Couverture de HSR_044

Article de revue

Une figure oubliée du monde rural : le garde particulier des châtelains de l’Ille-et-Vilaine sous la IIIe République

Pages 27 à 56

Notes

  • [1]
    Jules Quesnay de Beaurepaire, magistrat, procureur général de l’affaire Boulanger, président de chambre à la Cour de Cassation et qui sauva du désastre le personnel opportuniste lors de l’affaire de Panama, antidreyfusard, et par ailleurs rédacteur sous divers pseudonymes dans des revues « légères » des années 1880-1900, et enfin auteur de romans « ruraux » à peu près illisibles aujourd'hui – et même à l’époque – (tel Marie Fougère, 1889 – précédé d’une longue préface où s’exhale la haine de Zola, jamais nommé, et de La Terre, abondamment citée.)
  • [2]
    Dans Jacquou le Croquant (1900), le personnage démoniaque, cause initiale des épouvantables malheurs de tous les protagonistes, y compris du comte de Nansac – qui finira très mal, n’est pas le garde Mascret, homme de main sans intérêt ni personnalité, mais le régisseur Laborie.
  • [3]
    CGAJC, Paris, Ministère de la Justice, un volume par an depuis 1826.
  • [4]
    Tanguy, 1986.
  • [5]
    D’après les calculs de Savidan, 1999. Voir notamment les annexes 24 et 27 réalisées à partir des arrêtés de nomination contenus dans les dossiers individuels : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26 à 29 (anciennement cotés de 27 à 30). Un certain nombre de références sont communes au mémoire et à cet article mais elles sont assez souvent fautives ou incomplètes dans le premier cas. Nous les avons vérifiées une par une et la version actuelle nous semble exacte – quoique l’erreur soit humaine.
  • [6]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21, le préfet, état des gardes champêtres et particuliers, 20 novembre 1897.
  • [7]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21, le préfet (1ère division) au ministre de l’Agriculture, 14 décembre 1907.
  • [8]
    Broomfield, 1994, p. 76. Texte aussi original que rempli de suffisance britannique.
  • [9]
    Clary, 1909, p. 2.
  • [10]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier du garde Antoine Davanture, lettre de M. de la Villesbret au préfet, 8 juillet 1901.
  • [11]
    Il ne sera pas question ici des gardes de l’administration des Eaux et Forêts, agents des services publics.
  • [12]
    Ces personnages sont en général totalement ignorés des spécialistes, synthèses et manuels d’histoire de la police. Berlière, 1996, ne les connaît pas. Mais le reste de la littérature concernée pas davantage.
  • [13]
    Tripier, 1874, p. 958.
  • [14]
    Ibid., p. 685. Tripier donne ici le texte princeps de 1808, mais cet article très général est resté inchangé durant tout le siècle, même si des lois particulières ont étendu ou restreint les compétences des gardes en divers domaines.
  • [15]
    Bouquet de la Grye, 1956, p. 183. Il s’agit ici de la 16e édition d’une « bible » sur ces sujets, la première ayant paru en... 1859 ! Bouquet de la Grye est mort en 1905. La phrase visée n’a pratiquement pas changé dans sa rédaction en cent ans.
  • [16]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6 Z 27, le ministre de l’Intérieur (Sûreté générale) aux préfets, 1er février 1893.
  • [17]
    Bellecroix, 1886, p. 267.
  • [18]
    Bouquet de la Grye, 1956, p. 182.
  • [19]
    Ancien avocat d’opposition sous l’Empire, républicain modéré mais soutien de Jules Ferry, même au printemps 1885.
  • [20]
    Ces martiales déclarations ne relèvent pas entièrement du fantasme. Nous en avons donné quelques exemples ailleurs : Tanguy, 2008, p. 289-302.
  • [21]
    Journal officiel de la République française, (ci-dessous, J.O.) Documents parlementaires, Sénat, 29 mai 1891, annexe n° 23, p. 9 (proposition du 26 février 1891).
  • [22]
    J.O., Débats parlementaires, Sénat, 17 février 1892 (séance du 16).
  • [23]
    Ibid., 7 mars 1892 (séance du 6). Pour l’ensemble des éléments du débat de 1891-1892 : Duvergier, 1892, p. 234 et suiv.
  • [24]
    Incidemment, le débat met en lumière une appréciation à peu près partagée à droite et à gauche : en matière de droit commun, la sécurité est beaucoup plus difficile à assurer, l’ordre beaucoup plus menacé en campagne qu’à la ville. Autres temps, autres mœurs : débat sur les banlieues criminogènes dans les années 2000, sur les vagabonds terrorisant les campagnes en 1892. Fantasmes ou réalités ? La question est trop vaste pour faire l’objet ici même d’une esquisse de réponse.
  • [25]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Doro, le préfet (1re division) au sous-préfet de Vitré, 28 avril 1910 (rappel de la circulaire, sur la proposition de révocation d’un garde).
  • [26]
    Analyse et citations tirées de Le Chasseur français – Organe universel de tous les sports et de la vie en plein air – Bulletin officiel de la Société nationale de tir, mars 1902, p. 7 et 8, article « Projet de loi sur la chasse – Loi contre les chasses réservées », signé « Saint-Hubert d’Anjou ».
  • [27]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 169 bis pour les réponses des sous-préfets, 18 et 28 septembre 1909.
  • [28]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6 Z 27, le maire du Val-d’Izé au sous-préfet de Vitré, 24 août 1909. Même source pour les opinions des autres maires de l’arrondissement.
  • [29]
    J.O., partie législative et réglementaire, 31 juillet 1913.
  • [30]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Chevrier, comte de La Bourdonnaye au préfet, 30 août 1913.
  • [31]
    Institués par la loi du 15 mars 1850 pour surveiller les écoles publiques ou privées, les délégués cantonaux, dont l’histoire n’a pas été faite, vont constituer sous la Troisième République un véritable personnel de surveillance politique rural dont le rôle est aussi méconnu que capital.
  • [32]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21.
  • [33]
    Le premier chiffre se réfère à l’arrondissement de Redon (92 cas), le second à celui de Saint-Malo (44). Les similitudes sont infiniment trop fortes pour être l’effet du hasard. Calculs faits dans Tanguy, 1986, 4e partie, chap. xiv.
  • [34]
    « Beaucoup » par rapport au « vivier » disponible.
  • [35]
    Pontavice, s. d., p. 2.
  • [36]
    Ibid., p. 3
  • [37]
    C’est du moins le discours dominant dans Le Chasseur français et les autres journaux au tournant du siècle. La réalité est sans doute plus complexe : dans des temps plus anciens, la haine des braconniers à l’égard des gendarmes a pu déboucher sur la genèse de comportements politiques, voire révolutionnaires : Estève, 2002, p. 237-252. En Ille-et-Vilaine, entre 1900 et 1914, la Société des chasseurs d’Ille-et-Vilaine attribue quand même beaucoup plus de récompenses aux gendarmes qu’aux gardes (73 % contre 27 en1900, 88 contre 12 en 1913 : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 166). L’efficacité des gardes dans la lutte contre le braconnage organisé paraît faible, et celle des gendarmes bien plus considérable. Mais à vrai dire, la fonction du garde particulier n’est sans doute pas dans la répression judiciaire mais plutôt dans une forme de dissuasion. Et louer les gendarmes, agents de l’État républicain, n’est pas une des composantes du discours répétitif des propriétaires et de leurs porte-parole.
  • [38]
    Clary, 1909, p. 12-13.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Chauvaud, 1988, p. 432.
  • [41]
    Bellecroix, 1886,p. 7
  • [42]
    Pontavice, s. d., p. 10.
  • [43]
    Ibid. p. 67-68
  • [44]
    Ibid., p. 68
  • [45]
    « [...] nous n’oserions trop conseiller le revolver ou tout au moins le revolver de poche, et certains jugements récents des tribunaux semblent donner raison à notre prudence. », Pontavice, s. d., p. 7. Le vicomte fait du métier de garde un métier à risques : « Il est incontestable que la vie de nos gardes est sérieusement menacée ; c’est par centaines [...] que, dans une année, il faut compter les accidents plus ou moins graves » (p. 33). Nous n’avons pas d’autre source sur ce point et rien dans les dossiers individuels conservés en Ille-et-Vilaine ne montre un tel état de choses. Ce qui ne prouve rien dans un sens ni dans l’autre.
  • [46]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, arrêté du sous-préfet de Fougères, 7 décembre 1911.
  • [47]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 29, commissionnement du garde Volphihac par les frères Brisou, 16 septembre 1902.
  • [48]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Hulot, R. Coupu au préfet, 20 septembre 1911.
  • [49]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Frin, arrêté préfectoral de retrait d’agrément, 29 juillet 1902.
  • [50]
    Ibid., P.-V. de gendarmerie (brigade de Vitré), déclaration de Louis Bonnier, avocat à Vitré, 15 juin 1902.
  • [51]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Doro, P.-V. de gendarmerie (brigade de Vitré), déclaration du garde-pêche Berteaux, 31 mars 1910.
  • [52]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Cocheril, le commissaire spécial de Cancale, 30 avril 1896.
  • [53]
    Garnot (dir.), 1996.
  • [54]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Faucheux, le procureur de la République au préfet, 7 janvier 1897.
  • [55]
    Bellecroix, 1886,p. 311
  • [56]
    Voir par exemple Huard, 1991, plus particulièrement les chapitres viii, « La campagne électorale » et ix, « Le scrutin : pendant et après » ; ou Phélippeau, 2002, surtout les chapitres v, « L’acte de candidature » et vi, « La consolidation d’un centre de force ».
  • [57]
    C’est une évidence pour tous les observateurs : il existe dans les villages des auberges et cabarets « réactionnaires » et d’autres « républicains ». On ne fréquente pas n’importe quel mastroquet selon ses dispositions politiques.
  • [58]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 29, dossier Machard, rapport du commissaire spécial de Saint-Malo, Gagnon, 28 août 1904.
  • [59]
    Intégralement reproduit ici.
  • [60]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Courtillon. Le tract lui-même est joint au dossier. Le sous-préfet de Redon note : « La situation qu’il occupe lui permet d’entrer en relations fréquentes avec les gens et il en profite pour les indisposer contre la municipalité républicaine de Laillé » (au préfet, 4 mars 1905).
  • [61]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Lécrivain, le préfet au sous-préfet de Fougères, 5 mai 1906.
  • [62]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Barré, septembre 1910 et note du sous-préfet de Montfort, 31 mars 1908.
  • [63]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Jouzel. L’opposition est ici celle du notaire républicain de Janzé, Jouault.
  • [64]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Hulot.
  • [65]
    On pourra facilement objecter que les gardes existent toujours et même qu’ils sont aussi nombreux qu’en 1913 : « On évalue à plus de 50 000 le nombre de gardes particuliers, dont 27 000 gardes-chasse, 8 000 gardes-pêche et 20 000 gardes généralistes » (ministre de l’Écologie, réponse au sénateur Gaudin, J.O., Sénat, 22 mars 2007). Mais 50 000 pour 63 millions d’habitants et non plus 39, d’abord. Ensuite, leur nombre a stagné alors que celui des gendarmes, policiers urbains d’État, policiers municipaux quintuplait, pour le moins. Enfin, ils n’existent pratiquement plus en tant que groupe social. Qui a entendu parler d’une grève, manifestation, revendication de gardes particuliers, de débats publics les concernant ? On pourra trouver ma conclusion emphatique, je la pense exacte dans l’ensemble.

