Notes
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[1 ]
1905, soleil levant, avec au même moment le drapeau rouge avec lettres PS dorées ; 1945, adoption officielle des trois flèches utilisées depuis 1934 comme symbole de la lutte antifasciste ; 1971, le poing et la rose.
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[ 2 ]
Alain Bergounioux, Déclarations de principes socialistes 1905-2008, Paris, Encyclopédie du socialisme, 2008, 64 p.
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[ 3 ]
Cf. Fabrice d’Almeida, « La SFIO, la propagande, les affiches (1945-1969) », Cahier et revue de l’OURS, n° 211, mai-juin 1993, et Gilles Morin et Frédéric Cépède, « Les socialistes et la symbolique républicaine, XIXe-XXIe siècles », à paraître dans les actes du colloque intitulé « Un territoire de signes : les manifestations de la symbolique républicaine de la Révolution à nos jours » (Paris I Panthéon-Sorbonne et l'université Paris-Diderot Paris VII, 2008).
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[ 4 ]
Beaucoup des images citées dans cet article sont consultables dans Alain Bergounioux et Frédéric Cépède (dir.), Des poings et des roses, Le siècle des socialistes, Paris, La Martinière, 2005, 248 p.
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[ 5 ]
Frédéric Cépède et Éric Lafon (dir.), Le monde ouvrier s’affiche, un siècle de combat social, Paris, Nouveau monde éditions/Codhos, 2008, 128 p.
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[ 6 ]
Témoignages d’Yvette Roudy (mars 2010), et d’Anne-Catherine Franck (membre de la commission propagande dans les années 1970, puis responsable de la communication du PS entre 1983 et 1987, 1988 et 1991 et, enfin, de 1997 à 2005, le 3 juin 2009), séminaire « socialisme » 2008-2009 (l’Office universitaire de recherche socialiste – l’OURS –, Fondation Jean-Jaurès, Centre d’histoire sociale – CHS – du XXe siècle, Paris 1) consacré au thème « La communication des socialistes : regards d’acteurs et de chercheurs ».
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[ 7 ]
Ce corpus n’est pas exhaustif. Il est constitué des documents conservés à l’OURS, à la Fondation Jean-Jaurès, au Musée d’histoire contemporaine – Bibliothèque de documentation internationale (BDIC), les collections privées de Michel Dixmier, Alain Gesgond et/ou listés dans la presse socialiste. Ne sont comptabilisées ici que les affiches dont nous avons pu identifier les slogans et images.
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[ 8 ]
Cf. Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « Dix ans d’affiches du parti socialiste (1980-1989) », Mots. Les langages du politique, n° 22, mars 1990, p. 43-60.
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[ 9 ]
Christian Delporte, « Incarner la République. Les affiches présidentielles de François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac (1974-1995) », Sociétés & Représentations, n° 12, 2001/2, p. 73.
-
[10 ]
Frédéric Cépède, « Les affiches du Front populaire : quelle guerre des images ? », dans Gilles Morin et Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 381-390.
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[11 ]
Sur le thème central de l’avenir dans l’affiche politique, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 21-22, octobre 1990-mars 1991, sous la direction de Laurent Gervereau.
-
[12 ]
Sauf en 1955 dans trois affiches de la fédération socialiste de la Seine qui dénoncent « les staliniens et la droite » qui se sont opposés à la déclaration ministérielle de Christian Pineau.
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[13 ]
En 1974, dans l’affiche de la campagne du PS pour le candidat François Mitterrand avec le slogan : « La seule idée de la droite garder le pouvoir. Mon premier projet, vous le rendre », François Mitterrand ; et dans une seule campagne de trois affiches illustrées en 1976 sur le thème « la droite c’est l’échec, le socialisme, l’avenir ».
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[14 ]
Ces affiches à l’italienne, noir, blanc, rouge, proposent chacune un dessin avec une légende, montrant une menace pour la France, les pouvoir d’achat, les jeunes…
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[15 ]
Frédéric Cépède, « Le poing et la rose, la saga d’un logo », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 49, janvier-mars 1996.
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[16 ]
Témoignage de Jo Daniel, le 4 mars 2009, lors de son exposé « Du tournant d’Épinay à l’accès au pouvoir, dix ans de communication du PS (1971-1981) », présenté dans le cadre du séminaire « socialisme » 2008-2009, op. cit.
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[17 ]
Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « Dix ans d’affiches du parti socialiste (1980-1989) », op. cit., p. 49-50.
1Réforme ou révolution ? Réformisme ou perspectives révolutionnaires ? Les socialistes ont longtemps maintenu, avec plus ou moins de conviction et de réalisme, les termes de l’alternative dans les textes fondamentaux définissant leur but à plus ou moins longue échéance. Parti d’élections, le parti socialiste (PS) a cherché à convaincre et séduire un public plus large à travers ses programmes mais aussi avec des affiches et des tracts les traduisant en images et en slogans. En étudiant le corpus d’affiches diffusées par les socialistes au plan national, nous oulons ici interroger l’image que le parti socialiste donne au « socialisme » et au parti qui le porte au cours du XXe siècle. Peut-on discerner une évolution linéaire dans le temps ? Est-ce qu’à un parti tourné ers un horizon révolutionnaire succède une formation de plus en plus réformiste ? Les messages adressés aux « citoyens-électeurs » révèlent-ils un double discours, l’un à usage interne, porteur des signes de l’identité socialiste pour souder les troupes, et l’autre de propagande plus manipulateur ou de communication politique au ton atténué, plus séducteur ? Compte tenu de l’ampleur de la période, nous proposerons ici quelques pistes de réflexions sur un corpus souvent négligé. Or, ces affiches s’inscrivent dans une culture – ou une identité – politique et un univers symbolique qui ont connu des évolutions au cours de l’histoire du PS et qu’il convient de présenter rapidement.
