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Article de revue

Des « sciences coloniales » au questionnement postcolonial : la décolonisation invisible ?

Pages 3 à 16

Notes

  • [1]
    « To serve as a body which shall encourage Africans to have an evergrowing consciousness of their membership of the common human race and to express themselves in all fields of human fields ». Anonyme, 1964, 347.
  • [2]
    Dike, 1964, 19-28.
  • [3]
    Il note d’ailleurs que ce référent (l’homme européen) exclut également les jeunes et les femmes dans les sociétés occidentales. Cf. Berque, 1962, 1-15 ; 1965.
  • [4]
    Proposée en 1952 par Alfred Sauvy.
  • [5]
    Sous cette formule, l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo demande une décolonisation du vocabulaire et critique une définition de la modernité qui n’a que le sous-développement à offrir aux Africains, in Mudimbé, 1988, 42-56.
  • [6]
    Moniot, 1976.
  • [7]
    Cf. la charge féroce et brillante de Bogumil Jewsiewicki (1989, 1-76) contre le passé « utile » et le radicalisme académique.
  • [8]
    L’ouvrage collectif coordonné par Marie-Claude Smouts (2007) offre un précieux tour d’horizon de ces débats.
  • [9]
    La première édition de l’ouvrage de Robert J.C. Young (2004 (1990)) est une charge virulente contre la « Male Anglo-saxon Marxist Academia ». Il l’a amendée dans l’édition suivante en 2004, montrant que le débat ne se limitait pas à l’effet de contraste initial, qui a permis aux études postcoloniales de se mettre en scène avec fracas. L’ouvrage collectif dirigé par Neil Lazarus et récemment traduit en français, est l’une des réponses, solidement argumentée, des spécialistes du discours colonial qui ont refusé de déserter complètement la théorie marxiste pour le postcolonialisme. Lazarus, 2006.
  • [10]
    D’où les dénonciations très polémiques des études postcoloniales comme substitut opportuniste, radical sur le plan académique, mais politiquement inconsistant et surtout utile aux intellectuels nomades cooptés dans les universités d’Amérique du nord. Dirlik, 1997.
  • [11]
    McClintock, 1990, 84-98. Pour une critique plus récente et très argumentée, cf. Cooper, 2010.
  • [12]
    Cf. l’important programme de recherche publié en 1997 par Frederick Cooper et Ann Stoler (1997, 1-56) qui invitent à étudier ensemble les métropoles et les colonies, en repérant les effets de réverbération entre les politiques métropolitaines et coloniales et les tensions entre les différents acteurs et projets qui font et défont les colonies et les empires.
  • [13]
    Cet article est publié dans les Cahiers Internationaux de Sociologie, Balandier (1951, 44-79) récusant l’ethnologie coloniale essentialiste au profit de la sociologie pour étudier les transformations contemporaines des sociétés africaines. Il présente la situation coloniale comme une situation de crise structurelle. Sur l’oubli puis le réinvestissement de cette notion, cf. Cooper, 2010.
  • [14]
    L’école historiographique indienne des études subalternes s’inspire des historiens marxistes britanniques et elle conteste résolument l’historiographie nationaliste, réduite aux élites indiennes occidentalisées. En empruntant le concept à Gramsci, elle a cherché à montrer que les groupes subalternes, culturellement hors de portée de l’administration britannique, avaient préservé des marges d’autonomie et animé des mouvements de résistance tout aussi importants. Les études subalternes se sont scindées dans les années 1990 entre ceux de leurs membres qui continuent à proposer des travaux d’histoire sociale et ceux qui se sont engagés dans l’histoire des représentations avant de rejoindre les études postcoloniales. Pouchepadass, 2000, 161-186 ; Diouf, 1999.
  • [15]
    L’essai de Romain Bertrand (2006) sur la controverse de 2005 autour du « fait colonial » analyse les confusions qui ont momentanément monopolisé les débats, aux dépens de ses réels enjeux épistémologiques. On se permet également de renvoyer à Sibeud, 2007, 142-155.
  • [16]
    Saïd, 1978.
  • [17]
    Dans son essai sur les études postcoloniales, Jean-François Bayart (2010) souligne les multiples effets d’écho entre les positions et les propositions des études postcoloniales et celles élaborées et défendues en France entre 1950 et 1970, lorsque la décolonisation était encore un combat politique et intellectuel. « On a déjà donné », remarque-t-il avec humour. Cette répétition est particulièrement intrigante pour les historiens des sciences humaines et des sciences sociales, qui doivent en faire un objet.
  • [18]
    Mudimbé, 1988.
  • [19]
    Pierre Bourdieu (1976, 416-427) signalait ainsi les liens étroits entre l’analyse de la sociologie coloniale et la décolonisation de la sociologie. De même, Jean Copans (1971, 422-447) appelait à faire la sociologie immédiate des études africaines autant que leur histoire.
  • [20]
    Harding, 1996, 240-261. Au moment des indépendances, l’enjeu est différent. Les chercheurs africains en particulier veulent faire reconnaître l’égale dignité de leurs contributions pour sortir du rôle d’auxiliaires qui leur a été assigné dans les réseaux coloniaux. Ainsi les philosophes récusent les ethnophilosophies, bantoues ou autres, dans lesquelles ils voient, non sans raison, un ostracisme déguisé.
  • [21]
    L’historien Dipesh Chakrabarty (2000 (2009)) a proposé de « provincialiser l’Europe », c’est-à-dire de traquer les référents silencieux à l’histoire et aux logiques sociales européennes dans les sciences sociales, pour désamorcer leur européocentrisme implicite. On lui a reproché de replacer ainsi, paradoxalement, les productions scientifiques européennes au centre des débats. Pouchepadass, 2002, 381-391.
  • [22]
    Cooper, Stoler, 1997, 1-56.
  • [23]
    Cooper, 1996.
  • [24]
    Cooper, 2004, 9-38.
  • [25]
    Sur l’Office de la Recherche Scientifique Coloniale, puis ORSTOM, on dispose des 7 volumes collectifs édités à l’occasion de son 5e anniversaire : Barrère, Bonneuil, Chatelin, Gaillard, Moulin, Petitjean, Shinn, Waast, 1996. Sur les instituts français puis fondamentaux d’Afrique Noire, il y a beaucoup moins de travaux, cf. de Suremain, 2001.
  • [26]
    Ainsi la France envoie jusqu’en 1953 des enquêtes anthropométriques pour « répondre » aux informations sur la nutrition demandées par la Food and Agriculture Organization. Cf. Bonnecase, 2008 et 2010, 151-174.
  • [27]
    Lachenal, 2006.
  • [28]
    Christophe Bonneuil (2001) montre que l’encadrement des populations dans le cadre de projets agricoles coercitifs a contribué à l’affirmation de l’État, colonial puis indépendant, et qu’il a également permis aux agronomes européens, qui surveillaient les travaux, de découvrir les savoirs paysans et de transformer ainsi le paradigme développementaliste.
  • [29]
    Il prolonge les discussions engagées lors d’une journée d’étude que nous avons organisée en octobre 2009 à l’Université Paris viii. Nous voudrions remercier tout particulièrement Claude Blanckaert, Alice Conklin, Frederick Cooper et Kapil Raj qui ont pris part au débat initial et l’ont enrichi de leurs contributions.
  • [30]
    On pense par exemple à l’article de Gayatri Spivak, « Les subalternes peuvent-ils s’exprimer ? », reproduit in Diouf, 1999, 165-230.
  • [31]
    La notion de « savoirs endogènes » a été proposée par le philosophe béninois Paulin Hountondji en 1994 pour dégager les savoirs africains, qui sont pour une part des savoirs populaires et utilitaires (la pharmacopée par exemple), de la qualification péjorative contenue dans le terme « indigène » et de l’immobilisme attribué aux savoirs dits « traditionnels ». Posant la question du public auquel sont destinés les savoirs, il plaide pour une formation double permettant aux chercheurs africains de maîtriser ces savoirs endogènes et les savoirs occidentaux (cf. Hountondji, 1994). Au moment des indépendances, Paulin Hountondji avait au préalable analysé la sourde reconduction des dissymétries héritées de la colonisation dans les pratiques scientifiques (1993, 99-108).
  • [32]
    Singaravélou, 2011.
  • [33]
    Confrontée à des relectures accusatrices, l’historiographie coloniale a été récemment relancée par de multiples travaux. En revanche, l’historiographie africaniste persiste à sanctuariser la rupture de 1960, abordée sur le mode de l’ego-histoire. L’ouvrage récent de Sophie Dulucq (2009), analysé dans ce numéro par Frederick Cooper, a cependant ouvert une première brèche en montrant que l’histoire de l’Afrique, en France, avait des antécédents coloniaux importants.
  • [34]
    Ce choix est débattu notamment par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique. Cf., par exemple, le plaidoyer de Philip Crossman (2004, 319-340) pour l’adoption des langues locales comme langues d’enseignement supérieur et de recherche qui récapitule les positions et repose sur une enquête dans les universités africaines. Les écrivains ont ouvert la voie, cependant le problème du lectorat visé se pose différemment pour eux. Cf. le plaidoyer de l’écrivain kenyan Ngugi Wa thiong’o (2005, 155-164) qui a choisi d’écrire en kikuyu.

