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Article de revue

Ville arabe et modernité administrative municipale : Tripoli (Libye actuelle), 1795-1911

Pages 149 à 167

Notes

  • [1]
    Stéphane Boissellier, Naissance d’une identité portugaise. La vie rurale entre Tage et Guadiana de l’Islam à la Reconquête (Xe -XIVe s.), Imprensa Nacional, Casa da Moeda, 1999.
  • [2]
    Par exemple : Marino Barengo, L’Europa delle città. Il volto della società urbana europea tra medioevo e Età moderna, Turin, Einaudi, 1999,1039 p. Denis Menjot, Manuel Sanchez Martinez (dir.), La fiscalité des villes au Moyen Âge (Occident méditerranéen), Fontenay-aux-Roses-Toulouse, Ens-Privat, 1996,540 p. Claude Petitfrère (dir.), Patriciats urbains de l’Antiquité au XXe s., Tours, Cehvi, 1999. Danilo Zardin (dir.), Corpi, « fraternità », mestieri nella storia della società europea, Rome, Bulzoni, 1998,376 p. Revista d’Historia Medieval, 7,1996, Dossier « La gènesi de la fiscalitat municipal (segles XII-XIV) », Furiò Antoni (dir.). Articles de B. Chevalier, D. Menjot, A. Collantes de Teran, E. Garcia Fernandez, P. Ort?` Gost, J-V Garcia Marsilla, A. Mira, P. Viciano. Revista d’Historia Medieval, 9,1998, Dossier « Oligarqu?`as politicas y élites economicas en las ciudades bajomedievales (siglos XIV-XVI) », R. Narbona (dir.). Articles de J.C Mart?`n Cea, J.-A. Bonach?`a, M. Vaquero Pineiro, P. Corrao.
  • [3]
    Voir à ce sujet : Catherine Coquery-Vidrovitch, Odile Goerg (dir.), La ville européenne outremer : un modèle conquérant ? ( XVe - XXe siècles), Paris, L’Harmattan, 1996,301 p. Nora Lafi, « Ottoman Reexporting of Western Concepts and Technics in its Provinces : Tripoli 1868-1911 » dansNasr et Volait, Imported vs Exported Urbanism, Londres, Spon, à paraître en2001. Suraya Faroqhi, Approching ottoman history. An introduction to the sources, Cambridge University Press, 1999,262 p. Sur les problématiques ottomanes : Cyril Black, Carl Brown (dir.), Modernization in the Middle-East. The Ottoman Empire and its afro-asian successors, Princeton, Darwin Press, 1992,418 p. Hasan Kayali, Arabs and Young Turks, Ottomanism, arabism and islamism in the Ottoman Empire. 1908-1918, Berkeley, University of California Press, 1997,253 p. Pour les rapports entre le Maghreb et la métropole stambouliote, y compris au début du XXe siècle : Andreas Tunger-Zanetti, La communication entre Tunis et Istanbul, 1860-1913. Province et métropole, Paris, L’Harmattan, 1996,300 p.
  • [4]
    Daniel Sperber, The City in Roman Palestine, Oxford University Press, 1998,200 p., p. 36-37. L’auteur montre également, en référence au Talmud, que l’agronimon shel medina, en charge de l’approvisionnement en blé, était à la tête de l’administration urbaine.
  • [5]
    Marino Berengo, op. cit.
  • [6]
    André Raymond, Artisans et commerçants au Caire au XVIIIe siècle, Damas, 1974. Olivia Remie Constable, Trade and Traders in muslim Spain. The commercial realignment of the Iberian peninsula 900-1500, Cambridge University Press, 1994,320 p., p. 135.
  • [7]
    On peut voir ainsi : Nelly Hanna, Making big money in 1600. The life and times of Isma’il Isma’il Abu Taqiyya, egyptian merchant, Syracuse University Press, 1998,219 p. Dina Khoury Rizk, State and provincial society in the Ottoman Empire. Mossul, 1540-1834, Cambridge University Press, 1997,253 p.
  • [8]
    Dror Ze’evi, An ottoman century. The district of Jerusalem in the 1600’s, State University of New-York Press, 1996,258 p., p. 154 et suivantes.
  • [9]
    On peut voir à ce sujet : Pascale Ghazaleh « The Guilds : between tradition and modernity » dans Nelly Hanna, The State and its Servants, American University in Cairo Press, 1995,128 p., p. 60-74. Houari Touati, « Les corporations de métiers à Alger à l’époque ottomane », Revue d’Histoire du Maghreb, 1987, p. 267-292. Miriam Hoxter, « Taxation des corporations professionnelles d’Alger à l’époque turque », ROMM, 1983, p. 19-39.
  • [10]
    Franck Mermier, Le cheick de la nuit. Sanaa : organisation des souks et société citadine, Arles, Sindbad-Actes Sud, 1997,253 p.
  • [11]
    André Raymond, op. cit.
  • [12]
    En arabe, la ville s’appelle Tripoli d’Occident, Trablus al-Gharb. Maghreb désigne par ailleurs l’Ouest.
  • [13]
    Nous avons choisi, en raison essentiellement de la cohérence du corpus de sources en arabe, pour cet article d’examiner l’évolution des pouvoirs urbains de 1795 à l’occupation italienne. Pour les périodes antérieures, nous possédons de nombreux indices de l’existence des charges urbaines étudiées, mais tant la continuité que la consistance des pouvoirs sont plus difficiles à restituer à cause de lacunes dans la documentation.
  • [14]
    Voir, par exemple Lisa Anderson, The State and Social transformation in Tunisia and Libya, 1830-1980, Princeton University Press, 1986,325 p. et Anne-Laure Dupont, « Les Ottomans dans les consciences arabes à la fin du XIXe siècle (1880-1914) », communication présentée au colloque sur Les relations entre l’Europe centrale et l’Empire ottoman à l’époque moderne ( XVII - XVIIIe siècles), Centre de recherches sur l’histoire de l’Europe centrale, Université de Paris-Sorbonne, sous la direction du professeur JeanBérenger, en Sorbonne, le 17 mars 1998 (à paraître).
  • [15]
    « Au moins » au sens où nous avons trouvé, en remontant jusqu’à cette époque, la preuve archivistique de l’existence et de la consistance des charges urbaines décrites ci-dessous, avec le nom de la fonction, l’étendue des attributions et le nom du titulaire.
  • [16]
    Nora Lafi, Tripoli de Barbarie, Genèse et pérennité de l’institution municipale, 1795-1911, Thèse de doctorat, Aix-en-Provence, 1999,642 p. L’importance et la consistance de ces institutions ont pu être démontrées par la lecture de sources en arabe dans les dépôts de Tripoli et d’Istanbul. De même, des chroniques en arabe de marchands de la ville font de nombreuses allusions au cheikh al-bilâd et à ses vastes attributions. Tripoli : Archives nationales libyennes, Dâr Mahfuzât bî Trablus (désormais DMT), Séries salj al-idâriyya. Istanbul : Basbakanlik Arçiv (désormais BA), série irede meclis-mahsu, Tripoli. Un écho plus ténu de l’importance de ces institutions se retrouve dans les archives européennes, à Nantes (Affaires locales du ministère des Affaires étrangères), Paris (Série CCC et A.F.III et IV du ministère des Affaires étrangères, AMAE), Aix-en-Provence, Londres ou Rome (Archivio Storico Diplomatico, désormais ASMAI).
  • [17]
    Sur ces quartiers, musulman et juif, voir Nora Lafi, Tripoli de Barbarie, op. cit.
  • [18]
    Voir par exemple, dans l’édition de la chronique d’un marchand, les épisodes suivants : Hasan Al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât al-lîbîya : 958-1248h./1551-1832, Tripoli, Manchûrât Jâmi‘ât al-Fâtah, Markaz Jihâd, 1984,977 p., p. 578, no 1498,21 zî al-qa’ada 1247h./1831.
  • [19]
    Cf. Ettore Rossi qui s’est appuyé sur le « Recueil » de Martens, II éd., VI p. 298 et suivantes. Ettore Rossi, Storia di Tripoli e della Tripolitania : dalla conquista araba al 1911, Rome, Istituto per l’Oriente, 1968,398 p., p. 264.
  • [20]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 337, no 575, jeudi 19 al-hâjja 1241 h./1825.
  • [21]
    « Le cheikh al-bilâd s’occupait de la réfection des murs de la ville et il mit à chaque tour de la médina et de l’extérieur un Agha et un tabj î». Hasan al-Faqih, Al-Yawmiyât al-lîbîya..., op. cit., p. 581, no 1506,30 zî al-qa’ada 1247h./1831. Il serait donc responsable de l’espace intra-muros, et des fortifications.
  • [22]
    A.M.A.E., Affaires locales, no 143,14-9-1850. Cet exemple est tardif, mais il semble que ce fonctionnement n’ait rien de nouveau à l’époque.
  • [23]
    B.A. Archives du Basbakanlik d’Istanbul, Dossier 64.
  • [24]
    Ce tableau est une synthèse des données recueillies dans les différents dépôts d’archives cités ci-dessus, et d’indications trouvées dans les chroniques de marchands. Toutes ces données doivent bien sûr être relativisées à la lumière de l’hypothèse que les cheikh al-bilâd n’étaient officiellement investis dans leurs fonctions qu’à la mort de leur prédécesseur, ce qui, pour le cas de b. Latîf changerait tout dans le décompte, puisqu’il aurait ainsi exercé la fonction de fait pendant quinze ans, dont une année seulement avec le titre officiel.
  • [25]
    Hasan al-Faqih, op. cit., no 1275 et 1277, p. 526-527.
  • [26]
    Un ouvrage tentant de rompre avec cette imagerie, et de présenter la réalité du café sous toutes ses facettes, est récemment paru. Mais rien cependant n’y est dit sur le rôle du café en tant que siège d’une instance politique et administrative. L’exemple pourtant de Tripoli invite à explorer cette piste : H. Desmet-Grégoire et F. Georgeon (dir.), Cafés d’Orient revisités, CNRS éd., Paris, 1997,228 p. On y trouve des contributions de A. Saraçgil puis F. Georgeon (Istanbul), M. Anastassiadou (Salonique), M. Tuchscherer (Le Caire), J.-C. David (Alep), R. Deguilhem (Damas), A. Goushegir (Iran) et O. Carlier (Maghreb contemporain).
  • [27]
    La ville comptait d’ailleurs de nombreux cafés. Pour 1857, on trouve une circulaire du gouverneur de Tripoli relative à la fermeture des tavernes, des cafés, des boutiques... qui montre que le secteur a besoin d’être réglementé. D.M.T., C.R.H.T, no 32,21-8-1857. Le cheikh al-bilâd est d’ailleurs chargé à l’époque de la bonne marche du secteur. A.M.A.E., Nantes, Affaires locales, Tripoli de Barbarie, plainte rédigée en arabe, no 68,1275h/1858. Un rapport italien de la fin du XIXe siècle dénombre même 72 cafés. Cité dans Francesco Coro, « Che cos’era la Libia dal punto di vista civile et economico prima dell’occupazione Italiana », Viaggio del Duce in Libia per l’inaugurazione della Litoranea, 1 (15), 1937, p. 42.
  • [28]
    Remarquons qu’au moment de la réforme municipale dans l’Empire ottoman, les institutions municipales en général prennent le nom de baladiyya, terme qui devient, jusqu’à nos jours, synonyme de municipalité.
  • [29]
    Cf. Hasan al-Faqih, op. cit., p. 410-411.
  • [30]
    Tal Shuval, La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle : population et cadre urbain, Paris, CNRS É ditions, 1998, p. 172. À notre sens, le débat concernant Alger n’est pas clos sur ce point. André Julien, déjà, évoquait pour Alger le rôle et les fonctions du cheikh al-bilâd : Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe à 1830, rééd. Paris, Payot, 1986.
  • [31]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, op. cit., p. 217., et en général les archives DMT.
  • [32]
    Cela est confirmé par le fait que la restauration de la tour Al-Jadîdî fut également conduite par le raïs de la marine en 1829 (Mustafa Qurgî) sous la responsabilité du Khaznadâr. Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 465. Cela rappelle en outre ce qui se passe dans la plupart des villes portuaires, tant du Maghreb que de l’Europe.
  • [33]
    Archives départementales des Bouches-du-Rhône, série 200 E., 458, Tripoli de Barbarie. On peut voir aussi à ce sujet D.M.T., Consolato Generale di Toscana, 17/4/1826.
  • [34]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 478. Il semble qu’Alger, avant l’occupation française, ait connu également une situation de ce type.
  • [35]
    Hasan al-Faqih Hasan, op. cit., p. 344.
  • [36]
    D.M.T., mallâf baladiyya, 1, lettre adressée au cheikh al-bilâd du 16 rabi’ al-akha. Cf. aussi « Mémoire... du consulat de la République Française à Tripoly de Barbarie précédé de l’état historique et politique de cette Régence », 14 Messidor an 9, par le C. Guys, A.M.A.E, CCC, vol 29,1797,14 Messidor an 9, p. 155 et ce qu’écrit E. Rossi : « Nel 1826-27 si rivoto ’Abd ad-Smamad ibn Sultan di Tarhûna; la ribellione fu spenta da soldati tripolini condotti da al-hâgg Mhammad Bêt al-mâl », op. cit., p. 266.
  • [37]
    On trouve ainsi au D.M.T, à partir des années 1850, dans des dossiers reclassés au moment de la création de la Baladiyya, de plus en plus de documents relatifs à cette fonction, et à l’administration du cheikh al-bilâd en général. D.M.T, Baladiyya, Mallaf 2.
  • [38]
    Istanbul, Basbakanlik Arçiv, Tripoli, D61, no 2004. Ce fonds contient de nombreux documents sur la création de la municipalité de Tripoli.
  • [39]
    La bibliographie sur les tanzimât est abondante. On peut lire la synthèse de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Lille, Fayard, 1989,810 p.
  • [40]
    Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’influence européenne dans le modèle municipal ottoman, mais seulement que ce modèle est adapté à la ville arabe. Sur les influences européennes, voir : Steven Rosenthal, « Foreigners and municipal reform in Istanbul : 1855-1865 », International Journal of Middle-East Studies, 1980, p. 227-245.
  • [41]
    Voir à ce propos les travaux du groupe de recherches « Municipalités méditerranéennes », Nora Lafi(dir.) CNRS Urbama, Tours. Un ouvrage collectif est en préparation, avec des contributions, par exemple, sur Tunis, Beyrouth, Jérusalem ou Izmir.
  • [42]
    Tripoli, DMT.
  • [43]
    Voir par exemple : Julia Clancy-Smith, Rebel and Saint, Muslim notables, populist protest, colonial encounters (Algeria and Tunisia 1800-1904), Berkeley, University of California Press, 1994. Franz Kogelmann, Islamische fromme Stiftungen und Staat : der Wandel in den Beziehungen zwischen einer religiösen Institution und dem marokkanischen Staat seit dem 19. Jahrhundert bis 1937, Wü rzburg, Ergon, 1999,371 p. D. Schroeter, Merchants of Essaouira : Urban Society and Imperialism in Southwestern Morocco, 1844-1886, Cambridge University Press, 1988.
  • [44]
    À ce sujet, on peut voir : Georges Taliadoros, La culture politique arabo-islamique et la naissance du nationalisme algérien 1830-1962, Alger, Entreprise nationale du livre, 1985,75 p. Béchir Tekari, Du Cheikh à l’Omda. Institution locale traditionnelle et intégration partisane, Tunis, Imprimerie officielle, 1981,97 p. Sur la mise en place des administrations après les Indépendances, on peut voir, par exemple : A. Ahmida, The making of modern Libya, State University of New York Press, 1994,222 p. Pour la Tunisie : Asma Larif-Béatrix, É dification étatique et environnement culturel. Le personnel politico-administratif dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 1988,319 p.

