Notes
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[*]
7, cours Marigny, 94300 Vincennes, (jean-michel. derex@ sncf. fr), et Centre de Biogéographie-Écologie umr 8505 cnrs, ens Fontenay-Saint-Cloud, Le Parc, 92211 Saint-Cloud Cedex.
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[1]
Dans la définition retenue dans la loi sur l’eau de 1992, « on entend par zone humide les terrains exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophites pendant au moins une partie de l’année ».
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[2]
Bernard, 1994. Quatre-vingt-sept zones humides ont été classées « d’importance majeure » par les rédacteurs du Rapport d’évaluation des politiques en matière de zones humides : elles font l’objet d’un suivi par l’Observatoire national des Zones humides. L’évaluation de cette surface a été réalisée par cet organisme en juillet 2000.
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[3]
Pour l’évaluation de 1767, Arch. dép. Calvados, C 4 197, 1767 ; celle de Montalivet comprenait les marais pontins, toscans et les terres de la Frise ; pour l’évaluation de 1817, Portelet, Jeune, Code des dessèchements ou recueil des règlements rendus en cette matière depuis le règne de Henry IV jusqu’à nos jours, suivi d’un commentaire sur la loi de 1807 et d’un tableau général des marais du royaume, Paris, Crozet, 1817, 285 p. ; pour l’enquête de 1833, Arch. nat., F10 3771, 1833-1834 ; pour 1860, Arch. nat., F10 2317, 1860 ; pour celle de 1878, Hachette, Ministère des Travaux Publics. Commission supérieure pour l’aménagement et l’utilisation des eaux. Première session 1878-1879, Paris, Imprimerie nationale, non paginé.
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[4]
Touzery, 1995, p. 25 : aulnaies ; bois et osier ; chemins et étangs ; chemins et mares ; friches communes et rivières ; chemin, rivières et étangs ; chènevières ou terre à chanvre ; commune en marais ; commune en pâture et marais ; commune en prés et aulnaies ; commune en saussaie ; défrichement dans les communes en marais ; étangs ; friches en mares ; friches et rivières ; friches, pâtures et mares ; jardins et marais ; marais ; marais à tourbe ; marais légumiers ; marais indivis ; marnière ; oseraies ; pâture anciennement en étang ; pâture et marais ; près à tourbe ; rivières et étang ; rivières et prés ; saussaies.
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[5]
Le projet comprenait les terrains habituellement couverts par les eaux stagnantes ; les terrains assujettis à des inondations périodiques ne permettant pas d’y établir une culture régulière ; les terrains exposés aux inondations qui compromettent les récoltes. La proposition de Lafitte ayant été rejetée, la dénomination « marais » restera fluctuante même pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui se contentèrent d’indiquer les techniques de dessèchement sans fixer de définition précise à l’objet de leur aménagement.
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[6]
Maillard, 1998, p. 216.
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[7]
Nadine Vivier a montré la difficulté à définir les terres communales, espaces aux situations juridiques différentes, confondues volontairement ou par ignorance : Vivier, 1994, p. 121.
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[8]
Pour les premiers : Leveau, 1996, Lebecq, 1972, Sarrazin, 1985, Saint-Denis, 1994, Pressouyre, 1996, Durand, 1998 ; pour les seconds : Fievez et Lalange, 1991.
-
[9]
Dienne, 1891.
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[10]
Pour l’Alsace, Boelher, 1994 ; pour la Sologne, Guérin, 1960, Bouchard, 1972, Édeine, 1974 ; pour la Charente, Julien-Labruyère, 1982 ; pour la Touraine, Maillard, 1998 ; pour le Sud-Ouest, Zink, 1997 ; Touzery, 1995.
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[11]
Pour les communaux, Vivier, 1999 ; pour l’élevage, Moriceau, 1999 ; pour le sel, Hocquet, 1984 ; pour le poisson, Abad, 1999 ; pour la démographie, Poitou, 1978.
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[12]
Portelet, 1817, Dienne, 1891 et Moreau-David, 1977, ainsi que les thèses régionales mentionnées ci-dessus.
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[13]
Haghe, 1998, et Derex, 2001.
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[14]
Nous avons abordé cette histoire mais uniquement pour la Brie, Derex, 2001.
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[15]
Concernant la pisciculture, pour l’Île-de-France, Abad, 1999 ; pour les Dombes, Bérard, 1983 ; pour la Brie, Derex, 2001 ; pour les sauniers et paludiers, Hocquet, 1984 ; pour les peigneurs de chancre, Belmont, 1998 ; pour l’exploitation de la tourbe, Sajaloli, 1993.
-
[16]
Poitou, 1978.
-
[17]
Zink, 1997.
-
[18]
Pour la région de Caen, Musset, 1985 ; pour la Petite Camargue, Vidal, 1985.
-
[19]
Pour la Picardie, l’Artois, le Cambrésis et le Beauvaisis, Demangeon, 1905 ; pour la Flandre, Blanchard, 1906 ; pour le Val de Loire, Dion, 1934 ; pour la Camargue, George, 1935 ; pour la côte atlantique enfin, Papy, 1941.
-
[20]
Sur les wadden du littoral français, Verger, 1983 ; pour le Laonnais, Sajaloli, 1993 ; pour l’étude des mares enfin, Sajaloli, 1998.
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[21]
Gislain, 1977 ; Moreau-David, 1985, Geny, 1998.
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[22]
Bérard, 1983.
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[23]
Notons deux études : l’une britannique de Darby, 1973, l’autre française, Heslot, 1987.
-
[24]
Phillips, 1989.
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[25]
Citons quatre ouvrages : Beekman, 1932, Borger, 1992, Henderikx, 1994, Van de Ven, 1994.
-
[26]
Menant, 1993, Ciriacono, 1994.
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[27]
Sarrion, 1984.
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[28]
Ciriacono, 1998.
-
[29]
Id, 2001.
-
[30]
Vivier, 1999, p. 9.
-
[31]
Moriceau, 1999, p. 121-122.
-
[32]
Avec la pensée aériste, s’esquissaient dans la seconde moitié du xviiie siècle les définitions du sain et du malsain. Elles ordonnèrent les normes du salubre et de l’insalubre.
-
[33]
Senac, Jean-Baptiste, Traité des causes et des accidents de la peste, avec un recueil d’observation, Paris, Mariette, 1744.
-
[34]
La Maillardière, Charles-François Lefevre de, Traité d’économie politique, Paris, Académie des sciences d’Amiens, 1782, p. 47.
-
[35]
Essuile, Jean-François, comte d’, Traité politique et économique des communes ou observations sur l’agriculture, sur l’origine, la destination et l’état actuel des biens communs, Paris, 1770, Desaint, p. 54 et p. 59.
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[36]
En 1826, Montfalcon publia encore une Histoire des marais et traité des fièvres intermittentes causées par les émanations des eaux stagnantes.
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[37]
L’air des marais était réputé « porter le mal » (d’où mala aria, mauvais air en italien donnant malaria).
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[38]
Poitou, 1978.
-
[39]
Derex, 2001.
-
[40]
Le Vassor, Méthode générale et particulière puisée dans la véritable source pour le dessèchement des marais et des terres noyées, Paris, Visse, 1788, p. 31.
-
[41]
Vivier, 1999, p. 9.
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[42]
Boelher, 1995, p. 654.
-
[43]
Édeine, 1974, p. 85.
-
[44]
Noël, 1997, p. 137. Relevant de la problématique de « développement durable », ce concept désigne une association maîtrisée, dans une perspective à long terme entre une logique de production agricole et une logique de valorisation territoriale des espaces ruraux.
-
[45]
Série C des archives départementales. Les travaux de Mireille Touzery sur le cadastre de Bertier de Sauvigny constituent un outil de première importance pour l’étude de ces espaces.
-
[46]
Arch. nat., H 1488 à 1496 et 1502 à 1512.
-
[47]
C’est le temps de la guerre d’indépendance en Amérique. Il fallait que la Royale puisse « s’approvisionner dans le Royaume et s’affranchir du tribut qu’elle paye depuis longtemps à l’étranger ».
-
[48]
Arch. nat., F10 209A, 261, 309, 310, 312, 313, 315, 322 et 331, an II, et Derex, 2001, p. 156-171.
-
[49]
Maurin, 1992, p. 59. Ce cadastre par nature de culture ne couvre que certains départements ou plutôt certains cantons par départements : 15 935 communes en 1808.
-
[50]
Arch. nat., F10 2314 à 2317, 1860.
-
[51]
Bernard, 1994.
-
[52]
Noël, 1999. Au-delà de l’étude du Sud-Est Sénonais, l’auteur fournit une méthodologie qui permet de mettre réellement la toponymie au service de l’histoire rurale.
-
[53]
Bossi, cité par Haghe, 1998, p. 155.
-
[54]
Lamoignon de Courson, Mémoire sur la généralité de Bordeaux, p. 66, cité par Morinière, 1998, p. 130.
-
[55]
Archives historiques de la Gironde, vol. lix, p. 268, cité par Morinière, 1998, p. 130.
-
[56]
Dorgan, 1845, p. 13.
