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Article de revue

Les marchands ruraux et la commercialisation des campagnes dans l’Europe du XVIIIe siècle

Le cas de la Lorraine centrale et méridionale

Pages 43 à 84

Notes

  • [1]
    Guesnerie, 2013 ; Britnell, 2004 ; Van Bavel, 2016.
  • [2]
    Harte, 1997. Pour les espaces français, voir par exemple : Minovez, 2012.
  • [3]
    Styles, 2017, p. 33-56 ; Riello, 2017, p. 57-82.
  • [4]
    Verley, 1997, p. 121-180 ; De Vries, 1993, 1994 et 2008.
  • [5]
    Maitte et Terrier, 2014.
  • [6]
    Baulant, Schuurman et Servais, 1988.
  • [7]
    De Vries, 2008, p. 10-11.
  • [8]
    Claude Quin définit l’appareil commercial comme « l’ensemble des entreprises et établissements qui, par le moyen d’achats aux producteurs nationaux ou étrangers et de ventes successives à l’intérieur du territoire national, mettent les biens et les services à la disposition des consommateurs dans des conditions conformes à leurs besoins. » (Quin, 1964, p. 15).
  • [9]
    Nous définissons ici les « villes » comme les localités de plus de 2 000 habitants agglomérés et les « bourgs » comme celles de moins de 2 000 habitants agglomérés mais dotées de marchés hebdomadaires. Les « villages » rassemblent tous les autres lieux.
  • [10]
    Notons que le choix initial de cette région pour notre enquête sur les appareils commerciaux tenait notamment à l’abondance de documents de la pratique marchande disponibles (comptabilités, correspondances, inventaires de faillite, registres du contentieux commercial, etc.).
  • [11]
    Villain, 2016.
  • [12]
    Villain, 2015, p. 494-495.
  • [13]
    Villain, 2015, p. 101-119.
  • [14]
    Bairoch, 1979.
  • [15]
    La liste des villages et les cotes des cartons d’archives sont à l’annexe 2.
  • [16]
    Diedler, 2005, p. 194.
  • [17]
    Blum et Gribaudi, 1993.
  • [18]
    La population des villages étudiés semble toutefois un peu plus élevée que celle des villages de la zone. De fait, le test de Wilcoxon sur le niveau médian de la population des villages des deux échantillons pousse à rejeter au seuil de 5 % l’hypothèse d’une égalité avec le niveau médian de la population de l’ensemble des villages de l’espace considéré (déterminé à partir des données de la base « Cassini » de l’ehess, accessible sous l’extension cassini.ehess.fr).
  • [19]
    Nous avons recouru pour dresser cette typologie à une analyse en composantes principales, en utilisant une partie des données présentées aux points infra.
  • [20]
    Villain, 2015b.
  • [21]
    Villain, 2015a, p. 65-66.
  • [22]
    Villain, 2015a, p. 67-68.
  • [23]
    Poitrineau, 1965, p. 608.
  • [24]
    Lemarchand, 1989, p. 581-582.
  • [25]
    Van Den Heuvel et Ogilvie, 2013, p. 79-81.
  • [26]
    Mui et Mui, 1989, p. 73-105.
  • [27]
    Le terme de « Savoyard » encore en usage vers 1750 disparaît dans la seconde moitié du siècle. De nombreux Savoyards sont venus s’installer comme marchands dans les Duchés au début du xviiie siècle, comme du reste dans tous les espaces rhénans, mais l’immigration semble se tarir avant le milieu du siècle : Fontaine, 1993, p. 23-35.
  • [28]
    Margairaz, 2005, p. 226 ; Lafourcade, 1965.
  • [29]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, L 692 et 693 : Registres des patentes de la ville de Blâmont (An III).
  • [30]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 128 1 G 5 : Archives Communales de Cirey-sur-Vezouze, fiscalité révolutionnaire.
  • [31]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, L 2614 et 2615 : District de Vézelise. Registres des patentes par localités (1792-1795).
  • [32]
    Mui et Mui, 1989, p. 105.
  • [33]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 506 et 507 : Factures et reçus de Pierre Claux (1725-1732).
  • [34]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 690 : Lettres de voiture, acquits de passage, carnets des foires de Badonviller et Senones (Dominique Jeandel).
  • [35]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 568 : Correspondance active de Germain Empereur (1727-1728), lettre à Gaydet du 25 mars 1728.
  • [36]
    Sur l’effet d’entraînement de la ville sur l’économie des espaces environnants, voir Perrot, 1975, p. 192-206.
  • [37]
    Villain, 2016.
  • [38]
    Les chiffres pour 1793 sont accessibles en ligne à partir de la base « Cassini » (http//:cassini.ehess.fr).
  • [39]
    Margairaz, 1982.
  • [40]
    Le troisième tome de l’ouvrage de Nicolas Durival (Description de la Lorraine et du Barrois, Nancy, 1778-1783) consiste en un répertoire alphabétique des localités des Duchés.
  • [41]
    Arch. Nat., F20 356 : Relevé des foires et marchés du département de la Meurthe (1793/1794) et F20 393 : Relevé des foires et marchés du département des Vosges (1793/1794).
  • [42]
    Fallex, 1921.
  • [43]
    Feinstein et Thomas, 2009, p. 248-279 et p. 384-434.
  • [44]
    Voir en annexe 1 le tableau 1. Les données les plus utiles pour l’interprétation des modèles sont le niveau de la p-value (inférieur ou non à 0,10), ainsi que la valeur et le signe de la statistique.
  • [45]
    Voir en annexe 1 les tableaux 2, 3 et 4.
  • [46]
    Villain, 2015a, p. 341-398, et 2015b.
  • [47]
    Voir à l’annexe 1 le tableau 5.
  • [48]
    Voir à l’annexe 1 les tableaux 6, 7 et 8.
  • [49]
    Keibek et Shaw-Taylor, 2013 ; Association des Ruralistes Français, 1984 ; Garrier et Hubscher, 1988.
  • [50]
    Il s’agit là d’un minimum, puisque les activités des femmes nous échappent, de même que celles des enfants majeurs vivant encore sous le toit de leurs parents.
  • [51]
    Postel-Vinay, 1998, p. 99-127.
  • [52]
    Le test du khi2 mené sur les deux séries de données (commerce comme première activité et commerce comme activité secondaire) suggère que la différence de proportion d’implication dans l’agriculture (93 % contre 40 %) est statistiquement significative.
  • [53]
    Une telle fréquence de l’association des activités avec l’agriculture se retrouvait dans l’artisanat, en Lorraine comme notamment en Dauphiné (Belmont, 1998, t. 2, p. 99-112). Ce dernier auteur ne dit toutefois rien des associations d’activités entre artisanat et commerce.
  • [54]
    Overton, Whittle, Dean et Hann, 2004, p. 115. Le recours aux inventaires après décès pour prendre la mesure de l’ampleur des activités complémentaires parmi les populations rurales est toutefois remis en cause par Sebastian Keibek et Leigh Shaw-Taylor (2013), puisqu’il surestimerait l’extension des activités annexes.
  • [55]
    Fontaine, 1993, p. 95-121.
  • [56]
    Fontaine, 1993, p. 51-68.
  • [57]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 128 1 G 5 : Archives Communales de Cirey-sur-Vezouze, fiscalité révolutionnaire.
  • [58]
    Picoche, 1992.
  • [59]
    Spufford, 1984, p. 85-105 ; Fontaine, 1996.
  • [60]
    Follain et Larguier, 2005, p. 54-58.
  • [61]
    Il faut aussi tenir compte des cas d’exemption totale ou partielle d’impositions pour cause de famille nombreuse, de mariage ou de construction, qui n’affectent toutefois qu’une petite portion des contribuables.
  • [62]
    Boehler, 1994, t. 2, p. 991-1174.
  • [63]
    Les marchands étudiés sont à l’annexe 3.
  • [64]
    Menant et Jessenne, 2007 ; Jessenne, 2007.
  • [65]
    Roche, 2003, p. 532-566 ; Radeff, 1993, p. 125-137.
  • [66]
    C’est à ce type d’activités très diversifiées que se livrent les marchands étudiés par Christian Kervoëlen (1986, p. 98) : Hubert Hottelin de Vergaville dans les environs de Dieuze est ainsi « marchand, bonnetier, drapier, cabaretier, boulanger et commerçant ».
  • [67]
    Avec une p-value de 0,45, le test de Wilcoxon sur le montant des dettes passives des marchands drapiers urbains et ruraux ne nous permet pas de rejeter l’hypothèse dite « nulle » d’une égalité des médianes des deux échantillons.
  • [68]
    On retrouve ce même silence sur le commerce des grains dans les campagnes de l’Île-de-France, à suivre Jean Meuvret (1988).
  • [69]
    Weatherhill, 1988, p. 43-69 ; Villain, 2015b
  • [70]
    Fontaine, 2013, p. 193-240.
  • [71]
    Radeff, 1994 ; Vilar, 1962, p. 144 ; Willan, 1970, p. 31-41.

1Les sociétés européennes furent marquées à partir du xie siècle par une extension progressive des relations de marché. Richard Britnell parlait de « commercialisation » pour décrire ces mutations, qui se traduisirent notamment par le recul de l’autoproduction et de l’autoconsommation des ménages [1].

2Ces tendances semblèrent s’accélérer dans le nord-ouest de l’Europe à partir du milieu du xviie siècle. Plusieurs éléments le laissent penser. Le nombre d’espaces manufacturiers locaux ou régionaux connut alors une nouvelle phase d’expansion, tandis qu’augmentait la circulation des produits agricoles ou issus des fabriques [2]. S’amplifièrent sur les marchés de produits les phénomènes de mode, portés par une meilleure information sur les qualités et par la vitesse croissante du renouvellement des marchandises proposées par les commerçants [3]. Les habitudes de travail et de consommation des catégories populaires connurent par ailleurs sans doute des mutations, beaucoup de familles de travailleurs manuels renonçant, dans un contexte de baisse des salaires journaliers et de stagnation du prix d’un certain nombre de biens, à la production destinée à l’usage domestique direct pour se tourner vers la production pour le marché et vers l’achat de leurs consommations finales [4].

3L’ampleur réelle de ces transformations à la veille de la grande phase d’industrialisation du xixe siècle interroge toutefois. Le processus de spécialisation professionnelle n’a en effet rien eu de linéaire : dans les différents espaces productifs, les variations de la quantité de main-d’œuvre employée étaient fortes, et les marchands-fabricants s’appuyaient largement sur des travailleurs à temps partiel. L’augmentation de la quantité de travail rémunéré effectuée par les ménages est de plus difficile à attester : les données les plus sûres ne concernent que certaines grandes villes, ou seulement certains secteurs d’activité, et il est délicat de conclure à une mise au travail généralisée des Européens [5]. Les inventaires après décès auxquels les historiens recourent pour démontrer l’extension de la consommation marchande renseignent quant à eux davantage sur les possessions que sur les modalités d’acquisition des biens [6]. Enfin, même si ces phénomènes ont pu se manifester en dehors des zones les plus développées du continent, il est possible que les différentiels d’évolution aient été considérables entre les régions d’Europe [7]. On ne sait en somme pas clairement où, dans quelle mesure, dans quels contextes socio-économiques ni jusqu’à quel point les pratiques d’autoconsommation des ménages ont pu reculer à la veille de la Révolution industrielle.