1La façon dont les villes européennes passent, entre les XVIIe et XIXe siècles, de formes de gestion urbaine traditionnelles souvent dites d’Ancien Régime, évidemment très diverses selon les lieux, à des formes modernisées autour de la déclinaison d’un contenu municipal renouvelé et réinterprété, occupe dans l’historiographie et les études urbaines en général une place prépondérante. Pour les villes de la rive sud de la Méditerranée, Maghreb et Moyen-Orient en particulier, le constat ne peut être que très différent : d’une part, la ville arabe, les villes arabes, sont souvent l’objet de réifications excessives, qui, sous l’inflation linguistique de termes autochtones pour désigner la ville et les catégories de l’urbain, ont pour effet de couper les études urbaines, pour cette aire géographique, du débat historiographique général; d’autre part, on observe dans les études urbaines arabes une forte césure, confirmée de génération en génération par la tradition académique, entre les études sur la ville, disons, traditionnelle, et les études sur les villes des XIXe et XXe siècles souvent réduites à leur réalité coloniale, ne serait-ce que par un usage prépondérant des sources coloniales.

2Dans les villes du monde arabe, la question de la modernisation des institutions de gestion urbaine a longtemps été lue selon les logiques d’un dualisme dans lequel s’opposaient – un flou recouvrant les périodes allant du Moyen Âge à l’époque moderne – les chercheurs, oubliant souvent que l’on sait bien comment fonctionnaient les villes de cette époque, et une rationalité qui se dessinait au travers d’une modernisation importée d’Europe, soit par l’intermédiaire de l’Empire ottoman et de ses réformes (tanzimât), soit par les puissances impériales et coloniales. Dans ce contexte, il était extrêmement délicat d’évaluer le rôle des diffé-rentes institutions traditionnelles dans l’émergence – ou les difficultés, voire l’absence, de cette émergence – de la modernité administrative, tant les états antérieurs à l’influence occidentale avaient tendance à ne pas être pris en compte dans la description de ce qui s’est passé aux XIXe et XXe siècles.

3Les tendances actuelles de la recherche rompent peu à peu avec cette vision. D’une part, on se rend compte que dans les périodes jusque-là peu explorées, les villes connaissaient des modes de gestion extrêmement construits et enracinés dans la société urbaine, d’autre part, les a priori sur le caractère importé de la modernité institutionnelle sont peu à peu nuancés.

