en plus [27].

15À partir du milieu du xve siècle, les contacts entre les différents types de cartographie sont de plus en plus évidents. La circulation des savoirs permet la production d’œuvres synthétiques. Les exemples les plus remarquables sont les grandes mappemondes réalisées dans les années 1440-1460, telle la mappemonde de Fra Mauro à Venise, qui utilise le tracé des cartes marines, tente de rassembler toutes les connaissances géographiques de son temps, et dont certaines légendes reconnaissent l’autorité de Ptolémée, mais aussi la critiquent en s’appuyant sur des informations récentes [28].

16Ainsi la Géographie de Ptolémée a-t-elle fait l’objet d’une appropriation par les cartographes occidentaux et les copistes, qui l’ont adaptée et modernisée à l’aide de la cartographie la plus courante en Occident, (les cartes marines), tandis que les mappemondes de la fin du Moyen Âge semblent une tentative de synthèse entre les différents genres cartographiques. Ce métissage technique et stylistique témoigne peut-être de transferts culturels, cette fois non entre des aires linguistiques, mais entre des types de savoir et de représentation du monde, non pas séparés par une frontière politique ou linguistique, mais par un clivage social et intellectuel. La notion de culture a ici le sens étroit de savoir constitué, propre à un niveau d’instruction. Restons prudent : cette frontière culturelle bien poreuse, faute d’études encore assez précises, dépend encore autant de préjugés contemporains et de limites archivistiques que les distinctions nationalistes opérées naguère entre « écoles cartographiques ». Il existait certes en Occident différents types de cartographie, parmi lesquels la Géographie de Ptolémée, importée par des érudits byzantins, a fait figure de nouveauté. Dès le milieu du xve siècle, on observe une volonté de réactualisation de l’œuvre antique, et des transformations réciproques s’opèrent dans le contenu et le style des cartes. Aussi les œuvres de Fra Mauro ou de Nicolas Germanus prouvent-elles qu’une élite cultivée s’intéressait à la tradition antique aussi bien qu’aux cartes marines des navigateurs. L’inverse est-il vrai ? Les auteurs de cartes marines lisaient-ils la Géographie de Ptolémée, si peu utile pour la navigation ? À la fin du xve siècle, le navigateur Christophe Colomb se penche avec intérêt sur l’œuvre de Ptolémée, mais pour y emprunter une information erronée. Le prestige de l’œuvre antique contribue à le convaincre que la distance atlantique de l’Europe à l’Asie n’est pas si grande. La fin de l’histoire est connue : en 1492 est découverte l’Amérique, qui bientôt trouve sa place sur la nouvelle image du monde.

Fig. 1

« Mappemonde », dans la Cosmographia de Ptolémée, trad. latine de Jacopo d’Angelo (Paris, BnF, ms. latin 4801, f. 75v-75 bis)

Fig. 1

« Mappemonde », dans la Cosmographia de Ptolémée, trad. latine de Jacopo d’Angelo (Paris, BnF, ms. latin 4801, f. 75v-75 bis)

© BnF-France.
Fig. 2

Carte marine de l’océan atlantique, intégrée au même manuscrit de Borso d’Este vers 1470-1471 (Paris, BnF, ms. latin 4801, f. 123v-124)

Fig. 2

Carte marine de l’océan atlantique, intégrée au même manuscrit de Borso d’Este vers 1470-1471 (Paris, BnF, ms. latin 4801, f. 123v-124)

© BnF-France.

Date de mise en ligne : 01/01/2009.

