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Article de revue

Les débuts de l'Action française (1899-1914) ou l'élaboration d'un nationalisme antisémite

Pages 695 à 718

Notes

  • [1]
    Un journaliste écrit, en 1929 : « Le groupe politique le plus puissant pour une action de rue, c’est évidemment l’Action française. Il est bien certain que demain, sur un ordre de M. Maurras, des centaines et peut-être des milliers de combattants civils iraient où on leur dirait d’aller. Il est certain aussi qu’ils sauront exposer leur vie. Tout parti peut réunir dans une salle quelconque de Paris des hommes pour crier et applaudir, mais l’Action française réunira des gens capables de se faire tuer, ce qui est incomparablement plus rare » (Louis Latzarus, Un ami du peuple, Monsieur Coty, Paris, Librairie Valois, 1929, p. 168).
  • [2]
    Bruno Goyet, Charles Maurras, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 130-133.
  • [3]
    En 2000, on ne recensait sur le sujet aucun travail universitaire, parmi les dizaines de maîtrises ou de thèses consacrées à l’AF, ni un seul ouvrage ou article. Voir Alain de Benoist, Charles Maurras et l’Action française. Une bibliographie, Paris, Éd. BCM, 2002, p. 113-208. Sinon, Jacques Prévotat, L’antisémitisme de l’Action française. Quelques repères, dans Valentin Nikiprowetzky (éd.), De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, 1979, p. 247-275, qui, comportant des analyses originales sur le paganisme de Maurras, dont « tout l’effort (...) vise à convaincre les catholiques de rompre totalement avec leurs origines juives », ne traite cependant ni des années 1910 ni des années 1930. De même, Jean-Marc Joubert, L’antisémitisme d’État de Charles Maurras, dans Ilam Y. Zinguer et Sam W. Bloom (éd.), L’antisémitisme éclairé. Inclusion et exclusion depuis l’époque des Lumières jusqu’à l’affaire Dreyfus, Leiden, Brill, 2003, p. 333-348, bien que très au fait de la pensée maurrassienne, mais ne s’appuyant pas sur une véritable étude des sources, reprend les grandes lignes de la reconstruction opérée par Maurras (notamment dans son Dictionnaire politique et critique). En revanche, Victor N’Guyen, Note sur les problèmes de l’antisémitisme maurrassien, dans Pierre Guiral et Émile Temime (éd.), L’idée de race dans la pensée politique française contemporaine, Paris, Éd. du CNRS, 1977, p. 139-154, montre bien l’enracinement et la permanence de l’antisémitisme de Maurras, d’origine religieuse et que l’intéressé associe, dès les années 1880, aux exigences du combat nationaliste. Voir aussi Laurent Joly, L’antisémitisme de Charles Maurras, Aventures de l’histoire, 12, septembre 2002, p. 30-45.
  • [4]
    La thèse d’un historien américain, Paul Mazgaj, The Action française and Revolutionary Syndicalism, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1979, p. 128-169, fut longtemps le seul travail universitaire à évoquer cette période et notamment la campagne antisémite de 1911. Voir aussi Eugen Weber, The Nationalist Revival in France, 1905-1914, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1959, assez décevant sur le sujet.
  • [5]
    Même les analyses de Id., L’Action française, Paris, Fayard, 1985 (1re éd. amér., 1962), ne vont pas sans contradictions. À plusieurs reprises, l’importance de l’antisémitisme dans l’histoire du mouvement – son exploitation stratégique, sa dimension raciste en dépit de la construction maurrassienne, son influence sur la politique de Vichy, etc. – est relevée. Dans le même temps, pourtant, l’ « antisémitisme d’État » est considéré comme « une théorie assez raisonnable et modérée », déformée « par les tendances irrationnelles des partisans » !
  • [6]
    Qui peut être défini comme suit : la condition ultime d’une renaissance nationale est la restauration monarchique.
  • [7]
    Archives de la préfecture de police de Paris (désormais, APP), BA 1341, rapport des RG, 21 juin 1899.
  • [8]
    Le programme de la Jeunesse de l’Union nationale fondée le 22 septembre 1895 comprend déjà la « lutte contre le Juif, l’étranger du dedans, réfractaire à toute assimilation, irréductiblement opposé à nos traditions », Archives nationales (désormais, AN), F7 12480, programme de la Jeunesse de l’Union nationale.
  • [9]
    Henri Vaugeois, Réaction, d’abord, L’Action française, revue bimensuelle, 1er août 1899.
  • [10]
    Le dogme sur l’Affaire est fixé par Henri Dutrait-Crozon, nom de plume de deux officiers, Frédéric Delebecque et Georges Larpent, qui, pendant trente ans, dans une dizaine de brochures, exposeront la thèse de la complicité entre Esterhazy et Dreyfus, le premier étant présenté comme l’homme de paille des Juifs !
  • [11]
    Henri Vaugeois, Nos trois proscrits. Paul Déroulède, Jules Guérin, André Buffet, L’Action française, revue bimensuelle, 15 janvier 1900.
  • [12]
    Id., À Édouard Drumont : que faire des Juifs ?, L’Action française, revue bimensuelle, 15 août 1900.
  • [13]
    Voir Charles Maurras, Au signe de Flore. La fondation de l’Action française, 1898-1900, Paris, Les Œuvres représentatives, 1931, p. 153-246.
  • [14]
    Id., Le « Quadrilatère », L’Action française, 25 août 1910.
  • [15]
    Voir Victor N’Guyen, Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique vers 1900, Paris, Fayard, 1991, p. 316, p. 412-413 ; Laurent Joly, L’antisémitisme de Charles Maurras, art. cité (n. 3), p. 30-32.
  • [16]
    Cité par Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire, 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Paris, Le Seuil, 1978, p. 206.
  • [17]
    Charles Maurras, Lettre à Édouard Drumont, La Libre Parole, 19 novembre 1902.
  • [18]
    Id., Lettre à Édouard Drumont II, La Libre Parole, 26 novembre 1902.
  • [19]
    En 1914, il note : « L’hypothèse d’un socialisme nationaliste n’était pas plus improbable qu’un autre vers l’année 1894 » (Id., Après vingt ans. Paix ou Guerre, L’Action française, 2 août 1914). Plus cynique, il étaiera sa critique de Drumont en 1944 : « Drumont ne comprit jamais qu’un programme négatif, comme le sien, excellent pour détruire le mal, parfaitement capable de grouper des énergies et des passions nécessaires, ne suffisait cependant ni à rassurer les cadres civils et militaires de la nation – indispensables eux aussi » (Id., La Politique, II. Drumont et le Juif-Roi, L’Action française, 16 juin 1944).
  • [20]
    Id., Lettre à Édouard Drumont V, La Libre Parole, 13 janvier 1903.
  • [21]
    Id., Lettre à Édouard Drumont IV, La Libre Parole, 26 décembre 1902.
  • [22]
    Yves Chiron, La vie de Maurras, Paris, Godefroy de Bouillon, 1999 (1re éd., 1991), p. 192.193.
  • [23]
    Bruno Goyet, Charles Maurras, op. cit. (n. 2), p. 259-260, estime que le non-aboutissement de ce projet tient au fait qu’il s’agit de textes « qui concernent explicitement la question juive, dont la violence essentielle aurait par trop stigmatisé l’écrivain ». Cette hypothèse, convaincante avec d’autres exemples, semble contestable dans le cas présent.
  • [24]
    Une fédération des Étudiants d’AF, dirigée par Lucien Moreau, est également créée. Pendant l’hiver 1905-1906, la ligue est à l’avant-garde de la résistance aux inventaires. À Versailles, Bernard de Vésins est arrêté puis condamné à deux ans de prison.
  • [25]
    L’article 445, qui a permis à la cour de casser le jugement, aurait dû ordonner le renvoi de Dreyfus à un troisième tribunal militaire. Une interprétation différente a été faite, pour les raisons politiques que l’on devine, par la Cour. Pour une défense juridique de cet arrêt, voir la brochure d’Albert Chenevier, L’article 445 et la Cour de cassation. La campagne de l’Action française. Examen juridique de l’article 445, Paris, Pages libres, 1908, 37 p.
  • [26]
    L’article 445 s’impose comme un symbole des antidreyfusards et est publié in extenso dans L’Action française à partir de 1908 et dans des revues sous obédience, comme Les Guêpes. Voir AN, F7 12845, note de police, 7 mai 1914. Dans L’Action française, revue bimensuelle, Vaugeois fulmine régulièrement : « Mort aux Juifs ! À bas la République ! Vive le roi de France ! »
  • [27]
    Charles Maurras, La contre-révolution spontanée. La recherche. La discussion. L’émeute, 1899-1939, Lyon, Lardanchet, 1943, p. 87-88.
  • [28]
    Pendant la campagne pour les élections générales de 1906, des candidats nationalistes, se disant à la fois socialistes et patriotes, dans la lignée de Marcel Habert – membre du groupe antisémite à la Chambre de 1898 à 1902 –, se présentent. Ainsi Eugène Janiaud, de la Fédération des républicains socialistes patriotes, qui invite les électeurs à protester « énergiquement contre la POLITIQUE HONTEUSE ET SECTAIRE du “BLOC”, des JUIFS et des FRANCS-MAçONS » : « Il y a une forme de Nationalisme (considéré comme l’opposé de l’Internationalisme) qui revendique hautement le titre de Socialiste et qui veut toutes les réformes sociales réclamées vainement depuis plus de trente années par le prolétariat » (APP, BA 236, affiche électorale d’Eugène Janiaud, candidat dans la 2e circonscription de Sceaux).
  • [29]
    Yves Chiron, La vie de Maurras, op. cit. (n. 22), p. 215.
  • [30]
    « La souscription, ses résultats », L’Action française, revue bimensuelle, 1er décembre 1906.
  • [31]
    APP, BA 1341, rapports des RG, 21 septembre et 17 novembre 1906.
  • [32]
    Voir l’intéressant dossier, Centre des archives contemporaines (CAC), 890158/2, dossier « Libre Parole ».
  • [33]
    APP, BA 1341, rapport des RG, 28 septembre 1908.
  • [34]
    APP, BA 1342, rapport des RG, 19 juillet 1909.
  • [35]
    Charles Maurras, Nîmes et la France, L’Action française, 6 octobre 1908.
  • [36]