4Est-il toutefois possible de prendre la mesure du degré d’implication des populations dans les relations de marché ? Il nous semble qu’un des signes les plus patents en est la présence sur un territoire donné d’un appareil commercial complexe – c’est-à-dire d’un grand nombre de marchands spécialisés, impliqués dans des branches variées et complémentaires, et fonctionnellement hiérarchisés entre eux en grossistes et détaillants [8]. La densité et la diversité de cet appareil commercial manifestent en effet la nécessité pour les populations de recourir au marché pour satisfaire une gamme étendue de besoins. Plus nettement d’ailleurs que la forte concentration d’artisans, l’extension et la sophistication des appareils commerciaux locaux permettent de proposer une offre large, apte à satisfaire des désirs variés et changeants. La présence de commerçants, importateurs ou exportateurs, reflète également l’insertion des économies locales dans des flux d’envergure régionale ou interrégionale, appuyés sur la division spatiale du travail.

5Comme les neuf-dixièmes de la population européenne vivaient encore à la campagne à la fin de l’époque moderne, une commercialisation massive des économies supposait que les espaces ruraux y participassent pleinement. Les habitants des campagnes pouvaient se procurer des biens dans les villes et les bourgs, dont ils visitaient fréquemment les marchés. La présence jusque dans les campagnes d’un appareil commercial étendu et diversifié témoignerait toutefois de la prégnance des relations de marché dans la société [9]. Nous nous proposons donc d’étudier l’ampleur, la nature et les fonctions de l’équipement marchand des espaces ruraux, que nous voyons comme un moyen de prendre une mesure globale du degré de commercialisation des économies préindustrielles. Notre enquête porte sur l’ensemble des acteurs économiques achetant des biens pour les revendre avec un profit. Nous serons toutefois amené à distinguer entre les branches de commerce présentes dans les villages, toutes n’ayant pas la même fonction économique : la présence de marchands en grains ou en bestiaux reflète les capacités d’exportation du petit pays étudié ; celle de commerçants en mercerie ou en étoffes est quant à elle le signe d’un stade supérieur de commercialisation, marqué par une implication forte des ruraux dans les dynamiques consuméristes.

6L’étude de l’appareil commercial d’un territoire n’a de sens que pour un espace assez homogène économiquement et socialement. Notre enquête porte sur la Lorraine centrale et méridionale, région qui formait du point de vue commercial un espace intégré, structuré autour de Nancy et de pôles secondaires comme Pont-à-Mousson, Mirecourt, Épinal, Remiremont ou Saint-Dié – soit grossièrement la partie du Duché de Lorraine située au sud des Trois-Évêchés et à l’est de la Meuse [10]. Nœuds de communication, ces localités contribuaient à coordonner les flux de marchandises à l’échelle régionale : leurs grossistes redistribuaient ainsi aux détaillants de la province les importations massives que favorisait la position géographique et douanière de la Lorraine [11]. Relativement riche et assez densément peuplée à l’échelle de l’Europe du xviiie siècle, la Lorraine centrale et méridionale était moins développée que le sud-est de l’Angleterre, les Provinces-Unies ou les Flandres, mais son niveau de richesse était comparable à celui du Bassin parisien, de la vallée du Rhône, de la haute et moyenne vallée du Rhin, de l’Italie du Nord ou encore de la Catalogne [12]. Nous nous pencherons tout particulièrement sur les années 1770 et 1780, à un moment où la circulation des biens et la consommation marchande atteignirent sans doute leur maximum séculaire dans la région [13]. Par des comparaisons avec d’autres espaces aux niveaux de développement variés, nous tâcherons d’évaluer la représentativité de nos résultats, sachant que les caractéristiques économiques, sociales et démographiques de la Lorraine centrale et méridionale étaient susceptibles d’en faire une région aux campagnes plutôt bien dotées en commerçants [14].

7Après avoir évalué le nombre de marchands présents dans les campagnes lorraines et leurs spécialisations, nous nous interrogerons sur les facteurs de leur implantation dans les villages. Nous tenterons ensuite de préciser le degré d’implication de ces marchands dans les activités commerciales, avant de chercher à estimer leur niveau d’activités et leur place dans la hiérarchie des fortunes villageoises.

L’équipement commercial des campagnes lorraines à la fin du xviiie siècle

8L’absence de recensement général des activités professionnelles rend délicat le dénombrement des marchands ruraux, ce qui nous incite à recourir à des sources peu satisfaisantes comme les rôles d’impositions directes. Malgré les défaillances de la méthode d’enquête, la forte présence de commerçants dans les campagnes fait toutefois peu de doute.

Comment repérer les marchands actifs dans les campagnes ?

9À défaut de recensements exploitables de manière systématique, il est possible de recourir pour la fin du xviiie siècle aux rôles des impositions personnelles - en Lorraine, la subvention et les Ponts et Chaussées [15]. La première fut établie par les autorités françaises lors de l’occupation de la province à la fin du xviie siècle. Quand les duchés de Lorraine et de Bar recouvrèrent leur indépendance, le duc Léopold la pérennisa par l’ordonnance du 22 avril 1698 et en fit la principale imposition directe de ses États [16]. Elle fut couplée à partir des années 1720 avec les Ponts et Chaussées, impôt destiné à financer la construction des routes, et pour lequel moins de cas d’exemption étaient retenus.

10Les rôles de ces deux impositions furent de mieux en mieux tenus au fil du siècle : dès les années 1730, leur structure était conforme aux mandements des Chambres des comptes de Lorraine et de Barrois, qui exigeaient d’indiquer la profession des cotisés, les terres qu’ils possédaient lorsqu’il s’agissait de laboureurs, le montant du « pied certain » servant au calcul de la cote d’imposition et la somme à payer par le contribuable [17]. Les rôles relevaient par ailleurs de plus en plus soigneusement les exempts à titres divers, les pauvres insolvables et les morts. La précision des mentions professionnelles était généralement grande, et les rôles indiquaient le plus souvent les combinaisons d’activités des villageois, ce qui nous permet de repérer une bonne partie des marchands présents dans les localités – y compris ceux pratiquant le commerce en seconde activité.

11L’assiette des impositions se faisait cependant sur les seuls chefs de feu - la plupart du temps le père de famille. Les éventuelles activités des épouses et des enfants n’étant pas mentionnées, le monde du travail féminin nous échappe en grande partie : l’approche ici retenue tend par conséquent à sous-représenter l’activité commerciale féminine, et donc l’activité commerciale générale. Par ailleurs, elle en donne une image biaisée. Les femmes apparaissant dans les rôles étaient en effet pour l’essentiel des chefs de feu – veuves ou vivant seules. En l’absence de qualification et de capital, ces femmes étaient peut-être enclines à choisir un métier d’accès aisé pour survivre, comme celui de revendeuse : notre approche risque ainsi, à l’intérieur de l’emploi féminin, de surreprésenter les métiers commerciaux les plus modestes. Nous devrons donc nous résigner à l’approximation – de même que nous devons supposer qu’à un marchand détaillant mentionné correspondait une boutique et une seule. Ces limitations agissent toutefois presque toutes dans le même sens, celui de la sous-estimation du nombre de commerçants actifs dans les campagnes.

La densité de l’appareil commercial rural

12Nous nous appuyons ici sur 113 rôles d’imposition - 56 pour les années 1770 et 57 pour les années 1780. Ils proviennent des 67 villages de la région étudiée pour lesquels de tels documents subsistent. La majorité des villages étant présente dans les deux listes, nous préférons raisonner à partir de deux échantillons distincts pour éviter les doubles comptes. D’un point de vue statistique, les deux ensembles ainsi constitués forment des échantillons de type « occasionnel », et s’apparentent à des échantillons aléatoires : la diversité des tailles et des profils socio-économiques des localités, ainsi que leur dispersion sur le territoire étudié suggèrent que cette sélection par le temps s’est faite au hasard [18]. Une typologie reposant sur le nombre d’habitants, le poids des diverses activités socioprofessionnelles dans la population et l’accessibilité routière laisse apparaître trois grands profils de localités : de petits villages, dépassant rarement les 300 habitants, composés principalement de laboureurs et de manouvriers (23 sur 67) ; des villages assez gros, souvent de plus de 500 habitants, à forte présence artisanale (24 sur 67) ; des villages de toutes tailles où les vignerons étaient majoritaires (20 sur 67) [19].

13La présence de commerçants dans les campagnes lorraines à la veille de la Révolution française n’avait de toute évidence rien de rare. La ventilation des fréquences d’apparition des marchands par paliers de 100 habitants montre que tous les villages de plus de 400 habitants comptaient virtuellement un commerçant, et au moins la moitié de ceux de plus de 200 habitants. Seuls les villages de moins de 100 habitants étaient dépourvus de présence marchande [20].

Tableau 1. Fréquence de la présence de commerçants dans les villages en fonction de la population

Population des villages (habitants)Ensemble des commerçantsCommerçants sans spécification de brancheCommerçants en matières premièresCommerçants en produits alimentairesMarchands-drapiers, merciers et épiciers
1770< 1000,000,000,000,000,00
100-2000,600,300,200,200,20
200-3000,500,500,130,130,13
300-4000,800,300,500,100,40
400-5001,000,200,400,200,20
>5000,880,350,710,290,59
1780< 1000,000,000,000,000,00
100-2000,430,070,000,290,14
200-3000,800,400,200,400,20
300-4000,500,380,130,130,25
400-5001,000,570,140,290,57
>5000,890,440,220,440,50

Tableau 1. Fréquence de la présence de commerçants dans les villages en fonction de la population

14Les marchands étaient même nombreux dans les campagnes : pour l’échantillon des années 1770, nous relevons 172 commerçants pour 22 000 habitants environ, et dans celui des années 1780, 153 pour près de 22 500 habitants – soit des ratios respectifs de 7,8 et 6,8 marchands pour 1 000 habitants, à comparer aux 15 ou 20 pour 1 000 que l’on trouvait dans les villes et les bourgs de Lorraine au même moment [21]. L’équipement commercial des campagnes lorraines était ainsi seulement deux à trois fois moins dense que celui des villes – lesquelles comptaient en Lorraine un nombre de commerçants comparable à celui des cités d’Europe de l’Ouest, Angleterre et Provinces-Unies fortement « commercialisées » exclues [22].

15Ces chiffres, peut-être un peu surestimés du fait de la surreprésentation des gros villages dans nos échantillons, n’avaient probablement rien d’exceptionnel à l’échelle du continent. Les points de comparaison sont à vrai dire rares dans l’état actuel des recherches, et les quelques données disponibles sont de nature et d’origine différentes. La Lorraine semblait de toute évidence mieux pourvue en marchands que les régions les plus déshéritées du royaume de France. Dans la miséreuse Basse-Auvergne, l’appareil commercial rural n’était ainsi pas inexistant à la fin du xviiie siècle, mais le seuil d’apparition des commerçants dans les villages était de 700 habitants, contre 100 ou 200 en Lorraine [23]. La dotation commerciale de la Lorraine rurale était en tout cas inférieure à celle des contrées les plus prospères : dans le riche pays de Caux, à en juger par les rôles de taille, la proportion de la population engagée dans les activités commerciales atteignait en effet en 1789 dans les trente paroisses de l’élection d’Arques 6,5 % des chefs de foyer, soit 15 marchands pour 1 000 habitants – niveaux qu’en Lorraine seuls les bourgs et les villes atteignaient [24]. C’était encore en dessous des régions les plus riches et les plus développées du continent : dans une zone très urbanisée comme la Hollande septentrionale, les villages de 100 ou 200 habitants disposaient virtuellement tous de commerçants, avec un nombre de marchands pour 100 habitants, deux ou trois, comparable à celui des bourgs et des villes [25].

