Couverture de HES_084

Article de revue

La noblesse du Canada aux XVIIe et XVIIIe siècles

Pages 67 à 85

Notes

  • [1]
    Les recherches liées à cette communication ont pu être menées à bien grâce à une bourse de recherches accordée par le Centre Culturel Canadien (Paris) et au soutien du Centre Aquitain d’Histoire Moderne et Contemporaine (à présent Centre d’Études des Mondes Modernes et Contemporains) de l’Université de Bordeaux 3. Nous souhaitons remercier ici très vivement S. Dépatie, J.-P. Poussou et C. Vidal pour les précieux commentaires qu’ils ont faits sur les premières versions de ce travail. Le généalogiste québécois Yves Drolet a généreusement mis à notre disposition les notices des familles de la noblesse canadienne qu’il est en train de rédiger. Nous voudrions qu’il trouve ici l’expression de toute notre reconnaissance.
  • [2]
    Archives publiques du Canada. Rapport sur les archives du Canada, Ottawa, 1888, p. 21-49, plus précisément p. 33-37, ainsi que F. Ouellet, « La “noblesse canadienne” en 1767 : un inventaire », Histoire Sociale/Social History, avril 1968, 1, p. 129-138. La définition retenue par les administrateurs, qui ont compilé cette liste pour Guy Carleton, est très large, et elle englobe des gens qui, en métropole, n’auraient pas été reconnus comme nobles ; elle en omet également certains parmi les chefs de famille et surtout parmi les cadets. Le dossier a été complètement remis à plat par R. Larin et Y. Drolet dans un article à paraître dans Histoire sociale (vol. 41, n° 82, novembre 2008), intitulé « Les listes de Carleton et de Haldimand. États de la noblesse canadienne en 1767 et 1778 ».
  • [3]
    Nous travaillons, parallèlement à cet article, à une étude de la noblesse présente dans l’ensemble de l’espace atlantique français au XVIIIe siècle.
  • [4]
    La Nouvelle-France comprend, durant la majeure partie de notre période, l’ensemble des possessions françaises en Amérique du Nord, en particulier l’Acadie, le Canada, le pays des Illinois et la Louisiane. Nous concentrerons notre réflexion sur le Canada sans pour autant méconnaître l’existence d’un phénomène nobiliaire dans les autres parties de la Nouvelle-France.
  • [5]
    J. Meyer, La Noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, Imprimerie nationale, 1966 ; J.-M. Constant, Nobles et paysans français en Beauce aux XVIe et XVIIe siècles, Lille, Service de reproduction des thèses, Université de Lille 3, 1981 ; M. Figeac, Destins de la noblesse bordelaise, 1770-1830, Talence, Fédération historique du Sud-Ouest, Maison de l’archéologie, Université de Bordeaux 3, 1996.
  • [6]
    M. Nassiet, Noblesse et pauvreté : la petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIIe siècle, Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1993 ; L. Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994 ; O. Chaline, Godart de Belbeuf : le parlement, le roi et les Normands, Luneray, Bertout, 1996 ; F.-J. Ruggiu, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre : XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, L’Harmattan, 1997 ; L. Bourquin, Les nobles, la ville et le roi : l’autorité nobiliaire en Anjou pendant les Guerres de religion, 1560-1598, Paris, Belin, 2001 ; C. Le Mao, Les fortunes de Thémis : vie des magistrats du Parlement de Bordeaux au Grand siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2006 ; C. Coulomb, Les pères de la patrie : la société parlementaire en Dauphiné au temps des Lumières, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006.
  • [7]
    G. Aubert, Le président de Robien : gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières, Rennes, PUR, 2001 ; R. Baury, La maison de Bonneval : destin et fortune d’un lignage de la noblesse seconde des guerres de religion à la Troisième République, doctorat d’histoire, multigr., Université de Paris IV-Sorbonne, 1994 ; J. Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793) : une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995 ; M. Figeac-Monthus, Les Lur Saluces d’Yquem de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, Fédération historique du Sud-Ouest, Bordeaux, Mollat, 2000 ; V. Garrigues, Adrien de Monluc (1571-1646), Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2006 ; E. Haddad, Les comtes de Belin : fondation et ruine d’une maison (1582-1706), doctorat d’histoire, multigr., Université de Limoges, 2005.
  • [8]
    E. Schalk, L’épée et le sang : une histoire du concept de noblesse, vers 1500-vers 1650, Seyssel, Champvallon, 1996 ; J. Smith, The culture of merit : nobility, royal service, and the making of absolute monarchy in France, 1600-1789, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996 ; Idem, Nobility reimagined : the patriotic nation in eighteenth-century France, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 2005 ; R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, « essence » ou rapport social ? », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 46-1, janvier-mars 1999, p. 5-21 ; H. Drévillon, L’impôt du sang : le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005 ; F.-J. Ruggiu, « Des Mots à la mode… Un discours nobiliaire à la fin du règne de Louis XIV », dans J. Dumanovski et M. Figeac (dir.), Noblesse française – noblesse polonaise : mémoire, identité, culture, XVIe-XXe siècle, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006 ; G. Butaud et V. Piétri, Les enjeux de la généalogie, XIIe-XVIIIe siècle, Paris, Autrement, 2006.
  • [9]
    Ainsi L. Gadoury, au début de sa remarquable étude de la démographie de la noblesse canadienne, La noblesse de la Nouvelle-France : familles et alliances, Québec, Éditions Hurtubise, 1991, p. 7 ; ou encore D. Cros, La noblesse de la Nouvelle-France. Étude sociale et familiale, mémoire de maîtrise, multigr., Université de Paris IV-Sorbonne, 1994, p. 8. Thomas Wien a récemment rappelé que Louise Dechêne avait prévu, dans les premières esquisses de ce qui est devenu un livre posthume, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2008, une étude sur la noblesse canadienne mais qu’elle avait fait les frais d’une réorientation thématique survenue au début des années 1980 (p. 19, p. 22).
  • [10]
    Au sujet de ce personnage fascinant, auteur d’un roman célèbre, Les Anciens Canadiens, paru en 1862, on partira de la biographie que lui a consacré, en 2000, Luc Lacourcière, Dictionnaire biographique du Canada en ligne.
  • [11]
    Aegidius Fauteux, qui est, en particulier, l’auteur d’une étude toujours utile sur Les Chevaliers de Saint-Louis en Canada, Montréal, Les Éditions des Dix, 1940, en est un bon exemple.
  • [12]
    Selon l’analyse de F. Ouellet, « La formation d’une société dans la vallée du Saint-Laurent : d’une société sans classes à une société de classe », Canadian Historical Review, LXII, 4, 1981, p. 407-450, p. 419- 420.
  • [13]
    G. Frégault, La civilisation de la Nouvelle-France, Montréal, 1944.
  • [14]
    Cette théorie rejoint par ailleurs l’idée, que l’on retrouve souvent citée, d’une autonomie des habitants de la Nouvelle-France vis-à-vis de leurs supérieurs sociaux bien plus grande que celle des paysans de la métropole ; voir B. Sulte, « L’ancienne noblesse du Canada », Revue Canadienne, 1885, p. 298-306, 342-348, 396-405, 486-496 et 584-556, cité par L. Gadoury, op. cit., p. 8.
  • [15]
    Voir, en particulier, Les Canadiens après la conquête, 1759-1775. De la révolution canadienne à la révolution américaine, Montréal, Fides, 1969, ou, encore, son livre, très politique, La Présence anglaise et les Canadiens. Études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Montréal, Beauchemin, 1964, p. 42.
  • [16]
    On partira de D. Miquelon (dir.), Society and Conquest. The Debate in the bourgeoisie and social change in French Canada, 1700-1850, Toronto, Copp Clark Publishing, 1977, et, pour une appréciation globale du mouvement migratoire consécutif à la Conquête, R. Larin, Canadiens en Guyane, 1754-1805, Sillery et Paris, Septentrion et PUPS, p. 30-32 (sur le débat historiographique) et p. 33-62.
  • [17]
    [L. F. G.] Baby, L’exode des classes dirigeantes à la Cession du Canada, Montréal, 1899, en particulier p. 22. Le juge Baby avait constitué une collection d’ouvrages et de documents d’archives sur l’histoire du Canada, qu’il a léguée à la future Université de Montréal.
  • [18]
    Voir, par exemple, G. Frégault, La société canadienne sous le régime français, Les brochures de la Société Historique du Canada, 1960 : « Il n’est pas aisé d’indiquer avec précision la limite qui sépare la classe moyenne de la grande bourgeoisie et celle-ci de l’aristocratie. À vrai dire ces deux derniers groupes n’en font qu’un. […] Titrée ou non, de petite noblesse ou de bonne bourgeoisie, la classe supérieure, enrichie par le commerce, donne le ton à la société canadienne » (cité par C. Nish, Les bourgeois gentilshommes de la Nouvelle France 1729-1748, Montréal et Paris, Fides, 1968, p. 10) ; ou encore M. Brunet, La Présence anglaise et les Canadiens… , p. 50 : « La Nouvelle-France avait eu sa bourgeoisie. Celle-ci occupait les postes de commande dans le commerce, dans l’industrie, dans l’armée et dans l’administration. Elle se composait de nobles et de roturiers, de Français et de Canadiens ».
  • [19]
    Il est vrai que certaines figures avaient cumulé les fonctions et les occupations, aidées en cela par le contexte spécifique de la Nouvelle-France : une colonie à la population modeste, où la gamme des activités économiques était relativement restreinte.
  • [20]
    C. Nish, op. cit., p. 172-184. Le raisonnement de C. Nish, parfois difficile à suivre, a énormément vieilli.
  • [21]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale et groupes sociaux dans la vallée du Saint-Laurent (1663-1840) », Revue de l’Université d’Ottawa, vol. 47, n° 1-2, 1977, p. 183-213 ; F. Ouellet, « Les classes dominantes au Québec, 1760-1840 : un bilan historiographique », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 38, n° 2, automne 1984, p. 223-243 : « … nous avons toujours eu tendance à voir dans la société coloniale de l’époque française une société d’Ancien Régime au même titre que celle de la métropole. Pour nous, la Nouvelle-France était dominée par une noblesse militaire et foncière, avantagée dans le commerce des fourrures et jouissant de très forts appuis politiques, et par un clergé uni à l’État et privilégié », p. 128.
  • [22]
    W. J. Eccles, « The Social, Economic and Political Significance of the Military Establishment in New France », Canadian Historical Review, vol. LII, n° 1, March 1971, p. 1-22. Dans son livre posthume, Le peuple, l’État… , op. cit., en part. p. 219 et suivantes, Louise Dechêne fait de la militarisation du pouvoir colonial au cours du XVIIIe siècle, un des axes fondamentaux de l’évolution sociale de la Nouvelle-France.
  • [23]
    Il s’appuie sur les travaux de M. Trudel sur la répartition des fiefs en 1663 qui font apparaître que les nobles détiennent 47 % des fiefs mais 70 % des surfaces, alors que ces pourcentages sont respectivement de 44 % et de 14 % pour les roturiers, de 5 % et de 16 % pour le clergé. Ses propres calculs pour les extensions et les nouvelles concessions de fiefs entre 1670 et 1760, à partir de l’Inventaire des concessions en fief et seigneurie, fois et hommages et aveux et dénombrements conservés aux Archives de la province de Québec (Beauceville, Éclaireur, 1927-1929) de Pierre-Georges Roy, vont dans le même sens ; les nobles bénéficient de 170 nouvelles concessions, soit 66 % de l’ensemble, contre 78 (30 %) pour les roturiers et 6 (2 %) pour le clergé.
  • [24]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale… », op. cit., p. 186. Le livre de G. Chaussinand-Nogaret est son essai, dont l’impact a été considérable sur les études nobiliaires, La Noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux Lumières, Bruxelles, Complexe, 1984 [1re éd., 1976].
  • [25]
    F. Ouellet n’a bien sûr pas été le seul à tenir, dans les années 1970 et 1980, une telle position. A. Greer, dans Peasant, Lord, and Merchant : Rural Society in Three Quebec Parishes 1740-1840, Toronto, University of Toronto Press, 1985, insiste sur la dimension aristocratique de la société de la Nouvelle-France, en particulier lorsqu’il rappelle qu’ « il paraît tout à fait naturel que les représentants d’un État français dominé par les aristocrates, aient conçu une colonie de peuplement conforme à une conception vieille de mille ans et encore courante au XVIIe siècle, qu’ils aient vu la société comme divisée entre ceux qui travaillaient, ceux qui combattaient et ceux qui priaient, le premier groupe obéissant aux deux autres et les soutenant matériellement » (p. 8). Il est cependant plus nuancé que F. Ouellet lorsqu’il affirme, un peu plus haut : « Ainsi, aussi bien les éléments urbain et commerciaux que féodaux et agraires présents dans la France du XVIIe siècle ont contribué à la fondation du Canada et ont imprimé leur marque sur la colonie » (p. 5).
  • [26]
    Voir, par exemple, L. Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Paris, Plon, 1974, p. 48 et suiv. ou p. 382-387.
  • [27]
    Voir le site créé en partenariat entre la Direction des Archives de France, Bibliothèque et Archives Canada et l’Ambassade du Canada à Paris (http:// www. archivescanadafrance. org).
  • [28]
    B. Grenier, Seigneurs campagnards de la Nouvelle-France : présence seigneuriale et sociabilité rurale dans la vallée du Saint-Laurent à l’époque préindustrielle, Rennes, PUR, 2007.
  • [29]
    S. Imbeault, Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble après la conquête, 1760-1791, Sillery (Québec), Septentrion, 2004.
  • [30]
    M. Robert, « Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670-1764 », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 56, n° 1, été 2002. Il note en particulier le haut degré d’alphabétisation de la noblesse canadienne et la présence de livres dans 38 % des inventaires après décès retrouvés. On notera aussi la démarche originale de A. Faulkner, fondée sur l’archéologie, « Gentility on the Frontiers of Acadia, 1635- 1674. An Archaeological Perspective », dans P. Benes (dir.), New England/New France, 1600-1850, Boston, Boston University Press, 1993, p. 82-100.
  • [31]
    Voir, par exemple, M. Conrad, A. Finkel et C. Jaenen, History of the Canadian Peoples. Beginning to 1867, Toronto, Copp Clark Pitman, 1993, p. 205 ; G. Havard et C. Vidal, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, p. 363-370.
  • [32]
    L. Gadoury, op. cit., p. 61-71. Sur l’ensemble de la période, 21,7 % des nobles canadiens et 33,3 % des femmes sont demeurés célibataires.
  • [33]
    Ibid., p. 75. L’âge moyen au premier mariage des épouses des hommes nobles nées et mariées au Canada est de 22,6 ans pour l’ensemble de la période (19,7 ans pour le XVIIe siècle), et celui des filles nobles nées et mariées au Canada est de 23,6 ans pour l’ensemble de la période (20 ans pour le XVIIe siècle). L’âge moyen au premier mariage des hommes nobles est beaucoup plus élevé.
  • [34]
    Ibid., p. 117-123. Le nombre d’enfants moyens (dans les familles complètes) est de 9,7 enfants au XVIIe siècle et encore de 6,8 au XVIIIe siècle.
  • [35]
    I. Tanguay, Destin social d’une famille noble canadienne : les Boucher et leurs alliés (1667-1863), M. A., multigr., Université de Montréal, 2000. Au XVIIe siècle, les familles de 11 enfants et plus forment 59,6 % des familles complètes de la noblesse canadienne, et encore 21,6 % au XVIIIe siècle : L. Gadoury, op. cit., p. 119.
  • [36]
    L’abondance des naissances ne garantissait cependant pas la reproduction d’une famille et justement, dans le cas des Ailleboust, la famille est pratiquement éteinte à la fin du XVIIIe siècle : voir L. Gadoury, Une famille noble en Nouvelle-France : les d’Ailleboust, M. A., multigr., Université de Montréal, 1982.
  • [37]
    L. Choquette, De Français à paysans. Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, Sillery et Paris, Septentrion et PUPS, 2001.
  • [38]
    Il s’agit d’un calcul réalisé pour les premiers mariages : voir L. Gadoury, op. cit., p. 104. Voir, également, les analyses de B. Grenier pour les familles de seigneurs nobles qu’il a étudiées, op. cit., p. 128-131 : 65 % des unions sont hypogamiques.
  • [39]
