Couverture de HOMI_1323

Article de revue

‪Comment fabriquer de l’hospitalité urbaine ? Partir du cas de Grande-Synthe‪

Pages 69 à 80

Notes

  • [1]
    Michel Agier, anthropologue, Michel Lussault, géographe, Valérie Foucher Dufoix, sociologue, Amalle Gualleze, Céline Barré, Michael Neuman et Franck Esnée, humanitaires, Dorothée Boccara, urbaniste, Bruno Fert, photographe, Antares Bassis, Cinéaste, Raphael Cloix, et Olivier Leclercq, architecte. J’en ai été le coordinateur.
  • [2]
    Cyrille Hanappe (dir.), La Ville Accueillante. Accueillir à Grande-Synthe. Questions théoriques et pratiques sur les exilés, l’architecture et la ville, Paris, éd. du PUCA, 2018.
  • [3]
    Après plusieurs mois d’hésitations, une cogestion du camp entre la mairie, l’État, et l’association départementale AFEJI, dirigée par Michel Delebarre a été décidé au mois de mai 2016.
  • [4]
    Philippe Wannesson, «  Quand on crée un nouveau quartier  », in Passeurs d’Hospitalité, 19 mai 2016.
  • [5]
    Giulia de Meulemeester, « Grande-Synthe, une cuisine mobile pour rétablir le dialogue dans les camps de réfugiés », in La Voix du Nord, 8 juillet 2016.
  • [6]
    Michel Agier (dir.), Un monde de camps, Paris, La Découverte, 2014.
  • [7]
    Rony Brauman, Michael Neuman, « De Daadab à Calais : quelle alternative au camp ? », in Mediapart, 19 novembre 2016.
  • [8]
    Damien Carême, On ne peut rien contre la volonté d’un homme, Paris, Stock, 2017.
  • [9]
    Ada Colau, Anne Hidalgo, Syros Galinos, « We, the cities of Europe », 2015. Voir le site Internet de la Mairie de Barcelone : http://ajuntament.barcelona.cat/alcaldessa/en/blog/we-cities-europe.
  • [10]
    Claudia Senik, L’économie du bonheur, Paris, Seuil, 2014. 
  • [11]
    Mickaël Bardonnet, Michel Lefebvre, Pierre Mongin, Les organisations bientraitantes, Paris, Adice éd., 2016.
  • [12]
    Doug Saunders, Arrival City: How the Largest Migration in History is Reshaping Our World, London, Windmill Books, 2011.
  • [13]
    Pour plus d’informations, voir le site Internet suivant : http://bimby.fr.

1L’arrivée de personnes en nombre dans les cités européennes, dans des proportions qui excèdent leurs capacités d’absorption classiques, ne manque pas de poser des questions sur la forme des villes, l’urbanisme et l’architecture.

2Si la spatialisation de l’accueil ne constitue que l’un des volets de politiques qui doivent être beaucoup plus globales, elle doit cependant être définie précisément car elle répond à des logiques techniques et foncières fort différentes des approches constructives classiques.

3L’architecture de l’accueil demande une grande rapidité dans son mode de production, mais elle ne peut faire l’économie de la réflexion sur le temps long et de son inscription dans des politiques urbaines globales : ces lieux de vie sont insérés dans les villes et les quartiers qui les entourent et y demeurent souvent bien plus longtemps que les logiques d’urgence donnent à le penser au départ. Ces logements présentent la particularité d’avoir à anticiper plus que d’autres leurs transformations ultérieures, du fait même de leur objet et de leur dépassement des logiques foncières classiques. Penser l’accueil, c’est penser la forme de la ville de demain dans une approche qui intègre accompagnement de la mobilité, dignité, respect, émancipation des hommes mais également écologie, rapidité d’installation, transformation et recyclage de l’acte constructif. Le droit à la mobilité est adossé au droit à la ville.

4Partant d’une analyse poussée de ce qui s’est joué dans la ville de Grande-Synthe (Nord), ainsi que de retours d’expériences faits dans des villes du monde entier, des scénarios et des pistes de solutions ont alors été proposés pour mettre en une pensée architecturale et urbaine de l’accueil : la Ville Accueillante.

5Ce projet multidisciplinaire a réuni une équipe mixte qui regroupait, d’un côté, des étudiants à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville (ENSAPB) et, de l’autre, des chercheurs/acteurs engagés sur le sujet [1]. Le livre rendant compte de ce travail est en cours de parution [2].

Le cas de Grande-Synthe

6Le projet est parti du camp de la Linière à Grande-Synthe qui a ouvert en mars 2016 et qui a disparu dans un incendie en avril 2017. Le statut de ce camp posait de nombreuses questions. La présence de migrants avait été officiellement acceptée par tous les acteurs publics sans limite de temps [3]. Dès lors, comment qualifier ce lieu de vie regroupant des centaines de personnes vivant au cœur de la cité. S’agissait-il vraiment un camp ?

7Si certains fustigeaient l’isolement des lieux [4], un regard objectif sur le site montre qu’il n’était pas plus isolé de l’agglomération que d’autres ensembles de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), qui est elle-même globalement constituée d’archipels et d’enclaves coupées les unes des autres par des infrastructures de tous ordres : industrielles, portuaires, ferroviaires et routières. La Linière est le terrain le plus proche de son plus grand centre commercial qui s’articule autour du supermarché Auchan de Grande-Synthe.

8Quand les métropoles se définissent en conurbation et en territoires, les proximités pédestres des centres-villes anciens ne sont plus des critères efficients pour qualifier l’urbanité des lieux de vie.