    APP, BA 1342, rapports des RG, les 24 novembre 1909 et 7 décembre 1909. L’année suivante, ils récidivent contre le Pr Wahl, jugé trop sévère. BA 1343, rapport des RG, 7 février 1911.
  • [37]
    AN, F7 12854, note de la Sûreté générale de la ville de Brest, 20 novembre 1910.
  • [38]
    Une lettre de Lucien Lacour, dépôt, 21 novembre 1910, L’Action française, 3 décembre 1910.
  • [39]
    En 1908, quelques jours avant la translation des cendres de Zola au Panthéon, des dirigeants de l’AF, menés par Daudet, imaginent d’assassiner le capitaine Dreyfus à cette occasion – c’est ce que tentera un journaliste du Gaulois, tirant deux coups de feu en direction de Dreyfus. Maurras renverse ce projet en démontrant que, « en supprimant DREYFUS, l’Action française perdrait sa meilleure arme contre la République » (APP BA 1894, rapport des RG, 26 novembre 1908).
  • [40]
    Henri Dutrait-Crozon, Charles Maurras, Si le coup de force est possible, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1910, p. 15, 37, 41, 60-61. Sur Dutrait-Crozon, voir n. 10.
  • [41]
    Les Juifs constituent rien moins que les « ennemis du genre humain (...). Tous nos intérêts nationaux sont antijuifs, mais nos intérêts sociaux le sont bien davantage ! Le grand et juste effort du prolétariat européen pour s’organiser n’a pas d’ennemi plus direct que ces nomades prélibateurs » (Charles Maurras, Trahison, L’Action française, 10 juillet 1909).
  • [42]
    AN, F7 13195, note de police, 19 août 1908.
  • [43]
    AN, F7 12862, note de police, 5 avril 1911.
  • [44]
    Maurice Pujo, L’inquiétude juive, L’Action française, 25 novembre 1912.
  • [45]
    Charles Maurras, La Politique, II. Le Juif-Roi, L’Action française, 14 juin 1914.
  • [46]
    Gustave Téry, Entendons-nous, L’Œuvre, 14 avril 1911.
  • [47]
    APRèS MOI ! Chez M. Jules Claretie, L’Œuvre, 4 janvier 1911.
  • [48]
    Auquel collaborent Gohier, Robert de Jouvenel, Jean Drault ou Séverine.
  • [49]
    Gustave Téry, Encore le « Vieil Homme », L’Œuvre, 2 février 1911.
  • [50]
    Voir Id., Les Juifs au théâtre français. Le déserteur Bernstein, L’Œuvre, 16 février 1911 ; Id., Sous la botte juive, L’Œuvre, 23 février 1911.
  • [51]
    La caisse de l’AF paie les billets ; ses militants désignés reçoivent leurs instructions au siège de l’AF entre 5 et 6 heures, afin d’éviter toute fuite.
  • [52]
    APP, BA 1642, note de police, 30 octobre 1911.
  • [53]
    Citée dans La Libre Parole, le 28 février 1911. Voir APP, BA 1642.
  • [54]
    Gustave Téry, Notre « Asémitisme », L’Œuvre, 9 mars 1911. Pour Téry, les socialistes doivent être antisémites ; ils l’étaient d’ailleurs avant l’affaire Dreyfus. C’est ainsi qu’ils peuvent être partie prenante d’un véritable mouvement national : « Et qu’à l’extrême droite et l’extrême gauche, traditionalistes et révolutionnaires puissent ainsi se servir du même outil pour travailler à des œuvres si différentes, en apparence au moins, cela seul est le signe que le mouvement antijuif a bien un caractère national » (Id., La question juive. Les Vrais Socialistes doivent être Antisémites, L’Œuvre, 23 mars 1911).
  • [55]
    Voir L’antisémitisme et la presse étrangère, L’Action française, 17 mars 1911.
  • [56]
    Charles Maurras, La question juive, L’Action française, 23 février 1911.
  • [57]
    En 1905, à ses lecteurs de La Gazette de France, il fait la mise au point suivante sur son antisémitisme : « Il faut se défier comme de la peste de la réplique habituelle de l’adversaire : Vous êtes antisémites ? Alors c’est que vous voulez tuer tous les Juifs... Nous voulons les mettre à leur place, qui n’est pas la première. Les méthodes de polémique qu’on nous oppose en général sont un curieux exemple de la “démence”, de la démentalisation particulière à notre temps. Entre deux contraires, le règne des Juifs et l’oppression des Juifs, on ne semble plus être en état de concevoir qu’il y une infinité de positions intermédiaires réglées par des considérations de temps, de circonstances, etc. » (publié dans Id., Quand les Français ne s’aimaient pas. Chronique d’une renaissance, 1895-1905, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1916, p. 197).
  • [58]
    APP, GA-B1, dossier Henry Bernstein, rapport des RG, 11 mars 1911.
  • [59]
    Charles Maurras, Le peuple juif, L’Action française, 28 février 1911 ; Id., Droit français et devoir juif, ibid., 4 mars 1911 ; Id., L’antisémitisme historique, ibid., 11 mars 1911 ; Id., Avis aux Juifs, ibid., 14 mars 1911 ; Id., Les susceptibilités antijuives, ibid., 18 mars 1911 ; Id., Les Juifs dans l’administration, ibid., 23 mars 1911 ; Id., Le Programme antijuif. Maximum et minimum, ibid., 26 mars 1911 ; Id., L’exode moral, ibid., 28 mars 1911 ; Id., L’aphorisme antijuif, ibid., 6 avril 1911.
  • [60]
    Robert de Jouvenel, Les solutions de la question juive où l’on voit qu’il ne suffit pas de ne pas être Hébreu pour être Français, L’Œuvre, 16 mars 1911. Pendant ce temps, la célèbre journaliste Séverine quitte L’Œuvre car elle défend les pièces de Porto-Riche et de Bernstein pour leur valeur littéraire.
  • [61]
    AN, F7 12862, note de police, 18 mars 1911.
  • [62]
    APP, BA 1343, rapport des RG, 18 mars 1911.
  • [63]
    Gustave Téry, La question juive. Les Vrais Socialistes doivent être Antisémites, L’Œuvre, 23 mars 1911.
  • [64]
    AN, F7 12720, note de police, 3 mai 1911.
  • [65]
    Goy, Paris, ville étrangère, L’Œuvre, 7 avril 1911.
  • [66]
    Voir, par exemple, Charles Maurras, Les solutions antijuives, L’Action française, 18 avril 1911.
  • [67]
    Voir notamment Gustave Téry, France d’abord, L’Œuvre, 5 mai 1911.
  • [68]
    À la fin du mois de juillet, Maurras annonce à ses lecteurs la parution prochaine d’une brochure intitulée Le cas Bernstein et la solution de la question juive, recueillant les articles parus en février et mars. Publiant en avant-première ses « Conclusions » dans L’Action française, il estime que le jury d’honneur qui a absous Bernstein pour son erreur de jeunesse n’était constitué que de la « vaine oligarchie parisienne » asservie « à la volonté de la race juive ». Tout comme la réhabilitation de Dreyfus en 1906, ce jugement est sans valeur (Charles Maurras, « Nos conclusions » L’Action française, 29 juillet 1911. Voir aussi Id., « La vieille noblesse », ibid., 12 août 1911).
  • [69]
    AN, F7 12864, note d’un indicateur, 21 avril 1911.
  • [70]
    Charles Maurras, La Politique, IV. Maxime Brienne, L’Action française, 6 mai 1926.
  • [71]
    Voir APP, BA 1661, dossier Marius Plateau, rapport des RG, 16 décembre 1911. Elle paraît en brochure en mars 1912.
  • [72]
    C’est lui qui avait condamné Bernard de Vésins en février 1906 à la peine de deux ans de prison.
  • [73]
    Charles Maurras, Post-Scriptum, L’Action française, 21 janvier 1909.
  • [74]
    Le procès de Charles Maurras. Devant le juge juif, L’Action française, 26 janvier 1913. Le rédacteur du compte rendu précise : « Maurras faisait allusion aux projets de législation antisémitique dont nos lecteurs de février-mars 1911 n’ont pas perdu le souvenir. »
  • [75]
    Charles Maurras, Devant le juge juif. Défaut ? Récusation ? Refus motivé de répondre, L’Action française, 27 janvier 1913.
  • [76]
    Léon Daudet, L’exemple de Maurras. Le 2e flot antisémite, L’Action française, 31 janvier 1913.
  • [77]
    Charles Maurras, Antisémitisme d’État, L’Action française, 15 février 1913.
  • [78]
    Voir notamment Jacques Bainville, Un aspect de la question juive, L’Action française, 6 novembre 1913.
  • [79]
    Il travaille huit ans pour le quotidien avant de mourir à 72 ans en 1916. Voir Charles Maurras, Le commandant Biot, L’Action française, 28 juillet 1916 ; Léon Daudet, Militaire et journaliste. Le commandant Biot, ibid., 30 juillet 1916.
  • [80]
    Charles Maurras, La Politique, III. Henry Leroy-Fournier, L’Action française, 4 octobre 1923.
  • [81]
    Rivarol, Échos, L’Action française, 7 octobre 1908.
  • [82]
    « Il est bien vrai que la question juive est une question biologique », estime Daudet, se référant à Jules Soury ; « une question ethnique sans rien de confessionnel » (Léon Daudet, La question de race, L’Action française, 29 septembre 1911. Notons aussi que Daudet donne foi, prudemment, à la légende du crime rituel. Id., À propos du crime de Kief, ibid., 16 octobre 1913).
  • [83]
    Id., Israël inquiet, L’Action française, 25 octobre 1908.
  • [84]
    Jules Lemaître, Lettres à un Ami, IX. Le roi et les Juifs, L’Action française, 18 mai 1909.
  • [85]
    Léon Daudet, Israël menacé, L’Action française, 31 décembre 1910.
  • [86]
    Charles Maurras, Dreyfus, Louis, L’Action française, 13 mai 1909.
  • [87]
    En 1909, sur 145 de ses articles, 8 sont par exemple consacrés à la question juive et 78 autres sont à tonalité antisémite.
  • [88]
    AN, F7 12842, tirage des journaux quotidiens au 1er novembre 1910.
  • [89]
    Léon Daudet, Encore le théâtre juif, L’Action française, 4 février 1912. En 1936, à la Chambre des députés, Xavier Vallat déplorera l’avènement au pouvoir de Blum, ce « talmudiste subtil ». Voir Tal Bruttmann et Laurent Joly, La France antijuve de 1936. L’agression de Léon Blum à la Chambre des députés, Paris, Éditions des Équateurs, 2006.
  • [90]
    Id., L’Avant-Guerre. Études et documents sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1913, p. IX.
  • [91]
    Ibid., p. 3-7. Voir aussi p. 100, 303.
  • [92]
    Ibid., p. 308-309.
  • [93]
    Charles Maurras, La Politique, II. Posons bien la question juive, L’Action française, 30 septembre - 1er octobre 1940.
  • [94]
    Id., La propriété des cinq cents familles, L’Action française, 12 juin 1914.
  • [95]
    Id., Les susceptibilités antijuives, L’Action française, 18 mars 1911.
  • [96]
    Id., Pour un corps d’État, L’Action française, 24 août 1912.