    R. La Roque de Roquebrune, « Une Canadienne du XVIIIe siècle. Mademoiselle de Leigne », Nova Francia, 11, 1926-1927, p. 57-66.
  • [40]
    G. Havard et C. Vidal, op. cit., p. 366.
  • [41]
    Ils n’étaient pas inconnus, même s’ils étaient généralement combattus par les familles. Louis Joseph Morel de La Durantaye a ainsi longtemps interdit à son fils aîné et homonyme d’épouser Marguerite Dumont, fille de Julien Dumont, dit Lafleur, avec laquelle il avait eu un enfant en 1716. Il a fini cependant par l’épouser en 1723 : voir J.-. P. Morel de La Durantaye, Louis-Joseph Morel de La Durantaye, seigneur de Kamouraska, Sillery, Septentrion, 1999, p. 54-55. Voir également B. Grenier, op. cit., p. 129, qui cite d’autres cas d’oppositions parentales à des mariages avec des filles d’habitants.
  • [42]
    T. Berthet, dans Seigneurs et colons de Nouvelle-France. L’émergence d’une société distincte, Cachan, Éditions de l’ENS, 1992, p. 172-176, a retracé les tentatives d’introduire une imposition directe dans la colonie. Il ne cite cependant pas le projet de capitation de 1754 (CAOM, C11 A 99, ff. 529r.-533v.). La noblesse n’y constitue pas une catégorie séparée, mais le projet distingue, pour les strates supérieures, les autorités de la colonie, les membres du clergé et les différents établissements ecclésiastiques, les officiers militaires, les différents officiers de justice, les officiers de plume, les officiers de port, les administrateurs du domaine du roi et de la Compagnie des Indes, et, enfin, les négociants les plus aisés. Le projet se rapproche alors de la capitation telle qu’elle avait été instituée en 1695, où les ordres étaient confondus, mais il s’éloigne de l’impôt tel qu’il était perçu au XVIIIe siècle puisque la noblesse y était capitée à part.
  • [43]
    M. d’Allaire, Montée et déclin d’une famille noble : les Ruette d’Auteuil (1617-1737), Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1980, qui note, p. 32, l’incertitude autour de la noblesse de la famille.
  • [44]
    Voir également L. Dechêne, op. cit., p. 385-386 : « Le fief avec ses 6 000 hectares de forêt, huit censitaires, une dizaine d’arpents en culture derrière la maison et la grange et un petit moulin « menaçant ruine » ne vaut pas plus qu’une censive ordinaire ».
  • [45]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale… », op. cit., p. 200.
  • [46]
    Nous rejoignons ici les conclusions, récemment publiées, de L. Dechêne, Le Peuple, l’État et la Guerre… , op. cit., chap. 2 à 6.
  • [47]
    Voir, entre autres, l’observation du père Charlevoix au début des années 1720 : « Les plus à plaindre sont les gentilshommes et les officiers qui n’ont que leurs appointements et qui sont chargés de familles », Journal Historique… , op. cit., p. 172.
  • [48]
    W. Eccles ( « The Social, Economic and Political Significance… », op. cit.) rappelle ainsi qu’en 1685, le nombre des soldats présents en Nouvelle-France s’élèvent à 1600 pour une population civile de moins de 11 000 personnes.
  • [49]
    W. Eccles, « The Social, Economic and Political Significance… », op. cit., p. 3.
  • [50]
    Y. F. Zoltany rappelle ainsi, dans sa notice du Dictionnaire Biographique du Canada en ligne, que même Philippe Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, exploitait, à la fin des années 1710, deux postes particulièrement lucratifs (Témiscamingue, près du cours supérieur de la rivière Outaouais, et l’Île-aux-Tourtres, au confluent de l’Outaouais et du Saint-Laurent), auxquels il dut renoncer au début des années 1720 en raison de la concurrence qu’il exerçait vis-à-vis des marchands de Montréal.
  • [51]
    G. Allaire, « Officiers et marchands : les sociétés de commerce des fourrures, 1715-1760 », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 40, n° 3, hiver 1987, p. 409-428 : « … même en lui ajoutant les écuyers, dont le rôle dans la traite s’apparente plutôt à celui du voyageur et du marchand-voyageur, le groupe des commandants de poste et officiers militaires forme moins du quart du nombre total des associés. Si l’on exclut les écuyers, ce groupe ne fait que 14,9 % de l’ensemble et se retrouve encore plus concentré dans la deuxième période identifiée (1722-1734) », p. 422. – S. Dale Standen, « “Personnes sans caractère” : Private Merchants, Post Commanders and the Regulation of the Western Fur Trade, 1720-1745 », dans H. Watelet (dir.), De France en Nouvelle-France. Société fondatrice, société nouvelle, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1994, p. 265-295, souligne, lui aussi, que les officiers qui participaient à la traite, ce qui n’était pas le cas de tous, étaient le plus souvent des partenaires passifs recevant une rente liée à leur fonction.
  • [52]
    Voir les travaux d’Hervé Drévillon et de Jay Smith cités plus haut.
  • [53]
    La synthèse de G. Richard, Noblesse d’affaires au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1974, reste d’actualité et trouve des confirmations dans les monographies familiales.
  • [54]
    Voir G. Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux Lumières, op. cit., p. 77 et suivantes, pour un aperçu des niveaux de richesse dans la noblesse de la métropole. Ainsi, au XVIIe siècle, les fortunes nobiliaires montréalaises sont apparues particulièrement modestes à L. Dechêne, op. cit., p. 385 : « Dix-sept inventaires après décès décrivent des fortunes brutes variant entre 3 000 et 8 000 l. soit ce que laissent les bons artisans ». La situation de certaines familles s’est améliorée au XVIIIe siècle mais la noblesse du Canada demeure une noblesse relativement pauvre.
  • [55]
    Un point vigoureusement souligné par Charles de Raymond, à propos de la répartition des forts de l’Ouest canadien qui permettaient de tirer des revenus de la traite des fourrures : « Je vous dis que ce n’était absolument pas le rang ou l’ancienneté qui […] avait déterminé le choix des officiers qui commandaient ces postes, que c’était la faveur et que c’était presque toujours aux mêmes individus et aux mêmes familles que les postes lucratifs avaient été confiés. Ils ne quittent plus à présent les mains de familles appelées [Ramezay], La Corne, Marin père et fils (le père est le fils d’un simple sergent), de [Repentigny], Villiers, Beaujeu, [de Muy], Celoron, [La Perrière], Péan and Mercier qui actuellement tiennent toute la rivière de l’Illinois. […]. Bien d’autres familles françaises et d’autres officiers sont privés de telles affectations bien qu’ils aient en plusieurs occasions donné la mesure de leur savoir, de leur dévouement, de leur zèle et de leur désintéressement… » ; J.-L. Peyser (dir.), On the eve of the conquest : the Chevalier de Raymond’s critique of New France in 1754, Michigan State University Press, 1997, p. 77 (traduit du texte anglais).
  • [56]
    Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil (vers 1643-1725), gouverneur général de la Nouvelle-France, et son quatrième fils, Pierre de Rigaud, gouverneur de la Louisiane en 1742 et gouverneur général de la Nouvelle-France de 1755 à la Conquête.
  • [57]
    Gaspard Adhémar de Lantagnac est un bon exemple de ces officiers nés en France, mariés en Nouvelle-France, et qui, malgré les protections dont ils ont bénéficié, ne vivaient que difficilement. La correspondance des gouverneurs généraux et des intendants fait, en effet, apparaître une série de demandes en sa faveur, comme cette lettre de l’intendant Gilles Hocquart, datée du 1er octobre 1738, qui le décrit, alors qu’il est commandant du fort Chambly, « sans bien et chargé seul de dix jeunes enfants ». Il sollicite une expectative d’enseigne pour son fils aîné (Centre des Archives d’Outre-Mer [CAOM], COL [ONIES], C11A 69/ fol.242-242v). En 1741, c’est pour une de ses sept filles, désireuse d’entrer en religion, qu’il demande par l’intermédiaire du gouverneur général Charles de Beauharnois une aide qui lui est d’ailleurs refusée (CAOM, COL C11A 75/fol.228-229v). Devenu Lieutenant de roi à Montréal, il se retire, en mars 1756, avec une pension de 2 000 livres (Dictionnaire biographique du Canada en ligne) et il meurt en novembre 1756.
  • [58]
    Elle note ainsi que Pierre Boucher, le fondateur de la famille, anobli en 1661, ne prend la qualité que dans 13 actes sur les 29 qui ont été recensés par le Programme de Recherches de Démographie Historique.
  • [59]
    Le nombre des anoblis est donc, en réalité, sujet à discussion. L. Gadoury retient les noms de Robert Giffard (1658), Pierre Boucher (1661), Simon Denys de la Trinité (1668), Jean Godefroy de Linctot (1668), Charles Le Moyne (1668), Nicolas Dupont de Neuville (1669), René Robert Cavelier de La Salle (1675), Nicolas Juchereau de Saint-Denis (1692), Charles Aubert de la Chesnaye (1693), Jacques Leber (1696) et François Hertel (1716). Elle ne retient pas Guillaume Couillard, qui a reçu des lettres de noblesse dès 1654 et dont les fils en ont reçu de nouvelles en 1668, mais qui ne les ont apparemment jamais faites enregistrer.
  • [60]
    Charles Le Moyne, fondateur de la famille des Longueuil, arrivé dans la colonie en 1641 et qui y servit comme soldat et interprète avant d’en devenir un des principaux personnages, a ainsi reçu en 1668 des lettres de noblesse qui ne furent enregistrées par ses descendants au parlement de Paris et à la Cour des Aides qu’en 1717 (Dictionnaire Biographique du Canada en ligne). Les lettres de Pierre Boucher, anobli en 1661, furent apparemment perdues, et la famille « dut demander une autre faveur royale qui se fit attendre jusqu’en 1707 » (L. Gadoury, op. cit., p. 30). La famille Godefroy a rencontré le même problème : les lettres ont été perdues, la demande de confirmation de noblesse n’est arrivée qu’en 1717 et 1718, et elles n’ont été enregistrées au Conseil supérieur qu’en 1721 et 1743 (ibid., p. 31). Certaines familles n’ont jamais accompli l’ensemble de la procédure.
  • [61]
    CAOM, COL E 369, 4 février 1717.
  • [62]
    CAOM, COL C11A 44/fol.98-103v, 4 novembre 1721.
  • [63]
    Voir L. Gadoury, op. cit., p. 27-40.
  • [64]
    CAOM, COL C11A 2/fol.355-359v, Mémoire de Talon sur l’état présent du Canada (daté de 1667 par le catalogue) : « Comme ce petit corps est trop peu considérable pour bien soutenir, ainsi qu’il y est naturellement obligé, l’autorité du roi, et ses intérêts en toutes choses, mon sentiment serait de l’augmenter de huit autres personnes choisies entre les plus méritants et les mieux intentionnées, en laissant les noms en blanc ainsi qu’il a été fait l’an passé ». Ce passage a souvent été repris, en particulier par L. Gadoury, op. cit., p. 27 (qui le date cependant de 1669 dans le texte et de 1667 dans les notes).
  • [65]
    CAOM, COL C11A 3/fol.49-53, Mémoire de Talon sur le Canada, 1669 : « Huit lettres de noblesse en blanc, s’il plaît au roi de les accorder, pour de ce nombre, avec ce qui est en Canada, former un petit corps qui s’attache plus fortement aux intérêts de Sa Majesté ainsi qu’il y est spécialement obligé ».
  • [66]
    L. Gadoury, op. cit., p. 33-34.
  • [67]
    CAOM, COL C11A 8/fol.42-47v, 20 mai 1686 : « Sa Majesté n’a pas jugé à propos d’expédier les lettres de noblesse qu’il a proposé ; n’y ayant déjà que trop de gentilshommes en Canada, et elle a ordonné au sieur de Champigny de ne reconnaître pour tels que ceux qui rapporteront de bons titres ».
  • [68]
    Il évoque, en particulier, le sieur de Saint-Ours, gentilhomme du Dauphiné, chargé d’une femme et de dix enfants qui est venu « il n’y a que deux jours… pour avoir le permis de passer en France l’an prochain avec sa femme et ses enfants pour y chercher du pain et mettre ses enfants à servir de côté et d’autre chezu ceux qui les voudraient nourrir et pour lui d’essayer de se mettre dans les troupes… ». Il cite également le sieur de Linctot, les familles d’Halibout [Ailleboust], et Boucher.
  • [69]
    L. Dechêne (op. cit., p. 383) fait référence, sans le citer nommément, à une de ses lettres du 13 novembre 1685 (CAOM, C11 A 7, f. 93 v°) : « Avant tout, monseigneur, vous me permettrez de vous dire que la noblesse de ce pays nouveau est tout ce qu’il y a de plus gueux et que d’en augmenter le nombre c’est donner lieu à augmenter le nombre des fainéants ».
  • [70]
    CAOM, COL C11A 8/fol.129-159, 10 novembre 1686.
  • [71]
    Il est à noter que l’arrivée du gouverneur Denonville en 1685 marqua également, selon S. Belmessous ( « Être français en Nouvelle-France : Identité française et identité coloniale aux dix-septième et dix-huitième siècles », French Historical Studies, vol. 27, n° 3, Summer 2004), la fin de la politique de francisation des Améridiens : « Selon Denonville, la cohabitation interethnique, pourtant fondamentale dans le processus d’assimilation, devait être abandonnée au motif qu’elle corrompait colons et indigènes… ».
  • [72]
    L’édit du 15 avril 1684 fait « très expresses défenses aux habitants dudit pays de Canada ou Nouvelle France de quelque qualité ou condition qu’ils soient de prendre la qualité d’écuyer dans tous les actes publics et autres qui seront par eux passés, qu’ils ne soient véritablement gentilshommes et reconnus tels suivant les titres qui en seront par eux représentés par devant le sieur de Meulles, intendant… » (L. Gadoury, op. cit., p. 34.). En principe, les anoblis et les nobles résidents en Nouvelle-France devaient faire enregistrer leurs titres auprès du Conseil supérieur (ou souverain) de la colonie ; P.-G. Roy a réuni ces papiers dans Lettres de noblesse, généalogies, érections de comtés et de baronnies insinuées par le Conseil souverain de la Nouvelle-France, Beauceville, L’Éclaireur, 1920, 2 vol.
  • [73]
    BNF, Carrés d’Hozier 386.
  • [74]
    Dictionnaire biographique du Canada en ligne ; BNF, Chérin 172.
  • [75]
    C’est le cas, par exemple, des Morel de La Durantaye, dont la noblesse est attestée en Bretagne depuis le milieu du XVe siècle et qui ont été maintenus « noble [s] et d’extraction noble » en 1668 ; voir J.-P. Morel de La Durantaye, Olivier Morel de La Durantaye. Officier et seigneur en Nouvelle-France, Sillery, Septentrion, 1997, p. 16-17.
  • [76]
    L. Gadoury évoque, dans la même catégorie, les cas de Louis Rouer de Villeray, François Jarret de Verchères, Pierre Picoté de Belestre, Jacques Alexis Fleury-Deschambault, Gédéon de Catalogne, Claude Drouet de Richerville, Léon Levrault de Langis ou encore d’Etienne Myré de l’Argenterie.
  • [77]
    Orthographié parfois Outlas, voire Woutelass.
  • [78]
    Archives Nationales du Québec, étude de Jean-Baptiste Adhémar, 24 juillet 1729, et étude de Claude Barolet, 26 octobre 1744. Lors du premier mariage, Joseph Houtelas, écuyer, se dit fils de feu Thomas (sic) Houtelas, écuyer, commandant de vaisseaux.
  • [79]
    CAOM, COL E 185, 4 novembre 1754. Il résume l’histoire de son père, Jacques Alexis, « gentilhomme de Poitou », passé fort jeune en Canada et que M. Colbert « qui se connaissait si bien en homme » fit lieutenant général de la Prévôté de Montréal et colonel des milices. Il ajoute que son père n’avait pas voulu alors demander de lettres de noblesse, « convaincu qu’il avait l’honneur d’être gentilhomme ». Joseph Fleury, mort le 1er mai 1755, n’a pas reçu de réponse de Machault auquel le placet était destiné. Ses enfants ont renouvelé la demande, semble-t-il en vain.
  • [80]
    Voir J.-C. Waquet, François de Callières : l’art de négocier en France sous Louis XIV, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2005.
  • [81]
    F.-J. Ruggiu, « Ancienneté familiale et construction de l’identité nobiliaire dans la France de la fin de l’Ancien Régime », dans J. Pontet, M. Figeac et M. Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle : un modèle social ?, Anglet, Atlantica, 2002, t. I, p. 309-326.
  • [82]
    Voir les travaux de D. Fyson, qui, dans Magistrates, Police and People. Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto, Buffalo, Londres, University of Toronto Press, 2006, étudie l’insertion des élites francophones dans le système judiciaire mis en place par les autorités britanniques ou encore la belle monographie familiale de S. Imbeault, Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble après la conquête, 1760-1791, Sillery, Septentrion, 2004.
  • [83]
    Voir, à ce sujet, l’article à paraître de R. Larin, « L’exode de Canadiens à la Conquête. Le Petit-Canada de la Touraine », Société généalogique canadienne-française, octobre 2008.

