Notes
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[1]
Robert de Hesseln, Dictionnaire universel de la France, Paris, Desaint, 1771,6 vol., à propos d’Amiens. Selon le même auteur, il y avait des « canonniers et arquebusiers » à Dieppe.
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[2]
André Corvisier, « Quelques aspects sociaux des milices bourgeoises au XVIIIe siècle », Villes de l’Europe méditerranéenne et de l’Europe occidentale du moyen-âge au XIXe siècle, Actes du colloque de Nice, 27-28 mars 1969, Annales de la faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, no 9-10,3o et 4o trimestre 1969, p. 241-278. A partir des milices bourgeoises, l’auteur aborde les milieux particuliers liés à la défense des villes, les compagnies d’arquebusiers et de canonniers dérivées des anciens jeux militaires et qui en ont gardé le nom.
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[3]
Denis Diderot, Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et des métiers par une société de gens de lettres, Paris, Neufchâtel, 1751-1772,28 vol., t. 1, p. 703.
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[4]
Robert de Hesseln, op. cit. note 1, cite les chevaliers d’Amiens, Avesnes, Caen, Compiègne, Concarneau, Dieppe, Doullens, Montdidier, Montreuil-sur-Mer, Nesle, Port Louis, Roye, Saint Etienne, Sainte-Menehould, Saint-Symphorien-le-Château, Sézanne, Soissons, Troyes et Villefranche sur Saône.
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[5]
Georges Duby (sous la direction de), Histoire de la France urbaine, notamment le tome 3, La ville classique sous la direction d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris, Seuil, 1981.
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[6]
Voir, par exemple, Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand-Colin, 1978, François Bluche, Dictionnaire du grand siècle, Paris, Fayard, 1990 ou Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1996.
-
[7]
Cette situation avait déjà été soulignée par Maurice Agulhon, « Un document sur le jeu de l’Arquebuse à Aix à la fin de l’ancien régime », Le jeu au XVIIIe siècle, colloque d’Aix-en-Provence, 30 avril-2 mai 1971, Aix-en-Provence, Edisud, 1976, p. 79-94. L’auteur écrit (p. 79) : « Le jeu a été longtemps – il l’est très souvent encore – l’exemple parfait du sujet historique marginal, laissé aux érudits locaux sans lien avec l’histoire générale, laissé aux folkloristes et aux ethnologues sans lien avec l’histoire classique ». Pourtant il n’est pas mieux considéré dans Jeux et Sports, Encyclopédie de la Pléiade, sous la direction de Roger Caillois, 1967. Si les jeux de quilles sont traités en un chapitre entier, on ne retrouve nos compagnies que dans la partie « sport dérivé idéalisé de la guerre », et leur sort est réglé dans la phrase introductive au chapitre sur le tir sportif : « Certaines de nos vieilles sociétés de tir peuvent faire état d’origines remontant à plusieurs siècles ayant été successivement compagnies d’archers, d’arbalétriers, d’arquebusiers avant de connaître leur forme actuelle. Quelques unes ont déjà célébré leur centenaire, se classant ainsi parmi les plus anciennes sociétés sportives, avec les sociétés de gymnastique », p. 1455. La bibliothèque du Musée des Arts et Traditions populaires contient une importante collection de documents sur les anciens jeux qui ont été étudiés dans plusieurs articles de la Revue des arts et traditions populaires.
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[8]
Françoise Lamotte, « Les compagnies du papegay en Normandie », p. 39-47 et René Meunier, « Les arquebusiers de la confrérie de Sainte Barbe d’Aix-en-Provence », p. 79-91 dans « Jeux et sports dans l’histoire », Actes du 116e congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, Paris, 1992, section d’histoire moderne et contemporaine, t. 2, « Pratiques sportives ».
-
[9]
Pierre-Yves Beaurepaire, « La ville en jeu. L’évolution des jeux d’adresse à la fin de l’Ancien Régime : un processus de folklorisation et de marginalisation sociale ? », Le peuple des villes dans l’Europe du Nord-Ouest de la fin du Moyen-Age à 1945, CHRENO, Université Charles de Gaulle Lille III, 22-24 novembre 2001, actes à paraître. Je remercie vivement Monsieur Beaurepaire de m’avoir permis de prendre connaissance de ses travaux en cours.
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[10]
Outre les bibliographies classiques, on peut utiliser Géry Bonjean, La bibliographie de l’archerie, Saint-Egrève, Emotion primitive, 2000. Ce livre recense des ouvrages anciens ou récents sur l’histoire et les techniques du tir à l’arc. Les couvertures des livres et opuscules cités sont reproduites.
-
[11]
Albert Babeau, La ville sous l’ancien régime, Paris, 1880, réédition Paris, l’Harmattan, (« Les introuvables ») 1997, t. II, p. 55 à 77.
-
[12]
Cette géographie serait tout de même conforme à l’ancienneté et à la densité de l’implantation des compagnies en Picardie et Valois. Voir, sur ce point, Yves-Marie Bercé, Fête et révolte. Des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1976, p. 107.
-
[13]
Michel Cassan (sous la direction de), Les officiers « moyens » à l’époque moderne, Limoges, PULIM, 1997.
-
[14]
Voir Statuts et règlements généraux pour toutes les compagnies du noble Jeu de l’Arc et de Confréries de Saint Sébastien, 1748, recueil factice, Bibliothèque nationale (B.N.), 16 WZ-1331. Un autre exemple est donné dans le dictionnaire de Delamarre à propos des exemptions des archersgardes de Paris, formés des compagnies d’arbalétriers, archers et arquebusiers de la ville. L’auteur cite le maintien d’une exemption de droits sur le vin « à l’instar de Rouen et de Tournai » dans un édit de 1690. Nicolas Delamarre et Lecler du Brillet, Traité de la police, Paris, 2e éd. 1779-1788,4 vol., t. 3, p. 745.
-
[15]
Anciens noms du perroquet.
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[16]
Par exemple à Avesnes « Il y a dans cette église une ancienne confrairie sous le nom de Saint Jean Baptiste composée d’un roi, d’un maître, d’un connétable et de plusieurs confrères. Cette confrairie a été érigée en compagnie des Chevaliers de l’Arquebuse par lettres patentes du Roi en décembre 1715. Ces chevaliers tirent tous les ans, la veille de Saint Jean Baptiste, à l’oiseau avec des fusils, il y a une récompense pour celui qui est roi », Robert de Hesseln, op. cit., note 1, t. 1, p. 267. Ce sont souvent des confréries de Saint Sébastien qui deviennent des compagnies de jeux.
-
[17]
Voir Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1923, article « Arquebusiers » qui mentionne le privilège, accordé par arrêt du Conseil du 14 juin 1729 aux arquebusiers de Laon, pour ceux qui auraient abattu l’oiseau trois années de suite, d’être, et leurs veuves après eux, exempts de toutes impositions, droit de tutelle, curatelle, logement de gens de guerre. Dans le même article il est question de l’exemption bretonne « d’impôt et de billot », c’est-à-dire de l’impôt royal sur les barriques de vin, bière, cidre et poiré. On retrouve de pareilles notations dans le livre de R. de Hesseln (op. cit., note 1) publié en 1771 : les exemptions bretonnes (à Concarneau et Port Louis) sont évaluées à la franchise d’octroi sur soixante barriques de vin « pendant une année seulement ». A Sézanne, en Champagne, l’avantage est proche, « droit de sa royauté de vendre et consommer tout le vin de son cru sans en payer aucun droit ». A Villefranche-sur-Saône une exemption fiscale (taille, autres charges et impositions publiques) proche de celles rencontrées en Bourgogne est mentionnée, alors qu’à Dieppe les récompenses sont variées, de la vaisselle d’étain pour les exercices dominicaux, cent cinquante livres à prendre sur les octrois de la ville pour celui qui abat l’oiseau, à charge pour lui de donner soixante livres au vainqueur du prix de la butte. Tous les chevaliers de la ville sont, en outre, exemptés de tutelle, curatelle et logement des gens de guerre. A Avesnes, on indique seulement l’existence d’une récompense sans plus de détails.
-
[18]
Christine Lamarre, « Le costume rutilant : les chevaliers des jeux militaires urbains au XVIIIe siècle en Bourgogne », dans Vêture et pouvoir, actes du colloque des 19-20 octobre 2001, Albi, à paraître.
-
[19]
En 1715, dix-huit villes ont permis à 612 chevaliers de se réunir (Relation du prix de 1715, Dijon, Defay, 1715). En 1754, à Tournus comme en 1778 à Beaune il y eut quinze compagnies participantes; Etrennes gymnastiques pour l’année 1754, Dijon, Desaint, 1754,72 p.; pour la dernière rencontre : Relation du grand prix rendu à Beaune en août 1778, [par Courtépée], Dijon, Causse, 1779; voir aussi Description champêtre et rimée du prix dédié à MM. Les chevaliers de Beaune qui l’ont rendu à MM. de l’arquebuse de Mâcon, qui l’ont remporté le 27 août 1778, La Haye, aux dépens des libraires associés, 1778; Description de ce qui s’est passé à Beaune à l’occasion du prix de l’arquebuse rendu par MM. Les chevaliers de Beaune le 27 août 1778 et remporté par MM. Les chevaliers de Mâcon par Chevignard de la Pallue, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1779.