1En associant, au tournant du XXe siècle, le nationalisme, idéologie aux limites encore incertaines, et la cause monarchiste, alors défendue par une droite antirépublicaine en bout de course, l’écrivain et théoricien politique Charles Maurras a dessiné les contours de l’extrême droite française contemporaine. Fondée sur des bases doctrinales particulièrement fermes, l’Action française (AF) fut, durant près de trente ans, à la fois un redoutable mouvement de rue [1] et, au travers d’un quotidien lancé en 1908 – L’Action française, « organe du nationalisme intégral » –, l’une des écoles de pensée politique les plus influentes de son temps.

2Assez curieusement, l’importance de l’antisémitisme dans l’élaboration de la doctrine d’Action française et dans ses combats quotidiens n’a jamais été considérée à sa juste valeur. « Systématiquement évoqué mais jamais analysé en tant que tel » [2] l’antisémitisme maurrassien n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique d’ensemble [3]. De fait, les années si cruciales de l’avant-Première Guerre mondiale sont la plupart du temps survolées [4] et les analyses de l’ « antisémitisme d’État », que Maurras théorise entre 1911 et 1913, comme nous le verrons, s’avèrent bien souvent décevantes [5].

3C’est cette période de l’histoire de la ligue monarchiste (1899-1914) – ses « années d’essor », comme les a qualifiées Eugen Weber, et, à bien des égards, ses « années révolutionnaires » – que nous nous proposons d’étudier dans la présente contribution.

4Dès les débuts de l’Action française, la haine du Juif et la nécessité d’un combat contre les valeurs qu’il est supposé incarner occupent une place prépondérante. Dans sa pratique, le nationalisme intégral [6] des premières années fut un authentique nationalisme antisémite.

LES PRÉMICES D’UN NATIONALISME ANTISÉMITE (1899-1905)

L’affaire Dreyfus et la naissance de l’Action française (1899-1900)

5L’Action française (AF) est née dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Autour d’Henri Vaugeois et de Maurice Pujo, jeunes philosophes républicains ralliés au nationalisme, un groupe d’intellectuels se constitue. La plupart d’entre eux ont moins de 30 ans et veulent trouver les solutions à l’ « impuissance » des mouvements nationalistes existants, telle la ligue de la Patrie française.

6Le 20 juin 1899, devant 350 personnes réunies dans une petite salle parisienne, Vaugeois définit l’objet de l’AF et le sens de son engagement : « Tout le mal dont souffre le pays, M. Vaugeois l’attribue à l’esprit protestant, à l’esprit maçonnique et surtout à l’esprit juif qui, depuis quelques années, domine toute la politique de la France. (...) À l’esprit des sectes juives et protestantes et de la secte maçonnique, il oppose la vieille tradition de l’esprit français. C’est contre l’élément étranger que doit s’exercer l’action française. » [7]

7Henri Vaugeois ne se contente pas de systématiser les thématiques nationalistes de son temps [8], il souhaite créer un quotidien de prestige. Mais les fonds dont il dispose ne lui permettent que de lancer une petite revue bimensuelle baptisée L’Action française. L’antisémitisme est l’un des moteurs essentiels de cette entreprise intellectuelle. Dans l’un des premiers articles, publié le 1er août 1899, les buts de l’AF sont ainsi définis : elle « combattra donc d’abord les défenseurs du triste capitaine. Elle protestera contre sa réhabilitation, si on l’essaie. Et elle aura à cœur, en commentant cet instructif exemple, de justifier et d’entretenir l’instinct de répulsion si sain, si gai, du Peuple français contre le Juif. L’antisémitisme aura ici des amis réfléchis, qui s’efforceront d’en approfondir et d’en éclaircir la légitimité historique et naturelle. Nous soutiendrons qu’il faut mesurer attentivement les Droits de l’homme à certains hommes » [9].

8Remettant en cause les principes démocratiques, Vaugeois ne rejette pas encore la filiation de 1789. Le titre de cet article, « Réaction d’abord », annonce cependant bien le « politique d’abord » de Charles Maurras. Ce dernier n’a pas encore accompli sa subversion monarchiste, mais il est clair que, poursuivant cet objectif, il s’appuiera sur la pensée du fondateur de l’AF. La ligne directrice et la stratégie générale du mouvement sont fixées par Henri Vaugeois.

9Le procès de Rennes puis la grâce de Dreyfus ne les modifient en rien. Vaugeois annonce à ses lecteurs qu’au contraire c’est un nouveau combat qui commence [10]. Il considère plus que jamais l’antisémitisme comme une force révolutionnaire que le nationalisme peut opposer au « parlementarisme qui nous livre à l’Étranger » ; sa vertu principale est de faire appel à ces instincts populaires sains et brutaux qu’un chef éclairé peut utiliser [11]. Au moment du procès, Vaugeois développe certaines de ces idées dans La Libre Parole, le quotidien antisémite d’Édouard Drumont, célèbre auteur de La France juive. Dans un texte de synthèse : « Que faire des Juifs ? », publié dans sa revue en août 1900, il répète que l’antisémitisme est la première condition pour « juger sainement l’affaire Dreyfus » : « J’entends bel et bien par là une répulsion instinctive et quasi physique pour le Juif et sa peau, une sensation de “sauvage” que méprisent les belles âmes du Temps. »

10Pour Henri Vaugeois, l’antisémitisme répond au « mépris insondable » que les Juifs éprouvent pour les Français et que le peuple est seul à saisir spontanément : « Cette vérité, nous avons à la comprendre, comme le peuple la sent. Pour le peuple, le Juif est dangereux, quelque nettoyé et adapté qu’il soit. Je dirais volontiers, en renchérissant sur ce verdict, que le Juif n’est jamais plus dangereux que lorsqu’il est nettoyé, adapté, civilisé. » Le propre de « cette race vieillie », c’est « la crainte et l’horreur de la nature » ; « le plein air, le plein jour, la pleine terre, l’arbre et la fleur l’importunent aujourd’hui et l’inquiètent. Rappelez-vous le génie bizarre, morbide, d’un Henri Heine, par exemple, génie dont toute l’essence et tout l’enchantement tiennent dans ce mot qu’il faut répéter : Artifice ».

11Les Juifs vus par Vaugeois « sont des hommes dont l’ardeur dévore la terre, ou se dévore elle-même, des avares ou des mystiques, toujours des malades ». Le Juif n’a rien à faire en France : « Notre pays ne l’émeut pas », « il n’est pas sensible à l’harmonie discrète de la vie qui fleurit sur notre sol. Le Juif, en France, n’est pas contemplatif : il n’est pas désintéressé » [12].

12Dès les origines, le Juif est la cible première du nationalisme d’AF, avant le franc-maçon et le protestant. Si l’antisémitisme d’autres auteurs comme Robert Launay ou Jacques Bainville n’a rien à envier à celui de leur directeur, l’antiprotestantisme est d’abord la spécialité de Maurras qui fait ses débuts à L’Action française en publiant, à partir de 1899, sa célèbre série d’articles sur la famille Monod [13].

Charles Maurras et l’antisémitisme comme stratégie politique

13Convertissant, avec son Enquête sur la Monarchie, ses amis de l’AF au monarchisme (1901), Charles Maurras systématise le schéma répulsif établi par Vaugeois : le concept des « quatre États confédérés » est forgé en corollaire indispensable du « nationalisme intégral » : « Contre l’hérédité de sang juif, il faut l’hérédité de naissance française, et ramassée, concentrée, signifiée dans une race, la plus vieille, la plus glorieuse et la plus active possible. (...) Décentralisée contre le métèque, antiparlementaire contre le maçon, traditionnelle contre les influences protestantes, héréditaire enfin contre la race juive, la monarchie se définit, on le voit bien, par les besoins du pays. Nous nous sommes formés en carré parce qu’on attaquait la patrie de quatre côtés. » [14]

14Pour Maurras, comme pour Vaugeois, l’antisémitisme recèle un potentiel populaire et subversif que le nationalisme doit exploiter. Dès ses premiers pas dans la capitale, il est fasciné par Édouard Drumont, qui vient de publier La France juive [15] ; en février 1890, il écrit à Maurice Barrès, qui est devenu son ami : « Il y a deux partis conservateurs, l’un qui est vivant et l’autre. Le premier est avec Drumont, et, par Drumont, il finira bien par rejoindre le parti socialiste, populaire, qui est la grande force aveugle, encore inemployée. » [16]

15L’antisémitisme maurrassien répond à la fois à des sentiments personnels profonds et à une stratégie de positionnement dans le champ nationaliste. Maurras accorde une grande importance au mouvement antisémite de son temps. À la fin de 1902 et au début de l’année suivante, il se voit offrir l’opportunité de publier une série de six articles dans La Libre Parole. Ces « Lettres à Édouard Drumont » sont motivées par un débat sur la question juive lancé par le célèbre polémiste. Dans son premier article, le jeune Maurras évoque « quelques doléances » qu’il ne formule pas tout de suite, notant simplement, non sans démagogie, que l’affaire Dreyfus était « dirigée tout premièrement contre l’Antisémitisme. Sans doute, par-delà l’Antisémitisme, la France était visée aussi » [17].

16Se revendiquant de la génération de ceux qui avaient 18 ans en 1886, au moment de la parution de La France juive, Maurras rend hommage à la « méthode » de Drumont. Mais, estime-t-il, cette « doctrine de juste haine » ne peut suffire. Il faut la compléter d’une « doctrine de désir et d’Amour ». Les socialistes parviennent à faire rêver ; les nationalistes doivent eux aussi susciter un rêve ; et ce rêve, cet horizon merveilleux, est la monarchie [18]. Maurras espère réellement rallier les masses à son projet et donner une image rassurante et idyllique de l’antisémitisme au travers de l’idée monarchiste [19]. Pour autant, ses « quelques doléances » sont surtout un prétexte pour faire connaître sa doctrine et présenter ses amis, Vaugeois, Paul Robain, leur valeur intellectuelle, leur courage, etc. Adoptant un ton révérencieux – « Mon cher Maître, Je vous souhaite une bonne année. Voulez-vous me permettre de vous dire une fable ? » [20] –, Charles Maurras cherche par tous les moyens à convaincre. Au-delà de la question juive, il débat avec les autres nationalistes ; il discute notamment les positions plébiscitaires de Georges Thiébaud en utilisant des arguments de bonimenteur destinés au public de La Libre Parole : « Quel Antisémite voudrait d’un prince qui ne s’est pas prononcé dans l’affaire Dreyfus ? » [21]

17Pendant quelque temps, Maurras songea à publier ce recueil de lettres. Certains passages furent corrigés, une préface fut préparée, mais l’ouvrage ne parut pas [22]. Sans doute estima-t-il peu valorisants ces textes qui signent encore toute sa dépendance à l’égard du « Maître » de l’antisémitisme français [23]. En 1903, Charles Maurras, alors âgé de 34 ans, n’occupe qu’une place secondaire dans le champ intellectuel et politique du nationalisme et doit jouer de l’antisémitisme pour exister.

18Au printemps 1905, la ligue d’AF voit le jour. Le mouvement créé par Vaugeois se dote enfin d’une organisation politique à part entière [24]. Chaque adhérent doit accepter la déclaration suivante :

19« Français de naissance et de cœur, de raison et de volonté, je remplirai tous les devoirs d’un patriote conscient.

Je m’engage à combattre tout régime républicain. La République en France est le règne de l’étranger. (...)
Notre unique avenir est donc la monarchie telle que la personnifie Monseigneur le duc d’Orléans, héritier des quarante Rois qui, en mille ans, firent la France. Seule, la Monarchie assure le salut public et, répondant de l’ordre, prévient les maux publics que l’antisémitisme et le nationalisme dénoncent. Organe nécessaire de tout intérêt général, la Monarchie relève l’autorité, les libertés, la prospérité et l’honneur.
Je m’associe à l’œuvre de la restauration monarchique.

20Je m’engage à la servir par tous les moyens. »

21Comme on peut le constater, la lutte antijuive est au cœur du combat contre la République. Jusque-là, l’AF était une association d’intellectuels qui se réunissaient au café de Flore et lançaient leurs mots d’ordre dans une revue paraissant tous les quinze jours. Dorénavant, le mouvement dispose de troupes préparées à l’agitation et au coup de poing. La doctrine est fixée, la stratégie également : ces combats prendront pour cible privilégiée les Juifs.

