Notes
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[1]
De nombreux ouvrages ont été consacrés à la conférence de 1910. Le plus récent et celui qui peut être considéré comme la référence en la matière est de Brian Stanley, The World Missionary Conference, Edinburgh 1910. Grand Rapids, MI & Cambridge, UK, Eerdmans, 2009, 352 p. Des réflexions contemporaines menées par quelques grands noms de la missiologie sur les huit commissions ont été réunies dans le livre suivant : David A. Kerr & Kenneth R. Ross (eds), Edinburgh 2010. Mission then and now. Oxford, Regnum Books International, 2009, 343 p.
-
[2]
Concernant l’impact des mouvements missionnaires sur l’œcuménisme à la fin du xixe et au début du xxe siècle, cf. Ruth Rouse, « Voluntary Movements and the Changing Ecumenical Climate », et Kenneth Scott Latourette, « Ecumenical Bearings of the Missionary Movement and the International Missionary Council » in Ruth Rouse and Stephen Charles Neill (eds), A History of the Ecumenical Movement, Vol. 1, 15171948, p. 307-402. En français, on pourra se référer avec profit à l’ouvrage classique de Jean-François Zorn, Le grand siècle d’une mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914. Paris, Les Bergers et les Mages & Karthala, 1993, pages 687-704 (chapitre « La participation de la Mission de Paris au mouvement missionnaire mondial de 1860 à 1910 »).
-
[3]
Comme les catholiques ou les orthodoxes.
-
[4]
Les biographies classiques sont : C. Howard Hopkins, John R. Mott 18651955. A biography. Grand Rapids, Eerdmans, 1979, 816 p. ; Keith Clements, Faith on the Frontier. A life of J.H. Oldham. Edinburgh, T. & T. Clark and Geneva, WCC, 1999. Le chapitre de Clements sur Édimbourg est particulièrement important à consulter.
-
[5]
Version française des titres reprise de l’ouvrage de Zorn, op. cit., p. 697-701.
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[6]
On verra plus loin à quel point la coopération entre missions, étroite en bien des points, restait très limitée en ce qui concernait l’évangélisation comprise dans le sens de proclamation de l’Évangile et invitation à la foi. On touche là réellement à l’un des points sensibles des relations entre Églises.
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[7]
Les lignes qui précèdent sont un résumé. Sur l’ensemble des développements, cf. Clements, op. cit., p. 73-90 et Stanley, op. cit. p. 18-72.
-
[8]
Stanley, op. cit., p. 5
-
[9]
Ibidem, p. 73, 91-99
-
[10]
Il s’agissait des Unions Chrétiennes des Jeunes Gens UCJG et de la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants - FUACE.
-
[11]
World Missionary Conference 1910, Report of Commission VIII, Cooperation and the Promotion of Unity, with supplement: presentation and discussion of the report in the conference on 21st of June 1910. Edinburgh & London, Oliphant, Anderson & Ferrier ; New York, Chicago and Toronto, Fleming H. Revell Company, 1910. p. 1-2.
-
[12]
Rapport de la Commission viii, op. cit., p. 4. Les traductions du rapport sont faites par l’auteur de cet article et n’ont pas de caractère officiel.
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[13]
Selon les statistiques publiées annuellement par l’International Bulletin for Missionary Research dans son numéro de janvier, le pourcentage de chrétiens est resté stable durant les cent dernières années. La croissance numérique du christianisme ne représente pas une croissance en pourcentage. Cet état de fait pourrait donner matière à réflexion théologique quant à la signification de la mission, mais aussi quant à l’intention et au plan de Dieu pour l’humanité ainsi qu’au rôle des autres religions dans une telle perspective.
-
[14]
Rapport de la Commission viii, op. cit., p. 5.
-
[15]
Ibidem, p. 9.
-
[16]
Ibidem. Il n’est pas possible à partir d’une lecture « littérale » du texte du rapport de savoir jusqu’à quel point le débat a eu lieu au sein de la commission, cependant. Il s’agit d’une hypothèse de travail. Les ouvrages consultés sur l’histoire des préparatifs de la Conférence ne mentionnent pas cette problématique d’Églises nationales. Stanley, dans son évaluation d’Édimbourg, rappelle que les chrétiens d’Asie avaient déjà avant 1910 cherché comment développer des formes d’Églises qui seraient conformes aux aspirations d’unité nationale et d’authenticité culturelle. Stanley, op. cit., p. 312. La question nationale allait cependant devenir brûlante pour les Églises et sociétés missionnaires dans les années suivantes, marquées par la première guerre mondiale.
-
[17]
Ibidem.
-
[18]
Ibidem, p. 21.
-
[19]
Ibidem, p. 42.
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[20]
Ibidem, p. 44.
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[21]
Ibidem, p. 76.
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[22]
Ibidem, p. 76-77.
-
[23]
Ibidem, p. 137.
-
[24]
Ibidem, p. 198-199.
-
[25]
C’était un des seuls à s’exprimer avec une certaine hésitation lors du débat sur la constitution d’un Comité de continuation.
-
[26]
Citations tirées du rapport de la Commission viii, op. cit., p. 216.
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[27]
Ausschuss der deutschen evangelischen Missionen, comité réunissant 12 sociétés de missions en vue de coordonner leurs relations avec le ministère allemand des colonies et d’organiser tous les 4 ans une conférence missionnaire nationale, Stanley, op. cit., p. 281.
-
[28]
Le document allemand proposait même une composition pour ce comité : 6 Grande Bretagne, 6 USA, 4 Europe, 1 Canada, 1 Afrique du Sud, 1 Australie. Aucune représentation des jeunes Églises prévue. Cf. Stanley, op. cit., p. 284-285.
-
[29]
Après cent ans de mouvement pour l’unité, les progrès en matière d’évangélisation réellement commune sont restés très limités. Des progrès majeurs ne pourront être faits que suite à des rapprochements en ce qui concerne le lien entre ecclésiologie et sotériologie.
-
[30]
Créée en 1947 par le Conseil International des Missions et le Comité provisoire du COE. Cette Commission, mieux connue sous son nom anglais de Commission of the Churches on International Affairs, CCIA, a été un des outils les plus importants du COE dans le domaine politique et les relations avec l’ONU, devenant dans certains cas un véritable département diplomatique du mouvement œcuménique non catholique.