1En 1962, se tient à Accra, au Ghana, le premier congrès international des africanistes. Il naît par scission, l’idée a été lancée au congrès des orientalistes de Moscou en 1960, et il se conclut sur la fondation d’une association internationale chargée de promouvoir les études africaines sur une base internationale, d’encourager les contributions africaines dans tous les domaines pour renforcer ainsi la conscience d’eux-mêmes des Africains [1], enfin d’organiser tous les trois ans un nouveau congrès. Accueilli par le premier État en Afrique subsaharienne à avoir obtenu son indépendance en 1957, le congrès incarne les ambitions et les ambiguïtés du moment des indépendances en Afrique. Il veut internationaliser les études africaines tout en les mettant au service de la cause panafricaine. De même, les héritages scientifiques coloniaux suscitent des évaluations contradictoires. Lors de l’ouverture du congrès, Kwame N’Krumah (président du Ghana) oppose frontalement les sciences coupables de collusion avec le colonialisme (l’anthropologie) et celles qui sont appelées à devenir les sciences de l’indépendance (l’histoire). Chargé de présenter les études africaines dans leur ensemble, l’historien nigérian Kenneth Onwuka Dike, rend au contraire un hommage appuyé aux structures coloniales de recherche, en particulier au réseau des Instituts Français (puis Fondamentaux) d’Afrique Noire [2]. Ainsi, tout en admettant des formulations assez différentes, la question de la décolonisation des sciences et de leurs pratiques est solennellement posée au moment des indépendances.