LA « GUERRE CONTRE LES ETRANGERS DE L’INTERIEUR » (1906-1914)

22La réhabilitation de Dreyfus par la Cour de cassation le 12 juillet 1906, au prix d’une interprétation contestable de l’article 445 du Code civil [25], exacerbe l’antisémitisme de l’AF [26]. Pour Maurras, cette violation du droit marque la consécration du pouvoir des Juifs sur les Français. Jusque-là, leur action était « légaliste ». Maintenant, « ils » agissent en « maîtres » [27].

23À l’époque, l’AF est, pour ainsi dire, entrée dans sa phase « révolutionnaire ». Le contexte est favorable : les troubles sociaux se multiplient ; le gouvernement réagit par une répression des grèves, violente et parfois sanglante ; un sentiment de révolte et de rejet de la République naît dans le monde ouvrier, que les nationalistes pensent pouvoir exploiter [28].

Les premières campagnes (1906-1910) : à l’affût d’un « coup »

24En septembre 1906, l’AF lance sa première grande campagne d’agitation antidreyfusarde. Au Sénat, le général Mercier a protesté contre l’arrêt de la Cour de cassation et le projet du gouvernement de faire afficher cet arrêt dans toutes les communes de France. Des parlementaires socialistes le prennent violemment à partie. La ligue monarchiste décide de prendre la défense de son nouvel « héros ». 50 000 affiches, intitulées « Appel au pays », sont imprimées et placardées dans toute la France ; 1,5 million de tracts sont fabriqués et distribués [29]. Une souscription est lancée afin d’offrir une médaille d’or au général. Au 15 décembre 1906, près de 8 000 « patriotes » ont souscrit, rapportant plus de 35 000 F [30]. Un meeting est organisé salle Wagram, à Paris, en l’honneur de Mercier. L’AF a réussi son premier coup.

25L’exploitation du créneau antidreyfusard tient autant de la dialectique (monarchiste) que de la stratégie (politique). Pour Maurras, l’affaire Dreyfus constitue le talon d’Achille du régime républicain ; elle révèle ses faiblesses, les manœuvres de l’Anti-France et des Juifs. Il ne faut donc jamais cesser d’en parler. Sur le plan stratégique, les dirigeants de l’AF croient aux vertus mobilisatrices de l’antisémitisme. Toutes les sensibilités du nationalisme se sont retrouvées dans le camp antidreyfusard ; peu sont royalistes. L’antisémitisme est un courant consensuel susceptible de rallier toutes ces sensibilités ; un moyen de subvertir le champ nationaliste. Au demeurant, Maurras et Vaugeois comptent sur la campagne contre l’article 445 pour transformer leur revue en quotidien. Ils échouent [31]. L’année suivante, Léon Daudet, qui a définitivement rejoint le mouvement en 1904, tente de circonvenir La Libre Parole pour en faire le grand journal des royalistes [32]. Il échoue également.

26Alors que l’opposition défend, contre la politique du bloc des gauches, les intérêts catholiques en stigmatisant la franc-maçonnerie et le « péril révolutionnaire », l’AF est bien décidée à exploiter le créneau de l’agitation nationaliste et antisémite : « Presque tous les ex-chefs nationalistes sont mécontents de voir ces nouveaux venus mener maintenant la danse », estime-t-on du côté des RG [33].

27Au printemps 1908, les Étudiants d’AF manifestent à la Sorbonne contre un professeur ayant organisé un voyage en Allemagne. À la fin de l’année, ils s’en prennent à un enseignant, Amédée Thalamas, coupable d’avoir remis en cause le caractère surnaturel de la mission de Jeanne d’Arc. Entre-temps, les Camelots du Roi font leurs grands débuts en investissant la Cour de cassation à l’automne. Maurras encourage plus que jamais l’agitation antidreyfusarde. Avec « sa ténacité habituelle et son entêtement de sourd » [34], il a une idée fixe : dégrader les statues dreyfusardes érigées par la République, telle celle inaugurée à Nîmes en octobre 1908 en l’honneur de Bernard Lazare. Dans L’Action française, quotidien qui voit enfin le jour au mois de mars, Maurras évoque le moment où « la juste colère des populations aura balayé le bloc juif de la terre de la patrie » [35].

28Dorénavant, les Camelots du Roi se comptent par centaines. À la Sorbonne, l’AF parvient à mobiliser ses troupes contre des professeurs juifs sous les prétextes les plus futiles. À la fin de l’année 1909, une campagne est menée contre le doyen de la faculté de droit, le professeur Lyon-Caen : « Les étudiants d’AF font merveille et, à la faveur de l’affaire Lyon-Caen – bonne occasion d’ailleurs puisqu’elle groupe autour d’eux la très grosse majorité des étudiants en Droit –, révolutionnent littéralement le quartier de l’École. » En janvier 1910, le professeur est mis à la retraite [36].

29Dans la nuit du 19 au 20 novembre 1910, des Camelots placardent sur les murs de Brest un factum intitulé « Les Gloires de la République », qui représente une grosse femme juive – portant un bonnet phrygien et un accoutrement maçonnique – et attaquent avec virulence le président du Conseil Aristide Briand et « Reinach Boule-de-Juif » [37]. Le lendemain, l’un d’eux, Lucien Lacour, réussit l’exploit de donner deux gifles à Briand, en criant : « À bas la République ! Vive le Roi ! À bas Briand, partisan de Lafferre, des fichards et d’Israël contre notre Pays ! » [38] Au début du mois de décembre, L’AF lance une souscription « Contre l’or juif », baptisée, après la condamnation, le 6 décembre, de Lacour à trois ans de prison : « LE JUIF SERA VAINCU. » La souscription est clôturée le 5 février 1911 ; le quotidien publie la 40e liste de souscripteurs. 162 767 F ont été réunis ; la parution d’un livre d’or est annoncée.

30Durant ces années, l’AF est avidement à la recherche d’un coup qui fera parler d’elle : un grand procès à sensation, attaquer un groupe anarchiste, enlever une personnalité (Daudet pense à Abraham Schrameck, à l’époque directeur des services pénitentiaires au ministère de la Justice), etc. On songe même sérieusement à assassiner Dreyfus [39]. Ses dirigeants sont encore des hommes jeunes. Maurras théorise le « coup de force », d’abord dans la revue L’Action française, en janvier 1908, puis dans une brochure cosignée avec Dutrait-Crozon et publiée en 1910. Si le coup de force est possible évoque l’éventualité d’une insurrection contre les Juifs et l’exploitation d’une émeute populaire, dans la continuité des premières actions des Camelots [40].

31L’AF tente parallèlement de séduire les milieux ouvriers grâce à l’antisémitisme. La conscience sociale des Maurras et Daudet ne dépasse guère le stade de la démagogie de bas étage [41]. Elle n’en pose pas moins la ligue monarchiste comme un mouvement hostile au conservatisme et dont le « gauchisme » déplaît aux « biens-pensants ». À peine lancée, L’Action française connaît une vague de désabonnements en raison de l’attitude trop favorable manifestée par Daudet et Maurras à l’égard des syndicalistes de la CGT. Le conseil d’administration du journal se réunit et incite les deux hommes à plus de prudence [42].

32Dans les faits, la ligue soutient sans grand succès les velléités antisémites de deux francs-tireurs du syndicalisme, Émile Janvion, qui rejoindra l’AF, et Émile Pataud, de la CGT [43]. Elle doit vite renoncer à ses ambitions en la matière. En novembre 1912, Maurice Pujo se dévoue encore, sans conviction, relevant la « crainte du Juif que nos solutions du problème social puissent être comprises des travailleurs » [44]. En 1914, Maurras notera, avec regret : « Un antisémitisme ouvrier eût contribué à nationaliser le prolétariat. » [45]

33Pour l’essentiel, l’AF s’en tient à la déclaration antisémite du duc d’Orléans de 1899, dite de San Remo, pour justifier son combat contre les Juifs. Mais le prétendant se lasse de l’antisémitisme qu’il juge politiquement inutile. En décembre 1910, il finit par désavouer l’action de la ligue et se sépare de l’un de ses proches, Roger Lambelin, partisan de l’agitation antisémite, qui rejoint officiellement l’AF.

De l’affaire Bernstein à l’affaire Worms : la théorisation de l’ « antisémitisme d’État » (1911-1913)

« À droite et à gauche, on discute passionnément de la question juive. »
Gustave Téry, 14 avril 1911 [46].

34

35Au début de l’année 1911, alors que l’AF lance ses dernières armes pour séduire les forces syndicales, Charles Maurras se trouve amené à théoriser l’antisémitisme.

36Le 4 janvier 1911, L’Œuvre, hebdomadaire nationaliste de tendance républicaine et vaguement socialisante, « qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas », publie un dossier, « Les Juifs au Théâtre ». Après Moi d’Henry Bernstein est la troisième pièce de la saison jouée à la Comédie-Française – la troisième écrite par un Juif, dénonce-t-on [47]. Plusieurs articles sur les Juifs au théâtre sont publiés dans la rubrique « Gazette du ghetto » durant tout le mois de janvier. Dans le même temps, une brochure, Comment nous débarrasser des Juifs ?, écrite par un « Goy » (pseudonyme cachant Urbain Gohier), est éditée par le journal dirigé par Gustave Téry [48]. Ce que le « théâtre hébreu » choque en Téry, qui se revendique socialiste et plutôt anticlérical, « c’est vraiment, et c’est presque uniquement, le Français » : « C’est tout ce que mes obscurs ancêtres m’ont laissé d’eux-mêmes dans le sang, dans les nerfs et dans les fibres, c’est tout ce que n’ont pu effacer de mon cerveau mes professeurs israélites, c’est ma race et ma racine. » [49]

37En 1897, Bernstein commit ce que l’on appelle une erreur de jeunesse. Il abandonna sa garnison pour aller rejoindre une demoiselle en Belgique. Dès le 17 février 1911, Gustave Téry vend une brochure, Le Juif déserteur, aux abords de la Comédie-Française. Ayant acheté quelques billets, il tente de créer un incident avec sa poignée d’amis et réussit à se faire arrêter par la police [50]. L’AF, qui dispose de vraies troupes et d’une organisation efficace [51], ne tarde pas à récupérer le mouvement. Du 21 février au 2 mars, des manifestations d’une violence inédite ont lieu aux abords et au sein même du théâtre, sous les cris « À bas les Juifs ! », « Mort aux Juifs ! », etc. Le 3 mars, la pièce est retirée de l’affiche. Des groupes de manifestants vont défiler jusque devant le domicile du capitaine Dreyfus [52]. La victoire est fêtée dans des cafés parisiens sous le rythme de chansons antijuives, comme la « Youpignole » :

« À bas les Juifs ! À bas les Juifs !
Il faut les pendre sans plus attendre !
À bas les Juifs ! À bas les Juifs !
Il faut les pendre par le pif !
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Tous les Youpins à la lanterne !
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Tous les Youpins on les pendra ! » [53]

38L’affaire Bernstein fait grand bruit. La Libre Parole titre « La Première Victoire ». Dans L’Œuvre, Téry triomphe tout autant et essaie de rallier ses amis de gauche à l’antisémitisme. Se complaisant à relater les débats sur la question juive dans les milieux syndicalistes, La Terre libre de Janvion, La Guerre sociale et Les Hommes du Jour, il espère convaincre Gustave Hervé et se félicite que Victor Méric reprenne son concept d’ « asémitisme » ; l’antisémitisme « gagne les milieux socialistes et recouvre insensiblement son véritable caractère : ce n’est plus le cri de guerre d’un parti, c’est un mouvement national qui s’ébauche. Révolutionnaires ou conservateurs, républicains ou royalistes, tous les Français, quelles que soient leur origine sociale, leurs convictions politiques, philosophiques ou confessionnelles, peuvent et doivent s’unir contre les Juifs », proclame-t-il [54].

