Notes
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[*]
niversité Paris-Ouest Nanterre La Défense, Mondes américains, (UMR 8168).
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[1]
Je remercie très chaleureusement Nicolas Berjoan et Guillaume Gaudin pour leurs suggestions et leurs relectures stimulantes.
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[2]
Robert Darnton, Le grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, Paris, Robert Laffont, 1985. Cet ouvrage, traduit de l’anglais, est une compilation de six essais. Il a été l’objet d’une nouvelle édition aux Belles Lettres en 2011 .
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[3]
Dans son Journal de la peste, Daniel Defoe mentionne qu’à Londres, en 1665, les échevins auraient fait massacrer plus de 40 000 chiens et 200 000 chats. Information mentionnée par Jean Delumeau, La peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, p. 150.
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[4]
Cette liasse (Police. Tueries de chiens) est localisée à l’Archivo Histórico del Distrito Federal (désormais AHDF), section Ayuntamiento, vol. 3662. Elle est composée de dossiers sur les techniques d’élimination, le recensement des chiens tués, les difficultés rencontrées par les gardes nocturnes, les plaintes du voisinage. Le dossier faisant référence à l’épidémie de rage de 1709 est le premier du volume.
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[5]
Il est révélateur que cette explication ait été la seule retenue par les intervenants lors du congrès de la Société française d’histoire urbaine Les animaux dans la ville, à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, les 15 et 16 janvier 2015.
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[6]
Sur le plan théorique, nous nous appuyons sur Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Seuil-Gallimard, 1976 ; Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, Paris, Seuil, 1979 et Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005. Karl Popper définit l’« ingénierie sociale » comme une technologie au service d’une politique réformiste qui évalue ses objectifs à l’aune des moyens disponibles et des résultats obtenus.
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[7]
Contrairement au chat, au loup, à l’ours, au cheval ou encore au cochon, le chien n’a pas eu droit de figurer dans le cortège de monographies animales qui se sont multipliées ces dernières années dans le sillage ouvert par Robert Delors, Les animaux ont une histoire, Paris, Seuil, 1984. Laurence Bobis, Une histoire du chat de l’Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2006 ; Jean-Marc Moriceau, L’homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Paris, Fayard, 2011 ; Michel Pastoureau, L’ours. Histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007 et, du même auteur, Le cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, Paris, Découverte Gallimard, 2009. Daniel Roche, La culture équestre de l’Occident, XVIe-XIXe siècle. L’ombre du cheval, t. I : Le cheval moteur. Essai sur l’utilité équestre, Paris, Fayard, 2008. Exception faite pour Damien Baldin qui réalise actuellement à l’École des hautes études en sciences sociales une thèse intitulée « Une nouvelle histoire de la domestication du chien. De l’hygiène publique au bien-être animal : la police des chiens en France de la fin du XVIIIe siècle aux années 1960 ».
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[8]
Xavier de Planhol, Le paysage animal. L’homme et la grande faune : une zoogéographie historique, Paris, Fayard, 2004, p. 398-400.
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[9]
Voir la vaste encyclopédie de Bernardino de Sahagún, Historia general de las cosas de Nueva España, Mexico, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, Cien de México, 2002, 3 volumes de 1 239 pages et Francisco Hernández, Quatro libros de la Naturaleza, Mexico, Viuda de Diego Lopez Davalos, 1615.
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[10]
Les pratiques cynophages se poursuivent bien après la conquête du Mexique, comme en témoigne le franciscain Durán dans les années 1570. Fray Diego Durán, Historia de las Indias de Nueva España e Islas de Tierra Firme, 2 vol., Mexico, Imprenta de Ignacio Escalante, 1867-1880.
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[11]
Eduard Seler, Las imagenes de los animales en los manuscritos mexicanos y mayas, Mexico, Casa Juan Pablos, 2004. La première édition, en allemand, date de 1909.
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[12]
Ce chien a été étudié par John Grier Varner et Jeanette Johnson Varner, Dogs of the Conquest, Norman, University of Oklahoma Press, 1983 et Alberto Mario Salas, Las armas de la Conquista, Buenos Aires, Emecé, 1950, p. 159-176.
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[13]
Bartolomé de Las Casas, Très brève relation de la destruction des Indes, Paris, Mille et une nuits, 2006, traduction de Jacques de Miggrode de 1574 adaptée en français moderne et revue par Jérôme Vérain.
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[14]
AHDF, Matanza de perros, vol. 3662 : le contenu de ces lois est rappelé dans le deuxième dossier.
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[15]
Archives Générales des Indes (Séville), México, vol. 1883, Réglement du vice-roi Revillagigedo du 31 août 1790, article 10, fol. 3.
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[16]
José Gómez, Diario curioso y cuaderno de las cosas memorables en México durante el gobierno de Revillagigedo (1789-1794), versión paleográfica, introducción y notas de Ignacio González-Polo, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, 1986.
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[17]
Francisco Sedano, Noticias de México desde el año de 1756, coordinadas, escritas de nuevo y puestas por órden alfabético en 1800, Mexico, Ed. de la « Voz de México », 1880, t. II, p. 82.
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[18]
Rapport de police du 13 mars 1796 où l’alcalde de barrio no 9 constate que les chiens abondent dans son quartier étant donné que les tueries ont été suspendues. AHDF, Ayuntamiento, Policía Seguridad, vol. 3689, dossier 1 , fol. 13.
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[19]
Les éléments qui suivent sont tous tirés des différents dossiers de la liasse sur les tueries, AHDF, Ayuntamiento, vol. 3662.
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[20]
Claudio Linati, « Le sereno » dans Costumes civils, militaires et religieux du Mexique. Dessinés d’après nature, 1828, Collection du Centro de Estudios de Historia de México Condumex.
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[21]
Les peintures de castes sont des tableaux représentant les différents types de métissages possibles entre les populations espagnoles, indiennes et noires.
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[22]
La référence à ces battues collectives se trouve dans un dossier ultérieur, plus précisément dans une lettre de don Ignacio Moqui, responsable du Syndic, au capitaine de l’éclairage José Manuel de Balbontin, datée du 8 juin 1819 : « si V.S dispone continúe la referida matanza haciéndose esta por una cuadrilla formada de ocho hombre y un cabo, que indistintamente por toda la ciudad y sus arrabales, persigan a dichos perros como se ha practicado en los tiempos del virrey Revillagigedo le dará el debido cumplimiento, sirviéndose V.S testarme para el efecto », AHDF, vol. 3662, dossier 12, fol. 2v.
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[23]
Archives Générales Nationales de Mexico (désormais AGN), Bandos, vol. 15, dossier 56. Ce règlement se trouve également aux Archives Générales des Indes de Séville, México, vol. 1883, Bandos Iluminación y Limpieza (1790).
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[24]
Alan M. Beck, The Ecology of Stray Dogs. A Study of Free-ranging Urban Animals, West Lafayette, Purdue University Press, 2002.
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[25]
Aujourd’hui, les services de la Brigade des Services Canins de Mexico (familièrement la perrera) sont systématiquement accompagnés de forces de police lors des rafles. Voir Jean Rolin, Un chien mort après lui, Paris, POL, 2009, p. 210.
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[26]
AHDF, vol. 3662, dossier 4, fol. 2r, déclaration de plainte de José Mesa datée du 7 décembre 1793, au corregidor, don Bernardo Bonavia.