1 Il existe dans le film d’Yves Robert, Le Château de ma mère (1990), inspiré du récit éponyme de Marcel Pagnol (1957), une scène dramatique. Les faits se déroulent vers 1906. Pour gagner rapidement son petit paradis du dimanche en venant à pied de Marseille, la famille Pagnol utilise un raccourci le long du canal d’approvisionnement de la ville en eau potable, ce qui l’amène à traverser les terres de trois châteaux privés. Tout va bien jusqu'à ce qu’un jour surgisse de l’un des domaines un terrifiant personnage qui prend plaisir à menacer et humilier Joseph et Augustine Pagnol, le « Garde » particulier du château du colonel « Jean de X… ». Tout s’arrange grâce à un ancien élève de Joseph, un garde du canal, qui retourne le glaive de la loi contre le garde du château. Mais l’image de ce dernier demeurera celui d’un être méchant et obtus, au service d’un particulier mais utilisant les pouvoirs que lui donne la loi pour affirmer sa puissance.

2 Ce « garde » constitue-t-il un exemple isolé du pouvoir que donnent parfois les institutions aux esprits faibles, mais sans signification particulière ? Nullement. À peu près oubliés de l’historiographie contemporaine, les gardes particuliers représentent une population très nombreuse au tournant du siècle, bien plus que les gendarmes ou policiers urbains. Étrange peuplade : paysans, anciens soldats, aubergistes, jardiniers ou domestiques, les gardes sont au service de leur maître, très souvent noble, toujours propriétaire, pour surveiller ses propriétés, bois, étangs, rivières, champs cultivés, broussailles, parcs, car ils ne sauraient se réduire à l’ensemble des gardes-chasse (ou pêche). Mais ces hommes ne sont pas de simples domestiques. Ils disposent d’un agrément officiel qui leur donne pouvoir de verbaliser, dans leur domaine topographique et de compétences, une plaque ornée de la mention « La Loi », une tenue souvent de fantaisie et rappelant vaguement un uniforme, un fusil quelquefois, sans parler d’un air rogue et rébarbatif. La Belle Époque constitue même leur âge d’or car jamais ils n’avaient été aussi nombreux.

3 Et pourtant, leur image est floue dans les mémoires et dans la mémoire, quand bien même elle existe. L’historiographie contemporaine les ignore complètement. Seuls les textes techniques et juridiques les évoquent – très discrètement. Dans la littérature proprement dite, leurs figures surgissent épisodiquement, mêlées à celles de leur cousin – éloigné – le garde champêtre, chez Maupassant, Quesnay de Beaurepaire [1], La Varende, Maurice Genevoix, René Bazin, Paul Vialar… Les gardes sont peu présents dans les pages de romanciers majeurs de la ruralité comme Eugène Le Roy [2] pour le xix e siècle, Ernest Pérochon ou Émile Guillaumin pour le xx e. Le personnage sympathique ou essentiel n’est jamais le garde, mais souvent le braconnier, son adversaire (Raboliot). Or, cette silhouette en creux est la figure d’un mystère. Comment une population de plusieurs dizaines de milliers de personnes, à chaque époque, a-t-elle pu laisser aussi peu de traces ? Risquons une hypothèse : les gardes sont un exemple d’une institution surgie à contretemps, mais pourtant de manière massive, gardiens d’une classe sociale elle-même en voie de transformation radicale (les grands propriétaires terriens), sortes de fantômes issus de la France prérévolutionnaire et, cependant, continuant à hanter les campagnes avec assiduité avant de s’effacer pour de bon après les cataclysmes des guerres mondiales. Dans l’histoire de France reconstituée a posteriori, ils n’auraient pas dû exister – à l’encontre des policiers dont l’existence et la croissance numérique, au contraire, s’appliquaient parfaitement à l’environnement de la société urbaine et industrielle ou aux gendarmes, yeux de l’État moderne dans les campagnes. Et donc, ils n’existaient pas. Pourtant, ils ont été, durant un siècle et demi, des agents majeurs de l’encadrement et du contrôle social, de la répression et du maintien de l’ordre.

4 Nous illustrerons cette histoire à travers le cas de l’Ille-et-Vilaine sous la Troisième République, âge d’or des gardes. L’Ille-et-Vilaine n’est pas une terre de grandes forêts, ni de chasses de vastes dimensions, ni de gibier abondant, ni de lacs et étangs nombreux, contrairement à la Sologne, aux Landes, aux terres de montagne. Mais les gardes y étaient cependant très présents, en raison de la structure foncière dominée, jusqu'à la guerre de 14, par de grands propriétaires aristocrates ayant souvent joué un rôle important dans la politique nationale, les Frain de La Villegontier, les marquis de Piré, de Janzé, les Poulpiquet du Halgouët. Rôle national et local, bien que, sur ce dernier plan, le département et ses villes aient été républicanisés bien plus vite qu’on ne croit généralement. Les luttes politiques villageoises ont justement donné beaucoup d’importance aux gardes, comme on le verra ci-dessous. Essayons donc d’éclairer un peu ce paysage mal connu.

Une population de professionnels ruraux

Évolution numérique

5 Au xix e siècle, chaque année, le Compte général de l'administration de la justice criminelle donnait le nombre des agents « spécialement affectés à la police judiciaire ». Il y rangeait les commissaires, agents de police, gendarmes, gardes forestiers « de tous grades », gardes champêtres communaux et… les gardes particuliers assermentés. À la lecture, que constate-t-on, avec quelque surprise  [3]? Qu’en 1872, ces derniers représentaient la catégorie aux effectifs les plus nombreux (32 067 sur 102 282, soit 31,35 %) ; et qu'en 1911, non seulement ils conservaient leur première place, mais que leur « supériorité » s’était nettement accrue : 46 601 sur 130 066, soit 35,82 %. Leur croissance propre serait donc d’environ 45 %, ou encore, à eux seuls, ils représenteraient la moitié de l'accroissement numérique des « forces de l'ordre » entre 1872 et 1911. Évolution remarquable : alors que les gar­des champêtres stagnent ou reculent, que les gendarmes ne se multiplient guère (+ 16 % environ), les gardes particuliers ne le cèdent qu'à la seule catégorie des agents de police qui progressent d'à peu près 70 % pour des raisons que l'on a – croit-on – suffisamment exposées ailleurs [4].

6 L'ouest de la France est-il ou non représentatif de ce mouvement ? En fait, il l'accentuerait plutôt : entre les mêmes dates, le nombre des gardes particuliers de la région double exactement, ou presque. En 1872, ils se trouvent 2,3 fois plus nombreux que les gardes champêtres ; en 1911, 3,6 fois (2 364 contre 652, dans le ressort de la cour d'appel de Rennes). C'est le plus fort rapport de France, avec celui que l'on constate dans la cour de Bourges, même si certaines régions densément peuplées possèdent un nombre plus grand encore de gardes particuliers (essentiellement celles du Nord/Nord-Ouest, plus la région parisienne). Sur le total régional, l'Ille-et-Vilaine en posséderait 4 à 500, soit à cette date, cinq à six fois plus, à peu près, que de gardes champêtres !

L’âge d’or des gardes

7 En 1909, selon le maire de Louvigné-de-Bais, la moitié de la commune, soit 750 ha, était gardée. Observe-t-on, à l’échelle du département, entre 1871 et 1914, une augmentation du nombre des gardes comme dans l’ensemble de la France et de l’Ouest ? C’est probable mais avant l’enquête de 1897, nous n’avons que des éléments trop partiels pour répondre sûrement. Y a-t-il plus particulièrement explosion sensible des nominations autour de 1895-1905 ? C’est encore probable. Une tentative de décompte des nominations annuelles dans l’arrondissement de Rennes montre que l’on passe d’un effectif situé entre 1 à 4 de 1800 à 1893 à un chiffre beaucoup plus considérable (15 à 25) de 1896 à 1906. Mais cette explosion est certainement en partie due (la rupture est trop forte et ne s’inscrit pas dans le mouvement national ni régional) à une meilleure saisie par l’administration d’un phénomène jusqu'alors un peu négligé, saisie favorisée par l’adoption de la loi de 1892 qu’on examinera plus loin. En partie seulement, car d’autres éléments confirment une telle réalité : après un bref mais violent recul de 1907 à 1909 – 2 à 5 nominations annuelles – dû certainement au débat fiscal que l’on va aussi considérer, la reprise est forte entre 1910 et 1913 (de 20 à 30 par an). Par ailleurs, les autres arrondissements donnent une impression similaire, notamment en ce qui regarde l’apogée des années 1909-1912 [5]. En 1897, on compte 364 gardes-chasse (gardes particuliers « commissionnés pour la chasse » mais qui peuvent avoir d’autres fonctions) et 90 « autres gardes » [6]. En 1907, le préfet estime le nombre de gardes-chasse « seuls » à « environ » 400, tout en notant que « les propriétaires ne sont pas tenus de faire connaître à l’administration les cessations de fonctions » et que ce chiffre est donc une évaluation raisonnable faite à partir de données brutes sensiblement supérieures [7].

8 Si donc il y a – et il y a sûrement – augmentation du nombre des gardes quelle en est la cause ? Une mentalité nouvelle introduite par les visiteurs anglais ?