-
[57]
Sur les épidémies propres à ces zones, Le Roy Ladurie, 1966, p. 551-553, Bouchard, 1972, Lebrun, 1975, Poitou, 1978, Poussou, 1980.
-
[58]
Lebecq, 1997, p. 361.
-
[59]
Vidal, 1985, p. 262.
-
[60]
Rieupeyroux, 1984, p. 12.
-
[61]
Pecquet, Lois forestières de France, commentaire historique et raisonné de l’ordonnance de 1669, les règlements antérieurs et ceux qui l’ont suivie, Paris, Prault, 1753, t. ii, p. 82.
-
[62]
Teulade, 1992, p. 29.
-
[63]
Bloch, 1949, p. 15.
-
[64]
Baehrel, 1966.
-
[65]
Zink, 1997, p. 60.
-
[66]
Chillon, 1943, p. 11, et Roupnel, 1955.
-
[67]
Dion, 1934 ; Maillard, 1998, p. 216.
-
[68]
Moriceau, 1999, p. 101.
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[69]
Derouard, 1988, p. 84.
-
[70]
Abad, 1999.
-
[71]
Thirsk, 1997.
-
[72]
Poussou, 1999, p. 131-147.
-
[73]
Lorsque les étangs étaient au repos tous les 5 ou 6 ans, on semait de l’avoine.
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[74]
Papy, 1941, Blanchard, 1906.
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[75]
Pour la Petite Camargue, Vidal, 1985 ; pour les étangs solognots, Édeine, 1974, p. 79.
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[76]
Julien-Labruyère, 1982, t. i, p. 175.
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[77]
Maillard, 1998, p. 301.
-
[78]
Bédoucha, 2000, p. 105.
-
[79]
Rieupeyroux, 1984, p. 14.
-
[80]
Musset, 1985, p. 155.
-
[81]
Ciriacono, 1998, p. xxiii.
-
[82]
Id., 1995, p. 300.
-
[83]
La Maillardière, op. cit., p. 38.
-
[84]
Est-ce là la cause du développement de la sorcellerie dans ces contrées ?
-
[85]
Arch. dép. Calvados, C 4212, cité par Musset, p. 154
-
[86]
Bernard, 1994.
1Espaces de transition entre la terre et l’eau, étapes essentielles au cycle de la vie, les zones humides [1] constituèrent pendant longtemps un lieu de rencontre privilégié entre l’homme et la nature : marais, marais salants, étangs, tourbières et prés humides furent des lieux de production importants. La révolution agricole y mit largement fin.
2Curieusement, l’histoire de ces territoires n’a fait, en France, l’objet jusqu’ici que de travaux dispersés : assurément, les zones humides sont les grandes absentes des synthèses historiques contemporaines. Leur connaissance est pourtant vitale puisqu’elle nous amène, du début du xviie à la fin du xixe siècle, au cœur même de productions importantes de la société rurale (élevage et pisciculture notamment), de pratiques usagères et de conflits révélateurs des rapports de force existant entre les intérêts privés, les besoins communautaires et les exigences régaliennes.
3À une époque où la marque du modèle productiviste a déjà effacé de la carte de larges zones humides mais aussi à un moment où l’on constate un changement d’attitude à leur égard, l’historien ruraliste est interpellé. Pour tracer une perspective de recherche, nous insisterons tout d’abord sur la place occupée par les terres humides dans l’espace français. Nous les replacerons ensuite dans un champ historiographique en nous demandant si elles ont été considérées jusqu’ici à leur juste valeur. Nous proposerons enfin des pistes de recherche.
Une faible place dans l’historiographie française
4Aujourd’hui, les zones humides « d’importance majeure », tourbières exclues, couvrent 2 500 000 ha, soit 4,6 % de la surface de l’hexagone [2]. Elles étaient beaucoup plus importantes dans le passé sans que l’on puisse avancer toutefois de chiffres précis.
Des espaces mal évalués
5En 1767, le subdélégué d’Avranches estimait qu’un tiers de la France était constitué de landes et de marais. Les chiffres avancés au xixe siècle sont plus précis. Mais, curieusement, ils sont, de beaucoup, inférieurs à ceux de cette fin du xxe siècle alors que les grands travaux de dessèchements (Sologne, Landes, drainage des plaines du nord de la France) ont été réalisés entre temps : en 1807, Montalivet estimait les espaces des marais à 500 000 ha. Portelet, dix ans plus tard avançait le chiffre de 427 000 ha. Une enquête réalisée en 1833 par le ministère des Travaux Publics donnait 240 000 ha. Celle de 1860, circonscrite il est vrai aux seuls marais communaux avançait le chiffre de 185 460 ha. Le recensement réalisé en 1878 donnait une superficie de 299 114 ha [3]. La première difficulté de l’étude réside donc dans la définition de l’objet (tableau 1).
Les fluctuations des zones humides (xviiie-xixe siècle)
Année | Superficie | Sources |
---|---|---|
1767 | 1/3 de la France | Arch. dép. Calvados, C 4 197 |
1807 | 500 000 ha | Montalivet, Préambule de la loi de 1807 |
1817 | 427 000 ha | Portelet, 1817 |
1833 | 240 000 ha | Arch. nat, F10 3771 |
1860 | 185 000 ha | Arch. nat, F10 2317 |
1878 | 299 000 ha | Hachette, 1879 |
Les fluctuations des zones humides (xviiie-xixe siècle)
6Certes, c’est le propre des zones humides d’être fluctuantes. Mais les écarts enregistrés sont ici tels qu’ils renvoient à un autre questionnement.
Des espaces mal définis et encore négligés
7Force est de constater que pendant très longtemps, les espaces humides n’ont pas été définis. Pour l’Ancien Régime, on constate une confusion dans les appellations : en analysant les plans d’intendance de la généralité de Paris, Mireille Touzery dénombre pas moins de 28 appellations pour désigner les espaces humides recensés par les arpenteurs des années 1780 [4]. Il faut attendre 1830 pour voir apparaître une première tentative de classement lorsque le banquier Laffitte présenta un projet de loi sur le dessèchement [5]. Ce texte n’ayant pas été retenu, pendant longtemps encore, chaque enquête adopta ses propres critères. Mais là n’est pas la seule cause de la confusion. La difficulté d’appréhender les surfaces tient aussi à l’action des hommes qui ont eu parfois de bonnes raisons d’entretenir un certain flou. Les archives regorgent de contestations entre communautés villageoises et compagnies d’assèchement sur la limitation des espaces à bonifier. Un exemple : en mai 1784, les habitants de Savigny et d’Avoin, en Touraine, s’opposaient à un projet d’assèchement et arguaient que leurs terres, les prés communs de la Canche, « ne sont point des marais », tout juste les abords du lac de Canche sont-ils inondés en hiver [6]. Les délimitations cadastrales des parcelles destinées à être asséchées occasionnèrent aussi bien souvent de sérieuses contestations et donnèrent lieu à de nombreux procès : la communauté paysanne avait tout intérêt à minimiser les surfaces à assécher alors que de leur côté, les compagnies d’assèchement tentaient au contraire de les gonfler, en particulier celles situées entre eaux et terres, les plus faciles à bonifier, c’est-à-dire celles dont les travaux de drainage étaient les moins coûteux. Enfin, une troisième raison, d’ordre juridique celle-là, s’ajoutait aux deux précédentes : beaucoup de marais étaient des communaux et cela contribuait aussi à la confusion [7].
8Malgré leur étendue, les historiens de la période moderne et contemporaine ont rarement étudié les lieux humides et les hommes qui y vivaient pour eux-mêmes. Le thème est connu des historiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, bien que leur champ d’étude donne certainement trop d’importance pour les premiers aux zones insalubres situées en bordure de la Méditerranée, et pour les seconds à l’action des ordres monastiques au détriment de celle des seigneurs des grandes châtellenies [8]. Pour la période moderne et contemporaine, les ouvrages généraux sur le sujet sont rares et anciens : une seule synthèse fut écrite par le comte de Dienne en 1890 [9]. Celui-ci réalisa un tour de France minutieux des entreprises de dessèchement de caractère public ou semi-public effectuées du xviie au xviiie siècle.
Des connaissances historiques importantes mais éparpillées
9De nombreux travaux existent mais leur découpage soit géographique soit thématique a empêché toute vue globale. Ceux des historiens d’abord. Les grandes synthèses régionales de la période 1950-1990 apportent une contribution essentielle pour la plupart des espaces concernés [10] : l’Alsace, la Sologne, la Charente, la Touraine, le Sud-Ouest, l’Île-de-France. Elles sont importantes car elles permettent un repérage géographique et archivistique partiel mais irremplaçable. Elles donnent aussi la possibilité de jauger l’utilité des marais dont l’utilisation a pu varier considérablement d’une région à une autre. Des travaux historiques thématiques éclairent aussi le sujet sous un angle particulier : le statut juridique avec les communaux, les produits avec l’élevage, le sel et le poisson, les comportements démographiques avec, notamment, les conséquences du paludisme sur les populations [11].
10Les travaux réalisés permettent d’avoir une connaissance de la vie, de la gestion et de l’utilisation des marais : la politique d’assèchement menée à partir du xviie siècle est bien connue [12] ; pour le xixe siècle, la politique d’assèchement a été abordée pour certaines régions [13], bien que l’historiographie française attende encore une histoire du drainage et de l’assèchement de ses zones humides [14]. Certaines productions ont aussi été mises en avant : l’activité piscicole des étangs pour la Bresse, les Dombes et la Brie ; le travail des sauniers et paludiers des côtes atlantiques et méditerranéennes ; celui des peigneurs de chanvre et celui des maraîchers des grandes agglomérations. Les conditions d’exploitation de la production de la tourbe sont également connues [15]. On cerne aussi un peu l’élevage pratiqué dans ces zones humides de même que l’extension de la culture du maïs dans les vallées du Sud-Ouest. La démographie si particulière des marais a aussi fait l’objet de travaux, en Sologne tout particulièrement [16]. Anne Zink a bien étudié la politique d’assèchement et de partage des communaux pour le Sud-Ouest de la France du xviiie siècle [17]. Le développement de l’individualisme dans une société où la pratique communautaire était forte est aussi bien cerné depuis les travaux de Marc Bloch. Quelques conflits résultant des travaux d’assèchement pratiqués au xviiie siècle ont enfin été analysés, ceux de la région de Caen ou de la Petite Camargue notamment [18].
L’apport essentiel des géographes et des historiens du droit
11Les géographes ont aussi appréhendé ces espaces : dans bien des travaux, l’aménagement des zones humides et leur évolution ont été mis en rapport étroit avec les transformations économiques et sociales. Elles ont parfois été envisagées depuis le Moyen Âge et presque toujours depuis le xviiie siècle. Les travaux des géographes de la première moitié du xxe siècle sont d’autant plus précieux qu’ils apportent un témoignage sur des espaces qui ont aujourd’hui disparu [19] : mentionnons les travaux d’Albert Demangeon pour la Picardie, l’Artois, le Cambrésis et le Beauvaisis (1905), de Raoul Blanchard pour la Flandre (1906), de Roger Dion pour le Val de Loire (1934), de Pierre George pour la Camargue (1935), de Louis Papy pour toute la côte atlantique (1941). Plus récemment, les observations de Fernand Verger sur les wadden du littoral français, celles de Bertrand Sajaloli sur le Laonnais et celles du centre de biogéographie de Fontenay-Saint-Cloud sur les mares [20]. Les historiens du droit ont aussi contribué à la connaissance du sujet [21]. Leur contribution est essentielle dans le domaine de la pêche et de la chasse, activité importante pour les espaces étudiés ici [22].
Un sujet mieux perçu par les historiens étrangers
12Force est de constater que l’histoire des zones humides a été beaucoup plus étudiée dans les pays voisins : les Fens britanniques ont fait l’objet de recherches importantes [23] ; les Anglo-Saxons ont écrit aussi une histoire du drainage de leurs terres il y a dix ans déjà [24] ; l’histoire des polders et de la conquête de la mer a été écrite par les historiens hollandais [25]. L’histoire de la Vénétie hydrologique, de la plaine du Pô et de la Lombardie a aussi fait l’objet de publications [26]. De même que celle de l’Aragon espagnol [27]. L’historien italien Salvatore Ciriacono a dessiné une synthèse historique du drainage et de l’irrigation dans le monde. Sa bibliographie illustre bien le peu d’intérêt des historiens français pour le sujet : sur 94 auteurs cités, huit sont français et sur ce contingent, quatre seulement traitent des espaces de l’hexagone [28].
13L’explication ? Les historiens étrangers ont écrit l’histoire des dessèchements qui ont réussi : la proximité de grands centres urbains, la concentration des zones à bonifier expliquent les succès anglais, hollandais et italiens. Tel ne fut pas le cas en France où le bas niveau d’urbanisation n’incitait pas à l’accroissement de la production carnée, où les grandes distances aussi séparant les espaces à bonifier – beaucoup d’entre eux s’étendaient le long des côtes – de cet important marché urbain que constituait Paris, n’engageaient guère à espérer des dessèchements [29].
14Finalement, on a l’impression que pour l’Europe, l’histoire des espaces humides se polarise presque uniquement sur trois points : les Fen Lands britanniques, les polders hollandais et les plaines du nord de l’Italie. Une triste conclusion s’impose : l’historiographie française accuse un retard important en la matière et un pan important de l’histoire rurale française reste en jachère.
Les causes d’un désintérêt singulier
15En France, ces espaces ont longtemps été ignorés par les historiens français. Dans les Caractères originaux de l’histoire rurale de Marc Bloch, leurs spécificités n’apparaissent pas. « Les marais n’ont guère tenté les historiens » du Moyen Âge, constate de son côté Guy Fourquin dans l’Histoire de la France rurale. Et lorsque le thème a été abordé, les auteurs restèrent prisonniers d’une lecture du paysage héritée du xviiie siècle. Comme pour les communaux, « celle-ci conduisait à lire les espaces qui s’offraient au regard comme autant de terres à conquérir et à exploiter afin que s’y exposent au plus vite les fruits de l’activité des hommes » [30]. Ce n’est pas un hasard si les grandes synthèses régionales abordent presque toujours les dessèchements en même temps que les défrichements. De même, dans La Terre et les paysans aux xviie et xviiie siècles, guide d’histoire agraire, les zones humides ne sont abordées presque toujours, là encore, que sous l’angle du dessèchement [31]. En cela, les historiens n’ont fait qu’épouser le parti pris des élites politiques et scientifiques de leur époque et l’état de la recherche existante.
Des espaces nuisibles et inutiles ?
16Ce parti pris n’a pas un passé très ancien : il ne remonte guère au-delà de l’époque moderne. Mais il devint de plus en plus prégnant à partir du xviie et surtout du xviiie siècle lorsqu’il fut orchestré par les Physiocrates : économistes, médecins, chimistes, tous condamnèrent les marais. Sur les berges qui furent des hauts lieux de l’observation des gaz, les savants du siècle des Lumières démontrèrent que dans la vase, des échanges incessants de vapeurs s’opéraient entre le sous-sol, la tourbe fétide qui le recouvrait et la masse aquatique. L’existence d’eaux stagnantes et de sols instables firent des espaces recouverts d’eau des lieux dangereux ou à tout le moins inquiétants. Sur ce chapitre, les romanciers emboîtèrent le pas des scientifiques : dans La Mare au Diable, George Sand montre ses héros perdus dans les brouillards des marais de Sologne. La nuit, la présence de feux follets provenant de la combustion spontanée de gaz des marais, le méthane, fut aussi à l’origine d’une mythologie tournant autour de la mort.
L’avis des médecins
17Cette mauvaise réputation était bien souvent justifiée. Au milieu du xviiie siècle, l’insalubrité des zones marécageuses et des eaux stagnantes était un leitmotiv de la littérature médicale [32]. Il était fondé sur la théorie hippocratique qui expliquait, par le climat et l’air ambiant, les qualités d’un pays et la santé de ses habitants. Toute une littérature attestait des inquiétudes où il n’était question que de méphitisme, d’exhalaisons fétides, de miasmes putrides, d’airs corrompus. Pour tous, l’infection de l’air venait d’en bas, « dans le sein de la terre plein de causes mortelles que des agents secrets préparent dans des lieux souterrains » [33]. Les hommes du xviiie siècle pensaient que cet air avait des conséquences sur la santé des hommes et des bêtes et que les marais étaient des réservoirs de maladies endémiques et épidémiques. Dans un lourd chapitre au cours duquel il accumulait citations et autorités les plus vénérables et les plus recommandables, La Maillardière décrit les
« funestes effets des landages ou marais, vagues ou communs pour la santé des hommes et des animaux dont ils font périr un grand nombre […]. Une vieillesse prématurée suit de près une jeunesse qui a été pour eux sans agrément ; un homme de soixante ans est un vieillard d’un âge très avancé » [34].
19Essuile évoque aussi « ces cloaques immenses, dont l’infection répand des maladies sans nombre. » [35]. Au début du xixe siècle, Montfalcon restait sur le même schéma de pensée [36]. Ce n’est qu’à la fin du xixe siècle que l’on découvrit que la malaria ou paludisme n’était pas attribuable au « mauvais air » mais à des micro-organismes transmis à l’homme par la piqûre des moustiques [37].
20La méconnaissance de la nature de la maladie et de sa transmission ne doit pas occulter le fait que les fièvres paludéennes étaient très répandues. Elles étaient endémiques dans les régions humides et marécageuses. Christian Poitou a montré que la mortalité sévissant en Sologne connaissait des taux extrêmement élevés à l’automne et qu’elle touchait surtout les enfants [38]. Le discours politique exploita de tels faits. C’est ainsi que les Montagnards, après les Physiocrates, incriminèrent seigneurs et ordres monastiques, coupables à leurs yeux d’entretenir des espaces insalubres. L’analyse du discours politique concernant l’évolution de la législation révolutionnaire des zones humides est sur ce point très instructive : alors que la période libérale n’envisagea, sous l’influence des Physiocrates, que l’assèchement des marais, on note, dès l’instauration de la Montagne, la mise en place d’une politique d’assèchement des étangs – propriété essentiellement détenue par la noblesse et les ordres monastiques. Celle-ci fut mise en place pour des raisons essentiellement idéologiques [39].
La condamnation des économistes
21Le caractère peu productif de ces terres contribua aussi à la mauvaise réputation de ces espaces. Les avis furent unanimes et, une fois pour toutes, ces terres furent qualifiées de médiocres. Le Vassor le proclamait en 1788 :
Les Physiocrates surent aussi imposer l’idée selon laquelle les propriétés collectives nuisaient au développement de l’agriculture. Or, bon nombre de zones humides appartenaient à cette catégorie. Leur dessèchement fut alors envisagé en même temps que leur partage, d’où leur mauvaise réputation aux yeux des élites. Avec Alain Corbin, on peut dès lors estimer que les marais furent pendant longtemps considérés comme des obstacles au progrès agricole, symboles de passivité « domaine du vague, de l’extensif, de l’inculte, voire du chaotique. Le conservatoire de l’archaïsme, défi à la modernité, rassemblant les éléments les plus néfastes de l’imaginaire de l’espace ; ils semblaient concentrer les méfaits de l’humide, de l’inondable, du marécageux » [41].« Ce sont des conquêtes à faire sur le néant que de gagner des terres et des près enfermés sous les eaux ; c’est faire le bien particulier et le bien général que de rendre les nouvelles réquisitions productives dans le genre approprié qui leur convient ; c’est agrandir et embellir le domaine de l’humanité en rendant plus saine la demeure de l’humanité. C’est augmenter une population qui suit constamment la fertilité du sol ; c’est ouvrir des ressources à l’indigence ; c’est enfin préparer un fonds inépuisable de richesses » [40].
L’hostilité des époques de croissance démographique
22Inutiles et nuisibles, les espaces marécageux étaient appelés à disparaître d’autant plus rapidement que la société avait besoin d’accroître sa production céréalière. Dans son Alsace du xviie siècle, Jean-Michel Boehler a bien montré la conquête des rieds face à la pression démographique [42]. Il est dès lors intéressant de faire correspondre les dates des textes favorisant les dessèchements avec la conjoncture démographique.
23Après les guerres de Religion, lorsque les campagnes prospérèrent à nouveau, la monarchie favorisa de grands travaux de bonification. Le premier édit les concernant fut établi par Sully le 8 avril 1599, juste un an après le retour de la paix. Les autres mesures furent prises au xviie siècle sous les règnes prospères de Henri IV et de Louis XIII. Puis, après la longue période de dépression qui occupa la seconde moitié du xviie siècle et le début du xviiie siècle, l’activité législative reprit dans le premier tiers du xviiie siècle alors que la population augmentait. Poussée cette fois par les Physiocrates, la monarchie accorda à nouveau des privilèges et avantages fiscaux aux compagnies de dessèchement. Enfin, la période du Second Empire, qui marque le surpeuplement des campagnes, vit les grands travaux d’assèchement de la Sologne, des Dombes, des Landes. C’est l’époque où la technique moderne de drainage fut introduite en France et où une loi de 1860 incita au dessèchement des marais communaux.
24À l’inverse, les périodes de diminution de la population favorisèrent l’extension des zones humides. Par exemple, la multiplication des étangs de Sologne au xvie siècle doit être mise en relation avec la dépopulation de la région lorsque les propriétaires ne trouvèrent plus de bras suffisants [43]. La Flandre redevint une zone envahie par les eaux durant les guerres de Religion ; les marais salants de la côte atlantique connurent une période de déprise à la même époque.
La réglementation française sur le dessèchement des marais (xviie-xixe siècle)
8 avril 1599 | Édit pour le dessèchement des marais |
janvier 1607 | Édit pour le dessèchement des marais |
22 octobre 1611 | Arrêt du Conseil d’État sur le dessèchement des marais de France |
5 juillet 1613 | Déclaration avec interprétation et modification de plusieurs articles de l’édit |
19 octobre 1613 | Deuxième déclaration |
12 avril 1639 | Troisième déclaration |
4 mai 1641 | Quatrième déclaration |
20 juillet 1643 | Déclaration de Louis XIV accordée en faveur des propriétaires de marais |
17 février 1731 | Arrêt du Conseil |
24 septembre 1761 | Arrêt du Conseil |
11 juin 1761 | Arrêt du Conseil |
14 juin 1764 | Déclaration du roi qui permet à tous les seigneurs de marais, palus et propriétaires de terres inondées d’en faire les dessèchements |
5 janvier 1791 | Loi relative au dessèchement des marais |
14 frimaire an II | Décret sur le dessèchement des étangs |
16 septembre 1807 | Loi relative au dessèchement des marais |
28 juillet 1860 | Loi sur le dessèchement des marais et terres incultes communales |
La réglementation française sur le dessèchement des marais (xviie-xixe siècle)
Un réel changement de perspective aujourd’hui
25L’évolution économique contemporaine oblige à reconsidérer notre vision. L’agriculture productiviste est aujourd’hui au banc des accusés : pendant plusieurs décennies, celle-ci a permis une forte croissance de la production. Mais elle est de plus en plus contestée au profit du concept d’« agriculture durable » [44]. On recherche maintenant davantage un équilibre juste entre l’activité de production et le milieu dans lequel elle est insérée. Dès lors, les modèles d’histoire économique mis en avant depuis l’époque physiocratique sont remis en cause et les zones humides peuvent être vues autrement que comme des espaces rassemblant tous les maux du monde rural.
26Non seulement, on ne les considère plus comme des espaces nuisibles mais, depuis 1970, face aux conséquences désastreuses de dessèchements non maîtrisés, l’opinion a changé. La communauté scientifique a démontré que la disparition des zones humides entraînerait des ruptures d’équilibres écologiques essentiels touchant l’alimentation des eaux souterraines, la prévention des inondations, la stabilisation du littoral, l’exploitation de la biomasse. Dès lors, un changement de perspective s’accomplit peu à peu. De nombreuses disciplines scientifiques l’ont déjà adopté. Reste l’histoire qui doit elle aussi en tenir compte.
Un terrain de recherche historique très vaste
L’Ancien Régime et la Révolution
27Les sources à exploiter sont nombreuses et permettent l’ouverture de nombreux chantiers d’études. Pour la fin de l’Ancien Régime, les cartes sont à reprendre : cartes de Cassini, plans d’intendance – ceux de la généralité de Paris tout particulièrement [45]. On doit les utiliser pour suivre l’évolution des zones humides sur deux siècles au moins. Les archives ministérielles du xviiie siècle retiennent aussi l’attention. Il faut reprendre la correspondance que le contrôleur général des Finances a entretenu avec les intendants et les communautés à propos des défrichements, des dessèchements et de la vaine pâture [46] : elle révèle les rapports de force existant entre les intérêts privés, les besoins communautaires et les exigences régaliennes. Il faut aussi exploiter l’enquête demandée par Joly de Fleury en 1781 sur la production de chanvre dans le Royaume [47].
28On ne saurait négliger les archives judiciaires et notamment les jugements des prévôts et, plus tard, ceux des juges de paix : les différends entre usagers et les jugements rendus pour les trancher donnent la connaissance des usages pratiqués. Ils révèlent la distance qui peut exister entre l’écrit (et donc la codification) et la référence. Et parfois le fossé est grand entre les deux. Dans le domaine de la pêche et de la chasse notamment. N’oublions jamais que la faune est, ici plus qu’ailleurs, riche et diversifiée : les usages de la pêche et la chasse, rigoureusement réglementés, ainsi que les infractions et conflits en tous genres ont donné matière à un contentieux important qui constitue aujourd’hui un fonds d’archives très précieux. Ces jugements permettent de mettre au jour des pratiques sans quoi difficilement cernables.
29Les archives révolutionnaires offrent aussi une source majeure. Les étangs existants au sortir de l’Ancien Régime sont également bien connus puisqu’ils ont été recensés pendant la période révolutionnaire par les cinq agents en mission chargés de surveiller les opérations de dessèchement imposées par le décret du 14 frimaire an II [48]. Là encore, on a ici un point de référence relativement précis qui permet de suivre l’évolution des plans d’eau sur une longue période.
Le xixe siècle et l’époque contemporaine
30Pour le xixe siècle, plusieurs sources sont aussi à retenir : le cadastre par nature de cultures tout d’abord, très utile mais qui malheureusement ne couvre que certains cantons [49]. Il reste essentiel cependant à condition de tenir compte de l’imperfection de son élaboration. Le cadastre parcellaire, issu de la loi du 15 septembre 1807 constitue aussi un autre document de première importance : établi pour la plupart des communes entre 1820 et 1845, il permet de dresser une carte des zones humides avant le début des bouleversements survenus dans les campagnes françaises dans la seconde moitié du xixe siècle. L’enquête de 1860 qui précède la loi de 1860 sur les marais et les terres incultes communales constitue une autre source importante puisqu’on procéda alors à un recensement général des marais communaux de l’Empire [50]. Toutes ces sources, rappelons-le, sont à utiliser avec beaucoup de prudence : les exemples de tentative de fraude fiscale, en minimisant la valeur des terres, abondent.
31Les sources de l’époque contemporaine apportent enfin leur contribution. Les zones humides font aujourd’hui l’objet d’une attention toute particulière devant les menaces qui pèsent sur elles [51]. Un observatoire des zones humides rattaché à l’Institut français de l’Environnement a pour objectif, à partir des techniques de télédétection, d’obtenir une vue très précise de 87 zones existantes et de suivre leur évolution sur plusieurs décennies.
32La mise en œuvre ne va pas sans problèmes méthodologiques. En premier lieu, le nombre de disciplines qu’il faut mettre en œuvre est important. Trois approches au moins sous-tendent la connaissance de ces zones : l’histoire, la géographie et le droit. L’une sans les deux autres n’aboutit qu’à des résultats partiels. Mais bien d’autres disciplines doivent aussi être maîtrisées : la toponymie, la démographie historique, la cartographie, la statistique. Le recours à la toponymie, par exemple, peut apporter beaucoup dans la connaissance de l’aménagement de ces espaces : la méthode proposée par Alain Noël a montré pour le Sénonais que le recours à cette discipline pouvait complètement renouveler la lecture d’un paysage [52]. C’est la raison pour laquelle cette étude ne peut-être que pluridisciplinaire puisqu’en dehors du cadre évoqué ici, elle s’étend du xiie au xxe siècle.
Un sujet déformé par le jugement des contemporains
33L’étude de ces espaces ne se borne pas à une simple exploitation archivistique et documentaire. Pour les aborder, il faut se libérer des clichés qui présentent les marais et les étangs comme des zones uniquement nuisibles à l’homme et inutiles à l’économie. Certes, ces régions sont pauvres et la plupart des auteurs du xviiie et xixe siècles ont décrit leurs habitants de la pire manière. Toute une littérature traita de leur dégénérescence dans la première partie du xixe siècle. En 1810, les hommes des Dombes étaient présentés par le comte Bossi, préfet de l’Ain, comme des individus
« au teint pâle et livide, l’œil terne et battu, les paupières engorgées, des rides nombreuses sillonnant la figure dans un âge où les formes molles et arrondies devraient seules s’y observer, des épaules étroites, des poitrines resserrées, un cou allongé, une voix frêle, une peau toujours sèche ou inondée de sueurs débilitantes, une démarche lente et pénible… vieux à trente ans, cassé et décrépité à quarante ou cinquante [53]. »
35Dans le Médoc, le discours était le même : pour l’intendant Lamoignon de Courson, « le sang n’est pas beau ni en hommes ni en femmes ; ils sont presque tous pesants et mal faits » [54]. L’agronome Brémontier remarquait chez les habitants de la même région « des figures décharnées, un air de tristesse et de langueur annoncent des individus souffrants » [55]. Un auteur, en 1845, les dépeignait
« d’une stature au-dessous du médiocre, d’une maigreur qui approche du marasme, d’un teint hâve et décoloré… [ils] offrent toujours la triste image de la maladie… [Ils ont] des visages ridés par la misère, des têtes à peine couvertes de quelques cheveux [56]. »
37On pourrait trouver de très nombreux exemples identiques pour les autres régions de marais ou d’étangs.
Des lieux jugés répulsifs
38La mortalité importante qui régnait là causait la mauvaise réputation des lieux humides et de leurs habitants : le paludisme décimait ici plus qu’ailleurs les enfants en août et septembre ; les fièvres affaiblissaient les adultes ; l’ergotisme faisait des ravages [57]. Ces espaces étaient également dangereux et, sur les zones côtières, les hommes étaient exposés aux marées subites, aux ruptures de digues. Mais, malgré ces inconvénients, une population y vivait et, dans certains endroits, la densité y était forte. Stéphane Lebecq note ainsi que peu de régions de l’ancienne Europe avaient pu paraître aussi inaptes à l’occupation humaine et à l’exploitation économique que les parages amphibies des littoraux de l’ancienne Frise. Et pourtant, en certains de leurs secteurs au moins, ces contrées ont pu atteindre aux ixe-xe siècles une densité de population presque record dans l’Occident de ce temps ; l’élevage qui y était pratiqué et les produits qui en étaient tirés ont d’ailleurs sollicité l’intérêt de nombreuses puissances de leur arrière-pays [58].
La vraie richesse des marais
39Comment expliquer ce paradoxe ? On trouve peut-être un début d’explication en recensant les ressources nombreuses que ces espaces offraient. Comme le note si justement Jean-Jacques Vidal, ces terres étaient, pour les habitants, des « eldorados » naturellement régénérés, largement accessibles, aisément contournables. Les hommes disposaient là généralement de pâtures, de fourrage, de litière, de gibier et de poisson à satiété [59].
40La législation de l’Ancien Régime puis celle du xixe siècle tolérèrent des usages de pêche et de chasse qu’elles n’autorisaient pas ailleurs. Pour la chasse, on ne protégeait pas avec la même rigueur les oiseaux d’eau et les sangliers, les cerfs, voire les lapins. Ainsi, la chasse aux oiseaux de passage – espèces si nombreuses dans les marais – était couramment affermée car l’on considérait qu’elle n’était pas « une chasse d’honneur, mais uniquement un objet de profit et de revenu » [60]. Les officiers des Eaux et Forêts tentèrent bien de limiter ces droits, mais en vain. À plusieurs reprises à partir de 1705, ils essayèrent d’interdire, par exemple, dans la principauté de Sedan, la chasse aux oiseaux de passage en faisant valoir le texte des ordonnances royales. Ils prononcèrent alors de très lourdes amendes envers ceux qui affermaient cette chasse. Mais le Conseil d’État estima, dans un arrêt du 10 juillet 1708, qu’il y avait une différence entre cette chasse et celle du gibier ordinaire et domestiqué, et que si elle ne pouvait pas avoir lieu « dans les bois, sur les montagnes ni dans les plaines », elle était autorisée « dans les lieux marécageux et le long des rivières… (et qu’elle) procurait l’abondance dans le pays » [61]. En conséquence, elle pouvait être tolérée pour les roturiers.
41Il en était de même pour la pêche. Alors que partout ailleurs, cette activité était l’objet d’une législation rigoureuse, elle bénéficiait, dans ces espaces, de tolérances très larges. Par exemple, dans le marais de Posquières-Vauvert, en Camargue, les habitants pouvaient chasser et pêcher moyennant une redevance à l’abbaye. Les pêcheurs pouvaient aussi construire des cabanes ce qui rendait la pêche plus facile [62].
42Le poisson et les oiseaux migrateurs constituaient donc des apports nutritionnels importants pour les habitants des marais. Et lorsque le spectre de la famine apparaissait, ces apports nutritifs étaient des palliatifs non négligeables. Une analyse plus fine permettra de voir si la souplesse de ces règles de chasse et de pêche a empêché, ou tout le moins atténué, les famines traditionnelles de l’Ancien Régime et les ravages des périodes de soudure. D’autre part, si les marais répondaient à des règles économiques frustes, peut-être étaient-ils aussi moins sensibles à la conjoncture que les riches plaines céréalières : leur production était, en effet, beaucoup plus diversifiée que d’autres lieux qui avaient une meilleure cote auprès des agronomes. Ils procuraient de nombreuses ressources aux populations, à la fois en nature par les produits qu’ils procuraient et en numéraire par le commerce qu’ils autorisaient.
Les marais et leurs habitants : une histoire à écrire
Dresser une carte et souligner l’originalité de l’aménagement des espaces
43Plusieurs pistes s’ouvrent au terme de cette brève analyse. En premier lieu, il convient tout d’abord de situer ces zones dans l’espace. La démarche naturelle de toute recherche est d’aller du mieux ou du moins mal connu au plus obscur. Marc Bloch estimait que
L’Observatoire des zones humides de l’ifen nous fournit les dernières prises de vue de la bobine autour de quatre familles : les tourbières, les zones humides littorales, les zones humides de vallée alluviale, les zones humides des plaines intérieures. Cette classification permet une connaissance précise des principales zones humides existant aujourd’hui et assure la localisation de ces espaces commune par commune. Ainsi, le repérage archivistique devient beaucoup plus aisé. Cela permettra de dresser des cartes relativement précises des zones humides des xviiie et xixe siècles et d’en esquisser une pour le xviie (carte 1).« pour interpréter les rares documents qui nous permettent de pénétrer cette brumeuse genèse du paysage rural, pour poser correctement les problèmes, pour en avoir même l’idée, une première condition a dû être remplie : observer, analyser le paysage d’aujourd’hui […]. Ici comme ailleurs, c’est un changement que l’historien veut saisir. Mais le film qu’il considère, seule la dernière pellicule est intacte. Pour reconstituer les traits brisés des autres, force a été de dérouler d’abord la bobine en sens inverse des prises de vues [63]. »
Principaux pôles d’assèchement sous l’Ancien Régime (d’après l’état actuel des connaissances)
Principaux pôles d’assèchement sous l’Ancien Régime (d’après l’état actuel des connaissances)
Cette carte fait bien apparaître l’éparpillement des zones d’intervention et leur relatif éloignement des principaux centres urbains. Comparé aux pays voisins, ce fait constitue certainement une particularité française.44À une échelle plus petite, l’aménagement de l’espace mérite toute l’attention du chercheur. L’habitat présente ici, en effet, des caractéristiques bien particulières : celui-ci est souvent très diffus et implanté généralement dans des communes très étendues. Les métairies possèdent des superficies très importantes. Les étendues des unes et des autres sont le signe de la pauvreté du sol. En Petite Camargue, par exemple, les mas se sont implantés auprès des points d’eau à un endroit où jadis les habitants venaient s’installer pendant quatre à six semaines pour la récolte des roseaux. La dispersion de l’habitat est aussi la règle en Flandre.
Bâtir une chronologie
45En second lieu, il importe d’affiner la chronologie nationale de l’histoire des zones humides et surtout de bâtir des chronologies régionales ou de les compléter quand elles existent déjà. Cela conduit à mieux dégager les spécificités régionales de chaque grande famille de zones humides. Ce travail n’est pas aisé à accomplir car les travaux d’assèchement ont toujours été des travaux perpétuellement recommencés. Bon nombre d’exemples peuvent être cités. Mentionnons, parmi d’autres, celui d’Arles où les digues construites vers 1650 permirent la mise en culture de 3 000 ha. Emportées par des inondations en 1674, les digues ne furent pas restaurées et avant la fin du xviiie siècle, les sols récemment conquis étaient presque retournés à leur état primitif [64]. De même, les barthes de l’Adour : à Saint-Barthélemy-des-Paludas, les portionnistes déplorèrent au xviiie siècle les inondations de terres mises en valeur quelques décennies plus tôt et qui reprenaient leur première nature de marais [65].
46Cette chronologie à élaborer est aussi à mettre en parallèle avec l’histoire politique de chaque région : les travaux d’assèchement s’accommodèrent très mal, en effet, des périodes de troubles : que soient abandonnés durant quelques années les travaux de défense, que digues et chenaux ne soient plus entretenus et c’était de nouveau l’invasion des eaux et la ruine. Ce n’est pas un hasard si les travaux de dessèchement du xviie siècle ne commencèrent qu’au sortir des guerres de Religion ; les assèchements de la Flandre et la mise en valeur des marais salants de la côte atlantique furent recommencés à plusieurs reprises entre deux guerres ; les travaux d’assèchement du xixe siècle se réalisèrent également durant une période de paix. Des périodes de tensions expliquent aussi le maintien de marais puisque certains servaient de zones tampons ou de frontières. Ainsi, le marécage de la plaine des Tilles, en Bourgogne, fut utilisé pendant longtemps comme écran entre l’ennemi et Dijon [66]. Cette défense ne perdit sa raison d’être qu’après la signature de la paix de Nimègue et la conquête de la Franche-Comté dans les années 1670. Si ce marais n’était pas un obstacle suffisant pour arrêter une armée disciplinée faisant une campagne régulière, il suffisait cependant pour arrêter les bandes de pillards isolés.
Dresser un tableau économique et établir des relations d’échanges avec l’extérieur
47Il conviendra aussi d’identifier les productions de ces zones. Et tout d’abord, l’élevage favorisé par le mauvais fourrage produit par les roselières mais aussi par l’herbe bien grasse de certains près humides. Roger Dion et plus près de nous Brigitte Maillard ont bien décrit, pour la vallée de la Loire, ces vastes zones de prairies inondables où une herbe quoique de mauvaise qualité permettait cependant d’élever un bétail abondant et de réserver aux bêtes de labour les bons prés beaucoup plus rares [67]. Jean-Marc Moriceau avance, à juste titre, dans son ouvrage sur L’Élevage sous l’Ancien Régime (xvie-xviiie siècle) que « la question de l’exploitation pastorale des marais mériterait certainement un essai de synthèse » [68]. Il faut intégrer, en effet, la dépaissance que les marais offrent aux manades de vaches et de taureaux camarguais, aux troupeaux de moutons transhumants dans les près salés ; une étude sur l’élevage des « veaux de rivière » destinés au marché urbains [69] et tout l’élevage d’embouche des vallées mais aussi l’élevage des canards du marais breton par exemple apporterait aussi beaucoup à la connaissance de l’économie de ces espaces. Il faut ajouter à ce tableau l’activité piscicole avec une production destinée aux classes aisées urbaines consommatrices de carpes et de brochets. Et encore le poisson moins coté vendu sur place. Pour l’alimentation de Paris, Reynald Abad a reconstitué cette chaîne alimentaire des étangs situés en Champagne, en Brie, dans le nord de la France et dont la production, acheminée par voie d’eau dans des bateaux-viviers, fournissait le marché des grands centres urbains durant le Carême [70].
48Bien d’autres productions sont à considérer : le chanvre et l’industrie de la toile, les saussaies et l’artisanat de l’osier, les cultures maraîchères, si mal connues en dehors des grands centres urbains, la culture du roseau dans les marais, celle du maïs et la populiculture dans les vallées que l’on rangera, sans hésitation, avec Joan Thirsk, dans « l’agriculture alternative » [71] dont Jean-Pierre Poussou vient de rappeler l’importance [72]. En dehors de l’activité agricole, il convient d’ajouter l’exploitation des tourbières ou encore le marché des sangsues qui firent pendant longtemps l’objet d’un commerce rémunérateur puisque couramment utilisées en médecine.
49Soulignons toutefois l’extrême fragilité que présentait cette économie : une saison trop pluvieuse compromettait la production de sel de la côte atlantique, des vents d’ouest inondaient en quelques semaines mais pour plusieurs mois le Calaisis, compromettant ainsi une récolte attendue ; une année trop sèche empêchait le remplissage suffisant des étangs pour permettre le rempoissonnement des plans d’eau.
50Les relations des marais, des zones humides, des vallées alluviales et des plaines intérieures avec leur environnement méritent aussi attention. À l’évidence, ces zones n’étaient pas céréalières. Certaines ne l’ont jamais été. D’autres l’ont été faute de mieux. D’autres, enfin, ont fait l’objet de réelles cultures alternatives [73]. Mais si elles n’étaient pas céréalières, les hommes qui y habitaient consommaient des céréales. Dès lors, il est essentiel d’analyser les circuits d’échange existants avec l’extérieur, soit sur un périmètre relativement restreint où le marché ou la foire locale trouve toute son importance, soit sur une aire plus large pour la vente du poisson d’étang, du sel, du foin, des sangsues par exemple. L’aménagement et l’exploitation des zones humides ont été réalisés, en effet, en tenant compte d’une grande complémentarité avec leur environnement proche, céréalier essentiellement. Les géographes l’ont bien démontré [74] : dans la Petite Camargue, une population installée dans le marais depuis le xviiie siècle vivait moitié du marais (roseaux et pêche) moitié de la vigne ; la création d’étangs était aussi, bien souvent, une réponse aux défrichements effectués non loin de là. Il en fut ainsi de la multiplication des étangs solognots, conséquence directe des défrichements [75]. Il faut donc appréhender l’aire de rayonnement des produits issus de ces espaces (sel, bêtes, poisson, tourbe, chanvre, sangsue, etc.) source de numéraire dans ces contrées.
Évaluer la force d’opposition des habitants
51L’analyse de l’agencement de trois forces – l’intérêt particulier, les besoins communautaires et les exigences régaliennes – en perpétuelle tension ici est aussi indispensable. Leur combinaison n’est certainement pas celle des pays « secs ».
52Le pouvoir communautaire était particulièrement développé, plus qu’ailleurs certainement, par la force des choses : entretien des fossés, des digues, gestion de l’eau des étangs. Il suffit pour cela de voir la capacité de mobilisation des communautés lors des projets d’assèchement aux xviiie et xixe siècles, au moment où les traditions communautaires aussi solides que celles qui pesaient sur les forêts se heurtent de front à l’appétit des compagnies d’assèchement. Les résistances à la poldérisation que rencontrèrent, par exemple, en Saintonge les ingénieurs « hollandais » au xviie siècle traduisaient l’importance de ces droits d’usage. Ils furent ici farouchement défendus bien au-delà de l’Ancien Régime. Non loin de là, pour réussir l’assèchement du marais poitevin, la société de Bradley fut contrainte de céder une partie des marais de la petite Flandre aux anciens usagers qui en firent un communal [76]. Un peu plus au nord, en Touraine, dans les landes de Saint-Brice, pour protester contre les projets de dessèchement et d’aménagement des marais de Parilly, l’opposition a été organisée et a utilisé les moyens du droit, peut-être parce que là les intéressés n’étaient pas seulement des paysans [77].
Analyser la solidarité obligée des habitants
53La dépendance de chacun vis-à-vis des autres est aussi ici plus grande qu’ailleurs : celle, par exemple, des pêcheurs, des roseliers et des gros éleveurs en Petite Camargue. Cela explique certainement la création d’associations : les wateringues flamands, les syndicats forains de la Petite Camargue, les associations, au moins à partir du xviiie siècle des propriétaires sauniers, les syndicats des barthes dans le Sud-Ouest. Ce monde de solidarité et de contraintes était structuré par des usages. C’était particulièrement vrai dans les régions des étangs : là, la gestion des eaux, marquée paradoxalement du sceau de la rareté, structurait l’ensemble de la société. Geneviève Bédoucha montre bien que dans la Brenne, il existe une complémentarité entre exploitation des étangs, agriculture et élevage : les pièces d’eau peuvent ainsi être grevées de servitudes de pacage, d’abreuvage et de fauchage, associées aux terres qui les jouxtent. Ces usages étaient notifiés dans l’acte de propriété ou le bail de fermage [78]. Il conviendra de voir comment ceux-ci se déclinèrent en fonction de la typologie des zones (marais, tourbières, étangs, etc.).
Cerner la force réelle du pouvoir régalien, apparemment plus limité ici
54L’État semble ne pas prendre ici les dimensions qu’il avait dans le reste du pays. Le pouvoir régalien trouvait ici certaines limites et la rigueur des réglementations concernant la chasse et la pêche était assouplie. D’ailleurs, l’article 15 de l’ordonnance de 1669 ne rappelait-il pas que tous les seigneurs avaient la possibilité de tirer sur les oiseaux de passage séjournant dans les marais, les étangs et les rivières du domaine royal [79] ? La résistance des communautés – et bien souvent leur réussite – montre aussi les limites de l’autorité du roi sous l’Ancien Régime et celle des ingénieurs au xixe siècle. Une analyse de la limitation du pouvoir central dans ces lieux est à entreprendre. Il serait aussi intéressant de jauger l’efficacité des mesures fiscales prises pour inciter au dessèchement. D’autre part, le produit de la dîme était sensible aux initiatives de bonification : celui-ci augmentait lorsque l’assèchement des marais entraînait l’augmentation des terres céréalières ; il diminuait avec le développement des herbages des vallées au détriment des céréales.
Mieux connaître les assécheurs de ces espaces convoités
55Les marais ont suscité des appétits privés très aigus : il pourrait être instructif, par exemple, de mesurer les conséquences de l’impact des compagnies d’assèchement, véritables entreprises capitalistes imposant une nouvelle logique sur ces espaces et sur les populations. L’histoire des spéculateurs de haut vol du xviie au xixe siècle, souvent proches du pouvoir, reste à écrire à la suite du comte de Dienne qui donne déjà un cadre et des exemples. Leurs méthodes introduisaient, de manière brutale et soudaine, la plupart du temps, une logique capitaliste dans un monde aux évolutions lentes. Ce que critiquent d’ailleurs certains intendants dont celui de Caen, Fontenelle, choqué par l’emploi de méthodes quelque peu expéditives. Celui-ci est ainsi amené à désapprouver ouvertement les grandes concessions. Il n’hésite pas à susciter la résistance des paroisses menacées afin de tenir en échec les solliciteurs. Il était persuadé, en effet, que cela provoquerait des spéculations sur les terres mais ne favoriserait nullement le développement de la culture. Il pensait aussi que cela serait la cause de nombreux procès longs et ruineux pour les communautés rurales qui chercheraient à se défendre [80].
Recenser les techniques d’assèchement utilisées
56Les sciences et les techniques d’assèchement employées ont été différentes d’un lieu à un autre. L’influence des Flamands aux xvie et xviiie siècle et celle des Anglais au xixe sur les opérations modernes de drainage opérées en France a été importante. Il faudra à cette occasion préciser la pertinence de la technique flamande pour les zones asséchées : à l’évidence, comme le souligne Salvatore Ciriacono, le moulin à vent entraînant les pompes de refoulement n’était certainement pas, en France comme en Italie, la solution à toutes les situations [81]. Les opérations de drainage réalisées en Hollande ou en Angleterre n’étaient pas possibles de la même manière partout en France. Il fallait compter avec la force du vent. En fait, il fallut attendre le xixe siècle et l’introduction des pompes actionnées à l’aide de moteurs pour constater de réels progrès. Salvatore Ciriacono estime que l’introduction de cette nouvelle technologie marqua le point de réel changement dans la conduite des bonifications des terres en Europe [82]. Encore faut-il faire un recensement des techniques utilisées.
Analyser la marginalisation sociale des marais
57La Maillardière soulignait que « les marais communaux se trouvent ordinairement situés aux extrémités d’une paroisse. De petits meuniers, des pêcheurs, des gens de journée sont généralement les seuls voisins » [83]. Si certains « métiers » spécifiques à ces zones sont connus, comme les sauniers, ou les peigneurs de chanvre, d’autres le sont beaucoup moins : roseliers, vanniers, tourbiers, ramasseurs de sangsues. Autant de personnes que les braves gens des villages affublaient de tous les défauts et de tous les vices.
58Ce n’est pas sans raison que les hommes qui fréquentaient ces espaces inquiétaient. Les élites politiques et religieuses contrôlaient moins facilement qu’ailleurs les habitants, structurés généralement autour d’un habitat dispersé en raison de la pauvreté des sols [84]. Esmangart, l’intendant de Caen, beaucoup moins à l’écoute des populations que son prédécesseur Fontenelle, ne déclarait-il pas à Necker qu’il était peu souhaitable de laisser les communautés profiter de ces terres qui les incitaient à la fainéantise ?
« Les terrains vagues sont nuisibles ; ils entretiennent la paresse et l’indolence des riverains ; les bestiaux qu’on y abandonne n’ont qu’une maigre nourriture. Les communautés qui ont de ces terrains sont toujours plus pauvres que celles pour qui la nourriture de leurs bestiaux ne trouve de ressource que dans le fruit de leur travail [85]. »
60Dans quelle mesure cet encadrement social lâche n’a-t-il pas entraîné aussi des déviances sociales ? Quelle forme ont-elles prises (refuge ou désert pour les « malsentants de la foi », mais aussi sorcellerie, braconnage, etc.) ?
61* * *
62L’étude à engager est vaste. Elle devrait permettre de nuancer le tableau d’une France trop céréalière et d’ajouter encore un peu à la complexité des rouages sociaux et économiques des sociétés rurales anciennes. Cela est nécessité, car comme le remarque Jean-Pierre Poussou, pour l’époque moderne, les historiens ont peu prêté attention aux activités qui n’étaient ni céréalières ni d’élevage. Un vide est donc à combler.
63Mais cette étude doit également dépasser le cénacle fermé des historiens. Depuis que les pouvoirs publics ont souligné que beaucoup de causes contribuaient à la diminution rapide des zones humides, de nombreuses disciplines scientifiques ont été mobilisées pour mieux les connaître et les protéger [86]. Curieusement, la dimension historique a été oubliée dans cette démarche contemporaine. Certes, l’historien n’a pas la prétention de présenter la moindre solution aux conflits d’usage et d’intérêts que ces espaces enferment, la chasse aux oiseaux migrateurs étant pour le moment le plus violent et le plus médiatisé. Mais l’historien peut modestement apporter une dimension temporelle à un débat scientifique où celle-ci manque cruellement. Il peut proposer un recul, une mise en perspective, un témoignage sur les conséquences sociales des aménagements réalisés. C’est toute l’ambition de ce projet.
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Mots-clés éditeurs : agriculture alternative, chasse, marais, étangs, pêche, zones humides, élevage, paludisme, dessèchements, eau
Notes
-
[*]
7, cours Marigny, 94300 Vincennes, (jean-michel. derex@ sncf. fr), et Centre de Biogéographie-Écologie umr 8505 cnrs, ens Fontenay-Saint-Cloud, Le Parc, 92211 Saint-Cloud Cedex.
-
[1]
Dans la définition retenue dans la loi sur l’eau de 1992, « on entend par zone humide les terrains exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophites pendant au moins une partie de l’année ».
-
[2]
Bernard, 1994. Quatre-vingt-sept zones humides ont été classées « d’importance majeure » par les rédacteurs du Rapport d’évaluation des politiques en matière de zones humides : elles font l’objet d’un suivi par l’Observatoire national des Zones humides. L’évaluation de cette surface a été réalisée par cet organisme en juillet 2000.
-
[3]
Pour l’évaluation de 1767, Arch. dép. Calvados, C 4 197, 1767 ; celle de Montalivet comprenait les marais pontins, toscans et les terres de la Frise ; pour l’évaluation de 1817, Portelet, Jeune, Code des dessèchements ou recueil des règlements rendus en cette matière depuis le règne de Henry IV jusqu’à nos jours, suivi d’un commentaire sur la loi de 1807 et d’un tableau général des marais du royaume, Paris, Crozet, 1817, 285 p. ; pour l’enquête de 1833, Arch. nat., F10 3771, 1833-1834 ; pour 1860, Arch. nat., F10 2317, 1860 ; pour celle de 1878, Hachette, Ministère des Travaux Publics. Commission supérieure pour l’aménagement et l’utilisation des eaux. Première session 1878-1879, Paris, Imprimerie nationale, non paginé.
-
[4]
Touzery, 1995, p. 25 : aulnaies ; bois et osier ; chemins et étangs ; chemins et mares ; friches communes et rivières ; chemin, rivières et étangs ; chènevières ou terre à chanvre ; commune en marais ; commune en pâture et marais ; commune en prés et aulnaies ; commune en saussaie ; défrichement dans les communes en marais ; étangs ; friches en mares ; friches et rivières ; friches, pâtures et mares ; jardins et marais ; marais ; marais à tourbe ; marais légumiers ; marais indivis ; marnière ; oseraies ; pâture anciennement en étang ; pâture et marais ; près à tourbe ; rivières et étang ; rivières et prés ; saussaies.