9De même, si toutes les associations poussaient à la mise en place d’un maximum de services dans le camp, le maire a toujours indiqué sa volonté que les habitants du camp bénéficient et usent des nombreux services publics de la ville. Les associations avaient installé des cuisines et des salles de repas collectives, une école, un centre d’information, un centre d’apprentissage des langues, une aire de jeu et proposaient, par ailleurs, un grand nombre de services, outre les distributions de repas et de vêtements, qui allaient des cours de tennis à ceux de cuisine en passant par la sensibilisation à la permaculture [5]. Coté services en ville, la Maison des associations municipales de la ville était ouverte aux habitants de la Linière, et la participation d’un groupe musical du camp à la fête de la musique avait été un moment particulièrement fort et reconnu par tous. En ce qui concerne la médecine, outre le dispensaire de Médecins Sans Frontières (MSF) et un poste de la Croix-Rouge installés sur le camp, les exilés bénéficiaient de tous les services de santé publique de la CUD.

10Michel Agier définit la » forme-camp » par trois caractéristiques constitutives : l’extraterritorialité – le camp ne s’inscrit pas dans les territoires qui l’entourent ; l’exception –le camp ne connaît pas les mêmes lois que l’État dans lequel il est inscrit ; l’exclusion – le camp marque la différence de ceux qui l’habitent [6]. Force est de constater qu’à Grande-Synthe, les conditions évoquées méritaient d’être examinées une à une.

11L’extraterritorialité, on l’a vu, n’était pas certaine dans la mesure où le camp se trouve au cœur du territoire d’une métropole elle-même constituée en archipels et en enclaves, au plus proche d’un parc et d’un lac paysager, ainsi que de la plus grande zone commerciale de l’agglomération. Bien que coincé entre deux grandes infrastructures de transport, l’autoroute et la gare de triage, il ne se trouve pas plus proche de ces axes que d’autres zones résidentielles et il était desservi par les transports publics.

12En ce qui concerne l’état d’exception, une lettre du 01 juillet 2016 signée par le Maire et MSF affichée dans le camp rappelait les droits des habitants : accès à un abri, à la protection, à l’hygiène, aux repas, aux soins, à l’éducation, à la culture, l’accès à une information juridique, neutre et impartiale, et ce sans limite de temps. Même si elle n’a finalement jamais pris forme, l’idée d’un « parlement des exilés » s’était faite sur le camp dès le mois d’avril. L’état d’exception est cependant une réalité, ne serait-ce qu’au niveau des conditions de la genèse de ce lieu de vie et sur le cadre qui en a été défini. Pour l’exclusion enfin, le maire n’a eu de cesse de dire que les habitants avaient accès à la totalité des services publics municipaux, même si cela ne leur donnait pas les droits de citoyens européens.

13De leurs coté, Rony Brauman, fondateur de MSF, et Michaël Neumann, tous les deux directeurs d’études au Centre de recherches sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash), revenaient en novembre 2016 sur la question des alternatives aux camps. Ils faisaient le constat rétrospectif suivant à propos de Grande-Synthe et de Calais : « Il y a sans doute aussi une possibilité, une volonté de faire en sorte que le camp devienne un quartier de la ville, même périphérique. Là aussi, le lieu du camp, situé entre une route et un chemin de fer, n’est pas particulièrement séduisant pour en faire une zone d’activités et de vie. Mais l’idée de faire en sorte de connecter les camps à la ville, les migrants aux habitants, a quelque chose d’assez puissant. Ce qui est intéressant à Calais et à Grande-Synthe, c’est que cela s’est fait dans le cadre d’une implication minimale du gouvernement et grâce à des initiatives d’élus locaux – dans le cadre de Calais, il s’agissait d’une mise en œuvre sur le mode de l’autogestion par les réfugiés eux-mêmes et par ceux qui étaient venus leur apporter de l’aide[7]. »

14De son coté, Damien Carême, maire de Grande-Synthe, expliquait début 2017 dans son livre coécrit avec la journaliste Maryline Baumard : « C’est un nouveau quartier dans ma ville. Nous allons le gérer comme tel. (...) Un jour il fermera. C’est aussi son destin, mais personne ne sait encore dire à quel moment. (...) La fermeture ne pourra avoir lieu que lorsque la situation kurde s’améliorera. Ou lorsque la route migratoire ne passera plus ci. Ce sont les réfugiés qui tiennent l’agenda[8]. »

15Il faut noter, enfin, que l’opposition observée entre la municipalité et l’État sur l’accueil des réfugiés renvoie à la question de l’émergence et de l’affirmation des métropoles « contre » les États. Actrices de terrain engagées dans le concret, fortes de décennies de décentralisation, de budgets équilibrés dont elles maîtrisent mieux les tenants et aboutissants, les villes se retrouvent en position d’être les réelles actrices de l’accueil des réfugiés. « Les États accordent l’asile, mais ce sont les villes qui fournissent les abris » cosignaient les maires de Paris, de Lesbos et de Barcelone sur le blog de l’édile espagnole, Ada Colau, le 13 septembre 2015 [9]. Même si Paris peine à se trouver à la hauteur des défis qui lui sont adressées en ce domaine, elle indique au moins la volonté de se saisir de ce sujet par la construction de son camp humanitaire inspiré de Grande-Synthe.

Se donner des nouveaux outils 

16L’incendie de la Linière en avril 2017 a conduit notre équipe et les étudiants à repenser la forme de l’architecture de l’accueil à Grande-Synthe de manière très différente, dans une perspective plus ouverte, libérée de ce qui avait pu exister sur le site de la Linière.