4De même, il convient désormais d’atténuer le caractère de spécificité trop marqué, souvent donné aux villes arabes, et ne plus s’interdire des comparaisons avec les villes anciennes d’autres aires géographiques. Il ne s’agit bien sûr pas d’effacer les caractères propres de l’évolution des villes arabes, ni de prendre comme objet de référence un schéma extérieur que l’on voudrait transposer sur des réalités différentes, mais seulement de s’inscrire, ne serait-ce que partiellement, dans un champ de réflexion et de recherche commun.

5Pour étudier les charges urbaines traditionnelles que l’on repère peu à peu, grâce à l’exploitation des archives en arabe, dans de nombreuses villes tant de l’Afrique du Nord que du Moyen-Orient, la connaissance de ce qu’étaient les charges urbaines ailleurs semble ainsi nécessaire. De là, il devient possible de lire le passage à la modernité institutionnelle, ou son échec, dans des conditions différentes, et de mieux comprendre tant les continuités que les éventuelles ruptures, les originalités, les retards que les caractères précurseurs.

Vers un nouveau contexte historiographique

6Des comparaisons intéressantes ont été menées jusqu’ici pour des régions ayant connu successivement l’Islam et la Chrétienté. Un chercheur comme Stéphane Boissellier a ainsi montré certains caractères de continuité entre les charges de gestion communautaire et entre les territoires des différentes juridictions rurales pour les périodes islamique et chré-tienne du Portugal médiéval [1]. De belles études ont de même été conduites pour l’Espagne urbaine, notamment sous l’impulsion de Denis Menjot. Il convient également, pour qui étudie les villes arabes, de confronter les informations recueillies pour cet espace à ce qu’enseignent les spécialistes des villes européennes d’Ancien Régime. On trouve de la sorte des suggestions passionnantes à la lecture des résultats des recherches s’inscrivant dans ce domaine. Les études sur la fiscalité des villes européennes et méditerranéennes d’Ancien Régime, sur les oligarchies municipales, sur les charges traditionnelles de gestion urbaine [2], trouvent ainsi un écho, audelà de la comparaison, dans les pratiques de recherche de qui veut comprendre le fonctionnement des villes arabes.

7L’histoire des villes arabes des périodes moderne et contemporaine a donc souffert d’être en marge des tendances de l’historiographie urbaine en général. La ville arabe est souvent perçue comme une entité en soi, irréductible forcément à tout autre réalité urbaine, et rétive aux comparaisons. Il est plus difficile en effet de comparer une « médina » à une ville qu’une ville à une autre ville. La ville est alors étudiée selon deux axes dont la convergence est rare, c’est-à-dire, soit, dans la grande lignée de l’orientalisme, au travers de certains aspects de la société urbaine (fonctions religieuses, organisation des corporations), soit, pour la période coloniale, et grâce aux archives européennes correspondantes, au travers de l’urbanisme dit moderne appliqué à la ville arabe. Rarement la question de l’évolution des sociétés urbaines arabes aux XIXe et XXe siècles est posée sous un jour qui parvienne à unir ces deux courants de la recherche urbaine.

8Or, il faut savoir ce qui a changé dans les villesarabes de cetteépoque, et, surtout, d’où vient le changement. Qu’est-ce qui est le fruit d’un mouvement de modernisation et de transformation de structures autochtones, et quel a été l’impact de l’impérialisme et de la colonisation sur ce mouvement [3] ? Qu’est-ce qui est importé par les Ottomans, selon quelles modalités, et avec quels relais ? Comment les institutions urbaines mises en place par les pouvoirs coloniaux se situent-elles par rapport aux institutions urbaines locales ? Ces dernières ont-elles été maintenues, niées, absorbées, balayées ?

9Pour répondre à ces questions, il est à la fois nécessaire de connaître les institutions traditionnelles, et de suivre, au travers de sources arabes souvent difficiles à repérer, leur devenir face aux vicissitudes apportées par les XIXe et XXe siècles. La question de l’héritage, dans les institutions arabes de gestion urbaine, est d’ailleurs double : il s’agit, pour ce qui existe avant le milieu du XIXe siècle, de savoir ce qui est urbain et éventuellement universel, arabe, juif, byzantin, ottoman, voire hérité de la ville romaine ou de telle ou telle organisation ancienne, puis, à partir du milieu du XIXe siècle, ce qui reste de tout cela, et ce qui est transformé, soit sous une impulsion plus ou moins locale, soit par les réformes, plus ou moins traumatiques, imposées de l’extérieur. Pour une ville comme Jérusalem par exemple, qui a connu toutes ces césures, il a été montré que, dès avant la domination romaine, un ba’al ha suk, chef du marché, était en charge de l’annone, du contrôle des marchés et de l’ordre urbain [4], et que ce chef du marché était à la tête du système des corporations. De ce personnage au chef du marché arabe, chef aussi de l’assemblée de la notabilité urbaine, puis au maire, quelle est la filiation, quels sont les parcours de l’ordre urbain dans la très longue durée ? Mais en sait-on vraiment plus pour les villes d’Europe ?

10Pour les périodes qui nous intéressent ici, un parallèle, sans autre visée que méthodologique pour l’instant, peut ainsi être tenté entre ce que l’on sait des villes d’Ancien Régime en Europe, et ce que l’on découvre peu à peu de l’organisation des villes arabes. Dans sa synthèse sur les organisations urbaines européennes de l’époque moderne, Marino Berengo montre ainsi comment, au-delà de toutes les variantes locales, les pouvoirs urbains s’articulent autour d’un certain nombre de fonctions et de charges, allant de la régulation des marchés à l’annone, au contrôle du système des corporations et au maintien de l’ordre public, ainsi qu’au respect des règles sur le bâti [5]. Il décrit par exemple le souci de l’approvisionnement en blé confié généralement à un préposé urbain émanant du système des corporations, et lié aux différentes formes du pouvoir communal.

11Je vais montrer ici, à partir de l’exemple de Tripoli, que des formes d’organisation urbaine traditionnelles tout à fait comparables ont existé dans le monde arabe, avec, au-delà des variantes locales, un préposé urbain, émanant du système des corporations, et lié au pouvoir de l’assemblée des notables de la ville. Ce type d’institutions traverse le XIXe siècle et donne à la ville dite « réformée » une grande part de son empreinte.

Ville arabe et institutions traditionnelles de gestion urbaine

12Que la ville arabe ait été gérée, et non laissée dans une pâle jachère institutionnelle, on le sait depuis longtemps, notamment depuis les travaux d’André Raymond sur Le Caire. Pour les villes de l’Espagne musulmane, Olivia Remie Constable a montré de même qu’un muhtasib était en charge de l’annone, de l’ordre urbain et des marchés, en liaison avec, d’une part, le système des corporations, d’autre part, les autorités gouvernementales [6]. Pour de nombreuses villes arabes médiévales, il a été montré que l’ordre urbain répondait à une organisation comparable, et tout montre que la période moderne présente des caractéristiques dans bien des cas similaires.

13D’une manière générale, on peut dire que le contrôleur des marchés et des corporations, sous ses diverses appellations locales, et souvent l’assemblée de la notabilité de laquelle il pouvait émaner, étaient au cœur de l’organisation des pouvoirs urbains, avec des responsabilités qui allaient du maintien de l’ordre public, à la fiscalité urbaine, ou à la régulation du bâti [7]. On a trace également, pour de nombreuses villes, de conflits entre la régulation issue du système local des corporations et des marchés et la volonté d’un contrôle centralisé imposée par les administrateurs ottomans. Ainsi, par exemple, dans la Jérusalem du XVIIe siècle [8]. Ce point constitue même un des principaux thèmes du débat historiographique sur les pouvoirs locaux dans les villes arabes. Les corporations sont-elles la forme d’organisation par excellence de la société locale, ou un cadre imposé par le haut, c’est-à-dire surtout par l’É tat ottoman [9] ?

14L’inconvénient de ces deux hypothèses est qu’elles ont longtemps nié toute forme d’organisation urbaine de type « communal » : soit le pouvoir urbain n’arriverait pas à dépasser le cadre urbain des métiers, soit il échapperait à la société locale. Or les recherches actuelles montrent que des corporations émane bien un type de pouvoir « communal » (une assemblée de la notabilité, un chef de la ville, des responsabilités étendues dans le domaine urbain, de l’ordre public à la fiscalité, de l’approvisionnement au commerce) et que ce pouvoir entre, selon les périodes et les lieux, dans un rapport complexe à l’É tat, plus ou moins réformateur et centralisateur.

15Pour la ville de Sanaa, dans sa traduction du code, ou Qânûn, qui régissait la ville au XVIIIe siècle, Franck Mermier montre ainsi que les contrôleurs des marchés étaient en charge du bon approvisionnement de la ville en grain. Notables, ils émanaient des corporations, et dirigeaient de fait l’administration urbaine [10]. André Raymond avait par ailleurs montré depuis longtemps pour le Caire combien la gestion de la ville était liée au système des métiers, et combien les attributions des préposés urbains en charge des marchés étaient importantes et dépassaient largement le seul cadre du marché pour concerner l’ordre urbain en général [11]. De même pour de nombreuses villes la relecture des indices livrés jusque-là par les recherches tend à montrer que, loin d’être désorganisée, au sens de dépourvue d’entité unificatrice, la ville était dotée, autour du système des corporations, d’une réelle forme d’administration urbaine.