1 En 1767, Guy Carleton, gouverneur du Canada, devenu une partie de l’empire britannique à la suite du traité de Paris de 1763, entreprit de faire dresser un état général des membres de ce qu’il appelait la Canadian noblesse [2]. Il était alors désireux de mieux connaître et de mieux contrôler la population des nouveaux sujets de la Couronne britannique. Il recensa trois cent sept hommes adultes, dont il fit préciser, ce qui demanda sans doute un effort considérable à son administration, le rang éventuel dans les troupes de la monarchie française, ainsi que les décorations reçues, l’âge, le lieu de résidence et, le cas échéant, le nombre d’enfants. Il prit même soin de distinguer entre les nobles demeurés au Canada, les nobles canadiens passés en France et les nobles nés en France mais ayant longtemps servi au Canada, et donc considérés en France comme des nobles canadiens.

2 Le recensement de Guy Carleton nous rappelle crûment que les colonies françaises de l’Amérique du Nord, mises en place, essentiellement, au cours du XVIIe siècle, pouvaient abriter un certain nombre de personnes appartenant à la noblesse du royaume de France, en ce sens qu’elles en revêtaient les attributs les plus courants, en particulier la qualité d’écuyer ou celle de chevalier  [3]. L’existence de ce groupe n’est pas passée inaperçue des historiens canadiens de la Nouvelle-France, mais il a été négligé par les historiens de la France qui l’ont rarement intégré à leurs réflexions sur la nature et l’évolution du second ordre, qui ont pris, pourtant, depuis une vingtaine d’années, une ampleur considérable  [4]. Les grandes monographies régionales, comme celles de Jean Meyer, de Jean-Marie Constant ou, plus récemment, de Michel Figeac  [5], ont, en effet, ouvert la voie, dans les années 1990, à un renouveau des études sur la société nobiliaire, marqué par l’analyse de sous-ensembles spécifiques (pauvre, seconde, urbaine, parlementaire, ou encore curiale  [6]), ou par la rédaction de brillantes monographies familiales  [7]. Depuis peu se fait plus pressante une interrogation sur les mécanismes mêmes qui permettent de définir la noblesse d’Ancien Régime  [8]. La diversité des identités englobées dans ce groupe social – dont les caractéristiques fondamentales semblent, de surcroît, changer très régulièrement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, en dépit des discours qui tendent à en exalter les vertus immémoriales – apparaissent de plus en plus clairement. Les vieilles oppositions – noblesse d’épée/noblesse de robe ; noblesse de race/noblesse accordée par le prince – sont donc remises en cause avec de plus en plus d’acuité par les historiens. Une des difficultés majeures auxquelles se heurte le spécialiste de la noblesse est, en effet, de préciser les processus sociaux par l’intermédiaire desquels un homme ou une femme en sont venus à en être revêtus : en effet, les distorsions entre, d’une part, les prétentions de bien des familles à une certaine forme de noblesse, ancienne, voire immémoriale, en tout cas sans contestation possible, et, d’autre part, l’agencement des preuves matérielles que la Couronne a commencé à exiger, avec de plus en plus de précision au cours du XVIIe siècle, étaient souvent grandes.

3 De ce fait, les effets de l’une et de l’autre conception de la noblesse d’une famille donnée sur les comportements et sur les identités de ses membres restent dans une large mesure à étudier. Notre travail sur la noblesse canadienne doit donc être conduit de manière à ce qu’il nous informe, même à la marge, sur l’évolution de la noblesse du royaume de France dans la seconde modernité. Il doit aussi nous aider, bien sûr, à réfléchir sur la nature même de la société de la Nouvelle-France dans son rapport à la société métropolitaine. Ce thème a été abordé par plusieurs générations de chercheurs et a donné lieu à des interprétations très différentes. Une partie des historiens canadiens ont justement avancé que la société établie dans la vallée du Saint-Laurent était relativement éloignée de celle de la métropole, en particulier parce que les rapports de domination inhérents à la division de la société en nobles et en roturiers, d’une part, et en seigneurs et en vassaux, d’autre part, y étaient beaucoup moins marqués. Un autre groupe de chercheurs a estimé, au contraire, que la société de la Nouvelle-France ne différait guère de la société française de l’époque.

4 Nous sommes encore loin de connaître les parcours sociaux de l’ensemble des familles de la noblesse canadienne et nous ne prétendons donc pas ici nous appuyer sur une étude prosopographique ou sur une biographie collective de ce groupe. Nous souhaitons seulement, dans un premier temps, rappeler les conditions historiographiques dans lesquelles se déploie une recherche sur la noblesse canadienne. Nous aborderons ensuite les structures institutionnelles et sociales dans lesquelles ont évolué les nobles du Canada, en essayant de présenter le degré de similitude et de différence avec les nobles de France. Enfin, nous présenterons, à travers une série d’exemples, les différentes origines de ces familles et les destins qu’elles ont pu connaître au sein de la colonie et en celui du royaume de France à laquelle elles appartenaient.

La noblesse canadienne, une question autrefois polémique

5 La plupart des historiens canadiens qui abordent la question de la noblesse de la vallée du Saint-Laurent, soulignent à quel point elle a été un objet d’études négligé  [9]. Sans être entièrement fausse, une telle remarque tend cependant à occulter le fait qu’elle a surtout été, génération après génération, un sujet de polémique. Jusque dans les années 1950, la noblesse canadienne a ainsi été traitée de deux façons opposées. Un ensemble disparate de travaux plus ou moins fouillés, exprimant une profonde nostalgie d’un ordre social en voie de disparition sous l’influence des migrations et de l’industrialisation, a exalté la pieuse et policée noblesse des temps anciens, ordonnatrice de la vie des campagnes et protectrice des habitants contre l’ennemi anglais. Les Mémoires de Philippe Joseph Aubert de Gaspé (1786-1871)  [10], ou encore l’étude comparée de l’abbé Couillard Després sur La noblesse de France et du Canada, ressortissent, entre autres, à cet ensemble auxquels appartiennent également, à des degrés divers, les nombreuses monographies familiales de l’archiviste en chef de la Province de Québec, Pierre-Georges Roy (1870-1953), ou encore les œuvres d’un nombre considérable d’érudits  [11]. Une autre approche a consisté, au contraire, à minorer la place de la noblesse dans la société de la Nouvelle-France comme l’ont fait l’abbé Lionel Groulx  [12], dont les écrits ont dominé le paysage historiographique de la première moitié du XXe siècle, ou encore Guy Frégault, dont les premiers travaux tendaient à confondre l’élite de la colonie avec le groupe des propriétaires de seigneuries qui pouvaient être nobles ou roturiers  [13]. Il était, de toute façon, largement admis, dans l’historiographie francophone de l’époque, que l’institution seigneuriale n’avait pas reproduit dans la vallée du Saint-Laurent les relations abruptes de domination qui la caractérisaient en Vieille-France. Elle aurait même favorisé l’instauration de rapports relativement harmonieux au sein de la société et éloigné les oppositions violentes qui débouchèrent, dans l’ancienne métropole, sur la Révolution de 1789  [14]. Dans la société ouverte qu’aurait été la Nouvelle-France sous le régime français, la noblesse n’aurait donc nullement joui d’une position de prééminence et une telle perception n’incitait évidemment pas à en dégager les spécificités.

6 À partir des années 1950, les positions des historiens canadiens sur la noblesse de la Nouvelle-France se sont extraordinairement compliqués sous l’influence combinée de deux mouvements distincts. Le premier, spécifique au Canada, a évidemment été la Révolution tranquille au sein de laquelle les historiens ont joué un rôle essentiel par les interprétations qu’ils donnaient du passé québécois. Il était alors presque impossible pour eux de réfléchir sur la nature de la société de la Nouvelle-France sans y intégrer le regard qu’ils portaient sur la société de leur temps ainsi que leurs craintes ou leurs espoirs pour son avenir. Réunis au sein de « l’école de Montréal », Guy Frégault, Maurice Séguin et, surtout, Michel Brunet  [15] ont ainsi construit une vision très pessimiste de l’histoire de la population francophone après la Conquête et jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Elle était destinée à prouver la continuité de l’oppression exercée sur elle par les Anglo-Saxons. « L’école de Laval », représentée par Fernand Ouellet ou encore par Jean Hamelin, s’est alors élevée contre cette vision de l’histoire canadienne en cherchant les raisons d’une si longue subordination dans le comportement même des Québécois. Les études sur la noblesse de la Nouvelle-France ont forcément été affectées par ce mouvement et le débat sur le destin de la noblesse de la Nouvelle-France après la Conquête (ou après la Cession) est un bon exemple de la manière dont les positions politiques des uns ou des autres ont pesé sur leurs lectures du passé  [16]. Il avait longtemps été admis que les autorités britanniques auraient forcé les élites de la colonie, et donc sa noblesse, à partir pour asseoir leur domination sur une paysannerie peu fortunée, peu organisée et peu alphabétisée. Cette thèse avait été remise en cause, dès la fin du XIXe siècle, par L. F. G. Baby qui avait, au contraire, souligné que bien des nobles avaient choisi de rester au Canada, et y avaient eu une influence protectrice pour les Canadiens-Français  [17]. Les historiens de l’école de Montréal ont, à leur tour, renversé la perspective en radicalisant la thèse d’une « décapitation sociale » voulue par la Grande-Bretagne, qui aurait brisé le développement de la colonie, et en avançant que les nobles qui n’étaient pas retournés en France avaient, en fait, trahi leur peuple en se ralliant au régime britannique pour préserver leur place dans l’ordre politique et social de la colonie. Les chercheurs de l’école de Québec, souvent basés à l’Université de Laval, ont, en réaction, eu tendance à minimiser l’importance de l’élite de la colonie en déplaçant le débat sur la nature même de l’élite de la Nouvelle-France.