2Les sciences sociales lui font bon accueil. Elles sont engagées dans une profonde reconfiguration passant par l’adoption du modèle transnational et pluridisciplinaire de la répartition des recherches en « aires culturelles », qui leur apparaît comme le cadre naturel où opérer cette décolonisation des sciences et des pratiques scientifiques. Ainsi, les Cahiers d’Études Africaines, fondés en 1960, incarnent à la fois le ralliement des africanistes français au modèle des aires culturelles et l’ambition de transformer les échanges entre les africanistes et les chercheurs africains. La volonté d’impliquer les sciences sociales dans la décolonisation ouvre aussi une réflexion de fond sur leurs méthodes et sur leurs usages. En 1962, Jacques Berque souligne ainsi « l’impuissance provisoire » des sciences sociales auxquelles manquent les « théories internes » des sociétés non-occidentales et une vision de « l’homme plural ». Et il s’inquiète du sentiment de « dépossession du monde » de tous ceux qui se trouvent exclus ou ostracisés dans leur confrontation avec des sciences dont le référent silencieux demeure « l’adulte occidental péninsulaire » [3]. La mise en garde est d’autant plus intéressante qu’elle paraît dans une revue emblématique : la revue Tiers-Monde, fondée en 1960 sous la bannière de la notion de tiers-monde [4] qui incarne d’une autre manière le projet de réorganiser les recherches pour enregistrer et pour contribuer à la transformation majeure que constituent les accessions à l’indépendance après 1945.

3Les sciences humaines et les sciences sociales ont donc été convoquées et impliquées dans le processus pluriel de la décolonisation après la Seconde Guerre mondiale. Elles ont été confrontées à des mises en causes radicales, allant jusqu’à la récusation de certaines d’entre elles, l’anthropologie notamment, mais elles ont aussi investi avec enthousiasme une évolution qui leur a paru promettre des changements fondamentaux sur le plan institutionnel et sur le plan épistémologique. Elles ont donc cherché à donner un sens et une portée globale à des injonctions politiques relevant de plusieurs projets simultanément : doter les nouvelles nations de leurs propres traditions et appareils scientifiques, favoriser les cadres de pensée alternatifs comme le panafricanisme et développer une internationalisation des échanges et des cadres de recherche instaurant la parité entre les objets et entre les chercheurs. Ainsi, la décolonisation est à la fois un moment que les sciences humaines et les sciences sociales traversent, sans en avoir l’initiative, ni la maîtrise, et un ensemble de projets très ambitieux qu’elles formulent pour participer à ce moment et pour renforcer certaines de leurs évolutions internes. Tout en soulignant le caractère trop global et surtout trop mécanique de la notion de « décolonisation scientifique », il faut donc la remettre sur le métier et se demander quels ont été les modes et les effets de cette projection des enjeux et des logiques politiques sur les sciences humaines et les sciences sociales, qui ont explicitement adhéré à cette transposition et qui ont essayé de la gérer à leur manière ?

4La question n’est pas nouvelle et elle ne va pas, comme le suggère le titre de cette introduction, sans opacités. Avant d’évoquer les apports de ce dossier à l’étude des modes, des formes et des acteurs de décolonisation scientifique, il faut donc analyser ce qui nous a éloignés de cet objet et ce qui le rend, momentanément au moins, invisible. Les projets que l’on vient d’évoquer, de façon évidemment trop partielle et rapide, ont suscité une forte mobilisation et, en retour, des bilans critiques de plus en plus sévères. Dans les années 1970, les promesses du développement sont assez vite ensevelies sous les pesanteurs du sous-développement économique et social. Organisé à Kinshasa en 1978, le quatrième congrès international des africanistes est consacré à « la dépendance de l’Afrique et (aux) moyens d’y remédier ». Au terme de deux décennies d’indépendance, les chercheurs africains se demandent, non sans amertume, comment décoloniser « vraiment » les études africaines et comment passer de « l’Afrique ustensile à l’Afrique partenaire » [5] ? Au même moment, en France, l’analyse du « mal de voir » et la déconstruction des « sciences coloniales » semblent prendre le pas sur les projets de décolonisation [6]. Les débats deviennent plus âpres encore dans les années 1980 : les deux paradigmes phares des indépendances, le tiers-mondisme et le marxisme, sont contestés et les impasses du radicalisme académique sont analysées et dénoncées [7]. En parallèle, les politiques d’ajustement structurel frappent durement les universités et les centres de recherche dans le Tiers-Monde, provoquant le départ d’une partie de leurs chercheurs vers les universités et vers les réseaux des pays développés. Dès la fin de cette décennie, il est donc tentant de conclure que la décolonisation scientifique a échoué et qu’elle serait à recommencer. Ce qui invite à rechercher des formes alternatives en délaissant ses premières incarnations.