L’univers symbolique des socialistes, les éléments d’un portrait
2« Montre moi tes images, je te dirais qui tu es. » Les relations des organisations politiques avec leurs images et symboles ne sont jamais anecdotiques. L’histoire plus que centenaire du parti socialiste incite à ne pas négliger les changements intervenus dans sa carte d’identité, d’autant plus qu’ils furent assez rares : ainsi, depuis 1905, le « parti unifié » n’a changé de nom qu’une seule fois en 1969 et n’a réécrit sa « déclaration de principes » que quatre fois, comme il n’a adopté de nouvel emblème qu’en quatre occasions [1]. Il n’a fait composer qu’un seul nouvel « hymne », Changer la ie, en 1977 par Mikis Théodorakis pour la musique et Herbert Pagani pour les paroles, conservant dans un coin de sa mémoire collective L’Internationale, Le Temps des cerises et La Jeune Garde. Les rapports à ces signes identitaires gardent leur importance dans la compétition interne que se livrent ses responsables pour incarner la direction et en définir la ligne politique. À l’instar des débats qui resurgissent sur le changement de nom du parti en période de « rénovation » (1944-1945, 1970-1971) ou de crise (1963, 1993, 2007-2008), ils traduisent les interrogations et les diverses réponses des socialistes sur la meilleure façon d’exprimer, de dire ou de montrer ce qu’est réellement leur famille politique, ce qu’elle eut faire, ce qu’elle propose pour aujourd’hui et demain.
3 Fédération socialiste du Finistère. L’affiche illustrée en couleur est intégrée à l’arsenal propagandiste socialiste surtout après la Première Guerre mondiale, et pour les élections législatives. Conçue pour frapper les esprits, elle dénonce, s’oppose, « renverse » la réaction. Elle enrichit la palette des couleurs." src="/documents/13/dossier/images/cepededoc2.jpg" />S’agissant de leurs principes [2], les socialistes les ont fixés successivement dans cinq textes. La première redéfinition intervient en 1945 au lendemain du second conflit mondial et à la suite de l’expérience d’un premier gouvernement à direction socialiste ; la suivante en 1969, une dizaine d’années après l’avènement de la Ve République et les changements institutionnels, à l’apogée des Trente Glorieuses et des remises en cause du communisme postérieures à Budapest et Prague ; la quatrième en 1990, et la dernière en 2008. Constatons que les deux dernières « réactualisations » des principes sont consécutives à des crises de l’organisation socialiste, liées à la redéfinition de son identité bousculée par l’exercice du pouvoir, et pour la dernière, à une crise de leadership et à la perte de repères après trois échecs successifs de son candidat à l’élection présidentielle. Sans entrer dans l’exégèse des textes, force est de constater que les principes actuels invitent moins à la rupture avec le capitalisme et à l’avènement du socialisme qu’à expliciter les « valeurs » des socialistes (liberté, justice sociale, solidarité, paix…) et leur différence avec la droite dans la gestion des affaires comme dans les rapports sociaux. La révolution, entendue par les socialistes comme un changement de système économique isant à la socialisation des moyens de production et d’échange, qu’elle soit ou non préparée par des réformes allant dans ce sens, n’est désormais plus à l’ordre du jour depuis 1990, dans les textes au moins, avec la quatrième déclaration de principes adoptée dans la confusion du congrès de Rennes, et surtout, un an plus tard, dans le manifeste adopté au congrès de l’Arche de la Défense.
4Pourtant, si depuis 1971, la ligne d’Épinay, résolument à gauche, s’est accompagnée de textes, de slogans et d’un symbole, « le poing et la rose », où le rouge et le combat dominent, le PS a également renouvelé son univers, filant la métaphore de la rose tout en continuant à puiser dans son réservoir de symboles : soleil levant, capitalistes avec gros cigares, ouvrier, outils… Dans sa palette de couleurs aussi, le rouge et le noir caractérisent les années 1930 puis les années 1970, notamment pour les affiches textes. Pour des raisons politiques autant qu’économiques, éditer une affiche bicolore était beaucoup moins onéreux. Le PS y ajoute dans les années 1980, ictoire de la gauche oblige, du bleu roi, mais également du orange et différentes nuances de ert dans les années 1990. Nous devons cependant constater qu’au cours de son histoire, il ne s’est interdit aucune couleur, même le jaune. De très nombreuses affiches utilisent les trois couleurs du drapeau français, marquant le caractère républicain du combat socialiste [3], nous y reviendrons. Choix des compositions où la part du créateur est à l’évidence importante, comme les « tendances » graphiques ou les modes picturales : propagander comme communiquer, c’est s’inscrire dans son époque. Par exemple, avec les publicitaires sollicités dans les années 1985-1987, un bestiaire nouveau apparaît : le loup, pour représenter la droite, les brebis pour « les gens » menacés par la politique de cette droite, un crocodile pour inciter les jeunes à oter, un coq « gaulois », une baleine (pour la Sécurité sociale), et même un ours en peluche en 1993 [4]… On peut aussi retrouver un crocodile dans une affiche socialiste en novembre 1946 (elle montre un loup rouge aux ordres des trusts qui s’apprête à croquer Marianne). Un tel bestiaire relève assurément plus de la mode publicitaire que de la culture politique d’un parti !
5Les affiches socialistes peuvent donc s’inscrire dans un univers spécifiquement socialiste ou coller à l’air du temps et aux tendances du « marketing politique ». Cependant, ces images et slogans racontent une histoire qui ne se limite pas à celle des rapports des socialistes à la propagande, à la communication et à ses techniques. Ainsi, à étudier l’évolution de leurs affiches depuis une quarantaine d’années, avons-nous observé, par exemple, la disparition progressive de la figure de l’ouvrier [5]. Les images ont leurs ies propres, et, comme le changement de logo, elles peuvent servir de marqueur dans des évolutions du discours et du positionnement politiques.