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[27]
AHDF, vol. 3662, dossier 7, fol. 46v, lettre du capitaine de l’éclairage Cayetano Canalejo au corregidor Antonio de Bassoco datée du 11 juin 1801 . Le terme « république » souvent utilisé dans le langage de l’administration espagnole de l’époque fait référence au bien commun, littéralement à la « chose publique ».
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[28]
Cet argument est mentionné à deux reprises dans la liasse AHDF, vol. 3667, dossier 7, fol. 8v. et dossier 13, fol. 4r. Dans le dossier 7, le capitaine de l’éclairage adresse une lettre au corregidor en 1801 pour prendre la défense de ses gardes afin d’assouplir l’obligation de massacrer les chiens. Il déclare que « leurs croyances leur interdisent d’enlever la vie aux animaux ». Le dossier 13 est un extrait d’un article de presse tiré du supplément du Noticioso general, (no 736, 14 septembre 1820) où l’auteur, favorable à une intensification des massacres, tente d’expliquer pourquoi les canicides rencontrent autant de résistances. Il mentionne la « piété grossière » des serenos.
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[29]
Sur les cultes populaires médiévaux liés au chien, Jean-Claude Schmitt, Le saint lévrier. Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1979.
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[30]
Les cas d’attaques recensées dans la presse actuelle portent presque toujours sur des personnes vulnérables, se déplaçant seules. Les chiens « choisissent » leurs victimes.
-
[31]
Les plaintes d’habitants pour morsures contre les propriétaires de chiens en liberté abondent dans les archives. À titre d’exemple, en 1784, un Indien tributaire du village de Milpa Alta (situé à 10 km au sud de Mexico) qui livrait du maïs dans la juridiction de Xochimilco a été gravement mordu aux mains et aux bras par le perro bravo d’un Espagnol. Une plainte est alors déposée par la femme de la victime, une Indienne. Elle accuse le propriétaire d’avoir lâché son chien sur son mari et obtient gain de cause. L’Espagnol est condamné à payer les frais médicaux et à indemniser les jours chômés et lui remet 10 pesos. La promptitude avec laquelle l’Indienne saisit la justice et la sentence favorable aux victimes montrent à quel point ce genre d’incidents était courant à cette époque et pris en compte par les autorités coloniales. AGN, Criminal, vol. 235, dossier 4, fol. 17-21.
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[32]
Nous avons analysé ce fait divers dans une perspective historique : Arnaud Exbalin, « Perros asesinos y matanzas de perros en la ciudad de México. Siglo XXI-XVIII », Relaciones 137, hiver 2014, vol. XXXV (Colegio de Michoacán, México), p. 48-61 .
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[33]
Voir de nombreux exemples dans Ilona Katzew, La pintura de castas, Madrid, Turner, 2004. L’équivalent contemporain du binôme chien de rue/vagabond serait le « punk à chiens ». Voir Christophe Blanchard, « Des routards prisonniers dans la ville », Sociétés et jeunesses en difficulté, no 7, mis en ligne le 17 septembre 2009, sejed.revues.org/6292.
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[34]
Sur ce point voir Warren Richard, « Entre la participación política y el control social. La vagancia, las clases pobres de la ciudad de México y la transición desde la Colonia hacia el Estado nacional », Historia y Grafía, Universidad Iberoamericana (Mexico), no 6, 1996, p. 72-91 .
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[35]
Dans l’affaire du Grand massacre des chats relatée dans les Mémoires de Nicolas Contat, la patronne de l’imprimeur dit à son mari : « Ces mauvais ne pouvaient tuer les maîtres, ils ont tué ma chatte » (Robert Darnton, Le grand massacre des chats, op. cit., p. 82).
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[36]
L’obligation du port de la laisse apparaissait déjà dans les Ordonnances de la Ville de 1571 ; elle est rappelée dans le Règlement sur la propreté de 1790 (art. 10). Ces deux textes ont été mentionnés plus haut.
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[37]
Ce processus a été étudié depuis une dizaine d’années dans les capitales européennes par les chercheurs des programmes ANR « Circulation des savoirs policiers, XVIIIe-XIXe siècles », coordonné de 2006 à 2008 par Catherine Denys (Université Lille 3), et « Systèmes policiers européens, XVIIIe-XIXe siècles », coordonné par Vincent Denis (Université de Paris 1). Ils ont publié plusieurs ouvrages aux Presses universitaires de Rennes.
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[38]
Ce resserrement de l’autorité royale dans les Indes occidentales fut certainement plus poussé à Mexico que dans les autres villes hispaniques d’outre-mer, Mexico étant la première cité du Nouveau Monde tant en dignité, qu’en richesses et en populations.
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[39]
Sur le mandat de ce vice-roi, voir José Antonio Calderon Quijano (coord.), Los virreyes de Nueva España, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 1972, t. 1 , p. 85-366.
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[40]
Catherine Pinget, Les chiens d’Istanbul. Des rapports entre l’homme et l’animal de l’Antiquité à nos jours, Paris, Bleu autour, 2008.
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[41]
Arlette Farge, Le peuple et les choses. Paris au XVIIIe siècle, Paris, Bayard, 2015.
1 Le Grand massacre des chiens [1] . Le titre est plus qu’un clin d’œil au Grand massacre des chats de Robert Darnton. Le texte qui suit en reprend la structure – présentation d’un massacre suivie de pistes d’interprétation – et l’approche anthropologique [2] ; mais ici point de chats, ni d’ouvriers imprimeurs désirant se venger de leur patron. Nous nous trouvons à des milliers de kilomètres de Paris dans la Très noble, loyale et impériale ville de Mexico. Capitale de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne, siège de l’archevêque et des magistrats de l’Audience, joyau de l’Espagne aux Indes occidentales, Mexico est alors la plus grande cité du Nouveau Monde (130 000 habitants). Au cours de la dernière décennie du XVIIIe siècle, près de 35 000 chiens y ont été massacrés par les gardes nocturnes sur ordre des vice-rois.
2 L’élimination des chiens de rue ne devrait pas nous surprendre tant elle était une pratique commune dans les villes d’Ancien Régime. Elle prenait alors deux formes. Soit celle d’une chasse régulière autour des églises, des couvents et des cimetières menée dans les villes hispaniques par un perrero – « chasseur de chiens » – un office qui apparaît dans les statuts des chapitres cathédraux. Soit celle, plus brutale mais ponctuelle, d’un massacre à grande échelle qui s’étalait alors sur quelques semaines, notamment en cas d’épidémie de rage. En Europe, les exemples abondent de ces tueries épisodiques [3]. Dans la liasse Policía. Matanzas de perros consultée aux archives municipales de la ville de Mexico et contenant une trentaine de dossiers, je n’ai trouvé qu’une seule référence à une épidémie de rage. En 1709, une battue avait alors été décrétée par le Tribunal du Protomedicato et mise en œuvre par des habitants volontaires [4].