9

« Avant la venue récente de nos compatriotes dans le pays, le propriétaire breton se souciait à peu près autant de garder le gibier que de l’hébreu. Il chassait sur les terres de tout le monde, tout le monde chassait sur ses terres [...]. Les Anglais apprirent au propriétaire terrien à monnayer non seulement son gibier mais le droit de chasser [8]. »

10 Cette croissance peut aussi être liée au développement de la chasse comme loisir populaire : 125 000 permis en 1844, 600 000 en 1908, selon Clary [9], entraînant la raréfaction du gibier et, en contrepartie, l’adoption du mode de vie « noble » et le renforcement de la lutte contre le braconnage par nombre de propriétaires qu’ils soient d’authentique noblesse ou pas – le garde ayant des fonctions plus étendues que le simple gardiennage des chasses :

11

« Madame de la Villesbret qui vient de s’installer à Orgères, m’informe que les braconniers viennent tendre des nasses dans les douves jusque sous les fenêtres du château [...]. Or, monsieur le préfet, j’avais peuplé mes douves au mois de mars dernier d’alevins de saumons et de truites qui m’avaient coûté fort cher [...]. La chasse, à plus forte raison, est absolument dévastée [10]. »

12 Le phénomène est décidément trop important pour être balayé d'un revers de main : car enfin, pourrait-on objecter, garde particulier, qu'est-ce ? Garde-chasse, garde-pêche, garde forestier privé [11] avant tout, sans préjudice de quelques autres fonctions domestiques mineures, personnage aussi moustachu que rustaud et que ses capacités « techniques » ne prédisposent pas vraiment à faire la chasse aux bandits de grand che­min. Il est probable que cela n'est pas entièrement faux. Reste que l'on ne pourra déclarer le site inintéressant qu'après l'avoir quelque peu exploré, comme nous allons maintenant l'entreprendre [12].

Spécificités juridiques

13 Contrairement au gendarme, au sergent de ville, au commissaire de police, le garde particulier peine à nous présenter ses papiers de naissance : en fait, son histoire va, sans solution de continuité, du haut Moyen Âge, voire de plus loin encore, à l'époque qui nous occupe. Pour sortir de la préhistoire, c'est à la Convention nationale que revient la paternité de l'institution à l'ère contemporaine. La propriété figurant au nombre des droits de l'homme-citoyen, il parut aux Thermidoriens qu'il allait de soi qu'un propriétaire ait la faculté de « posséder » un garde chargé de veiller sur ses biens (décret du 20 messidor an III/8 juillet 1795, article 4). Le code des délits et des peines de brumaire an IV/octobre-novembre 1795 précisait, dans son article 40 : « Tout propriétaire a le droit d'avoir pour la conservation de ses propriétés un garde champêtre ou forestier. Il est tenu de le faire agréer par l'administration municipale. »

14 La loi du 28 pluviôse an VIII/17 février 1800 transférait bien sûr le droit d'agrément au préfet ou au sous-préfet. Enfin, en son article 15, la loi du 29 floréal an XI/18 mai 1803 stipulait que « les gardes des bois des particuliers ne pourront exercer leurs fonctions qu'après avoir prêté serment devant le tribunal de première instance [13]. » Il n'était pas précisé si la formule s'appliquait aux autres gardes particuliers. Toutefois, le chapitre iii, livre premier, du code d'instruction criminelle, « Des gardes champêtres et forestiers », groupait en une seule catégorie les « gardes forestiers de l’administration », les « gardes champêtres des communes », les « gardes champêtres et forestiers des particuliers », ne les distinguant que par de menus détails, leur attribuant à tous la qualité d'officiers de police judiciaire, avec des pouvoirs considérables. Ils sont « chargés de rechercher, chacun dans le territoire pour lequel ils auront été assermentés, les délits et les contraventions de police qui auront porté atteinte aux propriétés rurales et forestières ». La suite de l’article 16 précise leurs compétences :

15

« Ils dresseront des procès-verbaux à l'effet de constater la nature, les circonstances, le temps, le lieu des délits et des contraventions, ainsi que les preuves et les indices qu'ils auront pu en recueillir.

16

Ils suivront les choses enlevées dans les lieux où elles auront été transportées, et les mettront en séquestre [...].

17

Ils arrêteront et conduiront devant le juge de paix ou devant le maire tout individu qu'ils auront surpris ou qui sera dénoncé par la clameur publique, lorsque ce délit emportera la peine d'emprisonnement ou une peine plus grave.

18

Ils se feront donner, pour cet effet, main-forte par le maire ou par l'adjoint du maire du lieu, qui ne pourra s'y refuser [14]. »

19 Leur statut pouvait ainsi paraître exorbitant : officiers de police judiciaire, « les violences et voies de fait exercées contre des gardes particuliers dans l’exercice de leurs fonctions sont considérées comme des actes de rébellion » [15] tandis que, « seuls de tous les fonctionnaires et agents investis d’une part de la puissance publique, les gardes particuliers étaient ainsi sous l’entière dépendance d’un simple particulier » [16]. Toutefois, ces pouvoirs restaient limités par plusieurs facteurs : le garde pouvait demander son permis de chasse au passant, mais celui-ci avait le droit de refuser [17]. Il n’avait aucun pouvoir hors de son domaine, même si les propriétés voisines constituaient aussi des chasses gardées. En effet, « le garde forestier d’un particulier est sans qualité pour constater les délits commis au préjudice d’une autre personne. Sa compétence comme officier de police judiciaire est limitée aux propriétés indiquées sur sa commission [18]. »

20 À nombre d'égards, il s'agissait, par conséquent, de personnages plus importants que les sergents « de ville ». Remarquons par ailleurs qu’on ne songea jamais à les définir comme des gardes-chasse « purs ». Leur rôle, tel que le précisèrent les lois successives, était bien de protéger la propriété en général, non spécifiquement de faire la chasse, justement, aux poseurs de collets – même s’il s’agissait d’une de leurs principales activités.

Comment « républicaniser » une institution peu républicaine ?

L’évolution républicaine

21 Pendant tout le xix e siècle, il semble que l'institution fonctionna sans gros problèmes – en tout cas sans que les autorités soient bien conscientes d'éventuelles difficultés. La preuve en est l'absence de toute entreprise de modification de la législation. Tout change vers 1890 et le hasard n’y est pour rien : les gardes, salariés pourtant très modestes de personnage importants mais en général peu républicains, ont dû jouer un rôle non négligeable dans les multiples luttes qui accompagnèrent l'installation de la République. Or, l'administration s'aperçut – peut-être avec surprise – quesi elle devait agréer ces hommes dans leur fonction, elle ne disposait, une fois nommés, d'absolument aucun pouvoir pour s'en défaire. Le 26 février 1891, le sénateur Bozérian [19] déposa une proposition de loi, ainsi argumentée :

22

« Vis-à-vis d'eux, une fois qu'ils ont été agréés, l'autorité administrative est complètement désarmée. Par suite, combien d'abus, de tracasseries, de persécu­tions possibles et réelles, combien de répressions désirables et nécessaires !

23

À cet égard, au mois de septembre dernier, un honorable député a, dans un article publié par un journal parisien, tracé de main de maître un tableau saisissant de la situation présente.

24

Il a tout dit et l'a bien dit ; je ne puis mieux faire que de le répéter : ‘Lors, dit-il, qu'on visite nos provinces du centre, et particulièrement le département du Cher [...] on remarque que tous les villages sont dominés par un château. [...]

25

Autrefois, ce château était féodal. [...] Aujourd'hui, il est devenu plus bourgeois. [...] C'est toujours l'oppression, mais une oppression qui semble due à la nature même des choses : souveraineté hypocrite de la richesse mise à la place de la force brutale, où les gardes particuliers ont succédé aux archers, comme les jardins anglais aux cours fortifiées.

26

Ainsi le veut la douceur des temps. Mêmes hommes, mêmes luttes. Le riche propriétaire hait la République et la liberté [...]. La partie soumise se compose des valets, puis de ceux qui ont peur. Peur de quoi, me direz-vous ? Peur de manquer de travail et de mourir de faim [...]. Si tu ne votes pas pour mon candidat, tu ne laboureras plus ; si tu fais de la propagande républicaine, tu ne trouveras plus un pré où faire paître ta vache [...] [20].

27

L’un des principaux agents de la persécution du petit par le gros est ce garde particulier, exécuteur des vengeances du propriétaire foncier et toujours à l'affût d'un mauvais tour à jouer au paysan.’

28

En présence des abus signalés, nous estimons que l'état de choses consacré par [la] jurisprudence doit être modifié [21]. »

29 Toutefois, le texte proposé était à l'évidence trop abrupt et source d'arbitraire : « Article unique – Les arrêtés administratifs agréant les gardes particuliers peuvent être rapportés ». Il fut donc modifié par la commission sénatoriale sous la forme : « Les préfets pourront, par une décision motivée, rapporter les arrêtés agréant les gardes particuliers. »

30 La loi fut finalement votée au printemps 1892 et promulguée le 12 avril. Elle adoucissait encore la formulation et prévoyait des garanties supplémentaires pour les intéressés : « Art. 1er – Les préfets pourront, par décision motivée, le propriétaire et le garde entendus ou dûment appelés, rapporter les arrêtés agréant les gardes particuliers. »

31 Au Sénat, la discussion de ces propositions souleva une belle tempête. La droite se dressa tout entière contre un projet qui portait atteinte, à ses yeux, aux droits de la propriété privée. Au nom de la peu républicaine Société des Agriculteurs de France, le marquis de l’Angle-Beaumanoir, sénateur des Côtes-du-Nord, donna à la tribune lecture de la circulaire suivante :

32

« Nous ne pouvons que protester énergiquement contre cette proposition qu'aucune plainte sérieuse ne justifie. Elle porte atteinte à l'un des droits essentiels de la propriété. Elle ne tend à rien moins [sic] qu'à subordonner au bon plaisir d'un fonctionnaire politique, le choix et le maintien d'un auxiliaire indispensable à la conservation des récoltes et des biens ruraux. Elle aurait pour résultat de paralyser par la crainte des dénonciations et d'une révocation toujours possible, l'action du garde contre les rôdeurs, les délinquants forestiers et les braconniers, dont le nombre et l'audace sont déjà l'une des plaies de nos campagnes [22]. »

33 Et de proposer de confier la surveillance des gardes aux… tribunaux. Lors de la deuxième délibération, le 7 mars 1892, le sénateur Paul Le Breton, président de l’Association des agriculteurs de la Mayenne, précisa ainsi la pensée de ses amis politiques :

34

« [...] le système que nous proposons consiste purement et simplement à donner aux tribunaux le droit d'infliger des peines allant jusqu'à la suspension et à la révocation sans recours devant la cour d'appel [...]. Je crois que l'on ne peut nous accuser de vouloir ménager les gardes véritablement indignes de remplir leurs fonctions. Mais aller plus loin ce serait donner aux préfets un pouvoir qu'ils ne sont pas aptes à exercer, qu'ils ne peuvent même pas exercer sans empiéter sur le droit du propriétaire [...].