Le corpus : les différents temps de la propagande et de la communication des socialistes
6L’analyse proposée dans cet article se fonde sur un corpus de 471 affiches textes et illustrées différentes, à 98% éditées par le siège national du parti socialiste et son mouvement de jeunesse entre 1913 et 1993.
7Quelques remarques préliminaires s’imposent sur l’exploitation que nous faisons ici de ce corpus. Il n’a pas été possible d’intégrer le fait que certaines de ces affiches ont été utilisées pendant plusieurs années, permettant ainsi une diffusion encore plus massive de leurs mots d’ordre (« Plus jamais ça ! », affiche contre la guerre de 1932, toujours utilisée pour la campagne de 1936, dont le slogan est repris sur une affiche de la fédération de la Seine en 1955, doc. 3).
8À l’inverse, certaines l’ont été durant de très courtes durées : par exemple la campagne sur « les aleurs » de janvier 1988, développant la thématique « liberté, égalité, fraternité », avec trois affiches illustrées respectivement de photographies en noir et blanc d’un homme, d’une femme, et d’enfants nus tenant une rose à la main… affiches élaborées pour le PS par une agence de communication et peu appréciées des militants socialistes [6] ; quelques affiches ont aussi pu être boycottées par les militants chargés de les coller. De même, certaines, tirées à des centaines de milliers d’exemplaires, ont frappé l’opinion (« À l’avant garde de la Ve République », en 1958, « Le socialisme, une idée qui fait son chemin », en 1976, « Au secours, la droite revient », en 1985…), quand d’autres sont rapidement tombées dans l’oubli. Certaines affiches, comme celles simplement signées du nom du parti, ou de son logo, et se limitant à un simple slogan, « NON à… OUI à… », que l’on retrouve à de très nombreuses étapes, isent autant à afficher un message sur les murs qu’à mobiliser les militants sur le terrain, et donc à montrer que le parti existe réellement puisqu’il « colle ». Il faudrait pouvoir pour chaque affiche rappeler le contexte de sa création, ses effets attendus, son accueil, son impact tant leurs usages et lectures ouvrent sur toute une série de questions que nous ne faisons ici qu’esquisser.
9Les affiches strictement commerciales du candidat François Mitterrand lors des présidentielles de 1974, 1981 et 1988 ne sont pas non plus comptabilisées, sauf si elles ont été reprises par le PS, et signées du poing et de la rose [7].
10La répartition chronologique de ce corpus fait apparaître deux constats :
11d’abord, les périodes électorales sont logiquement celles des plus fortes productions. Et en matière d’élections, sous les IIIe et IVe Républiques, les campagnes de législatives sont privilégiées, quand sous la Ve République, la présidentielle devient sans conteste le temps fort ;
12ensuite, l’usage de ce moyen de propagande ne devient systématique pour les socialistes qu’après le congrès d’Épinay en 1971. Question de moyens, peut-être, mais le PS des années 1970 n’est sans doute pas beaucoup plus riche que la SFIO des années 1950, ce qui nous incline à penser que publier ou pas des affiches relève surtout d’options stratégiques. La SFIO, de Paul Poncet à Robert Fuzier, en passant par Henri Monier et Paul Ordner, a fait parfois appel à des dessinateurs talentueux à la fibre militante pour illustrer ses tracts et/ou affiches, ou à des professionnels comme Paul Colin. La rareté des affiches à certaines périodes est donc un choix. Sans nous attarder ici sur les contenus et les résultats, constatons que la SFIO préfère éditer massivement titres de presse, brochures et livres, donnant une priorité « pédagogique » dans l’organisation de sa propagande : formation avant tout. À l’inverse, et comme pour s’en démarquer, les jeunes militants, notamment du CERES, enus au PS après le congrès d’Épinay accordent ite à ce type de propagande/communication une place importante à l’instar du tract, des drapeaux et banderoles, dont Mai 68 a montré l’importance sur les murs et dans les rues de Paris, sans négliger pour autant la formation. D’autant qu’il s’agit pour le PS de se distinguer de la SFIO, de se montrer, d’occuper le terrain dans tous les domaines, d’imposer une nouvelle image de marque au parti socialiste après celle « dégradée » de la SFIO.
13Posons aussi rapidement qu’une affiche illustrée ou un texte ne se lit pas ou ne se regarde pas de la même façon. Les affiches illustrées permettent d’économiser les mots ou de suggérer autre chose que la simple lecture du slogan, comme les symboles ont leur importance dans les compositions (les trois flèches notamment entre 1945-1946, et le poing et la rose depuis 1971) pour activer la mémoire de ceux qui les regardent. Aussi textes et images ont des fonctions complémentaires et doivent être observés et analysés ensemble, les images posant toujours la question de leur lisibilité « immédiate » par le spectateur : en 1991, la campagne du PS sur le thème « 10 ans qu’on sème » (au subtil jeu de mots… plein d’amour), avec des affiches illustrées de la photographie en couleur d’une main d’où s’échappent des pétales de rose, a ainsi été lue par des observateurs comme une image de la mauvaise gestion des socialistes, qui sèment l’argent des Français.
14Certes, il ne faut pas non plus exagérer l’importance de ces affiches, aussi ite collées, regardées et déchirées, qu’elles coûtent cher, et dont l’impact sur l’électeur est toujours extrêmement difficile à mesurer [8]. De plus, la concurrence de la télévision et les lois sur le financement de la ie politique du début des années 1990 limitent désormais l’utilisation des affiches par les organisations politiques. Comme l’écrit Christian Delporte, « un nouveau coup lui a été porté par la loi du 19 janvier 1995, qui réduit de 25% le plafond des dépenses. Finie donc la débauche des placards 4 x 3 sur les panneaux publicitaires ; désormais – et la dernière élection présidentielle l’a montré de manière édifiante – l’affichage partisan se limite essentiellement au collage militant [9] ».