16Le cas de Tripoli nous permet d’aller plus loin dans la recherche de ces indices de l’organisation urbaine traditionnelle de la ville arabe et de son évolution aux XIXe et XXe siècles. Tripoli offre ainsi le double avantage de connaître, jusqu’en 1835, avec la dynastie des Qaramânlî, une existence relativement indépendante de la tutelle ottomane, puis d’échapper jusqu’en 1911, contrairement aux autres villes du Maghreb, à l’emprise coloniale ou impérialiste. La ville et sa province entrent dans le giron de l’Empire ottoman en 1551. Avec les Qaramânlî, de 1711 à 1835, échelle du commerce méditerranéen, port le plus méridional de l’Afrique du Nord, et donc le plus accessible aux caravanes du désert, elle connaît une période pendant laquelle la suzeraineté ottomane se contente de quelques tributs, essentiellement symboliques d’ailleurs. 1795 marque l’apogée du pouvoir des Qaramânlî, avec le règne de Yûsuf pacha. En 1835 cependant, face non seulement à la déliquescence du pouvoir dynastique local, mais aussi surtout face aux prétentions impérialistes sur la Tripolitaine, la Porte reprend en main sa province. De 1835 à 1911, veille de l’occupation coloniale italienne, les Ottomans tentent, notamment par des réformes, de sauvegarder leur tutelle sur ce qui devient leur dernier bastion nord-africain et occidental [12] après la perte de l’Algérie, puis de la Tunisie [13]. 1835 ne marque cependant qu’une rupture limitée, puisque, depuis le XVIe siècle, jamais la tutelle ottomane n’a réellement cessé, au moins sur un plan symbolique, et qu’Istanbul a toujours continué, même dans les périodes d’autonomie locale plus affirmée, de constituer la capitale. On constate même, dans la seconde moitié du XIXe siècle, face aux convoitises impérialistes et coloniales, un renforcement de l’attachement des notables locaux à l’appartenance ottomane et une forte implication dans le mouvement de réforme [14].

Tripoli : un laboratoire pour les études urbaines arabes

17Dans cette ville existait, depuis au moins le XVIIIe siècle [15], un pouvoir urbain articulé autour de diverses institutions : une assemblée des notables, la jama’a al-bilâd, composée des représentants d’une dizaine de grandes familles, gérait les affaires de la ville sous la présidence d’un cheikh al-bilâd ou chef de la ville [16]. Ce dernier était à la tête des corporations (taïfa), contrôlait les marchés, était aussi en charge de l’ordre public urbain et des échelons mineurs de la justice urbaine. Il était de plus responsable du bâti urbain et de l’espace public de la ville. Ses compé-tences s’étendaient également en matière fiscale puisqu’il était chargé de la collecte des divers impôts urbains et qu’il avait de larges compétences dans le domaine frumentaire et annonaire. Il était choisi parmi les membres de l’assemblée urbaine et était donc le représentant de la ville auprès des autorités tutélaires, gouvernement des Qaramanlî tout d’abord, puis, à partir de 1835, représentant du pouvoir central ottoman.

18Dans cette ville arabe du XVIIIe et de la première moitié du XIXe siècle, existait donc un pouvoir urbain local extrêmement cohérent incarné par le cheikh al-bilâd. À partir du milieu du XIXe siècle s’engage un vaste processus de réformes, mais les attributions principales du pouvoir urbain demeurent. Tripoli est donc la seule capitale de province du Maghreb à échapper suffisamment longtemps à la colonisation ou à l’impérialisme pour permettre une analyse de l’impact local et urbain des réformes ottomanes. Les charges urbaines et les compétences des préposés urbains connurent ainsi un processus de rationalisation, qui annonçait d’une certaine manière l’évolution de l’organisation des pouvoirs urbains vers une forme de type municipal, telle qu’elle fut mise en œuvre dans le cadre des réformes ottomanes du dernier tiers du XIXe siècle. Le retour des Ottomans en 1835 clarifie le schéma de gestion urbaine préexistant, en confirmant les préposés urbains locaux comme interlocuteurs officiels des administrateurs de la Porte.

19Il existait donc à Tripoli une vie urbaine active, organisée selon un schéma jusqu’à présent fort mal connu, mais que la consultation des archives et chroniques arabes nous permet de saisir plus en détail, afin de rompre avec l’idée d’une extériorité des réformes municipales telles qu’elles apparaissent dans le dernier tiers du XIXe siècle à la ville de Tripoli, voire à la ville arabe en général. À Tripoli, au moins dès les années 1780, on avait un dispositif complexe et durable d’administration urbaine, émanation de l’élite marchande. Ce système d’administration de la ville connut une évolution propre dès avant la mise en application de réformes venues d’Istanbul.

Fonctions et attributions du cheikh al-bilâd

20Le pacha « protecteur et gouverneur de la ville » était certes le chef suprême de la cité. C’était à lui que revenaient officiellement les grandes décisions et incombait la rétribution des agents de l’É tat. Mais, premier représentant de la population, et surtout de la notabilité locale, le cheikh al-bilâd le suivait dans la hiérarchie des pouvoirs civils urbains. Venaient ensuite les chefs de quartiers, cheikh des hûma et des hâra[17].

21Investi également de charges de représentation symbolique de la ville et de ses habitants (réceptions, rituel de cour), le cheikh al-bilâd avait un rôle de première importance dans la préparation des édits de gestion locale. Tout arrêté, tanbîh, qui concernait la ville était promulgué par le pacha, sous la responsabilité du cheikh al-bilâd[18]. Celui-ci intervenait également dans la nomination des chefs des corporations (amîn). Officiellement, le pacha signait l’arrêté de nomination, mais dans les faits, le cheikh al-bilâd choisissait le nouvel élu et ce choix était ensuite entériné par le pacha. Le cheikh al-bilâd participait aussi aux moments importants de la politique internationale, en tant que représentant de la ville. Lorsqu’en 1796, Yûsuf Pacha conclut les traités de paix avec les Américains, il y avait parmi les signataires pour la partie tripoline : Yûsuf Pacha, bien entendu, mais aussi Ahmed le ministre du Palais, ’Alî le chef du Diwan, Suleiman le Kâhiyah, Khalîl, le commandant des troupes, Mohammad le cheikh al-bilâd et Mohammad le secrétaire [19]. Nous ne possédons pas toujours autant d’informations que nous le souhaiterions sur les familles des cheikh al-bilâd, ni sur leur trajectoire avant d’exercer cette fonction. Ce qui semble sûr, c’est qu’ils appartenaient tous à des familles aisées de la notabilité marchande et reconnues par la population, et disposant d’un certain pouvoir auprès d’elle. Les cheikh al-bilâd étaient tous issus de la jamâ’at al-bilâd, l’assemblée des notables de la ville, émanation de l’élite marchande.

22La liste des cheikh al-bilâd dont nous avons trouvé trace montre à l’évidence que la fonction ne se transmettait pas de père en fils. L’hérédité, à l’exception du cas du fils d’un certain Mahsan, n’était pas de mise à Tripoli [20].

23Le métier de la plupart des membres de la jamâ’at al-bilâd était lié de près ou de loin au négoce ou aux corporations, seules activités à même de ménager une telle disponibilité et surtout à conférer une assise de notabilité suffisante dans la société tripoline. La durée exacte de l’exercice de la fonction est difficile à évaluer dans l’absolu, car aucun texte ne mentionne une durée obligatoire de la fonction ni ses limites. Il semblerait, en pratique, et d’après l’étude menée sur la dizaine de cheikh al-bilâd que nous connaissons le mieux, qu’il s’agissait d’un mandat à durée indéterminée. Seules la retraite volontaire, la mort, subite ou provoquée, ou la destitution jugeaient de la fin des mandats. Si l’on examine les mandats des cheikh al-bilâd sur environ une centaine d’années (fin XVIIIe siècle-dernier tiers du XIXe siècle), la plupart d’entre eux vieillissait dans leur fonction, mais leur successeur, sans encore en avoir le titre, exerçait déjà leur activité dès avant la mort du prestigieux aîné.