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[20]
Florent Carton-Dancourt, Comédies, t. II, texte établi, présenté et annoté par André Blanc, Paris, Beauchesne, 1989.
-
[21]
Relation du prix de 1715, op. cit.
-
[22]
Daniel Ligou, « Les chevaliers de l’Arquebuse à Dijon au XVIIIe siècle », Le jeu au XVIIIe siècle, colloque d’Aix-en-Provence, 30 avril-2 mai 1971, Aix-en-Provence, Edisud, 1976, p. 69-78. Plus récemment, à propos d’un autre jeu, voir Véronique Berthaut, « Sport et société : le manuscrit du jeu de l’Arc de Dijon », Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Dijon, t. 134,1993-1994, p. 187-199 et du même auteur « Le jeu de l’Arc de Dijon », Annales de Bourgogne, t. 67,1995, p. 149-192 qui présentent le manuscrit d’admission.
-
[23]
Daniel Ligou, op. cit., note 22, p. 73.
-
[24]
Bibliothèque municipale de Dijon (BMD), ms. 1878,1879. Ernest Petit, « Les chevaliers du noble jeu de l’Arquebuse de Noyers », Annuaire historique du département de l’Yonne, 1868, p. 212-215, s’intéresse à la reconstitution du jeu entre 1713 et 1731.
-
[25]
Delecey de Récourt, Histoire de Langres, 1782,3e partie p. 24-28, cité par Georges Viard, Tradition et lumières au pays de Diderot, Langres au XVIIIe siècle, Langres, Société historique et archéologique de Langres, 1985, p. 297.
-
[26]
Nicolas Delamarre, op. cit., note 12, Paris, 1738, t. 3, p. 735 et suivantes. Les principaux actes royaux de création des compagnies et de confirmation des privilèges sont cités dans le livre consacré aux approvisionnements. A Rouen les chevaliers sont 104; Privilèges de la compagnie des 104 arquebusiers de la ville de Rouen, Rouen, de l’imp. d’Etienne-Vincent Machuel, 1774.
-
[27]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, respectivement t. VI, p. 612, t. III, p. 655 et t. V, p. 655. Roye et Nesle sont en Picardie.
-
[28]
Daniel Ligou, art. cit., note 20.
-
[29]
Christine Lamarre, « Le jeu de l’Arquebuse à Noyers-sur-Serein », 10e congrès de l’Association bourguignonne des Sociétés savantes, Langres, 2000 (à paraître).
-
[30]
Voir note 22.
-
[31]
Jean-Pierrre Gutton (sous la direction de), L’intendance de Lyonnais, Beaujolais, Forez en 1698 et en 1762, édition critique du mémoire rédigé par Lambert d’Herbigny et compléments de la Michodière, Paris, CTHS, 1992, p. 122
-
[32]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, à propos de Sézanne : « la compagnie des arquebusiers [...] précède en toutes assemblées et cérémonies publiques, la milice bourgeoise de la ville et elle a été maintenue dans ce privilège par une ordonnance de Louis XIV, du 26 janvier 1715, confirmative de celle du Prince de Rohan, alors gouverneur général des provinces de Champagne et de Brie du 15 décembre 1714 ». On se souvient que c’est sous la présidence de ce gouverneur que le grand prix de Meaux s’est tenu.
-
[33]
Christine Lamarre, Petites villes et fait urbain en France au XVIIIe siècle. Le cas bourguignon, Dijon, EUD, 1993, p. 331-334.
-
[34]
Maurice Agulhon, art. cit., note les périodes fastes 1611-1629,1686-1693 (elles sont l’objet de l’article de René Meunier, art. cit., note 8) alors que le XVIIIe siècle dans son ensemble ne paraît guère florissant.
-
[35]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, t. 6, p. 261.
-
[36]
Archives départementales de la Côte d’Or, C 714, C 1668, Archives départementales de Saône-et-Loire, C 229.
-
[37]
André Corvisier, op. cit., note 2, p. 251.
-
[38]
Etrennes gymnastiques pour l’année 1754, Dijon, Desaint, 1754,72 p.
-
[39]
Le mot gymnaste et l’adjectif gymnastique ont été employés plus tôt, dès le XVIe siècle dans des contextes évoquant l’Antiquité ou dans les œuvres d’imagination; ainsi l’écuyer de Gargantua, qui participe aux exercices physiques exceptionnels du héros, chez Rabelais, s’appelle-t-il le Gymnaste.
-
[40]
Dictionnaire de Trévoux, édition de 1760, t. 7, p. 3701-3702.
-
[41]
Abbé Lasserre, Discours sur les jeux et exercices publics, ouvrage qui a remporté en 1775 le prix de belles lettres proposé par l’Académie de Dijon, Dijon, Causse, 1775.
-
[42]
Archives de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Dijon, archives non classées, en dépôt à la bibliothèque municipale de Dijon. Les concurrents ne sont pas identifiables, chaque texte n’est désigné que par une lettre de l’alphabet.
-
[43]
Encyclopédie méthodique, jurisprudence, t. IX contenant la police et les municipalités, Paris, Liège, 1789, art. « arquebusiers », p. 349-350.
-
[44]
Henri-François Pelletier, Almanach des Compagnies d’arc, d’arbalète et arquebuse ou Les muses chevalières pour l’année 1789, Paris, Au Champ de Mars, 1789,131 p. L’ouvrage, très favorable aux compagnies de jeux, entendait étendre une histoire surtout parisienne à la province.
-
[45]
Parmi les exceptions on pourrait citer le Limousin de Paul d’Hollander où la création de la garde nationale se fait rarement à partir de la milice d’ancien régime sauf pour Aubusson et peutêtre Limoges; voir « Les gardes nationales en Limousin » (juillet 1789-juillet 1790), Annales historiques de la Révolution française, no 290, octobre-décembre 1992.
1Les compagnies de l’arc, de l’arbalète de l’arquebuse et même de « couleuvriniers » [1] font partie des organismes militaires des villes qui sont nés des libertés urbaines au Moyen-Age et de l’obligation de se défendre par ses propres moyens. Certes les milices bourgeoises, les guets et gardes en sont les éléments essentiels, mais les compagnies des jeux militaires, fondées sur le volontariat et la cooptation, sont là pour les soutenir en formant et en entraînant au maniement des armes modernes une partie des bourgeois, destinés à former les compagnies d’élite. Cette description, bien trop rapide, ne permet pas de saisir les différences nées de l’histoire particulière à chaque ville. Les compagnies ont pu devenir de simples exercices de tir; il est arrivé, ailleurs, qu’elles continuent à avoir un rôle, au moins nominal, dans la défense de leur ville comme à Dieppe ou à Rouen, avec le statut de compagnies privilégiées à l’intérieur de la milice bourgeoise; parfois, le privilège l’a emporté sur tout le reste, suscitant procès et contestations comme à Paris [2].
2Au XVIIIe siècle, l’implication dans la défense urbaine est en sommeil; mais les compagnies subsistent en assez grand nombre; elles offrent un terrain d’exercice à leurs membres qui s’affrontent publiquement lors d’une réunion annuelle, le tir à l’oiseau ou au papegay; aussi peut-on lire dans l’Encyclopédie à l’article « Arquebuse » : « Lorsque l’arquebuse était en usage, on appelait arquebusiers les soldats qui en étaient armés. [...] On tire encore en plusieurs villes de France le prix de l’Arquebuse pour le plaisir et l’amusement des bourgeois. [...]. Ces prix subsistent dans plusieurs villes et quoiqu’on s’y serve de fusils, ils retiennent leur ancien nom de prix de l’Arquebuse [3] ».
3Dans le dernier dictionnaire géographique de la France de l’Ancien Régime, Robert de Hesseln en cite encore dix-neuf parmi les particularités remarquables des villes. La liste qu’il en donne [4] est loin de refléter l’importance des compagnies de tirs; elle a du moins l’avantage de montrer qu’il en existe dans toute la hiérarchie urbaine, de villes bien peuplées comme Caen à des petites villes comme Sézanne en Champagne, riche, selon le même auteur, de cinq mille habitants. Ce sont donc des institutions militaires et bourgeoises qui peuvent permettre d’explorer toute la diversité du monde urbain de la France moderne en comparant les recrutements, la vitalité des sociétés, l’ampleur de leurs avantages et la nature de leurs rapports avec les municipalités.
4Mais les compagnies militaires des villes sont un peu les parentes pauvres de l’Histoire des sociabilités urbaines. Un ouvrage de référence, comme l’Histoire de la France urbaine n’y fait pas allusion [5], pas plus que les derniers lexiques et dictionnaires d’histoire [6]. Lorsqu’on interroge le catalogue des ouvrages de la Bibliothèque Nationale pour connaître ceux qui comportent le mot « arquebuse » dans leur titre, les classements thé-matiques surprennent parfois. Les compagnies d’arquebusiers figurent soit sous la rubrique histoire locale un peu fourre-tout, soit, ce qui est plus surprenant, au titre des mœurs et coutumes, ou des sciences, arts et techniques, ce qui est encore moins adéquat; l’hésitation reflète bien cependant la situation de cet objet d’enquête qui visiblement tient du folklore, de l’histoire des jeux ou des fêtes, mais jamais de l’histoire militaire ou de celle des villes [7]. Enfin, dernier témoignage, au congrès national des sociétés savantes de 1991, consacré aux « Jeux et sports dans l’histoire », les compagnies militaires n’ont suscité que deux interventions [8].