39Pendant ce temps, les incidents suscités par la ligue monarchiste sont commentés dans la presse ou à la Chambre des députés. À l’étranger, on s’inquiète de la naissance d’une « deuxième vague antisémite » après l’affaire Dreyfus [55]. Mais l’AF n’a pas l’intention de partager sa victoire.

40Dès le 23 février, Charles Maurras estime indispensable de définir « La Question juive ». Le fait que l’œuvre d’un Juif déserteur soit jouée à la Comédie-Française, théâtre national, montre qu’en France l’antisémitisme est « affaire d’État ». C’est donc dans l’État qu’il faut attaquer le Juif :

« Il est bon que la force juive ait conduit, selon le mot de Gil Blas, à faire du théâtre juif un théâtre d’État. On n’en verra que mieux combien l’antisémitisme est affaire d’État. La réorganisation de l’État français peut seule régler cette haute et difficile question. Elle a été posée en 1886 par un maître de génie, par un grand Français, par Drumont. (...) Le Français, qui n’est pas une bête, commence à percevoir qu’il ne saurait y avoir de solution pratique de la question juive en régime républicain. (...)
« D’autant que l’état du Juif en France est plus particulier et qu’il ressemble moins à la condition des autres Juifs de l’Europe et du monde. Le Juif d’Algérie, le Juif d’Alsace, le Juif de Roumanie sont des microbes sociaux. Le Juif de France est microbe d’État : ce n’est pas le crasseux individu à houppelande prêtant à la petite semaine, portant ses exactions sur les pauvres gens du village ; le Juif d’ici opère en grand et en secret. On le soupçonne, on le découvre, mais on le voit peu au travail. Du centre même du pays, il a commencé par tenir l’État grâce à la finance ; puis, à la faveur de ces liens, il a envahi les fonctions de l’État. Juifs de Conseil d’État, Juifs d’Université, Juifs d’armée, Juifs de justice, Juifs de Chambre, de Sénat et de ministère, les Juifs détiennent, grâce à notre fameuse centralisation administrative, tous les nœuds vitaux de notre existence d’État. Ou l’on n’en finira jamais avec la juiverie ou l’on devra commencer par l’attaquer dans les postes d’État. »

41Pour résoudre définitivement le problème, il n’y a qu’une seule solution. Comme le Juif n’est pas Français, puisqu’il appartient au peuple juif, il faut lui rendre sa nationalité d’origine. Maurras ne prétend pas innover. L’idée de dénaturalisation des Juifs (afin de revenir sur l’acquis révolutionnaire de 1791), il la trouve dans le programme social arrêté et rédigé par René de La Tour du Pin et Albert de Mun en 1889. « Ainsi d’ailleurs le veut tout le courant de l’histoire de notre temps. » [56]

42Depuis le début du siècle, Charles Maurras cherche à se distinguer des antisémites primaires et à présenter son antisémitisme sous un jour rationnel [57]. En février 1911, il trouve la clef dialectique lui permettant de mettre son désir en accord avec une doctrine : dorénavant, c’est sous l’angle de leur place dans l’État que les Juifs seront attaqués. Pour cette raison, Maurras n’accepte pas de suivre la proposition de La Libre Parole visant à perturber une autre pièce de Bernstein, jouée dans un théâtre privé à Bois-Colombes, laissant le dramaturge juif « parfaitement libre de se faire jouer partout ailleurs, surtout à Bois-Colombes !!... si le public l’accepte », et refuse de se laisser aller dans un piège qui pourrait nuire au « succès de notre campagne en nous faisant passer pour des forcenés, des mangeurs de Juifs » [58].

43Dans son article du 23 février, Charles Maurras prétend ne présenter qu’une « esquisse » de programme antijuif. En réalité, l’essentiel est déjà dit. Jusqu’en avril, il répète les mêmes idées sur le « statut du Juif en France », insistant sur la conséquence logique du cri « À bas les Juifs » : symbolisant la révolte contre les « cent vingt ans de désagrégation révolutionnaire », il est indissociable du combat contre-révolutionnaire [59].

44Ce surinvestissement théorique s’explique facilement. Le succès de la campagne contre Bernstein suscite émulation et surenchère. Dans L’Œuvre, Robert de Jouvenel discute posément les différentes propositions pour régler le problème juif – Maurras (restauration), Marcel Sembat (révolution sociale), Gohier (expropriation), etc. [60]. Le lendemain, dans un meeting, salle Wagram, rassemblant 3 500 personnes, les dirigeants de l’AF ne veulent laisser à personne le soin d’être plus radical qu’eux. Léon de Montesquiou proclame : « Le Juif est l’agent destructeur de notre foi et de la patrie. Nous sommes prêts à sacrifier nos existences pour débarrasser la France des Juifs. » [61] Léon Daudet renchérit : « La guerre est déclarée comme en 1870. (...) C’est une guerre franco-juive. Une première bataille a été livrée, elle a été gagnée ; il s’agit de continuer. » [62]

45Pendant ce temps, Gustave Téry reproche aux rédacteurs de L’Action française de chercher « dans l’antisémitisme leur meilleur instrument de propagande » [63]. Le 30 mars, il décide de créer une « ligue antisémite » : l’Œuvre de défense française, qui, reprenant la position de Jouvenel, choisit d’axer la lutte antisémite contre les étrangers – les Juifs allemands, plus spécialement [64] – et de faciliter l’assimilation totale des Juifs les plus anciennement établis en France. Le but de la ligue est donc d’obtenir l’abrogation de la loi de 1889 sur la nationalité : « Depuis vingt ans, la France subit une invasion formidable. 60 000 Juifs qui habitaient la France sous l’Empire ont reçu de tous les ghettos d’Europe 200 000 Juifs de renfort depuis la loi de 1889. » [65]

46Maurras critique ce programme, l’assimilation des Juifs étant selon lui impossible. Utiliser l’angle des « métèques » (au passage, il rappelle que c’est lui qui a inventé ce concept en 1894 dans La Cocarde de Barrès), c’est céder à la facilité [66]. De son côté, Téry critique l’intransigeance dogmatique du théoricien de l’AF [67], mais ne trouve pas d’arguments valables pour contrer sa proposition. Il finit par changer de camp en juillet 1911.

47Charles Maurras a gagné le combat théorique. Ses positions sont discutées à l’étranger et des demandes de publication et de traduction se font jour [68]. Dans l’immédiat, l’affaire Bernstein permet à l’AF de revenir dans les bonnes grâces du prétendant, qui s’apprêtait justement à diffuser un manifeste hostile à la ligue avant le déclenchement de la campagne [69].

48À la fin de l’année, la revue satirique Dégonflons l’Youtre, œuvre notamment de Maxime Brienne, chansonnier amené par Georges Bernanos quelques mois plus tôt [70], fait la joie des militants dans les galas d’AF [71]. L’antisémitisme est au plus haut à l’AF. Au début de l’année 1913, Charles Maurras achève de théoriser le « problème juif ».

49En décembre 1912, un banquet de la ligue à Versailles est perturbé par des contre-manifestants. La police intervient ; Maurras s’interpose. Accusé d’avoir violemment agressé un policier, il est inculpé puis condamné par le tribunal correctionnel de Versailles, présidé par le juge Worms [72], à huit mois de prison. Cette peine sera finalement relevée en octobre 1913.

50En 1909, Maurras déclarait refuser d’être jugé par un Juif : « Tout juge juif doit être évité ou récusé tout d’abord. Ensuite, on avise... » [73] Son attitude face au juge Worms lors de son procès, qui a lieu le 25 janvier 1913, est plus mûrie. Au début de l’audience, il accepte de décliner son identité, mais, lorsque le juge pose la première question – a-t-il déjà été condamné ? –, Maurras lui fait la réponse suivante : « Monsieur le Président, maintenant que vous connaissez mon état civil, je dois dire que je connais le vôtre. Je suis Français, vous êtes de nationalité juive. Il m’est impossible de répondre à un juge juif. »

51Un tumulte éclate. Worms, gêné, lui dit qu’il aurait pu le récuser. Maurras, qui s’attendait à cette réponse, reprend le fil de sa dialectique : « Je n’ai pas voulu de récusation. Je ne vous connais pas, vous ne me connaissez pas. Je ne saurai donc invoquer d’inimitié capitale. D’autre part, nous ne sommes pas des sophistes : je n’ai pas voulu considérer comme déjà existante une législation que je travaille à créer. » [74]

52Maurras a réussi à susciter le scandale. L’audience se poursuit malgré tout. Ses avocats plaident tandis qu’il reste assis et silencieux pendant près de cinq heures. Le lendemain, il explique sa position à ses lecteurs. Son dessein était de refuser de donner son identité au juge juif, mais ses avocats lui ont dit que, dans ce cas, il serait jugé par défaut, lui présent. La récusation est également un « procédé juridique inutile », car il faudrait être naïf pour croire qu’elle aurait été acceptée par un tribunal enjuivé. Ne restait donc plus que la troisième solution : le refus motivé de répondre. Le risque d’une lourde peine de prison valait bien cette leçon politique, expose-t-il, faussement modeste : « Les Juifs sont des sujets français ; ils ne sont pas citoyens français. Avant de graver cette vérité dans la loi, faisons-là passer dans les mœurs. » [75]

53Comme d’habitude, L’Action française met en scène l’ « exploit ». Le « héros » reçoit un abondant courrier. On le félicite ; son geste sonne l’heure de la revanche des Français ; Daudet y voit le « deuxième flot antisémite » après l’affaire Dreyfus [76], etc. L’intéressé profite de la situation pour parachever sa théorisation de l’antisémitisme.

54Une nouvelle série d’articles est publiée au tournant du mois de février 1913. L’un des derniers, paru le 15 février, est intitulé « Antisémitisme d’État ». Le concept est définitivement formulé. Maurras précise une dernière fois son projet visant à dénaturaliser les Juifs. Il décrit un cadre idyllique, celui de la bienveillante monarchie, dans lequel les Juifs retrouveraient la place qui était la leur avant l’Émancipation révolutionnaire : « Notre État français doit toujours se conduire en tuteur généreux et doux. Notre antisémitisme est un antisémitisme d’État, qui ne comporte aucune vexation inutile. »

55Fidèle à sa doctrine du « politique d’abord », il met cependant en garde ses admirateurs qui seraient tentés d’imiter son geste. Lors d’une guerre, par exemple, on doit obéir ; il faut parer au plus pressé : « Ainsi, pour notre part, tiendrons-nous pour un traître tout soldat français qui refuserait obéissance à l’officier juif. (...) Le justiciable civil a tout loisir et toute liberté de formuler ses exigences de Français naturel. Le militaire n’en a pas le temps : il commence et finit par servir la France avant tout. » [77]

56Jusqu’à la fin de l’année 1913, Maurras étaie son nouvel « Antisémitisme d’État ». Une rubrique ainsi intitulée stigmatise le « personnel juif des administrations civiles de France ». Dans une série d’environ quinze articles, Maurras évalue le nombre de Juifs à la Cour de cassation, au Conseil d’État, dans les ressorts de cours d’appel, les ministères, etc., abusant des ratios et de calculs détaillés. Le mot et le concept ont désormais une réalité [78]. Pour Maurras, son geste contre le juge Worms puis sa théorisation de l’ « antisémitisme d’État » constituent un véritable manifeste politique et lui permettent d’incarner sa lutte contre la République.