24Il semble que le territoire de compétence du cheikh al-bilâd soit la madîna, la ville intra-muros, murs d’enceinte compris, puisque, dès 1831, les tours de la ville dépendaient explicitement de lui [21] et qu’en 1850 on sait que le cheikh al-bilâd était directement responsable de l’entretien des murs [22]. Au milieu du XIXe siècle cependant, le cheikh al-bilâd ’Alî al-Garganî avait la mainmise sur le quartier extra-muros de Zahra en pleine construction, ce qui est le signe que la fonction évolue en même temps que la ville, au rythme des extensions et lotissements extra-muros[23]. Un autre signe de cette évolution est l’abondance croissante d’archives, indice d’une transformation progressive de l’appareil bureaucratique. [24]

TABLEAU 1

DURÉ E D’EXERCICE DES CHEIKH AL-BILÂD DE LA FIN DU XVIIIe À LA MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE [25]

TABLEAU 1
TABLEAU 1 : DURÉ E D’EXERCICE DES CHEIKH AL-BILÂ D DE LA fiN DU XVIIIe À LA MOITIÉ DU XIXe SIÈ CLE25 1753 ou 1790 ?- 1796- ? 1813- 1831- 1840 1846- 1854-1783 1795 (mort 1831 1832 1854 1869 (mort 1813) (mentio- (mort 1790) n dès 1874) 1817) Hamza Hasan Muhm- Ahmad Ahmad Moham- Moham- ’Alî alb.Abd Sedâ (ou mad Mahsan ben Latîf mad al- mad b. Qarqânî al- Sedah) Qadûr Charîf Ahmad Raham- Mahsan ân

DURÉ E D’EXERCICE DES CHEIKH AL-BILÂD DE LA FIN DU XVIIIe À LA MOITIÉ DU XIXe SIÈCLE [25]

25Le cheikh al-bilâd dirigeait donc, d’un point de vue administratif, la ville intra-muros dans sa totalité, mais déléguait une partie de ses pouvoirs à des chefs de quartiers. Au début du XIXe siècle, il s’occupait en fait essentiellement des quartiers qui n’étaient pas des hâra. Ces quartiers juifs avaient en effet leur propre organisation, et à leur tête, un chef des Juifs, qâ’id al-yahûd, assisté de sa jamâa communautaire, le tout formant l’institution de la qâ’ida., ce qui donne, pour la population juive, une organisation comparable à celle du reste de la ville, relativement autonome mais placée toujours sous la tutelle du cheikh al-bilâd. Dans certains cas (la nécessité, par exemple, de faire rentrer un impôt mal payé), le cheikh al-bilâd pouvait intervenir directement dans les quartiers juifs, comme en 1830, où le pacha lui confia avec sa jamât’a al-bilâd la charge de percevoir sur toute la population de la ville (ahl al-bilâd) un impôt extraordinaire, dit de la furqa.

26Le café et la ghurfa étaient les locaux administratifs du cheikh al-bilâd. De toute évidence, ils font office de « bureaux administratifs municipaux », depuis le début du XIXe siècle. Le café arabe, comme le café européen des origines, n’est pas qu’un lieu de récréation, même si le café fait partie de l’imagerie rapportée d’Orient par les voyageurs occidentaux depuis le XVIe siècle, et si les stéréotypes qui y sont liés sont sans cesse repris [26]. Le café à Tripoli semble avoir une longue histoire [27]. Sans vouloir en retracer toute l’évolution, constatons que le café du cheikh al-bilâd trouvait des raisons d’être un espace public de type « municipal » dans sa propre histoire. Ce café fut dénommé « qahwat cheikh al-bilâd » au début du XIXe siècle, mais était depuis le XVIIe siècle un espace de rencontres et de réunion de gestion urbaine, au cœur du quartier de Baladiyya[28]. Telle était sa vocation, grâce à une riche habitante qui en avait fait don en bien waqf à la ville afin qu’il devienne un lieu de rencontre publique pour les Tripolins. Au fil du temps, les membres de la jamâ’at al-bilâd se mirent à fréquenter cet espace, avec leur chef administratif. C’était un espace de plaisir et de convivialité, puisqu’on y consommait des boissons, on s’y rencontrait et y écoutait parfois des histoires pour se distraire. Le café était aussi l’ancrage de l’institution du cheikh al-bilâd (la machîkha) dans l’espace urbain, le lieu de la décision et de sa promulgation. Il fut d’office l’espace politique appartenant peu à peu à l’ensemble de la société tripoline, voire tripolitaine, puisqu’au-delà des rencontres et des réunions ordinaires de la jamâ’at al-bilâd et de son représentant, il arriva que ce fût le lieu de réunions plus larges. Le café s’inscrivit peu à peu dans les espaces réservés au domaine politique et devint officiellement le lieu du diwân (du conseil) [29], si bien qu’à Tripoli le diwân se confondait de fait avec la jamâ’at al-bilâd.

27Si à Alger, à la fin du XVIIIe siècle, aucun local ne semblait porter le nom de maison du cheikh al-bilâd, ce qui validerait l’hypothèse de Tal Shuval selon laquelle « ce local changeait de place à chaque nouvelle nomination du shaykh al-balad », il n’en était assurément pas de même à Tripoli au XIXe siècle [30]. Le café du cheikh al-bilâd avait gagné une pérennité dans la cité tripoline et dans ce local, les cheikh al-bilâd successifs exercèrent leurs fonctions de chef de la ville. Ce n’est pas un hasard si, plus tard, dans ce même espace les Ottomans institutionnalisèrent en 1867 la nouvelle municipalité dite « baladiyya ». Le café du cheikh al-bilâd devint donc mairie, sans qu’aucun changement architectural n’intervienne. L’espace informel de réunion de l’assemblée citadine est alors devenu dans la seconde moitié du XIXe siècle l’espace politique urbain par excellence, puis, avec les réformes municipales ottomanes, la mairie. Il existait par ailleurs un autre espace dévolu aux activités du cheikh al-bilâd : la ghurfa (la chambre, le local ou la loge), espace particulier du cheikh al-bilâd réservé à l’administration civile et à la gestion urbaine, son cabinet particulier en quelque sorte.

28Le cheikh al-bilâd était chargé de superviser la construction et l’entretien du bâti urbain. En tant que magistrat urbain, il avait un rôle prépondérant dans la gestion des murs de la ville, considérés comme étant du domaine « public ». L’argent destiné à l’entretien des murs (al-sûr) était confié au cheikh al-bilâd, à partir sans doute des revenus de biens habus.

29La construction et la restauration des espaces publics et « semi-publics » en général étaient également de son domaine de compétence. L’institution du cheikh al-bilâd s’occupait de tout ce qui concernait l’entretien de la ville. Pour la voirie, les façades des bâtiments privés ou à caractère public, l’autorité de référence était le cheikh al-bilâd. Les maisons privées (hûch), les boutiques (hanût), les fours (kûcha), les fondouks et autres bâtiments de ce genre relevaient tous de l’institution traditionnelle qu’était la machikha al-bilâd[31]. La propreté figurait également parmi les attributions du cheikh al-bilâd. Il devait, en outre, s’employer à assurer un climat de tranquillité, de propreté dans la cité. Le ramassage des ordures faisait ainsi partie de ses attributions. Il ordonnait que la ville soit propre et des décrets étaient rédigés au château par ses soins. Ensuite, il faisait exécuter les nouvelles mesures en lisant dans son café toutes les modalités à faire respecter aux habitants de la cité.

30Le domaine des constructions militaires constitue une des limites aux attributions du cheikh al-bilâd sur le territoire urbain. Certes il avait une compétence sur les murs de la ville, et donc sur les infrastructures de défense, tours comprises, mais ses responsabilités en matière de défense ne s’appliquaient pas aux abords du port, aire de compétence du chef de la marine, le râ’is al-marsa[32]. En cela, Tripoli n’est en rien une exception et, dans la plupart des villes portuaires, l’aire de compétence de la municipalité se heurte à celle des autorités portuaires et militaires. Dans le domaine sanitaire, l’aire de compétence du cheikh al-bilâd, pourtant responsable de la salubrité publique en ville, s’arrête de même aux abords de la circonscription portuaire. Ainsi, il ne semble pas être chargé de l’organisation des quarantaines, ni des contrôles sanitaires à l’entrée dans la ville par le port. Cela est du ressort des autorités portuaires, représentées par le râ’îs al-marsâ, au nom du pacha [33].

31Le cheikh al-bilâd décidait des taxes et des impôts locaux ou extraordinaires. L’assiette était fixée par une délibération des notables, au sein de la jamâ’at al-bilâd. Il avait la responsabilité de la levée des impôts fonciers et était assisté en cela d’un chaouch. Le cheikh al-bilâd, avec sa jamâ’at albilâd, avait par ailleurs coutume de se réunir au café du cheikh al-bilâd pour compter l’argent collecté ou redistribué.

32La surveillance des activités économiques, de l’approvisionnement citadin et la tutelle sur les corporations étaient aussi de son ressort. Il avait le contrôle des marchés. La distribution du blé, du pain et de légumineuses lui incombait, ainsi qu’à la jamâ’a. En fait, le blé, et les céréales en général, étaient un monopole de l’É tat. Le cheikh al-bilâd agissait pour le compte du pacha pour l’achat de céréales, et s’occupait de la revente aux consommateurs et aux corporations, selon des prix qu’il fixait préalablement. La corporation des boulangers (khabâzza) était sollicitée pour la distribution, surtout quand il s’agissait d’éviter, dans les moments de crise, toute spéculation néfaste [34].