15Mais, nous plaçant du point de ue de l’émetteur, elles ne manquent pas de faire sens, au moins pour lui, quand bien même il a parfois sous-traité cette partie de son message à des agences de communication. Que ces affiches aient été conçues en interne, par le secteur propagande/communication du parti, où travaillent aussi de rais professionnels (Guy Vadepied, Françoise Castro, Jo Daniel) ou en externe commandées à des agences commerciales, elles l’engagent. Ainsi, indépendamment de la question de leur « réception », sur laquelle les témoignages des acteurs et les réactions des médias renseignent parfois – et sujet délicat, où la subjectivité joue autant que les goûts esthétiques –, elles peuvent nourrir les réflexions sur l’image que le parti eut donner de lui-même.
Ce que nous disent et nous montrent les affiches socialistes
16Il y a quelques années, nous avons étudié le corpus des affiches socialistes sur le siècle en nous interrogeant sur la question de la « pacification » des images. Nous relevions alors que, du drapeau rouge aux trois flèches guerrières (doc. 1, 3), pour aboutir au poing et à la rose (doc. 7, 8, 9), puis à la disparition progressive du poing au profit de la rose, nous pouvions suivre une certaine pacification des images. Les emblèmes socialistes servent essentiellement et successivement de supports aux métaphores graphiques accompagnant les slogans politiques des affiches socialistes sur le siècle. Langage propre des images qui, en bien des circonstances, anticipait sur les décisions politiques. En l’occurrence, il nous semblait que leur étude pouvait être d’une certaine utilité pour comprendre le message que les socialistes eulent adresser à la société, slogans et images en étant le condensé. De même, notre étude des affiches de la campagne des législatives de 1936 et des premiers mois du gouvernement Léon Blum permettait d’observer que socialistes et communistes n’avaient pas cherché à populariser une image du Front populaire, pas plus qu’ils n’avaient, même côté socialiste, tenté par ce moyen de défendre leur bilan face aux campagnes de la droite [10]. Indice supplémentaire que le rassemblement populaire apparaissait pour les partis de la coalition une alliance électorale bien plus qu’un nouvel horizon.
17Logiquement, le parti socialiste « affiche » et « vend »… le parti socialiste : le mot « socialiste », majoritairement accolé à celui de « Parti » est présent dans près de 60% des slogans, et « socialisme » dans 10%, imposant l’idée que oter pour le PS ou la SFIO c’est oter pour le socialisme. Longtemps parti réformiste et révolutionnaire, justement parce qu’il ne fait pas de la réforme le but de son action, et avançant à isage découvert, sa signature aut programme et objectif réformiste et révolutionnaire. Aussi, sans grande surprise, nous n’avons trouvé aucune affiche dont les slogans ou le texte prônent explicitement la révolution ou antent les ertus du réformisme. Le mot « révolution » est totalement absent du lexique propagandiste des affiches socialistes et la réforme ultramarginale : deux occurrences dans celles de la SFIO, pour réclamer la réforme de l’administration en 1947, et celle de la fiscalité en 1955, et une seule au PS… pour s’opposer à la réforme de l’éducation nationale du ministre René Haby.
18Toutefois, les images et les mots des affiches portent aussi des nuances, car la réforme et la révolution peuvent par bien des signes, mots, idées se rappeler au souvenir des électeurs ou des militants. Les affiches du PS, électorales pour la plupart, invitent donc à oter pour lui ou à adhérer, et pour se faire, elles dénoncent un danger (la guerre), un adversaire (le capitalisme, le parti de la guerre), une menace (la crise, le chômage, la montée du racisme…) et/ou annoncent, en même temps, un avenir [11] forcément meilleur avec la ictoire future des socialistes et ou de leurs idées. Les slogans et illustrations décrivent, en majorité, un monde bipolaire. On est, avec des socialistes, contre la guerre, les féodalités financières, les trusts avant-guerre, contre les staliniens, le cléricalisme, le pouvoir personnel sous la IVe République, contre la ie chère et le pouvoir de l’argent à toute époque, la droite et sa politique, le racisme et l’extrême droite depuis les années 1980… Et on est pour le socialisme (il est même régulièrement fait appel à « vote[r] le SOCIALISME »), la société socialiste, la paix (dans l’entre-deux-guerres), pour la justice sociale, la liberté, l’égalité, la fraternité… C’est le « eux et nous », le bien contre le mal. En matière de propagande, le manichéisme est, de droite à gauche, un procédé habituel, frisant en maintes occasions le populisme. Pour les législatives de 1914, une des premières affiches illustrées socialistes, dessinée par le futur député de la Seine, Paul Poncet, montre ainsi une pieuvre jaune, que l’on observe à l’époque dans les dessins et les caricatures, oire sur les affiches d’extrême droite dénonçant le complot judéo-maçonnique, pour signifier l’emprise du capitalisme sur les producteurs. L’image du « coup de balai » contre les profiteurs ou la réaction sert en 1932 et en 1947. On constate qu’en matière de propagande, bien des métaphores sont interchangeables d’un bout à l’autre de l’échiquier politique et sur de longues périodes.