3 Dans ce panorama, les tueries de canidés qu’institue le vice-roi Revillagigedo (1789-1794) à partir de 1791 sont d’un genre nouveau. En premier lieu, elles sont systématiques, c’est-à-dire que l’élimination, confiée aux gardes nocturnes – également appelés serenos ou guardafaroles – est quotidienne et qu’elle se poursuit sous cette forme, avec des périodes d’interruption, au moins jusque dans les années 1820. En second lieu, les corps des chiens tués sont soigneusement recensés et évacués de la ville pour être enterrés dans des fosses communes au-delà de la barrière d’octroi, ce qui suppose une logistique élaborée de comptage et de gestion des cadavres. Enfin, les massacres ordonnés par Revillagigedo se déroulent hors de tout contexte épidémique (ni rage, ni variole) ou environnemental (inondations) qui pourrait expliquer une prolifération des populations canines. Pour désigner ces battues régulières de canidés, j’utiliserai le terme de canicides.
4 On n’élimine pas des chiens par milliers simplement parce qu’ils mordent, qu’ils hurlent la nuit ou qu’ils sont porteurs de la rage [5]. L’explication hygiéniste traditionnellement avancée dans ces cas pour comprendre les massacres de chiens n’est pas ici suffisante. Massacrer des animaux de compagnie n’est pas la même chose qu’éradiquer des cafards ou des rats. Notre hypothèse est de prendre en compte la dimension politique des canicides et de considérer les massacres de chiens comme un révélateur de nouvelles manières de gouverner (comprendre policer) la ville. Le propos de cet article est d’interroger la place de l’animal en ville à partir de l’émergence de nouvelles pratiques policières et de voir comment le processus de rationalisation administrative qui va en s’affirmant à la fin du XVIIIe siècle se confronte aux conditions pratiques de son exercice – mise en œuvre matérielle et surtout résistances rencontrées du fait des liens affectifs et des croyances héritées entre l’homme et l’animal de compagnie. Au-delà, en toile de fond, c’est l’examen de la naissance d’une politique moderne d’« ingénierie sociale » et de ses répercussions sur le voisinage et sur les conduites en ville qui retiendra notre attention [6].
5 Avant de présenter le Grand massacre des chiens et de proposer des pistes de lecture, il convient de revenir sur la figure du chien en Amérique, une figure animale qui se distingue de son cousin européen car son histoire épouse celle de la Conquête et de la colonisation.
Le chien américain
6 Le chien défie les classifications animales en milieu urbain [7]. La dichotomie classique entre animal de compagnie, désiré et choyé par son maître, et animal nuisible (rats, cafards, scorpions) à éradiquer n’est guère pertinente pour étudier son cas. En effet, le chien a la particularité d’appartenir à ces deux catégories : selon son degré de domestication, il peut être aimé ou pourchassé. Comme le cochon ou le chat, le chien a la faculté de passer d’un état domestique à un état sauvage en peu de temps. À ce titre, les éthologues parlent d’animaux féralisés [8].
7 À la différence du cheval ou du cochon, le chien mésoaméricain est un animal domestique qui préexiste à la Conquête. Chroniqueurs et savants du XVIe siècle en recensent plusieurs espèces au Mexique [9]. Il est à la fois animal de compagnie, animal d’embouche engraissé pour être consommé lors de banquets pour des fêtes religieuses (Cortés s’en étonne en visitant le marché de Tenochtitlán) et surtout animal civilisationnel [10]. Le chien est un être omniprésent dans les codex mayas et mexicas [11] . Xolotl, littéralement le chien-dieu, est l’une des principales divinités du panthéon mexica, sorte de double nocturne du soleil. Le chien est également une figure qui rythme le temps divin puisqu’il est l’un des vingt glyphes qui composent le calendrier divinatoire aztèque de 260 jours, le tonalamatl. Enfin, comme dans d’autres civilisations anciennes, c’est un être psychopompe, un intermédiaire entre le monde des vivants et des morts.
8 Par opposition, le chien espagnol débarqué dans le Nouveau monde est un chien de combat (molosse, lévrier, mâtin ou dogue désignés en espagnol par l’expression perros bravos) utilisé pour attaquer, déchiqueter ou punir [12]. C’est le dévoreur d’Indiens exposé dans les récits de la Conquête du XVIe siècle. Sous la plume de Bartolomé de Las Casas, il concentre les atrocités commises par les Espagnols [13]. Peint sur les murs du cloître du monastère franciscain de Huaquechula – dans l’État actuel de Puebla – où il est représenté comme une arme et un châtiment, il hante pendant de longues générations la mémoire indigène (Figure 1).
9 Le chien colonial fut probablement le premier métis américain, les chiens espagnols échappés se sont tout de suite croisés avec les races autochtones. Il est donc le produit de ces deux figures canines, mésoaméricaine et hispanique, un hybride qui concentre des images antagoniques, à la fois vecteur de civilisation et arme de guerre. La force de ces images dans les représentations collectives de la société coloniale et la survivance des croyances préhispaniques vont poser des problèmes spécifiques à la police urbaine et aux brigades anti-canines. C’est dans ce paysage animal qu’il faut replacer le grand massacre de la fin du XVIIIe siècle.
Le déroulement des tueries
TUER LES CHIENS, UN ORDRE VICE-ROYAL
10 L’examen des dossiers de la liasse sur les tueries de chiens atteste que les décisions de faire éliminer les chiens relèvent de la plus haute autorité politique de la Nouvelle-Espagne, le vice-roi, sorte d’alter ego du roi dans les vice-royautés des Indes. Sur le temps long de la colonie, on perçoit en effet un basculement dans le contrôle des populations canines des autorités municipales au profit de la Couronne et des vice-rois.
11 Les gardes nocturnes ne tuent pas à l’aveugle. Seuls les chiens errants, c’est-à-dire déambulant dans la ville la nuit sont exécutés, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas de propriétaire. C’est la législation municipale qui fixe les conditions dans lesquelles les bêtes peuvent être abattues. Les canicides s’inscrivent dans une réglementation fort ancienne – émise dès 1532, soit une décennie après la conquête de Tenochtitlán par les troupes de Cortés – visant à interdire la déambulation des chiens, notamment des gros chiens, dans les rues. Ces dispositions, reprises dans les ordonnances de la Ville de Mexico en 1571 [14], sont intégrées dans le règlement sur la propreté de 1790 émis sous le mandat du vice-roi Revillagigedo (1789-1794), dans l’article 10 :
« C’est dans le but d’éviter les graves dégâts causés par la multitude de chiens qu’il y a dans les rues, qu’il est interdit aux propriétaires de mâtins, alanos et de toutes autres espèces de chiens terribles de les laisser aller librement et de les sortir dans la ville et ses environs sans une laisse sûre, sous peine d’une amende de 10 pesos la première fois, 20 pesos la deuxième et 30 pesos la troisième. Le chien sera vendu dans tous les cas ; quant aux chiens sans maître, trouvés après le couvre-feu, dans les rues ou sur les places, ils seront exécutés par les gardes nocturnes, quelle que soit leur race. » [15]
13 À cette date, en août 1790, la tuerie n’a pas encore commencé. Le règlement distingue alors deux types d’errance canine : celle des chiens semi-errants, soit les chiens de race ayant un propriétaire mais divaguant pendant le jour, et celle des chiens de rue, c’est-à-dire sans maître attitré (sans collier ?), en liberté pendant le jour et la nuit. C’est cette dernière catégorie qu’il s’agit d’éliminer. Cette règlementation urbaine, validée par le roi à Madrid, fournit le cadre légal au grand massacre de la fin du XVIIIe siècle qui est composé de deux tueries.
