1Dans la problématique de l’évaluation des systèmes d’information (SI), la question de la mesure est primordiale et se pose à plusieurs niveaux : financier, technique, stratégique et en termes d’usages. Cette pluralité des perspectives de mesure est notamment due à la nature sociotechnique du système d’information défini selon Andreu et al. (1992) comme : « un ensemble de processus formels de saisie, de traitement, de stockage et de communication de l’information, basés sur des outils technologiques, qui fournissent un support aux processus transactionnels et décisionnels, ainsi qu’aux processus de communication actionnés par des acteurs organisationnels, individus ou groupes d’individus, dans une ou dans plusieurs organisations ». À ce titre, il s’agit bien d’une composante organisationnelle à part entière et non pas seulement d’un simple outil technologique. Dans la pratique, la mesure des impacts des SI dans les organisations fait de prime abord penser à l’aspect financier (mesure des coûts et des bénéfices) et est inhérente à la gestion des projets SI (détermination du budget prévisionnel en amont et évaluation des écarts budgétaires en aval), elle a aussi été associée sur le plan théorique au « paradoxe de la productivité » et a donc mobilisé des travaux d’économistes réalisés à un niveau d’analyse macroéconomique (Brynjolfsson, 1993 ; Brynjolfsson et Hitt, 1996). Les SI en tant que dispositifs techniques et fonctionnels offrant un support à la réalisation de tâches dans l’entreprise peuvent par ailleurs être évalués à l’aune de leur performance technique, i.e. le degré d’adéquation de leurs fonctionnalités techniques par rapport aux besoins (en traitement d’information, couverture fonctionnelle, sécurité des données, évaluation des risques, etc.). Le point de vue du stratège et du dirigeant fait quant à lui nécessairement le lien entre SI et avantages compétitifs apportés à l’entreprise et à l’impératif d’harmoniser la stratégie et les ressources SI par rapport à la stratégie globale et métier de l’entreprise (Chan et Reich, 2007).
2Dans cet article nous privilégions la dimension humaine par rapport à la dimension technique et optons donc pour une mesure des impacts des SI basée sur la perspective des usages de ces outils. Cela nous situe dans la tradition de recherche qui depuis les années 70 considère qu’en dehors des fonctionnalités et des caractéristiques techniques de ces systèmes et outils, les facteurs liés à leur acceptation et adoption par les utilisateurs sont déterminants de leur utilisation effective au sein des organisations (Delone et McLean, 1992, 2003). Ce thème a été très prolifique en recherche, de nombreux théories et modèles ont été développés afin d’expliquer et de prédire le comportement des individus à l’égard des SI. Les fondements théoriques de ces modèles sont puisés dans des recherches en psychologie sociale et aboutissent à des dispositifs d’évaluation utilisant la plupart du temps des mesures perceptuelles et psychométriques (Kéfi et Kalika, 2004). Nous proposons dans cette recherche un dispositif de mesure adapté de l’une de ces théories, à savoir la théorie du comportement planifié, que nous mettons en application dans un design de recherche hypothético-déductif grâce à une enquête multi-sectorielle réalisée auprès d’un échantillon de près de 3000 utilisateurs de SI en France. Cet article s’articule comme suit, nous présentons d’abord une revue de la littérature sur les théories de mesure de l’acceptation des SI. Nous explicitons par la suite le modèle de recherche que nous adoptons, notre méthodologie de recherche et les analyses des données effectuées. Nous concluons par une discussion de nos résultats, des limites et des implications de cette recherche.