5L’évolution sémantique le dit d’une autre manière : nous nous interrogeons désormais sur la nature « postcoloniale » de nos réflexions, de nos positions et des objets que nous étudions, mais nous ne nous posons plus la question de savoir dans quelle mesure et comment nous sommes décolonisés. Depuis trois décennies, les études postcoloniales ont profondément transformé nos perspectives : par leurs apports originaux et par le cortège de débats qu’elles ont suscités [8]. Elles reposent sur l’hypothèse que les héritages culturels et intellectuels du colonialisme sont toujours présents, de façon diffuse, dans nos sociétés qui seraient en partie façonnées par les expériences coloniales qu’elles ont traversées, sur des modes très différents mais en en gardant des traces persistantes, sinon indélébiles. Elles se définissent donc comme une forme de réengagement théorique et critique pour inventorier et analyser ces héritages et, autant que possible, les désamorcer. En d’autres termes, elles continuent la décolonisation sous d’autres formes et, à cet égard, elles sont directement les héritières des bilans que l’on vient d’évoquer. En particulier, les débats critiquant le marxisme et la notion de tiers-monde ont été deux points de cristallisation déterminants pour leur essor. La théorie postcoloniale a fait ses premières armes au dépens du paradigme marxiste qu’elle a présenté comme une théorie « blanche » et mâle », servant paradoxalement de miroir au colonialisme sur ces deux plans [9]. Les études postcoloniales ont par ailleurs emprunté à la notion de Tiers-Monde l’idée d’une solidarité de destin née de l’expérience coloniale. Elles ont rappelé, à juste titre, la nécessité d’étudier globalement les colonisations modernes du xvie siècle au xxie siècle, mais elles ont aussi cru discerner une « colonialité » dont elles ont fait un élément d’explication, plus essentialiste qu’analytique. Enfin, et cette dimension n’est pas moins importante, leur succès, en particulier dans les universités nord-américaines, a confirmé le déclin du tiers-mondisme, et il les a transformées en espace privilégié d’accueil intellectuel des chercheurs venant des pays du Tiers-Monde [10]. Les études postcoloniales sont donc les héritières des projets antérieurs de décolonisation scientifique et elles sont, pour cette raison, à la fois une ressource critique et un écran qu’il faut se risquer à traverser.

6La construction même de la notion de « postcolonial » transforme le statut accordé à la décolonisation. Les études postcoloniales ont entériné les constats d’échec des années 1970 et 1980, en inventoriant de façon systématique les traces et les éventuels avatars des discours coloniaux dans les sociétés contemporaines, mais aussi en proposant de faire du postcolonial un instrument théorique susceptible de provoquer une rupture définitive avec le colonialisme. Ainsi, la décolonisation scientifique est redevenue une promesse au détriment de l’étude de ses formes effectives, réduites à un simple contrepoint. Les inconvénients du préfixe « post » qui impose cette mise en perspective binaire (postcolonial versus colonial) implicitement évolutionniste, ont été signalés de longue date [11]. Si l’articulation postcolonial/colonial est un pivot essentiel, l’histoire des colonisations se dilate jusqu’à nous et celle des décolonisations pourrait bien perdre toute consistance. Les historiens des colonisations n’ont pas manqué de contester cette lecture maximaliste en rappelant que les colonisations ont été des systèmes instables parcourus de tensions et soumis à des crises [12]. De façon plus intéressante encore, ils ont opposé au continuum postcolonial la notion de « situation coloniale », proposée en 1951 par Georges Balandier pour saisir les évolutions qui bouleversaient les sociétés africaines au même moment [13]. Cette notion a joué un rôle dans la contestation de l’ethnologie a-historique et essentialiste qui commandait les approches des sociétés africaines dans les années 1950, mais elle a ensuite été désertée. Elle illustre donc la richesse des réflexions contemporaines de la décolonisation politique, mais aussi les discontinuités complexes des évolutions longues des sciences humaines et sociales dans leur rapport avec la décolonisation. Cependant, le continuum postulé par les études postcoloniales ne permet pas de saisir cette complexité. La recherche d’une rupture définitive avec le colonialisme incite au contraire les études postcoloniales à coopter toutes les ruptures antérieures, quitte à en travestir le sens, ce qui a été particulièrement évident avec l’école historiographique indienne des études subalternes [14], et à voir dans toute critique à leur encontre la manifestation plus ou moins assumée d’un vieux réflexe colonialiste. Leur introduction en France a été très révélatrice : les simplifications sur la « fracture coloniale » et la réactivation du clivage opposant colonialistes et anticolonialistes ont entravé le débat contradictoire pourtant indispensable [15]. Replaçant dans son contexte la réception peu enthousiaste en 1980 en France du livre fondateur d’Edward Saïd sur l’orientalisme [16], Thomas Brisson, dans l’article qu’il publie dans ce dossier, invite à l’inverse à faire place à tous les acteurs et à des trajectoires de décolonisation formant un faisceau enchevêtré [17] que l’on ne saurait réduire a posteriori à une seule ligne. Ces trajectoires multiples de décolonisation sont l’un des objets que cette introduction et ce dossier voudraient faire émerger.