14 La première tuerie a probablement été ordonnée oralement par le vice-roi Revillagigedo à la fin de l’année 1790 et aurait duré jusqu’en 1794. Mais le dossier a étrangement disparu de la liasse ; la recomposition de celle-ci au début du XXe siècle laisse voir une documentation déclassée et une numération des dossiers erronée. Nous ne saurons probablement jamais pourquoi ce dossier manque mais la tuerie de Revillagigedo nous est rapportée par d’autres sources : les rapports, remis par le capitaine de l’éclairage au corregidor – alors le chef de la police –, qui font le décompte des chiens exécutés au cours de la nuit, les comptes-rendus de police qu’envoie Revillagigedo au Conseil des Indes à Madrid et deux chroniques. Selon José Gomez, garde et hallebardier du Palais du vice-roi qui tient un journal à la fin du XVIIIe siècle, 20 000 chiens ont été tués sous Revillagigedo [16]. Et, selon Francisco Sedano qui consacre un paragraphe aux chiens dans ses Noticias de Mexico, Revillagigedo aurait fait éliminer les chiens de rue au point de les exterminer durant le printemps 1792 [17].
15 Nous sommes mieux renseignés sur la deuxième tuerie ordonnée par le marquis de Branciforte (vice-roi de 1794 à 1797) à la fin de l’année 1797, les pièces relatives au massacre étant consignées dans le dossier no 5 intitulé Affaire sur les tueries de chiens en conséquence des ordres supérieurs de son Excellence. L’ordre de tuer est on ne peut plus clair : « Il faut prendre les mesures les plus efficaces et les plus expéditives pour l’extermination de ces animaux », car, précise le vice-roi, les chiens pullulent, perturbent la tranquillité du voisinage, troublent la dévotion des fidèles et empêchent le nettoyage des rues. Cette tuerie dure au moins jusqu’en janvier 1801 ce qui signifie que les canicides sont poursuivis par ses successeurs puisqu’il existe des listes recensant les chiens tués chaque semaine depuis décembre 1797. Au total ce sont 14 300 chiens tués en 1 100 jours, soit une moyenne de 13 chiens par jour. Détail important, le dossier no 5 s’ouvre sur une lettre anonyme signée « esclave de Notre Dame de Guadalupe » (la Vierge protectrice de Mexico) du 7 décembre dénonçant les désordres canins une semaine avant le début des célébrations de la Vierge. Entre 1794 et fin 1797, il semble que la vigilance des gardes nocturnes se soit relâchée car les canidés ne sont plus éliminés, ce qui se traduit par une hausse de leur population. Cet abandon, souligné par le vice-roi Branciforte dans son ordre de tuerie, est confirmé par les rapports que les alcaldes de barrio – auxiliaires de police institués en 1782 – remettent à leurs supérieurs [18].
TECHNIQUES D’ÉLIMINATION ET CADENCE DES MASSACRES
16 Il n’est pas facile de tuer en pleine nuit des chiens dans la rue : absence de visibilité malgré la mise en place récente de l’éclairage, méfiance des chiens qui hurlent et qui mordent pour se défendre, risque de chute dans l’urgence de la poursuite. Les demandes de renouvellement de leur matériel, en particulier de la courte hallebarde (chuzo), de la part des serenos, en disent long sur la violence des affrontements. Il n’y a pas une technique mais plusieurs techniques combinées qui varient avec le temps et selon les circonstances, ce qui vient souligner le caractère expérimental des canicides [19].
17 Les canicides sont des opérations nocturnes qui se déroulent à une heure avancée, entre minuit et trois heures du matin. La nuit semble en effet le moment idéal car les battues exigent des espaces dégagés, vides de la présence humaine pour des raisons de sécurité, mais aussi pour éviter les réactions parfois hostiles du voisinage. Les armes utilisées sont diverses : d’abord le bâton ferré qui peut être lancé pour rompre les pattes ou le chuzo qui sert à asséner un coup derrière la nuque ou à sectionner le jarret de la bête en fuite ; des pièges ont également été confectionnés avec des carcasses de mulets garnies d’un puissant poison végétal (la hierba de Puebla). L’usage du poison pendant la première tuerie semble avoir été efficace puisqu’il est réutilisé plus tard au cours du XIXe siècle. Quant à l’usage de chiens de la part des serenos, soit pour se protéger, soit pour attirer les chiens errants en période de chaleur grâce à des chiennes, il est tout à fait envisageable. Une aquarelle peinte par un voyageur, Claudio Linati, représente un sereno de Mexico dans les années 1820 accompagné de son chien. Faut-il y voir le premier « chien policier » [20] ? Nous n’avons cependant pas d’image des massacres sauf une scène de traque dans une peinture de castes [21] de la fin du XVIIIe siècle, l’une des rares représentations de la nuit à Mexico à l’époque coloniale (Figure 2). À gauche de l’image, on distingue un sereno en train de poursuivre un chien qui fuit ; le garde est prêt à dégainer le long pieu qu’il tient dans son dos.
« De Chamiso y Cambuja, nace Chino », huile sur toile anonyme, vers 1785-1790, 62,6×83,2 cm, collection particulière, Mexico D.F.
« De Chamiso y Cambuja, nace Chino », huile sur toile anonyme, vers 1785-1790, 62,6×83,2 cm, collection particulière, Mexico D.F.
18 En général, les gardes travaillent seuls ou en binômes, grâce à l’usage d’un sifflet (pito) qui leur sert à communiquer entre eux en cas d’incidents. Ils s’en servent également pour signaler à leurs compagnons l’arrivée d’un chien. Mais, avec le temps, les chiens se gardent de s’aventurer dans les rues centrales qui bénéficient de l’éclairage, il faut alors changer de stratégie. Des battues collectives sont planifiées à la fin du mandat de Revillagigedo [22]. Deux escouades de huit gardes chacune sont dirigées par des brigadiers de l’éclairage afin de ratisser les faubourgs de la ville les nuits de pleine lune. Notons que l’obligation de tuer les chiens errants n’apparaît pas initialement dans les instructions remises aux serenos en 1790. Il s’agit donc d’une obligation (sous peine de retenue sur salaire) qui s’ajoute à de nombreuses autres tâches comme entretenir et allumer des lanternes, annoncer l’heure et le temps qu’il fait, appréhender ivrognes et vagabonds, secourir malades et mourants, etc. [23] Un système de prime est mis en place pour inciter les gardes : un peso pour 25 chiens tués, soit 1 /15e de son maigre salaire mensuel, l’équivalent de celui d’un ouvrier des travaux publics. Or, il est rare qu’un sereno tue à lui seul plus de dix chiens par mois.
19 Le rythme et la cadence des tueries peuvent être reconstitués grâce aux décomptes hebdomadaires des chiens morts établis par le capitaine de l’éclairage entre fin 1797 et début 1801 . Tous les matins, ce dernier est en effet chargé de compter le nombre de dépouilles que les serenos ont déposées devant sa maison. Pendant le premier mois, en décembre 1797, le taux de prélèvement est élevé, avec 50 à 60 chiens par jour, car les chiens errants abondent et fouillent sans se méfier les ordures nombreuses à proximité des marchés, notamment autour de la Plaza Mayor. Puis, dans les mois qui suivent, on enregistre une baisse sensible malgré les nouvelles techniques utilisées avec environ 30 chiens par jour. Les chiens de rue, dont l’intelligence et la faculté d’adaptation ont souvent été observées par les éthologues, ont appris à se méfier, se sont adaptés à la traque et ne s’aventurent que fort tard dans le centre [24]. Ils ont appris à déjouer les pièges. Enfin, entre 1799 et début 1801 , la moyenne des éradications tombe à moins de dix chiens par jour. Peut-on dès lors encore parler de canicides ? Il semble que les massacres se muent en opérations de régulation des populations canines.