16Les campagnes européennes n’étaient en somme pas vides de marchands. Leur nombre était grossièrement proportionnel au niveau de développement de la zone observée : dans les régions les plus riches, la dotation commerciale des campagnes s’approchait probablement de celle des villes ; dans les régions d’une richesse comparable à la Lorraine, peut-être deux ou trois fois moins.

La nature des activités : boutique ou commerce ambulant ?

17Les commerçants pouvaient être installés dans des villages sans toutefois y réaliser l’essentiel de leurs activités. Les campagnes comptaient en effet un nombre important de marchands ambulants, souvent difficiles à identifier précisément [26]. Les « cossons » et les « coquetiers », vendeurs de produits alimentaires, étaient en Lorraine les seuls marchands itinérants à être explicitement mentionnés dans les rôles d’impositions. Beaucoup de particuliers désignés comme « marchand », « commerçant », « trafiquant », « mercier », « quincaillier » ou « épicier » étaient pourtant vraisemblablement « roulants par le pays » - sans que rien dans leur titulature ne les différenciât des boutiquiers fixes [27]. Seuls les rôles de la patente, impôt sur les activités manufacturières et commerciales créé à la Révolution, distinguaient entre les colporteurs et les marchands fixes, les premiers n’étant pas taxés de la même manière que les seconds – mais rien n’empêchait les boutiquiers de coupler leurs activités à de la vente ambulante [28].

18Les patentes de colporteurs sollicitées dans certaines localités par les commerçants de détail nous permettent de préciser le nombre d’opérateurs économiques impliqués dans le commerce ambulant. Dans la petite ville de Blâmont, 55 marchands « roulants » payèrent la patente en 1791, dont 43 venaient d’autres communes du district : on peut ainsi considérer que l’on trouvait dans celui-ci au moins 2,3 marchands ambulants pour 1 000 habitants [29]. Le registre du canton de Cirey-sur-Vezouze, du même district de Blâmont, indique même pour l’année 1792 la présence de 16 colporteurs dans son ressort, soit un ratio de 3,7 pour 1 000 habitants [30]. Une telle proportion se retrouvait ailleurs : le district de Vézelise, dans le Saintois, région rurale assez riche, comptait 3,2 colporteurs pour 1 000 habitants [31]. Ces chiffres étaient élevés par rapport à l’Angleterre ou au Pays de Galles de la même époque : quand bien même le sous-enregistrement des marchands ambulants y aurait été important, on n’y en trouvait que 0,1 à 0,2 déclarés pour 1 000 habitants dans les années 1780 [32]. Peut-être est-ce à relier à une plus grande solidité de l’appareil commercial britannique dans les campagnes, qui s’appuierait sur des boutiques fixes plus nombreuses et à l’envergure d’affaires plus grande qu’en Lorraine – autant de facteurs qui limiteraient l’utilité des colporteurs ruraux ?

19La part respective des colporteurs et des marchands en boutique fixe ne peut être estimée adéquatement que pour le district de Vézelise en 1793-1794. Dans cette région de bas plateaux aux routes nombreuses et aux communications aisées, le recours aux marchands ambulants s’imposait peut-être moins que dans les régions de montagne – comme dans les environs de Remiremont, où les gros villages ne comptaient pas de marchands de commodités, mais étaient desservis par des colporteurs venus de la ville. On comptait en tout cas dans le district de Vézelise 67 colporteurs pour 148 commerçants – soit 45 % de l’ensemble. Ils étaient même deux fois plus nombreux que les boutiquiers en étoffes, mercerie ou épicerie – au nombre de 33. Ces chiffres ne doivent toutefois pas nous abuser : parmi les dossiers de faillite complets dont nous disposons pour les années 1770-1789, seuls cinq marchands ruraux et des bourgs sur 34 étaient des commerçants ambulants – soit guère plus du septième. Cela tient sans doute au fait que beaucoup de ces colporteurs étaient des marchands de petite envergure et aux activités intermittentes, ce qui rendait la sortie de la marchandise plus aisée en cas de difficultés. Nous y reviendrons plus loin.

20Il n’est néanmoins pas sûr que tracer une distinction stricte entre boutique et commerce ambulant rende compte de manière adéquate des pratiques commerciales concrètes. De fait, les lettres, registres, factures et reçus des boutiquiers Pierre Claux de Vrécourt, actif dans les années 1730, ou Dominique Jeandel, actif à Raon-l’Étape dans les années 1740, montrent qu’ils effectuaient une partie de leurs ventes sur les foires des environs, situées à une dizaine de kilomètres de leur lieu de résidence [33]. Jeandel se rendait ainsi tous les ans aux quatre foires de Senones et aux deux de Badonviller, où il rencontrait des clients vivant dans un rayon de 5 à 10 km autour des deux bourgs : c’était pour lui un moyen d’étendre son aire de chalandise [34]. De la même manière, Germain Empereur de Pont-à-Mousson employait un de ses commis à faire des tournées dans les villages des environs pour présenter la marchandise et collecter les créances [35]. Il n’est donc pas possible d’opposer terme à terme commerce ambulant et commerce fixe, et toute une palette de possibilités intermédiaires et de combinaisons devait exister chez les détaillants.

21La présence marchande dans les campagnes semblait en tout cas grossièrement corrélée à la richesse de la région considérée. À l’échelle locale, un faisceau de facteurs devait jouer pour expliquer la présence de marchands dans les villages, du niveau de population à l’ouverture routière en passant par les combinaisons d’activités des habitants. Nous allons tenter dans les lignes suivantes d’explorer ces relations.

Carte 1. Localisation des villages étudiés

Carte 1. Localisation des villages étudiés

1 Affracourt ; 2 Arnaville ; 3 Arraye ; 4 Beauménil ; 5 Benney ; 6 Bertrambois ; 7 Bettoncourt ; 8 Boulaincourt ; 9 Bouxières ; 10 Ceintrey ; 11 Chamagne ; 12 Champey ; 13 Champigneulles ; 14 Coyviller ; 15 Damas-devant-Dompaire ; 16 Deyvillers ; 17 Dombrot-sur-Vair (Bouzey) ; 18 Domgermain ; 19 Entre-Deux-Eaux ; 20 Essey-la-Côte ; 21 Eulmont ; 22 Fays ; 23 Ferrières ; 24 Flavigny ; 25 Fraimbois ; 26 Frouard ; 27 Gellenoncourt ; 28 Germonville ; 29 Gironcourt ; 30 Hagécourt ; 31 Hagnéville ; 32 Hamonville ; 33 Heillecourt ; 34 Hennecourt ; 35 Houécourt ; 36 Igney ; 37 Jarville ; 38 Jaulny ; 39 La Chapelle ; 40 Laneuvelotte ; 41 Lépanges-sur-Vologne ; 42 Leyr ; 43 Lixières (Belleau) ; 44 Longuet (St Nabord) ; 45 Mamey ; 46 Mandres-sur-Vair ; 47 Mangonville ; 48 Marthemont ; 49 Médonville ; 50 Messein ; 51 Millery ; 52 Nonville ; 53 Norroy-sur-Vair ; 54 Onville ; 55 Pulnoy ; 56 Raon-aux-Bois ; 57 Relanges ; 58 Rochesson et Sapois ; 59 Romont ; 60 Sommerviller ; 61 Tantonville ; 62 Valfroicourt ; 63 Vannes-le-Châtel ; 64 Ventron ; 65 Vergaville ; 66 Villacourt ; 67 Villers-en-Hay ; 68 Vincey ; 69 Vrécourt ; 70 Xamontaurupt.

Les facteurs d’implantation des marchands dans les campagnes

22La présence de marchands dans nombre de villages s’expliquait sans doute par les aménités qu’offraient ces localités, qui permettaient à des activités commerçantes de se déployer voire de prospérer. On peut supposer qu’il s’agissait autant de facteurs « internes », liés à l’organisation économique et à la répartition socioprofessionnelle de la population des localités, que de facteurs « externes » – liés à la centralité et à la polarisation exercées par la localité sur les villages des environs. Mais certains facteurs jouaient-ils plus que d’autres ?

L’implantation des marchands dans les campagnes : quelques hypothèses

23La présence de marchands dans les campagnes était selon toute vraisemblance liée à l’existence d’une clientèle solvable susceptible d’acquérir les commodités proposées. Il pouvait s’agir notamment de « coqs de villages » qui ne dépensaient pas l’ensemble de leurs revenus dans les villes et bourgs des environs, mais en faisaient partiellement bénéficier les commerçants locaux. De nombreux villages étaient également tout ou partie de l’année les lieux de résidence des aristocrates qui y étaient possessionnés. Ils y vivaient entourés de leur famille et de leur domesticité : tout comme les religieux dans leurs abbayes, leur présence favorisait probablement les activités des marchands des environs.

24Les hauts niveaux de dépense n’étaient cependant pas forcément imputables aux seules catégories les plus aisées de la population. Les villages comptaient en effet de nombreux artisans, vignerons, manœuvres voire, dans certaines localités dotées de forges ou d’autres types de fabriques, de nombreux ouvriers. Même si une large partie des ruraux disposaient au moins d’un petit lopin, il se peut fort que beaucoup de ces travailleurs n’aient pas été autosuffisants en matière alimentaire, et qu’ils n’aient pas eu forcément beaucoup de temps à consacrer à l’autoproduction. Il est donc possible qu’ils aient dû acheter la majeure partie de leurs biens de consommation, ce qui pouvait là encore favoriser l’installation de marchands dans les villages.

25La position géographique des localités pouvait également expliquer le niveau et le type de leur dotation en marchands. Beaucoup de commerçants présents dans les campagnes devaient sans doute collecter et exporter les productions de leur petit pays vers les principaux marchés de la région. C’est ainsi que selon les productions locales différentes spécialités commerciales apparaissaient : marchands de vin dans les zones de vignoble, marchands de bois dans les zones les plus boisées ou situées sur les grands axes de circulation des flottes de bois, marchands de grains dans les régions de grande culture, voire marchands de dentelles dans les environs de Mirecourt. La proximité des grandes villes favorisait en outre la production de quelques biens spécifiques destinés à satisfaire les consommateurs des cités proches : on trouvait souvent dans ces campagnes nombre de petits marchands de bois et autres marchands de victuailles, « coquetiers » ou « cossons » [36].

26La présence de marchands dans les villages pouvait aussi être liée à des configurations institutionnelles particulières concourant à détourner les flux de marchandises au bénéfice de certaines localités. Quelques villages possédaient une ou plusieurs foires, et voyaient ainsi périodiquement converger les flux commerciaux locaux : il se peut que de tels équipements aient contribué à fixer localement des marchands. Dans un espace lorrain très fragmenté politiquement, les frontières favorisaient sans doute également l’installation de commerçants dans les campagnes. Celles avec la Champagne, la Bourgogne, la Franche-Comté et l’Alsace correspondaient à des barrières douanières : s’installer dans un village frontalier était ainsi peut-être pour un marchand un moyen d’accéder facilement aux productions des autres provinces et d’y écouler les productions locales en jouant sur les différentiels de prix – voire sur les différentiels de législation en pratiquant la contrebande [37].

Les indicateurs retenus pour la vérification des hypothèses

27Pour déterminer le poids relatif de ces différents facteurs dans la localisation des marchands, nous allons recourir à des outils statistiques, les régressions logistiques et linéaires, qui permettent de tester les probabilités d’association de facteurs à un ensemble de données. Il nous faut pour cela établir des indicateurs pertinents, représentatifs de chacun des facteurs identifiés plus haut.