7La même logique d’uniformisation a posteriori apparaît dans les usages postcoloniaux de la notion de « sciences coloniales ». Dans un premier temps, les travaux d’Edward Saïd analysant l’orientalisme comme formation discursive, puis ceux de Valentin-Yves Mudimbé proposant la notion de « bibliothèque coloniale » pour saisir les articulations et les modes de transmission des discours coloniaux [18], ont considérablement enrichi la notion de « sciences coloniales ». En outre, les origines littéraires des études postcoloniales leur ont permis de proposer une réflexion très neuve sur la textualité des sources coloniales, ainsi que sur la constitution de canons (au sens littéraire du terme) de textes et d’auteurs organisant ces sources et servant de cadre à leur transmission, sinon à leur reproduction. Si le contraste est flagrant avec l’exigence de symétrie de l’histoire des sciences, attentive aux savoirs et aux pratiques triomphantes et pérennes, autant qu’à ceux qui se perdent en route pour toutes sortes de raisons, il est tout aussi évident que ces deux types d’approches ont beaucoup à gagner à dialoguer les unes avec les autres. On peut douter cependant que les études postcoloniales soient disposées à ce dialogue. Le succès aidant, la « bibliothèque coloniale » et ses canons ont été transformés en gisements de textes dans lesquels on puise mécaniquement des échantillons pour de nouvelles recherches. D’où une réification contestable des « sciences coloniales » et une confusion plus gênante encore entre la pérennité des textes et la capacité de ces sciences à renaître de leurs cendres ou à faire retour dans nos discours et dans nos pratiques. Il y a là une double involution : par rapport aux réflexions des années 1970 qui voyaient dans la déconstruction des « sciences coloniales » un détour productif préparant la construction de sciences décolonisées [19], et par rapport aux propositions initiales des études postcoloniales. L’érosion critique des études postcoloniales apparaît sur un autre plan. Renversant de façon provocante les perspectives, en particulier celles qui étaient induites par le diffusionnisme des projets de décolonisation des années 1960, elles ont suggéré que la « science moderne » n’était après tout qu’une « ethno-science » parmi les autres [20]. Mais elles ont ensuite privilégié la déconstruction du primat accordé a priori aux savoirs et aux pratiques occidentales, cherchant ainsi à « provincialiser » l’Europe selon la formule de Dipesh Chakrabarty [21], en esquivant la question subsidiaire et difficile de la nature des rationalités scientifiques alternatives. Les études postcoloniales ont donc ouvert des pistes et des questionnements multiples qu’on ne saurait négliger, mais elles plaquent sur l’étude des savoirs et des pratiques scientifiques une notion, celle de « sciences coloniales », et une logique présentiste et régressive qui laissent en réalité bien peu de place et bien peu de marge pour la saisie même de ces objets, par ailleurs réinvestis au même moment par les historiens, notamment par les historiens des sciences humaines.

8Engageant la réflexion sur des bases différentes, les historiens des sciences humaines ont au contraire fait éclater la notion des « sciences coloniales ». Ils ont cherché à analyser les conditions et les logiques commandant la production coloniale de savoirs et d’expertises, pour identifier les acteurs et les réseaux, en titre ou en quête de positions et de qualifications, pour saisir les espaces où se négocient les constructions et les usages de ces savoirs et de ces expertises. Ce parti pris des acteurs « en situation » a corrigé la surévaluation manifeste de la cohérence et de l’efficacité des « sciences coloniales », induite par les réquisitoires dénonçant leur complicité ou leur instrumentalisation. Il a ainsi remis les productions coloniales à leur place, rarement centrale sinon pour leurs promoteurs, et réorienté les recherches vers l’analyse de leurs multiples interactions avec d’autres savoirs, pratiques et réseaux savants autochtones, mais aussi extérieurs à la situation coloniale. Les « sciences coloniales » ont donc cédé la place à des configurations mouvantes d’acteurs, de pratiques et de savoirs. Rejoignant les lignes programmatiques de la nouvelle histoire des colonisations et des empires [22], l’histoire des savoirs et des pratiques en situation coloniale a montré que les réseaux savants étaient l’un des lieux, entre métropoles et colonies, où s’élaborent certaines des catégories coloniales et où se jouent de complexes effets de réverbération. L’analyse des projets et des pratiques scientifiques présente un autre intérêt. Ils sont rarement complètement solubles dans les politiques et dans les pratiques coloniales, ils incarnent ainsi une forme d’hétérogénéité, voire d’hétéronomie, qui permet de saisir la pluralité des projets et les tensions qui font et défont les politiques coloniales et les empires. En somme, les savoirs et les pratiques scientifiques en situation coloniale ont été redéfinis comme des objets denses, hybrides et mobiles. Ce qui invite à reformuler la question de leur décolonisation : ces objets, qui ne se réduisent pas à leur seule dimension coloniale, étaient-ils décolonisables ?

9La question est évidemment embarrassante. Si les hypothèses d’un éternel retour des « sciences coloniales », ou d’une transposition mécanique de la décolonisation politique sur les savoirs et sur les pratiques scientifiques, ne sont pas satisfaisantes, la solution provisoire des historiens ne l’est pas plus. La répartition de leurs travaux le montre : la décolonisation a été omise. Elle est au mieux reléguée dans un pénultième chapitre soulignant prudemment ses ambivalences et le plus souvent largement esquivée, peu de recherches franchissant le cap de la Seconde Guerre mondiale. Une telle stratégie d’évitement était sans doute nécessaire pour relancer l’histoire des sciences humaines et des sciences sociales en situation coloniale, celle-ci est désormais assez bien établie pour se mesurer à des « situations de décolonisation » plus complexes et plus directement liées encore à nos savoirs et à nos pratiques. La nécessité est interne. Le caractère hybride des savoirs et des pratiques coloniales autant que les projets d’implication des sciences sociales font de la décolonisation une question paradoxale que les historiens ne peuvent continuer à esquiver, à moins de s’enfermer dans une érudition vaine, multipliant les objets sans interroger leurs enjeux. La nécessité est aussi externe. En l’absence d’analyses historiques explorant ses contours et son contenu, la décolonisation demeure une occasion perdue ou une promesse de rupture, fondant le magistère critique revendiqué par les études postcoloniales. Il faut donc tirer la décolonisation scientifique de son invisibilité et se donner les moyens de l’analyser en croisant les perspectives ouvertes par les études postcoloniales et par l’histoire des sciences humaines et des sciences sociales. Il est possible que cette exploration soit peu concluante et que la décolonisation scientifique soit en définitive un faux semblant. On ne saurait cependant conclure sans examen méthodique.

10Depuis la fin des années 1990, un ensemble de travaux arpentent la frontière que constituent les trois décennies ouvertes par la Seconde Guerre mondiale. Dès la fin des années 1930, la cristallisation de politiques cohérentes de réformisme administratif modifie profondément, en métropole et dans les colonies, les interactions entre les logiques et les pratiques politiques et scientifiques, en définissant de nouvelles formes de qualification par la science et des marges d’autonomie, attendues ou plus inventives, pour les acteurs qui misent sur les pratiques scientifiques. Dans un livre pionnier paru en 1996, Frederick Cooper a analysé les rapports complexes entre les débats théoriques sur la question du travail, le réformisme administratif colonial et la décolonisation en Afrique britannique et en Afrique française [23]. Il montre que la gestion de la main-d’œuvre salariée est conçue comme un outil de modernisation des sociétés africaines. Les métropoles sont cependant incapables d’assumer les conséquences politiques et économiques de ce choix et, confrontées aux revendications des salariés africains, elles optent pour la décolonisation. Elles lèguent néanmoins aux nouveaux États indépendants leur conception du développement et des modes d’expertise éprouvés [24]. Ainsi, les logiques et les projets mis en place au début des années 1940 se perpétuent dans les années 1970. De même, les réseaux nationaux de recherche des années 1960 héritent du déploiement des réseaux techniques et scientifiques dans les colonies. Dans les colonies françaises, la trame impériale construite par l’Office de la recherche scientifique aux colonies est complétée par des réseaux régionaux, comme celui des centres liés à l’Institut français d’Afrique noire, en Afrique [25]. Ces réseaux ont formé de nombreux chercheurs, Georges Balandier comptant parmi les plus illustres, et ils ont contribué après 1960 à la politique de coopération scientifique et technique et à la création des réseaux nationaux de recherche. Par ailleurs, après 1945, la recherche devient une ligne de défense pour les puissances coloniales, qui doivent soumettre des rapports aux nouvelles institutions internationales et qui ont besoin de légitimer leurs politiques. Le travail de Vincent Bonnecase sur la construction des savoirs sur les niveaux de vie au Sahel, de 1945 à 1974, a cependant souligné les faiblesses de cette ligne défensive [26]. Passant par la cooptation de nombreux auxiliaires de recherche parmi les colonisés les mieux diplômés, le déploiement des réseaux de recherche a eu des effets pour le moins contrastés. Guillaume Lachenal a ainsi analysé la racialisation sous-jacente des réseaux de médecine tropicale [27] et, de façon très paradoxale, Christophe Bonneuil a montré comment les encadrements les plus coercitifs, en l’espèce ceux des projets agricoles embrigadant les paysans pour modifier leurs pratiques, pouvaient donner lieu à la « découverte » des savoirs des populations colonisées [28]. Ainsi, la décolonisation et les indépendances, mais aussi les projets de décolonisation scientifique, sont pris dans une conjoncture longue qui a profondément transformé les réseaux de recherche et les usages des savoirs. La relation de causalité entre décolonisation politique et évolutions des savoirs et des pratiques est donc à double sens et à multiples entrées et il importe de saisir quels ajustements ont été possibles ou impossibles, en somme de réinterroger le contenu et la consistance d’une décolonisation scientifique, qui ne pouvait être qu’un processus imparfait, suscitant autant de contestations qu’il satisfaisait d’aspirations.

11Les huit contributions, rassemblées dans ce dossier [29], ouvrent des pistes passionnantes pour relancer les recherches sur ces ajustements et sur leurs effets à court et à moyen termes. Elles parcourent la conjoncture de la décolonisation et des indépendances et elles en sondent aussi les contours amont et aval, invitant ainsi à poursuivre la réflexion sur les rythmes et les inflexions des formes et des projets de décolonisation sur le plan scientifique. Les articles de Kmar Bendana sur l’historien tunisien M’hamed Belkhûdja et de Jean-Hervé Jézéquel sur les chercheurs africains liés à l’Institut français d’Afrique noire en Afrique de l’ouest francophone ont en commun de remonter aux années 1930, lorsque s’affirme le réformisme administratif colonial, et d’analyser les trajectoires de ces générations intermédiaires d’intellectuels, difficiles à situer, mais qui ont néanmoins posé les jalons, pour leurs contemporains et pour leurs héritiers directs et indirects, de nouveaux discours savants, à la fois du cru et en dialogue avec les savoirs et les pratiques projetés par la métropole, ou depuis la métropole. Les contributions de Florence Renucci et de Camille Lefebvre retracent des évolutions inscrites dans des configurations de nature différente. Florence Renucci étudie la construction du droit d’outre-mer par des juristes qui furent aussi les sentinelles les plus attentives de la problématique et en partie utopique Union française. Camille Lefebvre analyse les circulations et les évolutions d’un argumentaire sur l’artificialité des frontières africaines qui finit, et ce n’est certes pas un accident, par être porté au discrédit des nouveaux États africains. Les trois études de cas qui suivent, celle de Pascal Bourdeaux sur les sciences religieuses et le Vietnam, celle de Thomas Brisson sur la décolonisation revendiquée ou plus discrète de l’orientalisme dans les études arabes françaises, et celle de Benoît Trépied sur la décolonisation en cours des recherches sur et en Nouvelle Calédonie, interrogent les modalités de transformation des réseaux qui s’appliquent de façon volontariste l’impératif de décolonisation scientifique, en lui donnant des contenus fort différents. Leur regroupement à l’intérieur du dossier invite à la comparaison et à une analyse plus fine des points d’inflexion et du tempo de la décolonisation scientifique. Peut-on distinguer une première phase, assez courte et en prise directe avec les indépendances politiques, où elle ferait sens globalement ? Puis des phases où elle devient un projet endogène ? Quels sont les liens entre ces phases ? Quels sont les effets d’écho, mais aussi les silences, d’une phase à une autre, d’un projet à un autre ? La dernière contribution du dossier présente une journée d’étude récemment organisée par Marco Platania. En proposant une mise en perspective longue des débats récents de l’histoire des colonisations et des empires, il nous invite d’une autre manière à interroger les ponctuations et l’hétérogénéité de nos objets et de nos recherches.

12Un autre fil conducteur relie toutes ces contributions : l’attention accordée aux acteurs et à leurs pérégrinations, individuelles et/ou collectives, géographiques, institutionnelles et intellectuelles. Il y a là un choix important de méthode et un enjeu épistémologique. L’histoire sociale des acteurs et de leurs pratiques est familière aux historiens des sciences humaines et des sciences sociales et les rapproche des historiens des colonisations et des empires. Elle doit être croisée avec les interprétations qui font le choix, complémentaire, d’analyser les discours et leurs circonvolutions. Elle les enrichit en permettant en particulier de partir à la recherche des voix progressivement étouffées, ou reléguées d’emblée dans l’altérité et bien souvent aussi, dans le silence. L’histoire sociale des acteurs scientifiques et de leurs pratiques invitent à identifier et à situer, dans leurs contextes mais aussi dans leurs évolutions, des groupes intermédiaires assignés à des positions auxiliaires ou subalternes dans la production et dans la diffusion des savoirs. Elle permet ainsi de sortir du face à face tronqué des études postcoloniales avec les groupes subalternes, ou avec les auteurs canoniques de la bibliothèque coloniale. Ce face à face et les débats qu’il a suscités ont considérablement enrichi la réflexion [30], qu’il faut désormais prolonger en confrontant les hypothèses théoriques aux pratiques circonstancielles et les auteurs canoniques aux usages qu’en font leurs lecteurs. En somme, il s’agit de réinsérer des rapports et des échanges sociaux et culturels dans la trame de l’histoire intellectuelle de la décolonisation et de ses effets. Sur ce premier enjeu s’en greffe un second. Ces groupes intermédiaires sont aussi des traducteurs et des pédagogues, entre les langues coloniales qui sont apparues au moment des indépendances comme les langues naturelles, ou du moins incontournables, de la science supposée moderne et les langues autochtones, mais aussi entre les savoirs exogènes et les savoirs endogènes [31].

13Les articles de Jean-Hervé Jézéquel, de Pascal Bourdeaux, de Thomas Brisson, et de Benoît Trépied soulignent en particulier l’importance des migrations étudiantes, affectées par ce tropisme métropolitain qui a si durablement nourri le soupçon d’un véritable détournement des projets de décolonisation par les politiques néocolonialistes. Le malthusianisme universitaire obtus des puissances coloniales a transformé la question de la formation des étudiants en enjeu, mais aussi en écueil, pour les projets de décolonisation scientifique et leurs mises en œuvre. Envisagé sous plusieurs angles et à différents moments par ces articles, le cas français est un cas d’espèce, particulièrement riche. Les aspirants « décolonisateurs » que sont les chercheurs en sciences sociales des années 1960 ont été très vite réquisitionnés par les réseaux de la coopération pour constituer les réseaux nationaux dans les nouveaux États indépendants ou pour accueillir en métropole les étudiants que la politique néocoloniale voulait former et si possible encadrer. Ils ont ainsi reçu les magistères auxquels aspiraient leurs prédécesseurs les plus colonialistes [32]. La disqualification de l’histoire coloniale et la nouveauté revendiquée par contraste par l’histoire de l’Afrique ont été l’un des dérivatifs de cette situation paradoxale, d’où leur embarras historiographique actuel [33]. À cette histoire institutionnelle par le haut qui ne dit pas son nom, les articles de Jean-Hervé Jézéquel, Pascal Bourdeaux, Thomas Brisson et Benoît Trépied permettent de substituer une trame beaucoup plus riche montrant comment la pondération produite par les flux étudiants joue un rôle dans la construction externe et interne des aires culturelles. Ils invitent en outre à affiner l’analyse en examinant les effets de la distribution des objets et de l’accès différentiels à des types de sources distincts, mais aussi les stratégies d’écriture à l’intérieur d’un champ de recherches. Soulignant les contradictions de ces ajustements, l’article de Benoît Trépied est, une fois n’est pas coutume, une véritable leçon du présent pour le passé qui nous invite à redoubler de vigilance pour écarter toute forme de présentisme dans l’analyse des trajectoires de décolonisation incomplètes et complexes dont nous sommes directement les héritiers, sinon les acteurs.