17En 1966, se référant au mode de pensée dominant des architectes, l’architecte et théoricien britannique Cedric Price titrait une de ses conférences : « La technique est la réponse, mais quelle était la question ? » Price, l’un des précurseurs du mouvement High Tech qui connaîtra ses plus grands succès au cours des années 1970 et 1980, pensait que l’architecture devait être évolutive et mobile pour pouvoir s’adapter aux changements incessants de la vie, le temps devenant ainsi une quatrième dimension à intégrer dans tout projet d’architecture.

18Pour ne pas tomber dans l’écueil le plus classique des architectes, à savoir répondre à une question qui n’est pas posée, nous avons donc décidé de nous donner un cadre de pensée. Ce travail de prospective a été engagé dans une démarche plus scientifique, s’appuyant sur des outils offrant un cadre de référence unique entre les projets, un cahier des charges qui nous permettrait de pratiquer une auto évaluation des projets ;

19Nous avons pour cela défini deux ensembles d’indicateurs : ceux liés aux « trois piliers » du développement durable de Rio, et ceux liés au Cercle de Stevenson.

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Les « trois piliers de Rio » et le modèle de la Ville Accueillante

Figure 0

Les « trois piliers de Rio » et le modèle de la Ville Accueillante

©ENSAPB

Les « trois piliers » de Rio

21Le premier de ces cadres est lié aux « trois piliers » définissant le développement durable dans la Convention de Rio et l’Agenda 21 de 1992 : le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l’environnement. Le modèle des trois cercles entremêlés, liés à ces trois piliers (social, économique, environnemental), définit l’équitable à la croisée du social et de l’économique, le viable entre l’économique et l’écologique, le vivable à l’intersection du social et de l’écologie, le développement durable lui-même se trouvant à l’intersection des trois piliers.

22Nous avons cherché à identifier comment ce modèle peut se développer et s’appliquer à la question qui nous préoccupe ici : celle de la Ville Accueillante. En effet, cette dernière introduit dans la réflexion sur la ville une dynamique de mobilité sociale et géographique, de temporalités et de place faite aux derniers arrivants qui n’y figurait pas jusqu’alors. Par un travail collectif de « design thinking », nous avons distingué des indicateurs conceptuels fondant un tel type d’évaluation dans les champs sur lesquels l’architecte et la construction peuvent avoir une influence.

23Ces indicateurs ont été distribués entre les différents cercles correspondants au développement durable. Ils pouvaient ne relever que d’un seul des trois piliers, de deux ou des trois : par exemple, la question de « l’appropriabilité » des lieux, le fait qu’ils puissent être modifiés et transformés par les habitants, ne relève que du social. De la même manière, la question des coûts de construction ou du mode de financement ne relèvent que de l’économique, tandis que la gestion des eaux usées et pluviales ne relève que de l’écologie. D’autres indicateurs se retrouvent entre deux piliers comme, par exemple, la notion d’auto-construction qui relève aussi bien du social que de l’économique ou celle du réemploi et du recyclage qui relèvent de l’économique et de l’écologique. Enfin, un certain nombre de critères sont à la croisée des trois piliers, comme le fait d’utiliser des circuits courts, l’évolutivité, la réversibilité, l’adaptabilité et la résilience qui relèvent des trois piliers (et qui seraient donc, dans cette logique, les seuls relevant véritablement du « développement durable »).

24Cette répartition permet alors une évaluation des différents projets au regard de ces trois piliers : chacun des indicateurs se voit attribuer une note, de 1-faible à 5-fort. Ces évaluations peuvent être reportées sur des diagrammes en radar liés à chacun des piliers, ce qui permet de comparer les différents projets les uns par rapports aux autres, en considérant que le projet ayant l’emprise maximale sur le radar est celui qui a le plus de chances de réussite, d’appropriation et d’intégration dans le temps long...

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Les critères d’évaluation des projets de la Ville Accueillante

Figure 1

Les critères d’évaluation des projets de la Ville Accueillante

©ENSAPB

Le cercle de Stevenson

26L’objet premier de cette recherche était de travailler sur le bien-être des personnes, accueillies comme accueillantes. Dans sa forme architecturale et urbaine, la Ville Accueillante procède des personnes qui l’habitent et la vivent. Il était à ce titre important de se donner des critères qui permettent d’évaluer ce bien-être en lien avec la forme de l’accueil. Jusqu’à il y a peu, le seul modèle simple à disposition et à même de guider toute démarche de conception sur le sujet était la pyramide de Maslow, un modèle datant des années 1940 qui repose sur l’idée d’une gradation pyramidale des besoins humains. Le premier des besoins, qui forme la base de la pyramide, correspond à tout ce qui est physiologique : faim, soif, survie, sexualité, repos, habitat. Le deuxième niveau correspond au besoin de sécurité et de confiance. On passe ensuite à l’appartenance, puis au besoin d’estime, pour enfin avoir, au sommet de la pyramide, le besoin de s’accomplir. Ce dessin pyramidal suggère que seul un nombre réduit de personnes pourraient avoir accès aux plus hauts de ces niveaux. Si cette hypothèse pouvait avoir une forme de pertinence il y a 75 ans, cette proposition n’a plus de sens aujourd’hui, quand la quasi-totalité des migrants et des réfugiés ont un bon niveau d’éducation et un accès à l’information qui ne permet plus de penser que l’unique satisfaction des besoins premiers saurait leur suffire. La logique de la pyramide de Maslow donnerait à penser que la forme de l’accueil pourrait se contenter d’assurer son premier degré, et que les autres « degrés » pourraient être envisagés uniquement dans un second temps. Cette logique ne résiste pas à l’expérience. Il y a malheureusement certaines raisons de penser que l’incendie de la Linière s’est produit parce que quasiment aucun des besoins dépassant ceux liés à la physiologie n’y étaient assurés, si ce n’est par des initiatives ponctuelles de différents acteurs, mais qui ne faisaient pas partie d’une politique établie sur le camp.