-
[31]
On trouvera tout chez Stanley, op. cit., p. 277-302.
-
[32]
Stanley, op. cit., p. 302.
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[33]
Clements, op. cit., p. 73.
-
[34]
Le terme fondamentalisme a été créé par un journal baptiste nord-américain en 1920 pour décrire les conservateurs. La série de livres mentionnée défendait contre les tendances libérales et darwiniennes les piliers suivants du christianisme : naissance virginale de Jésus, sa résurrection corporelle, sa divinité, le sacrifice expiatoire, l’inerrance des Écritures. Cf. Olivier Favre, Les Églises évangéliques de Suisse. Origines et identités, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 47s.
-
[35]
Cf. les réflexions de Stanley quant à la position des sociétés dites Faith Missions, op. cit., p. 320-324.
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[36]
Qui réunit à peu de chose près les responsables missionnaires des organismes et Églises qui ont participé au Forum chrétien mondial tenu à Nairobi à la fin 2007. Cf. Hubert van Beek (ed), Revisioning Christian Unity. The Global Christian Forum. Regnum Books, Oxford Centre for Mission Studies, 2009, 288 p.
-
[37]
Stanley, op. cit., p. 6.
-
[38]
Kenneth Scott Latourette mentionne bien que l’engagement pour l’unité en Asie avait précédé les délibérations d’Édimbourg, mais que celles-ci avaient encouragé et motivé les chrétiens à renforcer leur engagement. Cf. Latourette, op. cit., p. 378s.
-
[39]
Il est normal que l’historien qu’est Stanley précise bien la différence entre les perspectives de 1910 telles qu’elles ressortent des documents et les déclarations plus tardives de Mott et Oldham, cf. op. cit., p. 5. Le dernier chapitre de Stanley fournit une interprétation balancée de l’héritage d’Édimbourg.
1La Conférence missionnaire mondiale d’Édimbourg est traditionnellement considérée comme le point de départ symbolique du mouvement œcuménique contemporain [1]. Historiquement parlant, cela peut se discuter ; car c’est depuis 1854 en tout cas que se sont tenues à intervalles irréguliers des conférences missionnaires dont certaines portaient le titre d’« œcuméniques », comme la plus importante, celle de New York, en 1900 [2]. À l’origine, la conférence en Écosse (imaginée dès l’année 1907 et proposée par les Américains) aurait dû porter le titre de « 3e Conférence œcuménique », mais le comité international préparatoire estima qu’il devait être abandonné, pour deux raisons qui ne manquent pas d’intérêt si elles sont relues après cent ans : a)- les sujets abordés auraient dû être plus larges ; b)- un certain nombre d’Églises historiques [3] auraient dû participer.
Les préparatifs de la Conférence
2La Conférence de 1910 avait les caractéristiques d’une réunion de délégués de sociétés missionnaires engagées dans la mission outre-mer. Le nombre de délégués avait été attribué selon la part du budget de chaque société dépensé à l’étranger. La Conférence était préparée principalement par des représentants des sociétés de mission nord-américaines et britanniques, les deux organisateurs principaux étant John Mott (américain) et Joe Oldham (écossais) [4].
3Un grand soin avait été mis à une préparation sérieuse, ce qui distinguait Édimbourg des conférences précédentes. Il avait été décidé de constituer huit commissions d’études, chargées d’élaborer un état des lieux de la situation missionnaire sur la base de questionnaires envoyés sur le terrain. Chaque commission fournirait à la Conférence un rapport dont la synthèse devait être envoyée à l’avance à tous les délégués. Le comité international décida de la composition des directions de chacune des commissions, en prenant la liberté expresse de nommer également des personnes qui ne seraient pas déléguées.
Huit thèmes choisis et autant de commissions
4Les thèmes choisis sont connus, mais il est bon de les répéter ici :
- La prédication de l’Évangile au monde non chrétien tout entier.
- L’Église dans le champ de la mission.
- L’éducation dans son rapport avec la christianisation de la vie nationale.
- Le message missionnaire dans ses rapports avec les religions non-chrétiennes.
- La préparation des missionnaires.
- La base métropolitaine des Missions.
- Les missions et les gouvernements.
- La coopération et la promotion de l’unité [5].
Deux débats de fond
5Deux débats de fond ont marqué les années de préparation de la Conférence.
6Le premier touchait à la règle de base qui avait été convenue, c’est à-dire qu’il fallait exclure des délibérations de la Conférence toute question de type dogmatique ou d’ordre ecclésiastique qui pourrait diviser les participants. La Conférence devait se préoccuper exclusivement de questions de coopération pratique en vue d’une meilleure évangélisation dans le monde. S’il y avait accord quant à cette règle de base, il y a eu débat quand il a été question de savoir si la règle s’appliquait également au travail des commissions sur la base du résultat des réponses aux questionnaires. Alors que les Américains favorisaient une certaine liberté quant au travail en commission (en particulier la commission viii), la branche dite anglo-catholique de l’Église d’Angleterre s’y opposait farouchement. Le talent diplomatique d’Oldham lui permit de trouver une formule de consensus, respectant la décision de principe prise d’exclure des débats de la conférence les sujets théologiques de division, mais sans heurter les Américains.
7Un autre débat tout aussi délicat a failli mettre en péril la tenue de la Conférence. Un groupe de statisticiens était à l’œuvre pour produire un atlas statistique de l’avance des missions. La question se posait alors de savoir quelles parties du monde l’on devait considérer comme « non chrétiennes ». Pour simplifier, on peut dire que les organisations américaines à tendance évangélique considéraient que les régions avec beaucoup de chrétiens dits nominaux ne pouvaient pas réellement être considérées comme « chrétiennes ». Elles auraient donc dû être incluses dans l’atlas. De hauts représentants de l’Église d’Angleterre mirent leur veto : si cela devait être le cas, ils se retireraient de la conférence. À leur avis, elle ne saurait en aucun cas inclure dans sa perspective le témoignage chrétien visant à convertir des membres d’Églises existantes. Il est hautement significatif de constater que le problème du prosélytisme a eu tendance à diviser le « mouvement œcuménique » dès avant sa naissance officielle. Cela montre bien qu’il y a là un des sujets majeurs à reprendre constamment pour changer les pratiques et guérir les mémoires [6]. Le débat sur l’atlas aboutit à des compromis pas toujours faciles à expliquer en pure logique : on décida d’exclure l’Amérique latine, excepté pour le travail auprès des populations indigènes et des immigrants non chrétiens. On accepta aussi finalement d’inclure les pays à forte majorité musulmane comme la Turquie, l’Iran ou l’Égypte, en dépit du fait que des Églises à longue tradition historique existaient dans ces pays [7].