19Au cours du siècle, les termes changent, les images évoluent mais le procédé demeure. Cette dualité se retrouve dans les mots d’ordre et les slogans des affiches. Les termes « contre » et « pour » sont utilisés dans les productions de la SFIO respectivement treize et quarante-deux fois, dans celles du PS sept et quatre-vingt-une fois, manifestant que le discours des affiches deviendrait nettement plus « positif », dans les mots et objectifs, après Épinay. Métaphoriquement, même avec un texte annonçant un avenir meilleur à défaut d’être radieux, c’est le plus souvent une image sombre et inquiétante de la réalité du monde qui est proposée. Jusqu’aux années 1980, la représentation de l’avenir, qui se « visualise » plus difficilement (le PS, comme les autres partis, peine à sortir des clichés : soleil, arc-en-ciel, isage de femme…) compte tenu de l’impact supposé plus fort de l’image faite pour attirer, conduit à construire les affiches sur ce principe.
20Cette ision en négatif de la société diffusée par l’affiche est donc bien plus développée dans les années 1970, celles de la conquête du pouvoir par un parti d’opposition. Le recours à des photos en noir et blanc accentue l’impression d’un monde sombre, quand les affiches de la SFIO des années d’après-guerre, par exemple, cherchaient par des compositions colorées et toniques, après le matraquage des propagandes ichyste et nazie, à submerger les citoyens d’images « positives ». À l’inverse, dans les années 1985-1986, les stratégies marketing du PS le feront opter pour des campagnes décalées sur le thème « au secours, la droite revient », jouant sur une fausse-vraie peur, avec des dessins et des photos en couleurs dédramatisant le message mais insistant tout de même sur la menace que constituerait un retour de la droite aux affaires.
21Évolution dans le traitement du message donc qui cherche à coller à l’air du temps et à se renouveler, mais aussi évolution quant à « l’objectif » stigmatisé. La droite est devenue l’adversaire principal depuis la ictoire de la gauche en 1981, et plus encore avec la perspective du retour à l’opposition en 1986. Jamais désignée de cette manière par la SFIO [12] qui préfère parler du capitalisme, des profiteurs, des marchands de canons, de manière marginale par le PS des années 1970 (le mot « droite » est cité dans 4 affiches sur 244 avant 1984 [13]) qui préfère les attaques ad hominem contre Giscard, Barre, Haby, les casseurs de l’université (Giscard-Saunier-Séïté) – auxquels succèderont, à partir de 1983 le leader du Front national, Le Pen, puis Chirac, Balladur, Pasqua –, elle est depuis 1985 une fois sur quatre l’ennemi des socialistes (mentionnée 28 fois dans les textes des 95 affiches de la période 1985-1993). Parti d’opposition, puis parti de gouvernement, puis parti d’alternance, ce discours du PS traduit la bipolarisation de la ie politique, et l’emprise des communicants pour un message simple, direct, qui accentue les clivages.
22Parallèlement, l’usage du terme « gauche » permet aussi de positionner le PS. Jamais utilisé dans les affiches de la SFIO, il apparaît dès 1972 au PS dans l’expression « union de la gauche », pour accompagner la signature du Programme commun. Le PS se réinscrit ainsi à gauche, mais n’oublie pas son concurrent direct, le parti communiste (PC). Le PS est à cette étape une composante de la gauche, dans les années 1970 et jusqu’en 1983. À partir de 1985, le terme « gauche » est associé au seul PS dans la campagne de quatre affiches de 1986 sur le thème « je eux récolter ce que j’ai semé à gauche » (doc. 8) comme dans celle de 1993, « le monde est trop dur pour le laisser à la droite, je ote à gauche ». Désormais, sans plus choquer personne ou prêter à sourire, le PS peut se revendiquer comme « la Gauche » à lui tout seul.
La révolution pour mémoire
23Depuis ses premières affiches, le caractère « révolutionnaire » de la SFIO s’affirme dans ses slogans offensifs et dénonciateurs, ses images iolentes, contre la spéculation capitaliste (1913 : « La pieuvre capitaliste : Organisés, les producteurs écraseront la Pieuvre » ; 1928 : « Hardis les gars. À bas la spéculation ») et la politique gouvernementale (en 1924 : « Bilan de ruine, le “Bloc national” C’est la ruine » oir doc. 2 ; 1932 : « Contre la politique dite de prospérité de Tardieu »), dans les images par l’usage quasi systématique de la couleur rouge (dans plus de 60% des affiches). Elle recourt également de manière récurrente à la figure du « prolétaire », exploité mais révolté, appelant au « Rassemblement », pour protéger sa famille d’une politique capitaliste économiquement néfaste et dangereuse pour la paix. Parti d’opposition, à la conquête du pouvoir, son discours et ses images sont essentiellement conçus pour frapper, dénoncer, avec des couleurs agressives (rouge, noir). Il s’adresse à l’électeur-citoyen et se présente dans sa radicalité (doc. 3). Mais les stratégies de « marketing » commencent dès la Libération. À l’heure du tripartisme et des responsabilités assumées dans la reconstruction du pays, les socialistes développent des campagnes déclinant les mêmes slogans et les mêmes types de isuel en direction des travailleurs, des femmes, des jeunes et des ieux. La famille, le monde paysan, les ieux sont en effet des cibles à ne pas négliger. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer, d’annoncer la solution socialiste, il faut cibler des publics. Cependant, lorsque les tensions reviennent, que le climat politique se tend, que les résultats électoraux ne sont pas à la hauteur, comme à la fin de l’année 1946, la SFIO durcit son discours propagandiste. Le noir et le rouge dominent alors les compositions d’Henri Monier pour souder les troupes, cliver l’électorat, et dénoncer des adversaires oire des partenaires, qui ne jouent plus le jeu [14].