27Il existe peu d’outils permettant d’évaluer le bien-être des personnes de manière objective. Dans son ouvrage L’économie du bonheur[10], l’économiste Claudia Senik montre la difficulté d’une telle évaluation. Alors que l’on sait que l’unique accès aux biens ou aux services en est décorrélé depuis des décennies, les enquêtes reposant sur l’autoévaluation sont souvent marquées par des référents mentaux culturels propres aux personnes qui rendent l’objectivisation d’une telle mesure difficile.

28Le cercle de Stevenson a été mis au point par un cercle de trois chercheurs et présenté dans un ouvrage publié en 2016 : Les organisations bientraitantes[11]. Son originalité repose sur le fait que les cinq niveaux de besoins qui se présentaient de manière superposée selon une idée de décroissance des besoins dans le cadre de la pyramide de Maslow sont ici réunis dans un cercle qui souligne l’importance égale de tous ces besoins. Ces besoins sont décomposés en cinq besoins psychiques (affection, échange, réflexion, reconnaissance, cohérence) et cinq besoins physiques (mobilité, adaptation, nutrition, hygiène, sécurité). Placé en licence Creative Commons dès janvier 2017, il offre une grille d’analyse d’usage assez simple, d’autant plus qu’elle peut être adaptée en fonction des cas étudiés. En présence ou en construction de toute situation, il est possible d’analyser les faits ou le projet au prisme de chacun de ces besoins et, le cas échéant, d’en faire une évaluation, de la même manière que pour les « radars » d’analyse des cercles du développement durable.

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Le cercle de Stevenson appliqué à la question des migrants

Figure 2

Le cercle de Stevenson appliqué à la question des migrants

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Figure 3
Le cercle extérieur vert est le cercle de Stevenson des besoins humains ; le cercle intérieur rouge correspond aux (non) politiques actuelles, aux maltraitances qui y sont liées et aux risques auxquelles elles exposent les migrants ; le cercle du milieu correspond à la définition de politiques possibles, pour répondre aux besoins des personnes par les synergies locales. À l’extérieur du cercle sont donnés des exemples d’autres politiques possibles en réponse à ces sujets.
© ENSAPB, Cyntia Del Fresno, Jorge Suarez Fernandez, Camille de Romémont.

31Les étudiants du studio ont adapté ce modèle à la question qui nous occupe ici, à savoir celle de l’accueil et du non-accueil des migrants. D’abord, en ce qui concerne la plupart des politiques actuelles, celle que l’on pourrait appeler la « ville hostile » : au besoin de mobilité sont opposées toutes les frontières, au principe de cohérence celui de la gestion désorganisée de l’urgence, à la reconnaissance, l’ignorance et l’invisibilité, à l’adaptation, la nutrition et l’hygiène, l’absence de toit, de nourriture et de sanitaires ; il est répondu au besoin d’affection par l’hostilité... on peut observer qu’on ne trouve de réponse favorable à aucun des dix besoins fondamentaux qui sont bien au contraire tous frontalement contrariés.

32Ce modèle négatif a permis de mettre en place le schéma inverse qui répondrait positivement à l’ensemble de ces besoins, ou qui du moins en définirait les objectifs sur une base ouverte : les frontières sont levées pour répondre au besoin de mobilité (conformément à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme), des logements appropriables et adaptables sont proposés pour répondre au besoin d’adaptation. De la même manière, les gens peuvent se faire à manger eux-mêmes, ils bénéficient de bonnes conditions d’hygiène et leur sécurité est assurée par un exercice classique des fonctions de police. En ce qui concerne les besoins psychiques, les besoins d’affection et d’échange sont assurés par le libre choix des personnes avec qui on cohabite, l’accès à l’enseignement, la possibilité d’avoir prise sur son environnement de vie favorisent le travail de réflexion ainsi que la cohérence. La fin de l’invisibilisation et la participation aux choix qui concernent les gens permettent d’assurer la reconnaissance nécessaire...

Les six scénarios pour la Ville Accueillante

33Six scénarios pour la Ville Accueillante ont émergé à la croisée de nos observations, de ces nouveaux outils, des différents travaux de recherche de ce projet et de la manière dont les étudiants ont pu répondre à l’interrogation qui leur était faite, à savoir celle de penser l’accueil à Grande-Synthe. Ces scénarios partent le plus généralement de situations qui ont pu être observées dans différents endroits du monde où des problématiques similaires se posaient et où des cadres de réponse avaient été mis en place, en cherchant évidemment à en réduire les inconvénients et à en améliorer les qualités, aidés en cela par les outils définis précédemment. Ces scénarios ont été poussés et adaptés pour le cas de Grande-Synthe, une ville européenne de taille moyenne qui s’est trouvé exposée à la problématique de l’arrivée soudaine et massive de personnes qui ne voulaient cependant pas forcément y demeurer. Ils ont cependant été pensés pour pouvoir être mis en place dans différentes villes.