-
[5]
Le projet comprenait les terrains habituellement couverts par les eaux stagnantes ; les terrains assujettis à des inondations périodiques ne permettant pas d’y établir une culture régulière ; les terrains exposés aux inondations qui compromettent les récoltes. La proposition de Lafitte ayant été rejetée, la dénomination « marais » restera fluctuante même pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui se contentèrent d’indiquer les techniques de dessèchement sans fixer de définition précise à l’objet de leur aménagement.
-
[6]
Maillard, 1998, p. 216.
-
[7]
Nadine Vivier a montré la difficulté à définir les terres communales, espaces aux situations juridiques différentes, confondues volontairement ou par ignorance : Vivier, 1994, p. 121.
-
[8]
Pour les premiers : Leveau, 1996, Lebecq, 1972, Sarrazin, 1985, Saint-Denis, 1994, Pressouyre, 1996, Durand, 1998 ; pour les seconds : Fievez et Lalange, 1991.
-
[9]
Dienne, 1891.
-
[10]
Pour l’Alsace, Boelher, 1994 ; pour la Sologne, Guérin, 1960, Bouchard, 1972, Édeine, 1974 ; pour la Charente, Julien-Labruyère, 1982 ; pour la Touraine, Maillard, 1998 ; pour le Sud-Ouest, Zink, 1997 ; Touzery, 1995.
-
[11]
Pour les communaux, Vivier, 1999 ; pour l’élevage, Moriceau, 1999 ; pour le sel, Hocquet, 1984 ; pour le poisson, Abad, 1999 ; pour la démographie, Poitou, 1978.
-
[12]
Portelet, 1817, Dienne, 1891 et Moreau-David, 1977, ainsi que les thèses régionales mentionnées ci-dessus.
-
[13]
Haghe, 1998, et Derex, 2001.
-
[14]
Nous avons abordé cette histoire mais uniquement pour la Brie, Derex, 2001.
-
[15]
Concernant la pisciculture, pour l’Île-de-France, Abad, 1999 ; pour les Dombes, Bérard, 1983 ; pour la Brie, Derex, 2001 ; pour les sauniers et paludiers, Hocquet, 1984 ; pour les peigneurs de chancre, Belmont, 1998 ; pour l’exploitation de la tourbe, Sajaloli, 1993.
-
[16]
Poitou, 1978.
-
[17]
Zink, 1997.
-
[18]
Pour la région de Caen, Musset, 1985 ; pour la Petite Camargue, Vidal, 1985.
-
[19]
Pour la Picardie, l’Artois, le Cambrésis et le Beauvaisis, Demangeon, 1905 ; pour la Flandre, Blanchard, 1906 ; pour le Val de Loire, Dion, 1934 ; pour la Camargue, George, 1935 ; pour la côte atlantique enfin, Papy, 1941.
-
[20]
Sur les wadden du littoral français, Verger, 1983 ; pour le Laonnais, Sajaloli, 1993 ; pour l’étude des mares enfin, Sajaloli, 1998.
-
[21]
Gislain, 1977 ; Moreau-David, 1985, Geny, 1998.
-
[22]
Bérard, 1983.
-
[23]
Notons deux études : l’une britannique de Darby, 1973, l’autre française, Heslot, 1987.
-
[24]
Phillips, 1989.
-
[25]
Citons quatre ouvrages : Beekman, 1932, Borger, 1992, Henderikx, 1994, Van de Ven, 1994.
-
[26]
Menant, 1993, Ciriacono, 1994.
-
[27]
Sarrion, 1984.
-
[28]
Ciriacono, 1998.
-
[29]
Id, 2001.
-
[30]
Vivier, 1999, p. 9.
-
[31]
Moriceau, 1999, p. 121-122.
-
[32]
Avec la pensée aériste, s’esquissaient dans la seconde moitié du xviiie siècle les définitions du sain et du malsain. Elles ordonnèrent les normes du salubre et de l’insalubre.
-
[33]
Senac, Jean-Baptiste, Traité des causes et des accidents de la peste, avec un recueil d’observation, Paris, Mariette, 1744.
-
[34]
La Maillardière, Charles-François Lefevre de, Traité d’économie politique, Paris, Académie des sciences d’Amiens, 1782, p. 47.
-
[35]
Essuile, Jean-François, comte d’, Traité politique et économique des communes ou observations sur l’agriculture, sur l’origine, la destination et l’état actuel des biens communs, Paris, 1770, Desaint, p. 54 et p. 59.
-
[36]
En 1826, Montfalcon publia encore une Histoire des marais et traité des fièvres intermittentes causées par les émanations des eaux stagnantes.
-
[37]
L’air des marais était réputé « porter le mal » (d’où mala aria, mauvais air en italien donnant malaria).
-
[38]
Poitou, 1978.
-
[39]
Derex, 2001.
-
[40]
Le Vassor, Méthode générale et particulière puisée dans la véritable source pour le dessèchement des marais et des terres noyées, Paris, Visse, 1788, p. 31.
-
[41]
Vivier, 1999, p. 9.
-
[42]
Boelher, 1995, p. 654.
-
[43]
Édeine, 1974, p. 85.
-
[44]
Noël, 1997, p. 137. Relevant de la problématique de « développement durable », ce concept désigne une association maîtrisée, dans une perspective à long terme entre une logique de production agricole et une logique de valorisation territoriale des espaces ruraux.
-
[45]
Série C des archives départementales. Les travaux de Mireille Touzery sur le cadastre de Bertier de Sauvigny constituent un outil de première importance pour l’étude de ces espaces.
-
[46]
Arch. nat., H 1488 à 1496 et 1502 à 1512.
-
[47]
C’est le temps de la guerre d’indépendance en Amérique. Il fallait que la Royale puisse « s’approvisionner dans le Royaume et s’affranchir du tribut qu’elle paye depuis longtemps à l’étranger ».
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[48]
Arch. nat., F10 209A, 261, 309, 310, 312, 313, 315, 322 et 331, an II, et Derex, 2001, p. 156-171.
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[49]
Maurin, 1992, p. 59. Ce cadastre par nature de culture ne couvre que certains départements ou plutôt certains cantons par départements : 15 935 communes en 1808.
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[50]
Arch. nat., F10 2314 à 2317, 1860.
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[51]
Bernard, 1994.
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[52]
Noël, 1999. Au-delà de l’étude du Sud-Est Sénonais, l’auteur fournit une méthodologie qui permet de mettre réellement la toponymie au service de l’histoire rurale.
-
[53]
Bossi, cité par Haghe, 1998, p. 155.
-
[54]
Lamoignon de Courson, Mémoire sur la généralité de Bordeaux, p. 66, cité par Morinière, 1998, p. 130.
-
[55]
Archives historiques de la Gironde, vol. lix, p. 268, cité par Morinière, 1998, p. 130.
-
[56]
Dorgan, 1845, p. 13.
-
[57]
Sur les épidémies propres à ces zones, Le Roy Ladurie, 1966, p. 551-553, Bouchard, 1972, Lebrun, 1975, Poitou, 1978, Poussou, 1980.
-
[58]
Lebecq, 1997, p. 361.
-
[59]
Vidal, 1985, p. 262.
-
[60]
Rieupeyroux, 1984, p. 12.
-
[61]
Pecquet, Lois forestières de France, commentaire historique et raisonné de l’ordonnance de 1669, les règlements antérieurs et ceux qui l’ont suivie, Paris, Prault, 1753, t. ii, p. 82.
-
[62]
Teulade, 1992, p. 29.
-
[63]
Bloch, 1949, p. 15.
-
[64]
Baehrel, 1966.
-
[65]
Zink, 1997, p. 60.
-
[66]
Chillon, 1943, p. 11, et Roupnel, 1955.
-
[67]
Dion, 1934 ; Maillard, 1998, p. 216.
-
[68]
Moriceau, 1999, p. 101.
-
[69]
Derouard, 1988, p. 84.
-
[70]
Abad, 1999.
-
[71]
Thirsk, 1997.
-
[72]
Poussou, 1999, p. 131-147.
-
[73]
Lorsque les étangs étaient au repos tous les 5 ou 6 ans, on semait de l’avoine.
-
[74]
Papy, 1941, Blanchard, 1906.
-
[75]
Pour la Petite Camargue, Vidal, 1985 ; pour les étangs solognots, Édeine, 1974, p. 79.
-
[76]
Julien-Labruyère, 1982, t. i, p. 175.
-
[77]
Maillard, 1998, p. 301.
-
[78]
Bédoucha, 2000, p. 105.
-
[79]
Rieupeyroux, 1984, p. 14.
-
[80]
Musset, 1985, p. 155.
-
[81]
Ciriacono, 1998, p. xxiii.
-
[82]
Id., 1995, p. 300.
-
[83]
La Maillardière, op. cit., p. 38.
-
[84]
Est-ce là la cause du développement de la sorcellerie dans ces contrées ?
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[85]
Arch. dép. Calvados, C 4212, cité par Musset, p. 154
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[86]
Bernard, 1994.