24Geste de combat à gauche depuis le début des années 1930, le poing brandi n’est que très rarement repris dans les affiches, même s’il est toujours présent dans les manifestations de rue ou dans les meetings et congrès. Le poing est cependant suggéré dans une quinzaine d’affiches qui le montre ouvrant un rideau, serrant un outil (marteau, manche de pioche…), tenant un drapeau. Les mains, quant à elles, sont présentes dans un tiers du corpus de la SFIO, à la fois dans un geste protecteur (pour défendre la république, les enfants, la mère de famille…), électoral, et de désignation de l’adversaire. Quand le poing s’affiche, en deux occasions, c’est, comme en 1946, celui d’une jeune femme, son large sourire et son attitude enant atténuer ce que ce geste pourrait avoir d’agressif. Sur les affiches, on ne figure pas non plus une foule sous un jour qui pourrait la rendre menaçante. Elle est toujours disciplinée, ou écrasée par la fatalité et la dureté du temps.
25Ce principe énonciatif a tendance à disparaître des affiches du PS et de sa communication dans les années 1970 : il ne s’agit plus dès lors de dicter ou de commander, d’agir, mais de convaincre et d’attirer ; il faut moins persuader et faire craindre qu’amener à soi. La séduction se fait plus évidente. Le début des années 1970 crée une césure entre une époque caractérisée par la figuration exceptionnelle du poing serré et levé sur les affiches SFIO et une autre qui consacre l’omniprésence de la rose au poing du PS. Le logo « le poing et la rose [15] » a signer quasiment toutes les affiches socialistes à partir de septembre 1971 (doc. 10).
26Héritier de Mai 1968, dont il entend traduire les aspirations à une société plus ouverte, autogestionnaire, une société de citoyens, ouverte aux femmes, accueillante envers les étrangers, soucieuse des préoccupations écologistes qui commencent à se manifester, ce symbole contient toutes ces promesses. Par le geste qu’il montre, il exprime de surcroît la lutte et dispense d’autres expressions d’affrontement : les mains sont moins présentes dans les affiches socialistes, elles font place aux isages, surtout ceux de leaders – comme François Mitterrand, Lionel Jospin, François Hollande, Ségolène Royal –, mais aussi de citoyens : pensons, pour aller jusqu’à une date récente, à la Marianne aux mille isages de la pré-campagne du PS pour l’élection présidentielle 2002 à l’automne précédent, ou aux affiches de Ségolène Royal en 2006-2007, la première de sa campagne la montrant au milieu d’une foule anonyme, les suivantes, seule en icône républicaine. Le logo dispense désormais de figurer l’action, la lutte, le combat. Même en janvier 1988 quand des affiches miment le geste d’offrir une rose, les corps nus d’une femme, d’un homme ou d’enfants lui donnant une séduction, ses allégories républicaines étant évidentes avec les slogan « liberté, égalité et fraternité… chérie » ; ce n’est pas un geste de lutte mais un clin d’œil qui est recherché. Surtout, les affiches popularisent le symbole et imposent la rose comme la fleur des socialistes, le fait de tendre une rose comme leur marque déposée. Le rouge demeure comme message subliminal d’une révolution toujours présente dans la mémoire.
27Dans les années 1970, le logo n’est pas le seul élément du nouveau discours symbolique socialiste. Le « Changer la ie », titre du programme-manifeste des socialistes adopté en 1972, devient autant qu’un éritable slogan un idéal, un objectif, une devise, oire une formule incantatoire. Ce mot d’ordre de changement radical, emprunté à un poème de Rimbaud, contient sa part de révolution, et fait directement écho au logo, dans sa double perspective de lutte et d’espoir. Mais relevons qu’à partir de la fin 1977, sur la consigne officieuse de François Mitterrand, le PS n’utilise plus ce slogan, se contentant désormais de prôner le « changement », de « changer de politique », ou simplement de « rassembler pour changer », sans autre précision, que celle d’annoncer « l’autre politique [16] ». En effet, la perspective de la ictoire le conduit à tempérer son discours « révolutionnaire » de rupture afin de ne pas créer de faux espoirs ou des attentes irréalisables. Dès lors, comme le souligne le message de l’affiche-texte réalisée par Claude Baillargeon sortie en septembre 1977 : « Les socialistes tiennent ce qu'ils promettent. Ils ne promettent que ce qu’ils peuvent tenir. » Cet engagement est écrit en lettres blanches sur un fond bleu ciel, avec une pointe de rouge dans le logo du PS qui signe l’affiche. Le PS retrouve désormais un discours républicain, plus apaisé, les affiches de la campagne présidentielle de 1981 renouant avec le fonds traditionnel des aleurs socialistes. Slogans et affiches portent là un message plus clair, plus cohérent avec l’action qui a suivre, que les textes et motions des congrès socialistes de la période.
28De même, si le mot « socialiste » est toujours présent dans les affiches, il l’est grâce au nom du parti, et rarement comme objectif ou perspective. Le mot « socialisme », présent dans le message de quinze affiches éditées avant mars 1980, dont le célèbre « "le socialisme une idée qui fait son chemin." François Mitterrand », illustré d’une photographie de François Mitterrand marchant dans la campagne et diffusée en 1976, disparaît peu après. Le dernier slogan qui y recourt sur une affiche-texte, à un an de l’élection présidentielle de 1980 : « Le projet socialiste : le socialisme pour un peuple libre » est sans doute trop clivant. À partir de 1980, le socialisme n’est plus un objectif dans les affiches. On retrouve les mêmes fluctuations pour le nom « parti socialiste » qui dans bien des affiches publiées dans le cadre de campagnes confiées à des agences commerciales (« Au secours, la droite revient », 1985 ; « Le monde est trop dur pour le laisser à la droite, je ote à gauche », 1993) est escamoté, le logo « le poing et la rose » servant seul d’identifiant, et parfois même « en réserve », comme sur l’affiche de 1993 « Le monde est trop dur pour le laisser à la droite… », le rouge disparaissant. Il faut séduire, et le décalage s’accentue entre l’image qu’offre le parti et les débats qu’il nourrit en son sein. La logique de communication l’emporte dans les messages des affiches, mais on peut aussi se demander si elle n’est pas une traduction plus fidèle de ce que sont devenus les objectifs de la politique des socialistes : faire mieux que la droite, plus sociale, plus juste, plus solidaire. Mais dans le même cadre ?