Sécuriser les quartiers précaires

34Ce premier scénario part d’un constat fait dans de nombreux endroits de la planète : les bidonvilles, les « barrios popular », favelas, jungles, les quartiers précaires ou informels, que l’on appelle aussi « spontanés » dans les départements français d’outre-mer semblent constituer le modèle urbain appelé à se développer le plus dans les temps à venir, alors que les pouvoirs publics se désinvestissent et que les solutions aux différentes questions sociales, dont l’habitat, se jouent de plus en plus à partir des initiatives individuelles. Les États à économie faible ont pris acte depuis des décennies de leur incapacité à résoudre la question du logement par l’investissement public, et de nombreux acteurs ont, par ailleurs, relevé la faible qualité de réponses architecturales à ces problématiques. Si le canadien Doug Saunders dans son ouvrage Arrival Cities notait en 2011 que « tous les bidonvilles ne sont pas des villes-tremplins et que toutes les villes tremplins ne sont pas des bidonvilles[12] », les politiques urbaines les plus efficaces en la matière, de la Colombie à l’Inde en passant par le Brésil et l’Argentine passent par la sécurisation et l’amélioration des établissements précaires. En France, la Jungle de Calais, semble avoir été, à un moment donné, sans doute le « moins mauvais » lieu d’accueil pour les migrants en France, alors qu’elle hébergeait jusque 10 000 personnes de toutes nationalités.

35Cette solution présente l’avantage de partir de ce qu’ont construit les gens qui y habitent déjà et donc de ne pas différer dans le temps les questions de l’accueil. L’investissement peut y être progressif aussi bien financièrement que temporellement.

Exemple 1 : Le Quartier Spontané de Mahabourini à Mayotte

36L’association Actes & Cités est engagée actuellement à Mayotte, dans le quartier de Kaweni par la mairie de Mamoudzou. Le bidonville de Mahabourini se situe sur une parcelle appartenant à la mairie qui peut y développer une action sur l’espace public. Le bidonville est soumis à de nombreux risques : glissements de terrain, pluies torrentielles, ouragans, séisme. L’état des constructions existantes est très variable : il va de la plus simple des baraques en tôle et en bois à des maisons à plusieurs étages en béton, solides et installées depuis plus de vingt ans. Sans avoir à entrer dans les domiciles, un système de cheminements et d’escaliers en béton va être mis en place. Ce système de cheminements sera le support des différents réseaux d’électricité, d’eau et d’eaux usées. Il assurera un éclairage public dans la zone. Sa solidité garantira une zone de stabilité à proximité des maisons en cas de catastrophes naturelles. Des plateformes seront mises en place pour assurer des zones de rassemblement tout en offrant des espaces publics qui font actuellement défaut au quartier. Ces plateformes seront également le support de petites halles, reprenant le principe des « sénats » existants dans les quartiers traditionnels qui sont des lieux de rassemblement et d’échanges dans les quartiers. Ces halles, outre leurs fonctions sociétales, seront conçues pour pouvoir constituer des abris anticycloniques.

Exemple 2 : Comuna 13 à Medellin

37À Medellin, en Colombie, Comuna 13, bastion informel perché au- dessus de la cité, était connu pour être un des quartiers les plus dangereux de Colombie. Son enclavement participait fortement à son repli sur soi et au fait que le quartier était complètement coupé des autres.

38Au début des années 2010, la ville a mis en place des opérations de désenclavement de trois de ses quartiers ghettos, en y mettant en place des équipements publics et en particulier des bibliothèques, mais également en les reliant à la ville par des infrastructures de transport adaptées : téléphérique et escalators. Celui de Comuna 13 fait 1 260 mètres de longueur et a coûté 6,5 millions d’euros. L’installation de l’escalator a été accompagnée d’un travail de peintures des logements et de réalisation de grandes fresques revenant sur l’histoire et la vie du quartier. Ce quartier aujourd’hui est devenu le plus touristique de la ville, tout en demeurant un quartier populaire, une sorte de Montmartre du XIXe siècle visité chaque jour par des milliers de touristes qui y fréquentent les restaurants, paient des guides et des artistes locaux.

Des « Maisons du Migrants » dans la ville

39La Maison du Migrant est un concept qui avait été mis au point en 2013 par les associations d’aide des Hauts de France rassemblées dans la Plateforme de service aux migrants (PSM). La Maison du Migrant est un bâtiment neuf prévu pour une trentaine de personnes. On y trouve des espaces de repos privatifs, des lieux où se laver et faire la cuisine, manger. Il y a également des bureaux pour pouvoir rencontrer des services d’aide et de conseil, ainsi que des espaces partagés.

40Le principe de la Maison peut s’étendre à un réseau qui vient dessiner un maillage dans la ville. Les Maisons offrent des services ouverts à tous les habitants de la ville, comme des espaces de travail ou de réunion pour tous. Elles s’inscrivent ainsi dans les communs de la vie comme des équipements partagés par les habitants. Idéalement, elles ne seraient pas gérées par les services publics ou par des associations dédiées, mais par les habitants eux-mêmes, comme c’est le cas en Allemagne.

41Elles sont idéalement prévues pour être fortement modulables dans leur aménagement. Elles sont construites en matériaux bruts et offrent des plateaux ouverts que les habitants peuvent cloisonner en fonction de leurs besoins et de leurs modes de vie. Seules les salles de bain et les sanitaires, ainsi que les plans de travail de cuisine sont installés et connectés aux réseaux d’eau et de chauffage et constituent des aménagements fixes dans la construction. La façade du bâtiment laisse filer des balcons sur tous ses côtés. Elle est close par des panneaux amovibles vitrés ou non qui permettent de garantir la conformité thermique du bâtiment.

Exemple 1 : La Coordination réfugiés solidaires (CRS) à Briançon

42La communauté de communes du Briançonnais a ouvert en août 2017 les portes de l’ancienne caserne des secouristes en montagne de la CRS. Le bâtiment était inoccupé. La Coordination réfugiés solidaires (CRS) offre un accueil pour des dizaines de migrants qui ont passé les cols de montagne et qui arrivent bien souvent gelés. Le collectif briançonnais Tous Migrants les accueille et ils peuvent rester sur place autant de temps qu’ils le veulent.