35

Ce serait désorganiser la défense de la propriété privée au détriment non pas seulement des grands propriétaires [...] mais au détriment des petits propriétaires, des simples cultivateurs, des honnêtes gens des campagnes pour lesquels le garde particulier, auxiliaire indispensable du garde champêtre communal, est une garantie contre les malversations des malfaiteurs de toute espèce, trop souvent assurés de l'impunité lorsqu'ils exploitent nos populations rurales [23]. »

36 Intervention remarquable. Outre le problème ici débattu [24], on y trouve une double affirmation : d’abord celle du rôle considérable que jouent les gardes, dépassant de loin la seule question de la chasse, dans la défense de l'ordre public tout court dans les campagnes, celle ensuite de la confiance que conserve, en partie tout au moins, la droite politique et sociale à l'égard de la magistrature et ceci une dizaine d'années après la radicale épuration de 1879-1883 qui l'avait renouvelée en son écrasante majorité. Il faut croire que ce n'était pas sans raisons, et que le républicanisme de la justice demeurait à cette époque – comment dire ? – moins ferme que celui de la police, et, encore moins, de l'administration en général. À tout le moins, s’il fallait admettre que la puissance publique avait le droit de mettre son nez dans les affaires d’un particulier, le moindre mal était de confier cette mission aux tribunaux en qui on pouvait, peut-être, avoir confiance, et non aux préfets chez lesquels on ne pouvait jamais la placer.

37 Quoi qu'il en soit, la loi fut votée et la circulaire d'application du 1er février 1893, sans l'interpréter en rien, mettait, dans un souci respectable de garantir les droits de chacun et, très politique, d'éviter les incidents qui tourneraient à la confusion des autorités, les points sur les i :

38

« Il ne suffirait pas de déclarer d'une manière générale que le garde n'est plus digne de conserver ses fonctions : il faut, pour répondre au vœu de la Loi, que des faits précis soient relevés à sa charge. En ce qui concerne l'avis à donner aux parties, il convient de retenir que la convocation [...] indiquera sommairement les faits sur lesquels ils (garde et propriétaire) auront à s'expliquer. Faute de cette indication, les intéressés pourraient se retrancher derrière leur ignorance pour se prétendre dans l'impossibilité de répondre aux reproches qui leur seraient adressés et leur comparution risquerait de demeurer ainsi sans résultat [25]. »

39 Toutefois, aussi prudente qu'ait été en cette matière la position des pouvoirs publics, le bras séculier dut parfois frapper, comme on le verra dans la suite. Reste que la loi de 1892 ne ferma pas le débat sur le statut des gardes, leurs rapports avec les propriétaires et les collectivités territoriales, etc., mais il se déplaça quelque peu, sur le terrain du droit de chasse et aussi sur la question fiscale.

Républicaniser toujours ? L’impôt sur les chasses et les gardes

40 De 1900 à 1913, les projets visent à l’évidence à lutter contre l’influence des grands propriétaires pour favoriser les sociétés de chasse plus démocratiques ou « républicaines ». En 1902, un premier projet (abbé Lemire) prévoit les items suivants :

41

  • Déclaration à la mairie.
  • Si la déclaration n’est pas faite dans les délais voulus (3 jours avant l’ouverture de la chasse), déchéance des droits du propriétaire de la chasse réservée.
  • Déclaration valable pour un an seulement et à renouveler chaque année.

42 « On n’est pas démocrate-socialiste pour rien », commentait Le Chasseur français, encore plus furieux des amendements suggérés par un exégète non nommé : interdiction aux propriétaires de chasses réservées de chasser sur les terres d’autrui ; obligation de faire connaître le nom du locataire, s’il y en avait ; interdiction aux propriétaires de se réserver la chasse sur des parcelles de moins d’un hectare disséminées sur le territoire d’une commune ; obligation pour le propriétaire d’une chasse réservée de « placer des poteaux indicateurs nonobstant la déclaration à la mairie ».

43 L’opposition des propriétaires fut extrêmement violente. Le Chasseur français qualifia le projet de « Loi contre les chasses réservées » et ajouta finement (?) que l’esprit n’en était « pas sain ni saint ».

44

« Un oubli et tout aussitôt par état de grâce, œuvre du nouveau saint Hubert, vous êtes dépossédé de votre droit de chasse pour toute une année [...] c’est purement et simplement le droit au pillage des terres en attendant le droit au cambriolage des habitations [26]. »

45 Ce projet ayant été écarté, un autre lui succéda en 1909 : il visait surtout, en les frappant financièrement, les grands propriétaires puisque ne concernant que les chasses gardées de plus de 100 ha appartenant à un seul possédant. L’impôt serait de 2 F 50 par hectare. Le sous-préfet de Montfort approuva le projet, y voyant l’annonce de la disparition de nombreuses chasses gardées et l’augmentation du nombre de permis de chasse demandés, bref une démocratisation de ce loisir. Par contre, celui de Redon pensait qu’il entraînerait le maintien des chasses mais aussi une surveillance plus rigoureuse de l’état du gibier jusqu'ici très négligé par les grands propriétaires.

46 Nous ne connaissons pas l’opinion du sous-préfet de Vitré [27], mais assez bien celle de ses maires, plutôt contrastée : le marquis de Kernier, maire de Val-d’Izé, n’hésite pas à promettre de terribles catastrophes :

47

« En arrivant à imposer la chasse, on arriverait à la destruction du droit de chasse, à la disparition totale du gibier, par contre à frustrer le trésor et les communes des bénéfices des permis de chasse – (qui en prendrait ?) – et à diminuer dans une proportion effrayante la vente de la poudre [sic], à attaquer enfin des intérêts économiques vitaux [28]. »

48 Le maire de Marcillé-Robert annonce également la « fin du gibier et de la chasse en France » [sic], ceux de Taillis ou de Moulins aussi ; plus modérés, les maires de Pocé, de Saint-Hervé, de Saint-Didier vont dans le même sens. Mais très nombreux sont les édiles qui voient les choses autrement : favorables au projet, les maires d’Eancé, de Moussé, de Princé (« Je considère le droit de chasse réservée comme un vieux privilège féodal que l’on ferait bien d’imposer. On trouverait de l’argent là où il y a du superflu », 19 juillet), d’Arbrissel, de Coësmes (« Il y a 30 ans, aucune chasse n’était gardée et le gibier était 10 fois plus nombreux », 12 juillet, ou, « La chasse gardée ne protège pas le gibier [...] elle protège son propriétaire ou locataire contre les autres chasseurs », 25 juillet), de Rannée, de Chelun (qui demande à ce que l’on taxe sévèrement les gardes plus que les chasses), etc. Beaucoup d’autres demeurent dubitatifs, mais pas hostiles. Le maire de Coësmes demande que l’on taxe les locataires seuls, qui abusent de leur fortune, et non les propriétaires. Enfin, de nombreux maires n’ont pas d’opinion parce que non concernés (les conditions d’application de la loi n’existent pas chez eux).

49 Bref, même dans cet arrondissement très conservateur, une certaine hostilité aux grands notables paraît sourdre. Mais ces derniers avaient sans doute l’oreille des autorités supérieures et de certains hommes politiques. Le parlement suivra ce courant.

50 Toutefois le débat imposait une solution. Une loi un peu différente fut enfin votée en juillet 1913. Le système était plus simple : comme l’avait souhaité en 1909 le maire de Chelun, ce ne sont pas les chasses qui seront taxées mais les gardes, 20 F pour le premier, 40 pour tous les autres. Les grands propriétaires et sociétés importantes sont donc visés d’abord [29]. Mais la loi a d’étranges effets pervers : seuls les gardes-chasse sont concernés. Il suffira donc à un propriétaire d’affirmer que son garde particulier protège ses propriétés en général et non ses chasses pour échapper à la taxe. Certains exploitent immédiatement ces possibilités. Le comte de La Bourdonnaye écrit en août 1913 au préfet :

51

« [...] le sieur Chevrier [...] n’est plus à mon service en qualité de garde-chasse et [...] il ne jouira plus de sa commission en ce qui concerne la chasse seulement [...] le sieur Chevrier demeurant toutefois à mon service comme garde particulier pour tout ce qui ne concerne pas la chasse [30]. »

52 Or, les gardes particuliers non commissionnés pour la chasse restaient en droit de verbaliser pour chasse illicite sur les propriétés de leur employeur, à charge pour le préfet de vérifier qu’ils ne le faisaient qu’occasionnellement, ce qui semblait très difficile. Mais il apparaît bien quand même que les nominations de nouveaux gardes se soient effondrées à la suite de la loi.

Les activités d’un « bon garde »

Quel recrutement ?

53 La première étape de l’agrément d’un garde particulier est sa nomination par le propriétaire ou le locataire. Il décide seul mais c’est ensuite à l’autorité préfectorale d’agréer ou non le postulant. Contrairement à ce qui se passe lors d’un retrait d’agrément, elle n’a pas à communiquer ses raisons. Il n’est pas obligatoire que l’intervenant soit républicain, il doit simplement être estimé par le préfet ou en état de rendre un service équivalent si nécessaire, ce qui est souvent possible sans sacrifier ses convictions politiques. Cet « arbitraire préfectoral » est limité par plusieurs voies de recours. La plus courante consiste à faire appel à un élu : sénateur, député, conseiller général. On verra ci-dessous des exemples édifiants de ces capacités d’intervention personnelle.

54 Pour prendre sa décision le préfet a souvent recours à des demandes de renseignements confidentiels. Ces requêtes sont adressées à des notables du canton de résidence du garde (de sa commune, si l’on y trouve un référent convenable), notables républicains évidemment car il ne s’agit pas là d’échanges de service, à l’inverse du cas ci-dessus, mais de l’obtention d’informations fiables : conseillers généraux, conseillers d’arrondissement, maires, mais aussi brigadiers de gendarmerie en retraite, juges de paix ou leurs suppléants, délégués cantonaux [31].

55 Un garde peut être renvoyé par son propriétaire. Le propriétaire n’est pas tenu d’avertir la préfecture et il le fait donc rarement. L’administration, de son côté, n’a pas autorité pour renvoyer un employé nommé par un particulier. Mais en lui retirant sa commission, selon la procédure décrite plus haut, elle le rend inopérant et en fait un simple domestique.

Radioscopie des élus

56 Les gardes particuliers que nous saisissons sous notre loupe apparaissent comme des hommes dans la force de l’âge, ni jeunes gens sans expérience, ni retraités hors d’état de rendre des services efficaces : l’enquête de 1897 [32] nous donne, pour 136 personnes, des quartiles à respectivement 36,5 et 37,6 ans ; 44,3 et 44,5 ; 53,5 et 51,75 [33]. La différence avec les gardes champêtres communaux à la même date est patente (41,5 ; 52 ; 59,5). Autant les seconds sont âgés, peu efficaces et pas toujours ingambes, autant les « particuliers » doivent être en état de fournir un travail effectif.