5Cette désaffection pour le sujet est récente (et espérons-le provisoire, les travaux en cours de Pierre-Yves Beaurepaire amorcent un renouvellement du regard [9] ); les travaux plus anciens faisaient la part belle à ces pratiques, comme en témoigne une abondante moisson possible de monographies écrites au XIXe siècle et au début du XXe [10]. Albert Babeau, dans son classique La ville sous l’ancien régime [11], s’en était fait un ample écho puisqu’il a consacré aux arquebusiers un chapitre entier de plus de trente pages, dans le livre 5 de sa synthèse, intitulé La garde.
6Les raisons de ce désintérêt me semblent simples. D’abord les compagnies de jeux militaires ne sont pas également présentes dans tout le royaume. Autant elles sont fortes dans la France du nord et de l’est (le témoignage de la géographie de Robert de Hesseln, évoquée plus haut, le confirme avec huit compagnies citées en Picardie, une en Cambrésis, trois en Lyonnais et Champagne, deux en Normandie, et en Bretagne [12] ), autant elles sont moins nombreuses et puissantes, voire absentes de la France du Midi, languedocienne notamment. Maurice Agulhon, dans sa thèse et dans Pénitents et Francs-Maçons, ne les évoque pas, dans un Midi qui apparaît pourtant à la communauté des historiens modernistes comme une région d’intense sociabilité. Le handicap était lourd.
7Puis, s’il y a eu effectivement une floraison de monographies sur tel ou tel tir à l’oiseau, sur telle ou telle compagnie, elles n’ont pas vraiment servi leur objet, en s’intéressant bien plus aux apparences, aux textes officiels, aux privilèges et aux minuties de protocole, aux cérémonies et au seul moment du tir à l’oiseau annuel, sans mettre les documents lus en correspondance avec d’autres sources pourtant complémentaires, fiscales ou municipales.
8Pourtant, les jeux ouvrent un champ facile à la recherche, et nous disposons de nombreux documents pour les étudier. Les compagnies militaires sont des corps tout à fait officiels, à la recherche de privilèges et de lettres patentes, de reconnaissance royale; en échange leurs registres sont souvent tenus sur papier timbré et conservés. Lorsque les jeux ont été définitivement supprimés par le décret du 24 avril 1793, leurs papiers ont été remis aux autorités; on retrouve généralement les documents de toutes les compagnies encore en exercice en 1789 dans la série E des dépôts départementaux; leurs biens, devenus nationaux, sont vendus, la trace s’en retrouve dans la série Q, offrant parfois la description des espaces et bâtiments de tir. Pour les compagnies dissoutes avant 1789, la quête est plus difficile, mais on retrouve des documents dans les séries F et J des archives départementales, comme dans les collections de manuscrits des bibliothèques. Les archives municipales ont une importance capitale; elles renseignent aussi par les listes d’officiers, l’obligation de faire approuver les principales décisions, parfois par des comptes établis lors des demandes de secours et par le dépôt des anciens registres qui se trouvent généralement dans la série EE. En outre, les jeux militaires, du fait de leur caractère profondément urbain, ils ont été suivis par les intendants qui devaient autoriser les dépenses occasionnées, donner un avis lors des tentatives de reconstruction des jeux abandonnés, dans le cadre de la tutelle des communautés; les séries C des archives départementales contiennent donc, elles aussi, des documents sur les compagnies. Enfin, les jeux militaires sont placés sous l’autorité des gouverneurs : lorsque leurs papiers sont conservés, on peut y retrouver la trace des arquebusiers, archers et arbalétriers.
9Tous ces documents, encore insuffisamment sollicités, sont cependant importants, notamment pour la connaissance des milieux urbains que l’on dit maintenant « moyens » et dont on sait l’intérêt qu’ils suscitent dans les recherches actuelles ainsi qu’en témoigne, par exemple, le colloque tenu à Tours en 1998, sur les officiers « moyens » [13]. Dans cet article je voudrais simplement attirer l’attention sur quelques points qui pourraient être discutés à propos de ces jeux, de leurs activités, de leurs recrutements et surtout de leurs identités. Le terrain où je les ai étudiés plus précisément est la Bourgogne, où de nombreux exemples seront pris. C’est une des zones de très forte densité de ces compagnies et, pour elles, un espace de grande vitalité jusqu’à la Révolution, en dépit de difficultés sur lesquelles nous reviendrons. En outre, cette province, qui n’est plus frontière, ne présente pas de physionomie particulière dans le domaine des jeux militaires, par ailleurs progressivement unifiés par le jeu des règlements et statuts donnés par les différents souverains, souvent à l’imitation de ceux des compagnies déjà privilégiées [14].
Les activités des compagnies
10Elles sont partout de même nature mais inégalement connues, en dépit de la tenue régulière des registres de délibérations. Le chevalier secrétaire ne consignait, généralement, que les actes de réception ou d’exclusion, les cérémonies auxquelles les chevaliers participent, celles qu’ils offrent à l’occasion notamment des évènements qui touchent la famille royale, naissances ou décès, les règlements pour les prix, la préparation et les relations du concours annuel de tir à l’oiseau, moment essentiel où la compagnie réaffirme ses liens avec la ville et fait montre de l’habileté de ses membres. On sait pourtant que les chevaliers-tireurs s’astreignaient à trois types d’activité. Chaque dimanche, souvent entre Pâques et la Saint-Louis, ils s’exerçaient « à la butte », c’est à dire sur une cible, dans leur champ de tir. Ces exercices, privés, sont parfois connus grâce aux carnets de tir, malheureusement mal conservés, dont l’étude permet de reconnaître les passionnés de tir.
11La grande cérémonie annuelle, bien mieux décrite, est le tir à l’oiseau ou au papegay ou encore papegaut [15]; elle est généralement tout ce que l’on a retenu, de nos jours, de l’activité des compagnies. Ces tirs, la fête des corps que sont ces compagnies souvent issues ou liées de très près à des confréries [16], donnent lieu à des processions publiques qui conduisent les chevaliers chez leur capitaine, puis chez le maire qui leur offre un vin d’honneur; ils s’accompagnent aussi de cérémonies religieuses, d’une messe d’ouverture et parfois de fermeture des festivités, de processions dans la ville pour aller chercher l’oiseau, accompagner chez lui le vainqueur. La cérémonie du tir est très ritualisée, l’oiseau (dont la forme change selon les lieux mais qui est souvent offert par le gagnant de l’année précédente et qui, pour le malheur des historiens est toujours fait « à l’accoutumée ») est placé sur une perche. Il doit être abattu complètement par le vainqueur du jeu. Les relations du tir sont complètes et précises, on connaît le nombre de coups donnés et le nombre de jours passés à « l’abbatis de l’oiseau » parce que l’exercice donne droit à récompense : en Bourgogne, exemption fiscale pour l’année au roi, c’est à dire au vainqueur de l’année, exemption fiscale sa vie durant pour l’empereur, triple vainqueur consécutif du jeu. En Bretagne, une exemption « d’impôt et de billot » a été accordée progressivement dans trente trois villes et bourgs [17].
12Enfin, plus rarement, se tiennent des grands prix, eux aussi permis par le roi. Ce sont des rencontres inter-provinciales somptueuses pour lesquelles les chevaliers ont commencé à éprouver le besoin, lourd de conséquences implicites, de se vêtir en uniforme [18]. Ces fêtes exceptionnelles ont fréquemment donné lieu à des relations imprimées détaillées; elles sont, en outre, précisément narrées dans les registres des compagnies participantes ce qui permet d’avoir des récits qui, bien que très conventionnels, se démarquent légèrement les uns des autres, laissant deviner des divergences d’appréciation.
13En Bourgogne il y eut trois grands prix autorisés au cours du XVIIIe siècle : à Dijon en 1715, à Tournus en 1753 et à Beaune en 1778 [19] qui réunirent dix-huit puis quinze villes presque toutes bourguignonnes, comtoises et champenoises, rassemblant, la première fois, six cents chevaliers environ, plus de deux cents aux rencontres suivantes. Un autre exemple est mieux connu aujourd’hui, car il a donné lieu à l’écriture d’une pièce satyrique de Dancourt, au succès éphémère, mais rééditée récemment [20]. C’est celui du prix de Meaux, organisé en 1717, pour les compagnies de Champagne, Ile-de-France et Picardie, qui concentre près de 600 tireurs venus de cinquante villes, et qui fut présidée par le prince de Rohan-Soubise, qui offrit, en conclusion du prix, le plaisir aristocratique et rural de la chasse en forêt aux tireurs ordinairement citadins. Ces rencontres sont dotées de prix (souvent des pièces d’argenterie) imposants par leur nombre, leur qualité et leur valeur.