Le début d’un œcuménisme plus large
8Les responsables de la préparation d’Édimbourg avaient à cœur de maintenir dans les rangs des comités et commissions de hauts représentants de l’Église d’Angleterre (tendance High Church) ; car sans eux, la Conférence n’aurait réuni que le protestantisme de type évangélique. Commentant a posteriori les événements de 1910, Oldham estimait que la décision de Charles Gore, évêque de Birmingham et figure de proue du courant anglo-catholique, d’accepter en 1908 l’invitation à participer à Édimbourg fut un tournant dans l’histoire du mouvement œcuménique. Sans cette décision, le courant High Church de l’Église d’Angleterre et la société de mission qui lui était liée (Society for the Propagation of the Gospel) seraient restés à l’écart de la Conférence. Selon Oldham, cité par Stanley, cela aurait eu pour conséquence de priver la Conférence de la présence de l’archevêque de Cantorbéry, Randall Davidson, lors de son ouverture officielle [8]. Or c’est précisément la rencontre, dans les commissions et dans la conférence, entre évangéliques américains ou britanniques, protestants continentaux et anglo-catholiques qui a donné à Édimbourg la caractéristique d’un début d’œcuménisme plus large.
Peu de représentants des « Jeunes Églises »
9La Conférence s’est tenue du 14-23 juin avec 1 215 délégués officiels, dont 207 femmes. Sur les 1 215 délégués officiels, 18 seulement provenaient de ce que l’on appelait les « jeunes Églises », c’est-à-dire les Églises de Turquie (1), Inde (8), Japon (4), Chine (3), Corée (1) et Birmanie (1). Au moment de terminer la rédaction de son livre, le professeur Stanley a encore découvert un dix-neuvième représentant du « Sud », un Africain, non inscrit sur les listes, mais qui a participé à la Conférence, le pasteur M. C. Hayford de la Côte de l’Or [9]. Originellement méthodiste, ce fils d’un couple mixte avait passé par une Église indépendante, puis baptiste. Il s’agissait d’un Africain occidentalisé. Lui excepté, il n’y avait aucun « vrai » Africain à Édimbourg, bien que de nombreux rapports aient fait état de la présence de noirs. Il s’agissait dans tous les cas d’Afro-Américains, qu’à l’époque on considérait comme Africains et non comme Américains. Personne ne s’était donc préoccupé de ce qu’aujourd’hui on considérerait comme l’absence de l’Afrique.
10Ce sont les théologiens asiatiques présents en 1910 qui ont fourni malgré leur nombre très réduit une contribution de valeur à la réflexion sur la mission et en particulier sur l’importance de la coopération et de l’unité en mission. Plusieurs d’entre eux étaient non seulement des théologiens formés, mais avaient eux-mêmes une expérience d’engagement dans la mission et dans des structures de coopération. Pour la plupart issus des mouvements étudiants chrétiens [10], ils y avaient fait l’expérience d’une réelle amitié et coopération inter-culturelle, plus forte que celle qu’ils vivaient avec les missionnaires. C’est d’ailleurs grâce à leur participation dans les mouvements étudiants qu’ils avaient pu faire la connaissance des organisateurs d’Édimbourg, qui, reconnaissant leurs qualités, n’ont pas hésité à intervenir pour les inviter.
Les travaux de la Commission viii
11Dans l’introduction de son rapport, la Commission rappelle qu’elle a travaillé sur la base de réponses fournies à des questionnaires envoyés aux missionnaires engagés dans ce qu’on appelait à l’époque les champs de mission. Ces questions touchaient les sujets suivants :
– l’existence de conférences réunissant régulièrement des missionnaires de sociétés différentes, les succès et échecs de telles réunions ; – conceptions et visions communes quant à la délimitation des champs, les salaires des chrétiens locaux, la discipline ; – exemples de coopération pratique en matière de formation de missionnaires, ou de chrétiens locaux ; – existence de démarches en vue d’une union ecclésiastique plus étroite ; – expérience de compréhension mutuelle et de coopération avec des catholiques ; – démarches prévues pour renforcer la coopération sur l’un ou l’autre des sujets [11].
13Parmi les réponses telles qu’elles sont résumées dans l’introduction, il faut noter le manque de coopération concrète avec les catholiques, en dépit de relations personnelles souvent bonnes. La Commission évoque à ce propos les difficultés ressenties du côté catholique à s’engager dans des démarches ou contacts à caractère institutionnel. Bien que cela ne ressorte pas des réponses reçues, les rédacteurs ajoutent à cet endroit qu’ils ont été, eux, en contact épistolaire avec l’archevêque Nicolai de la mission ecclésiastique russe à Tokyo. L’extrait de sa réponse épistolaire vaut son pesant d’expérience œcuménique :
« Je suis en relations amicales, bien plus, fraternelles, avec tous les missionnaires des autres sections [de l’Église, ed.] que je connais. Et il en est ainsi de nos chrétiens avec leurs chrétiens. Et c’est ainsi que nous voulons toujours être, en ce qui nous concerne, parce que nous savons que pour nous, les chrétiens, la tâche première est de cultiver l’amour chrétien envers tous les hommes, et en particulier avec nos frères en Christ. Néanmoins, il n’y a pas d’unité véritable et pleine entre nous et d’autres sections ; bien plus, nous sommes loin d’une telle unité, parce que nous sommes divisés en ce qui concerne la doctrine chrétienne [12]. »
Les questions de 1910 restent très actuelles
15Les réponses en provenance du terrain indiquent un souci certain quant au manque de forces face à l’immensité de la tâche, le christianisme ne représentant qu’un tiers de l’humanité dans son ensemble [13]. Divers correspondants insistaient sur l’importance d’intensifier la collaboration missionnaire – il ne suffit pas, écrivent-ils, d’envoyer plus de gens. « Pour la réalisation du but ultime et le plus élevé de tout travail missionnaire – l’établissement dans ces pays non chrétiens de l’Église une du Christ – une véritable unité doit être atteinte [14]. » L’unité de l’Église était donc considérée à la fois comme un moyen pour une mission plus efficace, mais également comme un objectif missionnaire essentiel à atteindre.