La réforme, une aleur socialiste ?
29En matière de aleurs, à la ision duale, manichéenne, propagandiste, développée dans la plupart des affiches, se superpose à la Libération un message au rythme souvent ternaire, porté par les slogans tels « pain, paix, liberté » hérités du Front populaire, et que l’emblème « les trois flèches » rappelle jusque dans les années 1960. Écho de la devise de la République, « liberté, égalité, fraternité », aleurs qui fondent, avec la justice sociale, l’identité socialiste. Valeurs républicaines qui se retrouvent à travers les thèmes, slogans ou couleurs dans 22% de notre corpus d’affiches SFIO, mais qui se montrent avec force dans les années 1944-1946, quand près de la moitié (21) des 44 affiches publiées s’y rattachent, dont onze fois avec la figure de Marianne, ou une allégorie de la liberté. Même si la liberté ou la Marianne des socialistes sont « coloriées » en rouge, le message républicain sous-jacent recherché par l’émetteur demeure évident pour le récepteur. Cette thématique républicaine, que l’on retrouve en 1958 avec, comme en 1945, une affiche commandée à Paul Colin (« À l’avant-garde de la Ve République », doc. 6), marginale dans les années 1970, revient en force au PS pour la campagne présidentielle de 1981, campagne du candidat conduite par l’agence RSCG (Roux-Séguéla-Cayzac-Goudard), dont des éléments sont repris pour la communication du PS (couleurs bleu, blanc et rouge, illage de l’affiche de Mitterrand, etc.) pour les législatives suivantes.
30Dans les messages de ses affiches, le PS annonce les réformes qu’il mettra en place quand il arrivera au pouvoir : retraite, augmentation de salaires, congés payés, arrivent en tête des mesures avancées au cours du siècle, l’égalité homme-femme, et les préoccupations environnementales émergeant dans la deuxième moitié des années 1970. C’est la seule manifestation des « réformes » que le PS entreprendra pour « changer ». Dans une étude sur les affiches socialistes des années 1980-1989, Jacqueline Freyssinet-Dominjon [17] montre le rôle joué par ces « mots-valeurs partagés », qui, au début de la période, sont puisés dans les thématiques traditionnelles (« Paix, Emploi, liberté ») qui retrouvent en 1988 la devise de la république « Liberté, Égalité, Fraternité », symbolisée également par la thématique de la campagne de François Mitterrand autour de la France unie : mais, les droits de l’homme, la justice (sociale), l’antiracisme et la tolérance, surtout dans les campagnes du Mouvements des jeunes socialistes (MJS), iennent compléter ces référents du socialisme fin de siècle.
31Force est aussi de constater que les affiches socialistes défendent peu les politiques socialistes : c’est rai au moment du Front populaire, mais c’est également rai dans les années 1945-1946, comme si l’affiche ne pouvait que dénoncer un adversaire et « faire rêver », laissant donc peu de place à la défense, la revendication ou l’explication des politiques suivies. En 1958, la SFIO de Guy Mollet rappelle la troisième semaine de congés payés et les deux premières otées par le gouvernement Léon Blum (doc. 5). Une manière de s’inscrire dans la filiation du Front populaire et de Léon Blum, mais aussi d’exprimer une« fierté » – exceptionnelle – pour une « réforme » politique. Après 1981, pour les municipales de 1983, la campagne d’affiches-textes « La gauche a de l’avant » met en exergue ses réformes : « la retraite à 60 ans, la semaine de 39 heures, la 5e semaine de congés payés » ; ses réussites économiques : « le relèvement des bas salaires, le coup d’arrêt de l’inflation, le chômage stabilisé ». Mais il semble que c’est avec le slogan « ne laissons pas la droite faire marche arrière » que le parti socialiste entend mobiliser. Il n’affiche pas la réforme pour la réforme. Jusqu’en 1985, il met en avant ses réalisations mais une nouvelle phase semble s’inaugurer alors, le retour de la droite au pouvoir marquant la réapparition d’un discours binaire, parfois très iolent, loin de la mise en aleur du « bilan ».
Conclusion
32Quelques enseignements peuvent être tirés de cette exploration rapide de près d’un siècle d’affiches socialistes observées au prisme de la réforme et de la révolution, et de l’idéal socialiste. D’abord, sans relever d’un double langage, les deux termes ne s’opposent pas, ils sont les deux aspects du combat des socialistes. Mais ils sont plus suggérés qu’affirmés. Ensuite, ils s’intègrent sur un fond républicain ancien qui s’exprime avec force dans les images dès les premières expériences de gestion gouvernementales, en 1936 puis à la Libération, et qui ressurgit en 1981 : le contexte électoral prime et, plus la perspective de gouverner s’approche, plus le message se républicanise.
33D’un point de ue des images et slogans, la boîte à outils des socialistes se renouvelle peu, et il faut toute la créativité de certains affichistes sollicités dans les années 1970 ainsi que l’inventivité des agences de communications dans les « grandes années » 1986-1988 pour renouveler leur « discours isuel ». Le parti socialiste est timide avec ses images, et ne les change que sous la contrainte, aux lendemains de crises. Ainsi, depuis 1971, au-delà du symbole « le poing et la rose » omniprésent en signature des affiches ou en illustration principale, et des métaphores qu’il inspire à partir de 1979 – l’offrande d’une rose ou une rose « colonisant » tout (jusqu’au manche d’un marteau…) mais avec un escamotage du poing –, d’hier à aujourd’hui, c’est un classique soleil (se levant, éclairant, surgissant des nuages…) ou un arc-en-ciel qui figurent encore dans les années 1990 l’avenir ersion socialiste.