14La première caractéristique de l’exercice est sa difficulté réelle, que les descriptions imprimées laissent bien apprécier. Dans les grands prix bourguignons, on tire sur des cibles blanches d’un diamètre de 97 centimètres dont la partie centrale est noircie sur un diamètre de 21 centimètres. Le tir s’effectue avec des fusils sans lunettes (ou cristaux), les concurrents sont placés à 130 mètres environ des cibles. A Dijon, en 1715,179 tireurs mirent 68 coups au noir, 20 en bordure, 519 dans le blanc, et les 109 coups restants se perdirent [21]. La relation permet de se rendre compte, en outre, que tous les participants (ils étaient rappelons-le un peu plus de 600) ne tirent pas, loin de là, et qu’ils se contentent d’accompagner en délégation le petit noyau des compétiteurs.
15Ce qui est plus surprenant c’est qu’il se passe le même phénomène lors des « abbatis » annuels d’oiseaux, dont j’ai pu lire le récit dans les registres. A Dijon, le nombre des concurrents oscille entre 9 et 34 inscrits, qui ne tirent peut-être pas tous, puisqu’en 1746 on recommence le concours à cause d’une fraude grâce à laquelle on apprend que cinq ou six chevaliers seulement ont tiré sur les 14 inscrits d’une compagnie qui devait compter environ 70 chevaliers [22].
16Ainsi les compagnies de tir ne regroupaient-elles probablement qu’un petit nombre de véritables amateurs de l’exercice. L’appartenance aux compagnies militaires, pour une part des membres, devait être plutôt la reconnaissance d’une situation sociale au sein de la ville. Dans l’article que Daniel Ligou a consacré aux arquebusiers dijonnais, il concluait : « pas mal de Dijonnais tenaient à être membres de la société, pour des raisons assez difficiles à discerner, mais parmi lesquelles le fait de pouvoir porter l’épée au côté lors des cérémonies religieuses et civiles joue peut-être un rôle important. Ici encore comme dans les haut grades contemporains de la franc-maçonnerie, le mythe de l’idéal militaire et chevaleresque de la noblesse a pu agir... » [23]. Si l’on se fie aux registres bourguignons, qui confirment l’exemple dijonnais, il semble bien qu’au XVIIIe siècle les compagnies de tir soient devenues des lieux de sociabilité autant, sinon plus, que des sociétés de tir. C’est en gardant cela présent à l’esprit qu’il conviendrait d’étudier les recrutements.
17Avant d’en venir à ce point, un dernier mot sur les rencontres et les festivités chevalières. Le caractère le plus frappant à la lecture des comptes-rendus est l’aspect ritualisé et surtout très lent des jeux. Les « abbatis de l’oiseau » sont des cérémonies officielles dont chaque aspect est mûrement réfléchi et chargé de sens.
18Voici la date par exemple : les tirs à l’oiseau avaient été souvent fixés, à l’origine, à la fête du saint protecteur, Saint Sébastien (20 janvier) ou Sainte Barbe (4 décembre) ou encore au 1er mai. Les concours ont par la suite changé de date, se tenant plus volontiers au moment de la Saint Louis (25 août) ou au plus proche dimanche. On peut suivre un exemple de ce passage d’une date à l’autre pour la petite ville de Noyers-sur-Serein, dont le jeu a été épisodique, renaissant deux fois au cours du XVIIIe siècle [24]. Le tir se faisait traditionnellement le 1er mai; lors du premier rétablissement, le tir est fixé au dimanche le plus proche de la Saint Georges, c’est à dire le 23 avril. La nouvelle date avait plusieurs avantages : elle ne bousculait pas trop le calendrier antérieur, elle permettait d’affirmer le lien entre la religion et le jeu – on se souvient que St Georges est un des patrons de la chevalerie – enfin elle permet de ne pas créer un jour de fête en semaine. Le choix est différent lors de la seconde reconstitution de la compagnie, elle tirera à l’oiseau le dimanche le plus proche du 25 août, jour de la Saint Louis. La compagnie de l’Arquebuse fêtera son existence le jour de la célébration monarchique. Ce lien avec le roi est lisible aussi dans les emblèmes : lorsque la compagnie de Noyers fait refaire son drapeau, il porte d’un côté les armes royales, de l’autre les armes du jeu. Le protecteur naturel du jeu, la ville, a disparu.
19D’autres éléments pourraient être retenus et étudiés comme les « habillements uniformes » qui s’imposent lentement au cours du siècle, les repas de fêtes et leurs coûts, les itinéraires cérémoniels, etc. Je me contenterai de relever la lenteur du jeu, autre caractère révélateur. Le tir s’effectue, selon l’ordre d’entrée dans la compagnie; chaque coup est consigné; ainsi sait-on qu’à Meaux, en 1717, on a tiré 2 364 coups. Lorsque chacun a déchargé son fusil, on dit qu’une volée a été tirée. Il en faut toujours plusieurs pour abattre l’oiseau, et, même dans une petite compagnie, comme celle de Noyers-sur-Serein, il arrive qu’il faille plusieurs journées d’exercice, de huit heures à la nuit tombée, pour y parvenir, et il est fréquent que l’oiseau ne tombe qu’à la quatrième volée qui ne se tire que le lundi matin. L’exemple est loin d’être isolé, il est même arrivé à ChâtillonsurSeine en 1743 que l’on mette six jours pour abattre l’oiseau, une semaine de grand vent. Cela interroge sur les rythmes de la vie d’autrefois... et sur leurs changements. Un mémorialiste langrois n’explique-t-il pas que « la dépense qu’occasionnoit ce jeu et le tems qu’il faisoit perdre à ceux qui étoient de cette association l’ont fait tomber » [25] ?
Qui étaient les archers, arbalétriers et arquebusiers ?
20Dans une partie des compagnies, le nombre des chevaliers est limité, notamment dans les compagnies privilégiées. Il en était ainsi à Paris. Selon les textes publiés par Nicolas Delamarre, les archers-gardes de Paris sont issus de trois créations successives : soixante arbalétriers en 1410, cent vingt archers en 1437 et cent arquebusiers en 1523 ; l’ensemble a été ensuite réuni et porté à trois cents membres par lettres patentes de 1690 [26].
21Dans de nombreuses autres villes, ce nombre était libre. Bien que l’on ait relevé une cotisation annuelle et bien que tous les chevaliers aient été tenus de participer aux cérémonies urbaines, on ne connaît pas toujours le nombre exact des archers, arbalétriers ou arquebusiers, faute de listes. Selon la dimension des villes (et plus probablement l’ancienneté et la réputation du jeu), les compagnies pouvaient avoir des tailles très diffé-rentes. La lecture de la géographie déjà consultée montre que coexistent des compagnies nombreuses comme celles de Villefranche-sur-Saône qui comptent quatre-vingt-quinze archers et cent trente-cinq arbalétriers, et de très petites associations comme à Nesle où il y a douze chevaliers ou Roye riche de vingt-deux chevaliers [27].
22On est assez bien renseigné, par contre, sur la composition sociale des compagnies par les mentions d’admission de chevaliers qui étaient géné-ralement bien tenues et donnent des indications professionnelles dans la majorité des cas. Les membres devaient, rappelons-le, être cooptés et souvent parrainés ce qui laisse supposer une grande homogénéité sociale des compagnies.
23On peut douter qu’elle ait toujours existé. Daniel Ligou a essayé pour les arquebusiers de Dijon de donner les caractéristiques sociales des recrutements [28]. La documentation l’a amené à faire une césure en 1742, dans les quelques 450 enrôlements du XVIIIe siècle, et il conclut à une évolution. Avant la date charnière, il constate la présence de quarante gentilshommes et écuyers, vingt-six officiers du roi appartenant aux cours souveraines, trente-trois bourgeois, quarante personnes issues des milieux que nous dirions à talents exerçant majoritairement des professions à dominante juridique (avocats, procureurs, notaires) et cinquante-six marchands. Un milieu finalement divers, tenant à ce que la ville a de plus prestigieux et au monde marchand, qui trouvent là une occasion de rencontre finalement peu fréquente dans un cadre officiel. Après 1742, les recrutements changent, la noblesse pèse de moins en moins ainsi que la magistrature; l’arquebuse devient l’affaire des bourgeois, des gens à talent et des marchands dont les spécialités sont désormais souvent indiquées. Cela n’avait pas échappé à un observateur du temps, qui écrit « L’exercice de l’Arquebuse est de plus en plus mêlé, il y a des bourgeois, des officiers inférieurs de justice et des artisans », l’appréciation est sévère et confond marchands et gens de métiers, mais elle est globalement exacte sauf en ce qui concerne les artisans qui ne sont pas admis.