Tableau 1. Nombre par cohortes d’âge des gardes particuliers de l’arrondissement de Redon en 1897

Tableau 1. Nombre par cohortes d’âge des gardes particuliers de l’arrondissement de Redon en 1897

57 Pour quel salaire ? Globalement, il semble avoir été faible : en 1897, dans l’arrondissement de Redon, 34 % gagnent 100 francs et moins par an, 26 % de 100 à 300 francs, 11 % de 3 à 500, 29 seulement plus de 500. Revenus infiniment trop chiches pour qu’ils en vivent. Mais ils n’en vivent pas, ou pas seulement : tous les intéressés ont conservé une autre profession, sauf deux qui gagnent respectivement 1 000 et 1 200 francs. Le garde particulier à plein-temps ne semble, en Ille-et-Vilaine, pas avoir existé. Comment répartissaient-ils leurs disponibilités entre leur métier de garde et celui d’agriculteur ou d’artisan rural ? Nous l’ignorons, mais le « bon garde » des manuels, entièrement dévoué à son maître et à sa tâche, ne pouvait en tout état de cause exister ici que pour les auteurs desdits. Toutefois, on ajoutera que ces revenus s’augmentaient de « primes » données par les propriétaires en fonction du nombre de P.-V. dressés : le montant de ces primes nous est et nous demeurera inconnu ; nous savons simplement qu’elles existaient. Enfin, comme nous le verrons ci-dessous, certains gardes arrondissaient leurs fins de mois par de pures et simples extorsions de fonds, par du « racket ». Combien ? Dans quelle mesure ? Autres mystères.

58 Toujours selon l’enquête de 1897, 68 % des gardes sont des fils de cultivateurs, les autres d’artisans ou de commerçants ruraux. Par ailleurs, si l’on prend en compte la profession exercée par les gardes avant recrutement ou commission, on obtient sur l’ensemble du personnel visé 58 % de cultivateurs et 11 % d’ouvriers, mais aussi 10 % de domestiques, très fréquemment ceux du propriétaire concerné. Notons aussi la présence de beaucoup [34] d’anciens gendarmes (5 % des gardes nommés en Ille-et-Vilaine en 1897).

59 Le vicomte G. du Pontavice souhaiterait la constitution de véritables familles, de dynasties de gardes tout en reconnaissant que la chose était plutôt difficile à mettre en œuvre. L’idéal, rarement atteint mais évitant une formation cynégétique « compliquée, vous pouvez m’en croire », serait de « s’adresser à un jeune homme sortant d’une famille de gardes, élevé par conséquent à bonne école, accompagnant son père dans ses tournées, visitant ses pièges, aidant à l’élevage du gibier dès sa plus tendre enfance » [35]. Faute de devenir gardes au berceau, les intéressés sont souvent nés sur place ou vivent dans l’environnement immédiat de leur future charge depuis un certain temps : 19 % seulement des gardes de 1897 n’étaient pas nés en Ille-et-Vilaine mais la plupart des hommes de cet effectif modeste y résidaient quand même lors de leur nomination.

60 Au total, l’enracinement local, généalogique, géographique, rural, est patent : les gardes sont fils de la terre et de la terre proche. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont appréciés des paysans et autres ruraux, bien au contraire, en ce qu’ils incarnent autorité et répression. Ce sont toujours, de plus, quelque part, des marginaux, volontiers soupçonnés par les autres agriculteurs de « faire le garde » parce qu’ils sont incapables de vivre honnêtement. À preuve, le recrutement relativement fréquent de braconniers qui est affirmé par la littérature « technique » de l’époque :

61

« Parfois, on arrive à former de bons gardes avec d’anciens braconniers ; pourtant, il ne faudrait pas trop se fier à cette recommandation [...]. Les braconniers de profession, gens de sac et de corde presque toujours, ne nous inspireraient aucune confiance, malgré les plus belles promesses [36], »

62 à moins qu’ils ne sortent d’une famille « honorable » et n’aient fait preuve de repentir par une conduite « régulière ». Mais le braconnier-garde est en fait impossible à cerner : si les braconniers ont été condamnés, ils ne peuvent être commissionnés. Et pour les autres, c’est évidemment une profession qu’ils ne déclarent pas.

Les gardes et le braconnage

63 Or, la lutte contre le braconnage constitue une des tâches importantes, parfois majeure, des gardes. D’où l’ambivalence de la fonction. Les gardes eux-mêmes peuvent être d’anciens braconniers ou, en tout cas, ils connaissent parfaitement le milieu, ou ont même sympathisé avec lui, sans aller jusqu'à en faire partie à proprement parler. D’autre part, la société rurale englobante demeure longtemps très tolérante, sinon même favorable, au braconnage et aux braconniers. La figure de ce dernier a-t-elle quand même subi une mutation entre 1800 et 1914 ? C’est possible. On serait passé du braconnier « Robin des bois », héros d’une société défendant ses droits traditionnels (notamment les communaux), à une configuration de petits propriétaires plus individualistes, surtout à partir du début de la grande mutation de la propriété avec la crise agricole des années 1880 et postérieures, petits propriétaires individuels plus soucieux de défendre leurs possessions. Mais cela est peut-être une façon de voir trop schématique : les braconniers ne semblent pas avoir fait l’objet d’une condamnation globale de la société rurale, en Ille-et-Vilaine du moins, où le braconnier reste un enfant du pays beaucoup plus qu’un « professionnel ». Les grands propriétaires se plaignent de l’inefficacité de la lutte : de fait, les condamnations pour braconnage stagnent ou même baissent de 1880 à 1905, d’un quart environ selon Le Chasseur français – non parce qu’il y a moins de braconniers mais parce qu’on « énerve », dans le sens étymologique, la répression. Les gendarmes sont trop voyants ou ne prêtent aucun intérêt à ce type de délinquance [37], les gardes champêtres sont des incapables, les élus locaux soumis à la pression de leurs électeurs font ce qu’ils peuvent pour leur être agréables, fussent-ils braconniers, et ces électeurs sont nombreux aux dires du discours normatif des propriétaires et de la presse, qui relaie leur opinion :

64

« En obtenant pour leurs électeurs des « non-lieux », des arrêts de poursuite, des remises de peine, des grâces trop fréquentes, en votant en leur faveur des amnisties répétées, les élus sont les auteurs responsables de l’état de déliquescence dans lequel est tombée la répression [...]. Les agents de l’autorité, énervés, découragés, négligent fatalement la surveillance et hésitent souvent à verbaliser [38]. »

65 La répression, si elle était possible, reposerait entièrement entre les mains des gardes particuliers. Les propriétaires « ne doivent compter que sur l’initiative privée pour essayer de sauver ce qui reste de gibier en France » [39]. Cela relève du domaine de l’incantation plus que du programme d’action. Les gardes sont soumis à une double contrainte : agents du propriétaire, ils n’en sont pas moins, comme on l’a vu, des enfants du pays dans leur majorité. La crainte de verbaliser leurs proches, leurs parents, leurs relations de travail, leurs voisins les empêche d’agir efficacement. Cela n’en fait nullement des paysans comme les autres : les gardes semblent bien avoir fait l’objet d’un rejet, d’un mépris ou tout au moins d’une méfiance de la part de la plupart des ruraux. « Pour le petit peuple des campagnes, le garde n’était pas au service du Droit et de la Justice, il était l’instrument du gros propriétaire et parfois du gros fermier » [40]. Cette ambivalence (ils sont payés pour surveiller et sanctionner mais s’ils le font, ils s’attirent encore plus d’inimitié d’une communauté à laquelle ils sont liés, contrairement aux gendarmes) rend sans doute leur travail particulièrement difficile.

Le garde idéal

66 Selon du Pontavice (Chasses bien tenues), les devoirs des gardes sont entre autres le piégeage, le repeuplement, le souci de l’hygiène des zones de chasse, les maladies des oiseaux, l’élevage du lièvre en captivité. Mais lorsque l’on analyse le vocabulaire complexe employé et l’étendue des connaissances intégrées dans les manuels cynégétiques, on se rend compte qu’ils sont autant (voir beaucoup plus !) destinés aux propriétaires qu’aux gardes.

67 Les manuels insistent sur les qualités que devrait posséder le garde. L’une des premières est sa disponibilité : « Jamais le garde ne passe trop de temps sur la terre confiée à ses soins : il faudrait qu’il pût y être toujours »  [41], ou « Un garde ne doit jamais s’absenter, ni quitter sa chasse, sans prévenir son maître, ou se faire remplacer, si c’est possible » [42]. La seconde qualité demandée est de bien connaître son terroir, les moindres sentiers, les plus profondes retraites. Là encore, on se demande dans quelle mesure l’idéal recoupe la réalité. La troisième est l’ardeur au travail, dont les horaires paraissent sans limite. Du Pontavice trace ce portrait du garde parfait :

68

« [...] ils quitteront une fois leur demeure, vers 2 heures ou 3 heures du matin, pour rentrer à 6 heures. S’ils ont des élèves faisandeaux ou perdreaux, ils devront profiter de l’heure favorable de cette première tournée pour rapporter leur provision de larves de fourmis ; ensuite ils déjeuneront et donneront les soins nécessaires tant au chenil qu’à la faisanderie. Les pièges et assommoirs seront visités autant que possible dans la matinée ; puis, à midi, les gardes prendront leur repas et un repos bien mérité. Dans l’après-midi, après s’être occupés de nouveau de la faisanderie et du dressage à la maison des jeunes chiens, s’il y en a, ils repartiront dans une direction opposée jusqu’à la nuit [...]. Le lendemain soir, si une tournée de nuit est jugée nécessaire, elle aura lieu entre onze heures et deux heures, après quoi les gardes dormiront jusqu’à six heures du matin [...]. Il est fort important pour les gardes de changer les heures de leurs repas : nous avons vu ainsi très souvent constater des délits de chasse [43]. »

69 Compte tenu du nombre de gardes obligés de se livrer à une pluriactivité pour survivre, on se demande combien de personnages pouvaient s’identifier au portrait ici dressé. Même les (minoritaires) gardes à plein-temps ne devaient pas tous y ressembler. D’autant que les exigences du vicomte sont encore plus rigoureuses : aussi catholique qu’il soit, il lui apparaît que l’accomplissement de ses devoirs religieux par le garde passe après ses obligations cynégétiques :

70

« [...] les gardes peuvent avec raison accomplir ce devoir religieux comme les autres [mais q]uand il n’y a qu’un garde, c’est une autre affaire : les braconniers ne se font pas faute d’observer son entrée à l’église pour aller ensuite au bois quérir une gibelotte dominicale [44]. »

71 Il est vrai que si l’on accepte la vision qu’en donnent les manuels, l’activité théorique du garde paraît sans bornes : garder les terres de toute déprédation humaine bien entendu, mais aussi piéger et détruire les animaux nuisibles, gérer les couvées et le gibier, surveiller l’exploitation des bois et coordonner l’action des bûcherons qui lui apparaissent souvent subordonnés, informer le propriétaire de l’état des ventes des coupes, assurer la vente aux paysans des produits secondaires de la forêt (bois pour le feu, mousses pour les litières, branches pour les balais, etc.). Idéal ou réalité, là encore ? Ajoutons que l’analyse d’une soixantaine de dossiers individuels, hors l’enquête de 1897 qui est muette sur ce point, montre que les deux tiers des gardes sont affectés à des propriétés de plus de 300 ha et le tiers à des « plus de 600 ». Dans un cas sur cinq, les terres gardées s’étendent sur au moins huit communes différentes, parfois onze ou douze. Sans bottes de sept lieues, le garde ne peut avoir sur ces espaces qu’une fonction au mieux dissuasive. Il peut être là. Il n’y est pas souvent.