Exemple 2 : Projet Hope à Stuttgart

43À Stuttgart, plusieurs maisons d’accueil ont été construites. Des familles migrantes mais aussi plus anciennement allemandes y habitent. La conception des lieux multiplie les espaces de rencontre, jusqu’à celle des balcons qui sont partagés par niveau et dessinés avec un décalage pour favoriser la communication d’un niveau à l’autre.

Exemple 3 : Chez Cédric Herrou à Breil-sur-Roya

44L’agriculteur Cédric Herrou a mis à disposition une partie de son terrain pour les réfugiés arrivant d’Italie. Le terrain a été progressivement aménagé avec une cuisine collective, des sanitaires, des caravanes, ainsi que la contribution des réfugiés accueillis qui prennent part au fonctionnement du lieu. Plus récemment, un logement en bois pour 6 personnes a été construit les étudiants du DSA de l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville accompagnés par Actes et Cités, suite à la commande de l’association Défends ta citoyenneté.

45À terme, Cédric Herrou voudrait en faire un lieu à l’image d’une communauté Emmaüs, à la fois lieu d’accueil, de formation et de production économique.

Un quartier d’accueil de la ville

46Prenant acte de la non disponibilité d’emprises urbaines suffisamment grandes dans la ville pour accueillir des centaines de personnes, il est décidé de construire un nouveau quartier. Ce dernier a certaines particularités : il ne répondra pas à des logiques foncières classiques, il sera construit extrêmement rapidement, et sa déconstruction ultérieure sera intégrée dès la conception d’origine. Cette anticipation de sa déconstruction n’empêche néanmoins pas de le penser et de le construire comme un quartier pérenne. Comme tout nouveau quartier, il s’inscrit dans la continuité des tissus urbains et en lien avec eux. Il est multifonctionnel et offre aussi bien des logements que des espaces commerciaux et des services publics.

47Sa conception intègre la possibilité de s’approprier les espaces et de les transformer à la marge. Des espaces autour ou devant les logements permettent de s’investir pour en faire, au choix, des habitants des espaces de sociabilité, des petits jardins, ou des extensions fermées ou non des logements. Bien que réalisée à partir d’éléments préfabriqués en bois – pour la rapidité d’exécution et la facilité de leur déplacement éventuel – la conception du quartier ne répond pas d’une temporalité brève mais, bien au contraire, d’une architecture inscrite dans un territoire et dans le temps long.

48Dans la continuité des espaces urbains environnants, les lieux offrent également des espaces pour l’installation de petites entreprises, d’ateliers ou de commerces : la pluralité de fonctions assure un quartier qui vit à toutes les heures du jour. Idéalement, ce projet serait ouvert à tous ceux qui veulent y vivre, aussi bien les migrants que, par exemple, des artistes ou des jeunes couples en installation qui pourraient y rester toute une vie s’ils le désirent.

49Plus encore que le précédent, ce projet nécessite une réelle technicité, une action professionnelle et les investissements qui vont avec. Il est donc lié à une volonté politique forte, et ne peut être porté que par des élus engagés, à plusieurs échelons territoriaux. Il peut être difficile de mettre en place de vraies démarches participatives à de telles échelles de construction, même s’il est possible de concevoir un projet qui laissera de réelles marges d’actions aux futurs occupants.

Exemple : Centre d’hébergement d’urgence (CHU) « Le Point du Jour » à Paris

50Le CHU « Le Point du Jour », conçu par les agences AIR et Moon architecture et géré par l’association Aurore, est prévu pour durer trois ans, éventuellement extensible à cinq. Si l’ensemble de bâtiments, qui héberge 300 personnes, a été conçu pour être construit rapidement, il a aussi et surtout été pensé comme un petit quartier de la ville, en lien avec son environnement et inscrit dans le temps long. Une attention poussée a été apportée aux détails et aux espaces d’appropriation laissés aux habitants. Le fait que le bâtiment soit modulaire et démontable ne se voit pas dans l’architecture. Au contraire, tout est fait pour que cet immeuble – qui dispose des qualités constructives assurant la même durabilité qu’un immeuble classique – ait une apparence de pérennité ressemblant à n’importe quel autre immeuble de logement de qualité.

Habiter les bâtiments tertiaires délaissés

51Les évolutions sociétales des quarante dernières années ont laissé partout dans le territoire français de vastes bâtiments qui ont perdu toute valeur économique et dont la valeur d’usage est obérée le plus souvent par des dispositions géométriques qui relèvent du monde du travail et non du logement. Ces bâtiments offrent néanmoins un certain nombre de qualités primaires nécessaires à l’habitat, à commencer par la protection contre la pluie et le vent, la fourniture d’une assise, d’un socle stable et sec et le plus souvent un bon niveau de lumière naturelle.

52Ce scénario présente de nombreux avantages : il peut être mis en place très rapidement, immédiatement même, à partir du moment où la décision est prise. Les investissements peuvent y être progressifs, alors même que les personnes commencent déjà habiter les lieux, et ils n’ont pas besoin d’être très importants pour commencer à avoir une grande efficacité. Ils peuvent être réalisés avec une participation des habitants et des usagers. Ce scénario est réalisable à partir de matériaux simples pouvant être recyclés et n’exige pas de grande technicité, même si le passage d’un architecte est nécessaire pour vérifier des questions techniques de base (qualité et résistance au feu de la structure, aménagements généraux conformes aux différentes normes, etc.).

Exemple 1 : Les Aciéries à Marseille

53Dans le squat des Aciéries à Marseille, la préfète déléguée pour l’égalité des chances, dans l’esprit de l’instruction gouvernementale interministérielle du 25 janvier 2018, a accepté de « dépasser l’approche centrée sur les évacuations [pour] inscrire l’intervention publique dans une dimension plus large ». Dans le bidonville des Aciéries, installé dans un ancien bâtiment militaire, les habitants ont développé une véritable activité économique légale de recyclage qui demande une surface de stockage et de travail dont ils ne pourraient pas disposer dans un ensemble de logement classique. Les associations locales – Médecins du Monde, Architectes sans Frontières, Rencontres Tsiganes, JUST – ont mis en place une relation de suivi depuis plusieurs années et font l’interface avec la préfecture. En juin 2018, les étudiants de l’ENSAPB Paris-Belleville, accompagnés par Actes & Cités, ont aidé les habitants à mettre en place un espace de rencontre, d’échange, de participation, de jardinage et de fête : l’Atelier Fertile.

54Acteurs : Préfecture de Marseille, Architectes Sans Frontières, Actes&Cités, ENSAPB Paris-Belleville, Les Petites Pierres.

Exemple 2 : Les Grands Voisins à Paris

55Ce lieu est une occupation temporaire de l’ancien site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul avant sa transformation en éco quartier. Des logements d’urgence sont mélangés à des ateliers d’artistes et autres activités, qui permet de mettre en œuvre une dynamique de projet multi-acteurs et de réussir l’intégration des personnes en situation de précarité.

Exemple 3 : Hôtel City Plaza à Athènes

56Cet ancien établissement de tourisme abandonné situé dans le centre d’Athènes a été réquisitionné pour mettre à disposition la centaine de chambres à disposition de près de 400 migrants, dont 185 enfants. C’est un lieu d’accueil qui fonctionne en complète autogestion et forme une alternative intéressante aux camps et centres de détention en Grèce.

Un bâtiment neuf, évolutif et transformable

57Techniquement, pour la construction neuve, il existe deux manières d’aborder la question de l’architecture dans une perspective de développement durable : l’une consiste à imaginer des bâtiments légers, le plus souvent en bois, montables et démontables, recyclés et recyclables. L’autre approche consiste, au contraire, à imaginer des bâtiments en matériaux très solides, lourds, pensés pour durer des centaines d’années mais pouvant être transformés. L’investissement important fait au départ s’amortit ensuite dans le temps long. On parle alors de bâtiments évolutifs.

58Comme pour les basiliques civiles romaines, le bâtiment est pensé pour pouvoir avoir plusieurs usages. En l’occurrence, l’idée est qu’il puisse aujourd’hui accueillir des personnes arrivant dans la ville et ne sachant pas combien de temps elles veulent y rester, mais qu’il puisse demain se transformer pour devenir un bâtiment de bureaux ou de logements plus classiques ou même un bâtiment public ou administratif, voire même un hôpital.

Exemple : Olivarius, Cergy

59Ce bâtiment de 130 logements a été conçu pour pouvoir s’adapter à différents usages. S’il sert aujourd’hui d’hôtel, il peut se transformer facilement en ensemble de logements indépendants, chacun des appartements étant équipé d’une vraie cuisine et d’une vraie salle de bain. La conception permet également de le transformer en immeuble de bureau très simplement.

Investir et densifier le pavillonnaire, le logement devenu inadapté

60Le modèle pavillonnaire pose de nombreuses questions quant à son évolution. Les normes thermiques et le changement des modes de vie font que nombre de maisons ont perdu de leur intérêt pour les nouvelles générations qui leur préfèrent des maisons davantage aux normes, souvent plus petites et adaptées à des modèles familiaux qui ont changé, dans des implantations différentes, les zones pavillonnaires ayant perdu de leurs attraits. Par ailleurs, d’autres personnes continuent à vivre dans des maisons devenues trop grandes pour elles dès lors que leurs enfants sont partis. La reconfiguration et la transformation des zones et des logements pavillonnaires devient problématique dès lors que l’on veut les transformer par l’action publique car cela nécessite un traitement au cas par cas, compliqué et onéreux.

61Alors qu’on entend nombre d’élus s’attaquer au problème des marchands de sommeil qui louent à prix d’or des pavillons reconfigurés pour accueillir plusieurs familles dans ce qui était auparavant un seul logement, il pourrait être intéressant de reconnaître que, si ces faits existent, c’est qu’ils répondent à une demande. Inventer des solutions intelligentes et adaptées dans chaque logement pour les reconfigurer tout en respectant les différentes normes est techniquement possible. Comme souvent, cela se passe mal quand les choses ne sont pas reconnues ou interdites et se font alors dans la clandestinité et l’absence de contrôle.

62Variante de cette idée, le mouvement « BIMBY – Build in My Backyard » propose l’installation de petites constructions légères dans les jardins trop grands des mêmes zones pavillonnaires. Cette solution présente l’intérêt de ne pas empiéter sur les espaces intérieurs de vie des pavillons existants. Ce mode d’action a fait l’objet d’un programme de recherche financé par l’ANR [13] en 2009 et a été suivi de nombre d’expérimentations.

63Deuxième variante : suivant une intuition du maire de Grande-Synthe, Damien Carême, que l’idée est apparue d’utiliser une tour de logements promise à la démolition dans le cadre de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). La tour Delacroix a dix étages et se situe dans un quartier en pleine transformation. Le projet présente l’intérêt de pouvoir être investi rapidement. Il fonctionne en articulant des résidences d’artistes et des logements pour les personnes nouvellement arrivées. Cette dynamique en entraîne une plus large pour le quartier dans un cercle vertueux, bénéficiant ainsi autant aux habitants qu’aux migrants. Les étages bas sont transformés pour en faire des lieux d’accueil, d’expositions et de spectacles, tandis que les étages les appartements sont redécoupés pour offrir à la fois des pièces privatives et d’autres ouvertes à tous pour des activités communes.

Exemple : Tour de Gendarmerie d’Aubervilliers

64Pour mettre à l’abri les migrants délogés des différents camps de Paris, une tour de logement qui servait à la Gendarmerie a été mise à la disposition de l’Adoma. Les différentes tours, installées à deux pas du métro Fort d’Aubervilliers, sont à présent habitées par plusieurs centaines de personnes, sans que cela ne pose de problème à personne.

Exemple : IMBY – In My Backyard

65Ce projet consiste à créer des tiny house pour les personnes en situation d’exclusion. Ces logements peuvent être installés dans les jardins trop grands de certaines maisons volontaires pour tenter l’expérience. Ce dispositif permet l’élaboration d’un projet de vie personnel, via un suivi social et professionnel (accompagnement psychologique, retour vers l’emploi, etc.) IMBY favorise l’insertion en assurant un logement fixe et une certaine convivialité, tout en préservant l’intimité.

Conclusion

66Ces six scenarios ne sont pas en concurrence les uns avec les autres, mais sont appelés à être intégrés dans des démarches globales qui peuvent s’additionner et se mélanger les unes aux autres en fonction des politiques et des conditions d’accueil locales, et ce, de manière synchrone, ou en se chevauchant les uns avec les autres au cours du temps. Plusieurs points font néanmoins figure de constantes : l’importance des villes et des politiques municipales dans l’invention de l’accueil doit être pleinement reconnue en évitant toute pensée centralisatrice sur le sujet ; c’est aussi dans cet esprit qu’il est fondamental d’impliquer tous les acteurs locaux, administratifs, associatifs, économiques qui doivent être parties prenantes dans la construction au sens large de cet accueil et y trouver leur compte.

67Il est, par ailleurs, nécessaire de laisser se mettre en place des microéconomies au sein des lieux d’accueil : dans tous les cas trop faibles pour gêner les activités économiques environnantes, elles sont des vecteurs de qualité de vie pour les lieux tout en permettant le relèvement de tous. Il s’agit de penser les lieux non comme des culs-de-sac mais bien, au contraire, comme des tremplins au sein desquels les personnes et leurs capacités sont reconnues afin d’encourager leur émancipation personnelle. C’est dans cet esprit que la cogestion doit être la règle pour reconnaître les habitants comme des acteurs à part entière et non comme des personnes assistées à charge pour la société.

68Enfin, les lieux ne doivent pas être monofonctionnels mais ouverts à différents types d’activités adressées à tous. Si l’on peut penser au modèle des zones franches urbaines pour les activités économiques, les résidences artistiques peuvent, par exemple, se montrer particulièrement fertiles dans les coexistences et la vie des lieux.

69L’accueil des personnes déplacées, réfugiés aujourd’hui, mais demain potentiellement victimes de catastrophes naturelles, s’inscrit dans la longue histoire des établissements humains. Penser la Ville Accueillante, c’est penser la ville de demain : transformable, légère, écologique, recyclable... mais avant tout humaine.


Mots-clés éditeurs : Grande-Synthe, action locale, Hospitalité, urbanisme, Médecins Sans Frontières (MSF), politique d’accueil, France, période : 2015-2017, projet de recherche : Ville Accueillante

Date de mise en ligne : 19/03/2019.

https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.7342

Notes

  • [1]
    Michel Agier, anthropologue, Michel Lussault, géographe, Valérie Foucher Dufoix, sociologue, Amalle Gualleze, Céline Barré, Michael Neuman et Franck Esnée, humanitaires, Dorothée Boccara, urbaniste, Bruno Fert, photographe, Antares Bassis, Cinéaste, Raphael Cloix, et Olivier Leclercq, architecte. J’en ai été le coordinateur.
  • [2]
    Cyrille Hanappe (dir.), La Ville Accueillante. Accueillir à Grande-Synthe. Questions théoriques et pratiques sur les exilés, l’architecture et la ville, Paris, éd. du PUCA, 2018.
  • [3]
    Après plusieurs mois d’hésitations, une cogestion du camp entre la mairie, l’État, et l’association départementale AFEJI, dirigée par Michel Delebarre a été décidé au mois de mai 2016.
  • [4]
    Philippe Wannesson, «  Quand on crée un nouveau quartier  », in Passeurs d’Hospitalité, 19 mai 2016.
  • [5]
    Giulia de Meulemeester, « Grande-Synthe, une cuisine mobile pour rétablir le dialogue dans les camps de réfugiés », in La Voix du Nord, 8 juillet 2016.
  • [6]
    Michel Agier (dir.), Un monde de camps, Paris, La Découverte, 2014.
  • [7]
    Rony Brauman, Michael Neuman, « De Daadab à Calais : quelle alternative au camp ? », in Mediapart, 19 novembre 2016.
  • [8]
    Damien Carême, On ne peut rien contre la volonté d’un homme, Paris, Stock, 2017.
  • [9]
    Ada Colau, Anne Hidalgo, Syros Galinos, « We, the cities of Europe », 2015. Voir le site Internet de la Mairie de Barcelone : http://ajuntament.barcelona.cat/alcaldessa/en/blog/we-cities-europe.
  • [10]
    Claudia Senik, L’économie du bonheur, Paris, Seuil, 2014. 
  • [11]
    Mickaël Bardonnet, Michel Lefebvre, Pierre Mongin, Les organisations bientraitantes, Paris, Adice éd., 2016.
  • [12]
    Doug Saunders, Arrival City: How the Largest Migration in History is Reshaping Our World, London, Windmill Books, 2011.
  • [13]
    Pour plus d’informations, voir le site Internet suivant : http://bimby.fr.
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