Un quotidien antisémite (1908-1914) : L’Action française

57Sans un journal paraissant tous les jours, relayant les campagnes de la ligue et tenant en haleine ses admirateurs, l’AF n’aurait jamais eu l’audience qui a été la sienne. Lancée le 21 mars 1908 grâce, en grande partie, aux fonds versés par la famille Daudet, L’Action française des années d’avant guerre est, à bien des égards, un journal antisémite. Son secrétaire de rédaction, le commandant Biot, est un transfuge du quotidien d’Édouard Drumont où il a exercé les mêmes fonctions pendant plus de quinze ans [79]. L’Action française reprend rigoureusement le même modèle de présentation – calligraphie et mise en page – que La Libre Parole de la fin du XIXe siècle. Un autre journaliste est débauché de l’équipe de Drumont par Daudet : Henry Leroy-Fournier. À la mort de ce dernier, Maurras notera : « Nous tenions beaucoup, Léon Daudet et moi, à cette nuance de l’équipe d’Action française : d’abord parce qu’elle correspond très bien à nos idées, et aux racines, aux raisons d’être de nos idées ; ensuite, qu’elle représente un trait de communication très important avec cette immense classe moyenne qui a toujours décidé en France des évolutions intellectuelles et des révolutions politiques. » [80]

58L’Action française des premières années cherche délibérément à capter le public antisémite. Dès le premier numéro, le « Calendrier de l’affaire Dreyfus », qui s’impose vite comme l’une des rubriques les plus fameuses du journal, fait son apparition. Elle est indissociable de la rubrique « Écho » signée par « Rivarol », et qui comporte des brèves d’un antisémitisme très violent. Ainsi, pour le 7 octobre 1908 :

« Le Traître Dreyfus s’est fait porter indisponible pour la cérémonie à Nîmes de la statue infâme [de Bernard Lazare]. Mais nous l’avons rencontré il y a peu de jours à Paris, vêtu de gris, cravaté de rouge et tout prêt – si l’on en juge d’après sa mine – à livrer de nouveaux documents.
« Toujours intéressés à ne pas perdre ce putois de trahison, nous savons qu’il va habiter rue Labélonye, à Chartres. Les habitants de cette localité lui préparent d’ores et déjà une jolie distribution sur les murs de l’affiche 445.
« Cette affiche est en effet le Mané Thecel Pharès de Dreyfus. Elle l’avertit que c’est fini de rire et que le châtiment légal approche » [81].

59De leur côté, Léon Daudet et Henri Vaugeois dénoncent l’invasion des Juifs dans le théâtre, l’armée, et défendent un antisémitisme ouvertement « biologique » [82]. Ainsi, une profession de foi patriotique de Bernstein en 1908 contre les mouvements révolutionnaires n’est considérée par Daudet que comme une « nouvelle tactique » des « Hébreux » visant à inciter les Français à « s’entredévorer » : « Nous répondrons donc à Henry Bernstein que le nationalisme intégral ne reconnaît d’autres ennemis en France que le Juif et le politicien au service du Juif. L’alliance qui nous tente et nous hante, c’est celle de tous les fils de notre sol contre le traître et l’espion commun. » L’urgence est donc de mettre les « révolutionnaires » sur le chemin de l’antisémitisme [83]. Même Jules Lemaître, de l’Académie française, sous une apparence modérée, considère que, « pris dans sa totalité, l’esprit juif, impliquant la haine de l’Église, la barbare utopie collectiviste et l’internationalisme, ne peut que nous être malfaisant » [84].

60Les menaces sont constantes. En 1910, Daudet s’adresse ainsi aux Juifs : « Vous êtes à la merci d’une circonstance qui fera le rassemblement de tous les braves gens de ce pays traité par vous en pays conquis. Cette circonstance, l’Action française, saura la saisir. Elle en a maintenant les moyens. » [85]

61Pour Maurras, l’ « État juif » est « le premier, le plus important des quatre États confédérés, celui qui allie de riches conservateurs à des anarchistes mourant de faim » [86]. De mars 1908 jusqu’en août 1914, près de 67 % des 800 articles qu’il livre au journal comportent des attaques contre les Juifs – une quarantaine d’articles sont entièrement consacrés à la question juive [87].

62En 1910, L’Action française est le seul quotidien antisémite avec La Libre Parole. Mais ses ventes atteignent rarement les 30 000 d’exemplaires (dont 6 000 abonnés), alors que les trois quotidiens français les plus lus bénéficient d’un tirage dépassant les 800 000 [88].

63L’année 1911 est la grande année de l’antisémitisme dans le journal monarchiste. Seuls 25 des 135 éditoriaux de Maurras sont vierges de toute attaque contre les Juifs. Vingt et un articles théoriques sont publiés au moment de l’affaire Bernstein ; 89 autres sont imprégnés d’antisémitisme. À la fin de l’année, le journal se décide même à consacrer un numéro spécial à Alfred Dreyfus qui, depuis 1908, exige un droit de réponse pour les insultes dont il est quotidiennement la victime. La justice lui donne finalement raison, et L’Action française est obligée de publier, les 31 janvier et 1er février 1912, les lettres de « l’ignoble chien juif », « l’ordure », etc. Au demeurant, les insultes – « Youpins », « Chiens juifs », « Israël », « chiens circoncis » – sont de plus en plus fréquentes en première page du journal. Léon Blum est, déjà, traité de « vieux Talmudiste » [89].

64Entre-temps, Léon Daudet a commencé, en septembre 1911, l’une de ses plus célèbres campagnes, contre « L’espionnage juif-allemand ». Jusqu’au 1er août 1914, la rubrique est régulièrement alimentée des bruits les plus divers, parfois fondés, concernant l’expansion industrielle et commerciale de l’Allemand et du Juif, son « compère ».

65Ce dernier est plus que jamais présenté comme l’ennemi de l’intérieur. En avril 1913, un premier recueil d’articles est publié sous le titre : L’Avant-Guerre. Études et documents sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus. Un antisémitisme délirant sous-tend l’entreprise : « La responsabilité du désastre qui nous menace incombe uniquement aux institutions démocratiques. Elles nous ont livrés au Juif. » [90]

66Le premier chapitre est consacré au « Juif Jacques Grumbach », sous-directeur au ministère de l’Intérieur, chef du bureau du Contrôle des étrangers, présenté comme l’avant-garde du complot et de l’ « Anti-France ». Grumbach est accusé de favoriser à lui tout seul l’invasion et les naturalisations des espions allemands en France. Cela s’explique facilement : il est le cousin par alliance de Mathieu Dreyfus [91] !

67L’Avant-Guerre est bien un ouvrage antisémite, comme Daudet le revendique dans une conclusion tout à fait significative : « Issu du clairvoyant génie de notre maître à tous, Charles Maurras, mon étude très imparfaite sur l’Avant-Guerre continue à sa façon La France Juive du grand Drumont et en constitue en quelque sorte le corollaire. » Elle dévoile, en effet, l’ampleur de la trahison de Dreyfus et de la « livraison de notre pays à l’Allemand par une horde orientale. » « L’Avant-Guerre, s’il en était besoin, justifierait l’antisémitisme comme une nécessité de la Défense nationale », conclut Léon Daudet [92].

CONCLUSION

68C’est autour de la formule « la France aux Français » et dans les remous de l’affaire Dreyfus que le nationalisme d’AF est né. Le mouvement monarchiste des premières années mène une véritable « guerre » contre les Juifs et les valeurs qu’ils sont censés incarner. Ouvertement subversif, visant à l’union des Français au-delà de leurs différences politiques et sociales, l’antisémitisme d’AF est un racisme justifié par le comportement politique supposé néfaste des Juifs.

69Maurras et ses partisans ne sont pas tous racistes « au sens physique » du terme, conception d’ailleurs floue ; mais ils croient à la transmission héréditaire et spirituelle des caractères. Par essence, le Juif est jugé inassimilable : « J’ai vu ce que devient un milieu juif, d’abord patriote et même nationaliste, quand la passion de ses intérêts proprement juifs y jaillit tout à coup : alors, à coup presque sûr, tout change, tout se transforme, et les habitudes de cœur et d’esprit acquises en une ou deux générations se trouvent bousculées par le réveil des facteurs naturels beaucoup plus profonds, ceux qui viennent de l’être juif », justifiera Maurras au début de l’Occupation [93].

70Il est donc trompeur de prendre à la lettre les reconstructions opérées par Charles Maurras, comme le font les admirateurs du « Maître » mais aussi, parfois, des historiens abusés par sa dialectique. L’ « antisémitisme d’État » a été théorisé au moment de la période radicale et « révolutionnaire » de l’AF ; les atténuations ultérieures – les « Juifs bien nés », les « services rendus », etc. – qu’on lui associe généralement à tort ne sont pas encore à l’ordre du jour. L’ « antisémitisme d’État » n’est pas une doctrine plus « modérée » que l’antisémitisme dit « de peau » ; il infère simplement que l’État, lorsqu’il sera « restauré », réglera le « problème juif » par le haut. En ce sens, la rhétorique élaborée par Maurras dans les années 1911-1913 annonce ce qui s’est effectivement produit en 1940...

71Avant la Première Guerre mondiale, l’antisémitisme de l’AF est entièrement tourné vers l’ennemi de l’intérieur, sans exception ni nuance. Néanmoins, Charles Maurras mûrit déjà un antisémitisme fondé sur des considérations plus politiques. En juin 1914, il note, entre deux attaques grossières : « Il n’est pas jusqu’au Juif qu’un régime national n’améliorerait et n’amadouerait : qui de nous n’a pas reçu quelque lettre de jeune Juif, presque repentant de son origine et demandant à être incorporé à la noble civilisation de la France ? » [94] La chose n’est, bien sûr, pas encore envisageable, mais la question est déjà posée...

72Si, à partir de la Grande Guerre, la doctrine maurrassienne nuancera l’antisémitisme et tolérera les Juifs qui rallieront son camp ou défendront l’intérêt national, le combat antijuif n’en gardera pas moins une importance symbolique centrale. Les deux grandes condamnations judiciaires de Maurras pendant l’entre-deux-guerres viendront sanctionner des insultes et des menaces de mort lancées contre des hommes politiques juifs, Abraham Schrameck et Léon Blum. À la fin des années 1930, L’Action française retrouvera le ton de l’avant-guerre avant de soutenir sans beaucoup de nuance la politique antisémite de Vichy.

73Chez Charles Maurras, la haine du Juif occupe une place prépondérante tant dans son univers mental que dans la construction politique qu’il a élaborée. Et il est exagéré de mettre, comme on le fait souvent, son antisémitisme sur le même plan que ses sentiments à l’égard des protestants et des francs-maçons, et de ne le considérer que comme une conséquence de son idéologie antilibérale et monarchiste. Habituellement virulent contre ses adversaires politiques, Maurras peut modérer son point de vue vis-à-vis des protestants, comme les Monod par exemple. Il ne manifestera jamais la même clémence à l’égard d’un Juif. Ce dernier peut rendre des services à la nation, il ne sera jamais un vrai Français.