28a) Le niveau de la population villageoise. L’installation d’un commerçant dans un village est probablement liée à la taille du marché de consommation local : plus celui-ci est grand, plus il est aisé de faire vivre un commerce. Suivant en cela les études sur la population française au xviiie siècle, nous assignons à chaque feu la valeur moyenne de 4,25 habitants. Les résultats obtenus à partir du nombre de feux de différents villages pour l’année 1789 étant très proches du nombre d’habitants des localités rapportés par l’enquête de 1793, le choix d’un tel coefficient multiplicateur semble recevable [38].

29b) La composition socioprofessionnelle de la population des villages. Si l’on considère que le niveau général des consommations dans les localités dépend de la richesse des populations, on peut penser que plus un village comptait de personnes aisées, plus le marché de consommation avait de chances d’être étendu. La terre étant encore au xviiie siècle le facteur de production dont l’exploitation garantissait les revenus les plus sûrs, et les prix des grains connaissant en Lorraine une hausse continue à partir des années 1760, la mise en valeur d’une exploitation agricole de grande taille était selon toute vraisemblance un des principaux sinon le principal mode d’accumulation de richesses à la campagne [39]. La proportion des laboureurs parmi les contribuables donne donc une idée de celle des roturiers « aisés » dans les villages.

30Comme il se peut également que la présence de marchands soit très liée au grand nombre d’artisans, de manouvriers ou encore de vignerons dans le village, nous avons sur le même modèle calculé la proportion de chacune de ces catégories sociales.

31Reste toutefois à évaluer le poids des aristocrates et des communautés monastiques. Le volume des consommations des maisonnées aristocratiques ou des abbayes était sans doute bien supérieur à leur poids numérique dans les populations locales. Comme ils n’étaient pas assujettis à la subvention, nous avons introduit une variable logique, selon la présence ou non d’une demeure aristocratique ou d’un établissement monastique dans le village. Nous nous sommes pour ce faire appuyé sur les données des rôles d’imposition, qui sont censés indiquer le nom des « francs », dispensés du paiement de l’impôt. Au cas où ces précisions auraient été omises, nous nous sommes reporté aux données de Nicolas Durival, qui indique systématiquement pour chaque localité si l’on y trouvait un château, une abbaye ou un prieuré [40].

32c) L’ampleur de la consommation marchande. À niveau de richesse et de population égal, il se peut que deux villages n’aient pas été également impliqués dans la consommation marchande. S’il n’est pas possible de mesurer le niveau global de la consommation de chaque village passant par le marché, on peut en trouver une approximation. Un lien étroit existait entre le niveau de division du travail et le recours au marché pour s’approvisionner : plus les travailleurs étaient spécialisés dans le processus de production, plus la consommation marchande leur était nécessaire pour satisfaire leurs besoins.

33Le niveau global de division du travail dans les villages a été calculé à partir du nombre de spécialisations professionnelles différentes pour 100 habitants. Les professions commerciales ont bien entendu été exclues du décompte, puisqu’elles sont précisément ce qu’il convient d’expliquer : les inclure comme composantes du facteur explicatif conduirait à un raisonnement tautologique. Un ratio élevé est le signe d’une forte implication des populations dans les relations de marché, tandis qu’un ratio faible reflèterait plutôt une tendance marquée des populations à l’autoconsommation.

34d) Le désenclavement des villages. L’indice le plus pertinent d’une insertion des villages dans les circuits d’échanges est leur accessibilité, que nous mesurons par le nombre de tronçons de route qui relient la localité aux espaces extérieurs. On peut supposer en effet que l’accessibilité d’un village favorisait l’extension de l’aire de chalandise des commerçants qui y étaient installés : pour que les habitants d’une localité pussent vendre les productions de leur village dans les villes et les bourgs proches, les circulations devaient être aisées. Les marchandises produites par les campagnes lorraines étant bien souvent pondéreuses, comme les grains, le bois ou le vin, le transport de ces produits sur une distance assez importante supposait des routes de bonne qualité.

35e) La proximité d’une ville ou d’un bourg. Le voisinage d’une ville ou d’un bourg pouvait de son côté jouer de différentes manières sur la présence de marchands dans les villages. Il pouvait éventuellement expliquer la présence de commerçants en denrées alimentaires ou en matières premières destinées aux consommateurs urbains. Une telle proximité pouvait aussi cependant jouer en sens contraire : elle pouvait parfaitement avoir dissuadé l’installation de marchands dans les villages, la concurrence d’un pôle commercial important étant trop rude à surmonter pour des marchands ruraux. On parlera en tout cas de voisinage dès qu’un village se trouvait à une distance inférieure ou égale à 5 km d’une ville ou d’un bourg.

36f) Les facteurs institutionnels. Les configurations institutionnelles spécifiques comme la présence d’une foire ou la proximité de la frontière sont prises en compte de manière simple, sous la forme d’un codage logique. Nous nous appuyons sur le relevé des foires de 1794 pour déterminer la présence de tels équipements dans les villages [41]. La proximité frontalière, assimilée à une distance à la frontière inférieure ou égale à 5 km, a été vérifiée à partir de deux documents cartographiques exploitables, la carte de Cassini – datant des années 1760 dans le cas lorrain – qui indique le tracé des frontières, que nous complétons par la carte de Maurice Fallex de 1921 [42].

Le recours aux régressions logistiques et linéaires

37Ces outils statistiques permettent de tester la plausibilité d’une association dans unepopulation statistique (ici, l’ensemble des villages de la région) entre plusieurs séries de données étudiées à partir d’un échantillon aléatoire tiré de cette même population (nos 67 villages) – l’une de ces séries étant identifiée comme la variable à expliquer et les autres comme les facteurs explicatifs éventuels. Dans un calcul de régression, la significativité statistique (p-value) de chaque facteur permet de déterminer s’il est plausible qu’au niveau de la population tout entière ses fluctuations aient un lien avec celles de la variable à expliquer : une p-value inférieure à 0,10 (pour une valeur maximale de 1) permet de rejeter l’hypothèse dite nulle d’une absence de lien entre la variable et le facteur en question dans la population statistique de référence, et nous autorise à considérer la relation entre les deux comme statistiquement significative au seuil de 10 %. En d’autres termes, cela signifie qu’il nous est loisible d’extrapoler la relation observée dans l’échantillon au niveau de la population statistique tout entière. Nos calculs portent sur des échantillons assez étroits, avec par conséquent des marges d'erreur plutôt larges. Le niveau des p-values permet toutefois d’éliminer tous les facteurs jouant de manière peu évidente.

38Il va de soi qu’un lien statistique entre la variable à expliquer et un facteur particulier n’a pas nécessairement de sens d’un point de vue historique, et peut relever du simple hasard. L’identification d’un lien statistique nous signale simplement la possibilité d’un lien entre deux ensembles de données, et appelle une enquête plus fine sur les liens réels entre eux [43].

39La validité des résultats obtenus dépend de l’adéquation du type de régression retenu (logistique ou linéaire) à la série de données dont on dispose. En l’occurrence, la qualification de « marchand » était plus problématique dans les campagnes que dans les villes, puisque nombre de commerçants ruraux étaient des opérateurs pluriactifs pour qui le commerce était une spéculation parmi d’autres – nous reviendrons plus loin sur ce point. La présence de trois « marchands » dans un village ne peut donc être assimilée à l’existence de trois commerçants de plein exercice. Il peut ainsi être judicieux de mener une recherche en deux temps : tout d’abord sur les facteurs de la présence ou de l’absence de commerçants dans les localités, ensuite sur les facteurs expliquant le nombre de commerçants présents. Pour la première recherche, la méthode de la régression dite « logistique » est la plus pertinente puisque la variable à expliquer se limite à deux choix, la présence ou l’absence de marchands. Pour la seconde recherche, qui porte sur des nombres entiers, le plus judicieux est de recourir à une régression « linéaire » – suivant une loi dite « de Poisson ». Nous procéderons à plusieurs séries de calculs de régression, sur l’ensemble des commerçants puis sur les différentes spécialités marchandes repérées.

Quels facteurs de localisation pour les marchands ?

40La présence ou l’absence de commerçants dans les différentes localités ne semble pas obéir à des principes de localisation univoques. Si l’on prend en compte l’ensemble des marchands, toutes spécialités confondues, les calculs de régression logistique pour les années 1780 ne suggèrent une relation qu’avec la population et la proximité d’un pôle commercial [44]. Plus la localité était peuplée, plus la probabilité de trouver des commerçants était forte, ce qui confirme nos observations ; par contre, plus le village était proche d’une ville ou d’un bourg, moins la présence de marchands était vraisemblable.

41Les principes de localisation étaient apparemment assez différents selon les spécialisations des marchands [45]. Aucun facteur significatif n’apparaît dans le cas des commerçants en matières premières – plus précisément, il se peut fort que des facteurs non inclus dans notre modèle aient joué, comme la présence de forêts à proximité pour les marchands de bois, ou l’importance des pâturages pour les marchands de bétail. La présence de marchands en produits alimentaires était quant à elle sans surprise liée positivement au niveau de population et à l’ampleur de la division du travail. Elle était par contre liée négativement à la forte présence de laboureurs ou de vignerons dans le village : d’autres canaux locaux d’approvisionnement alimentaires existaient probablement, qui rendaient inutiles les commerçants en diverses denrées. De même, la proximité d’un pôle commercial facilitait manifestement l’acquisition de produits alimentaires localement indisponibles, et jouait de manière négative sur la présence de marchands de cette branche. Pour le commerce de « commodités » – étoffes, mercerie et épicerie –, la seule relation significative concerne le niveau de population : le fait que la présence de marchands de commodités soit facteur du nombre d’habitants et non de la concentration de populations aisées suggérerait que la consommation de ces produits était largement répandue dans la société – résultat du reste tout à fait cohérent avec ce que l’on sait de la clientèle des boutiques à la campagne [46].

42Le nombre de marchands présents dans les villages était toutefois influencé également par la connexité : tout se passait comme si l’ouverture des villages favorisait le rayonnement des appareils commerciaux locaux ou, ce qui n’est pas incompatible, permettait la diffusion de nouvelles modes et de nouveaux produits [47]. De même, la présence nombreuse d’artisans dans les villages allait vraisemblablement de pair avec la vigueur du marché local des biens et des services, ce qui favorisait aussi la densité marchande. Il n’est toutefois pas inintéressant de noter que le nombre de marchands était négativement associé à la présence de nobles, de religieux, de laboureurs ou de vignerons – autant de catégories faisant surtout leurs achats en ville ou au bourg proches ?

43Là encore, toutes les spécialités n’étaient pas représentées de manière étale sur le territoire, et certaines branches du commerce pouvaient être localement fortement représentées sous l’effet de facteurs spécifiques [48]. Les marchands en matières premières étaient semble-t-il particulièrement nombreux là où l’on trouvait des manufactures – sans doute servaient-ils de fournisseurs, notamment en bois. Les marchands en denrées alimentaires étaient quant à eux très représentés là où la population et la division du travail étaient fortes, ce qui n’est pas une surprise, mais aussi là où le degré de connexité des villages était important – signe de la dimension « exportatrice » d’une bonne partie de ce commerce. Les calculs portant sur le nombre de marchands de commodités permettent surtout d’éliminer la plupart des hypothèses. Les seuls facteurs positivement corrélés sont le niveau de population et la présence de manufactures – soit que les commerçants aient exporté les productions locales, soit que les ouvriers des manufactures aient été plus accoutumés que les autres à la consommation de commodités. Ce serait donc en définitive de manière assez intuitive la taille du marché local qui expliquerait la présence de marchands de commodités : celle-ci dépendrait à la fois de la population des localités et du degré de dépendance au marché des populations qui y résidaient.