20 Comme bien souvent dans ce genre d’exercice, ces chiffres sont à manier avec précaution. Sont-ils fiables ? Les dépouilles des chiens sont dans un premier temps déposées devant la maison du capitaine de l’éclairage pour être transportées au petit matin par les éboueurs dans des fosses communes, ce qui n’est pas sans générer des désordres : les serenos doivent abandonner leur poste en pleine nuit et les tas de cadavres effrayent les passants au petit matin. Le corregidor opte alors pour un comptage à partir des oreilles des chiens qui doivent être prélevées par les gardes sur les dépouilles, mais il se rend compte que certaines oreilles sont réutilisées le jour suivant. Cela étant dit, deux interprétations de ces chiffres peuvent être avancées. Soit la tuerie fonctionne : une grande partie des chiens errants ont été éliminés et ne s’aventurent plus en centre-ville, et les propriétaires des semi-errants ont appris à tenir leur chien en laisse. Soit la tuerie a bien fonctionné dans un premier temps, pendant quelques semaines, puis les gardes ont relâché leurs efforts en raison des résistances rencontrées et parce qu’ils considèrent cette tâche comme ingrate voire impie...
LES RÉSISTANCES AUX TUERIES
21 Les résistances aux canicides furent sans doute très fortes même si les archives en ont laissé peu de traces [25]. Les résistances naissent dans le voisinage, car le chien errant appartient toujours à quelqu’un qui le nourrit. Puis elles se sont développées au sein du corps de l’éclairage parmi les serenos eux-mêmes.
22 La liasse matanzas de perros contient plusieurs éléments faisant état de plaintes des habitants. Soit le chien tué appartenait au plaignant, ce n’était donc pas un animal errant, il s’était tout simplement échappé, soit le chien dormait à l’extérieur sur le seuil de la maison, lieu considéré comme sacré, soit enfin les serenos ont abusé de leur pouvoir de tuer. En 1793, un maçon se plaint au corregidor que des serenos ont tué sa chienne de race (une havanaise) qui gardait un chantier et ont dérobé ses trois chiots d’une grande valeur dans le but de les revendre [26].
23 Plus tard, lorsque les tueries reprennent à la fin du XVIIIe siècle, les mécontentements sont tels que le capitaine de l’éclairage demande en 1800 au corregidor de faire cesser les tueries, car les serenos se font constamment insulter pendant les traques, ce qui désorganise tout le service de l’éclairage. Les gardes sont taxés de « bourreaux sans cœur » et le chef de l’éclairage les considère alors comme les hommes les « plus haïs de la république » [27]. Comment en effet les serenos pouvaient-ils se faire accepter du voisinage en exécutant de sang-froid les chiens du quartier ? Le sereno se trouve ainsi coincé entre, d’une part, la nécessité d’obéir aux ordres de sa hiérarchie et de poursuivre la tuerie et, d’autre part, le besoin d’être inséré dans la population pour mener à bien ses autres tâches de surveillance et de police.
24 Les serenos ne sont pas en reste. S’ils ont pu accepter dans un premier temps de se livrer à la besogne d’abattre des chiens en pleine rue, sous la menace de leurs supérieurs et certainement encouragés par les primes, ils n’hésitent pas ensuite à ignorer les ordres ce qui se traduit par un regain d’absentéisme. En outre, il y a des raisons moins matérielles qui expliquent la réticence des gardes. Elles relèvent de croyances profondément ancrées sur le lien qui unit les chiens aux hommes dans l’inframonde. Certains rapports déclarent que les serenos se refusent en effet à exécuter cette besogne car ils pensent que s’ils tuent les chiens, ils « se retrouveront sans destin », c’est-à-dire qu’au moment de leur mort, leur âme sera condamnée à errer éternellement [28]. Il est certainement fait référence ici au chien aztèque conducteur des âmes, une dévotion préhispanique qui a dû se fondre dans le vaste mouvement de syncrétisme porté par la colonisation avec les croyances liées au chien occidental païen, le chien symbole de foi et fidèle jusqu’à la mort que l’on retrouve sculpté aux pieds des gisants de la chapelle de l’Escorial à la basilique de Saint-Denis [29]. Le témoignage du franciscain Bernardino de Sahagún qui évoque au milieu du XVIe siècle le déroulement des funérailles mexicas dans sa célèbre Histoire générale des choses de la Nouvelle Espagne va dans ce sens. Quatre ans après les obsèques, le défunt se dirige vers les neuf enfers séparés par le fleuve Mictlán. Sur les rives du fleuve se trouvent des chiens. Le chien du défunt le reconnaîtra et l’aidera à passer le fleuve en le portant sur son dos. Sahagún insiste sur la couleur du pelage des chiens. Le chien du défunt est toujours de couleur jaune-beige, c’est-à-dire la couleur des chiens abâtardis sur plusieurs générations, chiens que l’on retrouve de nos jours par centaines dans les villages de l’altiplano d’Amérique centrale. Autrement dit, si les serenos renâclent à se livrer aux massacres, c’est parce que tuer un chien signifierait ôter à son propriétaire la possibilité de rejoindre le royaume des morts.
Pistes de lecture
25 Il y a sans doute de multiples manières de lire et d’interpréter les canicides mexicains, je n’en retiendrai ici que trois, ces pistes de lecture pouvant se combiner entre elles. Tout d’abord, on tue les chiens errants car ils seraient un obstacle à la bonne police de la ville. Ensuite, on élimine les canidés parce qu’ils cristalliseraient les peurs et les maux urbains. Enfin, on exécute les chiens car ce serait une manière de rendre tangible et visible l’exercice du pouvoir politique.