https://doi.org/10.3917/hyp.021.0201

Notes

  • [*]
    Thèse sous la direction de Michel Balard, Université de Paris 1 : L’Orient dans la cartographie médiévale (xive-xve siècle). Concept et représentation d’un espace.
  • [1]
    L. Bagrow, History of Cartography, Londres, 1964 (éd. révisée par R. A. Skelton), p. 77 : the work was to sweep aside the patristic world-picture. Cette histoire de la cartographie est largement renouvelée par l’ouvrage collectif de History of Cartography, J. B. Harley et D. Woodward éd., Chicago, 1987, vol. 1, Cartography in Prehistoric, Ancient, and Medieval Europe and the Mediterranean, notamment D. Woodward dir., « Medieval Mappaemundi » p. 286-370, et T. Campbell, « Portolan Charts from the Late Thirteenth Century to 1500 », p. 371-463.
  • [2]
    Les recherches de P. Gautier Dalché, S. Gentile et M. Milanesi, dont les articles seront cités ici, ne cessent d’apporter des arguments en ce sens.
  • [3]
    M. Espagne et M. Werner, « La construction d’une référence culturelle allemande en France : genèse et histoire (150-1914) », Annales ÉSC, 4 (juillet-août 1987), p. 969-992. Utile est aussi l’introduction à F. J. Ragep et S. P. Ragep, Tradition, transmission, transformation. Proceedings of two conferences on pre-modern science held at the university of Oklahoma, Leyde-New York-Cologne, 1996.
  • [4]
    History of Cartography, op. cit., vol. II, Cartography in the Traditional Islamic and South Asian Societies, Chicago, 1992, p. 90-108 et p. 156-174.
  • [5]
    S. Gentile, « Emanuele Crisolora e la ‘Geografia’ di Tolomeo », dans Dotti bizantini e libri greci nell’Italia del secolo xv, Atti del Convegno internazionale, Trento, 22-23 ottobre 1990, M. Cortesi et E. V. Maltese dir., Naples, 1992, p. 291-308 ; O. A. W. Dilke, « Cartography in the Byzantine Empire », dans J. B. Harley et D. Woodward, op. cit., vol. 1, p. 258-275 (sp. 266-275).
  • [6]
    Venuto Manuello in Italia nel modo decto con favore di messer Palla, mancavano i libri, che senza’libri non si poteva fare nulla. Messer Palla mandò in Grecia per infiniti volumi di libri, tutti alle sue spese : la Cosmographia di Ptolomeo con la pictura fece venire insino da Constantinopoli, le Vite del Plutarco, l’opere di Platone, et infiniti libri degli altri. Vespasiano da Bisticci, Commentario della vita di messere Palla Strozzi composta da Vespasiano mandata a Philippo Strozzi, cité par S. Gentile, Firenze e la scoperta delle Americhe, Florence, 1992, p. 77.
  • [7]
    J. Fischer, Claudii Ptolemaei Cosmographia, Leyde, 1932. Dans cet ouvrage qui fait toujours autorité, l’auteur recense et décrit 56 manuscrits contenant des cartes. Il en existe de nombreux autres, avec ou sans les cartes, le plus souvent des manuscrits de travail, peu ornés, mais annotés, et qui attendent une étude de détail.
  • [8]
    P. Gautier Dalché, « Le souvenir de la Géographie de Ptolémée dans le monde latin médiéval (vie-xive s.) », Euphrosyne, 27 (1999), Lisbonne, p. 79-106.
  • [9]
    L’édition d’Ulm, d’après les cartes réalisées par Nicolas Germanus, sort des presses de Lienhart Holle le 16 juillet 1482. Il s’agit de la quatrième édition, mais la première hors d’Italie. Les éditions précédentes étaient celles de Vicence, 1475, sans cartes, de Bologne, 1477 et de Rome, 1478.
  • [10]
    On peut appliquer à Ptolémée l’analyse ironique de T. Hentsch, L’Orient imaginaire. La vision politique occidentale de l’Est méditerranéen, Paris, 1988. L’auteur met en garde contre les distorsions historiographiques occidentales qui ont fait considérer comme « oriental » (c’est-à-dire non latin), tout ce qui, dans les échanges culturels méditerranéens, avait un aspect négatif (« les querelles byzantines »), et comme « héritage occidental » (c’est-à-dire, antique, y compris grec), tout ce qui semblait positif. On peut comparer ces préjugés au vain débat sur l’origine nationale des cartes marines (voir plus loin). L’intérêt n’est pas celui de l’origine, mais de la perception, la transmission et la réception d’un contenu de science.
  • [11]
    Jacopo d’Angelo, Dédicace…, op. cit. : Tulerunt …Ptolomeum divi Antonini tempora […], hic [Ptolomeus] enim alio quodammodo quam nostri latini, inter quos Plinius Secundus Cosmographorum palmam ferre videtur, rem hanc tractavit (« Il a traité cette question avec une méthode différente de celle des nôtres, parmi lesquels Pline paraît emporter la palme des cosmographes »). Il ajoute que « nos » auteurs latins ne sauraient être blâmés pour leur ignorance, et qu’ils ont apporté aussi des renseignements que Ptolémée semble avoir négligés.
  • [12]
    D. J. Geanakoplos, « Italian Renaissance Thought and Learning and Role of the Byzantine Emigrés Scholars in Florence, Rome and Venice : a Reassesment », Rivista di Studi Bizantini e Slavi, III (1983), p. 129-160. L’enseignement du grec fut essentiel mais reste à prouver l’apport d’une science byzantine dans la compréhension théorique de la Géographie.
  • [13]
    E. Mioni, « La formazione délia biblioteca greca di Bessarione », dans Bessarione e l’umanesimo, catalogue d’exposition, G. Fiaccadori dir., Naples, 1994, p. 229-260, p. 236.
  • [14]