44Cette exploration statistique des facteurs explicatifs de la localisation marchande dans les campagnes suggère en somme que comptaient le niveau de la population des villages, mais aussi le degré d’ouverture des localités et le niveau de division du travail, les deux allant sans doute assez largement de pair. La présence dans les villages de marchands ne dit toutefois rien de leur degré d’implication dans le commerce ou de leurs niveaux d’affaires.

La question du degré d’implication dans le commerce

45La pluriactivité était largement répandue dans les campagnes européennes jusqu’en plein xixe siècle [49]. La précarité ou la relative étroitesse des marchés de consommation locaux poussaient probablement de nombreux commerçants à compléter leur spécialisation principale par des activités productives ou marchandes secondaires. Inversement, les succès enregistrés dans une branche particulière pouvaient inciter certains opérateurs économiques à embrasser des activités connexes, notamment commerciales, en vue de diversifier leurs spéculations et d’accroître leurs gains.

L’étendue de la pluriactivité chez les commerçants

46Dans quelle mesure les marchands ruraux étaient-ils de purs commerçants, ou bien adossaient-ils leurs activités à d’autres ? À partir de notre échantillon de villages, nous pouvons dresser pour les années 1770-1789 le profil des activités de 219 marchands ruraux dont le commerce était l’occupation première. Il apparaît que plus de 40 % d’entre eux exerçaient une activité complémentaire, soit que le commerce ne suffît pas à assurer leur subsistance, soit que d’autres spéculations se fussent présentées à eux.

Tableau 2. Marchands mono-actifs et poly-actifs

Nombre d’activités complémentairesNombre de marchands%
Aucune12958,9
Une7032,0
Deux209,1
Ensemble des marchands219100

Tableau 2. Marchands mono-actifs et poly-actifs

47On relève également 106 occurrences d’acteurs économiques pratiquant le commerce comme seconde activité. Il s’agissait apparemment pour une proportion non négligeable de travailleurs ruraux diversifiant leurs sources de revenus – voire prolongeant des spéculations dans lesquelles ils avaient connu un certain succès. Nous y reviendrons. Nos échantillons nous présentent en somme 196 commerçants pluriactifs sur 325, soit 60 % de l’ensemble [50].

48Les formes de cette pluriactivité ne sont toutefois pas forcément claires. Il se peut ainsi que certains commerçants aient mené une autre activité simultanément, tandis que d’autres aient consacré des périodes de l’année séparées à leurs diverses occupations. Tout devait dépendre en fait de la nature de l’activité exercée à côté du commerce : s’il s’agissait de spécialités très proches, elles pouvaient être conduites en parallèle ; si elles étaient plus éloignées fonctionnellement, une séparation dans l’emploi du temps annuel était probablement requise.

Les combinaisons d’activités chez les marchands ruraux

49Avec quelles autres occupations le commerce était-il associé ? Pour les 90 marchands de première occupation pluriactifs, nous présentons pour chaque spécialité commerciale la fréquence d’apparition de chaque activité complémentaire. Comme un marchand pouvait avoir plusieurs activités secondaires, le total des fréquences d’apparition est supérieur à 1.

Tableau 3. Fréquence des deuxièmes activités chez les commerçants « de première occupation »

Premières spécialisationsSpécialisations secondaires
EffectifAgents seigneuriauxLaboureursTravailleurs de la terre et vigneronsArtisansTransporteursBuralistesMarchands-drapiers, merciers et épiciersAubergistes et cabaretiersProducteurs alimentaires
Fruitiers / Coquetiers150,130,800,07
Bouchers et marchands de bestiaux80,250,380,630,13
Marchands de vin et d’eau-de-vie40,500,250,500,250,25
Marchands de bois21,00
Marchands d’huile et de blé40,500,250,250,50
Marchands-tanneurs21,00
Marchands de commodités120,080,500,50
Buralistes de tabac41,001,00
Buralistes de sel21,000,50
Marchands sans spécification370,080,780,220,030,050,05
Ensemble900,070,500,420,010,070,030,010,040,03

Tableau 3. Fréquence des deuxièmes activités chez les commerçants « de première occupation »

50Malgré quelques nuances selon les spécialités commerciales, la plupart des marchands pluriactifs des campagnes couplaient marchandise et agriculture : la moitié d’entre eux étaient également laboureurs, et quatre sur 10 manouvriers ou vignerons. Sur 90 commerçants pluriactifs, seuls sept – moins d’un sur 10 – ne se consacraient pas aux travaux des champs. C’était en particulier le cas de marchands de vin et d’eau-de-vie, de marchands de bois ou encore de commerçants en huile et en blé : amenés à transporter des quantités importantes de marchandises, ils associaient leur première activité avec le transport – leurs charrettes, qui servaient au charroi de leurs propres marchandises, étaient donc vraisemblablement souvent mises à disposition d’autres opérateurs économiques. Dans l’ensemble, il apparaît malgré tout que lorsqu’ils diversifiaient leurs activités, les commerçants ruraux les couplaient principalement avec le travail de la terre.

51Conserver des terres héritées ou en acquérir de nouvelles leur permettait évidemment de traduire leur réussite économique en prestige social, tout en assurant la pérennité de leur groupe familial – la propriété foncière permettait en effet de préparer de futures alliances matrimoniales ou d’anticiper les successions à venir. L’intérêt économique à posséder la terre était toutefois considérable. La modalité la plus sûre de réaliser des gains réguliers restant pour un investisseur du xviiie siècle l’agriculture, comme exploitant direct ou comme bailleur, il n’était pas absurde de voir des marchands y placer une partie de leurs fonds. Par ailleurs, l’extension des affaires commerciales au-delà d’un certain seuil supposait d’être propriétaire foncier : sans la garantie d’un terrain ou d’un immeuble, aucun prêt de grande ampleur susceptible de favoriser le développement des activités n’aurait pu être accordé [51]. De fait, parmi les 42 marchands ruraux pour lesquels nous disposons d’inventaires de faillite au xviiie siècle, 20 avaient contracté des obligations hypothécaires : parmi eux, tous sans exception disposaient de terres ou de bâtiments leur permettant de gager leur emprunt. Plus généralement, la possession d’un patrimoine constituait une réserve de valeur susceptible d’inspirer confiance aux partenaires commerciaux. À ce titre, propriété foncière et activités commerciales étaient difficilement dissociables, la première venant conforter les secondes.

52Le poids de l’agriculture était également très fort chez les commerçants de seconde occupation : sur 106, 42 avaient le travail de la terre comme première activité [52]. D’autres types de combinaison d’activités se dessinaient toutefois. Comme dans le tableau précédent, le total des fréquences d’apparition des spécialités marchandes est supérieur à 1.

Tableau 4. Les branches d’activité des commerçants « de seconde occupation »

Premières activitésActivités commerciales complémentaires
EffectifFruitiers / CoquetiersBouchers et marchands de bestiauxMarchands de vin et d’eau-de-vieMarchands de boisMarchands d’huile et de bléMarchands-drapiers, merciers et épiciersBuralistesMarchands sans spécification
Laboureurs120,080,250,170,080,080,33
Vignerons160,440,060,250,13
Manœuvres140,290,290,210,140,14
Artisans240,250,130,420,290,04
Transporteurs100,100,700,100,10
Aubergistes et cabaretiers170,060,120,060,120,290,41
Producteurs alimentaires80,380,380,130,25
Autres50,200,200,200,400,20
Ensemble1060,120,060,210,150,020,160,180,15

Tableau 4. Les branches d’activité des commerçants « de seconde occupation »

53Les manœuvres et les vignerons, mais aussi les artisans, les transporteurs et les aubergistes-cabaretiers étaient apparemment assez nombreux à s’engager dans le commerce comme activité complémentaire. Une telle association d’activités ne devait rien au hasard : les deux premières catégories privilégiaient le commerce de denrées comestibles, les transporteurs commerçaient en biens pondéreux comme le bois, et les artisans vendaient vraisemblablement surtout des marchandises liées à leur branche d’activité principale. Il y avait sans doute souvent chez ces derniers la tentation opportuniste de vendre quelques produits en plus de leur activité de base, en profitant de connaissances acquises dans certaines branches de la marchandise. Les maréchaux-ferrants connaissaient les petits objets de métal aussi bien que des merciers : ils disposaient en matière de quincaillerie ou d’accessoires pour les souliers d’une expertise suffisante pour vendre eux aussi de menus objets. Les fournitures destinées à leurs activités productives pouvaient aussi à l’occasion s’accumuler dans l’atelier : vendre de la mercerie pouvait ainsi aider à se débarrasser des surplus. Ce commerce occasionnel pourrait expliquer l’usage du qualificatif de « vendant mercerie », au lieu de « marchand » ou de « mercier », pour qualifier ces artisans engagés dans le commerce. Pour un certain nombre d’entre eux, il s’agissait donc un prolongement assez naturel de leurs activités principales.

54Bien souvent sans doute, cette combinaison d’occupations relevait toutefois moins de l’entreprise spéculative que de la recherche de la survie par le recours à une activité complémentaire – le petit commerce, qu’il fût fixe ou ambulant – dans laquelle le coût à l’entrée était faible. Ces tout petits opérateurs se lançaient le plus souvent dans la mercerie ou le commerce de produits alimentaires. Dans le premier cas, ils constituaient sans doute leurs stocks auprès des marchands ou des artisans des environs. Les arrivages et les occasions de s’en procurer étant irréguliers, ces activités étaient probablement intermittentes : la marchandise n’était écoulée dans les villages qu’à des intervalles plus ou moins éloignés, sans continuité d’activité. Outre la mercerie, on voyait de ces petits marchands occasionnels vendre aussi du vin à la bouteille ou au verre, voire des épiceries. Les « cossons » étaient par ailleurs nombreux dans les villages, en particulier dans les environs des grandes villes, importants marchés pour les fruits, les légumes, les laitages, la volaille ou les œufs frais. À Frouard, près de Nancy, les coquetiers représentaient ainsi 11 acteurs de la circulation sur 22 en 1775. Peu représentés dans la Plaine ou dans le Saintois, on les retrouvait par contre en nombre dans la Montagne. Les Vosges étaient en effet une zone de production de laitages, notamment de fromages écoulés par de petits marchands dans les vallées ou dans la Plaine : cossons et coquetiers formaient ainsi l’essentiel des acteurs de la circulation des marchandises de Rochesson, Sapois ou Ventron, à proximité de Remiremont.

55Prolongement spéculatif ou planche de salut, la combinaison d’activités se retrouvait en somme chez trois marchands sur cinq. L’association la plus fréquente était sans surprise celle avec le travail de la terre : 125 commerçants sur 325 étaient ainsi engagés à des degrés divers dans l’agriculture, soit près de 40 % [53]. Ces niveaux se retrouvaient dans d’autres territoires censément plus « commercialisés » que la Lorraine : en Cornouailles et dans le Kent des années 1600-1749, plus de 50 % des acteurs du commerce rural (détaillants, marchands de nourriture, cabaretiers et aubergistes) étaient ainsi vraisemblablement liés à la terre [54]. Le commerce était donc souvent une activité occasionnelle ou saisonnière, comme dans le cas du colportage.

Le degré d’implication des colporteurs dans le commerce

56Chez de nombreux marchands, notamment chez les ambulants, le commerce était pratiqué une partie de l’année seulement. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agissait vraisemblablement d’une simple activité de complément. Sur les 55 colporteurs repérés dans le district de Blâmont pour l’année 1791, aucun ne sollicita de patente à l’année : 45 « roul(ai)ent par le pays » six mois seulement, un seul neuf mois, et six seulement trois mois. Et sur les 45 « demi-patentés », 39 étaient de simples porteurs de balles, cotisés au minimum. C’était vraisemblablement le signe d’activités commerciales intermittentes, servant de modeste complément pendant la morte-saison agricole [55].