26 Le chien errant est un facteur de troubles à l’ordre urbain ; c’est ainsi qu’il est décrit dans les ordres de tuerie. Comme les autres bêtes errantes – cochons et équidés –, le chien est bel et bien un danger et une nuisance pour les populations. C’est un danger car ses morsures sont redoutables et parfois létales lorsque les canidés attaquent en meutes un individu isolé, surtout s’il s’agit d’un enfant ou d’une personne âgée, car ceux-ci sont physiquement vulnérables [30]. Ces morsures et les lésions qu’elles entraînent étaient parfois à l’origine de plaintes et de procès [31]. De nos jours, dans les rues et les parcs de certaines villes d’Europe centrale et orientale, de Belgrade à Sofia en passant par Bucarest, les meutes de canidés constituent toujours un réel problème de santé publique. Tout récemment, en janvier 2013, dans le Parc de la Estrella à Itzapalapa, commune située à 30 km au sud du centre historique de Mexico, cinq personnes – des étudiants et des mères avec leurs enfants – se sont fait attaquer, tuer et dévorer par une meute de chiens errants [32]. Il faut néanmoins nuancer ce danger car, d’une part, il n’est pas dans l’intérêt des chiens – notamment pour continuer d’avoir accès à la nourriture – d’attaquer à tout va et, d’autre part, à l’époque moderne, les habitants des villes savaient se conduire en présence des chiens et réagir en cas d’attaque : un simple geste, comme prendre un caillou ou un bâton, suffisait généralement à les faire fuir. Les chiens errants constituent surtout une nuisance pour le voisinage car ils sont porteurs de maladies (rage, gale et autres parasites de l’épiderme) et parce qu’ils hurlent la nuit, ce qui trouble la tranquillité publique et le repos des malades, arguments récurrents sous la plume des réformateurs éclairés partisans des massacres. Mais cette interprétation ne nous convient qu’en partie car, nous l’avons dit, il n’y a pas d’épidémie de rage au moment du déclenchement des massacres (ni en 1791 , ni lorsque les tueries reprennent en 1797). Et puis éliminer les chiens errants ne fait pas pour autant taire les autres chiens qui continuent à aboyer la nuit depuis le fond des patios ou sur les terrasses des édifices où les propriétaires avaient l’habitude de les parquer. D’autant que massacrer les chiens en pleine nuit génère également son lot de troubles, hurlements des bêtes qu’on abat et vacarme des armes sur le pavé.
27 Un deuxième niveau d’interprétation est envisageable si l’on accepte de considérer le chien errant dans son environnement social. Dans cette perspective, les autorités procèdent à l’élimination des canidés, non pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils représentent, à savoir une image de la perversion morale et une figure du désordre social. Songeons aux cyniques de l’Antiquité grecque accompagnés de leur chien et revenons à la lettre anonyme envoyée au marquis de Branciforte en décembre 1797, point de départ de la seconde tuerie. Il s’agit d’un discours inspiré d’un topos biblique, les péchés capitaux de l’Ancien Testament. Le chien errant est décrit comme un être maléfique qui porte tous les stigmates de la déchéance. Il est fainéant et mendie sa pitance ; il se montre insatiable, glouton et concupiscent à l’extrême. Il entre dans les églises et les cimetières, urine, défèque et vomit au pied de l’autel. Il est un mauvais exemple pour la jeunesse. Trop proches des hommes, les chiens tendent à animaliser les mœurs chrétiennes et à bestialiser les conduites. Tuer les chiens aurait en ce sens valeur de sacrifices expiatoires, surtout à quelques jours de la célébration de la Vierge protectrice de Mexico.
28 Au-delà, et dans le même ordre d’idées, le chien errant ne peut être dissocié d’une autre figure de l’errance urbaine, le vagabond. Le chien sans feu ni lieu est une autre figure du désordre social. Dans les discours comme dans l’iconographie, chiens et vagabonds sont deux êtres inséparables. Dans les archives, « chiens errants » se dit « perros vagos », soit littéralement « chiens vagabonds ». Dans les peintures de castes, le chien sans laisse, crasseux et bâtard est associé aux castes les plus viles et les plus pauvres [33]. Le chien errant cristallise alors toutes les peurs urbaines : peur des indigents, peur des mendiants, peur des attaques nocturnes, peur de contagions protéiformes. Les tueries de chiens de la fin du XVIIIe siècle sont indissociables de la grande chasse aux pauvres « désincorporés »– c’est-à-dire n’appartenant à aucun des multiples corps qui structurent l’ordre urbain – qui a lieu au même moment : vagabonds, faux pauvres, vendeurs à la sauvette [34]. Éradiquer les chiens errants relèverait ainsi d’une pédagogie de la terreur destinée à ceux qui dormaient dans les rues. Les canicides fonctionneraient comme une opération de coercition périphérique. Ne pouvant éliminer physiquement les pauvres, les autorités ont décidé de s’en prendre à leurs chiens. On rejoint là le Grand massacre des chats [35]. Au-delà, pour les populations incorporées, les canicides obligent les propriétaires à ne plus laisser leur chien déambuler pendant le jour et à l’enfermer durant la nuit. En ce sens les canicides impulsent une forme de re-domestication dont la laisse et le chenil sont les instruments [36]. En forçant les propriétaires à dresser leur chien, les autorités diffusent de nouvelles manières de se conduire en ville. Les tueries participeraient du vaste processus de civilisation.
29 Enfin, troisième niveau de lecture, les canicides ne peuvent être appréhendés en dehors du processus de « modernisation » policière alors à l’œuvre à Mexico – et dans l’ensemble des villes européennes ou dans les capitales des Indes – à partir des années 1780 [37]. Cette modernisation se manifeste aussi bien dans ses aspects administratifs que dans ses dispositifs techniques de surveillance et de contrôle territorial. En effet, si les tueries systématiques de canidés sont possibles à partir de la fin du XVIIIe siècle, c’est que les autorités urbaines peuvent désormais s’appuyer sur des auxiliaires de police permanents et territorialisés, ainsi que sur un système perfectionné d’évacuation des cadavres (service de nettoyage) pour réaliser de telles opérations. Le corps des 90 serenos de l’éclairage public créé en 1790 venait s’ajouter aux 32 alcaldes de barrio, sorte de juges à pied, et aux 400 soldats répartis dans des corps de garde dans tout l’espace urbain dans les années 1780-1790. À partir de cette époque, les vice-rois Revillagigedo et Branciforte disposent d’un appareil logistique et d’une technologie répressive inédits dans l’histoire de la capitale de la Nouvelle-Espagne. Faire exécuter des chiens par milliers était une manière de tester ce « système policier » et de mettre à l’épreuve les nouvelles forces de l’ordre. À ce niveau de lecture, nous pouvons interpréter les canicides comme le signe d’une double modernisation, policière et politique. La fin du siècle des Lumières en Nouvelle-Espagne correspond à l’apogée des réformes bourboniennes dans les villes des Indes qui se traduit par un centralisme, un autoritarisme et une efficacité gestionnaire plus grands [38]. Les tueries témoignent de cette reconquête du pouvoir royal sur les logiques corporatistes municipales. Cette percée d’une conception royale de l’ordre urbain est clairement observable dans le dernier quart du XVIIIe siècle et il est remarquable que les premiers massacres s’inscrivent dans le cadre de la prise de fonction du vice-roi Revillagigedo. Ce dernier entendait en effet rétablir l’autorité de la couronne en commençant par prendre des mesures despotiques telles qu’éradiquer le marché de plein air (Baratillo) situé sur la Plaza Mayor [39]. Les tueries seraient donc la marque d’une nouvelle manière d’exercer l’ordre urbain. Dès lors, les canicides mexicains pourraient être rapprochés et mis en perspective avec d’autres massacres. Catherine Pinget a bien montré que l’éradication des chiens errants d’Istanbul en 1910, capturés vivants puis déportés sur une île où ils se sont entredévorés, se déroula dans le cadre d’une modernisation politique, l’instauration d’une république laïque impulsée par les Jeunes Turcs [40].