1 – Cadre théorique de la recherche
3La question dominante dans ce corpus de recherche est la suivante : quels sont les facteurs qui favorisent l’adoption d’un système d’information par l’utilisateur ? Les angles d’approche de cette question dépendent de la conceptualisation des termes clés (principalement la notion d’adoption), des schémas logiques adoptés et enfin des mesures appropriées pour l’opérationnalisation des variables (les facteurs déterminants considérés comme variables explicatives et l’adoption comme variable expliquée). Ce qu’il faut préciser ici c’est que cette notion d’adoption n’est pas exclusive en recherche, on lui substitue la notion d’acceptation, de diffusion, d’utilisation, etc. sans sortir du même corpus de recherche. En effet, ces travaux outre la divergence de leurs construits de mesure, partagent tous les préoccupations suivantes : (1) d’abord celle d’utiliser des facteurs de mesure individuels à portée prédictive ; (2) et de refléter un des schémas d’ordre causal suivants : « croyances-affect-intention » ou « croyances-cognition-intention ». Ortiz de Guinea et Markus (2009) expliquent ces deux variantes, pour ce qui est de l’utilisation continue des SI, en stipulant qu’il est nécessaire de comprendre les comportements intentionnels de l’utilisateur vis-à-vis du SI qui se reflètent en un certain nombre d’usages, liés à deux catégories de facteurs déterminants :
4- Des facteurs d’ordre cognitif qui supposent un calcul rationnel et une comparaison en termes d’avantages/inconvénients de la part des utilisateurs qui évaluent la confirmation (ou non) des bénéfices attendus, compte tenu d’un certain nombre de contraintes. Parmi ces facteurs, nous citons la facilité d’utilisation perçue, l’utilité perçue, le contrôle comportemental perçu, etc. (Fishbein et Ajzen, 1975 ; Bagozzi, 1982 ; Kim et Malhotra, 2005 ; Thong et al., 2006 ; Hsieh et al., 2008).
5- Des facteurs non cognitifs d’ordre émotionnel et affectif tels que l’attitude, la satisfaction, l’amusement perçu, l’affect, l’anxiété liée à l’ordinateur (Computer Anxiety), les normes subjectives, etc. (Davis et al., 1992 ; Malhotra et Galletta, 1999 ; Bhattacherjee, 2001 ; Venkatesh, 2000).
6Les travaux précurseurs qui se sont intéressés à cette question de recherche comprennent notamment la théorie du comportement interpersonnel de Triandis (1971), la théorie de l’action raisonnée (TRA) (Fishbein et Ajzen, 1975 ; Ajzen et Fishbein, 1980), la théorie du comportement planifié (TPB) (Ajzen, 1991 ; Mathieson 1991), le modèle de la TPB décomposée (Taylor et Todd, 1995), le modèle d’utilisation des PC (Thompson et al., 1994), le modèle motivationnel (Davis et al., 1992) et la théorie de la diffusion des innovations (Rogers, 1995). Ils ont servi par ailleurs de bases à des modèles prédictifs qui ont eu un très large écho dans les recherches en SI, notamment le modèle d’acceptation de la technologie (TAM) et ses extensions (voir tableau 1).
Synthèse des théories et modèles d’acceptation des SI
Synthèse des théories et modèles d’acceptation des SI
7Adapté de la théorie de l’action raisonnée TRA (Theory of Reasoned Action) de Fishbein et Ajzen (1975), le TAM (Davis, 1986, Davis et al, 1989) explique l’acceptation de la technologie par l’utilisateur à partir de deux variables : l’utilité perçue et la facilité d’utilisation perçue.
- L’utilité perçue est définie par le degré auquel une personne pense que l’utilisation d’un SI améliore sa performance au travail.
- La facilité d’utilisation se rapporte au degré auquel une personne pense que l’utilisation d’un SI ne nécessite pas d’efforts.
9Ces deux variables de base du modèle subissent l’effet de facteurs cognitifs et sociaux essentiellement individuels et organisationnels. L’utilité et la facilité d’utilisation perçues agissent sur l’attitude et l’intention de l’individu à l’égard de l’usage des SI. Des améliorations et enrichissements ont été apportés à ce modèle de base (Davis et al, 1992, Venkatesh et Davis, 2000 ; Venkatesh et al., 2003 ; Venkatesh et Bala, 2008). À titre d’exemple, nous citons l’étude comparative réalisée par Straub et al. (1995) qui propose de tester le TAM auprès d’utilisateurs américains, suisses et japonais, en référence aux travaux de Hofstede sur le management interculturel. Les auteurs en ont conclu que le TAM convient pour expliquer le comportement des américains et des suisses en matière d’utilisation des SI, alors qu’il n’a aucun pouvoir explicatif en ce qui concerne le comportement des utilisateurs japonais. Par ailleurs, King et He (2006) ont réalisé une méta-analyse du modèle TAM dans laquelle ils précisent que les extensions théoriques auxquelles ce modèle a donné lieu ont permis d’inclure des variables externes telles que l’efficacité comportementale perçue et qui le rapprochent ainsi de la théorie du comportement planifié (TPB).