57Les activités pratiquées par les colporteurs n’étaient sans doute pas partout ni tout le temps les mêmes. Dans certains petits pays, le colportage était manifestement une spécialité : les marchands ambulants écoulaient les productions locales dans la région ou en dehors de la Lorraine, contribuant à élargir les marchés de consommation des manufactures [56]. Dans le canton de Cirey-sur-Vezouze, on relève ainsi en 1792 des colporteurs dans quatre localités sur dix. Ils étaient particulièrement nombreux dans le village de Bertrambois – où l’on en dénombrait 11, dont neuf « colporteurs de faïence », exportant directement la production de l’importante manufacture de Cirey [57]. À Germonville dans le district de Vézelise, l’implication dans le commerce ambulant semblait prononcée : sur 16 colporteurs, un seul payait une patente pour trois mois, six pour six mois et neuf pour neuf mois. Cinq sur 16 employaient même une voiture pour leurs tournées. Tout comme les habitants du village voisin, Chamagne, ils étaient massivement engagés dans le commerce des dentelles produites dans les environs [58].

58Ces colporteurs exportateurs de manufactures locales se distinguaient de ceux qui se livraient à un commerce plus ou moins généraliste d’importation de commodités dans le pays. Ces derniers étaient de fait des concurrents directs pour les boutiquiers, dont ils redoublaient les activités. Tous n’étaient pas de petits merciers [59]. On compte parmi les sept exemples de marchands « roulants » que nous avons relevés pour les années 1770 à 1790 cinq marchands-drapiers proposant étoffes, accessoires et pièces de vêtements à leur clientèle. Mais il s’agissait là de marchands assez importants, dont les niveaux d’affaires étaient comparables à des boutiquiers urbains. Chez la plupart des ambulants, l’implication intermittente dans le commerce, le créneau d’affaires étroit et les pratiques commerciales mêmes (des passages plus ou moins réguliers dans les mêmes lieux) faisaient que la concurrence qu’ils causaient aux boutiquiers des bourgs et des villages était sans doute assez limitée – malgré leur nombre assez élevé. Leurs activités se rapprochaient de fait du commerce périodique : quelle différence y avait-il entre une petite foire mercière rurale trimestrielle attirant les commerçants des environs et un commerçant ambulant, passant quatre fois l’an dans le village ?

59Dans bien des cas, le commerce rural prenait donc la forme du colportage, pratiqué de manière intermittente et limitée. Les boutiquiers ruraux pouvaient quant à eux atteindre des niveaux d’affaires importants, comparables à ceux de leurs collègues urbains.

La position économique des commerçants dans les campagnes

60À quel niveau de richesse les marchands ruraux parvenaient-ils ? Et quelle position sociale leurs gains leur permettaient-ils d’atteindre ? En l’absence de tableau général des revenus ou des patrimoines, il est possible là encore de recourir aux rôles d’impositions. Cela suppose toutefois une grande prudence. Les cotes fiscales ne peuvent au sens strict rien dire du niveau ou de la structure des revenus des contribuables, mais fournissent, sous certaines conditions, une image grossière des hiérarchies économiques à l’intérieur des communautés villageoises.

Une approche par les cotes d’imposition

61Comme la taille, la subvention pesait sur les facultés des feux. La richesse des ménages était évaluée à partir de leurs propriétés, des biens qu’ils faisaient valoir comme propriétaires ou comme locataires ou encore de leurs activités productives. Le poids du patrimoine en terres ou des activités de labourage dans la détermination des cotes d’imposition était dans tous les cas considérable, bien que sans doute variable dans le temps et dans l’espace. Cette prééminence accordée à la terre et à son exploitation dans l’estimation des facultés reflétait l’importance des activités agricoles dans les économies européennes au xviiie siècle [60]. De fait, les propriétaires-exploitants et les fermiers comptaient presque systématiquement parmi les plus gros contribuables des villages. De même, les artisans possédant ou faisant valoir une terre comme activité secondaire devaient acquitter une imposition sensiblement plus élevée que les artisans mono-actifs – ou même que ceux pratiquant un autre métier artisanal comme activité secondaire.

62Lors de l’établissement de l’assiette des impositions, on veillait cependant à tenir compte de la manière la plus fine possible des niveaux de richesse des contribuables non-propriétaires ou non-exploitants, de sorte à éviter les contestations et à minimiser le niveau des impayés. On note ainsi des écarts assez importants entre les niveaux d’impositions des artisans, des manœuvres ou des femmes seules travaillant à façon. Sans s’arrêter à la valeur précise des cotes d’impositions, et en veillant à bien distinguer les laboureurs – que ceux-ci soient propriétaires-exploitants ou fermiers – du reste de la population, il est possible à l’échelle de chaque village de reconstituer une pyramide grossière des fortunes [61]. Les cotes d’imposition permettent par conséquent de situer approximativement la position sociale de chaque marchand dans sa localité de résidence.

63Les modalités de l’assiette des impositions entre les villages étaient cependant telles que les cotes des contribuables, à niveau de richesse équivalent, pouvaient différer sensiblement entre deux localités – selon que celles-ci étaient sur- ou sous-imposées. Il n’est donc pas possible de comparer telles quelles les cotes d’impositions de plusieurs villages. Rapportées toutefois à une base 100 correspondant à la cote d’imposition moyenne de leurs villages respectifs, les cotes prises dans leur ensemble nous renseignent sur la position sociale globale des contribuables dans la société rurale : si les cotes des marchands tendent ainsi à être globalement nettement supérieures à 100, cela signifie que les commerçants se situaient tendanciellement parmi les contribuables les plus aisés de leurs communautés.

Les marchands étaient-ils des « coqs de village » ?

64Le tableau suivant présente la cote médiane pour les marchands de chaque catégorie dans les villages de notre échantillon. Nous considérons comme marchands les pluriactifs exerçant une activité commerciale, mais nous les mettons à part en vue d’évaluer leur richesse relative.

Tableau 5. Niveau médian des cotes d'imposition des marchands par spécialité (marchands de première occupation)

Nature des activités commercialesNombre d’activités complémentaires
AucuneAu moins une (hors exploitation d’une terre)Au moins une (dont l’exploitation d’une terre)
Marchands de denrées81,785,8NS
Marchands de produits naturels98,1155,9146,6
Marchands de commodités69,1127,8125,8
Marchands de tabac76,0125,8NS
Marchands sans spécification87,9156,7194,0

Tableau 5. Niveau médian des cotes d'imposition des marchands par spécialité (marchands de première occupation)

65De toute évidence, le commerce ne garantissait pas une position prééminente dans les communautés villageoises : les marchands sans activité complémentaire ni propriété foncière avaient pour la plupart une cote d’imposition inférieure de 10 à 30 % à la moyenne de leurs villages, et comptaient rarement parmi les très gros contribuables. C’est sans doute le signe que les capacités d’accumulation de beaucoup d’entre eux étaient limitées : s’ils l’avaient pu, ils auraient sans doute acquis des terres, et leurs cotes d’imposition auraient alors été plus élevées [62]. De fait, parmi les 42 marchands ruraux en commodités pour lesquels nous disposons d’un inventaire de faillite, la possession d’un bien foncier était chose fréquente, sans être systématique : seuls les trois-cinquièmes d’entre eux étaient propriétaires immobiliers, et la moitié possédaient des terres, des vignes ou des prés. Ces marchands se recrutaient pourtant parmi les opérateurs économiques engagés pleinement dans le commerce (et non de manière seulement intermittente), et vraisemblablement parmi les commerçants ruraux les plus aisés [63].

66La comparaison des cotes des marchands de premier exercice avec celles des brasseurs d’affaires ruraux se livrant au commerce parmi d’autres spéculations conforte en tout cas notre hypothèse selon laquelle les possibilités d’accumulation ne résidaient pas dans les seules activités marchandes [64].

Tableau 6. Niveau médian des cotes d'imposition des ruraux pratiquant le commerce comme activité complémentaire

Premières activitésExploitation d’une terre ?
OuiNon
Laboureurs195,2
Vignerons130,7
Manœuvres48,7
Artisans146,3
Transporteurs113,6
Aubergistes et cabaretiers391,5153,0
Producteurs alimentaires154,2
Autres130,0

Tableau 6. Niveau médian des cotes d'imposition des ruraux pratiquant le commerce comme activité complémentaire

67Les artisans, aubergistes ou transporteurs pratiquant le commerce comme activité complémentaire acquittaient des impositions d’un montant équivalent aux marchands de premier exercice pluriactifs : c’était manifestement la combinaison d’activités et la diversité des spéculations qui permettait l’enrichissement, plus que le commerce en tant que tel. À cet égard, les grands gagnants du processus d’accumulation semblent avoir été les aubergistes – ou tout du moins les plus entreprenants d’entre eux, également possesseurs de terres. Disposant de moyens de transport – cheptel vif ou voitures –, ils étaient aussi fréquemment actifs comme voituriers : à Tantonville en 1775, Étienne Haineault était ainsi « aubergiste, commerçant en quelques marchandises, fermier des dîmes, fermier, faisant cultiver » [65]. La participation à divers circuits commerciaux et les relations étroites avec des milieux commerçants urbains leur permettaient d’ailleurs aussi d’accéder aux circuits de diffusion des biens de consommation, et de se faire marchands merciers dans leur localité [66].

68Malgré toutes les réserves qu’une approche par les sources fiscales peut susciter, elle semble suggérer que le commerce ne constituait pas une forme majeure d’accumulation dans les campagnes – ou tout du moins pas quand il était pratiqué seul. La position socio-économique des marchands ne semblait guère différente de celle des artisans. Les capacités d’accumulation des commerçants ruraux ne semblaient toutefois pas moindres que celles des marchands des villes.

Marchands ruraux et marchands des villes

69Établir les niveaux d’affaires de commerçants suppose au sens le plus strict de disposer de comptabilités permettant d’évaluer l’ampleur des ventes effectuées. Ce type de documents étant très rare, il est nécessaire de recourir à des indicateurs indirects tirés d’autres instruments de la pratique marchande. Ceux qui nous renseignent le moins mal sur les activités commerçantes sont les inventaires de faillite, dressés en Lorraine par la justice consulaire après qu’une demande d’atermoiement avait été déposée par un marchand. Ces documents peuvent fournir une approximation des niveaux d’affaires grâce au montant cumulé des dettes passives. Le moins mauvais indicateur de l’extension des activités d’un commerçant est en effet le niveau à partir duquel il n’est plus en mesure de satisfaire ses créanciers : ce n’est pas la même chose de devoir solliciter une remise de dettes à 4 000 livres de créances et à 20 000 livres.

70Parmi les 87 marchands représentés dans notre échantillon de faillis, nous n’allons étudier ici que les 78 pour lesquels nous disposons d’informations sur les niveaux d’affaires. Ils se répartissaient en 48 drapiers, 19 merciers et 11 merciers-épiciers. Nous ne disposons que de marchands en commodités, les autres commerçants, peut-être davantage engagés dans d’autres activités, ne recouraient en effet que de manière plus limitée à la justice consulaire. Cette catégorie de marchands comptait dans les campagnes, à en juger par les cotes d’impositions étudiées plus haut, parmi les commerçants d’envergure médiocre – même si les marchands entamant des procédures d’atermoiement étaient sans doute parmi les plus solides et les mieux établis d’entre eux.