24A Noyers-Sur-Serein [29], petite ville de Bourgogne, lors de la fondation, il n’y a guère que treize associés, des entrées assez régulières permettent d’atteindre aux meilleurs moments une vingtaine de participants. Les registres fiscaux permettent de situer les arquebusiers dans la société urbaine. Nous disposons de ceux des vingtièmes qui, pour la Bourgogne, ne sont pas significatifs pour la richesse parce que l’impôt est établi par grandes catégories professionnelles et varie peu, mais qui comportent les indications de métier ou d’état. Les registres des tailles qui auraient été beaucoup plus parlants ont disparu. Les nobles n’apparaissent que comme protecteurs ou comme officiers (capitaines, lieutenants et enseignes) à moins qu’ils ne soient de simples chevaliers de Saint Louis. L’essentiel des membres de la compagnie est constitué par un groupe étroit des notables du tiers état, un médecin, trois chirurgiens, cinq bourgeois, un notaire, deux commerçants, et un marchand de bois, deux tanneurs et un cordier. Les officiers, cependant nombreux dans cette petite ville bien dotée en sièges de justice, sont rares et n’appartiennent pas aux tribunaux les plus renommés.
25On peut conclure qu’il existe des caractéristiques sociales assez précises du groupe des chevaliers, particulières à chaque ville, mouvantes en fonction des groupes fondateurs ou des cooptations. Elles ont été sans doute renforcées par certains règlements qui, comme ceux de ChâtillonsurSeine ou de Villefranche-sur-Saône, prévoyaient que les chevaliers ne pourraient être choisis que parmi les gentilshommes, officiers de judicature et de finances, les avocats, les notaires et procureurs, les arpenteurs, bourgeois, marchands-orfèvres, chirurgiens, apothicaires, tanneurs et imprimeurs, qui excluaient donc les artisans et réservaient les places aux principaux habitants, encore si mal connus et si difficiles à caractériser, et ce, dans toute l’étendue des hiérarchies urbaines. Ce groupe, qui transcende les ordres ou les classifications fines établies à partir de documents comme le tarif de la capitation, est un reflet de la conception que se font les municipalités de la dignité de leur ville.
26Dans les villes où existent plusieurs compagnies militaires, il conviendrait aussi de comparer les compositions des différentes compagnies. On pourrait s’attendre à ce que les plus connus, ceux qui disposent des grands prix – les arquebusiers – aient un recrutement plus relevé, à la mesure de la réputation de leur jeu. L’exemple de Dijon amène à en douter. La compagnie du Noble Jeu de l’Arc de Dijon, étudiée par Véronique Berthaut [30], a recruté en deux cents ans 40 % de gens de justice, 9% d’artisans et de marchands et 7% de nobles. Au cours du XVIIIe siècle, à l’inverse de ce qui se passe pour l’Arquebuse, le recrutement des avocats, procureurs et officiers de justice du roi s’amplifie, architectes et employés des Etats apparaissent; la compagnie recrute dans un milieu de plus en plus étroit, évacuant marchands et bourgeois. Est-ce une exception ?
27Ajoutons enfin que le recrutement est plus clairement lié à l’estime sociale qu’à la fortune. Les droits de réception tournent souvent autour de 10 livres auxquelles, il est vrai, il faut ajouter des frais accessoires importants. La participation aux frais du tir à l’oiseau, c’est à dire pour l’essentiel au banquet, est à 6 livres à Noyers-sur-Serein, à 11 livres à Dijon, ce qui semble un prix courant d’après les annotations d’André Blanc accompagnant la publication de la pièce de Dancourt Le prix de l’Arquebuse (1717) où l’un des éléments comiques de la pièce est précisément l’enflure de la cotisation jusqu’à 60 livres.
28Enfin les jeux sont partout dits « bourgeois ». Le terme peut étonner puisqu’ils accueillent une proportion non négligeable de gentilshommes et que les officiers élus appartiennent aux meilleures familles, celles qui sont capables de cautionner et de parrainer le jeu, sont généralement nobles. Ce terme signifie simplement que le jeu est urbain. Il est une des expressions des prérogatives municipales. L’intime liaison est claire dans cet extrait du mémoire de l’intendant du Lyonnais à propos d’une de ces compagnies privilégiées nées des jeux militaires : « Il y a encore une compagnie de deux cens arquebusiers, avec un capitaine à la nomination du Consulat sans provision du roy. Ce sont proprement les gardes de l’Hostel de Ville. Ils sont déchargez du guet et garde, mais sujets à faire cortège au Consulat dans les cérémonies à aistre toujours prest à marcher pour l’exécution de ses ordres » [31]. Dans les exemples déjà cités, à Aix-en-Provence, à Langres, les mairies ont essayé de soutenir autant que possible leurs jeux, au besoin en finançant leurs activités. Les compagnies sont citées dans les descriptions des villes avec les milices et les gardes; avec celles ci, elles font partie des processions urbaines à un rang qui varie tantôt avant elles [32], tantôt, comme en Bourgogne, à la suite d’une décision générale du gouverneur, le prince de Condé, en 1730, derrière elle. A Aix-en-Provence, le vainqueur de l’oiseau approche de plus près encore le corps municipal, puisqu’il marche sur le même rang que le dernier consul.
29Mais cet appui, qui n’est d’ailleurs pas absolument général, n’a pas suffi. Le XVIIIe siècle est, pour les jeux militaires, un moment de difficultés que l’on peut probablement mettre en relation avec les propres difficultés qu’ont les municipalités à faire reconnaître leur importance à cette époque d’incohérence de la politique royale à leur égard après l’introduction des offices à partir de 1692.
La fragilité des jeux de l’arc, l’arbalète et l’arquebuse
30Les jeux de l’Arquebuse, en Bourgogne, connaissent, pour partie d’entre eux, des difficultés. Dans un précédent travail, j’avais fait le compte de ceux qui avaient disparu au cours du siècle dans les petites villes, là où ils étaient les plus fragiles. J’en avais trouvé treize sur vingt-cinq existants (ceux des bourgs n’ont pas mieux résisté, seuls demeurent ceux des cinq villes plus importantes); cela signifie qu’à peu près un exercice sur deux a disparu au cours du siècle [33].
31Noyers sur Serein, qui nous a déjà servi de témoin, peut illustrer cette fragilité car l’arquebuse y a eu une existence mouvementée. Le jeu est ancien, il a existé dès le XVIe siècle et dure jusqu’en 1690. Sa première suspension fait partie d’un mouvement plus général : les dernières années du règne de Louis XIV ont été des « années de misère » durant lesquelles de nombreux jeux, déjà tenus pour onéreux ont été suspendus. Leurs renaissances, avec des rencontres inter-provinciales, datent de la première décennie du nouveau siècle : Noyers ne fait pas exception. Selon cette chronologie, le jeu réapparaît en 1713, mais là, les difficultés propres à la ville jouent le rôle majeur; le jeu s’éteint en 1730 et revit entre 1762 à 1774. Le cas n’est pas unique, une compagnie de grande ville, comme celle d’Aix-en-Provence, connaît elle aussi des phases de sommeil et d’autres d’euphorie [34]. Cette persévérance est intéressante, car elle montre que les jeux, comme les collèges ou comme les hôpitaux, font partie de ce que l’on pourrait appeler une conscience urbaine; vivement souhaités, dans la mesure du possible ils ne disparaissent pas, ils sont mis en sommeil.
32Les crises qui conduisent aux fermetures viennent souvent de causes internes : nombre de compagnies, comme celle Noyers d’ailleurs, ont fermé leurs portes pour cause de ce que l’on appelait une « inimitié capitale entre les membres » qui se sont traduites par des rafales d’exclusions, laissant des sociétés exsangues.
33Mais d’autres éléments, extérieurs ceux là, ne doivent pas être sous estimés. On prend de moins en moins au sérieux ces compagnies qui n’ont plus d’utilité directe et paraissent surtout être le prétexte à des réunions de bourgeois et à des agapes. Toutes les études sur le recrutement des compagnies et de leurs officiers concluent de façon semblable : les recrutements se font dans des milieux de moins en moins prestigieux.
34Les jeux militaires passent souvent, comme la notice de l’Encyclopédie citée en début d’article le laisse entendre, pour un amusement de bourgeois. Dans ces conditions les privilèges accordés aux rois et empereurs ne peuvent plus guère se justifier, et se fragilisent alors qu’ils ont besoin d’être régulièrement confirmés. À la suite de son informateur R. de Hesseln écrit à propos de Sézanne : « autrefois on réduisait la cote de sa taille à cinq sols. Ce privilège, nonobstant l’ancien usage fondé sur le consentement général des habitants, n’a plus lieu, faute de nouvelles lettres de confirmation » [35].