10D’autres travaux se sont intéressés à la phase de post-adoption des SI en supposant que l’acceptation des SI se fait dans la durée et qu’elle ne se mesure pas exclusivement lors des premières étapes de mise en contact avec l’outil. Les modèles de post-adoption de la technologie (PAM) considèrent à ce titre que l’ultime variable dépendante est l’intention de la continuité d’utilisation de l’outil (Bhattacherjee, 1991 ; Limayem et al., 2007, Ortiz de Guinea et Markus, 2009). Il faut préciser ici que pour tous ces modèles, le lien entre l’intention et le comportement effectif n’est pas explicitement modélisé même s’il existe une très forte présomption que l’intention de la continuité d’utilisation implique par la suite la continuité d’utilisation. La précaution à prendre pour que cette hypothèse reste valable serait de se situer dans un contexte d’usage volontaire (et non pas contraint), ce qui n’est pas toujours le cas dans la pratique des usages des SI dans les organisations. Des développements détaillés de toutes ces théories et modèles de l’adoption des SI ne font pas l’objet de cet article. Nous proposons en revanche un tableau synthétique qui reprend les principales approches théoriques et empiriques et leurs concepts clés, que nous présentons dans le tableau 1 ci-dessus.
2 – Application de la théorie du comportement planifié
2.1 – Modèle théorique
11Dans le cadre de cette recherche, nous avons choisi d’adopter la théorie du comportement planifié que nous considérons comme très utile à la compréhension de l’usage des SI. Cette théorie a été développée par Ajzen (1991) et est venue répondre aux limites de la théorie de l’action raisonnée (Ajzen & Fishbein, 1980), ce qui justifie son adoption par un grand nombre de chercheurs (Mathieson, 1991 ; Taylor et Todd, 1995 ; Riemenschneider et al. 2003 ; George, 2004 ; Hsieh et al., 2008). En effet, la théorie de l’action raisonnée ne tient pas compte du rôle des variables qui limitent la liberté individuelle dans l’exécution d’un comportement souhaité. La théorie du comportement planifié stipule que les décisions précédant un comportement donné résultent d’un processus cognitif et émotionnel dans lequel le comportement est indirectement influencé par l’attitude envers l’action, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu (Ajzen, 1991). Cette dernière variable joue un rôle important dans la mesure où l’individu est contraint dans son comportement (capacité limitée, temps limité, environnement, etc.), et qui in fine a une influence sur son intention d’agir. Ainsi, le principal apport de la TPB par rapport aux théories alternatives réside dans la prise en compte des facteurs de contrôle comportementaux et sociaux, qu’il importe de considérer dans l’étude du comportement des individus vis-à-vis des SI.
12En outre, nous proposons dans cet article d’adjoindre au schéma de base de la TPB deux facteurs socio-démographiques, à savoir l’âge et le genre des utilisateurs que nous considérons comme variables modératrices (figure 1). Cette approche est en conformité avec des travaux théoriques récents sur les usages des SI (UTAUT, Venkatesh et al., 2003 et TAM3, Venkatesh et Bala, 2008). Elle pourrait également répondre à des préoccupations sociales liées à la pratique des SI dans nos sociétés et relevant de ce que l’on désigne notamment par la fracture numérique, à savoir l’exclusion de certaines catégories socio-démographiques de la mouvance actuelle où les SI sont omniprésents dans la vie de tous les jours. Nous nous intéresserons précisément aux usages des SI offrant un support aux processus de communication dans un cadre professionnel dans les entreprises. Les usages non professionnels, interpersonnels et ou ludiques ne sont pas considérés.