71Il n’y a que pour les drapiers qu’une comparaison ville-campagne est possible : on ne relève en effet pour les villages dans notre échantillon aucun mercier-épicier, et seulement cinq merciers, tandis que la répartition géographique des drapiers était nettement plus étale (18 urbains, 23 ruraux et sept marchands des bourgs).

Tableau 7. Comparatif des niveaux d'affaires des marchands-drapiers

Lieu de résidence des marchandsValeur médiane en liv. l.Valeur maximale en liv. l.Effectif
Villes18346,3899239,7018
Campagnes13567,8587616,4523

Tableau 7. Comparatif des niveaux d'affaires des marchands-drapiers

72Les niveaux d’affaires étaient sans doute peu différents entre les boutiques des villes et celles des campagnes. Dans notre échantillon, le niveau d’affaires médian des marchands-drapiers urbains était presque un tiers plus élevé que celui de leurs collègues ruraux – résultat toutefois peu significatif d’un point de vue statistique [67]. Le plus intéressant est surtout que ces niveaux d’affaires étaient du même ordre de grandeur, signe de capacités d’accumulation comparables et donc d’une participation non négligeable des populations rurales à la consommation marchande.

73L’analyse de la dotation commerciale des villages lorrains montre que la densité marchande dans les campagnes était loin d’être négligeable. Au seuil de 500 habitants, quasiment tous les villages étaient dotés de marchands, de même qu’au moins la moitié au seuil de 300 habitants : rapporté à la population, le nombre de marchands ruraux était ainsi en Lorraine sans doute seulement deux à trois fois inférieur à ce que l’on trouvait dans les pôles commerciaux, villes ou bourgs.

74Une partie de ces marchands des campagnes contribuait à l’exportation hors du petit pays des productions locales – bois, vin, eau-de-vie, productions des potagers, grains sans doute, même si cette dernière spécialisation n’apparaît jamais explicitement dans les sources [68]. On trouvait toutefois également dans les campagnes des marchands d’étoffes, de merceries ou de produits coloniaux, et qui proposaient peu ou prou les mêmes produits que leurs collègues des villes : en ce sens, ils contribuaient à la formation d’un espace commercial régional intégré [69]. Cette participation des ruraux aux dynamiques consuméristes de l’époque est en tout cas un signe indubitable de la « commercialisation » des campagnes lorraines, en aucune manière limitée aux villes.

75Il ne faudrait cependant sans doute pas s’en tenir à un simple comptage des marchands : une évaluation des niveaux d’affaires des commerçants ruraux est indispensable pour conclure à une forte implication des campagnes dans le commerce. La plupart des marchands des campagnes ne semblaient en fait pas plus aisés que les artisans, et seule une minorité comptait apparemment parmi les élites économiques des villages. Comme dans les villes, le commerce était souvent pratiqué sur une échelle modeste par de petits opérateurs tirant quelques gains de la revente de productions locales ou de rebuts des boutiques urbaines [70]. Le commerce était par ailleurs assez fréquemment couplé à d’autres activités, et la part de chacune dans l’ensemble des affaires était difficile à démêler. Souvent fonctionnellement cohérentes, les associations de spécialités correspondaient à des profils socioprofessionnels allant du gros spéculateur au modeste revendeur à la limite de la survie. Les marchands ruraux, acteurs de la commercialisation des campagnes, se caractérisaient donc sans doute moins par l’envergure de leurs niveaux d’affaires que par la plasticité des opérations dans lesquelles ils étaient engagés, qui les rendait aptes à saisir les opportunités offertes par des marchés en expansion.

76La configuration de l’appareil commercial rural lorrain signale en tout cas une commercialisation réelle des campagnes de la région, marquée en particulier par une participation notable à la consommation de « commodités ». S’agit-il là toutefois d’un cas régional exceptionnel ?

77La trajectoire économique et politique de la Lorraine depuis la fin du xviie siècle a contribué à la forte commercialisation de ses campagnes. La période de reconstruction après les ravages de la Guerre de Trente Ans et de ses suites s’est accompagnée d’une hausse rapide de la population dans les villages à partir des années 1680 et de la diminution subséquente de la taille des exploitations – par morcellement ou expropriation. Nombre de ceux dont les champs devenaient trop petits auraient alors été contraints de travailler comme artisans ou manouvriers, devenant ainsi dépendants du marché pour leur subsistance, tandis que la hausse de la population urbaine constituait un débouché nouveau pour les produits agricoles. Du fait de l’accroissement de la taille des marchés de consommation, les paysans ont pu se trouver incités par les hauts prix à accroître leur production pour dégager des excédents. Le contexte politique et institutionnel se prêtait par ailleurs à l’essor des échanges : la Lorraine connut la paix à partir des années 1660 – occupée par la France de 1670 à 1698 et de 1702 à 1714, elle fut néanmoins épargnée par les combats – et bénéficia d’une politique volontariste de promotion du commerce, le duc Léopold supprimant les douanes intérieures et entreprenant la construction de grandes routes. La position géographique des Duchés et la faiblesse des droits de douane ont quant à elles dû favoriser les importations, et faire profiter les populations des mutations importantes de l’offre disponible – grâce notamment à la baisse tendancielle des prix des étoffes et à l’extension du nombre de qualités commercialisées tout au long des xviie et xviiie siècles. Pris ensemble, ces différents facteurs ont pu inciter nombre de paysans à produire pour le marché pour acquérir différents types de biens. Le développement de l’appareil commercial serait ainsi la conséquence de cette double dynamique productiviste et consumériste.

78La densité de l’appareil commercial rural lorrain ne semblait toutefois pas exceptionnelle à l’échelle de l’Europe de la fin du xviiie siècle. Si les niveaux atteints en Lorraine étaient dépassés dans des régions riches et urbanisées comme les Provinces-Unies et peut-être certaines régions du sud de l’Angleterre – ou même par les campagnes prospères du Pays de Caux, ils étaient nettement plus élevés que dans des régions pauvres comme celles du Massif Central – sans même parler de l’Europe orientale.

79Dans les régions relativement riches de l’Europe du xviiie siècle, qui englobaient le nord de l’Angleterre, la Rhénanie, les Pays-Bas autrichiens, la France du nord-est (dont la Lorraine), la Suisse, l’Italie du nord ou encore la Catalogne, on trouve les signes d’une présence marchande forte dans les campagnes, destinée à exporter les productions du cru, mais aussi à satisfaire une demande non négligeable en biens de consommation. Les détaillants étaient nombreux dans les campagnes bernoises de la fin du xviiie siècle, les botiguers de teles des bourgs de l’arrière-pays catalan pratiquaient volontiers le demi-gros (auprès de petits marchands ruraux ?) et le nord de l’Angleterre comptait sans doute des centaines de merciers-épiciers comme Abraham Dent, du gros village de Kirkby Stephen dans le Westmoreland [71]. L’implication marquée des populations rurales de ces régions dans la consommation de « commodités » est à la fois le signe et le moteur du dynamisme de l’économie d’échanges au xviiie siècle. Une meilleure connaissance des appareils commerciaux portant les circulations marchandes permettrait d’en prendre plus adéquatement la mesure.


1. Les facteurs de localisation des marchands dans les villages. Résultats des régressions logistiques et linéaires

Tableau 1. Présence de marchands dans les villages (toutes spécialités)

Tableau 1. Présence de marchands dans les villages (toutes spécialités)

Tableau 2. Présence de marchands de matières premières dans les villages

Tableau 2. Présence de marchands de matières premières dans les villages

Tableau 3. Présence de marchands de produits alimentaires dans les villages

Tableau 3. Présence de marchands de produits alimentaires dans les villages

Tableau 4. Présence de marchands de commodités dans les villages

Tableau 4. Présence de marchands de commodités dans les villages

Tableau 5. Nombre de marchands dans les villages (toutes spécialités)

Tableau 5. Nombre de marchands dans les villages (toutes spécialités)

Tableau 6. Nombre de marchands de matières premières dans les villages

Tableau 6. Nombre de marchands de matières premières dans les villages

Tableau 7. Nombre de marchands de produits alimentaires dans les villages

Tableau 7. Nombre de marchands de produits alimentaires dans les villages

Tableau 8. Nombre de marchands de commodités dans les villages

Tableau 8. Nombre de marchands de commodités dans les villages

2. Rôles d’imposition des villages étudiés

80Affracourt (1775 et 1790), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 5 CC 1 à 3

81Arnaville (1788), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 857

82Arraye (1778), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 11543

83Beauménil (1775 et 1790), Arch. dép. Vosges, E dépôt 46 CC 1

84Benney (1771), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 7776

85Bettoncourt (1775 et 1786), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 57 CC 2

86Boulaincourt (1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 68/1 G 12-13

87Bouxières-aux-Dames (1784), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 89 CC 1 à 4

88Ceintrey (1774 et 1788), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 108 CC 1

89Chamagne (1778), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 86 CC 2

90Champey-sur-Moselle (1770 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1067

91Champigneulles (1774 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 114 CC 1 à 4

92Coyviller (1775 et 1787), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 149

93Damas-devant-Dompaire (1774 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 124 CC 1

94Deyvillers (1775 et 1788), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 134 CC 1

95Dombrot-sur-Vair (Bouzey) (1774 et 1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 143 CC 1, 3 et 4

96Domgermain (1775 et 1787), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 161 CC 3 et 4

97Entre-Deux-Eaux (1773 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 161 CC 1

98Essey-la-Côte (1774), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 181 CC 1

99Eulmont (1776 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 184 CC 1 à 5

100Fays (1775 et 1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 172 CC 2

101Ferrières (1785), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 7786

102Flavigny-sur-Moselle (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1351 et 1351 bis + 1352

103Fraimbois (1772), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 204 CC 2

104Frouard (1775 et 1788), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 213 CC 1 à 3

105Gellenoncourt (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1331

106Hagécourt (1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 230 CC 1

107Hagnéville (1775 et 1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 231 CC 3

108Hamonville (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 10690

109Heillecourt (1775 et 1787), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 255 CC1 et 2

110Hennecourt (1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 241 CC 2

111Houécourt (1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 246 CC 2

112Igney (Vosges) (1775 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 252 CC 3

113Jarville-la-Malgrange (1775 et 1785), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 272 CC 1

114Jaulny (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1158

115La Chapelle-aux-Bois (1787), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 90/CC 1

116Laneuvelotte (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 2461

117Lépanges-sur-Vologne (1783 et 1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 271 CC 1

118Leyr (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1325

119Lixières (Belleau) (1775 et 1787), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 593

120Longuet (St Nabord) (1775 et 1784), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 436 CC 1

121Mamey (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 795

122Mandres-sur-Vair (1773), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 290 CC 7

123Mangonville (1779 et 1787), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 6631

124Marthemont (1775 et 1790), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 8889

125Médonville (1790), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 301 CC 1 à 3

126Messein (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 2196

127Millery (1775), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 11478

128Nonville (1775 et 1787), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 335 CC 1

129Norroy-sur-Vair (1771 et 1779), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 337 CC 3

130Onville (1788), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, AC 409/2

131Pulnoy (1775 et 1788), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, Bj 1807

132Raon-aux-Bois (1781), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 378 CC 1 et 3

133Relanges (1774 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 388 CC 2

134Rochesson et Sapois (1778), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 398 CC 4 et 5

135Romont (1775 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 402 CC 3 et 4

136Sommerviller (1775 et 1789), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, AC 508/3 et 508/4

137Valfroicourt (1770), Arch. dép. Vosges, B 237

138Ventron (1775 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 510 CC 5 et 6

139Villacourt (1775 et 1790), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 566 CC 1 à 4

140Villers-en-Haye (1775 et 1786), Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 572 CC 1

141Vincey (1775 et 1789), Arch. dép. Vosges, E-dépôt 525 CC 4 à 6

3. Inventaires de faillite de marchands utilisés (Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, série 49 B

Marchands généralistes

142Baugue (1) Darney 1785 (225) ; Baugue (2) Darney 1789 (233) ; Bocquet Rupt-sur-Moselle 1775 (207) ; Didion Bassompierre 1785 (225) ; Gley Gérardmer 1789 (233) ; Godart Monthureux 1789 (231) ; Hugo Honcourt 1780 (217) ; Legros Darney 1779 (214) ; Nick Plombières 1778 (213) ; Nicolas Blâmont 1777 (211) ; Pierrat Le Ménil 1789 (232) ; Rambaud Darney 1789 (233) ; Roulot Hurbache 1787 (228) ; Ruyer Fraize 1779 (214) ; Schacker (roulant) 1780 (216) ; Schmitt Grossbliederstroff 1789 (231) ; Thiébault Hennezel 1788 (228) ; Viot Vagney 1789 (233).