33Les amâna al-sûq (sorte de syndics ou d’intendants des marchés) dépendaient directement du cheikh al-bilâd. L’Amîn, personnage issu des corporations, était l’intermédiaire entre celles-ci et le pouvoir de la machîkha, à tel point qu’un amîn, en 1826, paraît prendre, pendant une absence de deux mois du cheikh al-bilâd, les attributions de ce dernier [35]. Il y avait un amîn par groupe de métiers. L’administration de la corporation se faisait dans les locaux administratifs du cheikh al-bilâd. Les déclarations concernant les métiers devaient être lues au café. Il en était de même pour toute nomination dans le système des corporations.

34Le cheikh al-bilâd avait en outre des fonctions de police. À cette fin, il avait sous ses ordres des chaouch, commandés par un agha responsable de la police nocturne. Il lui incombait la tâche de maintenir l’ordre dans la cité.

35Le cheikh al-bilâd avait aussi des attributions relevant de la garantie légale dans les procédures juridiques. Son rôle de police n’empiétait apparemment pas sur celui du qâdî, qui s’occupait des affaires strictement personnelles, alors que l’institution du cheikh al-bilâd avait plus vocation à s’occuper des affaires publiques. Si le cheikh al-bilâd se chargeait des prostituées, des mœurs ou des vols, c’est que l’affaire avait revêtu, à un moment donné, un caractère public. Parfois, le qâdî travaillait en collaboration avec le cheikh albilâd, dans la mesure où il était appelé ponctuellement à répondre à des questions d’ordre moral auxquelles l’institution du cheikh al-bilâd pouvait être confrontée. Le cheikh al-bilâd avait le pouvoir d’infliger des sanctions. Chef de la jamâ’at al-bilâd, il réglait avec elle tous les points litigieux concernant, par exemple, l’emprisonnement des prévenus ou leur mise en liberté. Bien sûr, officiellement, la décision revenait en dernier lieu au pacha. Il avait également la faculté d’écrouer quiconque enfreignait les règles des bonnes mœurs dans le périmètre de la ville. Le cheikh al-bilâd avait aussi des fonctions sociales, comme l’assistance aux orphelins et aux indigents.

36La charge de cheikh al-bilâd, en somme, recouvrait de nombreuses attributions relatives au fonctionnement de la société urbaine qui rappellent dans bien des cas ce que l’on trouve pour les villes d’Ancien Régime d’autres aires géographiques. Parmi ces attributions, les fonctions de contrôle des métiers et du commerce étaient importantes. Elles le devinrent encore plus à l’approche du milieu du XIXe siècle, car c’est à partir de ces attributions que s’amorça la modernisation de l’institution, avec le passage à une entité économique du type chambre de commerce et institutionnelle et politique de type municipalité.

37Le Tribunal de commerce a été institutionnalisé dans le cadre des réformes ottomanes, mais les cheikh al-bilâd, avant cette réforme, n’en n’exerçaient pas moins la même fonction [36]. Le cheikh al-bilâd vérifiait les comptes des négociants et était garant de l’équité des transactions. L’aspect « chambre de commerce » des attributions du cheikh-al-bilâd semble, plus on avance dans le XIXe siècle, être celui par lequel la fonction évolue, à partir de tâches traditionnelles, vers un début de modernisation administrative, avec, par exemple, des instruments administratifs nouveaux et une spécialisation de certains employés. La production d’archives, autre signe de développement d’un certain appareil bureaucratique, semble d’ailleurs trouver là le début de la courbe ascendante qui la caractérise [37].

38Quant à la rétribution du cheikh al-bilâd et de sa machîkha, nous n’avons pas d’éléments précis permettant d’établir ni la somme ni sa forme (mensuelle, annuelle, en nature, ou en numéraire). Nous savons déjà cependant qu’il touchait de nombreuses commissions pour les actes dont il était le garant juridique, et que les achats de denrées pour la ville lui permettaient de dégager des bénéfices. Il avait aussi le revenu de la ferme de la mer. Une partie de ses revenus provenait des services rendus au pacha, par l’achat de marchandises diverses, ainsi que des taxes prélevées auprès des citadins, dont une partie devait sans doute lui revenir, et des bénéfices dans son activité de négoce, ou des cadeaux reçus en diverses occasions. En somme, le cheikh al-bilâd, par définition déjà riche avant d’entrer en fonction, ne pouvait qu’y gagner. Le passage de ce type de rétribution, correspondant aux caractéristiques de l’Ancien Régime, à une forme de fonctionnariat reste à étudier, mais semble se faire dans le cadre du passage à la municipalité ottomane.

Réformes municipales ottomanes et héritage arabe traditionnel

39À la fin des années 1860 est en effet créée, sous l’impulsion d’un notable algérois en exil face à l’occupation française, ‘Alî Rida Pacha al-jazayrî, devenu fonctionnaire ottoman, une administration de type municipal à Tripoli [38]. Cette réforme se place dans le cadre plus vaste d’un mouvement de modernisation administrative de l’Empire ottoman, initié dès le premier tiers du siècle [39]. Le domaine militaire a été le premier à connaître une telle évolution, mais à partir des années 1850, les villes et leur administration sont concernées. Il est intéressant de remarquer, pour Tripoli, que restèrent en place aussi bien les membres de la jamâ’at al-bilâd, qui devient conseil municipal dans la réforme municipale voulue par le gouverneur ottoman, que le personnage du cheikh al-bilâd, qui devient maire. Il conserva ses responsabilités quant au bâti urbain, à l’ordre public et aux marchés ou aux corporations. Le café devient mairie.

40Ainsi le pouvoir ottoman réformateur, d’ailleurs incarné par un notable urbain du Maghreb, fils lui-même d’un administrateur urbain algérois, ayant fuit l’occupation coloniale (et non par un administrateur turc de retour d’un séjour en Europe comme l’historiographie des réformes [tanzimât] militaires le laisse trop souvent penser pour les réformes urbaines), a-t-il validé l’organisation traditionnelle des pouvoirs urbains, en la parant des attributs, notamment linguistiques, de la modernité administrative [40]. Un des buts était sans doute de tenter de contrer plus longtemps les visées coloniales sur la Tripolitaine, à la fois en modernisant l’administration et en se conciliant la nécessaire bienveillance de la notabilité urbaine.

41Un pouvoir municipal modernisé naît donc à Tripoli du système traditionnel de gestion urbaine, sous l’impulsion ottomane d’un gouverneur algérien. Dans la plupart des autres villes arabes, l’analyse de la fin du processus ici décrit est nécessairement tronquée par l’irruption précoce des enjeux coloniaux, mais pour les périodes antérieures un faisceau convergent d’indices nous amène à penser qu’il existait, de l’Atlantique au Proche-Orient, sous de multiples déclinaisons locales, une forme traditionnelle d’administration urbaine émanant du système des corporations et de la notabilité assemblée. Dans ce type d’administration de la ville, on retrouve à chaque fois au cœur des attributions du chef de la ville ou de ses équivalents locaux, la régulation des marchés, la tutelle sur les corporations, le maintien de l’ordre public, l’entretien du bâti public et le respect des règles concernant le bâti privé. La question se pose de l’évolution de ces structures.

42L’état actuel des recherches ne nous permet point de formulation affirmative, l’essentiel étant ici d’amener à la réflexion sur les rapports entre fonctions traditionnelles et pouvoirs urbains dits modernisés. Il reste qu’au-delà de cette diversité s’offre désormais à l’analyse une ville arabe dans laquelle on reconnaît de plus en plus unanimement la consistance d’une forme traditionnelle de gestion urbaine dont la comparaison méthodologique avec les formes d’organisation de la ville européenne d’Ancien Régime ne peut que stimuler l’analyse et la compréhension.

43Il faut ici comprendre le passage, pour les sociétés d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient dans leur ensemble, de ce type d’institution à des administrations municipales. Jusqu’ici celles-ci ont été présentées comme entiè-rement nouvelles, importées par les Ottomans puis par les puissances coloniales à la fin du XIXe siècle dans des villes qui auraient été dépourvues de cohérence administrative. Il convient de réfléchir à cette question sur la base de ce que nous savons de l’organisation préexistante, et non sur la base seulement de la problématique de l’importation et de la nouveauté. L’importation du modèle, ottoman puis colonial, car nous ne nions aucunement qu’importation il y eut, doit être analysée sous l’angle de l’adaptation par la société, dont nous avons décrit l’organisation, des réformes proposées ou imposées. Cette perspective nous amène également à réfléchir aux parcours de la modernisation, la structure de la société locale imprimant sa marque dans le schéma avancé sous le jour de la modernité. Nous voyons ainsi qu’au moins en ce qui concerne les réformes ottomanes le schéma préexistant se retrouve pour une large part dans l’organisation désormais proprement municipale, avec l’institutionnalisation de la municipalité en 1867.

44À Tripoli existait depuis de nombreuses décennies au moins une institution de gestion urbaine dont les attributions se retrouvent dans les compétences dévolues à la municipalité « réformée ». Ailleurs au Maghreb et au Moyen-Orient, les recherches en cours tendent à montrer qu’il en va de même [41]. De cette manière, la lecture de la place des élites locales dans les institutions municipales dites « modernisées » dans le cadre du vaste processus des tanzimât peut se faire sous le jour d’une continuité certaine : cheikh al-bilâd – maire, grandes familles de la jamâ’at al-bilâd – conseil municipal. Ainsi, par-delà les conflits ponctuels, qui ne manquèrent point, la continuité existe [42].