Modèle de recherche
Modèle de recherche
2.2 – Construits théoriques et hypothèses de recherche
Attitude
13L’attitude est un construit clé dans les processus de prise de décision. Les recherches en Marketing l’intègrent dans les processus d’achat et les recherches en SI s’y intéressent également en le considérant comme un élément important dans le processus d’acceptation des SI (Ajzen, 1991 ; Ajzen and Madden, 1986 ; Venkatesh and Brown, 2001). Dans leurs travaux qui portent sur les variables déterminantes dans l’adoption des SI, Davis et al. (1992) identifient deux croyances attitudinales : les bénéfices utilitaires perçus et les bénéfices hédoniques perçus.
14Ces deux types de bénéfices sont, comme les bénéfices sociaux perçus, issus de la théorie de la motivation. Celle-ci considère qu’il existe deux sortes de motivations qui poussent les individus à agir : les motivations extrinsèques et les motivations intrinsèques. Venkatesh et Brown (2001) soutiennent que les bénéfices utilitaires et sociaux sont considérés comme des facteurs de motivation extrinsèques tandis que les bénéfices hédoniques, eux sont vus comme des facteurs de motivation intrinsèques. Dans le cadre de notre recherche, nous n’allons nous intéresser qu’aux bénéfices utilitaires car les SI qui nous préoccupent ici sont les SI de communication mis en usage dans un cadre exclusivement professionnel en entreprise. Les bénéfices hédoniques liés à ces outils peuvent faire l’objet de recherches futures.
Contrôle comportemental perçu
15Le contrôle comportemental perçu a été défini par Ajzen (1991) dans le cadre de la théorie du comportement planifié pour mettre en exergue le rôle important joué par les contraintes intellectuelles et contextuelles dans l’adoption d’une technologie donnée. Dans la littérature, ce construit se décompose en trois facteurs principaux : l’efficacité perçue (Taylor and Todd, 1995 ; Compeau and Higgins, 1995), la facilité d’utilisation perçue (Ajzen, 1991 ; Mathieson, 1991, Davis, 1989) et la disponibilité (Lenhart, 2002). Dans cette recherche, seule la dimension de l’efficacité perçue sera considérée. Elle est définie comme étant l’autoévaluation de l’individu de ses propres compétences qui lui permettent d’utiliser le SI considéré et d’atteindre ainsi les objectifs souhaités (Compeau, Higgins, 1995). Ce concept trouve son origine dans les travaux de Bandura (1977) sur la théorie sociale cognitive qui se sont penchés sur la compréhension et la prévision des comportements des individus et des groupes.
Normes subjectives
16Selon la théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1972), le sentiment d’appartenance au groupe peut pousser l’individu à agir selon les normes du groupe afin de renforcer son adhésion au groupe ou simplement d’accéder au statut de membre de ce groupe. Ainsi, l’entourage social peut effectivement avoir une influence sur le comportement de l’individu et sur son intention de faire ou de ne pas faire un acte donné. Dans le cadre des recherches sur l’adoption des SI, les normes subjectives (ou influence sociale) jouent un rôle dans l’intention d’utilisation des SI (Ajzen et Fishbein, 1980 ; Taylor et Todd, 1995 ; Venkatesh et al., 2003 ; Hu et Kettinger, 2008). Le concept de normes subjectives décrit les attentes des référents de l’individu par rapport à un comportement donné (Hsieh et al., 2008). Dans cet article, nous nous intéressons aux usages professionnels des SI de communication et privilégions à ce titre les attentes et opinions de la hiérarchie des utilisateurs. Conformément à la théorie du comportement planifié, les normes subjectives influencent le contrôle comportemental perçu. Par ailleurs, normes subjectives et contrôle comportemental perçu agissent conjointement sur l’attitude. Nous pouvons donc formuler nos premières hypothèses de recherche :
17H1 : Le contrôle comportemental perçu agit sur l’attitude vis-à-vis des SI de communication en termes de bénéfices utilitaires perçus.
18H2 : Les normes subjectives agissent sur le contrôle comportemental en termes d’efficacité perçue dans l’usage des SI de communication
19H3 : Les normes subjectives agissent sur l’attitude vis-à-vis des SI de communication en termes de bénéfices utilitaires perçus.
Intention comportementale d’utilisation
20Plusieurs chercheurs ont démontré le lien entre l’intention comportementale d’utiliser le SI et le comportement d’utilisation lui-même (Ajzen et Fishbein, 1980 ; Davis et al., 1989 ; Ajzen, 1991 ; Venkatesh et Brown, 2001). Il convient de signaler à ce niveau qu’il est important de prendre en compte les contraintes qui empêchent parfois la transformation de l’intention en action. Dans la lignée des travaux issus de la TPB, la variable « intention d’intégrer dans la durée l’utilisation des SI de communication dans les tâches de communication » constitue la variable dépendante de notre modèle. Nous formulons nos dernières hypothèses de recherche comme suit :
21H4 : Le contrôle comportemental perçu agit sur l’intention d’intégrer dans la durée l’usage des SI de communication dans les tâches de communication.
22H5 : L’attitude agit sur l’intention d’intégrer dans la durée l’usage des SI de communication dans les tâches de communication.
23H6 : Les normes subjectives agissent sur l’intention d’intégrer dans la durée l’usage des SI de communication dans les tâches de communication.
3 – Stratégie de recherche : Accès au terrain et résultats
24Nous proposons de tester nos hypothèses auprès d’un questionnaire de 2998 utilisateurs de SI en France. Nous exploitons une base de données constituée par l’observatoire de e-management crée par l’université de Paris Dauphine et la CEGOS qui vise à mesurer la numérisation des entreprises françaises et les usages des SI en France. La structure de notre échantillon est décrite dans le tableau 3 ci-dessous. L’opérationnalisation de nos construits et variables (leur traduction en items de questionnaire) est présentée dans le tableau 2 ci-dessous. Ces items se rapportant à des construits classiques en SI, ils font donc partie du questionnaire de l’observatoire du e-management (constitué de 74 questions) et ont donné lieu à une collecte de données auprès des utilisateurs de SI. L’ensemble de ces items a fait l’objet de validation interne (fidélité par rapport aux construits théoriques) et a aussi fait l’objet d’un pré-test. Tous nos items de mesure sont considérés comme réflexifs. Ils sont mesurés par une échelle de Likert de 7 points (de pas tout à fait d’accord à tout à fait d’accord). L’administration du questionnaire a été réalisée par un organisme spécialisé dans les enquêtes quantitatives et a eu lieu au téléphone. Les questionnaires recueillis ne sont pas nominatifs dans un souci de garantir l’anonymat des répondants.
Opérationnalisation des variables
Opérationnalisation des variables
3.1 – Analyse des données
25Notre modèle de recherche est testé par la technique de modélisation par les équations structurelles. Nous utilisons un logiciel de modélisation basé sur la technique du PLS (Part Least Squared), il s’agit de SmartPLS 2.0 développé par Ringle et al. (2005). Les procédures d’analyse se déroulent en deux étapes : une première phase confirmatoire, qui vise à évaluer la qualité de mesure du modèle, suivie d’une deuxième phase qui consiste à examiner la structure du modèle et donc à tester les hypothèses de recherche.
26La phase confirmatoire qui vise à vérifier la solidité du modèle est effectuée sur l’ensemble de l’échantillon. La phase structurelle est réalisée d’abord sur l’ensemble de l’échantillon, puis sur les sous-échantillons hommes versus femmes et population des moins de 25 ans, versus population des plus de 50 ans, et ce afin de tester nos hypothèses globales et de vérifier l’effet modérateur des facteurs âge et genre. Cette pratique qui consiste à scinder un échantillon en compartiments en fonction d’une variable modératrice a notamment été utilisée par Hsieh et al. (2008) pour étudier la continuité d’utilisation d’un SI auprès de deux populations selon le critère du niveau socio-économique.
3.2 – Le modèle de mesure
27Pour chacun de nos construits, nous vérifions la validité interne, la validité convergente et la validité discriminante. La validité interne est a priori assurée au préalable par les précautions théoriques que nous avons prises dans le choix d’items validés par des travaux antérieurs. D’un point de vue statistique, la validité convergente est examinée par le calcul des indices de fiabilité composite (Composite reliability : CR) et l’indice Alpha de Cronbach (ce dernier étant sous-estimé dans les méthodes PLS, l’indice CR est davantage utilisé pour ce type de méthodes) et la variance moyenne partagée (Average Variance Extracted : AVE). Nous relevons également les valeurs des statistiques T et les coefficients de corrélation pour chacun des items relatifs à nos construits.
Structure de l’échantillon
Structure de l’échantillon
28Les résultats que nous obtenons quant à la validité convergente de notre modèle sont très satisfaisants, tous les critères obtenus excèdent largement les seuils requis (Nunnally et Bernstein, 1994 ; Fornell et Larker, 1981 ; Hensler et al., 2009). La validité discriminante est appréciée en examinant les contributions factorielles des items à leurs construits théoriques respectifs. Nous vérifions en particulier que pour chaque construit, les contributions factorielles sont supérieures aux contributions factorielles croisées (entre chaque item et les autres construits). La validité discriminante est également évaluée selon Fornell et Larker (1981) en vérifiant que la racine carrée de l’AVE pour chaque construit excède les corrélations inter construits le concernant. Selon ces deux catégories de critères, la validité discriminante de notre modèle est assurée.
3.3 – Le modèle structurel
29Ayant obtenu des spécificités psychométriques satisfaisantes de notre modèle, nous pouvons à présent en estimer les relations structurelles entre les construits et donc la vérification de nos hypothèses de recherche. Nous effectuons des analyses de Bootstrapping (Hensler et al., 2009) pour la population globale, puis pour les sous-populations hommes, femmes, moins de 25 ans, plus de 50 ans. Les relations de corrélation entre les construits sont estimées en examinant les coefficients de corrélation standardisés (path-coefficients) et les valeurs t (t-values) obtenues suite aux analyses de Bootstrapping. Une relation de corrélation est significative si la valeur t est supérieure au seuil de 1,96. Nous pouvons également calculer le degré de significativité des corrélations (en calculant les valeurs p associées aux valeurs t). Des coefficients de corrélation positifs et se rapprochant de 1 supposent un fort lien de corrélation positif. Les résultats que nous obtenons sont présentés dans le tableau 4 (échantillon global), le tableau 5 (résultats hommes/femmes) et le tableau 6 (résultats <25 / > 50 ans).
Résultats modèle global
Résultats modèle global
30Pour ce qui est de la population globale, toutes nos hypothèses de recherche sont validées au seuil de 0.01, ce qui est un excellent résultat. En revanche, notre modèle explique la variance de l’intention d’utilisation des SI de communication à 19 % (R2 = 0.19). Ce niveau est assez faible mais il est comparable à des travaux analogues qui aboutissent à des R2 compris entre 18 % et 21.1 % pour l’étude de Limayem et al. (2007) sur la continuité d’utilisation des SI. Un R2 relativement faible signifie que d’autres facteurs que ceux compris dans le modèle de recherche expliquent la variable dépendante.
Résultats Populations hommes/femmes
Résultats Populations hommes/femmes
31L’examen des résultats obtenus auprès des deux sous-populations hommes et femmes montre que nos hypothèses sont vérifiées dans les deux cas, aucune divergence notable n’est à constater. Les R2 obtenus sont de 18.9 % pour les hommes contre 19.2 % pour les femmes, ce qui ne constitue pas une différence significative. Les hommes et les femmes de notre échantillon semblent adopter le même comportement vis-à-vis des SI de communication. L’effet modérateur de la variable genre est infirmé.
Résultats Populations moins de 25 ans / plus de 50 ans
Résultats Populations moins de 25 ans / plus de 50 ans
32Enfin des divergences de comportement sont constatées sous l’effet de l’âge. Particulièrement, pour la population des personnes de plus de 50 ans, l’intention d’utilisation des SI est affectée exclusivement par les normes subjectives (l’opinion de la hiérarchie). Ni l’attitude, ni le contrôle comportemental perçu ne semblent y jouer de rôle significatif. Pour ce type d’utilisateurs, les positions prises par les instances dirigeantes sont déterminantes de l’usage effectif des SI de communication, indépendamment des bénéfices utilitaires perçus (attitude) et du degré de maîtrise perçu de ces outils. Les hypothèses H1, H2 et H3 sont elles corroborées. Pour les jeunes de moins de 25 ans, le contrôle comportemental perçu n’affecte pas l’intention d’utilisation. Par ailleurs, les normes subjectives n’ont pas d’impact visible sur l’attitude. Nous noterons aussi que la variance expliquée de l’intention d’utilisation passe à 31,3% pour les jeunes de moins de 25 ans, ce qui est un accroissement fort significatif du pouvoir explicatif de notre modèle (une importance moindre est accordée à d’autres facteurs connexes non pris en compte par le modèle). Ces divergences font écho à certains travaux qui stipulent que plus l’expérience en SI est élevée, moins important sera le poids de l’influence sociale (normes subjectives). L’utilisateur étant à même de s’affranchir de l’opinion dominante de son entourage. Les jeunes de moins de 25 ans étant considérés globalement comme des natifs digitaux, leur affranchissement des normes subjectives est tout à fait compréhensible, par rapport à des profils d’utilisateurs « contraints » issus de générations plus avancées dans l’âge telles que les personnes de plus de 50 ans. L’effet de la variable âge est donc confirmé.
Conclusion
33Dans cet article, nous décrivons un processus de recherche hypothético-déductive qui vise à mesurer le degré d’acceptation des SI de communication. Nous avons adapté la théorie du comportement planifié (TPB) en y intégrant deux variables démographiques (l’âge et le genre). Nous considérons que cette théorie est insuffisamment mise en application dans des travaux empiriques, bien qu’elle ait servi de base théorique à d’autres travaux beaucoup plus usités tels que le modèle TAM. L’intérêt de la TPB est accentué dans le sens où elle mesure aussi bien l’adoption première (lors des premières phases de mise en contact avec le SI) que la continuité d’utilisation (Limayen et al., 2007). Une première contribution de ce travail a consisté à mettre en avant ce modèle et de le comparer aux autres outils de mesure. Notre étude comprend certaines limites inhérentes à la méthodologie adoptée, qui nous interdit de faire émerger d’autres facteurs déterminants de l’adoption des SI autres que ceux compris en amont dans le modèle de recherche. Vu le niveau de variance expliquée, de tels facteurs déterminants issus d’approches interprétatives, inductives notamment, seraient les bien venus. Les biais liés à l’utilisation des mesures perceptuelles et des items déclaratifs sont également à signaler. Leurs effets ont été limités autant que possible par l’adoption de mesures déjà validées dans des recherches précédentes et par le soin apporté à la construction théorique des variables. Les résultats obtenus confirment globalement le rôle déterminant de l’attitude, du contrôle comportemental perçu et des normes subjectives sur l’intention d’utilisation dans la durée des SI de communication dans un cadre professionnel. Aucune différence de comportement n’est à constater entre les hommes et les femmes eu égard aux interactions avec les SI (attitude ou comportement), ce qui infirme toute thèse sexiste considérant que les femmes seraient moins à l’aise dans la manipulation des outils technologiques liés à l’information. En revanche, l’effet de l’âge est confirmé, notamment en ce qui concerne le respect (pour les moins jeunes) et le moindre respect (pour les plus jeunes) des normes sociales dominantes dans l’entreprise. Cet article fait enfin écho à des travaux récents qui stipulent que l’échec d’un nombre important de projets SI est dû plus à des facteurs humains qu’à des facteurs techniques (Au et al., 2008) et plaide pour la nécessité de considérer les facteurs humains liés à l’acceptation des SI lors de l’évaluation des impacts de ces outils dans les entreprises et la mesure de leur contribution à la performance aussi bien individuelle qu’organisationnelle.
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Mots-clés éditeurs : attitude, usages, théorie du comportement planifié, modélisation par les équations structurelles, systèmes d'information
Date de mise en ligne : 01/11/2011
https://doi.org/10.3917/hume.297.0045