30 En définitive, les massacres de chiens à Mexico orchestrés par les vice-rois et exécutés par les gardes nocturnes ne peuvent se réduire à une simple mesure prophylactique. Leur portée est plus profonde et plus complexe. Nous y voyons un tournant fondamental dans la relation entre l’homme et l’animal de compagnie en ville. En dépit d’une réglementation municipale précoce, les chiens de rue faisaient partie du paysage urbain. Ils étaient tolérés par le voisinage car ils étaient des éboueurs, ils jouaient avec les enfants et accompagnaient ceux qui vivaient dans la rue, vendeurs ambulants, mendiants et indigents. Mais à partir d’un moment, à la fin du XVIIIe siècle, dans un contexte de modernisation de l’ordre urbain, leur présence devient intolérable aux yeux des autorités : les espaces publics ont été nettoyés des embarras, des ordures et des vagabonds [41] . Les chiens errants deviennent la cible de nouvelles pratiques policières car ils cristallisent tous les maux urbains. Ils ont aujourd’hui quasiment disparu du paysage de la mégapole mexicaine. La pratique de laisser aller son chien en liberté pendant le jour ne subsiste que dans les quartiers populaires et périphériques et le port de la laisse est devenu la norme.
31 Les massacres de chiens sont un observatoire idéal pour l’historien attentif au choc et à l’affrontement entre la rationalité politique omniprésente dans les discours sur la ville des Lumières et la mise œuvre pratique des instruments servant cette rationalité : les défis techniques et matériels rencontrés par les serenos (choix des armes, battues en solitaire ou traques collectives), la question du comptage et de l’évacuation des dépouilles, et surtout le problème des résistances affectives et culturelles qui surgissent aussi bien chez les habitants que chez les gardes nocturnes eux-mêmes. Tuer les chiens en pleine rue à Mexico avait certainement un sens différent que de le faire à Paris ou à Madrid à la même époque : dans les civilisations mésoaméricaines, le chien était davantage qu’un animal de compagnie et dans une société issue d’une conquête militaire marquée par des massacres fondateurs, les canicides ont pu réactiver des angoisses diffuses chez les descendants des vaincus. Les tueries de chiens éclairent sans doute une façon « coloniale » de faire la police qui se manifeste ici par une violence exterminatrice.
Notes
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[*]
niversité Paris-Ouest Nanterre La Défense, Mondes américains, (UMR 8168).
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[1]
Je remercie très chaleureusement Nicolas Berjoan et Guillaume Gaudin pour leurs suggestions et leurs relectures stimulantes.
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[2]
Robert Darnton, Le grand massacre des chats. Attitudes et croyances dans l’ancienne France, Paris, Robert Laffont, 1985. Cet ouvrage, traduit de l’anglais, est une compilation de six essais. Il a été l’objet d’une nouvelle édition aux Belles Lettres en 2011 .
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[3]
Dans son Journal de la peste, Daniel Defoe mentionne qu’à Londres, en 1665, les échevins auraient fait massacrer plus de 40 000 chiens et 200 000 chats. Information mentionnée par Jean Delumeau, La peur en Occident, Paris, Fayard, 1978, p. 150.
-
[4]
Cette liasse (Police. Tueries de chiens) est localisée à l’Archivo Histórico del Distrito Federal (désormais AHDF), section Ayuntamiento, vol. 3662. Elle est composée de dossiers sur les techniques d’élimination, le recensement des chiens tués, les difficultés rencontrées par les gardes nocturnes, les plaintes du voisinage. Le dossier faisant référence à l’épidémie de rage de 1709 est le premier du volume.
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[5]
Il est révélateur que cette explication ait été la seule retenue par les intervenants lors du congrès de la Société française d’histoire urbaine Les animaux dans la ville, à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, les 15 et 16 janvier 2015.
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[6]
Sur le plan théorique, nous nous appuyons sur Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Seuil-Gallimard, 1976 ; Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, Paris, Seuil, 1979 et Jacques Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005. Karl Popper définit l’« ingénierie sociale » comme une technologie au service d’une politique réformiste qui évalue ses objectifs à l’aune des moyens disponibles et des résultats obtenus.
-
[7]
Contrairement au chat, au loup, à l’ours, au cheval ou encore au cochon, le chien n’a pas eu droit de figurer dans le cortège de monographies animales qui se sont multipliées ces dernières années dans le sillage ouvert par Robert Delors, Les animaux ont une histoire, Paris, Seuil, 1984. Laurence Bobis, Une histoire du chat de l’Antiquité à nos jours, Paris, Seuil, 2006 ; Jean-Marc Moriceau, L’homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, Paris, Fayard, 2011 ; Michel Pastoureau, L’ours. Histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007 et, du même auteur, Le cochon. Histoire d’un cousin mal aimé, Paris, Découverte Gallimard, 2009. Daniel Roche, La culture équestre de l’Occident, XVIe-XIXe siècle. L’ombre du cheval, t. I : Le cheval moteur. Essai sur l’utilité équestre, Paris, Fayard, 2008. Exception faite pour Damien Baldin qui réalise actuellement à l’École des hautes études en sciences sociales une thèse intitulée « Une nouvelle histoire de la domestication du chien. De l’hygiène publique au bien-être animal : la police des chiens en France de la fin du XVIIIe siècle aux années 1960 ».
-
[8]
Xavier de Planhol, Le paysage animal. L’homme et la grande faune : une zoogéographie historique, Paris, Fayard, 2004, p. 398-400.
-
[9]
Voir la vaste encyclopédie de Bernardino de Sahagún, Historia general de las cosas de Nueva España, Mexico, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes, Cien de México, 2002, 3 volumes de 1 239 pages et Francisco Hernández, Quatro libros de la Naturaleza, Mexico, Viuda de Diego Lopez Davalos, 1615.
-
[10]
Les pratiques cynophages se poursuivent bien après la conquête du Mexique, comme en témoigne le franciscain Durán dans les années 1570. Fray Diego Durán, Historia de las Indias de Nueva España e Islas de Tierra Firme, 2 vol., Mexico, Imprenta de Ignacio Escalante, 1867-1880.
-
[11]
Eduard Seler, Las imagenes de los animales en los manuscritos mexicanos y mayas, Mexico, Casa Juan Pablos, 2004. La première édition, en allemand, date de 1909.
-
[12]
Ce chien a été étudié par John Grier Varner et Jeanette Johnson Varner, Dogs of the Conquest, Norman, University of Oklahoma Press, 1983 et Alberto Mario Salas, Las armas de la Conquista, Buenos Aires, Emecé, 1950, p. 159-176.
-
[13]
Bartolomé de Las Casas, Très brève relation de la destruction des Indes, Paris, Mille et une nuits, 2006, traduction de Jacques de Miggrode de 1574 adaptée en français moderne et revue par Jérôme Vérain.
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[14]
AHDF, Matanza de perros, vol. 3662 : le contenu de ces lois est rappelé dans le deuxième dossier.
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[15]
Archives Générales des Indes (Séville), México, vol. 1883, Réglement du vice-roi Revillagigedo du 31 août 1790, article 10, fol. 3.
-
[16]
José Gómez, Diario curioso y cuaderno de las cosas memorables en México durante el gobierno de Revillagigedo (1789-1794), versión paleográfica, introducción y notas de Ignacio González-Polo, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de México, 1986.
-
[17]
Francisco Sedano, Noticias de México desde el año de 1756, coordinadas, escritas de nuevo y puestas por órden alfabético en 1800, Mexico, Ed. de la « Voz de México », 1880, t. II, p. 82.
-
[18]
Rapport de police du 13 mars 1796 où l’alcalde de barrio no 9 constate que les chiens abondent dans son quartier étant donné que les tueries ont été suspendues. AHDF, Ayuntamiento, Policía Seguridad, vol. 3689, dossier 1 , fol. 13.