45Il en va de même avec la période coloniale : au sein de la première municipalité coloniale italienne à Tripoli, on retrouve une composition comparable, du moins dans les premiers mois du Municipio, avant que le dessein de faire de Tripoli une ville contrôlée par les colons n’amène les autorités italiennes à évincer les quelques grandes familles de la notabilité arabe qui avaient accepté de collaborer au sein de structures locales du pouvoir urbain, au départ quasiment inchangées. Mais par le passage à la municipalité des colons, et surtout par la mise hors jeu de la notabilité du fait du lancement d’une procédure de planification urbaine qui lui échappait totalement, les Italiens s’aliénèrent vite le soutien de ces quelques familles qui avaient, en 1912 et 1913, préféré la voie de la conciliation avec les occupants, à la résistance qui s’organisait dans l’intérieur des terres. Les événements de 1919, quand la province échappe temporairement à l’Italie, confirment cette évolution.

46Des études ont été menées en ce sens pour certaines régions du Maghreb [43], et il s’agit désormais d’examiner, à partir d’exemples locaux, quelles lignes globales se dégagent de ce processus. Et il semble bien que là encore les institutions municipales soient au centre de bien des interrogations qui se posent au chercheur. Qu’il y ait continuité, comme, dans une certaine mesure à Tripoli, ou rupture brutale sous le fait de la colonisation, comme en Algérie, le rapport des élites locales aux institutions de gestion urbaine est toujours un point essentiel dans la compréhension des sociétés urbaines. De même, pour l’étude des pouvoirs urbains dans le monde arabe de la seconde moitié du XXe siècle, une attention au destin de l’héritage des institutions traditionnelles, reprise, abandon, oubli, ou usage partisan, peut amener de précieux éclaircissements dans la lecture de l’évolution récente de ces sociétés urbaines [44].