7 La querelle s’est alors inscrite dans la seconde évolution qu’a connu l’historiographie québécoise, qui est liée à l’intérêt croissant pour l’étude des structures économiques et sociales de la Nouvelle-France à partir des sources d’archives. Dans les années 1960, l’Ancien Régime était souvent perçu comme la période de l’avènement progressif aux dépens de l’aristocratie féodale d’une « bourgeoisie » qu’il fallait donc identifier parmi les différents groupes sociaux observés si l’on voulait évaluer correctement le degré de modernité de la société antérieure à la Conquête. Sans forcément chercher à faire une histoire marxiste, les historiens de l’école de Montréal ont eu tendance à englober l’ensemble des élites de la colonie dans une « bourgeoisie », ou dans une « classe dominante », ou encore « supérieure », dont ils ont seulement ensuite tenté de préciser les contours et les attributs  [18]. Ils se sont tous heurtés à la nature forcément hétérogène de ce groupe où voisinaient les parcours sociaux généralement différents des administrateurs civils, des négociants ou des marchands des ports, des officiers militaires et des seigneurs  [19]. Les nobles et les roturiers n’étaient pas distingués, ce qui concordait mal avec les comportements tels qu’ils se lisaient dans les archives. Cameron Nish a même proposé de créer une catégorie sociale originale – le bourgeois-gentilhomme – qui aurait mêlé, dans le contexte canadien, les apparences sociales d’un noble d’Ancien Régime traditionnel et le comportement économique d’un bourgeois pré-capitaliste  [20].

8 En réaction à de telles constructions, il est vrai fragiles, F. Ouellet a insisté sur le caractère traditionnel de la société de la Nouvelle-France  [21]. Appuyé sur les travaux de William J. Eccles, qui avait mis en valeur le caractère militaire de la colonisation française au Canada  [22], il a affirmé avec force la volonté de la monarchie française de favoriser les nobles passés dans la colonie grâce à la distribution non seulement de fiefs  [23] mais aussi de gratifications, d’honneurs, de charges, ou encore de facilités pour le commerce des pelleteries. De surcroît, les familles ainsi avantagées étaient, selon lui, issues « de la petite noblesse rurale et militaire française – celle que Chaussinand-Nogaret décrit comme la plus traditionaliste »  [24]. La noblesse dominait donc en Nouvelle-France et la « bourgeoisie » n’y était, pour lui, qu’un groupe subalterne dont les membres les plus éminents – les magistrats des cours de justice, les négociants les plus importants – cherchaient avant tout à pénétrer le second ordre. La vision développée par F. Ouellet ne manquait pas de pertinence mais, à l’image de celle de ses pairs, elle était orientée par un objectif politique sous-jacent, celui d’accentuer les traits archaïques de l’élite coloniale, qui l’amenait à ne pas considérer pour elles-mêmes la nature et les spécificités de la noblesse de la Nouvelle-France  [25]. Pourtant, dès le début des années 1970, les travaux de Louise Dechêne sur l’île de Montréal, appuyés sur une connaissance approfondie de la société métropolitaine à l’époque moderne, acquise à Paris, auprès de Robert Mandrou, avaient donné une vision plus nuancée du phénomène nobiliaire au Canada  [26].

9 Depuis les années 1990, les travaux sur la noblesse de la Nouvelle-France ont changé de nature car une nouvelle génération d’historiens est apparue, qui travaille dans un contexte très différent. Au-delà d’une relative dépolitisation de la recherche historique, une des évolutions les plus importantes est la croissance exponentielle des informations mises à la disposition des chercheurs. Tout en continuant à utiliser les vastes correspondances administratives et les actes notariés, entièrement microfilmés et disponibles dans tous les dépôts régionaux du Québec, les historiens peuvent à présent se tourner vers les riches fonds familiaux conservés sur le site de Bibliothèque/ Archives Canada, et qui sont de mieux en mieux référencés. L’ensemble de cette documentation est d’ailleurs progressivement mise en ligne par l’intermédiaire du site Nouvelle-France Horizons Nouveaux  [27]. Les grandes enquêtes menées, par exemple, par le Programme de Recherches en Démographie Historique, sur le peuplement de la vallée du Saint-Laurent, ou encore par les équipes réunies autour de Jacques Mathieu puis d’Alain Laberge sur les seigneuries de la Nouvelle-France, ont généré dans leur sillage une masse considérable de travaux et créé des outils fondamentaux pour l’étude de la noblesse. Lorraine Gadoury a ainsi profité des données amassées par le P. R. D. H. pour mener une analyse de la démographie des familles nobles de la Nouvelle-France qu’elle a fait précéder de ce qui est à ce jour la seule synthèse sur la noblesse canadienne avant la Conquête, et Benoît Grenier s’est adossé à la seconde pour mener à bien son enquête sur les seigneurs résidants de la vallée du Saint-Laurent  [28]. L’histoire nobiliaire au Québec n’est donc plus cantonnée aux appréciations générales qui la réduisaient dans les années 1950 et 1960 à un enjeu de querelles historiques et politiques : elle tend à devenir un objet autonome, qui, même s’il reste moins fréquenté que la masse des documents disponibles ne le suggérerait, progresse, par exemple, par le biais de monographies familiales  [29], ou encore d’études liées à une histoire culturelle en plein essor  [30].

Les spécificités de la noblesse canadienne

10 Au-delà des polémiques que nous avons rappelées, un consensus semble à présent se dégager sur la présence d’une noblesse d’Ancien Régime au sommet de la hiérarchie sociale de la colonie  [31]. Le temps est donc venu de chercher à préciser ses caractéristiques majeures afin de voir si elle apparaît comme une partie intégrante de la noblesse française, avec certes quelques spécificités, ou si elle peut être considérée comme une construction sociale originale apparue en Amérique du Nord.

11 Le groupe formé par les nobles de la Nouvelle-France présente également deux caractéristiques démographiques, que l’on retrouve d’ailleurs en grande partie chez les roturiers. À la manière de ce qui se pratiquait en métropole, une partie des garçons et surtout des filles du groupe sont demeurés célibataires  [32] mais les couples mariés se sont révélés d’une grande fécondité, en grande partie en raison des bonnes conditions sanitaires qui ont longtemps régné dans la colonie. Les femmes se mariaient relativement tôt, autour de 23 ans  [33], les ménages étaient brisés moins rapidement qu’en métropole, et la mortalité infantile était plus faible, ce qui explique que bien des familles nobles aient compté un grand nombre d’enfants, en particulier au XVIIe siècle  [34]. Pierre Boucher, arrivé au Canada en 1635, anobli en 1661, et mort en 1717, a ainsi eu quinze enfants de son mariage avec Jeanne Crevier, dont quatorze sont parvenus à l’âge adulte, et dont dix se sont mariés. Les mâles ont ainsi fondé six branches de Boucher, les de Boucherville, les de Grandpré, qui sont passés en Louisiane, les de Grobois, les de Montbrun, les de La Périerre et les de Niverville. La génération suivante comptait soixante-cinq petits-enfants car, comme le note Isabelle Tanguay, toutes les unions furent fertiles, d’autres branches apparurent, et le nombre des descendants de Pierre Boucher continua à s’accroître aux troisième et quatrième générations  [35]. Charles d’Ailleboust, fils d’un commissaire et garde des magasins à Thionville, a eu, de son mariage en 1652 avec Catherine Le Gardeur de Repentigny, quatorze enfants dont onze ont atteint l’âge adulte et dont cinq – les garçons – se sont mariés. La génération suivante ne compta pas moins de quarante-quatre enfants, dont douze garçons qui fondèrent une famille  [36]. L’abondance des enfants accentuait cependant une certaine pauvreté nobiliaire, souvent déplorée, et peut-être intentionnellement exagérée, par les autorités de la province lorsqu’elles réclamaient des grâces au roi.

12 La seconde caractéristique démographique de la noblesse de la Nouvelle-France est qu’elle a été un des rares groupes pour lequel une immigration s’est maintenue au cours du XVIIIe siècle. Les travaux démographiques, en particulier ceux de Leslie Choquette, ont, en effet, démontré que les flux migratoires vers la colonie se sont pratiquement taris après le règne de Louis XIV  [37]. Or, l’arrivée des troupes de la Marine, voire parfois de régiments de l’armée régulière, encadrés par leurs officiers, a permis un accroissement constant de la population noble. Ces arrivants étaient jeunes, célibataires, et généralement dépourvus de fortune personnelle même si certains pouvaient être bien apparentés, et il n’est donc pas étonnant qu’ils aient massivement investi le marché matrimonial de la colonie. Les autorités, en particulier le gouverneur général, ont, d’ailleurs, tenté de contrôler les mariages des officiers qui, selon un principe souvent rappelé mais aussi souvent bafoué, ne pouvaient convoler qu’avec l’accord du roi. Une telle situation explique que les choix matrimoniaux des nobles de la Nouvelle-France aient été marqués par une réelle ouverture sociale. Sur l’ensemble de la période, 51 % seulement des conjointes des hommes nobles de la colonie étaient elles-mêmes nobles  [38]. Cette proportion est à peu près la même durant toute la période. Le taux d’endogamie est supérieur pour les femmes nobles puisque 60,1 % d’entre elles épousent des hommes nobles avec cependant une nette tendance au déclin de ce pourcentage au fur et à mesure que s’avance le XVIIIe siècle. L’étroitesse du marché matrimonial canadien explique en partie que les hommes nobles se soient tournés sans hésitation vers les filles d’administrateurs, de marchands ou de membres des professions libérales.

13 Ces unions rencontraient parfois des difficultés comme en atteste le cas célèbre de René Ovide Hertel de Rouville. En 1741, Marie Anne Baudouin, sa mère, s’est opposée au mariage de son fils, mineur âgé de 22 ans, avec Louise Catherine André, fille de Pierre André de Leigne, écuyer, lieutenant général civil et criminel au siège royal de la Prévôté de Québec  [39]. Les raisons de ce refus étaient sans doute liées à la pauvreté relative de la famille de sa future bru ainsi qu’à l’âge de cette dernière qui avait onze ans de plus que René Ovide. Le père de la future ne semble pas, lui non plus, avoir manifesté un grand enthousiasme à l’idée de cette union  [40]. Célébré une première fois le 21 mai à la chapelle Saint-Roch, ce mariage dut l’être à nouveau le 11 novembre de la même année, après que les deux époux eussent été interrogés et eussent fait part de leur désir réel et réciproque de se marier « sans contrainte, ni séduction ». En fait, ce sont les mariages avec les filles d’artisans voire d’habitants qui, sans être inconnus, faisaient l’objet d’un contrôle plus strict de la part des familles et étaient plus beaucoup rares  [41].

14 Une des principales différences avec la noblesse métropolitaine est que les privilèges qu’entraînait pour un habitant de la Nouvelle-France le fait d’être noble semblent pour le moins modestes. Ainsi, l’impôt direct, la taille, dont le paiement en métropole marquait avec certitude la roture, même si son exemption ne signifiait pas forcément la noblesse, n’a jamais été prélevé en Nouvelle-France. La capitation, qui a été levée en France à partir de la fin du XVIIe siècle, aussi bien sur les nobles que sur les roturiers, mais pour laquelle les nobles bénéficient de rôles séparés, n’a, elle non plus, jamais été appliquée en Nouvelle-France même si elle fut plusieurs fois évoquée et si un projet a été poussé très loin en 1754  [42]. Le fait de prendre la qualité d’écuyer dans les actes notariés, et de se dire noble en général, n’avait donc aucune conséquence financière, ni pour la communauté locale, qui ne surveillait pas les prétentions des individus avec autant de soin qu’en métropole, ni pour la monarchie. Une deuxième originalité de la Nouvelle-France était que les charges anoblis-santes n’y existaient pas. Les conseillers qui siégeaient au Conseil Supérieur (ou Souverain), au nombre de sept, puis de dix, enfin de douze personnes, étaient, en effet, nommés par le roi, et la charge qu’ils exerçaient ne conférait pas la noblesse, même si elle a pu favoriser pour certains d’entre eux un anoblissement plus ou moins discret, les prétentions de Louis Rouer de Villeray ou de Denis Joseph Ruette d’Auteuil ayant été clairement favorisées par leur présence au Conseil Supérieur dans la seconde moitié du XVIIe siècle  [43].

15 Une caractéristique plus profonde était liée au contexte dans lequel se développait l’économie de la colonie. Les voies de subsistance pour la noblesse, comme l’avaient souligné les gouverneurs des années 1680, étaient finalement relativement peu nombreuses. Certes, une partie des chefs de famille, surtout parmi les premiers arrivés, avait été largement dotée en seigneuries : Marcel Trudel a ainsi montré, qu’en 1663 le petit nombre de nobles déjà présents dans la colonie possédaient les trois quarts de la terre seigneuriale ; il en déduit que les nobles de 1663 étaient « largement nantis conformément à leur qualité », mais il précise immédiatement que la richesse dont ils disposaient était alors surtout virtuelle  [44]. Les censives étaient, en effet, loin d’avoir été toutes concédées et les revenus que les seigneurs nobles pouvaient donc en tirer étaient largement inexistants. Une telle situation s’est prolongée loin dans le XVIIIe siècle et, contrairement à une image largement construite au XIXe siècle, la noblesse de la Nouvelle-France vivait relativement peu sur ses domaines, préférant se concentrer dans les trois villes de la province. Sous cet angle, l’idée que la noblesse de la Nouvelle-France serait une noblesse avant tout « terrienne », qui semble une évidence dans une Amérique où le sol était si aisément disponible, apparaît donc fragile. Elle ne prend corps qu’à partir du deuxième tiers du XVIIIe siècle, lorsque la croissance démographique et l’appel des marchés européens ont dynamisé les revenus de l’agriculture  [45].