72 Le garde est un homme du peuple, un petit personnage, socialement parlant. Mais il se distingue de ses voisins en ce que, même à un modeste degré, il représente la loi. Physiquement, cette appartenance au monde des forces de l’ordre est attestée par un semblant d’uniforme (veste galonnée, casquette, képi), le port d’une arme, fusil toujours, revolver quelquefois [45]. Mais la marque officielle, la seule, est le port d’une plaque indiquant la fonction et le nom du garde.

Figure 1. Plaque de garde (ces plaques se retrouvent encore aujourd’hui par centaines dans les brocantes ou vide greniers)

Figure 1. Plaque de garde (ces plaques se retrouvent encore aujourd’hui par centaines dans les brocantes ou vide greniers)

73 n. b. : L’article R – 2213-58 du code général des collectivités territoriales interdit aujourd'hui aux gardes particuliers, qu’ils soient gardes-chasse, gardes-pêche ou « généralistes » de porter des plaques avec la mention « La Loi », ce qui est exclusivement réservé aux gardes champêtres communaux.

74 Ces attributs le valorisent et peuvent favoriser les excès de telle ou telle personnalité portée à l’autoritarisme ou à la misanthropie. Mais ils exaltent aussi la puissance du propriétaire, à tel point que certains feront agréer des gardes dont l’étendue de la mission laisse perplexe : ici un hectare de terre labourable à garder aux bons soins de Victor Bécot en 1911 [46] ; là un ensemble de tâches apparemment considérables pour une propriété somme toute modeste :

75

« [...] empêcher qu’on ne chasse ou pêche dans le dit étang sans permission, qu’on ne s’y baigne autrement que dans des conditions convenables de décence, aussi qu’on ne chasse sans autorisation sur les champs composant les dites propriétés, ou sur toutes celles qu’ils pourraient louer pour chasser [...] à rapporter procès-verbal contre tout délinquant qui se permettrait de couper du bois dans les taillis, de chasser sur leurs champs ou ceux loués pour la chasse, de passer avec charrettes, chevaux ou bestiaux sur le Pont de l’étang et dans l’avenue qui longe le dit étang [47]. »

Les problèmes de la fonction

Une droiture sujette à caution

76 Les gardes sont en Ille-et-Vilaine l’objet d’un débat public. Les refus d’agrément sont la plupart du temps liés aux questions politiques, seules ou mêlées à d’autres griefs – alors que des gardes condamnés pour des délits de chasse (amnistiés) sont acceptés. Les retraits d’agrément peuvent être liés à la politique, à l’excès de zèle (renvoi le 16 janvier 1912 du garde du marquis de Menou qui avait menacé un négociant de Rennes, Coupu, de voies de faits indéterminées : « Quand il me rencontrerait seul, il me ferait mon affaire » [48]). Ambroise Frin voit son agrément retiré le 29 juillet 1902 attendu que « le nommé Frin a abusé à différentes reprises des pouvoirs qui lui ont été confiés [et] fait des déclarations vexantes dans les procès-verbaux dressés par lui » [49]. Parfois les propriétaires conservent longtemps un garde dont les procès-verbaux sont contestés (mais pas quand l’agrément est retiré), leurs adversaires soupçonnant bien sûr des « raisons spéciales de le garder pour créer, quand il leur convient, des ennuis aux chasseurs qui ne leur plaisent pas » [50]. L’alcoolisme est aussi un facteur de refus d’agrément ou de retrait, seul ou le plus souvent combiné avec un autre reproche : « Nous [l’] avons trouvé sur le bas-côté de ladite route [...] couché et ayant sa bicyclette à côté de lui [...]. Je l’ai relevé et ai constaté qu’il était en état d’ivresse » [51]. Les refus ou retraits pour braconnage n’apparaissent guère dans les documents officiels, bien que les gardes braconniers aient été nombreux si l’on en croit les auteurs de manuels ou ouvrages techniques, mais il faut se méfier de leur discours normatif.

77 Les plaintes dressées contre les gardes emportent rarement la sanction la plus grave si elles demeurent isolées. Il faut le plus souvent récidive, combinaison de déviances, ou intervention de la politique en sus d’un autre reproche pour entraîner le retrait d’agrément. À une exception près, car elle met en cause la nature même des fonctions de garde : l’extorsion de fonds, le racket. Il semble avoir été très courant et nous n’en décelons que des bribes. En 1896, le garde Cocheril, au service de M. de La Portebarrée dans la région de Cancale fait l’objet d’une enquête mais il semble que ce soit après de longues années d’un coupable exercice : menacer chasseurs, pêcheurs ou même simples promeneurs d’un procès-verbal à moins qu’ils ne s’acquittent d’une compensation qui paraît s’être située aux alentours de 20 francs. Même à raison de deux à quatre opérations par mois (cela semble avoir été le cas), cela représentait une assez jolie majoration de traitement (un doublement, à peu près, voire un triplement si nous suivons la fourchette haute) :

78

« [...] l’habitude constante prise par le garde Cocheril de ne jamais porter sa plaque, les recommandations qu’il a fait [sic] maintes fois aux cultivateurs de ne pas dire que leurs terres étaient gardées, démontrent que ce garde ne cherche qu’à surprendre la bonne foi des chasseurs et augmenter ainsi ses émoluments [52]. »

79 Nous ne connaissons pas ici le résultat final : dans un premier temps, le préfet voulut classer l’affaire mais le 20 août, le député républicain de Saint-Malo, Demalvillain, insistait à nouveau pour obtenir sa révocation. Le garde était peut-être malhonnête mais en tout cas au centre d’un jeu de pressions entre notables qui dépassait sa personne. On est ici en plein exercice d’une forme de composition infrajudiciaire qui semble avoir été encore chose courante au xix e siècle dans les campagnes françaises pour des délits mineurs ou même graves [53].

80 L’opération peut être de nature plus perverse, avec provocation : presque en même temps, le procureur de Redon signale un cas similaire, celui d’un garde élevant un véritable guet-apens envers un nommé Gelé, de Saint-Malo de Phily, en l’incitant à « chasser sur les terres de son maître » et en en lui donnant l’assurance – non tenue, évidemment – de ne pas lui dresser procès-verbal, le « maître » accordant au garde une prime significative pour chaque contrevenant débusqué. Le procureur estime que ces « faits [...] ont pu se reproduire déjà bien des fois à mon insu » [54]. La quantification exacte de ce type d’industrie, peut-être assez lucrative, ne peut que nous échapper complètement.

81 Le prestige des gardes ne pourrait venir, en tout cas, de leur instruction. Les gardes illettrés ou très modestement instruits paraissent avoir été légion. Là encore, de toutes petites gens, de très modestes personnes de la terre, pas du tout l’élite de la société rurale. Légalement, rien ne les obligeait à savoir lire et écrire, et l’expression de procès « verbal » reste souvent, en ce qui les concerne, à prendre au pied de la lettre. De ce point de vue, le hiatus avec les gendarmes et les policiers urbains est un vrai fossé. Mais si l’on se fie aux missions répertoriées plus haut, il est évident que nombre d’entre elles exigeaient un minimum de familiarité avec l’écrit – consigner des états sur un carnet par exemple. Ou bien les gardes accomplissaient rarement des activités étrangères à « l’action de garder » pure et simple, ou bien les récriminations des « spécialistes » quant à leur niveau de culture devaient être quelque peu rituelles. Il est difficile de dire dans quelle proportion une explication s’impose par rapport à l’autre. Nous pencherions plutôt pour la première sans pouvoir le prouver vraiment : les gardes particuliers auraient d’abord pour fonction d’être présents et de dissuader ainsi par là même les fauteurs de troubles divers ; seuls quelques gardes d’élite (mais ils existaient) devaient assumer des tâches formellement complexes. En tout cas, le discours est récurrent :

82

« [...] c’est à peine croyable, beaucoup de gardes, chez les particuliers, ne savent ni lire ni écrire et sont conséquemment incapables de rédiger ou de copier un procès-verbal. Pour venir en aide aux gardes de bonne volonté, je crois utile de placer ici quelques modèles de procès-verbaux qui leur faciliteront un travail de plume pour lequel ils éprouvent, je le sais, une répugnance très prononcée [55]. »

83 Il y a évidemment quelques exceptions. Tel garde « lettré » peut lui-même produire un traité, édité en 1908, avec la caution d’un propriétaire-aristocrate (son patron ?). Mais l’exception, on le sait, confirme la règle.

Figure 2. Traité des chasses, par un garde, Anet, chez Liégeart & Revaux, imprimeurs, 1908.

Figure 2. Traité des chasses, par un garde, Anet, chez Liégeart & Revaux, imprimeurs, 1908.

Les gardes, agents politiques des châtelains ?

84 L’enjeu politique dans la nomination et le maintien en place des gardes particuliers est infiniment plus prégnant que chez les gendarmes, où il est en principe inexistant, ou que dans la police urbaine, où il ne joue qu’en cas d’opposition manifeste et avouée à la municipalité ou à la politique gouvernementale comme pendant les crises de 1879-1881 ou 1902-1906, et même chez les gardes champêtres. Les gardes particuliers étant au service d’un « maître » et ce « patron » étant pratiquement toujours un propriétaire important (ou relativement important), les opinions politiques de l’employeur compteront de manière déterminante dans la façon dont les autorités politiques ou administratives apprécieront la conduite à tenir vis-à-vis du garde.