16D’autres avis rappelaient qu’une multiplicité d’organismes missionnaires n’était pas contradictoire avec un esprit d’unité et de coopération et que l’indépendance des sociétés leur donnait une grande flexibilité, variété et liberté d’action. Il fallait cependant combattre l’ignorance mutuelle et éviter la compétition, encore trop présentes sur le terrain, autant de freins à l’efficacité.
17On constate une fois de plus à quel point les questions qui préoccupaient les missionnaires en 1910 restent d’actualité. Cent ans plus tard, le christianisme reste divisé entre les défenseurs d’une unité spirituelle et ceux qui plaident pour l’unité visible. Dans le premier camp se retrouvent principalement des chrétiens et Églises rattachées aux mouvements évangélique, charismatique et pentecôtiste, alors que les autres se retrouvent plutôt dans le mouvement œcuménique classique, espace de dialogue et de coopération entre Églises du Conseil Œcuménique des Églises (COE) et l’Église catholique.
« Sectes chrétiennes », « Église du Christ unie », « Églises nationales » ?
18L’introduction au rapport de la Commission viii évoque ensuite les questions plus théologiques en regrettant le problème profond des divisions qui ne sont pas nées sur le terrain missionnaire, mais ont leur origine dans le christianisme occidental. La division est un échec grave en comparaison de ce que le Christ veut pour son Église et pose problème partout, mais particulièrement dans la relation avec le monde non chrétien, dit le rapport. Il pose la question dans les termes suivants, notamment par rapport aux grandes nations de l’Orient :
« Est-ce qu’ils [ceux qui s’engagent dans l’œuvre de christianisation, ed.] se contentent de planter dans ces régions une multitude de sectes chrétiennes, ou bien l’objectif véritable de l’effort missionnaire n’est-il pas plutôt de planter dans chaque pays une Église du Christ unie, pénétrant et influençant fortement la vie nationale des gens, mais simultanément liée dans l’unité de l’Esprit avec l’Église partout dans le monde [15] ? »
20Le rapport de la Commission aborde ensuite brièvement une question qui pourrait avoir fait débat en son sein [16]. Certains missionnaires ont, dans leur correspondance, fortement encouragé la formation d’ « Églises nationales », appelées ainsi par manque d’une meilleure désignation. D’autres correspondants par contre ont indiqué leur difficulté par rapport à une telle expression ; car, craignaient-ils, elle pourrait encourager un esprit d’antagonisme national. Même si en pratique, l’approche de l’unité allait sans doute souvent prendre comme base de travail des Églises nationales, en théorie, une Église limitée à une seule nation serait comprise comme une offense au principe de l’unité. La Commission prend position de la manière suivante dans son rapport :
« Nous ne pensons pas que nos correspondants veuillent défendre le développement d’une Église qui serait “nationale” dans ce sens. Dans aucun cas, nous ne suggérerions quelque chose de ce genre. Nous désirons seulement souligner l’importance de planter une Église unie, qui incarnerait tout ce qu’il y a de plus profond et de plus vrai dans la vie nationale et qui rende possible que les dons spécifiques d’esprit et de caractère national puissent contribuer de la manière la plus large possible à une interprétation parfaite et complète du Seigneur Jésus Christ, le Fils de l’Homme [17]. »
Accords entre missions et Églises sur le terrain
22Le rapport mentionne ensuite dans les détails les questions relevant des accords entre missions et Églises sur le terrain et les difficultés que cela impliquait. Il était question de délimitation des territoires d’activité, de transferts de personnes, de discipline ecclésiastique, des salaires des ouvriers indigènes, des comités d’arbitrage. Nombreux sont les exemples tirés des avances faites dans ces domaines dans les grandes nations d’Asie, Inde et Chine par exemple. Le rapport mentionne des accords relativement importants allant dans le sens d’un respect mutuel et de la coopération, reconnaissant toutefois également que des différences fondamentales en matière d’ecclésiologie ou de dogmatique pouvaient faire obstacle à des accords mutuels en matière de délimitation de territoire ou de collaboration pratique. Il reprend les points suivants soulignés dans la correspondance en provenance des missionnaires en Inde, faisant référence à des décisions prises dans le cadre de la quatrième conférence décennale indienne tenue à Madras en 1902 :
Une formulation analogue concerne les personnes excommuniées ou mises sous discipline : une autre Église ne devrait pas les recevoir tant que l’excommunication ou la mise sous discipline n’aurait pas été levée par l’Église d’origine. Le rapport souligne combien ce point est important, vu les différences qui existent entre Églises en matière de discipline et qui ont souvent provoqué des frictions, mais estime qu’une autre pratique n’est pas justifiable dans l’intérêt de la vraie religion.« La Conférence considère qu’aucune personne qui appartient ou a appartenu à une Église avec tous les droits et privilèges de membre devrait être reçue dans la communauté d’une Église d’une mission sœur sans référence au représentant officiel de la première ou de la Mission avec laquelle la personne qui souhaite changer est ou a été connectée [18]. »
Les conférences missionnaires locales ou nationales
23Le chapitre sur les conférences missionnaires donne de nombreux et utiles détails sur l’avancée de la coopération entre missions et la coordination du travail lors de conférences locales ou nationales. La Commission soutient tous les efforts mentionnés et formule le vœu que de telles rencontres de coordination puissent également se vivre dans les pays d’envoi. Elle voit dans les conférences également un puissant moteur à caractère spirituel, en citant une réponse en provenance de D. E. Hoste, missionnaire à Shanghai : « Le meilleur moyen de promouvoir à la fois l’unité et l’efficacité des missionnaires est la prière unifiée et l’intercession pour le travail commun [19]. » Les moments de prière devraient être élargis, quitte à limiter quelque peu les exposés et discussions sur le travail. En dernière analyse, dit ce même correspondant, ces conférences montrent à l’Église de Chine et à la communauté en général « notre unité essentielle et le caractère relativement moins important de nos différences [20]. »
Coopérations multiples sur le terrain