16 Les chefs de famille nobles ne pouvaient donc se contenter de vivre de leurs revenus fonciers. Le service militaire fut la voie qu’ils choisirent majoritairement pour deux raisons majeures  [46]. Elle assurait, au moins en principe, la subsistance, souvent médiocre, de leur famille grâce à la solde, mais aussi grâce aux différentes pensions que les officiers ayant longtemps servi pouvaient obtenir du roi  [47]. Une grande partie des correspondances administratives tourne d’ailleurs autour de la question des libéralités du roi envers ses officiers, leurs veuves, leurs fils et leurs filles. L’engagement dans l’armée, souvent de père en fils, renforçait par ailleurs l’identité nobiliaire de ces familles dans une région qui est demeurée, durant toute la période, une marche militaire où la proportion des troupes par rapport à la population civile était considérable  [48]. Les forces armées de la colonie étaient composées de l’armée régulière et de la milice. Les troupes régulières étaient formées par les régiments envoyés temporairement en Nouvelle-France lors des périodes de conflits, comme le régiment de Carignan-Salières, qui arriva en 1665 pour mettre un terme à la guerre contre les Iroquois, et, surtout, par les compagnies franches de la Marine qui stationnaient en permanence sur le territoire. Les commissions n’y étaient pas vénales mais elles étaient accordées par le roi. À partir de 1691, Louis XIV a accepté d’y faire entrer des nobles de Nouvelle-France et ils y sont devenus de plus en plus nombreux jusqu’à donner l’impression, durant la guerre de Sept Ans, qu’il s’agissait d’un corps canadien. La milice a été organisée en 1669 de façon à ce que tous les hommes de seize à soixante ans y soient enrôlés. Les compagnies paroissiales étaient commandées par un capitaine, un lieutenant et un enseigne ; dans les trois provinces de Québec, Montréal et Trois-Rivière, un état-major, composé par un commandant, un major et un aide-major, encadrait l’ensemble sous l’autorité du gouverneur  [49]. Les nobles locaux étaient rarement, comme cela été très tôt souligné par les historiens, désignés comme capitaine de milice, mais ils accaparaient les places de l’état-major de la milice. Le destin des nombreux enfants de la noblesse canadienne dépendait donc largement du nombre de postes offerts par les troupes dans la colonie et des relations qu’entretenaient les familles avec les autorités qui les pourvoyaient à Québec et à Versailles.

17 Enfin, la noblesse canadienne était dégagée de certaines des contraintes qui pesaient sur les nobles métropolitains. L’édit du 15 avril 1684 autorisait les nobles à pratiquer sans déroger le commerce de détail et non pas seulement le commerce de gros comme l’avait accordé à la noblesse française l’édit du mois d’août 1669 qui avait été confirmé par l’édit sur le commerce de 1701. Les nobles de la colonie n’avaient donc aucune raison d’hésiter, lorsqu’ils en avaient la possibilité, à pratiquer la traite des fourrures, soit dans les mêmes conditions que les roturiers, soit comme une activité dérivée de leur position de chef d’un poste dans le Pays d’en Haut  [50]. La réalité de l’engagement des officiers militaires, et au-delà des nobles de la colonie en général, dans les activités commerciales a été l’objet de débats historiographiques animés qui, pendant longtemps, ont été davantage fondés sur des impressions générales ou des cas particuliers que sur des enquêtes circonstanciées. Il apparaît dorénavant qu’ils se sont moins livrés à la traite des fourrures que cela n’a été parfois avancé d’autant qu’elle leur a parfois été explicitement interdite, même s’il est indiscutable que les commandants des forts du Pays d’en Haut ont pu y avoir des intérêts qui variaient, d’ailleurs, en fonction de l’attitude qu’avaient à leur égard les autorités provinciales et royales  [51]. Le portrait qui se dégage donc de la noblesse présente en Canada est celui d’une noblesse très militarisée mais, au fond, de la même manière qu’une bonne partie de la noblesse métropolitaine à partir du règne de Louis XIV  [52]. Elle n’hésitait pas non plus à entreprendre des actions commerciales, mais d’une manière similaire à celle de bien des nobles français engagés dans l’exploitation des ressources naturelles de leurs terres  [53].

18 Dans ce contexte spécifique, la noblesse canadienne ne constituait en rien un groupe homogène et ses membres se distinguent en réalité par une série d’éléments qui tendent, bien avant la Conquête et ses conséquences sociales, à composer en son sein une hiérarchie assez marquée. En cela, les origines et l’ancienneté dans la colonie sont des critères qui ne semblent guère discriminants. Il n’en va pas de même de la richesse, même si celle-ci ne connaît pas les écarts considérables qui caractérisent la noblesse métropolitaine  [54], ou encore de la place de l’individu, ou de sa famille, dans le système militaro-politique de la Nouvelle-France. Les nombreux rejetons des familles nobles du Canada ne pouvaient, en effet, tous servir dans les armées du roi. Certaines familles, souvent proches des autorités provinciales, ont réussi à prendre la meilleure part des charges militaires – et donc des facilités d’enrichissement, d’ailleurs toutes relatives, qu’offraient certaines d’entre elles – et des pensions qui en découlaient souvent pour eux et, le cas échéant, pour leurs veuves. D’autres n’ont pas, ou n’ont plus, participé à cette compétition pour la faveur, et elles ont donc progressivement été rejetées à la périphérie de la noblesse de la colonie  [55]. La noblesse canadienne, bien que peu nombreuse, était donc indiscutablement stratifiée. À son sommet, se trouvait la famille Rigaud de Vaudreuil, dont le rayonnement dépassait celui de la colonie, et qui n’a compté pas moins de deux gouverneurs généraux durant le XVIIIe siècle  [56]. En dessous, un groupe d’officiers militaires accaparait pour eux, pour leurs enfants, et pour leurs proches, les honneurs, en particulier les croix de Saint-Louis, les grades dans les troupes détachées de la Marine, et les places les plus lucratives. Elle formait alors une sorte de noblesse provinciale au sein de laquelle se détachent les Ramezay, ou encore les barons de Longueuil. À l’échelon inférieur se dégage un ensemble de familles moyennes qui servaient à l’armée, dans l’administration, ou encore qui pouvaient vivre de revenus de seigneuries exploitées d’une manière de plus en plus intensive. Une partie d’entre elles ne subsistaient pratiquement que par les soldes d’officiers ou les faveurs du roi  [57]. Enfin, apparaît une véritable plèbe nobiliaire, souvent contrainte de résider sur ses terres, d’ailleurs amoindries au fil des générations par les partages, isolée des milieux québécois, et dont les rejetons les moins doués ont entamé, dès avant la Conquête, une longue descente vers la paysannerie, scandée par des unions avec des fils ou des filles d’habitants. À l’exception de ce dernier trait, la noblesse présente en Canada ne se différencie guère, par sa structure, de la noblesse métropolitaine. Il en va de même si l’on considère les origines de ces familles.

Les origines mêlées de la noblesse canadienne

19 Lorraine Gadoury distingue plusieurs groupes parmi les fondateurs des familles de la noblesse canadienne en s’appuyant alternativement sur deux critères très différents qui sont la date d’arrivée dans la colonie et l’exercice de la profession des armes. Les « premiers nobles » forment ainsi, selon elle, un ensemble de 27 personnes arrivées dans la colonie entre 1636 et 1678. Les anoblis canadiens sont seulement au nombre de 11, qui ont reçu des lettres d’anoblissement entre 1658 et 1716. Le troisième groupe est constitué par les 22 officiers du régiment de Carignan-Salières qui a été envoyé dans la colonie en 1665. Le quatrième groupe est celui des 47 officiers des troupes de la Marine détachées en Nouvelle-France entre 1683 et 1688. Un cinquième ensemble réunit les 59 nobles, civils et militaires, venus en Nouvelle-France entre 1690 et 1759, et le sixième, les 15 officiers débarqués avec les troupes de terre envoyées combattre les Anglais au cours de la guerre de Sept Ans. L’historienne considère que ces 181 personnes, soit 11 anoblis et 170 immigrants, sont les fondateurs de la noblesse de la Nouvelle-France. L. Gadoury compte cependant à part 32 « nobles de passage » mariés dans la colonie, dont elle est sûre que 12 sont repartis en France, qui se détachent d’un plus grand nombre encore d’officiers militaires ou d’administrateurs qui sont simplement passés dans la colonie à une étape de leur carrière qu’elle a choisi de ne pas intégrer dans son étude. Elle regroupe, enfin, dans une même catégorie comprenant 26 personnes, les « agrégés à la noblesse canadienne » et les nobles dont elle a constaté qu’ils n’exerçaient pas de fonctions de pouvoir.

20 Les divisions qu’elle introduit ici ne sont pas sans poser un certain nombre de problèmes. Ainsi une partie des individus mentionnés dans cette dernière liste ont bel et bien pris, même irrégulièrement, les qualités d’écuyer ou de chevalier sans qu’elles leur aient été contestées, alors que certaines des personnes mentionnées dans les premiers groupes ont été ultérieurement rejetées de la noblesse par les généalogistes des ordres du roi. Dans son étude de la famille Boucher, Isabelle Tanguay conteste, d’ailleurs, une telle division et rappelle que les nobles canadiens, surtout au XVIIe siècle, ne rappelaient pas forcément la qualité d’écuyer dans tous les actes qu’ils passaient, sans doute parce qu’elle n’apportait pas de privilèges immédiats  [58]. S’il est facile de distinguer entre les nobles nés dans la colonie et les nobles nés en France, il est plus délicat de faire des distinctions entre ces derniers. Le critère du temps passé en Canada semble relativement sommaire et il est difficile d’apprécier en fait l’impact de l’expérience canadienne sur les individus. Il est donc préférable de considérer que la noblesse canadienne était composée, au minimum, de ces 239 personnes, arrivées dans la colonie entre 1636 et 1759, et de leurs éventuels descendants, ce qui amène à intégrer dans le groupe des nobles qui n’ont pas passé beaucoup de temps dans la colonie, ou d’autres qui n’avaient aucun titre réel, ou qui avaient des titres illusoires, mais qui étaient considérés comme tels par eux-mêmes et par leurs pairs.

21 Le groupe en principe le plus simple à identifier est donc celui des anoblis mais, comme souvent en histoire nobiliaire, il ne s’agit que d’une apparence car les familles n’ont pas toujours scrupuleusement accompli le parcours complexe que devaient suivre les lettres de noblesse que leur avait délivrées le roi  [59]. Il prévoyait, notamment, leur enregistrement devant la cour des Aides de Paris et devant le Conseil supérieur de la colonie  [60]. De surcroît, en août 1715, les lettres de noblesse qui avaient concédées par Louis XIV à partir du 1er janvier 1689, c’est-à-dire dans le contexte financièrement troublé des guerres de la Ligue d’Augsbourg puis de Succession d’Espagne, furent révoquées en bloc et certains des anoblis canadiens durent alors demander à être maintenus dans leur noblesse. Ce fut le cas, par exemple, de M. de Senneville et de son frère, qui étaient les fils de Jacques Leber, qui avait acheté une des 200 lettres de noblesse créées par l’édit de mars 1696 moyennant 6 000 livres  [61]. Toutes les demandes qui transitaient par les gouverneurs et/ou les intendants n’étaient d’ailleurs pas satisfaites. Les lettres espérées par les sieurs Crevier, seigneurs de Saint-François, n’arrivèrent apparemment jamais malgré la demande renouvelée par leur belle-fille et veuve en 1721  [62].

22 En fait, l’intendant Jean Talon avait envisagé de créer une véritable noblesse locale, en allant au-delà des propositions individuelles qu’il transmettait aux autorités métropolitaines  [63]. En 1667, il a ainsi suggéré que lui soient adressées huit lettres de noblesse en blanc afin qu’il puisse honorer motu proprio les meilleurs sujets de la colonie  [64], et il a renouvelé sa demande en 1669  [65]. Le raisonnement des administrateurs était que le don de la noblesse permettrait d’enraciner dans la colonie les individus les plus actifs et assurerait leur fidélité au roi. Si l’intendant Jacques Duchesneau (1675-1682), qui a remplacé Jean Talon, parti en 1672, semble avoir eu une position opposée à la sienne  [66], son propre successeur, Jacques de Meulles (1682-1685), a renoué avec la politique de Talon en multipliant les demandes de lettres de noblesse  [67]. Mais ils n’ont pas été suivis par les autorités royales qui ont clairement hésité devant la perspective de créer un groupe, qui, de leur point de vue, perdrait une partie de son utilité économique en entrant dans le second ordre. Les jugements très abrupts sur l’extrême pauvreté de certaines familles de la noblesse canadienne, portés par le gouverneur Jacques René de Brisay de Denonville,  [68], qui sont souvent cités  [69], semblent justifier ce point de vue : « Un bon paysan qui veut et peut travailler est à son aise en ce pays et tous nos nobles [sans] négoce ne peuvent jamais être que des gueux »  [70]. Il agite donc la perspective d’une noblesse trop nombreuse pour les ressources de la colonie, uniquement préoccupée de guerre et de grands espaces, et forcément oisive. Il poursuit cependant : « Il ne les faut pas chasser ni abandonner mais l’affaire est de les maintenir. Je ne vois pas que de défendre de prendre la qualité d’écuyer à ceux qui ne sont pas gentilshommes. Cela nous avance beaucoup surtout en ce temps de guerre car ils n’en seraient pas plus laborieux n’étant pas accoutumés à faire le métier de bon paysans. […] Je crois cependant que Mgr ne se doit pas déterminer à ne plus accorder aucunes lettres de noblesse mais bien de n’en donner qu’à ceux qui seront riches et qui entreront en quelque commerce car de faire en ce pays un noble pour n’être bon ni au commerce ni à aucune autre chose c’est augmenter le nombre des fainéants ». Les propos du gouverneur doivent donc être situés dans le cadre de son conflit avec l’intendant de Meulles et les critiques qu’il adresse à ce qui a été un des axes de la politique de ce dernier ne reflètent sans doute pas exactement la situation permanente de la noblesse de la Nouvelle-France  [71]. Il n’en demeure pas moins que la monarchie a entrepris d’accentuer son contrôle sur elle, en réclamant, à intervalles réguliers, que les titres soient vérifiés, en particulier par l’intendant ou par le Conseil supérieur de la Nouvelle-France  [72].