35Les intendants sont de plus en plus hostiles aux exercices. Les notes préparatoires concernant les autorisations de jeux écrites dans les bureaux de l’intendance de Bourgogne sont formelles « ces jeux ne sont plus d’aucune utilité » lit-on à propos de celui de Semur-en-Auxois, « les compagnies de l’arquebuse sont toujours onéreuses aux habitants des villes par les dépenses qu’elles entraînent » à propos de Cluny; à Flavigny, l’accusation se précise encore « une partie des notables avec les officiers municipaux se fit faire ou pour mieux dire se firent eux-mêmes le cession de cette Maison Rouge pour faire un jeu de l’Arc pour s’amuser et se divertir... ». Ce qui motive les critiques des intendants c’est que les villes paient pour le tir à l’oiseau, qu’elles le subventionnent régulièrement par des réparations au pavillon et par des aménagements des champs de tir, donc qu’elles font payer indirectement aux pauvres imposés l’exemption fiscale accordée aux rois et aux empereurs, le tout pour le plaisir d’un petit nombre de bourgeois. A chaque occasion, lorsqu’un jeu cherche à se reconstituer, lorsqu’une ville veut aider sa compagnie, les intendants du second XVIIIe siècle refusent ou n’accordent d’autorisation que contre l’abandon de l’exemption fiscale et de tout financement municipal. Les subdélégués, eux-mêmes, portent des jugements sévères sur ce délassement qui paraît d’un autre âge : celui d’Auxonne est l’un des plus précis : « la consistance qu’a depuis acquis le service des troupes réglées a détruit et anéanti l’utilité de ces Compagnies qui ne sont plus dans le fait qu’un amas de gens de tous ordres qui, sous le prétexte des privilèges accordés à leurs prédécesseurs, se réunissent pour consommer, le plus souvent, le plus clair de leur revenu et pour en tout temps former un corps distinct et séparé du restant de la société, soit par leurs projets, soit par leurs manœuvres » [36]. Si l’on ajoute que les compagnies disposent de vastes terrains d’exercice, fort enviés à cette époque d’expansion générale des villes, on comprendra la vulnérabilité des jeux militaires.
36A ces reproches quelles réponses ? Comment les chevaliers parlent-ils d’eux ? Les réponses qu’ils font lorsque leurs jeux sont attaqués sont modestes. Ils opposent d’abord les textes de fondation, les lettres patentes royales, les témoignages anciens de satisfaction, ils partagent là un état d’esprit propre à l’ancien régime fondé sur le prestige des titres anciens et leur légitimité indéfinie, renforcée par leur ancienneté.
37Puis, ils se réclament de leurs protecteurs, les gouverneurs et leurs lieutenants, et voient dans les jeux l’occasion de se rapprocher d’eux et d’être honorés d’une protection qui les cautionne. L’appartenance à une compagnie vaut alors, selon eux, brevet de respectabilité suffisamment solide pour créer des jalousies. De plus, par cette démarche, ils se rapprochent des autorités militaires, ils rappellent leur vocation première. D’autres comportements expriment ce besoin de se relier à l’armée, de participer à son prestige. Les arquebusiers, notamment, ont, assez tôt dans le siècle, adopté des uniformes passionnément décrits dans les relations des grandes rencontres inter-provinciales et soigneusement préparés à en croire les registres de délibérations. Ces vêtements suivent l’évolution du costume militaire, passant du blanc-gris bordé d’argent à des couleurs vives (rouge, bleu, vert) soulignées d’or, se rapprochant donc des troupes de la Maison du Roi. Au long du siècle se développe parallèlement une véritable passion pour les ornements du costume : broderies, aiguillettes, épaulettes, brandebourgs, pattes d’oie. Ces uniformes permettent progressivement aux gouverneurs de montrer leur influence; les uniformes se mettent à leurs couleurs ou plutôt à celles de leurs régiments. Malheureusement pour les chevaliers, les officiers de l’armée royale s’offusquèrent des ressemblances et Louis XVI prit plusieurs dispositions, dont l’interdiction des épaulettes dans l’importante ordonnance royale sur l’uniforme du 30 décembre 1786, qui, à la différence des précédentes, fut appliquée. Le rejet fut rudement ressenti. André Corvisier cite la réaction des officiers de la milice de Nantes : « ils se sont crus avilis s’ils portaient un uniforme sans ces marques distinctives » [37]. Le rôle militaire reste en sommeil, les apparences doivent en témoigner.
38Pour le reste, les chevaliers décrivent leurs activités comme des occupations honnêtes et licites, un jeu au sens plein et surtout, face aux autres jeux, notamment de hasard, souvent dangereux ou condamnés, un jeu honnête, « un petit amusement, un plaisir innocent » qui est aussi un spectacle pour leurs concitoyens. Cette dernière justification contredit l’aspiration à se fondre dans le monde militaire et contribue sans doute à brouiller la claire définition des compagnies, accélérant leur discrédit. Mais ces propos reclassent les tirs dans un autre univers, celui des jeux. Parviennent-ils à s’y situer clairement ?
Entre armée et théâtre
39Une réponse complète exigerait de très longues recherches. Tout au plus puis-je indiquer quelques pistes de départ.
40Du côté des dictionnaires, d’abord, il y a une réponse. La rubrique « jeux » du Dictionnaire de Trévoux est éclairante : elle les classe en de multiples catégories, dont les jeux de hasard, les jeux d’exercice et les jeux scéniques. Le classement des jeux de l’Arquebuse et de l’Arbalète peut surprendre car ils ne figurent pas parmi les jeux d’exercice, mais parmi les jeux scéniques, avec les exercices publics des collèges. Cela incite à la réflexion et amène à penser que le côté ritualisé et civique des tirs (qui pouvaient évoquer les distributions des prix) avait définitivement déraciné toute idée d’efficacité militaire.
41Que restait-il alors aux compagnies ? Un mot, étonnant, se rencontre plusieurs fois sous la plume de ceux qui écrivent à propos des jeux : celui de gymnastique. Ainsi la relation de la rencontre du grand prix de Tournus de 1754 est titrée Les étrennes gymnastiques [38]. Que pouvait signifier le terme pour les contemporains ? Une rapide recherche lexicale confirme la jeunesse du mot. Il n’apparaît que dans l’édition de 1740 du Dictionnaire de l’Académie française avec pour définition « l’art d’exercer le corps pour le fortifier » avec le rappel de l’excellence des Grecs dans ce domaine. Assez vite on distinguera des gymnastiques militaires, médicinales, agonistique (qui a trait au combat) [39]. La lecture du Dictionnaire de Trévoux [40], au mot gymnastique, complète ce tableau et montre une conception extrêmement large du phénomène puisqu’elle englobe les jeux comme le volant, le ballon, et même la promenade. En fin, clôturant l’énumération des mots dérivés, l’auteur a cru bon d’ajouter « tous ces mots sont nécessaires et d’usage dans les ouvrages d’érudition ». Le mot est donc nouveau; savant, assez obscur, il présente plusieurs avantages. Il permet de situer les jeux dans la tradition antique (et l’on sait le prestige de l’Antiquité sur l’étude de laquelle une bonne partie du savoir d’alors s’édifie). Le même mot contient par ailleurs explicitement la notion de préparation à la guerre à travers au moins deux des trois branches de la gymnastique, qui est, rappelons le, militaire et l’agonistique. Du coup, cela permet aux compagnies militaires de conserver un lien, savant et discret, avec l’art de la guerre dont elles ne peuvent plus se prévaloir ouvertement pour les raisons vues plus haut.
42Un dernier témoignage bourguignon peut venir compléter cette courte tentative de comprendre ce que pouvaient représenter les jeux de l’arquebuse pour leurs contemporains. En 1775, l’Académie de Dijon met au concours pour son prix de morale la question suivante : « Quels avantages les mœurs et la politique ont-ils retirés des exercices et des jeux publics chez les différents peuples et dans les différents temps où ils ont été en usage ? » Le mémoire gagnant, celui de l’abbé Lasserre fut imprimé [41]; les autres anonymes et manuscrits sont conservés dans les archives de l’Académie [42]. Tous forment un corpus à interroger.
43Le sujet semblait naturellement englober les jeux militaires. Or, il faut d’emblée constater qu’ils sont peu évoqués. Seul le mémoire gagnant de l’abbé Lasserre en parle explicitement et d’ailleurs les approuve pour leur inefficacité, car il écrit : « Sans doute devons nous nous féliciter de ce que les armes à feu, moins meurtrières que nous ne l’avions espéré, ont, en trompant nos vœux, secondé ceux de la nature, mais puisqu’elles sont adoptées par toutes les nations guerrières pourquoi ces compagnies qui se disputent l’honneur de lancer avec adresse des flèches, armes proscrites par l’usage, ne s’exerceraient-elles pas à lancer avec la plus grande justesse possible les foudres que renferment nos cylindres tonnants ? »
44L’ensemble des auteurs, par contre, remonte aux jeux antiques et certains leur donnent une postérité historique, les joutes et les tournois d’abord qui ne sont plus pratiqués au XVIIIe siècle, auxquels se sont substituées les aristocratiques courses de chevaux dont la mode se développait alors. Appliqués à la société contemporaine, les types de jeux correspondent à des codifications sociales assez claires : à la noblesse les courses de chevaux, aux bourgeoisies l’arquebuse et aux paysans l’arbalète. Le passage par la gymnastique semble avoir manqué son but pour assimiler les tirs à l’oiseau avec des jeux militaires. En revanche, le jeu est par essence bourgeois.
45C’est cette assimilation des compagnies aux villes qui leur a permis de retrouver, tardivement, un regain de confiance. Dans les dernières décennies de l’ancien régime, un véritable désir d’auto-administration apparaît, il est sans doute renforcé par la prudente politique de création d’assemblées provinciales et par la réforme municipale de 1787.