Notes

  • [1]
    Stéphane Boissellier, Naissance d’une identité portugaise. La vie rurale entre Tage et Guadiana de l’Islam à la Reconquête (Xe -XIVe s.), Imprensa Nacional, Casa da Moeda, 1999.
  • [2]
    Par exemple : Marino Barengo, L’Europa delle città. Il volto della società urbana europea tra medioevo e Età moderna, Turin, Einaudi, 1999,1039 p. Denis Menjot, Manuel Sanchez Martinez (dir.), La fiscalité des villes au Moyen Âge (Occident méditerranéen), Fontenay-aux-Roses-Toulouse, Ens-Privat, 1996,540 p. Claude Petitfrère (dir.), Patriciats urbains de l’Antiquité au XXe s., Tours, Cehvi, 1999. Danilo Zardin (dir.), Corpi, « fraternità », mestieri nella storia della società europea, Rome, Bulzoni, 1998,376 p. Revista d’Historia Medieval, 7,1996, Dossier « La gènesi de la fiscalitat municipal (segles XII-XIV) », Furiò Antoni (dir.). Articles de B. Chevalier, D. Menjot, A. Collantes de Teran, E. Garcia Fernandez, P. Ort?` Gost, J-V Garcia Marsilla, A. Mira, P. Viciano. Revista d’Historia Medieval, 9,1998, Dossier « Oligarqu?`as politicas y élites economicas en las ciudades bajomedievales (siglos XIV-XVI) », R. Narbona (dir.). Articles de J.C Mart?`n Cea, J.-A. Bonach?`a, M. Vaquero Pineiro, P. Corrao.
  • [3]
    Voir à ce sujet : Catherine Coquery-Vidrovitch, Odile Goerg (dir.), La ville européenne outremer : un modèle conquérant ? ( XVe - XXe siècles), Paris, L’Harmattan, 1996,301 p. Nora Lafi, « Ottoman Reexporting of Western Concepts and Technics in its Provinces : Tripoli 1868-1911 » dansNasr et Volait, Imported vs Exported Urbanism, Londres, Spon, à paraître en2001. Suraya Faroqhi, Approching ottoman history. An introduction to the sources, Cambridge University Press, 1999,262 p. Sur les problématiques ottomanes : Cyril Black, Carl Brown (dir.), Modernization in the Middle-East. The Ottoman Empire and its afro-asian successors, Princeton, Darwin Press, 1992,418 p. Hasan Kayali, Arabs and Young Turks, Ottomanism, arabism and islamism in the Ottoman Empire. 1908-1918, Berkeley, University of California Press, 1997,253 p. Pour les rapports entre le Maghreb et la métropole stambouliote, y compris au début du XXe siècle : Andreas Tunger-Zanetti, La communication entre Tunis et Istanbul, 1860-1913. Province et métropole, Paris, L’Harmattan, 1996,300 p.
  • [4]
    Daniel Sperber, The City in Roman Palestine, Oxford University Press, 1998,200 p., p. 36-37. L’auteur montre également, en référence au Talmud, que l’agronimon shel medina, en charge de l’approvisionnement en blé, était à la tête de l’administration urbaine.
  • [5]
    Marino Berengo, op. cit.
  • [6]
    André Raymond, Artisans et commerçants au Caire au XVIIIe siècle, Damas, 1974. Olivia Remie Constable, Trade and Traders in muslim Spain. The commercial realignment of the Iberian peninsula 900-1500, Cambridge University Press, 1994,320 p., p. 135.
  • [7]
    On peut voir ainsi : Nelly Hanna, Making big money in 1600. The life and times of Isma’il Isma’il Abu Taqiyya, egyptian merchant, Syracuse University Press, 1998,219 p. Dina Khoury Rizk, State and provincial society in the Ottoman Empire. Mossul, 1540-1834, Cambridge University Press, 1997,253 p.
  • [8]
    Dror Ze’evi, An ottoman century. The district of Jerusalem in the 1600’s, State University of New-York Press, 1996,258 p., p. 154 et suivantes.
  • [9]
    On peut voir à ce sujet : Pascale Ghazaleh « The Guilds : between tradition and modernity » dans Nelly Hanna, The State and its Servants, American University in Cairo Press, 1995,128 p., p. 60-74. Houari Touati, « Les corporations de métiers à Alger à l’époque ottomane », Revue d’Histoire du Maghreb, 1987, p. 267-292. Miriam Hoxter, « Taxation des corporations professionnelles d’Alger à l’époque turque », ROMM, 1983, p. 19-39.
  • [10]
    Franck Mermier, Le cheick de la nuit. Sanaa : organisation des souks et société citadine, Arles, Sindbad-Actes Sud, 1997,253 p.
  • [11]
    André Raymond, op. cit.
  • [12]
    En arabe, la ville s’appelle Tripoli d’Occident, Trablus al-Gharb. Maghreb désigne par ailleurs l’Ouest.
  • [13]
    Nous avons choisi, en raison essentiellement de la cohérence du corpus de sources en arabe, pour cet article d’examiner l’évolution des pouvoirs urbains de 1795 à l’occupation italienne. Pour les périodes antérieures, nous possédons de nombreux indices de l’existence des charges urbaines étudiées, mais tant la continuité que la consistance des pouvoirs sont plus difficiles à restituer à cause de lacunes dans la documentation.
  • [14]
    Voir, par exemple Lisa Anderson, The State and Social transformation in Tunisia and Libya, 1830-1980, Princeton University Press, 1986,325 p. et Anne-Laure Dupont, « Les Ottomans dans les consciences arabes à la fin du XIXe siècle (1880-1914) », communication présentée au colloque sur Les relations entre l’Europe centrale et l’Empire ottoman à l’époque moderne ( XVII - XVIIIe siècles), Centre de recherches sur l’histoire de l’Europe centrale, Université de Paris-Sorbonne, sous la direction du professeur JeanBérenger, en Sorbonne, le 17 mars 1998 (à paraître).
  • [15]
    « Au moins » au sens où nous avons trouvé, en remontant jusqu’à cette époque, la preuve archivistique de l’existence et de la consistance des charges urbaines décrites ci-dessous, avec le nom de la fonction, l’étendue des attributions et le nom du titulaire.
  • [16]
    Nora Lafi, Tripoli de Barbarie, Genèse et pérennité de l’institution municipale, 1795-1911, Thèse de doctorat, Aix-en-Provence, 1999,642 p. L’importance et la consistance de ces institutions ont pu être démontrées par la lecture de sources en arabe dans les dépôts de Tripoli et d’Istanbul. De même, des chroniques en arabe de marchands de la ville font de nombreuses allusions au cheikh al-bilâd et à ses vastes attributions. Tripoli : Archives nationales libyennes, Dâr Mahfuzât bî Trablus (désormais DMT), Séries salj al-idâriyya. Istanbul : Basbakanlik Arçiv (désormais BA), série irede meclis-mahsu, Tripoli. Un écho plus ténu de l’importance de ces institutions se retrouve dans les archives européennes, à Nantes (Affaires locales du ministère des Affaires étrangères), Paris (Série CCC et A.F.III et IV du ministère des Affaires étrangères, AMAE), Aix-en-Provence, Londres ou Rome (Archivio Storico Diplomatico, désormais ASMAI).
  • [17]
    Sur ces quartiers, musulman et juif, voir Nora Lafi, Tripoli de Barbarie, op. cit.
  • [18]
    Voir par exemple, dans l’édition de la chronique d’un marchand, les épisodes suivants : Hasan Al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât al-lîbîya : 958-1248h./1551-1832, Tripoli, Manchûrât Jâmi‘ât al-Fâtah, Markaz Jihâd, 1984,977 p., p. 578, no 1498,21 zî al-qa’ada 1247h./1831.
  • [19]
    Cf. Ettore Rossi qui s’est appuyé sur le « Recueil » de Martens, II éd., VI p. 298 et suivantes. Ettore Rossi, Storia di Tripoli e della Tripolitania : dalla conquista araba al 1911, Rome, Istituto per l’Oriente, 1968,398 p., p. 264.
  • [20]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 337, no 575, jeudi 19 al-hâjja 1241 h./1825.
  • [21]
    « Le cheikh al-bilâd s’occupait de la réfection des murs de la ville et il mit à chaque tour de la médina et de l’extérieur un Agha et un tabj î». Hasan al-Faqih, Al-Yawmiyât al-lîbîya..., op. cit., p. 581, no 1506,30 zî al-qa’ada 1247h./1831. Il serait donc responsable de l’espace intra-muros, et des fortifications.
  • [22]
    A.M.A.E., Affaires locales, no 143,14-9-1850. Cet exemple est tardif, mais il semble que ce fonctionnement n’ait rien de nouveau à l’époque.
  • [23]
    B.A. Archives du Basbakanlik d’Istanbul, Dossier 64.
  • [24]
    Ce tableau est une synthèse des données recueillies dans les différents dépôts d’archives cités ci-dessus, et d’indications trouvées dans les chroniques de marchands. Toutes ces données doivent bien sûr être relativisées à la lumière de l’hypothèse que les cheikh al-bilâd n’étaient officiellement investis dans leurs fonctions qu’à la mort de leur prédécesseur, ce qui, pour le cas de b. Latîf changerait tout dans le décompte, puisqu’il aurait ainsi exercé la fonction de fait pendant quinze ans, dont une année seulement avec le titre officiel.
  • [25]
    Hasan al-Faqih, op. cit., no 1275 et 1277, p. 526-527.
  • [26]
    Un ouvrage tentant de rompre avec cette imagerie, et de présenter la réalité du café sous toutes ses facettes, est récemment paru. Mais rien cependant n’y est dit sur le rôle du café en tant que siège d’une instance politique et administrative. L’exemple pourtant de Tripoli invite à explorer cette piste : H. Desmet-Grégoire et F. Georgeon (dir.), Cafés d’Orient revisités, CNRS éd., Paris, 1997,228 p. On y trouve des contributions de A. Saraçgil puis F. Georgeon (Istanbul), M. Anastassiadou (Salonique), M. Tuchscherer (Le Caire), J.-C. David (Alep), R. Deguilhem (Damas), A. Goushegir (Iran) et O. Carlier (Maghreb contemporain).
  • [27]
    La ville comptait d’ailleurs de nombreux cafés. Pour 1857, on trouve une circulaire du gouverneur de Tripoli relative à la fermeture des tavernes, des cafés, des boutiques... qui montre que le secteur a besoin d’être réglementé. D.M.T., C.R.H.T, no 32,21-8-1857. Le cheikh al-bilâd est d’ailleurs chargé à l’époque de la bonne marche du secteur. A.M.A.E., Nantes, Affaires locales, Tripoli de Barbarie, plainte rédigée en arabe, no 68,1275h/1858. Un rapport italien de la fin du XIXe siècle dénombre même 72 cafés. Cité dans Francesco Coro, « Che cos’era la Libia dal punto di vista civile et economico prima dell’occupazione Italiana », Viaggio del Duce in Libia per l’inaugurazione della Litoranea, 1 (15), 1937, p. 42.
  • [28]
    Remarquons qu’au moment de la réforme municipale dans l’Empire ottoman, les institutions municipales en général prennent le nom de baladiyya, terme qui devient, jusqu’à nos jours, synonyme de municipalité.
  • [29]
    Cf. Hasan al-Faqih, op. cit., p. 410-411.
  • [30]
    Tal Shuval, La ville d’Alger vers la fin du XVIIIe siècle : population et cadre urbain, Paris, CNRS É ditions, 1998, p. 172. À notre sens, le débat concernant Alger n’est pas clos sur ce point. André Julien, déjà, évoquait pour Alger le rôle et les fonctions du cheikh al-bilâd : Histoire de l’Afrique du Nord, de la conquête arabe à 1830, rééd. Paris, Payot, 1986.
  • [31]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, op. cit., p. 217., et en général les archives DMT.
  • [32]
    Cela est confirmé par le fait que la restauration de la tour Al-Jadîdî fut également conduite par le raïs de la marine en 1829 (Mustafa Qurgî) sous la responsabilité du Khaznadâr. Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 465. Cela rappelle en outre ce qui se passe dans la plupart des villes portuaires, tant du Maghreb que de l’Europe.
  • [33]
    Archives départementales des Bouches-du-Rhône, série 200 E., 458, Tripoli de Barbarie. On peut voir aussi à ce sujet D.M.T., Consolato Generale di Toscana, 17/4/1826.
  • [34]
    Cf. H. al-Faqih Hasan, Al-Yawmiyât..., op. cit., p. 478. Il semble qu’Alger, avant l’occupation française, ait connu également une situation de ce type.
  • [35]
    Hasan al-Faqih Hasan, op. cit., p. 344.
  • [36]
    D.M.T., mallâf baladiyya, 1, lettre adressée au cheikh al-bilâd du 16 rabi’ al-akha. Cf. aussi « Mémoire... du consulat de la République Française à Tripoly de Barbarie précédé de l’état historique et politique de cette Régence », 14 Messidor an 9, par le C. Guys, A.M.A.E, CCC, vol 29,1797,14 Messidor an 9, p. 155 et ce qu’écrit E. Rossi : « Nel 1826-27 si rivoto ’Abd ad-Smamad ibn Sultan di Tarhûna; la ribellione fu spenta da soldati tripolini condotti da al-hâgg Mhammad Bêt al-mâl », op. cit., p. 266.
  • [37]
    On trouve ainsi au D.M.T, à partir des années 1850, dans des dossiers reclassés au moment de la création de la Baladiyya, de plus en plus de documents relatifs à cette fonction, et à l’administration du cheikh al-bilâd en général. D.M.T, Baladiyya, Mallaf 2.
  • [38]
    Istanbul, Basbakanlik Arçiv, Tripoli, D61, no 2004. Ce fonds contient de nombreux documents sur la création de la municipalité de Tripoli.
  • [39]
    La bibliographie sur les tanzimât est abondante. On peut lire la synthèse de Robert Mantran, Histoire de l’Empire ottoman, Lille, Fayard, 1989,810 p.
  • [40]
    Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’influence européenne dans le modèle municipal ottoman, mais seulement que ce modèle est adapté à la ville arabe. Sur les influences européennes, voir : Steven Rosenthal, « Foreigners and municipal reform in Istanbul : 1855-1865 », International Journal of Middle-East Studies, 1980, p. 227-245.
  • [41]
    Voir à ce propos les travaux du groupe de recherches « Municipalités méditerranéennes », Nora Lafi(dir.) CNRS Urbama, Tours. Un ouvrage collectif est en préparation, avec des contributions, par exemple, sur Tunis, Beyrouth, Jérusalem ou Izmir.
  • [42]
    Tripoli, DMT.
  • [43]
    Voir par exemple : Julia Clancy-Smith, Rebel and Saint, Muslim notables, populist protest, colonial encounters (Algeria and Tunisia 1800-1904), Berkeley, University of California Press, 1994. Franz Kogelmann, Islamische fromme Stiftungen und Staat : der Wandel in den Beziehungen zwischen einer religiösen Institution und dem marokkanischen Staat seit dem 19. Jahrhundert bis 1937, Wü rzburg, Ergon, 1999,371 p. D. Schroeter, Merchants of Essaouira : Urban Society and Imperialism in Southwestern Morocco, 1844-1886, Cambridge University Press, 1988.
  • [44]
    À ce sujet, on peut voir : Georges Taliadoros, La culture politique arabo-islamique et la naissance du nationalisme algérien 1830-1962, Alger, Entreprise nationale du livre, 1985,75 p. Béchir Tekari, Du Cheikh à l’Omda. Institution locale traditionnelle et intégration partisane, Tunis, Imprimerie officielle, 1981,97 p. Sur la mise en place des administrations après les Indépendances, on peut voir, par exemple : A. Ahmida, The making of modern Libya, State University of New York Press, 1994,222 p. Pour la Tunisie : Asma Larif-Béatrix, É dification étatique et environnement culturel. Le personnel politico-administratif dans la Tunisie contemporaine, Paris, Publisud, 1988,319 p.
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