Marchands-drapiers

143Bailly Jeandelize 1789 (233) ; Bernardin Flavigny 1777 (212) ; Brabenders Corny 1778 (212) ; Cartier Portieux 1789 (233) ; Clairat Vioménil 1789 (232) ; Claudel Ruppes 1776 (209) ; Dingen (roulant) Colombey 1778 (213) ; Gautier Hanonville-au-Passage 1775 (207) ; Gazin Arracourt 1785 (225) ; Grandpaire Damas-aux-Bois 1779 (214) ; Hingray (1) Saint-Étienne-lès-Remiremont 1786 (223, inclus dans le dossier suivant) ; Hingray (2) Saint-Etienne-lès-Remiremont 1784 (223) ; Lesperlette (roulant) Rambervillers 1779 (215) ; Orban Xivry-le-Franc 1789 (232) ; Ranfaing Dompaire 1788 (230) ; Ranfaing Châtel-sur-Moselle 1788 (230).

Merciers-quincailliers

144Caussin Haréville 1781 (219) ; Cazin Nomeny 1786 (226) ; Fondrion Haréville 1781 (219) ; Jacquin Monthureux-sur-Saône 1784 (223) ; Odinot Haréville 1782 (221).

Épiciers

145Meyer & Klein Bouquenom 1782 (221).

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  •  

Mots-clés éditeurs : consommation, statistiques, colportage, marchands, pluriactivité, commerce, services, hiérarchies sociales, circulation, artisanat

Date de mise en ligne : 02/07/2021

https://doi.org/10.3917/hsr.055.0043

Notes

  • [1]
    Guesnerie, 2013 ; Britnell, 2004 ; Van Bavel, 2016.
  • [2]
    Harte, 1997. Pour les espaces français, voir par exemple : Minovez, 2012.
  • [3]
    Styles, 2017, p. 33-56 ; Riello, 2017, p. 57-82.
  • [4]
    Verley, 1997, p. 121-180 ; De Vries, 1993, 1994 et 2008.
  • [5]
    Maitte et Terrier, 2014.
  • [6]
    Baulant, Schuurman et Servais, 1988.
  • [7]
    De Vries, 2008, p. 10-11.
  • [8]
    Claude Quin définit l’appareil commercial comme « l’ensemble des entreprises et établissements qui, par le moyen d’achats aux producteurs nationaux ou étrangers et de ventes successives à l’intérieur du territoire national, mettent les biens et les services à la disposition des consommateurs dans des conditions conformes à leurs besoins. » (Quin, 1964, p. 15).
  • [9]
    Nous définissons ici les « villes » comme les localités de plus de 2 000 habitants agglomérés et les « bourgs » comme celles de moins de 2 000 habitants agglomérés mais dotées de marchés hebdomadaires. Les « villages » rassemblent tous les autres lieux.
  • [10]
    Notons que le choix initial de cette région pour notre enquête sur les appareils commerciaux tenait notamment à l’abondance de documents de la pratique marchande disponibles (comptabilités, correspondances, inventaires de faillite, registres du contentieux commercial, etc.).
  • [11]
    Villain, 2016.
  • [12]
    Villain, 2015, p. 494-495.
  • [13]
    Villain, 2015, p. 101-119.
  • [14]
    Bairoch, 1979.
  • [15]
    La liste des villages et les cotes des cartons d’archives sont à l’annexe 2.
  • [16]
    Diedler, 2005, p. 194.
  • [17]
    Blum et Gribaudi, 1993.
  • [18]
    La population des villages étudiés semble toutefois un peu plus élevée que celle des villages de la zone. De fait, le test de Wilcoxon sur le niveau médian de la population des villages des deux échantillons pousse à rejeter au seuil de 5 % l’hypothèse d’une égalité avec le niveau médian de la population de l’ensemble des villages de l’espace considéré (déterminé à partir des données de la base « Cassini » de l’ehess, accessible sous l’extension cassini.ehess.fr).
  • [19]
    Nous avons recouru pour dresser cette typologie à une analyse en composantes principales, en utilisant une partie des données présentées aux points infra.
  • [20]
    Villain, 2015b.
  • [21]
    Villain, 2015a, p. 65-66.
  • [22]
    Villain, 2015a, p. 67-68.
  • [23]
    Poitrineau, 1965, p. 608.
  • [24]
    Lemarchand, 1989, p. 581-582.
  • [25]
    Van Den Heuvel et Ogilvie, 2013, p. 79-81.
  • [26]
    Mui et Mui, 1989, p. 73-105.
  • [27]
    Le terme de « Savoyard » encore en usage vers 1750 disparaît dans la seconde moitié du siècle. De nombreux Savoyards sont venus s’installer comme marchands dans les Duchés au début du xviiie siècle, comme du reste dans tous les espaces rhénans, mais l’immigration semble se tarir avant le milieu du siècle : Fontaine, 1993, p. 23-35.
  • [28]
    Margairaz, 2005, p. 226 ; Lafourcade, 1965.
  • [29]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, L 692 et 693 : Registres des patentes de la ville de Blâmont (An III).
  • [30]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 128 1 G 5 : Archives Communales de Cirey-sur-Vezouze, fiscalité révolutionnaire.
  • [31]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, L 2614 et 2615 : District de Vézelise. Registres des patentes par localités (1792-1795).
  • [32]
    Mui et Mui, 1989, p. 105.
  • [33]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 506 et 507 : Factures et reçus de Pierre Claux (1725-1732).
  • [34]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 690 : Lettres de voiture, acquits de passage, carnets des foires de Badonviller et Senones (Dominique Jeandel).
  • [35]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 49 B 568 : Correspondance active de Germain Empereur (1727-1728), lettre à Gaydet du 25 mars 1728.
  • [36]
    Sur l’effet d’entraînement de la ville sur l’économie des espaces environnants, voir Perrot, 1975, p. 192-206.
  • [37]
    Villain, 2016.
  • [38]
    Les chiffres pour 1793 sont accessibles en ligne à partir de la base « Cassini » (http//:cassini.ehess.fr).
  • [39]
    Margairaz, 1982.
  • [40]
    Le troisième tome de l’ouvrage de Nicolas Durival (Description de la Lorraine et du Barrois, Nancy, 1778-1783) consiste en un répertoire alphabétique des localités des Duchés.
  • [41]
    Arch. Nat., F20 356 : Relevé des foires et marchés du département de la Meurthe (1793/1794) et F20 393 : Relevé des foires et marchés du département des Vosges (1793/1794).
  • [42]
    Fallex, 1921.
  • [43]
    Feinstein et Thomas, 2009, p. 248-279 et p. 384-434.
  • [44]
    Voir en annexe 1 le tableau 1. Les données les plus utiles pour l’interprétation des modèles sont le niveau de la p-value (inférieur ou non à 0,10), ainsi que la valeur et le signe de la statistique.
  • [45]
    Voir en annexe 1 les tableaux 2, 3 et 4.
  • [46]
    Villain, 2015a, p. 341-398, et 2015b.
  • [47]
    Voir à l’annexe 1 le tableau 5.
  • [48]
    Voir à l’annexe 1 les tableaux 6, 7 et 8.
  • [49]
    Keibek et Shaw-Taylor, 2013 ; Association des Ruralistes Français, 1984 ; Garrier et Hubscher, 1988.
  • [50]
    Il s’agit là d’un minimum, puisque les activités des femmes nous échappent, de même que celles des enfants majeurs vivant encore sous le toit de leurs parents.
  • [51]
    Postel-Vinay, 1998, p. 99-127.
  • [52]
    Le test du khi2 mené sur les deux séries de données (commerce comme première activité et commerce comme activité secondaire) suggère que la différence de proportion d’implication dans l’agriculture (93 % contre 40 %) est statistiquement significative.
  • [53]
    Une telle fréquence de l’association des activités avec l’agriculture se retrouvait dans l’artisanat, en Lorraine comme notamment en Dauphiné (Belmont, 1998, t. 2, p. 99-112). Ce dernier auteur ne dit toutefois rien des associations d’activités entre artisanat et commerce.
  • [54]
    Overton, Whittle, Dean et Hann, 2004, p. 115. Le recours aux inventaires après décès pour prendre la mesure de l’ampleur des activités complémentaires parmi les populations rurales est toutefois remis en cause par Sebastian Keibek et Leigh Shaw-Taylor (2013), puisqu’il surestimerait l’extension des activités annexes.
  • [55]
    Fontaine, 1993, p. 95-121.
  • [56]
    Fontaine, 1993, p. 51-68.
  • [57]
    Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, E-dépôt 128 1 G 5 : Archives Communales de Cirey-sur-Vezouze, fiscalité révolutionnaire.
  • [58]
    Picoche, 1992.
  • [59]
    Spufford, 1984, p. 85-105 ; Fontaine, 1996.
  • [60]
    Follain et Larguier, 2005, p. 54-58.
  • [61]
    Il faut aussi tenir compte des cas d’exemption totale ou partielle d’impositions pour cause de famille nombreuse, de mariage ou de construction, qui n’affectent toutefois qu’une petite portion des contribuables.
  • [62]
    Boehler, 1994, t. 2, p. 991-1174.
  • [63]
    Les marchands étudiés sont à l’annexe 3.
  • [64]
    Menant et Jessenne, 2007 ; Jessenne, 2007.
  • [65]
    Roche, 2003, p. 532-566 ; Radeff, 1993, p. 125-137.
  • [66]
    C’est à ce type d’activités très diversifiées que se livrent les marchands étudiés par Christian Kervoëlen (1986, p. 98) : Hubert Hottelin de Vergaville dans les environs de Dieuze est ainsi « marchand, bonnetier, drapier, cabaretier, boulanger et commerçant ».
  • [67]
    Avec une p-value de 0,45, le test de Wilcoxon sur le montant des dettes passives des marchands drapiers urbains et ruraux ne nous permet pas de rejeter l’hypothèse dite « nulle » d’une égalité des médianes des deux échantillons.
  • [68]
    On retrouve ce même silence sur le commerce des grains dans les campagnes de l’Île-de-France, à suivre Jean Meuvret (1988).
  • [69]
    Weatherhill, 1988, p. 43-69 ; Villain, 2015b
  • [70]
    Fontaine, 2013, p. 193-240.
  • [71]
    Radeff, 1994 ; Vilar, 1962, p. 144 ; Willan, 1970, p. 31-41.

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