46Les volumes de l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke, consacrés à la jurisprudence, sont aussi inspirés par ce courant. Le tome IX examine la police et les municipalités; il est paru en 1789 mais il contient des analyses des situations d’ancien régime seulement. L’article « ville » de Démeunier insiste beaucoup, et avec nostalgie, sur la réforme Laverdy, abandonnée cependant depuis plus de vingt ans. Il prône ouvertement l’installation d’une administration élue et décrit la situation des municipalités comme une déchéance par rapport à l’époque des libertés communales. Les compagnies de l’Arquebuse bénéficient de ce nouvel état d’esprit. Sous l’arquebusier perce déjà le soldat-citoyen balayant la notion balbutiante de jeu sportif « L’on doit aujourd’hui regarder les compagnies d’Arquebuse comme une des moins inutiles de ces petites associations formées pour l’amusement des citoyens. Elles distribuent des armes parmi les bourgeois ce qui devient utile quelquefois, elles dressent la jeunesse aux armes, elles rappellent, d’une manière imparfaite à la vérité l’image du véritable citoyen qui après avoir travaillé aux arts, à la terre, etc. prend son épée et son bouclier pour s’accoutumer à combattre pour son pays. Qu’une pareille milice, perfectionnée dans son ensemble et ses parties, serait préférable à nos troupes mercenaires ! » [43]. Est-ce à ce retour en faveur qu’il faut attribuer la parution tardive d’un Almanach des Compagnies d’arc, d’arbalète et d’arquebuse en 1789 [44] ?
47Par la suite, évidemment, les événements se chargeront de redonner une actualité aux compagnies de tir lorsque durant l’été 1789, à la suite ou en prévision de la grande peur, les villes se mettront en défense. Les historiens trouvent facilement un rôle aux milices bourgeoises qui semblent s’être souvent [45] transformées en gardes nationales. Il est plus délicat de suivre les compagnies de jeu. Ont-elles donné des officiers aux gardes bourgeoises ? Ont-elles peuplé les régiments de volontaires jusqu’à ce qu’ils soient incorporés aux gardes nationales le 12 juin 1790 et le 29 septembre 1791, alors que leurs armes sont réquisitionnées par la loi du 8 juillet 1792 pour les chasseurs à pied ?
48La forte crise d’identité du siècle des Lumières, la transformation profonde de la société, la perte d’un statut officiel feront que les nouvelles sociétés de tir, parfois reconstituées clandestinement très tôt, n’auront plus le même visage que les sociétés anciennes même si leurs dirigeants aimeront se prévaloir des sociétés d’ancien régime. Ces anciens jeux militaires deviennent dès lors objets de folklore. Pourtant, au terme de ces quelques pages, on peut conclure qu’au XVIIIe siècle, la seule référence forte que les jeux conservent est celle d’une intime liaison à la bourgeoisie, donc à la ville. Les compagnies de tir à l’arc, à l’arbalète et à l’arquebuse sont un des champs à reconquérir pour une histoire urbaine des sociabilités et des réseaux d’influence dont les traces sont aujourd’hui rares et ténues.
Notes
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[1]
Robert de Hesseln, Dictionnaire universel de la France, Paris, Desaint, 1771,6 vol., à propos d’Amiens. Selon le même auteur, il y avait des « canonniers et arquebusiers » à Dieppe.
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[2]
André Corvisier, « Quelques aspects sociaux des milices bourgeoises au XVIIIe siècle », Villes de l’Europe méditerranéenne et de l’Europe occidentale du moyen-âge au XIXe siècle, Actes du colloque de Nice, 27-28 mars 1969, Annales de la faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, no 9-10,3o et 4o trimestre 1969, p. 241-278. A partir des milices bourgeoises, l’auteur aborde les milieux particuliers liés à la défense des villes, les compagnies d’arquebusiers et de canonniers dérivées des anciens jeux militaires et qui en ont gardé le nom.
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[3]
Denis Diderot, Jean Le Rond d’Alembert, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, arts et des métiers par une société de gens de lettres, Paris, Neufchâtel, 1751-1772,28 vol., t. 1, p. 703.
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[4]
Robert de Hesseln, op. cit. note 1, cite les chevaliers d’Amiens, Avesnes, Caen, Compiègne, Concarneau, Dieppe, Doullens, Montdidier, Montreuil-sur-Mer, Nesle, Port Louis, Roye, Saint Etienne, Sainte-Menehould, Saint-Symphorien-le-Château, Sézanne, Soissons, Troyes et Villefranche sur Saône.
-
[5]
Georges Duby (sous la direction de), Histoire de la France urbaine, notamment le tome 3, La ville classique sous la direction d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris, Seuil, 1981.
-
[6]
Voir, par exemple, Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand-Colin, 1978, François Bluche, Dictionnaire du grand siècle, Paris, Fayard, 1990 ou Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, 1996.
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[7]
Cette situation avait déjà été soulignée par Maurice Agulhon, « Un document sur le jeu de l’Arquebuse à Aix à la fin de l’ancien régime », Le jeu au XVIIIe siècle, colloque d’Aix-en-Provence, 30 avril-2 mai 1971, Aix-en-Provence, Edisud, 1976, p. 79-94. L’auteur écrit (p. 79) : « Le jeu a été longtemps – il l’est très souvent encore – l’exemple parfait du sujet historique marginal, laissé aux érudits locaux sans lien avec l’histoire générale, laissé aux folkloristes et aux ethnologues sans lien avec l’histoire classique ». Pourtant il n’est pas mieux considéré dans Jeux et Sports, Encyclopédie de la Pléiade, sous la direction de Roger Caillois, 1967. Si les jeux de quilles sont traités en un chapitre entier, on ne retrouve nos compagnies que dans la partie « sport dérivé idéalisé de la guerre », et leur sort est réglé dans la phrase introductive au chapitre sur le tir sportif : « Certaines de nos vieilles sociétés de tir peuvent faire état d’origines remontant à plusieurs siècles ayant été successivement compagnies d’archers, d’arbalétriers, d’arquebusiers avant de connaître leur forme actuelle. Quelques unes ont déjà célébré leur centenaire, se classant ainsi parmi les plus anciennes sociétés sportives, avec les sociétés de gymnastique », p. 1455. La bibliothèque du Musée des Arts et Traditions populaires contient une importante collection de documents sur les anciens jeux qui ont été étudiés dans plusieurs articles de la Revue des arts et traditions populaires.
-
[8]
Françoise Lamotte, « Les compagnies du papegay en Normandie », p. 39-47 et René Meunier, « Les arquebusiers de la confrérie de Sainte Barbe d’Aix-en-Provence », p. 79-91 dans « Jeux et sports dans l’histoire », Actes du 116e congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, Paris, 1992, section d’histoire moderne et contemporaine, t. 2, « Pratiques sportives ».
-
[9]
Pierre-Yves Beaurepaire, « La ville en jeu. L’évolution des jeux d’adresse à la fin de l’Ancien Régime : un processus de folklorisation et de marginalisation sociale ? », Le peuple des villes dans l’Europe du Nord-Ouest de la fin du Moyen-Age à 1945, CHRENO, Université Charles de Gaulle Lille III, 22-24 novembre 2001, actes à paraître. Je remercie vivement Monsieur Beaurepaire de m’avoir permis de prendre connaissance de ses travaux en cours.
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[10]
Outre les bibliographies classiques, on peut utiliser Géry Bonjean, La bibliographie de l’archerie, Saint-Egrève, Emotion primitive, 2000. Ce livre recense des ouvrages anciens ou récents sur l’histoire et les techniques du tir à l’arc. Les couvertures des livres et opuscules cités sont reproduites.
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[11]
Albert Babeau, La ville sous l’ancien régime, Paris, 1880, réédition Paris, l’Harmattan, (« Les introuvables ») 1997, t. II, p. 55 à 77.
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[12]
Cette géographie serait tout de même conforme à l’ancienneté et à la densité de l’implantation des compagnies en Picardie et Valois. Voir, sur ce point, Yves-Marie Bercé, Fête et révolte. Des mentalités populaires du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1976, p. 107.
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[13]
Michel Cassan (sous la direction de), Les officiers « moyens » à l’époque moderne, Limoges, PULIM, 1997.
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[14]
Voir Statuts et règlements généraux pour toutes les compagnies du noble Jeu de l’Arc et de Confréries de Saint Sébastien, 1748, recueil factice, Bibliothèque nationale (B.N.), 16 WZ-1331. Un autre exemple est donné dans le dictionnaire de Delamarre à propos des exemptions des archersgardes de Paris, formés des compagnies d’arbalétriers, archers et arquebusiers de la ville. L’auteur cite le maintien d’une exemption de droits sur le vin « à l’instar de Rouen et de Tournai » dans un édit de 1690. Nicolas Delamarre et Lecler du Brillet, Traité de la police, Paris, 2e éd. 1779-1788,4 vol., t. 3, p. 745.
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[15]
Anciens noms du perroquet.