    Dédicace de Jacopo Angelo de sa version latine de Ptolémée au pape Alexandre V, v. 1409-1410, texte établi d’après le Ms Vat. Lat. 2974. J’ai utilisé le texte et la traduction publiés dans Y. Kamal, Monumenta cartographica Africae et Aegypti, 1939, t. IV, p. 1351 (rééd. Francfort-sur-le-Main, 1987, t. VI, p. 1351).
  • [15]
    Ibid. : nostrorum etiam nullus tradidit habitabilem ipsum orbem in plures picture tabulas posse dividi, mensura cum toto eque servata (aucun des nôtres n’a exposé non plus comment l’orbe habitable peut être divisé en plusieurs cartes de peinture tout en conservant les proportions des parties par rapport au tout).
  • [16]
    Les premiers lecteurs occidentaux de ce texte se sont penchés sur ces noms anciens pour essayer de retrouver les villes contemporaines dans la géographie antique. La Géographie a servi ainsi de référence philologique en même temps qu’un outil scientifique de représentation du monde, sans que l’on puisse opposer « humanistes » et « savants » : la réception de l’ouvrage fut le fait d’une élite intellectuelle et sociale. P. Gautier Dalché, « Pour une histoire du regard géographique ; conception et usage de la carte au xive siècle », Micrologus, t. 4 (1996), p. 77-103 (en part. 79-89).
  • [17]
    J. Fischer, op. cit. Il existe deux versions des cartes. L’une, surnommée la « rédaction A », comporte 26 cartes régionales après la mappemonde ; la « rédaction B » en comporte 64. Selon Joseph Fischer, le manuscrit apporté en Italie par Manuel Chrysoloras serait celui qui est conservé à la Bibliothèque Vaticane sous la cote Urb. gr. 82 (27 cartes). Tous les autres manuscrits européens en seraient des copies directes et indirectes.
  • [18]
    Les manuscrits copiés par Hugues Commineau de Mézières et peints par Piero del Massaio contiennent des cartes modernes et des plans de villes : Paris, BnF, Ms. Lat. 4802 ; Bibl. Apost. Vat., Vat. Lat. 5699 de 1469, et Urb. Lat. 277, de 1472. Pour une étude codicologique et historique, cf. L. Duval-Arnould, « Les manuscrits de la géographie de Ptolémée issus de l’atelier de Piero del Massaio (Florence, 1469-478) », dans Humanisme et culture géographique à l’époque du concile de Constance, Actes du colloque de Reims, 18-19 nov. 1999, Turnhout, 2002 (à paraître, réf. communiquée par l’auteur).
  • [19]
    BnF, Ms. Lat. 4801. E. Pellegrin, « Les manuscrits de Geoffroy Carles… », dans Studi di bibliografia e di storia in onore di T. de Marinis, 1964, vol. III, p. 309-327, 1965, p. 806 ; P. L. Mulas, « De Borso d’Este à Geoffroy Carles… », Bulletin du bibliophile, I (2000), p. 57-72.
  • [20]
    Paolino Veneto, Chronica, Paris, BnF, Ms. Lat. 4939, fol. 10v-11. Il existe neuf versions anciennes de cette carte dont l’histoire est complexe. Cf. P. D. A. Harvey, « Local and Regional Cartography », dans History of Cartography, op. cit., vol. I, p. 473-476. Une mise au point récente par N. Bouloux, Cultures et savoirs géographiques en Italie au xive siècle, Turnhout, 2002, p. 53 sqq.
  • [21]
    L. Bagrow, op. cit., p. 77-78.
  • [22]
    Sur la découverte des Canaries, A. Cortesão, History of Portuguese Cartography, Coimbra, 1969, vol. II, p. 63-73. « Canada » était le nom antique donné à l’une des mythiques îles Fortunées, nom mentionné par Ptolémée lui-même. Lors de la découverte de l’archipel au xive siècle, on l’appela « Canaries » en référence à ce toponyme ancien. L’archipel est représenté notamment sur l’Atlas catalan (Paris, Bnf, Ms. Esp. 30).
  • [23]
    Marica Milanesi a exhumé un manuscrit peu connu de la Géographie, illustré de cartes inspirées des cartes marines. Ces dernières, par définition, ne correspondent nullement à la projection et aux coordonnées du géographe alexandrin. Cf. M. Milanesi, « A forgotten Ptolemy : Harley Codex 3686 in tne British Library », Imago Mundi, 48 (1996), p. 43-64.
  • [24]
    Le plus récent est A. Cortesão, voulant à tout prix démontrer l’antériorité des cartes portugaises, op. cit.
  • [25]
    Patrick Gautier Dalché fait avec vigueur le point sur cette « question des origines » dans P. Gautier Dalché, « Cartes marines, représentation du littoral et perception de l’espace au Moyen Âge. Un état de la question », dans Castrum 7. Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur. Actes du colloque, Rome, 23-26 oct. 1996, Rome-Madrid (École Française de Rome, Casa de Velázquez), J. M. Martin éd., Rome-Madrid, 2001, p. 9-33, spécialement p. 17-23.
  • [26]
    P. Falchetta, « Marinai, mercanti, cartografi, pittori. Ricerche sulla cartografia nautica a Venezia (sec. xiv-xv) », Ateneo Veneto, 33 (1995), p. 7-109, notamment p. 17.
  • [27]
    Je songe à comparer les cartes modernes et plans de ville de la Géographie dans le Ms. Lat. 4802 de la BnF et les différents manuscrits du Liber Insularum Archipelagi de Cristoforo Buondelmonte. Les manuscrits de Nicolas Germanus utilisent également des couleurs qui rappellent les cartes marines pour les îles. Cf. Les Couleurs de la Terre, catalogue de l’exposition à la Bibliothèque nationale de France, Paris, 1998.
  • [28]
    La mappemonde conservée à Venise (Bibl. Nazionale Marciana) serait datée de 1459.
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