24La Commission viii donne ensuite des détails de coopération pratique existant sur le terrain, tel que cela ressort des lettres des correspondants. Cela va des traductions bibliques à la production de littérature, de livres de chants communs, d’institutions de formation, du travail médical, social, etc. Les perspectives semblent moins faciles dans le travail d’évangélisation et le rapport se montre plus ambivalent quant à cette possibilité. Il rapporte que faisant allusion aux résultats d’une grande campagne au Japon en 1901, un des correspondants de la Commission lui a écrit « que la plupart étaient maintenant tombés d’accord, […] qu’en règle générale il est préférable que chaque Église fasse son travail d’évangélisation de manière indépendante [21] ». Sur la base de rapports reçus de Chine, d’Inde et des Philippines par contre, la Commission estime qu’il n’est pas impossible d’aboutir à une coopération en matière d’évangélisation. En effet, cela
« encourage les missionnaires eux-mêmes à s’épauler les uns les autres dans cette œuvre à laquelle ils ont consacré leur vie, et cela a un impact auprès du public en tant que démonstration de l’unité d’esprit et d’objectif qui lie les missionnaires des diverses sociétés dans l’œuvre de l’Évangile [22]. »
Deux voies différentes d’approche de la question de l’unité
26Le chapitre sur les fédérations et unions distingue les efforts d’union organique selon les confessions et selon les pays, puis les tentatives existantes de fédérations. Des détails de textes de convention sont fournis dans le rapport ou dans des annexes. Sur cette même question, la Commission viii a été en mesure, dans son résumé final, de formuler avec une clarté exemplaire deux voies différentes d’approche de la question et du défi de l’unité. En voici un résumé, respectant le langage de l’époque :
27Pour un premier groupe de chrétiens, l’essentiel réside dans la signification transcendante de la foi dans la trinité, le pardon des péchés, la vie éternelle et les Écritures chrétiennes comprises comme autorité et guide. Les chrétiens sont déjà unis dans la foi et dans l’expérience d’une communauté intime. Les domaines au sujet desquels ils ont encore des différences – aussi sérieux soient-ils – apparaissent comme secondaires et subordonnés. Ces questions devraient être réconciliées dans le cadre de l’unité essentielle qui existe déjà. Le modèle de coopération qui peut être développé sur cette base est celui d’une fédération d’Églises dans laquelle chaque Église garde l’entière liberté en matière de doctrine et d’organisation, mais en reconnaissant le ministère et les ordonnances des autres, et acceptant le transfert libre des membres de l’une à l’autre des Églises fédérées. Aucune uniformité complète n’est à atteindre. Des divisions ne doivent pas être imposées aux Églises nées de la mission, mais il faut les laisser se développer elles-mêmes de la manière la mieux adaptée à leur vie.
28En opposition, un second groupe insiste sur le fait que la tradition pleine et riche du christianisme doit être transmise aux Églises nouvellement plantées. Ils acceptent le fait d’une unité essentielle, mais considèrent les matières sur lesquelles il y a désaccord comme étant tout autant essentielles à la révélation divine et aux moyens de la grâce. Il y a une responsabilité de transmettre à la fois les choses essentielles à la foi et les mesures de sauvegarde qui les garantissent pour les générations futures, en métropole et au loin. Les formes d’organisation de l’Église ne sont pas indifférentes, mais incarnent des vérités fondamentales, essentielles à l’avenir du christianisme. En conséquence, on ne peut pas rejoindre une fédération qui serait organisée selon le modèle indiqué plus haut, parce qu’il n’y a pas de reconnaissance du ministère. L’Unité doit être cherchée par une réflexion patiente, accompagnée de prière jusqu’à ce qu’on atteigne une forme dans laquelle tout ce qui est vrai au niveau des principes puisse être réconcilié [23].
29La Commission n’a pas voulu choisir entre ces deux positions, mais a considéré de son devoir de les présenter aux délégués. Elle ne recommandait pas à la conférence d’entrer en matière sur ces questions. Les accords passés durant les préparatifs excluaient cette possibilité. Le simple fait que la Commission viii ait quand même poussé si loin la description des enjeux du mouvement Foi et Constitution permet à l’observateur d’estimer à quel point les membres avaient conscience de l’importance de l’unité visible pour une mission fidèle au mandat du Christ.
La coopération avec l’Église catholique romaine
30Ce fait peut être souligné par la référence à certaines contributions durant la discussion du rapport en session plénière de la conférence. L’évêque Brent de l’Église épiscopale protestante américaine dans les îles des Philippines parla d’une Église admirable, grande et vénérable restant à part et posa la question « s’il fallait attendre que l’Église catholique romaine vienne vers nous ou si vous et moi, nous ne devions pas prendre les devants et forcer l’Église catholique romaine à venir vers nous ». Se déclarant reconnaissant pour le rapprochement opéré entre la communion anglicane et les autres forces chrétiennes, il poursuivit :
« Je peux témoigner du fait qu’il est possible pour nous de manière tout à fait pratique de coopérer avec l’Église catholique romaine, et de nous souvenir que l’Église catholique romaine ne signifie pas le Vatican ou les différentes hiérarchies, mais la grande masse de gens pieux avec lesquels nous sommes en constante relation [24]. »
32Le révérend « Lord » William Gascoyne-Cecil, de la Société pour la propagation de l’Évangile (Society for the Propagation of the Gospel), lui, évoquait des raisons plaidant pour la prudence à ne pas avancer trop rapidement dans des décisions de coopération internationale [25], disant :
« La grande Église orthodoxe qui est répandue dans l’ensemble de la Russie est une des plus grandes puissances du christianisme futur qui ne s’est pas encore réveillée ou à peine. Toute personne qui a étudié la grande nation russe confirmera mes propos en disant qu’il s’agit d’une des grandes puissances à venir et que vous ne pouvez prendre de décisions d’importance tant que cette Église n’est pas représentée ».
34Enfin, pour terminer, citons encore le point de vue du pasteur Wardlaw Thompson, secrétaire de la London Missionary Society :
« J’attends impatiemment le moment où nous allons voir une autre conférence et quand les hommes de l’Église grecque et de l’Église romaine parleront de tout cela avec nous dans le service du Christ [26]. »
La création d’un Comité de continuation
36Le 21 juin, la Conférence, en session plénière, adopta la proposition soumise par la Commission viii de créer un Comité de continuation. Ce fut d’ailleurs la seule décision formelle de la conférence. Contrairement à ce que certains participants à Édimbourg ont affirmé par la suite, l’idée n’avait pas surgi des débats de la conférence elle-même, mais résultait de discussions et manœuvres relativement délicates, comme Brian Stanley le décrit dans son ouvrage. L’idée d’une coordination internationale de la représentation missionnaire avait été évoquée par les Allemands et par les Américains en amont de la conférence.
