1Disons-le d’emblée, ce livre est une réussite. Son objet est l’histoire d’un lieu – inutile d’insister sur sa célébrité – et de son occupation par les hommes, dans le cadre chronologique le plus large, depuis les plus anciens témoignages à la fin de la période néolithique jusqu’à l’époque la plus actuelle. Son organisation est surtout chronologique, et montre une alternance entre les phases militaires (parfois associées à un habitat) et religieuses de son utilisation, avant son actuelle dévolution au tourisme. Après une présentation géographique d’autant plus nécessaire que l’urbanisme dévorant de la conurbation Athènes-Le Pirée a masqué depuis une cinquantaine d’années les grands caractères du paysage, vient, en trois chapitres, l’étude des phases antérieures aux guerres médiques. De l’époque mycénienne, il est resté surtout un rempart, utilisé pendant près de huit siècles; l’hypothèse d’un palais, tentante, ne trouve pas de soutien dans la documentation. C’est l’utilisation religieuse qui est le mieux attestée pour l’époque archaïque, surtout par les offrandes; au VIe siècle, on y a construit au moins cinq bâtiments, qu’il est difficile de reconstituer, encore plus de localiser; parmi eux, le temple archaïque de la divinité principale d’Athènes, Athéna Polias. Mais le fait que les quatre coups d’État qu’Athènes a connus à cette époque ont abouti à l’acropole montre l’importance de sa signification comme centre de pouvoir : c’est la deuxième guerre médique qui y mettra fin pour l’Antiquité. La génération qui suit les guerres médiques et le saccage général de l’acropole est une période de transition, qui voit un remodelage complet du plateau par la construction des remparts de Cimon et celle de la plate-forme sur laquelle devait être construit le Parthénon. Mais il ne faut pas négliger le maintien très généralement oublié de la glorieuse ruine du temple archaïque d’Athéna, entre le Parthénon et l’É rechtheion, qui persistera au moins jusqu’au milieu du IVe siècle av. J.-C., sinon plus tard encore, et donnait à l’ensemble du sanctuaire une allure très différente de ce que l’on dit communément. Les constructions les plus prestigieuses sont étudiées en deux chapitres consacrés l’un au Parthénon, dont l’auteur montre bien le caractère d’offrande hyperbolique (ce n’a jamais été un temple, et aucun culte ne peut lui être associé), l’autre aux Propylées et aux deux temples d’Athéna (entendre l’É rechtheion et celui d’Athéna Nikè), tandis que le chapitre 8 s’attache à l’étude du sanctuaire de l’acropole comme tel, et à celle de l’organisation de ses pentes, où étaient installés d’autres sanctuaires d’une importance inégale (certains étaient très modestes) : chacun d’eux expose clairement les données, certaines acquises depuis longtemps, d’autres résultant des travaux les plus récents (la question si controversée du sens de la frise du Parthénon – en définitive, une évocation de la fête des Panathénées – est très clairement exposée). Le chapitre 9, hybride, s’attache à une excellente présentation de la vie religieuse qui se déroulait à l’acropole (saluons, entre autres, l’exposé très clair et complet de la fête des Panathénées) et à l’évolution de son organisation monumentale jusqu’à la fin de l’Antiquité (notons surtout les travaux d’époque augustéenne, – usurpation pour Agrippa du pilier construit pour un roi attalide en contrebas des Propylées, et peut-être pour Auguste de celui construit à l’angle nord-est du Parthénon, construction du monoptère de Rome et d’Auguste face au Parthénon, réparations importantes après un incendie dans ce monument). Le dernier chapitre, qui n’est pas le moins important, expose les vicissitudes du plateau depuis la transformation en églises de l’É rechthéion et du Parthénon (au VIIe s. probablement), la restauration de son rôle militaire par les Francs (transformation des Propylées en château à partir de 1204), puis par les Turcs, sa redécouverte par les voyageurs occidentaux à partir du milieu du XVIIe siècle (y compris la malheureuse expédition de Morosini, en septembre 1687), les différentes phases de restauration depuis l’indépendance de la Grèce, et l’évacuation du plateau par la garnison turque le 1er avril 1833.
2Ce livre n’est pas un livre de plus sur l’Acropole d’Athènes : paradoxalement, il n’existe pas de bibliographie satisfaisante en français, et les importants travaux de restauration qui s’y déroulent depuis 1975 ont si complètement renouvelé les connaissances qu’une nouvelle présentation de synthèse était une nécessité impé-rieuse. Celle que nous donne Bernard Holtzmann, outre une réussite, est aussi un modèle. Son livre est avant tout un livre d’histoire, qui combine d’une manière exemplaire les données textuelles, épigraphiques et matérielles, celles que fournissent les offrandes, celles de l’architecture dont la compréhension est renouvelée, et celles de l’iconographie. Des indications claires et prudentes, des discussions bien conduites situent le contexte et marquent la signification de chaque phase, de chaque monument; les débats (ils sont nombreux) sont clairement résumés, mais l’auteur n’hésite pas à prendre parti; bien des idées reçues en reçoivent une atteinte qu’on espère fatale. L’illustration, souvent nouvelle, est toujours bien choisie. C’est un livre global, présentant l’histoire de ce lieu et de son occupation par les hommes depuis les origines jusqu’à l’époque la plus contemporaine. C’est aussi le livre d’un archéologue qui tient le plus grand compte de la façon dont les éléments étudiés sont parvenus jusqu’à nous et des limites que leur destinée ultérieure impose à la compréhension de chaque élément. De ce point de vue, le chapitre 10 est particulièrement bien venu. Ce sont en effet les destructions des deux sièges subis par l’acropole entre 1821 et 1826 qui ont conduit à adopter le parti puriste dans les travaux de restauration (éliminer tout ce qui était postérieur à l’Antiquité), et les problèmes d’authenticité que pose une telle entreprise ne sont pas éludés. Malgré la somme d’érudition qu’il représente (la bibliographie occupe onze pages sur trois colonnes), le texte n’est jamais pesant; il est souvent allègre. Sa lecture, indispensable au spécialiste, est très recommandée à quiconque s’inté-resse à la ville d’Athènes dont l’acropole a toujours été le centre.