85 Il existe de nombreux cas de figure. Il est clair cependant que les gardes sont souvent utilisés par leur patron pour accomplir des besognes spécifiquement politiques, ou dont la finalité est en définitive politique même si cela n’apparaît pas au premier abord. Parmi ces dernières, la pression sur des locataires, usagers de la forêt, chasseurs, pêcheurs est une des plus courantes : en usant de son pouvoir, le notable vise à influencer les électeurs. La pratique est connue [56] mais ce qui nous intéresse ici est l’utilisation fréquente du garde particulier pour l’accomplissement de ces basses œuvres. Tel cet exemple édifiant :

86

« Le garde Machard, les jours d’élection, circule aux alentours de la Mairie, racolant les électeurs et leur payant manifestement à boire dans les auberges réactionnaires [57], en laissant bien entendre que c’est au nom du marquis de Beaufort et pour qu’ils votent bien [...]. Il a manifestement aussi employé des menaces et des intimidations envers des électeurs hésitants pour les inciter à voter contre les candidats républicains en leur laissant entendre que dans le cas contraire, ce qui serait toujours connue [sic], on leur enlèverait les terres qui leur ont été affermées par le marquis et ses amis et qu’ils seraient poursuivis et condamnés s’ils étaient dès lors et dans ces conditions surpris à ramasser du bois mort ou de feuilles tombées [58]. »

87 Ce genre de comportement, plutôt courant semble-t-il, s’accentue en période de crise d’ampleur nationale. En Bretagne, la querelle entre l’État laïc et l’Église prend une dimension suraiguë dans le champ scolaire. Lors des grandes opérations anticongréganistes de Combes et de ses successeurs en 1902-1905, les propriétaires usent et abusent de leurs gardes particuliers pour dissuader (le mot est faible) les parents d’envoyer leurs enfants à « l’école du diable ». Le garde Courtillon – employé de la société de chasse Le Bout-de-Lande, en Laillé – fait l’objet d’une procédure en retrait d’agrément pour avoir distribué un tract (illustré !) [59] particulièrement violent que, selon le sous-préfet de Redon, il aurait eu le toupet de remettre lui-même en mains propres au maire :

88

« La LOI vous oblige donc à faire instruire vos enfants, mais elle vous laisse encore une liberté, celle de CHOISIR L’ ÉCOLE où vous les enverrez. Or, une école LIBRE va bientôt s’ouvrir à Laillé. Vous n’avez donc qu’à répondre que vous attendez son ouverture prochaine pour y envoyer vos enfants. ON VOUS LAISSERA TRANQUILLES parce qu’ON NE PEUT PAS FAIRE AUTREMENT. Il n’y a pas de LOI qui puisse vous condamner, puisque vous ne refusez pas de faire instruire vos enfants [60]. »

Figure 3. Tract diffusé par le garde Courtillon à Laillé (Ille-et-Vilaine) en 1905.

Figure 3. Tract diffusé par le garde Courtillon à Laillé (Ille-et-Vilaine) en 1905.

89 La crise des Inventaires en 1906 amène des incidents similaires. Le garde Lécrivain est condamné pour coups et blessures commis lors de la tentative d’inventaire de l’église de Saint-Germain-en-Coglès. Il n’évite le retrait d’agrément que grâce à sa situation familiale (il a sept enfants et sa femme est enceinte du huitième) [61]. Non bien sûr que les Républicains n’utilisent pas de semblables méthodes à leur profit : simplement, leurs moyens sont différents, les agents qu’ils emploient aussi. Mais en Ille-et-Vilaine, et sans doute ailleurs, les grands propriétaires étant peu républicains, il y a peu de chances que leurs gardes particuliers le soient et les autorités sont bien obligées de les accepter quand il n’y a pas scandale, ou alors il n’y aurait plus du tout de gardes particuliers. En septembre 1910, le préfet demande des renseignements sur François Barré au délégué cantonal de Janzé, Jouault. La réponse vient presque aussitôt : « Réactionnaire militant » ; mais le préfet doit constater que Barré ayant déjà été agréé à Rennes et à Redon (et aussi à Montfort) et jouissant de l’appui de Richard, conseiller général, il n’y a aucun moyen de le refuser. Et pourtant, deux ans auparavant, le sous-préfet de Montfort l’avait traité d’ « aussi réactionnaire que son maître » (le vicomte du Boberil)  [62].

90 Cette réaction est loin d’être unique. Innombrables sont les exemples qui montrent la tolérance d’autorités qui doivent prendre la société telle qu’elle est. Il arrive que les propriétaires se heurtant sur le plan local à la résistance d’un sous-préfet ou d’un maire, ou d’un notable qui connaît bien la situation, arrivent à leurs fins grâce à leurs bonnes relations avec le préfet, tel Hüe qui obtient en 1911 l’agrément du garde Jouzel, très réactionnaire, et ce malgré l’opposition initiale de la préfecture, grâce à diverses pressions courtoises mais efficaces, notamment celle du sénateur Jenouvrier, pourtant homme de droite affirmé, auprès du préfet [63]. Parfois, c’est par-dessus la tête du sous-préfet qu’il faut passer comme dans le cas du garde Hulot, refusé plusieurs fois par le sous-préfet de Redon et finalement agréé par le préfet le 13 septembre 1909 à la suite d’une intervention personnelle du marquis de Menou, son maître, dans le cabinet même du représentant de l’État dans le département [64].

91 *

92 * *

93 À tous points de vue, c’est bien ainsi que se dessine la figure du garde particulier à la Belle Époque. Gardien de la terre de son maître, paysan entre les paysans même si sa fonction en fait un personnage jalousé ou détesté, il est aussi l’incarnation d’une ruralité profonde quasiment en sursis – et qui l’ignore en partie. Le premier conflit mondial va y mettre bon ordre. Agent électoral, verbalisateur des braconniers, figure de l’ordre seigneurial vacillant, tentative hasardeuse pour concilier la croissance continue de la cohorte des agents spécialisés dans le maintien de l’ordre avec une autorité privée de type territorial, le garde va lentement s’effacer des paysages et des mémoires, laissant l’image d’un personnage bourru, vêtu d’un semblant d’uniforme, moustachu, risible et redoutable à la fois. La figure du garde, dans l’image, le journal, la littérature populaire ou savante est parente de celle du gendarme son contemporain.

94 Mais le gendarme eut une descendance, bien transformée de nos jours mais une descendance. Le garde n’en eut pas, ou plutôt sa personnalité s’est littéralement évaporée : on ne saurait lui assimiler en aucune sorte le vigile d’hypermarché ou le policier privé réel ou de fiction, façon Marlowe ou Burma. Le marché de la sécurité privée a connu depuis près de cent ans une expansion formidable mais dans un tout autre sens que celui du garde particulier, agent fidèle du maître dans une relation de type féodal, connu personnellement des paysans et habitants des campagnes et fort peu estimé d’iceux. Couleur de terre comme son costume, d’une « terre » disparue avec une certaine forme de propriété et la modification parfois radicale des paysages, à la terre dont il était le gardien il est retourné [65].

Bibliographie

  • Antoine, Annie, et Mischi, Julian (dir.), Sociabilité et politique en milieu rural, Rennes, P.U.R., 2008.
  • Bellecroix, Ernest, Guide pratique du garde-chasse, suivi de notions élémentaires sur l'exploitation des bois, par M. A. de La Rüe, Paris, 1886.
  • Berlière, Jean-Marc, Le Monde des polices en France, Bruxelles, Complexe, 1996.
  • Bouquet de la Grye, Anatole, La Surveillance des forêts, de la chasse et de la pêche, Paris, 1956, 16e édition (1re éd., 1859).
  • Broomfield, J. [sous le pseudonyme de « I. Hope »], La Bretagne et la chasse, avec quelques remarques sur l’état de la France, traduction et présentation de Jean-Yves Le Disez, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 1994 (1re éd. Londres, 1853).
  • Le Chasseur français – Organe universel de tous les sports et de la vie en plein air – Bulletin officiel de la Société nationale de tir, mensuel, depuis 1885.
  • Chauvaud, Frédéric, Tensions et conflits. Aspects de la vie rurale au xix e  siècle d’après les archives judiciaires. L’exemple de l’arrondissement de Rambouillet (1811-1871), thèse, Paris X, 1988.
  • Clary, Justinien Bretonneau comte, Le Braconnage et les moyens pratiques de le réprimer, conférence faite à Niort le 31 mai 1909, Saint-Hubert Club de France, Melle, imprimerie T. Montazeau, 1909.
  • Estève, Christian, « Gendarmerie et police de la chasse en France, 1830-1852 », in Luc (dir.), 2002, p. 237-251.
  • Duvergier, J.-B., Collection complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du conseil d’État, Paris, un volume par an depuis 1824
  • Garnot, Benoît (dir.), L’Infrajudiciaire du Moyen Âge à l’Époque contemporaine, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 1996.
  • Huard, Raymond, Le Suffrage universel en France, Paris, Aubier, 1991.
  • Luc, Jean-Noël (dir.), Gendarmerie, État et société au xix e  siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002.
  • Phélippeau, Éric, L’Invention de l’homme politique moderne, Mackau, l’Orne et la République, Paris, Belin, 2002.
  • Pontavice, vicomte G. du, Chasses bien tenues. Devoirs des gardes, Destruction des animaux nuisibles, Élevage du gibier, Paris, A. Charles, s.d. [1899 ?].
  • Savidan, Thomas, Les Gardes particuliers en Ille-et-Vilaine de 1897 à 1918, mémoire de maîtrise, sous la direction de Jean-François Tanguy, Université de Rennes 2, crhisco, 1999.
  • Tanguy, Jean-François, Le Maintien de l’ordre public en Ille-et-Vilaine de 1870 à 1914, thèse sous la direction de Jacques Léonard, Université de Rennes 2, 3 vol., 1986 ;
  • –, « “L’influence” politique au temps du suffrage universel », in Antoine et Mischi (dir.), 2008, p. 289-302.
  • Tripier, Louis, Les Codes français, Paris, 1874.