Le mémorandum des sociétés de mission allemandes
37Les sociétés de mission allemandes, déjà coordonnées dans ce qui s’appelait l’Ausschuss [27], soutenues en cela par les missions scandinaves, avaient envoyé un mémorandum en bonne et due forme aux responsables préparant Édimbourg défendant l’idée que la conférence devait voter le principe d’un comité international qui aurait deux fonctions principales :
- assister et représenter les sociétés missionnaires dans leurs négociations avec des gouvernements étrangers (par exemple en cas de conflit) ;
- former une représentation commune des missions protestantes dans des conférences internationales traitant de questions morales telles que le trafic d’opium ou de l’alcool, les atrocités commises dans les plantations de caoutchouc au Congo.
Les réticences des Américains et des missions britanniques
38Le Comité missionnaire américain débattait également de la possibilité et nécessité d’un Comité international, mais, contrairement aux Allemands, n’était pas d’avis qu’il était possible ou judicieux de mettre une telle question à l’ordre du jour de la conférence de 1910. Aux yeux des Américains, un tel comité devait résulter de décisions prises directement par les sociétés missionnaires elles-mêmes, mais pas d’une conférence internationale. Les réticences les plus marquées à la création d’un véritable organe de coordination missionnaire au niveau international venaient des missions britanniques liées aux Églises libres, très peu disposées à abandonner leur indépendance. Sur la question de principe d’un organisme international, les missions reliées à l’Église d’Angleterre, conscientes des liens ecclésiaux, avaient une position moins critique. Par contre, les responsables anglicans ne pouvaient imaginer une décision prise dans le cadre de la conférence.
39Il est intéressant de constater à quel point le souci d’indépendance en matière missionnaire était déjà un sujet de débat. Durant le xxe siècle, en effet, cette question n’a pas cessé de diviser les protestants et fut une des raisons principales poussant les organismes et chrétiens à tendance dite évangélique à ne pas vouloir être associés au COE lors de l’intégration en 1961.
Le consensus autour d’un Comité de continuation
40Il n’y a pas lieu ici d’évoquer les négociations dans tous les détails [31]. Petit à petit, une convergence s’est opérée entre les positions américaines et européennes, et deux rédacteurs représentant les tendances évangélique et anglo-catholique ont su rédiger une proposition de consensus. Grâce au travail diplomatique de persuasion et aux débats de la Commission viii préparant Édimbourg, les blocages britanniques ont pour la plupart pu être éliminés. Le consensus s’est fait autour de l’idée de la constitution non pas d’un comité international, mais d’un Comité de continuation de la Conférence chargé d’étudier la faisabilité d’un tel instrument de coordination (!) Il fallait absolument éviter une opposition durant la Conférence elle-même. L’administration de la Conférence, dirigée par Oldham, a donc estimé qu’il était préférable de ne pas imprimer la proposition visant à la constitution d’un Comité de continuation dans le rapport de la Commission viii, mais de la distribuer séparément au début de la Conférence. C’est, selon Stanley, ce qui a pu donner l’impression que l’idée était née durant la Conférence.
41Durant la session qui précédait le vote, plusieurs orateurs avaient clairement souligné qu’il ne s’agissait que d’un comité dont la tâche était d’évaluer la nécessité d’un organisme de coordination. Selon les historiens, le suspense a duré jusqu’à la dernière minute. Finalement la proposition a été acceptée par acclamation orale et sans opinion contraire manifestée.
42Le Comité s’est constitué avant même la fin de la Conférence. Des 35 membres, 10 étaient britanniques, 10 américains et 10 de l’Europe continentale. S’y ajoutaient 1 Sud-Africain, 1 représentant d’Australasie, 1 du Japon, 1 de l’Inde et 1 de Chine. Il y avait une femme parmi les 35. John Mott fut élu président et Joe Oldham secrétaire (non membre) rémunéré à plein temps. « En l’espace de 36 heures de la conclusion de la conférence le 23 juin au soir, écrit Stanley, l’organisation d’une structure missionnaire œcuménique avait été mise en place [32]. »
Édimbourg, point de départ de l’œcuménisme contemporain
43C’est Keith Clements, ancien secrétaire général de la Conférence des Églises Européennes, qui, dans un ouvrage récent sur Oldham, a le mieux résumé l’importance d’Édimbourg comme point de départ de l’œcuménisme contemporain. En effet, écrit-il, cette conférence se distingue des grandes réunions précédentes en particulier par l’instrument de coopération qu’elle a mis en place, le Comité de continuation [33]. Indirectement celui-ci a donné naissance à la revue missiologique International Review of Missions, dont le premier numéro parut en janvier 1912. Édimbourg a fourni au mouvement missionnaire anglican et protestant deux moyens de poursuivre son pèlerinage de manière coordonnée : un outil de débat administratif et politique, un outil de dialogue théologique et de partage d’informations et de réflexion sur les champs missionnaires.
En guise de conclusion…
Continuités et ruptures
44Suite à Édimbourg, le courant missionnaire anglican-protestant majoritaire se rassembla dans le Comité de continuation, puis dès 1921 dans le Conseil International des Missions (CIM), l’un des organismes qui, avec Foi et Constitution et le Christianisme Pratique, façonna l’œcuménisme contemporain. Des sociétés de mission à tendance évangélique conservatrice et qui avaient participé à Édimbourg se sont retirées des instances internationales mentionnées, dans la foulée des controverses autour de la publication aux USA de la série de livres intitulée Fundamentals, réagissant vigoureusement contre les tendances théologiques dites libérales [34]. Ce fut le début d’une série de ruptures qui ont durement affecté la théologie et pratique missionnaire protestante durant tout le xxe siècle [35]. Une deuxième rupture significative eut lieu autour de la question de l’intégration du CIM et du COE à la fin des années 1950. Plusieurs conseils missionnaires membres du CIM refusèrent l’intégration mission-Église. Enfin, on peut considérer que la création du Comité de Lausanne pour l’évangélisation du monde en 1974, en réaction contre certaines tendances de la missiologie de l’assemblée d’Uppsala en 1968 et de la conférence de Bangkok en 1973, ouvrait une nouvelle brèche institutionnelle dans le monde de la mission non catholique. Depuis, les tentatives se sont multipliées pour reconnecter les responsables missionnaires et ecclésiaux de ces diverses tendances, ce dont témoignent des collaborations ad hoc ou institutionnelles, de même que des rapprochements en matière de théologie de la mission, et notamment la composition du comité de préparation du centenaire d’Édimbourg [36].