23 À côté de cette poignée d’anoblis, les nobles immigrés forment l’ensemble le plus important. Il s’agit pour l’essentiel d’officiers des troupes de la Marine ou des régiments envoyés servir en Nouvelle-France qui se sont établis dans la colonie, y ont reçu des seigneuries, au moins pour les premiers arrivés, et s’y sont pour la plupart mariés avec des filles de l’élite locale. Les Liénard de Beaujeu illustrent bien ces parcours souvent fondateurs de dynasties militaires. Elle est issue d’un commensal du roi, François Liénard de Beaujeu, écuyer, chef du gobelet de Sa Majesté, dont le fils Philippe a servi dans les chevau-légers du roi, où il a été porte-guidon, et il a également exercé la charge paternelle  [73]. Son propre fils, Louis, né à Versailles, est entré dans les troupes de la Marine, puis il est passé au Canada au début du XVIIIe siècle. Il y a épousé, le 6 septembre 1706, Thérèse Migeon, veuve de Charles Juchereau de Saint-Denis, écuyer, conseiller du roi et lieutenant général, civil et criminel de la juridiction de l’île de Montréal. Ses deux fils, Louis et Daniel, ont, à leur tour, servi dans les troupes du détachement de la Marine stationnées au Canada. La plupart des nobles passés au Canada présentent des profils similaires. Ils appartenaient parfois à des branches peu fortunées de familles distinguées mais le plus souvent ils étaient issus de familles plutôt obscures. Beaucoup étaient des cadets, comme Philippe de Rigaud de Vaudreuil lui-même, venus des régions méridionales de la France, et qui n’avaient reçu que leur légitime à la mort de leurs parents  [74].

24 La noblesse de ces fondateurs était généralement bien établie et elle avait été dûment constatée lors des enquêtes des années 1660  [75]. Une partie d’entre eux cependant n’avaient aucun titre tangible à faire valoir et plus encore avaient des titres dont l’évaluation se révèle complexe pour l’historien comme, d’ailleurs, pour les généalogistes du roi lorsqu’ils leur passent entre les mains. Certains étaient, en fait, partis de France avant que les édits des années 1660 n’organisent un contrôle plus étroit de l’accès au second ordre et alors qu’ils étaient pris dans un processus d’anoblissement taisible. Denis Joseph Ruette d’Auteuil, arrivé dans la colonie à la fin des années 1640, était ainsi revêtu d’une charge curiale qui lui donnait seulement la noblesse personnelle, mais ses descendants établis en Nouvelle-France ont continué à prendre les qualités de chevaliers ou d’écuyers sans être davantage inquiétés  [76]. Le processus s’est répété plus tard, par exemple pour Jean Houtelas  [77], un capitaine de navire, originaire de la ville de Londres, qui épouse, en 1692, à Québec, une Denys. Il s’agit peut-être à l’origine d’un huguenot, qui n’avait aucun titre de noblesse, mais qui s’est agrégé, au cours des années 1720 et 1730, au second ordre canadien. Les signatures aux deux contrats de mariage de son fils, Joseph Houtelas, écuyer, qui épouse une Boucher, descendante d’une famille d’anoblis canadiens, puis une Le Gardeur de Croisille, sont celles des principaux personnages de la colonie, y compris l’intendant et le gouverneur  [78]. Certaines familles ont été interrompues dans ce processus par la Conquête et elles se sont alors ralliées au système de reconnaissance sociale imposées par les vainqueurs.

25 La qualité nobiliaire apparaît donc avoir été relativement fluide dans la colonie. Malgré les tentatives de contrôle exercées par l’intendance, surtout dans les années 1680 et 1690, il était, semble-t-il, aisé pour un homme qui réussissait dans ses affaires ou dans l’armée de prendre à un moment ou à un autre, dans les actes notariés qu’il passait, la qualité d’écuyer et de la transmettre à ses descendants. Autour de ce processus se greffaient généralement des constructions mentales – bribes de souvenirs réinterprétés ; jeux sur les homonymies – qui permettaient à l’anobli taisible de jouir à bon droit de sa nouvelle qualité. Face aux autorités royales, la perte des papiers de famille lors d’une des nombreuses catastrophes naturelles ou humaines éprouvées par la colonie au cours de son histoire, était alors un argument ou un artifice auxquels il était aisé pour les colons de recourir. En 1754, à 82 ans, Joseph Fleury de la Gorgendière, seigneur Dechambault, de la Bosse et de la Gorgendière, a choisi cette excuse pour assouvir son désir de léguer à ses enfants une qualité qui ne prêterait à aucune contestation et dont il était vraisemblablement convaincu, au moins dans une certaine mesure  [79]. À la génération suivante, les enfants ne songeaient plus à mettre en doute la qualité nobiliaire de leur famille, et ils entendaient bénéficier de tous ses avantages.

26 La Nouvelle-France se distinguait-elle en cela de la métropole où, en principe, le second ordre était, au moins depuis les années 1660, sous la surveillance vigilante de la Couronne ? Pour poser la question autrement, l’anoblissement taisible dont certains des colons semblent avoir bénéficié à l’échelle de la colonie était-il réellement devenu impossible en France après les enquêtes patronnées par Louis XIV et Colbert ? La réponse semble plus complexe qu’il n’y paraît. Il n’est, en effet, pas rare de repérer, encore sous le règne de Louis XIV, et dans de belles positions de pouvoir, de véritables hybrides sociaux revêtus de qualités auxquelles rien ne les prédestinait. La famille de Callières, rendue célèbre par les frères François, académicien et diplomate, et Louis-Hector, gouverneur-général du Canada de 1698 à sa mort, en 1703, en est un excellent exemple  [80]. Bien des généalogies dressées par le rigoureux Bernard Chérin, généalogiste des Ordres du roi, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, sont également emplies de zones d’ombre sur lesquelles il était apparemment possible de passer  [81]. Dans son ensemble, la noblesse française de la fin de l’Ancien Régime était un groupe socialement bien plus fluide que les discours tenus à son propos et les identités affichées par ses membres ne le laissent penser, et les spécificités de la noblesse du Canada, finalement, s’inséraient dans cet ensemble.

Conclusion : une noblesse entre deux mondes

27 Les nobles canadien évoluaient donc dans un contexte spécifique qui tendait à uniformiser leur profil même s’ils tendaient à se différencier de plus en plus sur le plan de la fortune. Ils étaient issus de familles de la moyenne ou, plus souvent, de la petite noblesse métropolitaine, dont un membre était passé outre-mer dans le cadre d’une carrière qui était généralement militaire et menée au sein des troupes de la Marine qui n’étaient pas parmi les régiments les plus prestigieux de l’armée royale. Une partie des familles étaient d’origine roturière et elles étaient entrées dans la noblesse soit par un anoblissement officiel soit par un anoblissement taisible – reconnu à l’échelle de la colonie et plus difficilement dans le royaume – assez semblables à ceux qui se sont produits en masse à la fin du XVe siècle et au XVIe siècle, c’est-à-dire au moment de la reconstruction de la noblesse française après les pertes du XIVe siècle et avant que la monarchie n’entreprenne de définir à son profit les conditions d’accès et de validité de la noblesse française. Nous voyons alors les principaux personnages d’une communauté, administrateurs, propriétaires fonciers, militaires, se glisser plus ou moins facilement dans la noblesse et obtenir, à la longue, une reconnaissance, même du bout des lèvres, du pouvoir royal. À l’exception d’une poignée de juristes, entrés au Conseil supérieur de la colonie, la noblesse de la Nouvelle-France était essentiellement militaire, et elle apparaît en cela comme la réalisation, certes à petite échelle, de la noblesse de service, en particulier dans les armées, que Louis XIV a consciemment cherché à forger. Elle disposait bien sûr de seigneuries mais qui rapportèrent peu avant la seconde moitié du XVIIIe siècle, et ses membres eurent donc peu de scrupules à chercher à s’enrichir, ou, tout simplement, à subsister, en pratiquant le commerce des fourrures lorsqu’ils en avaient l’occasion, ce qui ne fut donné qu’à un petit nombre d’entre eux. Les barrières matrimoniales entre les groupes sociaux, qui jouaient à plein en France en raison de la grandeur du vivier des époux et des épouses possibles, ne les arrêtaient nullement.

28 Partie intégrante de la noblesse française, par ses origines et par ses valeurs, la noblesse du Canada n’était pas une noblesse « moderne », ouverte sur le commerce, comme l’ont parfois affirmé certains historiens canadiens, même si elle n’était pas tout à fait semblable à celle de la métropole en raison de son degré considérable de militarisation. Elle prouve, en tout cas, la très grande capacité d’adaptation des nobles et de la noblesse française de la seconde modernité qui n’est ni un ordre figé ni un groupe en voie de dissolution dans une « élite » de la richesse ou de la culture. Un chantier passionnant sera donc justement d’étudier la manière dont ces familles ont géré la situation dérivée de la Conquête, qui a vu les uns tenter de s’accommoder, parfois fort bien, du régime anglais  [82], et les autres essayer de s’acclimater à une France qui, le plus souvent, ne les attendait pas  [83].