34« L’invention » du « poing et la rose » est donc d’une certaine façon un coup de génie puisqu’après quarante ans de bons et loyaux services, ce symbole sert toujours à la fois de référent historique et d’éternelle promesse d’avenir, tout en continuant, contre ents et marées, à porter un message des années 1970 auquel les socialistes eulent encore croire. Sa réinterprétation, sans débat, et presque a minima en janvier 2010 montre sa puissance intacte (doc. 10). Elle révèle peut-être qu’il est difficile de s’en séparer sans paraître s’attaquer ou renier le « parti d’Épinay » lui-même, parti qui a remporté les ictoires de 1981 et 1988, de 1997. Cela tiendrait-il du sacrilège ? Ou est-ce une nouvelle fois un hommage du parti à un symbole dont la signifiant et le signifié collent toujours à son projet ?
Parcours rapide sur un siècle d’affiches et de symboles socialistes
Recension des affiches socialistes 1905-1993
Recension des affiches socialistes 1905-1993
Recension des affiches socialistes 1905-1993
Mots-clés éditeurs : propagande, mémoire socialiste, parti d'Épinay, iconographie, socialisme
Date de mise en ligne : 07/04/2011.
https://doi.org/10.3917/hp.013.0008Notes
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[1 ]
1905, soleil levant, avec au même moment le drapeau rouge avec lettres PS dorées ; 1945, adoption officielle des trois flèches utilisées depuis 1934 comme symbole de la lutte antifasciste ; 1971, le poing et la rose.
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[ 2 ]
Alain Bergounioux, Déclarations de principes socialistes 1905-2008, Paris, Encyclopédie du socialisme, 2008, 64 p.
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[ 3 ]
Cf. Fabrice d’Almeida, « La SFIO, la propagande, les affiches (1945-1969) », Cahier et revue de l’OURS, n° 211, mai-juin 1993, et Gilles Morin et Frédéric Cépède, « Les socialistes et la symbolique républicaine, XIXe-XXIe siècles », à paraître dans les actes du colloque intitulé « Un territoire de signes : les manifestations de la symbolique républicaine de la Révolution à nos jours » (Paris I Panthéon-Sorbonne et l'université Paris-Diderot Paris VII, 2008).
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[ 4 ]
Beaucoup des images citées dans cet article sont consultables dans Alain Bergounioux et Frédéric Cépède (dir.), Des poings et des roses, Le siècle des socialistes, Paris, La Martinière, 2005, 248 p.
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[ 5 ]
Frédéric Cépède et Éric Lafon (dir.), Le monde ouvrier s’affiche, un siècle de combat social, Paris, Nouveau monde éditions/Codhos, 2008, 128 p.
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[ 6 ]
Témoignages d’Yvette Roudy (mars 2010), et d’Anne-Catherine Franck (membre de la commission propagande dans les années 1970, puis responsable de la communication du PS entre 1983 et 1987, 1988 et 1991 et, enfin, de 1997 à 2005, le 3 juin 2009), séminaire « socialisme » 2008-2009 (l’Office universitaire de recherche socialiste – l’OURS –, Fondation Jean-Jaurès, Centre d’histoire sociale – CHS – du XXe siècle, Paris 1) consacré au thème « La communication des socialistes : regards d’acteurs et de chercheurs ».
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[ 7 ]
Ce corpus n’est pas exhaustif. Il est constitué des documents conservés à l’OURS, à la Fondation Jean-Jaurès, au Musée d’histoire contemporaine – Bibliothèque de documentation internationale (BDIC), les collections privées de Michel Dixmier, Alain Gesgond et/ou listés dans la presse socialiste. Ne sont comptabilisées ici que les affiches dont nous avons pu identifier les slogans et images.
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[ 8 ]
Cf. Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « Dix ans d’affiches du parti socialiste (1980-1989) », Mots. Les langages du politique, n° 22, mars 1990, p. 43-60.
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[ 9 ]
Christian Delporte, « Incarner la République. Les affiches présidentielles de François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac (1974-1995) », Sociétés & Représentations, n° 12, 2001/2, p. 73.
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[10 ]
Frédéric Cépède, « Les affiches du Front populaire : quelle guerre des images ? », dans Gilles Morin et Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 381-390.
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[11 ]
Sur le thème central de l’avenir dans l’affiche politique, Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 21-22, octobre 1990-mars 1991, sous la direction de Laurent Gervereau.
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[12 ]
Sauf en 1955 dans trois affiches de la fédération socialiste de la Seine qui dénoncent « les staliniens et la droite » qui se sont opposés à la déclaration ministérielle de Christian Pineau.
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[13 ]
En 1974, dans l’affiche de la campagne du PS pour le candidat François Mitterrand avec le slogan : « La seule idée de la droite garder le pouvoir. Mon premier projet, vous le rendre », François Mitterrand ; et dans une seule campagne de trois affiches illustrées en 1976 sur le thème « la droite c’est l’échec, le socialisme, l’avenir ».
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[14 ]
Ces affiches à l’italienne, noir, blanc, rouge, proposent chacune un dessin avec une légende, montrant une menace pour la France, les pouvoir d’achat, les jeunes…
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[15 ]
Frédéric Cépède, « Le poing et la rose, la saga d’un logo », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 49, janvier-mars 1996.
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[16 ]
Témoignage de Jo Daniel, le 4 mars 2009, lors de son exposé « Du tournant d’Épinay à l’accès au pouvoir, dix ans de communication du PS (1971-1981) », présenté dans le cadre du séminaire « socialisme » 2008-2009, op. cit.
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[17 ]
Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « Dix ans d’affiches du parti socialiste (1980-1989) », op. cit., p. 49-50.