Querelles d’héritage
45Il y a aujourd’hui débat quant à la revendication de l’héritage de la Conférence de 1910. Les milieux que l’on classe parmi les évangéliques conservateurs estiment que le mouvement de Lausanne et les missions qui lui sont liées ont mieux gardé la fidélité à la vision missionnaire d’Édimbourg – la priorité à l’annonce de l’Évangile partout où il n’est pas connu. Les milieux œcuméniques rappellent à quel point les thèmes abordés à Édimbourg, puis surtout au sein du CIM, dépassaient de loin ce que les protestants nomment « évangélisation », mais aussi combien la situation du monde a évolué depuis 1910, surtout après deux guerres mondiales provoquées par les nations dites chrétiennes, rendant impossible la répétition de certaines formulations missiologiques d’Édimbourg. Enfin, ils insistent sur la continuité institutionnelle entre Édimbourg, le CIM et le COE.
46Le débat se cristallise sur l’interprétation de l’importance du thème de la coopération et de l’unité en 1910. Il est vrai que la conférence avait clairement éliminé de son ordre du jour toute discussion de type dogmatique ou ecclésiologique ; car on était bien conscient des différences importantes existantes à ce sujet. Il est vrai également que la conférence n’était pas « œcuménique » au sens contemporain – nombreux étaient ceux qui pensaient que l’unité réelle ne pouvait se faire en l’absence des catholiques ou des orthodoxes. On peut également estimer que pour bien des participants la priorité résidait dans la coopération pratique pour une meilleure évangélisation dans le monde. Mais tout cela ne peut être compris et interprété aux dépens de l’ensemble des accents qui ressortent des débats.
Une contribution à la promotion de l’unité chrétienne
47Le premier bulletin mensuel de nouvelles de la Conférence, publié en octobre 1909 notait « un autre aspect de la Conférence qui motive fortement bien des personnes est la contribution possible qu’elle apporterait à la promotion de l’unité chrétienne [37] ». Une des grandes réussites de la Conférence fut sa capacité à réunir deux courants opposés, le protestantisme évangélique défendant une ecclésiologie « basse » et l’anglo-catholicisme représentant une ecclésiologie « haute ». La présence de l’archevêque de Cantorbéry fut un pas vers le respect mutuel et une contribution à l’unité. Plusieurs participants célèbres furent encouragés par Édimbourg à s’engager de manière accrue par la suite dans le travail pour l’unité locale (notamment en Asie [38]) ou dans le mouvement de Foi et Constitution.
L’importance des enjeux ecclésiaux
48Il me semble difficile de négliger l’importance des enjeux ecclésiaux tels qu’ils ont été clairement entrevus par les participants et les commissions de la Conférence, en particulier évidemment la Commission viii. Une fidélité à Édimbourg se doit d’en interpréter toutes les facettes, de les mettre en relation dynamique et de les évaluer en fonction de leur Wirkungsgeschichte, comme on le fait pour les textes bibliques. Le sens de certains événements ou textes se trouve dans les conséquences qu’ils ont par la suite, autant que dans la conscience individuelle ou collective des protagonistes de l’époque. Il n’est donc pas étonnant que des personnalités ayant joué un rôle majeur à Édimbourg, comme Mott ou Oldham, aient par la suite interprété la signification de cette conférence magistrale de 1910 en fonction de leur trajectoire œcuménique [39]. Il n’est pas du tout déplacé, à mon avis, de considérer que les thèmes principaux de la missiologie du COE se trouvaient in nuce dans les documents et délibérations d’Édimbourg et ne demandaient qu’à être développés.
49Enfin, rappelons à quel point la vision selon laquelle l’unité visible était indispensable au témoignage chrétien fut défendue par les représentants des Églises d’Asie. On peut dire qu’à l’époque, ils ont fortement contribué à donner une direction à la réflexion missiologique chrétienne, une contribution dont nous avons à nous montrer dignes, nous qui sommes les descendants directs ou indirects de ces événements de 1910.
Notes
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[1]
De nombreux ouvrages ont été consacrés à la conférence de 1910. Le plus récent et celui qui peut être considéré comme la référence en la matière est de Brian Stanley, The World Missionary Conference, Edinburgh 1910. Grand Rapids, MI & Cambridge, UK, Eerdmans, 2009, 352 p. Des réflexions contemporaines menées par quelques grands noms de la missiologie sur les huit commissions ont été réunies dans le livre suivant : David A. Kerr & Kenneth R. Ross (eds), Edinburgh 2010. Mission then and now. Oxford, Regnum Books International, 2009, 343 p.
-
[2]
Concernant l’impact des mouvements missionnaires sur l’œcuménisme à la fin du xixe et au début du xxe siècle, cf. Ruth Rouse, « Voluntary Movements and the Changing Ecumenical Climate », et Kenneth Scott Latourette, « Ecumenical Bearings of the Missionary Movement and the International Missionary Council » in Ruth Rouse and Stephen Charles Neill (eds), A History of the Ecumenical Movement, Vol. 1, 15171948, p. 307-402. En français, on pourra se référer avec profit à l’ouvrage classique de Jean-François Zorn, Le grand siècle d’une mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914. Paris, Les Bergers et les Mages & Karthala, 1993, pages 687-704 (chapitre « La participation de la Mission de Paris au mouvement missionnaire mondial de 1860 à 1910 »).
-
[3]
Comme les catholiques ou les orthodoxes.
-
[4]
Les biographies classiques sont : C. Howard Hopkins, John R. Mott 18651955. A biography. Grand Rapids, Eerdmans, 1979, 816 p. ; Keith Clements, Faith on the Frontier. A life of J.H. Oldham. Edinburgh, T. & T. Clark and Geneva, WCC, 1999. Le chapitre de Clements sur Édimbourg est particulièrement important à consulter.
-
[5]
Version française des titres reprise de l’ouvrage de Zorn, op. cit., p. 697-701.