Notes

  • [1]
    Les recherches liées à cette communication ont pu être menées à bien grâce à une bourse de recherches accordée par le Centre Culturel Canadien (Paris) et au soutien du Centre Aquitain d’Histoire Moderne et Contemporaine (à présent Centre d’Études des Mondes Modernes et Contemporains) de l’Université de Bordeaux 3. Nous souhaitons remercier ici très vivement S. Dépatie, J.-P. Poussou et C. Vidal pour les précieux commentaires qu’ils ont faits sur les premières versions de ce travail. Le généalogiste québécois Yves Drolet a généreusement mis à notre disposition les notices des familles de la noblesse canadienne qu’il est en train de rédiger. Nous voudrions qu’il trouve ici l’expression de toute notre reconnaissance.
  • [2]
    Archives publiques du Canada. Rapport sur les archives du Canada, Ottawa, 1888, p. 21-49, plus précisément p. 33-37, ainsi que F. Ouellet, « La “noblesse canadienne” en 1767 : un inventaire », Histoire Sociale/Social History, avril 1968, 1, p. 129-138. La définition retenue par les administrateurs, qui ont compilé cette liste pour Guy Carleton, est très large, et elle englobe des gens qui, en métropole, n’auraient pas été reconnus comme nobles ; elle en omet également certains parmi les chefs de famille et surtout parmi les cadets. Le dossier a été complètement remis à plat par R. Larin et Y. Drolet dans un article à paraître dans Histoire sociale (vol. 41, n° 82, novembre 2008), intitulé « Les listes de Carleton et de Haldimand. États de la noblesse canadienne en 1767 et 1778 ».
  • [3]
    Nous travaillons, parallèlement à cet article, à une étude de la noblesse présente dans l’ensemble de l’espace atlantique français au XVIIIe siècle.
  • [4]
    La Nouvelle-France comprend, durant la majeure partie de notre période, l’ensemble des possessions françaises en Amérique du Nord, en particulier l’Acadie, le Canada, le pays des Illinois et la Louisiane. Nous concentrerons notre réflexion sur le Canada sans pour autant méconnaître l’existence d’un phénomène nobiliaire dans les autres parties de la Nouvelle-France.
  • [5]
    J. Meyer, La Noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, Imprimerie nationale, 1966 ; J.-M. Constant, Nobles et paysans français en Beauce aux XVIe et XVIIe siècles, Lille, Service de reproduction des thèses, Université de Lille 3, 1981 ; M. Figeac, Destins de la noblesse bordelaise, 1770-1830, Talence, Fédération historique du Sud-Ouest, Maison de l’archéologie, Université de Bordeaux 3, 1996.
  • [6]
    M. Nassiet, Noblesse et pauvreté : la petite noblesse en Bretagne, XVe-XVIIIe siècle, Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1993 ; L. Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994 ; O. Chaline, Godart de Belbeuf : le parlement, le roi et les Normands, Luneray, Bertout, 1996 ; F.-J. Ruggiu, Les élites et les villes moyennes en France et en Angleterre : XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, L’Harmattan, 1997 ; L. Bourquin, Les nobles, la ville et le roi : l’autorité nobiliaire en Anjou pendant les Guerres de religion, 1560-1598, Paris, Belin, 2001 ; C. Le Mao, Les fortunes de Thémis : vie des magistrats du Parlement de Bordeaux au Grand siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2006 ; C. Coulomb, Les pères de la patrie : la société parlementaire en Dauphiné au temps des Lumières, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006.
  • [7]
    G. Aubert, Le président de Robien : gentilhomme et savant dans la Bretagne des Lumières, Rennes, PUR, 2001 ; R. Baury, La maison de Bonneval : destin et fortune d’un lignage de la noblesse seconde des guerres de religion à la Troisième République, doctorat d’histoire, multigr., Université de Paris IV-Sorbonne, 1994 ; J. Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793) : une nébuleuse aristocratique au XVIIIe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 1995 ; M. Figeac-Monthus, Les Lur Saluces d’Yquem de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle, Fédération historique du Sud-Ouest, Bordeaux, Mollat, 2000 ; V. Garrigues, Adrien de Monluc (1571-1646), Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2006 ; E. Haddad, Les comtes de Belin : fondation et ruine d’une maison (1582-1706), doctorat d’histoire, multigr., Université de Limoges, 2005.
  • [8]
    E. Schalk, L’épée et le sang : une histoire du concept de noblesse, vers 1500-vers 1650, Seyssel, Champvallon, 1996 ; J. Smith, The culture of merit : nobility, royal service, and the making of absolute monarchy in France, 1600-1789, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996 ; Idem, Nobility reimagined : the patriotic nation in eighteenth-century France, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press, 2005 ; R. Descimon, « Chercher de nouvelles voies pour interpréter les phénomènes nobiliaires dans la France moderne. La noblesse, « essence » ou rapport social ? », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 46-1, janvier-mars 1999, p. 5-21 ; H. Drévillon, L’impôt du sang : le métier des armes sous Louis XIV, Paris, Tallandier, 2005 ; F.-J. Ruggiu, « Des Mots à la mode… Un discours nobiliaire à la fin du règne de Louis XIV », dans J. Dumanovski et M. Figeac (dir.), Noblesse française – noblesse polonaise : mémoire, identité, culture, XVIe-XXe siècle, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006 ; G. Butaud et V. Piétri, Les enjeux de la généalogie, XIIe-XVIIIe siècle, Paris, Autrement, 2006.
  • [9]
    Ainsi L. Gadoury, au début de sa remarquable étude de la démographie de la noblesse canadienne, La noblesse de la Nouvelle-France : familles et alliances, Québec, Éditions Hurtubise, 1991, p. 7 ; ou encore D. Cros, La noblesse de la Nouvelle-France. Étude sociale et familiale, mémoire de maîtrise, multigr., Université de Paris IV-Sorbonne, 1994, p. 8. Thomas Wien a récemment rappelé que Louise Dechêne avait prévu, dans les premières esquisses de ce qui est devenu un livre posthume, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2008, une étude sur la noblesse canadienne mais qu’elle avait fait les frais d’une réorientation thématique survenue au début des années 1980 (p. 19, p. 22).
  • [10]
    Au sujet de ce personnage fascinant, auteur d’un roman célèbre, Les Anciens Canadiens, paru en 1862, on partira de la biographie que lui a consacré, en 2000, Luc Lacourcière, Dictionnaire biographique du Canada en ligne.
  • [11]
    Aegidius Fauteux, qui est, en particulier, l’auteur d’une étude toujours utile sur Les Chevaliers de Saint-Louis en Canada, Montréal, Les Éditions des Dix, 1940, en est un bon exemple.
  • [12]
    Selon l’analyse de F. Ouellet, « La formation d’une société dans la vallée du Saint-Laurent : d’une société sans classes à une société de classe », Canadian Historical Review, LXII, 4, 1981, p. 407-450, p. 419- 420.
  • [13]
    G. Frégault, La civilisation de la Nouvelle-France, Montréal, 1944.
  • [14]
    Cette théorie rejoint par ailleurs l’idée, que l’on retrouve souvent citée, d’une autonomie des habitants de la Nouvelle-France vis-à-vis de leurs supérieurs sociaux bien plus grande que celle des paysans de la métropole ; voir B. Sulte, « L’ancienne noblesse du Canada », Revue Canadienne, 1885, p. 298-306, 342-348, 396-405, 486-496 et 584-556, cité par L. Gadoury, op. cit., p. 8.
  • [15]
    Voir, en particulier, Les Canadiens après la conquête, 1759-1775. De la révolution canadienne à la révolution américaine, Montréal, Fides, 1969, ou, encore, son livre, très politique, La Présence anglaise et les Canadiens. Études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Montréal, Beauchemin, 1964, p. 42.
  • [16]
    On partira de D. Miquelon (dir.), Society and Conquest. The Debate in the bourgeoisie and social change in French Canada, 1700-1850, Toronto, Copp Clark Publishing, 1977, et, pour une appréciation globale du mouvement migratoire consécutif à la Conquête, R. Larin, Canadiens en Guyane, 1754-1805, Sillery et Paris, Septentrion et PUPS, p. 30-32 (sur le débat historiographique) et p. 33-62.
  • [17]
    [L. F. G.] Baby, L’exode des classes dirigeantes à la Cession du Canada, Montréal, 1899, en particulier p. 22. Le juge Baby avait constitué une collection d’ouvrages et de documents d’archives sur l’histoire du Canada, qu’il a léguée à la future Université de Montréal.
  • [18]
    Voir, par exemple, G. Frégault, La société canadienne sous le régime français, Les brochures de la Société Historique du Canada, 1960 : « Il n’est pas aisé d’indiquer avec précision la limite qui sépare la classe moyenne de la grande bourgeoisie et celle-ci de l’aristocratie. À vrai dire ces deux derniers groupes n’en font qu’un. […] Titrée ou non, de petite noblesse ou de bonne bourgeoisie, la classe supérieure, enrichie par le commerce, donne le ton à la société canadienne » (cité par C. Nish, Les bourgeois gentilshommes de la Nouvelle France 1729-1748, Montréal et Paris, Fides, 1968, p. 10) ; ou encore M. Brunet, La Présence anglaise et les Canadiens… , p. 50 : « La Nouvelle-France avait eu sa bourgeoisie. Celle-ci occupait les postes de commande dans le commerce, dans l’industrie, dans l’armée et dans l’administration. Elle se composait de nobles et de roturiers, de Français et de Canadiens ».
  • [19]
    Il est vrai que certaines figures avaient cumulé les fonctions et les occupations, aidées en cela par le contexte spécifique de la Nouvelle-France : une colonie à la population modeste, où la gamme des activités économiques était relativement restreinte.
  • [20]
    C. Nish, op. cit., p. 172-184. Le raisonnement de C. Nish, parfois difficile à suivre, a énormément vieilli.
  • [21]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale et groupes sociaux dans la vallée du Saint-Laurent (1663-1840) », Revue de l’Université d’Ottawa, vol. 47, n° 1-2, 1977, p. 183-213 ; F. Ouellet, « Les classes dominantes au Québec, 1760-1840 : un bilan historiographique », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 38, n° 2, automne 1984, p. 223-243 : « … nous avons toujours eu tendance à voir dans la société coloniale de l’époque française une société d’Ancien Régime au même titre que celle de la métropole. Pour nous, la Nouvelle-France était dominée par une noblesse militaire et foncière, avantagée dans le commerce des fourrures et jouissant de très forts appuis politiques, et par un clergé uni à l’État et privilégié », p. 128.
  • [22]
    W. J. Eccles, « The Social, Economic and Political Significance of the Military Establishment in New France », Canadian Historical Review, vol. LII, n° 1, March 1971, p. 1-22. Dans son livre posthume, Le peuple, l’État… , op. cit., en part. p. 219 et suivantes, Louise Dechêne fait de la militarisation du pouvoir colonial au cours du XVIIIe siècle, un des axes fondamentaux de l’évolution sociale de la Nouvelle-France.
  • [23]
    Il s’appuie sur les travaux de M. Trudel sur la répartition des fiefs en 1663 qui font apparaître que les nobles détiennent 47 % des fiefs mais 70 % des surfaces, alors que ces pourcentages sont respectivement de 44 % et de 14 % pour les roturiers, de 5 % et de 16 % pour le clergé. Ses propres calculs pour les extensions et les nouvelles concessions de fiefs entre 1670 et 1760, à partir de l’Inventaire des concessions en fief et seigneurie, fois et hommages et aveux et dénombrements conservés aux Archives de la province de Québec (Beauceville, Éclaireur, 1927-1929) de Pierre-Georges Roy, vont dans le même sens ; les nobles bénéficient de 170 nouvelles concessions, soit 66 % de l’ensemble, contre 78 (30 %) pour les roturiers et 6 (2 %) pour le clergé.
  • [24]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale… », op. cit., p. 186. Le livre de G. Chaussinand-Nogaret est son essai, dont l’impact a été considérable sur les études nobiliaires, La Noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux Lumières, Bruxelles, Complexe, 1984 [1re éd., 1976].
  • [25]
    F. Ouellet n’a bien sûr pas été le seul à tenir, dans les années 1970 et 1980, une telle position. A. Greer, dans Peasant, Lord, and Merchant : Rural Society in Three Quebec Parishes 1740-1840, Toronto, University of Toronto Press, 1985, insiste sur la dimension aristocratique de la société de la Nouvelle-France, en particulier lorsqu’il rappelle qu’ « il paraît tout à fait naturel que les représentants d’un État français dominé par les aristocrates, aient conçu une colonie de peuplement conforme à une conception vieille de mille ans et encore courante au XVIIe siècle, qu’ils aient vu la société comme divisée entre ceux qui travaillaient, ceux qui combattaient et ceux qui priaient, le premier groupe obéissant aux deux autres et les soutenant matériellement » (p. 8). Il est cependant plus nuancé que F. Ouellet lorsqu’il affirme, un peu plus haut : « Ainsi, aussi bien les éléments urbain et commerciaux que féodaux et agraires présents dans la France du XVIIe siècle ont contribué à la fondation du Canada et ont imprimé leur marque sur la colonie » (p. 5).
  • [26]
    Voir, par exemple, L. Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, Paris, Plon, 1974, p. 48 et suiv. ou p. 382-387.
  • [27]
    Voir le site créé en partenariat entre la Direction des Archives de France, Bibliothèque et Archives Canada et l’Ambassade du Canada à Paris (http:// www. archivescanadafrance. org).
  • [28]
    B. Grenier, Seigneurs campagnards de la Nouvelle-France : présence seigneuriale et sociabilité rurale dans la vallée du Saint-Laurent à l’époque préindustrielle, Rennes, PUR, 2007.
  • [29]
    S. Imbeault, Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble après la conquête, 1760-1791, Sillery (Québec), Septentrion, 2004.
  • [30]
    M. Robert, « Le livre et la lecture dans la noblesse canadienne 1670-1764 », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 56, n° 1, été 2002. Il note en particulier le haut degré d’alphabétisation de la noblesse canadienne et la présence de livres dans 38 % des inventaires après décès retrouvés. On notera aussi la démarche originale de A. Faulkner, fondée sur l’archéologie, « Gentility on the Frontiers of Acadia, 1635- 1674. An Archaeological Perspective », dans P. Benes (dir.), New England/New France, 1600-1850, Boston, Boston University Press, 1993, p. 82-100.
  • [31]
    Voir, par exemple, M. Conrad, A. Finkel et C. Jaenen, History of the Canadian Peoples. Beginning to 1867, Toronto, Copp Clark Pitman, 1993, p. 205 ; G. Havard et C. Vidal, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, p. 363-370.
  • [32]
    L. Gadoury, op. cit., p. 61-71. Sur l’ensemble de la période, 21,7 % des nobles canadiens et 33,3 % des femmes sont demeurés célibataires.
  • [33]
    Ibid., p. 75. L’âge moyen au premier mariage des épouses des hommes nobles nées et mariées au Canada est de 22,6 ans pour l’ensemble de la période (19,7 ans pour le XVIIe siècle), et celui des filles nobles nées et mariées au Canada est de 23,6 ans pour l’ensemble de la période (20 ans pour le XVIIe siècle). L’âge moyen au premier mariage des hommes nobles est beaucoup plus élevé.
  • [34]
    Ibid., p. 117-123. Le nombre d’enfants moyens (dans les familles complètes) est de 9,7 enfants au XVIIe siècle et encore de 6,8 au XVIIIe siècle.
  • [35]
    I. Tanguay, Destin social d’une famille noble canadienne : les Boucher et leurs alliés (1667-1863), M. A., multigr., Université de Montréal, 2000. Au XVIIe siècle, les familles de 11 enfants et plus forment 59,6 % des familles complètes de la noblesse canadienne, et encore 21,6 % au XVIIIe siècle : L. Gadoury, op. cit., p. 119.
  • [36]
    L’abondance des naissances ne garantissait cependant pas la reproduction d’une famille et justement, dans le cas des Ailleboust, la famille est pratiquement éteinte à la fin du XVIIIe siècle : voir L. Gadoury, Une famille noble en Nouvelle-France : les d’Ailleboust, M. A., multigr., Université de Montréal, 1982.
  • [37]
    L. Choquette, De Français à paysans. Modernité et tradition dans le peuplement du Canada français, Sillery et Paris, Septentrion et PUPS, 2001.
  • [38]
    Il s’agit d’un calcul réalisé pour les premiers mariages : voir L. Gadoury, op. cit., p. 104. Voir, également, les analyses de B. Grenier pour les familles de seigneurs nobles qu’il a étudiées, op. cit., p. 128-131 : 65 % des unions sont hypogamiques.
  • [39]