Mots-clés éditeurs : Républicains et conservateurs à la Belle Époque, préfets et sous-préfets, chasse, notables, grande propriété, Bois et forêts

Logo cc-by-nc

Mise en ligne 25/01/2016

https://doi.org/10.3917/hsr.044.0027

Notes

  • [1]
    Jules Quesnay de Beaurepaire, magistrat, procureur général de l’affaire Boulanger, président de chambre à la Cour de Cassation et qui sauva du désastre le personnel opportuniste lors de l’affaire de Panama, antidreyfusard, et par ailleurs rédacteur sous divers pseudonymes dans des revues « légères » des années 1880-1900, et enfin auteur de romans « ruraux » à peu près illisibles aujourd'hui – et même à l’époque – (tel Marie Fougère, 1889 – précédé d’une longue préface où s’exhale la haine de Zola, jamais nommé, et de La Terre, abondamment citée.)
  • [2]
    Dans Jacquou le Croquant (1900), le personnage démoniaque, cause initiale des épouvantables malheurs de tous les protagonistes, y compris du comte de Nansac – qui finira très mal, n’est pas le garde Mascret, homme de main sans intérêt ni personnalité, mais le régisseur Laborie.
  • [3]
    CGAJC, Paris, Ministère de la Justice, un volume par an depuis 1826.
  • [4]
    Tanguy, 1986.
  • [5]
    D’après les calculs de Savidan, 1999. Voir notamment les annexes 24 et 27 réalisées à partir des arrêtés de nomination contenus dans les dossiers individuels : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26 à 29 (anciennement cotés de 27 à 30). Un certain nombre de références sont communes au mémoire et à cet article mais elles sont assez souvent fautives ou incomplètes dans le premier cas. Nous les avons vérifiées une par une et la version actuelle nous semble exacte – quoique l’erreur soit humaine.
  • [6]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21, le préfet, état des gardes champêtres et particuliers, 20 novembre 1897.
  • [7]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21, le préfet (1ère division) au ministre de l’Agriculture, 14 décembre 1907.
  • [8]
    Broomfield, 1994, p. 76. Texte aussi original que rempli de suffisance britannique.
  • [9]
    Clary, 1909, p. 2.
  • [10]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier du garde Antoine Davanture, lettre de M. de la Villesbret au préfet, 8 juillet 1901.
  • [11]
    Il ne sera pas question ici des gardes de l’administration des Eaux et Forêts, agents des services publics.
  • [12]
    Ces personnages sont en général totalement ignorés des spécialistes, synthèses et manuels d’histoire de la police. Berlière, 1996, ne les connaît pas. Mais le reste de la littérature concernée pas davantage.
  • [13]
    Tripier, 1874, p. 958.
  • [14]
    Ibid., p. 685. Tripier donne ici le texte princeps de 1808, mais cet article très général est resté inchangé durant tout le siècle, même si des lois particulières ont étendu ou restreint les compétences des gardes en divers domaines.
  • [15]
    Bouquet de la Grye, 1956, p. 183. Il s’agit ici de la 16e édition d’une « bible » sur ces sujets, la première ayant paru en... 1859 ! Bouquet de la Grye est mort en 1905. La phrase visée n’a pratiquement pas changé dans sa rédaction en cent ans.
  • [16]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6 Z 27, le ministre de l’Intérieur (Sûreté générale) aux préfets, 1er février 1893.
  • [17]
    Bellecroix, 1886, p. 267.
  • [18]
    Bouquet de la Grye, 1956, p. 182.
  • [19]
    Ancien avocat d’opposition sous l’Empire, républicain modéré mais soutien de Jules Ferry, même au printemps 1885.
  • [20]
    Ces martiales déclarations ne relèvent pas entièrement du fantasme. Nous en avons donné quelques exemples ailleurs : Tanguy, 2008, p. 289-302.
  • [21]
    Journal officiel de la République française, (ci-dessous, J.O.) Documents parlementaires, Sénat, 29 mai 1891, annexe n° 23, p. 9 (proposition du 26 février 1891).
  • [22]
    J.O., Débats parlementaires, Sénat, 17 février 1892 (séance du 16).
  • [23]
    Ibid., 7 mars 1892 (séance du 6). Pour l’ensemble des éléments du débat de 1891-1892 : Duvergier, 1892, p. 234 et suiv.
  • [24]
    Incidemment, le débat met en lumière une appréciation à peu près partagée à droite et à gauche : en matière de droit commun, la sécurité est beaucoup plus difficile à assurer, l’ordre beaucoup plus menacé en campagne qu’à la ville. Autres temps, autres mœurs : débat sur les banlieues criminogènes dans les années 2000, sur les vagabonds terrorisant les campagnes en 1892. Fantasmes ou réalités ? La question est trop vaste pour faire l’objet ici même d’une esquisse de réponse.
  • [25]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Doro, le préfet (1re division) au sous-préfet de Vitré, 28 avril 1910 (rappel de la circulaire, sur la proposition de révocation d’un garde).
  • [26]
    Analyse et citations tirées de Le Chasseur français – Organe universel de tous les sports et de la vie en plein air – Bulletin officiel de la Société nationale de tir, mars 1902, p. 7 et 8, article « Projet de loi sur la chasse – Loi contre les chasses réservées », signé « Saint-Hubert d’Anjou ».
  • [27]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 169 bis pour les réponses des sous-préfets, 18 et 28 septembre 1909.
  • [28]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 6 Z 27, le maire du Val-d’Izé au sous-préfet de Vitré, 24 août 1909. Même source pour les opinions des autres maires de l’arrondissement.
  • [29]
    J.O., partie législative et réglementaire, 31 juillet 1913.
  • [30]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Chevrier, comte de La Bourdonnaye au préfet, 30 août 1913.
  • [31]
    Institués par la loi du 15 mars 1850 pour surveiller les écoles publiques ou privées, les délégués cantonaux, dont l’histoire n’a pas été faite, vont constituer sous la Troisième République un véritable personnel de surveillance politique rural dont le rôle est aussi méconnu que capital.
  • [32]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 21.
  • [33]
    Le premier chiffre se réfère à l’arrondissement de Redon (92 cas), le second à celui de Saint-Malo (44). Les similitudes sont infiniment trop fortes pour être l’effet du hasard. Calculs faits dans Tanguy, 1986, 4e partie, chap. xiv.
  • [34]
    « Beaucoup » par rapport au « vivier » disponible.
  • [35]
    Pontavice, s. d., p. 2.
  • [36]
    Ibid., p. 3
  • [37]
    C’est du moins le discours dominant dans Le Chasseur français et les autres journaux au tournant du siècle. La réalité est sans doute plus complexe : dans des temps plus anciens, la haine des braconniers à l’égard des gendarmes a pu déboucher sur la genèse de comportements politiques, voire révolutionnaires : Estève, 2002, p. 237-252. En Ille-et-Vilaine, entre 1900 et 1914, la Société des chasseurs d’Ille-et-Vilaine attribue quand même beaucoup plus de récompenses aux gendarmes qu’aux gardes (73 % contre 27 en1900, 88 contre 12 en 1913 : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 166). L’efficacité des gardes dans la lutte contre le braconnage organisé paraît faible, et celle des gendarmes bien plus considérable. Mais à vrai dire, la fonction du garde particulier n’est sans doute pas dans la répression judiciaire mais plutôt dans une forme de dissuasion. Et louer les gendarmes, agents de l’État républicain, n’est pas une des composantes du discours répétitif des propriétaires et de leurs porte-parole.
  • [38]
    Clary, 1909, p. 12-13.
  • [39]
    Ibid.
  • [40]
    Chauvaud, 1988, p. 432.
  • [41]
    Bellecroix, 1886,p. 7
  • [42]
    Pontavice, s. d., p. 10.
  • [43]
    Ibid. p. 67-68
  • [44]
    Ibid., p. 68
  • [45]
    « [...] nous n’oserions trop conseiller le revolver ou tout au moins le revolver de poche, et certains jugements récents des tribunaux semblent donner raison à notre prudence. », Pontavice, s. d., p. 7. Le vicomte fait du métier de garde un métier à risques : « Il est incontestable que la vie de nos gardes est sérieusement menacée ; c’est par centaines [...] que, dans une année, il faut compter les accidents plus ou moins graves » (p. 33). Nous n’avons pas d’autre source sur ce point et rien dans les dossiers individuels conservés en Ille-et-Vilaine ne montre un tel état de choses. Ce qui ne prouve rien dans un sens ni dans l’autre.
  • [46]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, arrêté du sous-préfet de Fougères, 7 décembre 1911.
  • [47]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 29, commissionnement du garde Volphihac par les frères Brisou, 16 septembre 1902.
  • [48]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Hulot, R. Coupu au préfet, 20 septembre 1911.
  • [49]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Frin, arrêté préfectoral de retrait d’agrément, 29 juillet 1902.
  • [50]
    Ibid., P.-V. de gendarmerie (brigade de Vitré), déclaration de Louis Bonnier, avocat à Vitré, 15 juin 1902.
  • [51]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Doro, P.-V. de gendarmerie (brigade de Vitré), déclaration du garde-pêche Berteaux, 31 mars 1910.
  • [52]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Cocheril, le commissaire spécial de Cancale, 30 avril 1896.
  • [53]
    Garnot (dir.), 1996.
  • [54]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 27, dossier Faucheux, le procureur de la République au préfet, 7 janvier 1897.
  • [55]
    Bellecroix, 1886,p. 311
  • [56]
    Voir par exemple Huard, 1991, plus particulièrement les chapitres viii, « La campagne électorale » et ix, « Le scrutin : pendant et après » ; ou Phélippeau, 2002, surtout les chapitres v, « L’acte de candidature » et vi, « La consolidation d’un centre de force ».
  • [57]
    C’est une évidence pour tous les observateurs : il existe dans les villages des auberges et cabarets « réactionnaires » et d’autres « républicains ». On ne fréquente pas n’importe quel mastroquet selon ses dispositions politiques.
  • [58]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 29, dossier Machard, rapport du commissaire spécial de Saint-Malo, Gagnon, 28 août 1904.
  • [59]
    Intégralement reproduit ici.
  • [60]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Courtillon. Le tract lui-même est joint au dossier. Le sous-préfet de Redon note : « La situation qu’il occupe lui permet d’entrer en relations fréquentes avec les gens et il en profite pour les indisposer contre la municipalité républicaine de Laillé » (au préfet, 4 mars 1905).
  • [61]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Lécrivain, le préfet au sous-préfet de Fougères, 5 mai 1906.
  • [62]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 26, dossier Barré, septembre 1910 et note du sous-préfet de Montfort, 31 mars 1908.
  • [63]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Jouzel. L’opposition est ici celle du notaire républicain de Janzé, Jouault.
  • [64]
    Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 4 M 28, dossier Hulot.
  • [65]
    On pourra facilement objecter que les gardes existent toujours et même qu’ils sont aussi nombreux qu’en 1913 : « On évalue à plus de 50 000 le nombre de gardes particuliers, dont 27 000 gardes-chasse, 8 000 gardes-pêche et 20 000 gardes généralistes » (ministre de l’Écologie, réponse au sénateur Gaudin, J.O., Sénat, 22 mars 2007). Mais 50 000 pour 63 millions d’habitants et non plus 39, d’abord. Ensuite, leur nombre a stagné alors que celui des gendarmes, policiers urbains d’État, policiers municipaux quintuplait, pour le moins. Enfin, ils n’existent pratiquement plus en tant que groupe social. Qui a entendu parler d’une grève, manifestation, revendication de gardes particuliers, de débats publics les concernant ? On pourra trouver ma conclusion emphatique, je la pense exacte dans l’ensemble.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.169

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions