Humanisme 2008/4 N° 283

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Article de revue

La république donne le « la »

Pages 91 à 97

Un capitaine de la garde nationale parisienne, Bernard Sarrette, constitua à ses frais un corps de musiciens professionnels destiné à l’armée et à l’enseignement. Il demanda au frère Gossec de l’aider dans son entreprise. La Commune appuya l’idée et, le 9 juin 1792, créa une école gratuite de musique, ébauche de l’actuel Conservatoire national.

1Depuis que par une ordonnance de Louis XVI (3 janvier 1784) avait été créée une école destinée à parfaire les artistes employés à Paris, tous les arts d’interprétation, de l’art dramatique à ceux touchant à la musique tels que la danse ou le chant y étaient enseignés.

2Le compositeur François-Joseph Gossec en avait élaboré les principes et pris les destinées en mains ; Nicolo Piccinni, pressenti d’abord avait eu de telles exigences financières que le ministre Breteuil l’avait récusé.

3Les élèves étaient recherchés par voie de presse sur tout le territoire « Pas plus de 22 à 23 ans mais au moins 18, taille 5 pieds 4 pouces soit 1 mètre 60, yeux sans défauts, jambe bien faite.

41789, convocation des États-généraux, hiver rigoureux, famine, explosion. En 1791, le roi essaya bien de s’enfuir mais trop lent, il fut rattrapé par une république encore fœtale qui elle, avançait à marche forcée dans cette nuit de Varennes.

5Au milieu de la furieuse joie populaire, la commune de Paris cherchait à jouer en solo. Ses soixante bataillons avaient besoin de musique. Bernard Sarrette, capitaine commandant à la Garde nationale, réunit à ses frais autour de lui quarante-cinq musiciens et demanda un geste politique à la Municipalité. Celle-ci prit pour arrêt le 9 juin 1792 qu’il y aurait création à Paris d’une école gratuite de musique de la Garde nationale parisienne.

6Cent vingt élèves y seraient acceptés à condition qu’ils se pourvoient en instruments, uniformes et papier à musique.

François-Joseph Gossec (1734-1829), musicien, directeur adjoint de l’Académie royale de musique, dont il est l’un des fondateurs. Membre de la loge La Réunion des Arts.

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François-Joseph Gossec (1734-1829), musicien, directeur adjoint de l’Académie royale de musique, dont il est l’un des fondateurs. Membre de la loge La Réunion des Arts.

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L’appui décisif de Chénier

720 septembre 1792 à Valmy. Kellermann s’écrie : « Vive la Nation » et la musique éclate avant que 20 000 coups de canon fassent fuir le frère Brunswick. Le dix-huit Brumaire An II – 8 novembre 1793 –, Bernard Sarrette, à la tête d’une députation du Conseil général de la Commune de Paris, suivi de tous les musiciens de la garde, accompagné du conseiller municipal et général Jean Baudrais, contresignataire du testament de Louis XVI, jacobin de solide réputation se présente devant la Convention nationale. Il demande aux représentants du peuple de décréter la création d’une Maison publique d’instruction musicale ainsi qu’il l’a lui-même souhaité précédemment devant ses pairs de la Commune. Chacun sait que cette dernière est toute puissante. Les évènements récents suscités par elle qui ont abouti à la condamnation des girondins ne permettent aucun doute à ce sujet.

8Voici donc ce qu’aujourd’hui demande Jean Baudrais : « Les artistes de la musique de la Garde municipale parisienne dont la réunion présente un ensemble unique de talents en Europe viennent solliciter de votre amour pour tout ce qui peut contribuer à la gloire de la République l’établissement d’un Institut national de musique. L’intérêt public, lié à celui des arts doit vous faire sentir toute l’utilité de votre demande – sous-entendu à l’État. »

9L’assemblée pèse les paroles de Baudrais. Le représentant Marie Joseph Chénier – il a 29 ans – demande alors la parole et dit : « Je n’ai pas besoin de vous rappeler les preuves de civisme données par les musiciens de la Garde nationale. Je ne vous parlerai pas de l’effet heureux que produit la musique sur le caractère national. Je demande donc que la pétition soit convertie en motion et je demande qu’elle soit mise aux voix sur-le-champ. Voici le texte que je propose : Décrétons qu’il y aura un Institut national de musique à Paris et que la Convention charge le comité d’instruction publique des moyens d’exécution ».

10La proposition de Chénier est décrétée séance tenante puis le corps de musique présent interprète une hymne patriotique dont la musique a été écrite par le père de la symphonie, le frère François Joseph Gossec sur des paroles du frère Chénier : L’Hymne à la liberté.

11Les applaudissements cessent ; l’un des musiciens s’avance et dit : « Vous allez entendre maintenant les élèves que nous avons formés gratuitement depuis dix mois », adolescents choisis parmi les volontaires issus des bataillons de Paris. Ils interprètent un brillant Ça ira !

12L’Institut fut prévu pour Paris uniquement, les départements viendraient plus tard. Personne ne songeait à ergoter. Comme il est dit plus haut, en juin les girondins avaient été inculpés et guillotinés ; cela, dix jours avant, condamnés sans réel procès par un Comité de Salut public totalement investi par les jacobins.

13Ainsi, lorsque ce même Comité ordonna la création dudit Institut et nomma Sarrette pour en être le coordinateur, ce dernier eut tous pouvoirs pour créer une structure qui annoncée à cet instant comme provisoire allait pouvoir agir en tous lieux.

20 Brumaire an II

14A Notre-Dame, que la Commune a décrétée temple de la Raison, on évoque en chantant et en dansant sur des textes de Chénier mis en musique par Catel et Gossec la déesse Raison, personnifiée par une danseuse de l’Opéra enveloppée de bandelettes tricolores.

15Pour la prise de Toulon (10 Nivôse An II - 30 décembre 1793) par Bonaparte, une célébration organisée par le peintre David demanda cinquante tambours et la musique de la force armée parisienne. Pour la fête de l’Être suprême (20 Prairial An II – 8 juin 1794) ce furent cent tambours avec chorégraphie du même David : « Les jeunes filles jetteront des fleurs vers le ciel, les vieillards ravis apposeront leurs mains sur les têtes » et l’on chantera « Soleil, témoin de la Victoire, sois fier d’éclairer les Français. »

16Pour ce nouvel établissement public, treize artistes ont été contactés ; fort de son expérience royale antérieure, le frère François-Joseph Gossec sut en sélectionner neuf afin d’en faire les administrateurs de l’Institut.

17Ce furent les frères Méhul et Cherubini qui furent en charge de choisir ou composer des œuvres nouvelles, Thomas Delcambre bassoniste émérite fut chargé d’en superviser les copies. Aux frères Charles Duvernoy clarinettiste, François Devienne, bassoniste et flûtiste, et Modeste Ernest Grétry, tous trois compositeurs, revint l’exécution des œuvres. Leur furent adjoints le frère Jean François Lesueur ainsi que Charles Simon Catel bientôt investi lui, de la charge de rédiger un nouveau traité d’harmonie destiné à remplacer celui de Rameau devenu désuet.

La fête de l’Etre suprême le 8 juin 1794 est accompagnée de cent tambours et la chorégraphie est confiée au peintre David.

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La fête de l’Etre suprême le 8 juin 1794 est accompagnée de cent tambours et la chorégraphie est confiée au peintre David.

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Un institut de musique pour quel usage ?

18Former des exécutants destinés à donner le plus d’éclat possible aux fêtes nationales s’adjoignant, le cas échéant, chanteurs et musiciens des spectacles parisiens et créer des corps de musique pour l’armée.

19À charge également pour l’institut de fournir chaque mois au Comité de Salut public 550 exemplaires de la livraison de la musique obligatoirement traitée : une symphonie, une hymne ou chœur, une marche militaire, un rondeau ou pas-redoublé et au moins une chanson patriotique.

20En 1795, les dépassements de budget destiné à l’Institut furent si intenses que le Comité de Salut public dut allouer pour dépenses supplémentaires 33 000 livres soit 33 000 francs Germinal. L’évaluation approximative des spécialistes étant d’environ 5 euros par franc, la dépense aurait été de nos jours augmentée d’à peu près 200 000 euros (le double de la somme prévue initialement) uniquement pour se mettre à jour des frais d’impressions diverses et autre maintenance, les salaires des professeurs ayant été suspendus pendant de nombreux mois.

21Quant aux éditeurs et imprimeurs privés n’ayant pas reçu de contrat avec l’État, ils se plaignirent des privilèges accordés aux professionnels assermentés qui les mettaient en grande difficulté financière.

22Les professeurs et les élèves de l’Institut furent contraints de travailler dans des locaux exigus mais contigus à ceux qu’ils étaient en attente d’occuper : l’hôtel des Menus (ex Menus-Plaisirs) en bordure de la rue du Faubourg Poissonnière et de la rue Bergère. Il leur fallut plus d’un an et un décret de police pour parvenir à faire évacuer les ex-locaux royaux rénovés de gens qui se contentaient jusque-là d’une sorte de droit de réquisition.

23Événement. Rousseau au Panthéon. Musique. À l’arrivée de la Convention, on chanta une mélodie du maître : J’ai perdu tout mon bonheur puis après lecture du décret concernant l’apothéose on entendit : Dans ma cabane obscure enfin, à l’arrivée au glorieux domicile on entonna : Je l’ai planté, je l’ai vu naître la chanson du philosophe se terminant par : Ramenez-le moi tous les ans.

24Le 10 Thermidor An III de la République (28 juillet 1795) Marie-Joseph Chénier (son frère André avait été guillotiné un an plus tôt), vint présenter son rapport à la Convention au nom du Comité d’instruction publique et des finances concernant la musique.

25« Citoyens représentants, nous venons de célébrer le 9 Thermidor qui a brisé les échafauds de ceux qui ne cessaient de s’opposer à la transformation de l’Institut national provisoire de musique en une institution au statut définitif ».

26« Si cet art est utile, s’il est moral, si même il est nécessaire pour la splendeur de la République, hâtez-vous représentants, de lui assurer un asile (l’Allemagne et l’Italie longtemps victorieuses en ce genre ont enfin trouvé une rivale) car sinon, nos théâtres et leurs orchestres disparaîtraient, les musiciens découragés quitteraient nos contrées pour chercher une rive hospitalière et l’Art lui-même succomberait sous les attaques du vandalisme si la sage prévoyance du législateur ne prévenait tous ces inconvénients ».

27« Malheur à l’homme glacé qui ne connaît pas le charme irrésistible de la musique ! Malheur au politique imprudent, au législateur inhabile qui, prenant les hommes pour des abstractions et croyant les faire se mouvoir comme les pièces d’un échiquier, ne sait pas qu’ils ont des sens ; que ces sens forment des passions ; que la science de conduire les hommes n’est autre chose que de diriger leur sensibilité ; que la base des institutions humaines est dans les mœurs publiques et privées et que les beaux-arts sont essentiellement moraux, puisqu’ils rendent l’individu qui les cultive meilleur et plus heureux. »

28Quelques jours plus tard, Pierre Daunou, secrétaire de l’assemblée de la Convention, futur président, demanda à Sarrette de bien vouloir changer Institut national en Conservatoire national au motif qu’il avait besoin du mot Institut pour un intitulé plus générique qui concernait les sciences et les arts. Les professeurs choisis le furent parmi les gloires musicales nationales et internationales qui sillonnaient la France et l’Europe avant que les conflits n’aient éclaté.

Marie-Joseph Chénier

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Marie-Joseph Chénier

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29Citons-en quelques-uns, ils en valent la peine.

30Jean-Paul Martini, de son vrai nom Johann Paul Ägidius Schwarzendorf (1741-1816) né dans le Palatinat et naturalisé français, auteur de plusieurs opéras et d’une célèbre romance : Plaisir d’amour dont même le King a gravé un exemplaire en 1961 sous le titre Can’t Help Falling in Love.

31Le frère Pierre Garat (1762-1823) qui contribua, pour ne pas dire plus, au succès d’un musicien à la mode et à « cartes multiples », Joseph Boulogne, Chevalier de Saint-Georges, absent des milieux musicaux de la capitale en 1795 pour causes politiques peu claires.

32Le frère Pierre Alexandre Monsigny (1729-1817), l’un des créateurs du genre opéra-comique français, compositeur de nombreux ouvrages lyriques dont le plus fameux Le Déserteur est encore quelque fois joué de nos jours.

33Le frère François Adrien Boïeldieu (1775-1834).

34Le frère Nicolo Piccinni (1728-1800), rival de Gluck pendant la querelle des bouffons 2e épisode, compositeur de plus de 180 ouvrages lyriques.

35Madame Hélène de Montgeroult, condamnée à mort en 1793, sauvée in extremis par Bernard Sarrette après qu’elle ait improvisé une Marseillaise avec variations devant un tribunal révolutionnaire si séduit à la fin, qu’il convainquit Fouquier-Tinville qu’en la condamnant il ferait perdre à la République sa plus grande pianiste. Alors cet amateur d’art bien connu la grâcia.

36En février 1796 (14 Pluviôse an IV), sur ordre du ministère de l’Intérieur du Directoire, les bâtiments des Menus furent enfin vidés manu militari et les classes du Conservatoire purent enfin s’installer dans des salles mieux adaptées à leur activité.

37Finalement, ce furent 240 000 francs qui furent octroyés par les autorités politiques et bientôt on compta 30 professeurs de 1re classe et 44 de seconde qui furent engagés à temps complet par le Conservatoire pour 350 élèves.

38Aujourd’hui, on y forme 1 230 élèves pour 446 professeurs mais il n’y a plus de créations lyriques (spectacle musical total) et le répertoire sur lequel les jeunes artistes se faisaient les dents a disparu de théâtres qui ont fini par fermer. Tout le monde descend ! Jusqu’à quand ? Il n’y a guère que dans les musées que l’on peut voir de belles choses anciennes et nouvelles, mais il est vrai que la musique ne pouvant pas être intrinsèquement récupérée comme denrée politique alors pourquoi donc les politiciens s’y intéresseraient-ils vraiment ?

39Rue Sarrette, c’est dans le XIVe arrondissement de Paris.

40Les deux frères Chénier (membres actifs de la loge des Neuf Sœurs) André, celui qui fut guillotiné et Marie-Joseph celui dont nous avons parlé, ont moins de chance, ils ont une rue de soixante-dix mètres à se partager à deux ; aucun prénom ne vient orner la plaque de la rue minuscule qui leur est consacrée.

41Heureusement que le compositeur italien Umberto Giordano a composé l’un des plus magistraux ouvrages lyriques véristes : Andrea Chenier. Viva l’Italia, donc ! Grâce à elle nous avons le droit de bomber le torse et de siffler dans la rue.

42Droit conquis ou droit acquis ? La majeur ou la mineur ? Question d’âme et surtout d’accidents. Les spécialistes comprendront. Les autres devront faire attention.

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