    R. La Roque de Roquebrune, « Une Canadienne du XVIIIe siècle. Mademoiselle de Leigne », Nova Francia, 11, 1926-1927, p. 57-66.
  • [40]
    G. Havard et C. Vidal, op. cit., p. 366.
  • [41]
    Ils n’étaient pas inconnus, même s’ils étaient généralement combattus par les familles. Louis Joseph Morel de La Durantaye a ainsi longtemps interdit à son fils aîné et homonyme d’épouser Marguerite Dumont, fille de Julien Dumont, dit Lafleur, avec laquelle il avait eu un enfant en 1716. Il a fini cependant par l’épouser en 1723 : voir J.-. P. Morel de La Durantaye, Louis-Joseph Morel de La Durantaye, seigneur de Kamouraska, Sillery, Septentrion, 1999, p. 54-55. Voir également B. Grenier, op. cit., p. 129, qui cite d’autres cas d’oppositions parentales à des mariages avec des filles d’habitants.
  • [42]
    T. Berthet, dans Seigneurs et colons de Nouvelle-France. L’émergence d’une société distincte, Cachan, Éditions de l’ENS, 1992, p. 172-176, a retracé les tentatives d’introduire une imposition directe dans la colonie. Il ne cite cependant pas le projet de capitation de 1754 (CAOM, C11 A 99, ff. 529r.-533v.). La noblesse n’y constitue pas une catégorie séparée, mais le projet distingue, pour les strates supérieures, les autorités de la colonie, les membres du clergé et les différents établissements ecclésiastiques, les officiers militaires, les différents officiers de justice, les officiers de plume, les officiers de port, les administrateurs du domaine du roi et de la Compagnie des Indes, et, enfin, les négociants les plus aisés. Le projet se rapproche alors de la capitation telle qu’elle avait été instituée en 1695, où les ordres étaient confondus, mais il s’éloigne de l’impôt tel qu’il était perçu au XVIIIe siècle puisque la noblesse y était capitée à part.
  • [43]
    M. d’Allaire, Montée et déclin d’une famille noble : les Ruette d’Auteuil (1617-1737), Ville LaSalle, Hurtubise HMH, 1980, qui note, p. 32, l’incertitude autour de la noblesse de la famille.
  • [44]
    Voir également L. Dechêne, op. cit., p. 385-386 : « Le fief avec ses 6 000 hectares de forêt, huit censitaires, une dizaine d’arpents en culture derrière la maison et la grange et un petit moulin « menaçant ruine » ne vaut pas plus qu’une censive ordinaire ».
  • [45]
    F. Ouellet, « Propriété seigneuriale… », op. cit., p. 200.
  • [46]
    Nous rejoignons ici les conclusions, récemment publiées, de L. Dechêne, Le Peuple, l’État et la Guerre… , op. cit., chap. 2 à 6.
  • [47]
    Voir, entre autres, l’observation du père Charlevoix au début des années 1720 : « Les plus à plaindre sont les gentilshommes et les officiers qui n’ont que leurs appointements et qui sont chargés de familles », Journal Historique… , op. cit., p. 172.
  • [48]
    W. Eccles ( « The Social, Economic and Political Significance… », op. cit.) rappelle ainsi qu’en 1685, le nombre des soldats présents en Nouvelle-France s’élèvent à 1600 pour une population civile de moins de 11 000 personnes.
  • [49]
    W. Eccles, « The Social, Economic and Political Significance… », op. cit., p. 3.
  • [50]
    Y. F. Zoltany rappelle ainsi, dans sa notice du Dictionnaire Biographique du Canada en ligne, que même Philippe Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, exploitait, à la fin des années 1710, deux postes particulièrement lucratifs (Témiscamingue, près du cours supérieur de la rivière Outaouais, et l’Île-aux-Tourtres, au confluent de l’Outaouais et du Saint-Laurent), auxquels il dut renoncer au début des années 1720 en raison de la concurrence qu’il exerçait vis-à-vis des marchands de Montréal.
  • [51]
    G. Allaire, « Officiers et marchands : les sociétés de commerce des fourrures, 1715-1760 », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 40, n° 3, hiver 1987, p. 409-428 : « … même en lui ajoutant les écuyers, dont le rôle dans la traite s’apparente plutôt à celui du voyageur et du marchand-voyageur, le groupe des commandants de poste et officiers militaires forme moins du quart du nombre total des associés. Si l’on exclut les écuyers, ce groupe ne fait que 14,9 % de l’ensemble et se retrouve encore plus concentré dans la deuxième période identifiée (1722-1734) », p. 422. – S. Dale Standen, « “Personnes sans caractère” : Private Merchants, Post Commanders and the Regulation of the Western Fur Trade, 1720-1745 », dans H. Watelet (dir.), De France en Nouvelle-France. Société fondatrice, société nouvelle, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 1994, p. 265-295, souligne, lui aussi, que les officiers qui participaient à la traite, ce qui n’était pas le cas de tous, étaient le plus souvent des partenaires passifs recevant une rente liée à leur fonction.
  • [52]
    Voir les travaux d’Hervé Drévillon et de Jay Smith cités plus haut.
  • [53]
    La synthèse de G. Richard, Noblesse d’affaires au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1974, reste d’actualité et trouve des confirmations dans les monographies familiales.
  • [54]
    Voir G. Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle : de la féodalité aux Lumières, op. cit., p. 77 et suivantes, pour un aperçu des niveaux de richesse dans la noblesse de la métropole. Ainsi, au XVIIe siècle, les fortunes nobiliaires montréalaises sont apparues particulièrement modestes à L. Dechêne, op. cit., p. 385 : « Dix-sept inventaires après décès décrivent des fortunes brutes variant entre 3 000 et 8 000 l. soit ce que laissent les bons artisans ». La situation de certaines familles s’est améliorée au XVIIIe siècle mais la noblesse du Canada demeure une noblesse relativement pauvre.
  • [55]
    Un point vigoureusement souligné par Charles de Raymond, à propos de la répartition des forts de l’Ouest canadien qui permettaient de tirer des revenus de la traite des fourrures : « Je vous dis que ce n’était absolument pas le rang ou l’ancienneté qui […] avait déterminé le choix des officiers qui commandaient ces postes, que c’était la faveur et que c’était presque toujours aux mêmes individus et aux mêmes familles que les postes lucratifs avaient été confiés. Ils ne quittent plus à présent les mains de familles appelées [Ramezay], La Corne, Marin père et fils (le père est le fils d’un simple sergent), de [Repentigny], Villiers, Beaujeu, [de Muy], Celoron, [La Perrière], Péan and Mercier qui actuellement tiennent toute la rivière de l’Illinois. […]. Bien d’autres familles françaises et d’autres officiers sont privés de telles affectations bien qu’ils aient en plusieurs occasions donné la mesure de leur savoir, de leur dévouement, de leur zèle et de leur désintéressement… » ; J.-L. Peyser (dir.), On the eve of the conquest : the Chevalier de Raymond’s critique of New France in 1754, Michigan State University Press, 1997, p. 77 (traduit du texte anglais).
  • [56]
    Philippe de Rigaud, marquis de Vaudreuil (vers 1643-1725), gouverneur général de la Nouvelle-France, et son quatrième fils, Pierre de Rigaud, gouverneur de la Louisiane en 1742 et gouverneur général de la Nouvelle-France de 1755 à la Conquête.
  • [57]
    Gaspard Adhémar de Lantagnac est un bon exemple de ces officiers nés en France, mariés en Nouvelle-France, et qui, malgré les protections dont ils ont bénéficié, ne vivaient que difficilement. La correspondance des gouverneurs généraux et des intendants fait, en effet, apparaître une série de demandes en sa faveur, comme cette lettre de l’intendant Gilles Hocquart, datée du 1er octobre 1738, qui le décrit, alors qu’il est commandant du fort Chambly, « sans bien et chargé seul de dix jeunes enfants ». Il sollicite une expectative d’enseigne pour son fils aîné (Centre des Archives d’Outre-Mer [CAOM], COL [ONIES], C11A 69/ fol.242-242v). En 1741, c’est pour une de ses sept filles, désireuse d’entrer en religion, qu’il demande par l’intermédiaire du gouverneur général Charles de Beauharnois une aide qui lui est d’ailleurs refusée (CAOM, COL C11A 75/fol.228-229v). Devenu Lieutenant de roi à Montréal, il se retire, en mars 1756, avec une pension de 2 000 livres (Dictionnaire biographique du Canada en ligne) et il meurt en novembre 1756.
  • [58]
    Elle note ainsi que Pierre Boucher, le fondateur de la famille, anobli en 1661, ne prend la qualité que dans 13 actes sur les 29 qui ont été recensés par le Programme de Recherches de Démographie Historique.
  • [59]
    Le nombre des anoblis est donc, en réalité, sujet à discussion. L. Gadoury retient les noms de Robert Giffard (1658), Pierre Boucher (1661), Simon Denys de la Trinité (1668), Jean Godefroy de Linctot (1668), Charles Le Moyne (1668), Nicolas Dupont de Neuville (1669), René Robert Cavelier de La Salle (1675), Nicolas Juchereau de Saint-Denis (1692), Charles Aubert de la Chesnaye (1693), Jacques Leber (1696) et François Hertel (1716). Elle ne retient pas Guillaume Couillard, qui a reçu des lettres de noblesse dès 1654 et dont les fils en ont reçu de nouvelles en 1668, mais qui ne les ont apparemment jamais faites enregistrer.
  • [60]
    Charles Le Moyne, fondateur de la famille des Longueuil, arrivé dans la colonie en 1641 et qui y servit comme soldat et interprète avant d’en devenir un des principaux personnages, a ainsi reçu en 1668 des lettres de noblesse qui ne furent enregistrées par ses descendants au parlement de Paris et à la Cour des Aides qu’en 1717 (Dictionnaire Biographique du Canada en ligne). Les lettres de Pierre Boucher, anobli en 1661, furent apparemment perdues, et la famille « dut demander une autre faveur royale qui se fit attendre jusqu’en 1707 » (L. Gadoury, op. cit., p. 30). La famille Godefroy a rencontré le même problème : les lettres ont été perdues, la demande de confirmation de noblesse n’est arrivée qu’en 1717 et 1718, et elles n’ont été enregistrées au Conseil supérieur qu’en 1721 et 1743 (ibid., p. 31). Certaines familles n’ont jamais accompli l’ensemble de la procédure.
  • [61]
    CAOM, COL E 369, 4 février 1717.
  • [62]
    CAOM, COL C11A 44/fol.98-103v, 4 novembre 1721.
  • [63]
    Voir L. Gadoury, op. cit., p. 27-40.
  • [64]
    CAOM, COL C11A 2/fol.355-359v, Mémoire de Talon sur l’état présent du Canada (daté de 1667 par le catalogue) : « Comme ce petit corps est trop peu considérable pour bien soutenir, ainsi qu’il y est naturellement obligé, l’autorité du roi, et ses intérêts en toutes choses, mon sentiment serait de l’augmenter de huit autres personnes choisies entre les plus méritants et les mieux intentionnées, en laissant les noms en blanc ainsi qu’il a été fait l’an passé ». Ce passage a souvent été repris, en particulier par L. Gadoury, op. cit., p. 27 (qui le date cependant de 1669 dans le texte et de 1667 dans les notes).
  • [65]
    CAOM, COL C11A 3/fol.49-53, Mémoire de Talon sur le Canada, 1669 : « Huit lettres de noblesse en blanc, s’il plaît au roi de les accorder, pour de ce nombre, avec ce qui est en Canada, former un petit corps qui s’attache plus fortement aux intérêts de Sa Majesté ainsi qu’il y est spécialement obligé ».
  • [66]
    L. Gadoury, op. cit., p. 33-34.
  • [67]
    CAOM, COL C11A 8/fol.42-47v, 20 mai 1686 : « Sa Majesté n’a pas jugé à propos d’expédier les lettres de noblesse qu’il a proposé ; n’y ayant déjà que trop de gentilshommes en Canada, et elle a ordonné au sieur de Champigny de ne reconnaître pour tels que ceux qui rapporteront de bons titres ».
  • [68]
    Il évoque, en particulier, le sieur de Saint-Ours, gentilhomme du Dauphiné, chargé d’une femme et de dix enfants qui est venu « il n’y a que deux jours… pour avoir le permis de passer en France l’an prochain avec sa femme et ses enfants pour y chercher du pain et mettre ses enfants à servir de côté et d’autre chezu ceux qui les voudraient nourrir et pour lui d’essayer de se mettre dans les troupes… ». Il cite également le sieur de Linctot, les familles d’Halibout [Ailleboust], et Boucher.
  • [69]
    L. Dechêne (op. cit., p. 383) fait référence, sans le citer nommément, à une de ses lettres du 13 novembre 1685 (CAOM, C11 A 7, f. 93 v°) : « Avant tout, monseigneur, vous me permettrez de vous dire que la noblesse de ce pays nouveau est tout ce qu’il y a de plus gueux et que d’en augmenter le nombre c’est donner lieu à augmenter le nombre des fainéants ».
  • [70]
    CAOM, COL C11A 8/fol.129-159, 10 novembre 1686.
  • [71]
    Il est à noter que l’arrivée du gouverneur Denonville en 1685 marqua également, selon S. Belmessous ( « Être français en Nouvelle-France : Identité française et identité coloniale aux dix-septième et dix-huitième siècles », French Historical Studies, vol. 27, n° 3, Summer 2004), la fin de la politique de francisation des Améridiens : « Selon Denonville, la cohabitation interethnique, pourtant fondamentale dans le processus d’assimilation, devait être abandonnée au motif qu’elle corrompait colons et indigènes… ».
  • [72]
    L’édit du 15 avril 1684 fait « très expresses défenses aux habitants dudit pays de Canada ou Nouvelle France de quelque qualité ou condition qu’ils soient de prendre la qualité d’écuyer dans tous les actes publics et autres qui seront par eux passés, qu’ils ne soient véritablement gentilshommes et reconnus tels suivant les titres qui en seront par eux représentés par devant le sieur de Meulles, intendant… » (L. Gadoury, op. cit., p. 34.). En principe, les anoblis et les nobles résidents en Nouvelle-France devaient faire enregistrer leurs titres auprès du Conseil supérieur (ou souverain) de la colonie ; P.-G. Roy a réuni ces papiers dans Lettres de noblesse, généalogies, érections de comtés et de baronnies insinuées par le Conseil souverain de la Nouvelle-France, Beauceville, L’Éclaireur, 1920, 2 vol.
  • [73]
    BNF, Carrés d’Hozier 386.
  • [74]
    Dictionnaire biographique du Canada en ligne ; BNF, Chérin 172.
  • [75]
    C’est le cas, par exemple, des Morel de La Durantaye, dont la noblesse est attestée en Bretagne depuis le milieu du XVe siècle et qui ont été maintenus « noble [s] et d’extraction noble » en 1668 ; voir J.-P. Morel de La Durantaye, Olivier Morel de La Durantaye. Officier et seigneur en Nouvelle-France, Sillery, Septentrion, 1997, p. 16-17.
  • [76]
    L. Gadoury évoque, dans la même catégorie, les cas de Louis Rouer de Villeray, François Jarret de Verchères, Pierre Picoté de Belestre, Jacques Alexis Fleury-Deschambault, Gédéon de Catalogne, Claude Drouet de Richerville, Léon Levrault de Langis ou encore d’Etienne Myré de l’Argenterie.
  • [77]
    Orthographié parfois Outlas, voire Woutelass.
  • [78]
    Archives Nationales du Québec, étude de Jean-Baptiste Adhémar, 24 juillet 1729, et étude de Claude Barolet, 26 octobre 1744. Lors du premier mariage, Joseph Houtelas, écuyer, se dit fils de feu Thomas (sic) Houtelas, écuyer, commandant de vaisseaux.
  • [79]
    CAOM, COL E 185, 4 novembre 1754. Il résume l’histoire de son père, Jacques Alexis, « gentilhomme de Poitou », passé fort jeune en Canada et que M. Colbert « qui se connaissait si bien en homme » fit lieutenant général de la Prévôté de Montréal et colonel des milices. Il ajoute que son père n’avait pas voulu alors demander de lettres de noblesse, « convaincu qu’il avait l’honneur d’être gentilhomme ». Joseph Fleury, mort le 1er mai 1755, n’a pas reçu de réponse de Machault auquel le placet était destiné. Ses enfants ont renouvelé la demande, semble-t-il en vain.
  • [80]
    Voir J.-C. Waquet, François de Callières : l’art de négocier en France sous Louis XIV, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2005.
  • [81]
    F.-J. Ruggiu, « Ancienneté familiale et construction de l’identité nobiliaire dans la France de la fin de l’Ancien Régime », dans J. Pontet, M. Figeac et M. Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle : un modèle social ?, Anglet, Atlantica, 2002, t. I, p. 309-326.
  • [82]
    Voir les travaux de D. Fyson, qui, dans Magistrates, Police and People. Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto, Buffalo, Londres, University of Toronto Press, 2006, étudie l’insertion des élites francophones dans le système judiciaire mis en place par les autorités britanniques ou encore la belle monographie familiale de S. Imbeault, Les Tarieu de Lanaudière : une famille noble après la conquête, 1760-1791, Sillery, Septentrion, 2004.
  • [83]
    Voir, à ce sujet, l’article à paraître de R. Larin, « L’exode de Canadiens à la Conquête. Le Petit-Canada de la Touraine », Société généalogique canadienne-française, octobre 2008.
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