74C’est dans l’antisémitisme que Maurras et ses partisans se montrent le plus violents, le plus haineux : « Nous n’attaquons pas les protestants ; nous nous défendons contre eux, ce qui n’est pas la même chose. Nous n’avons jamais demandé d’exclure les protestants de l’unité française, nous ne leur avons jamais promis le statut des Juifs. » [95] Au bout du compte, le Juif constitue le seul véritable et inconciliable ennemi de l’intérieur. Contre lui, l’AF mène une « guerre d’indépendance » ; contre les protestants et les francs-maçons, il s’agit d’une bataille d’idées : « Nous en avons à leur gouvernement et à leur tyrannie, non à leur existence... » [96]


Mots-clés éditeurs : antisémitisme, Charles Maurras, 1899-1914, Anti-Semitism, nationalisme français, Action française, French Nationalism, Key-words : 1899-1914

Mise en ligne 01/01/2008

https://doi.org/10.3917/rhis.063.0695

Notes

  • [1]
    Un journaliste écrit, en 1929 : « Le groupe politique le plus puissant pour une action de rue, c’est évidemment l’Action française. Il est bien certain que demain, sur un ordre de M. Maurras, des centaines et peut-être des milliers de combattants civils iraient où on leur dirait d’aller. Il est certain aussi qu’ils sauront exposer leur vie. Tout parti peut réunir dans une salle quelconque de Paris des hommes pour crier et applaudir, mais l’Action française réunira des gens capables de se faire tuer, ce qui est incomparablement plus rare » (Louis Latzarus, Un ami du peuple, Monsieur Coty, Paris, Librairie Valois, 1929, p. 168).
  • [2]
    Bruno Goyet, Charles Maurras, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 130-133.
  • [3]
    En 2000, on ne recensait sur le sujet aucun travail universitaire, parmi les dizaines de maîtrises ou de thèses consacrées à l’AF, ni un seul ouvrage ou article. Voir Alain de Benoist, Charles Maurras et l’Action française. Une bibliographie, Paris, Éd. BCM, 2002, p. 113-208. Sinon, Jacques Prévotat, L’antisémitisme de l’Action française. Quelques repères, dans Valentin Nikiprowetzky (éd.), De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires de Lille, 1979, p. 247-275, qui, comportant des analyses originales sur le paganisme de Maurras, dont « tout l’effort (...) vise à convaincre les catholiques de rompre totalement avec leurs origines juives », ne traite cependant ni des années 1910 ni des années 1930. De même, Jean-Marc Joubert, L’antisémitisme d’État de Charles Maurras, dans Ilam Y. Zinguer et Sam W. Bloom (éd.), L’antisémitisme éclairé. Inclusion et exclusion depuis l’époque des Lumières jusqu’à l’affaire Dreyfus, Leiden, Brill, 2003, p. 333-348, bien que très au fait de la pensée maurrassienne, mais ne s’appuyant pas sur une véritable étude des sources, reprend les grandes lignes de la reconstruction opérée par Maurras (notamment dans son Dictionnaire politique et critique). En revanche, Victor N’Guyen, Note sur les problèmes de l’antisémitisme maurrassien, dans Pierre Guiral et Émile Temime (éd.), L’idée de race dans la pensée politique française contemporaine, Paris, Éd. du CNRS, 1977, p. 139-154, montre bien l’enracinement et la permanence de l’antisémitisme de Maurras, d’origine religieuse et que l’intéressé associe, dès les années 1880, aux exigences du combat nationaliste. Voir aussi Laurent Joly, L’antisémitisme de Charles Maurras, Aventures de l’histoire, 12, septembre 2002, p. 30-45.
  • [4]
    La thèse d’un historien américain, Paul Mazgaj, The Action française and Revolutionary Syndicalism, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1979, p. 128-169, fut longtemps le seul travail universitaire à évoquer cette période et notamment la campagne antisémite de 1911. Voir aussi Eugen Weber, The Nationalist Revival in France, 1905-1914, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1959, assez décevant sur le sujet.
  • [5]
    Même les analyses de Id., L’Action française, Paris, Fayard, 1985 (1re éd. amér., 1962), ne vont pas sans contradictions. À plusieurs reprises, l’importance de l’antisémitisme dans l’histoire du mouvement – son exploitation stratégique, sa dimension raciste en dépit de la construction maurrassienne, son influence sur la politique de Vichy, etc. – est relevée. Dans le même temps, pourtant, l’ « antisémitisme d’État » est considéré comme « une théorie assez raisonnable et modérée », déformée « par les tendances irrationnelles des partisans » !
  • [6]
    Qui peut être défini comme suit : la condition ultime d’une renaissance nationale est la restauration monarchique.
  • [7]
    Archives de la préfecture de police de Paris (désormais, APP), BA 1341, rapport des RG, 21 juin 1899.
  • [8]
    Le programme de la Jeunesse de l’Union nationale fondée le 22 septembre 1895 comprend déjà la « lutte contre le Juif, l’étranger du dedans, réfractaire à toute assimilation, irréductiblement opposé à nos traditions », Archives nationales (désormais, AN), F7 12480, programme de la Jeunesse de l’Union nationale.
  • [9]
    Henri Vaugeois, Réaction, d’abord, L’Action française, revue bimensuelle, 1er août 1899.
  • [10]
    Le dogme sur l’Affaire est fixé par Henri Dutrait-Crozon, nom de plume de deux officiers, Frédéric Delebecque et Georges Larpent, qui, pendant trente ans, dans une dizaine de brochures, exposeront la thèse de la complicité entre Esterhazy et Dreyfus, le premier étant présenté comme l’homme de paille des Juifs !
  • [11]
    Henri Vaugeois, Nos trois proscrits. Paul Déroulède, Jules Guérin, André Buffet, L’Action française, revue bimensuelle, 15 janvier 1900.
  • [12]
    Id., À Édouard Drumont : que faire des Juifs ?, L’Action française, revue bimensuelle, 15 août 1900.
  • [13]
    Voir Charles Maurras, Au signe de Flore. La fondation de l’Action française, 1898-1900, Paris, Les Œuvres représentatives, 1931, p. 153-246.
  • [14]
    Id., Le « Quadrilatère », L’Action française, 25 août 1910.
  • [15]
    Voir Victor N’Guyen, Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique vers 1900, Paris, Fayard, 1991, p. 316, p. 412-413 ; Laurent Joly, L’antisémitisme de Charles Maurras, art. cité (n. 3), p. 30-32.
  • [16]
    Cité par Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire, 1885-1914. Les origines françaises du fascisme, Paris, Le Seuil, 1978, p. 206.
  • [17]
    Charles Maurras, Lettre à Édouard Drumont, La Libre Parole, 19 novembre 1902.
  • [18]
    Id., Lettre à Édouard Drumont II, La Libre Parole, 26 novembre 1902.
  • [19]
    En 1914, il note : « L’hypothèse d’un socialisme nationaliste n’était pas plus improbable qu’un autre vers l’année 1894 » (Id., Après vingt ans. Paix ou Guerre, L’Action française, 2 août 1914). Plus cynique, il étaiera sa critique de Drumont en 1944 : « Drumont ne comprit jamais qu’un programme négatif, comme le sien, excellent pour détruire le mal, parfaitement capable de grouper des énergies et des passions nécessaires, ne suffisait cependant ni à rassurer les cadres civils et militaires de la nation – indispensables eux aussi » (Id., La Politique, II. Drumont et le Juif-Roi, L’Action française, 16 juin 1944).
  • [20]
    Id., Lettre à Édouard Drumont V, La Libre Parole, 13 janvier 1903.
  • [21]
    Id., Lettre à Édouard Drumont IV, La Libre Parole, 26 décembre 1902.
  • [22]
    Yves Chiron, La vie de Maurras, Paris, Godefroy de Bouillon, 1999 (1re éd., 1991), p. 192.193.
  • [23]
    Bruno Goyet, Charles Maurras, op. cit. (n. 2), p. 259-260, estime que le non-aboutissement de ce projet tient au fait qu’il s’agit de textes « qui concernent explicitement la question juive, dont la violence essentielle aurait par trop stigmatisé l’écrivain ». Cette hypothèse, convaincante avec d’autres exemples, semble contestable dans le cas présent.
  • [24]
    Une fédération des Étudiants d’AF, dirigée par Lucien Moreau, est également créée. Pendant l’hiver 1905-1906, la ligue est à l’avant-garde de la résistance aux inventaires. À Versailles, Bernard de Vésins est arrêté puis condamné à deux ans de prison.
  • [25]
    L’article 445, qui a permis à la cour de casser le jugement, aurait dû ordonner le renvoi de Dreyfus à un troisième tribunal militaire. Une interprétation différente a été faite, pour les raisons politiques que l’on devine, par la Cour. Pour une défense juridique de cet arrêt, voir la brochure d’Albert Chenevier, L’article 445 et la Cour de cassation. La campagne de l’Action française. Examen juridique de l’article 445, Paris, Pages libres, 1908, 37 p.
  • [26]
    L’article 445 s’impose comme un symbole des antidreyfusards et est publié in extenso dans L’Action française à partir de 1908 et dans des revues sous obédience, comme Les Guêpes. Voir AN, F7 12845, note de police, 7 mai 1914. Dans L’Action française, revue bimensuelle, Vaugeois fulmine régulièrement : « Mort aux Juifs ! À bas la République ! Vive le roi de France ! »
  • [27]
    Charles Maurras, La contre-révolution spontanée. La recherche. La discussion. L’émeute, 1899-1939, Lyon, Lardanchet, 1943, p. 87-88.
  • [28]
    Pendant la campagne pour les élections générales de 1906, des candidats nationalistes, se disant à la fois socialistes et patriotes, dans la lignée de Marcel Habert – membre du groupe antisémite à la Chambre de 1898 à 1902 –, se présentent. Ainsi Eugène Janiaud, de la Fédération des républicains socialistes patriotes, qui invite les électeurs à protester « énergiquement contre la POLITIQUE HONTEUSE ET SECTAIRE du “BLOC”, des JUIFS et des FRANCS-MAçONS » : « Il y a une forme de Nationalisme (considéré comme l’opposé de l’Internationalisme) qui revendique hautement le titre de Socialiste et qui veut toutes les réformes sociales réclamées vainement depuis plus de trente années par le prolétariat » (APP, BA 236, affiche électorale d’Eugène Janiaud, candidat dans la 2e circonscription de Sceaux).
  • [29]
    Yves Chiron, La vie de Maurras, op. cit. (n. 22), p. 215.
  • [30]
    « La souscription, ses résultats », L’Action française, revue bimensuelle, 1er décembre 1906.
  • [31]
    APP, BA 1341, rapports des RG, 21 septembre et 17 novembre 1906.
  • [32]
    Voir l’intéressant dossier, Centre des archives contemporaines (CAC), 890158/2, dossier « Libre Parole ».
  • [33]
    APP, BA 1341, rapport des RG, 28 septembre 1908.
  • [34]
    APP, BA 1342, rapport des RG, 19 juillet 1909.
  • [35]
    Charles Maurras, Nîmes et la France, L’Action française, 6 octobre 1908.
  • [36]
    APP, BA 1342, rapports des RG, les 24 novembre 1909 et 7 décembre 1909. L’année suivante, ils récidivent contre le Pr Wahl, jugé trop sévère. BA 1343, rapport des RG, 7 février 1911.
  • [37]
    AN, F7 12854, note de la Sûreté générale de la ville de Brest, 20 novembre 1910.
  • [38]
    Une lettre de Lucien Lacour, dépôt, 21 novembre 1910, L’Action française, 3 décembre 1910.
  • [39]
    En 1908, quelques jours avant la translation des cendres de Zola au Panthéon, des dirigeants de l’AF, menés par Daudet, imaginent d’assassiner le capitaine Dreyfus à cette occasion – c’est ce que tentera un journaliste du Gaulois, tirant deux coups de feu en direction de Dreyfus. Maurras renverse ce projet en démontrant que, « en supprimant DREYFUS, l’Action française perdrait sa meilleure arme contre la République » (APP BA 1894, rapport des RG, 26 novembre 1908).
  • [40]
    Henri Dutrait-Crozon, Charles Maurras, Si le coup de force est possible, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1910, p. 15, 37, 41, 60-61. Sur Dutrait-Crozon, voir n. 10.
  • [41]
    Les Juifs constituent rien moins que les « ennemis du genre humain (...). Tous nos intérêts nationaux sont antijuifs, mais nos intérêts sociaux le sont bien davantage ! Le grand et juste effort du prolétariat européen pour s’organiser n’a pas d’ennemi plus direct que ces nomades prélibateurs » (Charles Maurras, Trahison, L’Action française, 10 juillet 1909).
  • [42]
    AN, F7 13195, note de police, 19 août 1908.
  • [43]
    AN, F7 12862, note de police, 5 avril 1911.
  • [44]
    Maurice Pujo, L’inquiétude juive, L’Action française, 25 novembre 1912.
  • [45]
    Charles Maurras, La Politique, II. Le Juif-Roi, L’Action française, 14 juin 1914.
  • [46]
    Gustave Téry, Entendons-nous, L’Œuvre, 14 avril 1911.
  • [47]
    APRèS MOI ! Chez M. Jules Claretie, L’Œuvre, 4 janvier 1911.
  • [48]
    Auquel collaborent Gohier, Robert de Jouvenel, Jean Drault ou Séverine.
  • [49]
    Gustave Téry, Encore le « Vieil Homme », L’Œuvre, 2 février 1911.
  • [50]
    Voir Id., Les Juifs au théâtre français. Le déserteur Bernstein, L’Œuvre, 16 février 1911 ; Id., Sous la botte juive, L’Œuvre, 23 février 1911.
  • [51]
    La caisse de l’AF paie les billets ; ses militants désignés reçoivent leurs instructions au siège de l’AF entre 5 et 6 heures, afin d’éviter toute fuite.
  • [52]
    APP, BA 1642, note de police, 30 octobre 1911.
  • [53]
    Citée dans La Libre Parole, le 28 février 1911. Voir APP, BA 1642.
  • [54]
    Gustave Téry, Notre « Asémitisme », L’Œuvre, 9 mars 1911. Pour Téry, les socialistes doivent être antisémites ; ils l’étaient d’ailleurs avant l’affaire Dreyfus. C’est ainsi qu’ils peuvent être partie prenante d’un véritable mouvement national : « Et qu’à l’extrême droite et l’extrême gauche, traditionalistes et révolutionnaires puissent ainsi se servir du même outil pour travailler à des œuvres si différentes, en apparence au moins, cela seul est le signe que le mouvement antijuif a bien un caractère national » (Id., La question juive. Les Vrais Socialistes doivent être Antisémites, L’Œuvre, 23 mars 1911).
  • [55]
    Voir L’antisémitisme et la presse étrangère, L’Action française, 17 mars 1911.
  • [56]
    Charles Maurras, La question juive, L’Action française, 23 février 1911.
  • [57]
    En 1905, à ses lecteurs de La Gazette de France, il fait la mise au point suivante sur son antisémitisme : « Il faut se défier comme de la peste de la réplique habituelle de l’adversaire : Vous êtes antisémites ? Alors c’est que vous voulez tuer tous les Juifs... Nous voulons les mettre à leur place, qui n’est pas la première. Les méthodes de polémique qu’on nous oppose en général sont un curieux exemple de la “démence”, de la démentalisation particulière à notre temps. Entre deux contraires, le règne des Juifs et l’oppression des Juifs, on ne semble plus être en état de concevoir qu’il y une infinité de positions intermédiaires réglées par des considérations de temps, de circonstances, etc. » (publié dans Id., Quand les Français ne s’aimaient pas. Chronique d’une renaissance, 1895-1905, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1916, p. 197).
  • [58]
    APP, GA-B1, dossier Henry Bernstein, rapport des RG, 11 mars 1911.
  • [59]
    Charles Maurras, Le peuple juif, L’Action française, 28 février 1911 ; Id., Droit français et devoir juif, ibid., 4 mars 1911 ; Id., L’antisémitisme historique, ibid., 11 mars 1911 ; Id., Avis aux Juifs, ibid., 14 mars 1911 ; Id., Les susceptibilités antijuives, ibid., 18 mars 1911 ; Id., Les Juifs dans l’administration, ibid., 23 mars 1911 ; Id., Le Programme antijuif. Maximum et minimum, ibid., 26 mars 1911 ; Id., L’exode moral, ibid., 28 mars 1911 ; Id., L’aphorisme antijuif, ibid., 6 avril 1911.
  • [60]
    Robert de Jouvenel, Les solutions de la question juive où l’on voit qu’il ne suffit pas de ne pas être Hébreu pour être Français, L’Œuvre, 16 mars 1911. Pendant ce temps, la célèbre journaliste Séverine quitte L’Œuvre car elle défend les pièces de Porto-Riche et de Bernstein pour leur valeur littéraire.
  • [61]
    AN, F7 12862, note de police, 18 mars 1911.
  • [62]
    APP, BA 1343, rapport des RG, 18 mars 1911.
  • [63]
    Gustave Téry, La question juive. Les Vrais Socialistes doivent être Antisémites, L’Œuvre, 23 mars 1911.
  • [64]
    AN, F7 12720, note de police, 3 mai 1911.
  • [65]
    Goy, Paris, ville étrangère, L’Œuvre, 7 avril 1911.
  • [66]
    Voir, par exemple, Charles Maurras, Les solutions antijuives, L’Action française, 18 avril 1911.
  • [67]
    Voir notamment Gustave Téry, France d’abord, L’Œuvre, 5 mai 1911.
  • [68]
    À la fin du mois de juillet, Maurras annonce à ses lecteurs la parution prochaine d’une brochure intitulée Le cas Bernstein et la solution de la question juive, recueillant les articles parus en février et mars. Publiant en avant-première ses « Conclusions » dans L’Action française, il estime que le jury d’honneur qui a absous Bernstein pour son erreur de jeunesse n’était constitué que de la « vaine oligarchie parisienne » asservie « à la volonté de la race juive ». Tout comme la réhabilitation de Dreyfus en 1906, ce jugement est sans valeur (Charles Maurras, « Nos conclusions » L’Action française, 29 juillet 1911. Voir aussi Id., « La vieille noblesse », ibid., 12 août 1911).
  • [69]
    AN, F7 12864, note d’un indicateur, 21 avril 1911.
  • [70]
    Charles Maurras, La Politique, IV. Maxime Brienne, L’Action française, 6 mai 1926.
  • [71]
    Voir APP, BA 1661, dossier Marius Plateau, rapport des RG, 16 décembre 1911. Elle paraît en brochure en mars 1912.
  • [72]
    C’est lui qui avait condamné Bernard de Vésins en février 1906 à la peine de deux ans de prison.
  • [73]
    Charles Maurras, Post-Scriptum, L’Action française, 21 janvier 1909.
  • [74]
    Le procès de Charles Maurras. Devant le juge juif, L’Action française, 26 janvier 1913. Le rédacteur du compte rendu précise : « Maurras faisait allusion aux projets de législation antisémitique dont nos lecteurs de février-mars 1911 n’ont pas perdu le souvenir. »
  • [75]
    Charles Maurras, Devant le juge juif. Défaut ? Récusation ? Refus motivé de répondre, L’Action française, 27 janvier 1913.
  • [76]
    Léon Daudet, L’exemple de Maurras. Le 2e flot antisémite, L’Action française, 31 janvier 1913.
  • [77]
    Charles Maurras, Antisémitisme d’État, L’Action française, 15 février 1913.
  • [78]
    Voir notamment Jacques Bainville, Un aspect de la question juive, L’Action française, 6 novembre 1913.
  • [79]
    Il travaille huit ans pour le quotidien avant de mourir à 72 ans en 1916. Voir Charles Maurras, Le commandant Biot, L’Action française, 28 juillet 1916 ; Léon Daudet, Militaire et journaliste. Le commandant Biot, ibid., 30 juillet 1916.
  • [80]
    Charles Maurras, La Politique, III. Henry Leroy-Fournier, L’Action française, 4 octobre 1923.
  • [81]
    Rivarol, Échos, L’Action française, 7 octobre 1908.
  • [82]
    « Il est bien vrai que la question juive est une question biologique », estime Daudet, se référant à Jules Soury ; « une question ethnique sans rien de confessionnel » (Léon Daudet, La question de race, L’Action française, 29 septembre 1911. Notons aussi que Daudet donne foi, prudemment, à la légende du crime rituel. Id., À propos du crime de Kief, ibid., 16 octobre 1913).
  • [83]
    Id., Israël inquiet, L’Action française, 25 octobre 1908.
  • [84]
    Jules Lemaître, Lettres à un Ami, IX. Le roi et les Juifs, L’Action française, 18 mai 1909.
  • [85]
    Léon Daudet, Israël menacé, L’Action française, 31 décembre 1910.
  • [86]
    Charles Maurras, Dreyfus, Louis, L’Action française, 13 mai 1909.
  • [87]
    En 1909, sur 145 de ses articles, 8 sont par exemple consacrés à la question juive et 78 autres sont à tonalité antisémite.
  • [88]
    AN, F7 12842, tirage des journaux quotidiens au 1er novembre 1910.
  • [89]
    Léon Daudet, Encore le théâtre juif, L’Action française, 4 février 1912. En 1936, à la Chambre des députés, Xavier Vallat déplorera l’avènement au pouvoir de Blum, ce « talmudiste subtil ». Voir Tal Bruttmann et Laurent Joly, La France antijuve de 1936. L’agression de Léon Blum à la Chambre des députés, Paris, Éditions des Équateurs, 2006.
  • [90]
    Id., L’Avant-Guerre. Études et documents sur l’espionnage juif-allemand en France depuis l’affaire Dreyfus, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1913, p. IX.
  • [91]
    Ibid., p. 3-7. Voir aussi p. 100, 303.
  • [92]
    Ibid., p. 308-309.
  • [93]
    Charles Maurras, La Politique, II. Posons bien la question juive, L’Action française, 30 septembre - 1er octobre 1940.
  • [94]
    Id., La propriété des cinq cents familles, L’Action française, 12 juin 1914.
  • [95]
    Id., Les susceptibilités antijuives, L’Action française, 18 mars 1911.
  • [96]
    Id., Pour un corps d’État, L’Action française, 24 août 1912.
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