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[6]
On verra plus loin à quel point la coopération entre missions, étroite en bien des points, restait très limitée en ce qui concernait l’évangélisation comprise dans le sens de proclamation de l’Évangile et invitation à la foi. On touche là réellement à l’un des points sensibles des relations entre Églises.
-
[7]
Les lignes qui précèdent sont un résumé. Sur l’ensemble des développements, cf. Clements, op. cit., p. 73-90 et Stanley, op. cit. p. 18-72.
-
[8]
Stanley, op. cit., p. 5
-
[9]
Ibidem, p. 73, 91-99
-
[10]
Il s’agissait des Unions Chrétiennes des Jeunes Gens UCJG et de la Fédération Universelle des Associations Chrétiennes d’Étudiants - FUACE.
-
[11]
World Missionary Conference 1910, Report of Commission VIII, Cooperation and the Promotion of Unity, with supplement: presentation and discussion of the report in the conference on 21st of June 1910. Edinburgh & London, Oliphant, Anderson & Ferrier ; New York, Chicago and Toronto, Fleming H. Revell Company, 1910. p. 1-2.
-
[12]
Rapport de la Commission viii, op. cit., p. 4. Les traductions du rapport sont faites par l’auteur de cet article et n’ont pas de caractère officiel.
-
[13]
Selon les statistiques publiées annuellement par l’International Bulletin for Missionary Research dans son numéro de janvier, le pourcentage de chrétiens est resté stable durant les cent dernières années. La croissance numérique du christianisme ne représente pas une croissance en pourcentage. Cet état de fait pourrait donner matière à réflexion théologique quant à la signification de la mission, mais aussi quant à l’intention et au plan de Dieu pour l’humanité ainsi qu’au rôle des autres religions dans une telle perspective.
-
[14]
Rapport de la Commission viii, op. cit., p. 5.
-
[15]
Ibidem, p. 9.
-
[16]
Ibidem. Il n’est pas possible à partir d’une lecture « littérale » du texte du rapport de savoir jusqu’à quel point le débat a eu lieu au sein de la commission, cependant. Il s’agit d’une hypothèse de travail. Les ouvrages consultés sur l’histoire des préparatifs de la Conférence ne mentionnent pas cette problématique d’Églises nationales. Stanley, dans son évaluation d’Édimbourg, rappelle que les chrétiens d’Asie avaient déjà avant 1910 cherché comment développer des formes d’Églises qui seraient conformes aux aspirations d’unité nationale et d’authenticité culturelle. Stanley, op. cit., p. 312. La question nationale allait cependant devenir brûlante pour les Églises et sociétés missionnaires dans les années suivantes, marquées par la première guerre mondiale.
-
[17]
Ibidem.
-
[18]
Ibidem, p. 21.
-
[19]
Ibidem, p. 42.
-
[20]
Ibidem, p. 44.
-
[21]
Ibidem, p. 76.
-
[22]
Ibidem, p. 76-77.
-
[23]
Ibidem, p. 137.
-
[24]
Ibidem, p. 198-199.
-
[25]
C’était un des seuls à s’exprimer avec une certaine hésitation lors du débat sur la constitution d’un Comité de continuation.
-
[26]
Citations tirées du rapport de la Commission viii, op. cit., p. 216.
-
[27]
Ausschuss der deutschen evangelischen Missionen, comité réunissant 12 sociétés de missions en vue de coordonner leurs relations avec le ministère allemand des colonies et d’organiser tous les 4 ans une conférence missionnaire nationale, Stanley, op. cit., p. 281.
-
[28]
Le document allemand proposait même une composition pour ce comité : 6 Grande Bretagne, 6 USA, 4 Europe, 1 Canada, 1 Afrique du Sud, 1 Australie. Aucune représentation des jeunes Églises prévue. Cf. Stanley, op. cit., p. 284-285.
-
[29]
Après cent ans de mouvement pour l’unité, les progrès en matière d’évangélisation réellement commune sont restés très limités. Des progrès majeurs ne pourront être faits que suite à des rapprochements en ce qui concerne le lien entre ecclésiologie et sotériologie.
-
[30]
Créée en 1947 par le Conseil International des Missions et le Comité provisoire du COE. Cette Commission, mieux connue sous son nom anglais de Commission of the Churches on International Affairs, CCIA, a été un des outils les plus importants du COE dans le domaine politique et les relations avec l’ONU, devenant dans certains cas un véritable département diplomatique du mouvement œcuménique non catholique.
-
[31]
On trouvera tout chez Stanley, op. cit., p. 277-302.
-
[32]
Stanley, op. cit., p. 302.
-
[33]
Clements, op. cit., p. 73.
-
[34]
Le terme fondamentalisme a été créé par un journal baptiste nord-américain en 1920 pour décrire les conservateurs. La série de livres mentionnée défendait contre les tendances libérales et darwiniennes les piliers suivants du christianisme : naissance virginale de Jésus, sa résurrection corporelle, sa divinité, le sacrifice expiatoire, l’inerrance des Écritures. Cf. Olivier Favre, Les Églises évangéliques de Suisse. Origines et identités, Genève, Labor et Fides, 2006, p. 47s.
-
[35]
Cf. les réflexions de Stanley quant à la position des sociétés dites Faith Missions, op. cit., p. 320-324.
-
[36]
Qui réunit à peu de chose près les responsables missionnaires des organismes et Églises qui ont participé au Forum chrétien mondial tenu à Nairobi à la fin 2007. Cf. Hubert van Beek (ed), Revisioning Christian Unity. The Global Christian Forum. Regnum Books, Oxford Centre for Mission Studies, 2009, 288 p.
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[37]
Stanley, op. cit., p. 6.
-
[38]
Kenneth Scott Latourette mentionne bien que l’engagement pour l’unité en Asie avait précédé les délibérations d’Édimbourg, mais que celles-ci avaient encouragé et motivé les chrétiens à renforcer leur engagement. Cf. Latourette, op. cit., p. 378s.
-
[39]
Il est normal que l’historien qu’est Stanley précise bien la différence entre les perspectives de 1910 telles qu’elles ressortent des documents et les déclarations plus tardives de Mott et Oldham, cf. op. cit., p. 5. Le dernier chapitre de Stanley fournit une interprétation balancée de l’héritage d’Édimbourg.