-
[19]
Les éléments qui suivent sont tous tirés des différents dossiers de la liasse sur les tueries, AHDF, Ayuntamiento, vol. 3662.
-
[20]
Claudio Linati, « Le sereno » dans Costumes civils, militaires et religieux du Mexique. Dessinés d’après nature, 1828, Collection du Centro de Estudios de Historia de México Condumex.
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[21]
Les peintures de castes sont des tableaux représentant les différents types de métissages possibles entre les populations espagnoles, indiennes et noires.
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[22]
La référence à ces battues collectives se trouve dans un dossier ultérieur, plus précisément dans une lettre de don Ignacio Moqui, responsable du Syndic, au capitaine de l’éclairage José Manuel de Balbontin, datée du 8 juin 1819 : « si V.S dispone continúe la referida matanza haciéndose esta por una cuadrilla formada de ocho hombre y un cabo, que indistintamente por toda la ciudad y sus arrabales, persigan a dichos perros como se ha practicado en los tiempos del virrey Revillagigedo le dará el debido cumplimiento, sirviéndose V.S testarme para el efecto », AHDF, vol. 3662, dossier 12, fol. 2v.
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[23]
Archives Générales Nationales de Mexico (désormais AGN), Bandos, vol. 15, dossier 56. Ce règlement se trouve également aux Archives Générales des Indes de Séville, México, vol. 1883, Bandos Iluminación y Limpieza (1790).
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[24]
Alan M. Beck, The Ecology of Stray Dogs. A Study of Free-ranging Urban Animals, West Lafayette, Purdue University Press, 2002.
-
[25]
Aujourd’hui, les services de la Brigade des Services Canins de Mexico (familièrement la perrera) sont systématiquement accompagnés de forces de police lors des rafles. Voir Jean Rolin, Un chien mort après lui, Paris, POL, 2009, p. 210.
-
[26]
AHDF, vol. 3662, dossier 4, fol. 2r, déclaration de plainte de José Mesa datée du 7 décembre 1793, au corregidor, don Bernardo Bonavia.
-
[27]
AHDF, vol. 3662, dossier 7, fol. 46v, lettre du capitaine de l’éclairage Cayetano Canalejo au corregidor Antonio de Bassoco datée du 11 juin 1801 . Le terme « république » souvent utilisé dans le langage de l’administration espagnole de l’époque fait référence au bien commun, littéralement à la « chose publique ».
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[28]
Cet argument est mentionné à deux reprises dans la liasse AHDF, vol. 3667, dossier 7, fol. 8v. et dossier 13, fol. 4r. Dans le dossier 7, le capitaine de l’éclairage adresse une lettre au corregidor en 1801 pour prendre la défense de ses gardes afin d’assouplir l’obligation de massacrer les chiens. Il déclare que « leurs croyances leur interdisent d’enlever la vie aux animaux ». Le dossier 13 est un extrait d’un article de presse tiré du supplément du Noticioso general, (no 736, 14 septembre 1820) où l’auteur, favorable à une intensification des massacres, tente d’expliquer pourquoi les canicides rencontrent autant de résistances. Il mentionne la « piété grossière » des serenos.
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[29]
Sur les cultes populaires médiévaux liés au chien, Jean-Claude Schmitt, Le saint lévrier. Guinefort, guérisseur d’enfants depuis le XIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1979.
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[30]
Les cas d’attaques recensées dans la presse actuelle portent presque toujours sur des personnes vulnérables, se déplaçant seules. Les chiens « choisissent » leurs victimes.
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[31]
Les plaintes d’habitants pour morsures contre les propriétaires de chiens en liberté abondent dans les archives. À titre d’exemple, en 1784, un Indien tributaire du village de Milpa Alta (situé à 10 km au sud de Mexico) qui livrait du maïs dans la juridiction de Xochimilco a été gravement mordu aux mains et aux bras par le perro bravo d’un Espagnol. Une plainte est alors déposée par la femme de la victime, une Indienne. Elle accuse le propriétaire d’avoir lâché son chien sur son mari et obtient gain de cause. L’Espagnol est condamné à payer les frais médicaux et à indemniser les jours chômés et lui remet 10 pesos. La promptitude avec laquelle l’Indienne saisit la justice et la sentence favorable aux victimes montrent à quel point ce genre d’incidents était courant à cette époque et pris en compte par les autorités coloniales. AGN, Criminal, vol. 235, dossier 4, fol. 17-21.
-
[32]
Nous avons analysé ce fait divers dans une perspective historique : Arnaud Exbalin, « Perros asesinos y matanzas de perros en la ciudad de México. Siglo XXI-XVIII », Relaciones 137, hiver 2014, vol. XXXV (Colegio de Michoacán, México), p. 48-61 .
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[33]
Voir de nombreux exemples dans Ilona Katzew, La pintura de castas, Madrid, Turner, 2004. L’équivalent contemporain du binôme chien de rue/vagabond serait le « punk à chiens ». Voir Christophe Blanchard, « Des routards prisonniers dans la ville », Sociétés et jeunesses en difficulté, no 7, mis en ligne le 17 septembre 2009, sejed.revues.org/6292.
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[34]
Sur ce point voir Warren Richard, « Entre la participación política y el control social. La vagancia, las clases pobres de la ciudad de México y la transición desde la Colonia hacia el Estado nacional », Historia y Grafía, Universidad Iberoamericana (Mexico), no 6, 1996, p. 72-91 .
-
[35]
Dans l’affaire du Grand massacre des chats relatée dans les Mémoires de Nicolas Contat, la patronne de l’imprimeur dit à son mari : « Ces mauvais ne pouvaient tuer les maîtres, ils ont tué ma chatte » (Robert Darnton, Le grand massacre des chats, op. cit., p. 82).
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[36]
L’obligation du port de la laisse apparaissait déjà dans les Ordonnances de la Ville de 1571 ; elle est rappelée dans le Règlement sur la propreté de 1790 (art. 10). Ces deux textes ont été mentionnés plus haut.
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[37]
Ce processus a été étudié depuis une dizaine d’années dans les capitales européennes par les chercheurs des programmes ANR « Circulation des savoirs policiers, XVIIIe-XIXe siècles », coordonné de 2006 à 2008 par Catherine Denys (Université Lille 3), et « Systèmes policiers européens, XVIIIe-XIXe siècles », coordonné par Vincent Denis (Université de Paris 1). Ils ont publié plusieurs ouvrages aux Presses universitaires de Rennes.
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[38]
Ce resserrement de l’autorité royale dans les Indes occidentales fut certainement plus poussé à Mexico que dans les autres villes hispaniques d’outre-mer, Mexico étant la première cité du Nouveau Monde tant en dignité, qu’en richesses et en populations.
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[39]
Sur le mandat de ce vice-roi, voir José Antonio Calderon Quijano (coord.), Los virreyes de Nueva España, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 1972, t. 1 , p. 85-366.
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[40]
Catherine Pinget, Les chiens d’Istanbul. Des rapports entre l’homme et l’animal de l’Antiquité à nos jours, Paris, Bleu autour, 2008.
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[41]
Arlette Farge, Le peuple et les choses. Paris au XVIIIe siècle, Paris, Bayard, 2015.