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[16]
Par exemple à Avesnes « Il y a dans cette église une ancienne confrairie sous le nom de Saint Jean Baptiste composée d’un roi, d’un maître, d’un connétable et de plusieurs confrères. Cette confrairie a été érigée en compagnie des Chevaliers de l’Arquebuse par lettres patentes du Roi en décembre 1715. Ces chevaliers tirent tous les ans, la veille de Saint Jean Baptiste, à l’oiseau avec des fusils, il y a une récompense pour celui qui est roi », Robert de Hesseln, op. cit., note 1, t. 1, p. 267. Ce sont souvent des confréries de Saint Sébastien qui deviennent des compagnies de jeux.
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[17]
Voir Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1923, article « Arquebusiers » qui mentionne le privilège, accordé par arrêt du Conseil du 14 juin 1729 aux arquebusiers de Laon, pour ceux qui auraient abattu l’oiseau trois années de suite, d’être, et leurs veuves après eux, exempts de toutes impositions, droit de tutelle, curatelle, logement de gens de guerre. Dans le même article il est question de l’exemption bretonne « d’impôt et de billot », c’est-à-dire de l’impôt royal sur les barriques de vin, bière, cidre et poiré. On retrouve de pareilles notations dans le livre de R. de Hesseln (op. cit., note 1) publié en 1771 : les exemptions bretonnes (à Concarneau et Port Louis) sont évaluées à la franchise d’octroi sur soixante barriques de vin « pendant une année seulement ». A Sézanne, en Champagne, l’avantage est proche, « droit de sa royauté de vendre et consommer tout le vin de son cru sans en payer aucun droit ». A Villefranche-sur-Saône une exemption fiscale (taille, autres charges et impositions publiques) proche de celles rencontrées en Bourgogne est mentionnée, alors qu’à Dieppe les récompenses sont variées, de la vaisselle d’étain pour les exercices dominicaux, cent cinquante livres à prendre sur les octrois de la ville pour celui qui abat l’oiseau, à charge pour lui de donner soixante livres au vainqueur du prix de la butte. Tous les chevaliers de la ville sont, en outre, exemptés de tutelle, curatelle et logement des gens de guerre. A Avesnes, on indique seulement l’existence d’une récompense sans plus de détails.
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[18]
Christine Lamarre, « Le costume rutilant : les chevaliers des jeux militaires urbains au XVIIIe siècle en Bourgogne », dans Vêture et pouvoir, actes du colloque des 19-20 octobre 2001, Albi, à paraître.
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[19]
En 1715, dix-huit villes ont permis à 612 chevaliers de se réunir (Relation du prix de 1715, Dijon, Defay, 1715). En 1754, à Tournus comme en 1778 à Beaune il y eut quinze compagnies participantes; Etrennes gymnastiques pour l’année 1754, Dijon, Desaint, 1754,72 p.; pour la dernière rencontre : Relation du grand prix rendu à Beaune en août 1778, [par Courtépée], Dijon, Causse, 1779; voir aussi Description champêtre et rimée du prix dédié à MM. Les chevaliers de Beaune qui l’ont rendu à MM. de l’arquebuse de Mâcon, qui l’ont remporté le 27 août 1778, La Haye, aux dépens des libraires associés, 1778; Description de ce qui s’est passé à Beaune à l’occasion du prix de l’arquebuse rendu par MM. Les chevaliers de Beaune le 27 août 1778 et remporté par MM. Les chevaliers de Mâcon par Chevignard de la Pallue, Amsterdam, Marc-Michel Rey, 1779.
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[20]
Florent Carton-Dancourt, Comédies, t. II, texte établi, présenté et annoté par André Blanc, Paris, Beauchesne, 1989.
-
[21]
Relation du prix de 1715, op. cit.
-
[22]
Daniel Ligou, « Les chevaliers de l’Arquebuse à Dijon au XVIIIe siècle », Le jeu au XVIIIe siècle, colloque d’Aix-en-Provence, 30 avril-2 mai 1971, Aix-en-Provence, Edisud, 1976, p. 69-78. Plus récemment, à propos d’un autre jeu, voir Véronique Berthaut, « Sport et société : le manuscrit du jeu de l’Arc de Dijon », Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Dijon, t. 134,1993-1994, p. 187-199 et du même auteur « Le jeu de l’Arc de Dijon », Annales de Bourgogne, t. 67,1995, p. 149-192 qui présentent le manuscrit d’admission.
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[23]
Daniel Ligou, op. cit., note 22, p. 73.
-
[24]
Bibliothèque municipale de Dijon (BMD), ms. 1878,1879. Ernest Petit, « Les chevaliers du noble jeu de l’Arquebuse de Noyers », Annuaire historique du département de l’Yonne, 1868, p. 212-215, s’intéresse à la reconstitution du jeu entre 1713 et 1731.
-
[25]
Delecey de Récourt, Histoire de Langres, 1782,3e partie p. 24-28, cité par Georges Viard, Tradition et lumières au pays de Diderot, Langres au XVIIIe siècle, Langres, Société historique et archéologique de Langres, 1985, p. 297.
-
[26]
Nicolas Delamarre, op. cit., note 12, Paris, 1738, t. 3, p. 735 et suivantes. Les principaux actes royaux de création des compagnies et de confirmation des privilèges sont cités dans le livre consacré aux approvisionnements. A Rouen les chevaliers sont 104; Privilèges de la compagnie des 104 arquebusiers de la ville de Rouen, Rouen, de l’imp. d’Etienne-Vincent Machuel, 1774.
-
[27]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, respectivement t. VI, p. 612, t. III, p. 655 et t. V, p. 655. Roye et Nesle sont en Picardie.
-
[28]
Daniel Ligou, art. cit., note 20.
-
[29]
Christine Lamarre, « Le jeu de l’Arquebuse à Noyers-sur-Serein », 10e congrès de l’Association bourguignonne des Sociétés savantes, Langres, 2000 (à paraître).
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[30]
Voir note 22.
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[31]
Jean-Pierrre Gutton (sous la direction de), L’intendance de Lyonnais, Beaujolais, Forez en 1698 et en 1762, édition critique du mémoire rédigé par Lambert d’Herbigny et compléments de la Michodière, Paris, CTHS, 1992, p. 122
-
[32]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, à propos de Sézanne : « la compagnie des arquebusiers [...] précède en toutes assemblées et cérémonies publiques, la milice bourgeoise de la ville et elle a été maintenue dans ce privilège par une ordonnance de Louis XIV, du 26 janvier 1715, confirmative de celle du Prince de Rohan, alors gouverneur général des provinces de Champagne et de Brie du 15 décembre 1714 ». On se souvient que c’est sous la présidence de ce gouverneur que le grand prix de Meaux s’est tenu.
-
[33]
Christine Lamarre, Petites villes et fait urbain en France au XVIIIe siècle. Le cas bourguignon, Dijon, EUD, 1993, p. 331-334.
-
[34]
Maurice Agulhon, art. cit., note les périodes fastes 1611-1629,1686-1693 (elles sont l’objet de l’article de René Meunier, art. cit., note 8) alors que le XVIIIe siècle dans son ensemble ne paraît guère florissant.
-
[35]
Robert de Hesseln, op. cit., note 1, t. 6, p. 261.
-
[36]
Archives départementales de la Côte d’Or, C 714, C 1668, Archives départementales de Saône-et-Loire, C 229.
-
[37]
André Corvisier, op. cit., note 2, p. 251.
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[38]
Etrennes gymnastiques pour l’année 1754, Dijon, Desaint, 1754,72 p.
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[39]
Le mot gymnaste et l’adjectif gymnastique ont été employés plus tôt, dès le XVIe siècle dans des contextes évoquant l’Antiquité ou dans les œuvres d’imagination; ainsi l’écuyer de Gargantua, qui participe aux exercices physiques exceptionnels du héros, chez Rabelais, s’appelle-t-il le Gymnaste.
-
[40]
Dictionnaire de Trévoux, édition de 1760, t. 7, p. 3701-3702.
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[41]
Abbé Lasserre, Discours sur les jeux et exercices publics, ouvrage qui a remporté en 1775 le prix de belles lettres proposé par l’Académie de Dijon, Dijon, Causse, 1775.
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[42]
Archives de l’Académie des Sciences, Arts et Belles Lettres de Dijon, archives non classées, en dépôt à la bibliothèque municipale de Dijon. Les concurrents ne sont pas identifiables, chaque texte n’est désigné que par une lettre de l’alphabet.
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[43]
Encyclopédie méthodique, jurisprudence, t. IX contenant la police et les municipalités, Paris, Liège, 1789, art. « arquebusiers », p. 349-350.
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[44]
Henri-François Pelletier, Almanach des Compagnies d’arc, d’arbalète et arquebuse ou Les muses chevalières pour l’année 1789, Paris, Au Champ de Mars, 1789,131 p. L’ouvrage, très favorable aux compagnies de jeux, entendait étendre une histoire surtout parisienne à la province.
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[45]
Parmi les exceptions on pourrait citer le Limousin de Paul d’Hollander où la création de la garde nationale se fait rarement à partir de la milice d’ancien régime sauf pour Aubusson et peutêtre Limoges; voir « Les gardes nationales en Limousin » (juillet 1789-juillet 1790), Annales historiques de la Révolution française, no 290, octobre-décembre 1992.