14Les contributions de ce dossier invitent enfin à une histoire simultanément empirique et réflexive des cadres et des espaces, matériels et intellectuels, dans lesquels s’inscrivent les pratiques scientifiques. Toutes analysent des cadres de production scientifique qui ne sont pas isolés, mais au contraire pris dans des emboîtements et dans des évolutions multiples, reliés par des continuités, mais aussi séparés par des discordances ou des divergences. Objectif avoué des projets de décolonisation scientifique, le cadre national est présent, mais de toute évidence il ne se suffit pas à lui-même. Il se construit en prenant appui sur des contreforts, transmis par les cadres et les traditions antérieures, comme en Tunisie, sur des injonctions internationales, par exemple pour la protection des droits et des cultures autochtones en Nouvelle Calédonie, ou encore par démarcation d’avec des cadres plus larges comme l’Union française ou le panafricanisme. Avec un peu de provocation, on peut même se demander si les espaces et les cadres de production scientifique ne sont pas plus fluides et plus ouverts les uns aux autres au moment des indépendances, qu’ils ne le sont aujourd’hui ? Les étudiants sont accueillis et si par un privilège extravagant, l’Europe est tacitement exemptée du partage en aires culturelles, du moins en Europe, les déséquilibres manifestes dans la répartition des connaissances sont perçus comme une anomalie par une grande partie des chercheurs. Il n’est pas sûr qu’une comparaison méthodique montrerait qu’elle a été corrigée. En revanche, nous nous exonérons tacitement des conséquences de ce rétrécissement en portant unilatéralement la déroute des projets de décolonisation scientifique au débit de ceux qui n’auraient pas pu, voire pas su, se décoloniser. En d’autres termes, et sur ce plan nous avons besoin de la subversion des études postcoloniales, l’occidentalocentrisme a de beaux jours devant lui. Sans doute les projets de décolonisation scientifique et leurs réalisations contrastées l’ont-ils, à leur insu, renforcé. Mais c’est justement pour cette raison qu’ils constituent des objets stratégiques : parce qu’ils sont à la racine d’une partie de nos logiques et de nos pratiques, leur analyse peut aider à changer celles-ci. Dans une telle perspective, deux choix en particulier retiennent l’attention. Les projets de décolonisation scientifique ont misé sur la solidarité linguistique (dans les cadres de l’anglophonie et de la francophonie) pour constituer de nouveaux réseaux, paritaires, de recherches et d’échanges scientifiques. Ils ont entériné en contrepartie la disqualification des nouvelles langues nationales, qui ne sont pas toujours celle héritée de la colonisation, comme langue scientifique [34]. Quels sont les effets à moyen et à long termes de cette acceptation d’une hiérarchisation aussi explicite des langues nationales ? De même, la volonté de construire des sciences « nationales » a en partie occulté la reconduction des hiérarchies entre les sciences à l’occidentale et les savoirs endogènes, la recherche de la parité et le refus de l’essentialisme des représentations coloniales travaillant dans le même sens. On peut dès lors se demander si l’apparition de paradigmes revendiquant nettement leurs liens avec les savoirs subalternes ou endogènes, n’est pas le signe le plus probant que cette décolonisation ambiguë est arrivée à son terme et a laissé la place à des savoirs et des pratiques ayant conquis leur autonomie dans des réseaux et dans un espace mondial qui restent fortement dissymétriques ? Quel est alors l’équivalent pour les sciences occidentales que leur position dominante pourrait bien engluer par ailleurs dans leur ethnocentrisme ? Les études postcoloniales sont sans doute le symptôme d’un changement, dont la mesure sera cependant notre capacité à connaître les « théories internes » construites par les savoirs subalternes et endogènes.

Bibliographie

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  • Young R.J.C., 1990 (2004), White Mythologies. Writing History and the West, London, Routledge.

Notes

  • [1]
    « To serve as a body which shall encourage Africans to have an evergrowing consciousness of their membership of the common human race and to express themselves in all fields of human fields ». Anonyme, 1964, 347.
  • [2]
    Dike, 1964, 19-28.
  • [3]
    Il note d’ailleurs que ce référent (l’homme européen) exclut également les jeunes et les femmes dans les sociétés occidentales. Cf. Berque, 1962, 1-15 ; 1965.
  • [4]
    Proposée en 1952 par Alfred Sauvy.
  • [5]
    Sous cette formule, l’historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo demande une décolonisation du vocabulaire et critique une définition de la modernité qui n’a que le sous-développement à offrir aux Africains, in Mudimbé, 1988, 42-56.
  • [6]
    Moniot, 1976.
  • [7]
    Cf. la charge féroce et brillante de Bogumil Jewsiewicki (1989, 1-76) contre le passé « utile » et le radicalisme académique.
  • [8]
    L’ouvrage collectif coordonné par Marie-Claude Smouts (2007) offre un précieux tour d’horizon de ces débats.
  • [9]
    La première édition de l’ouvrage de Robert J.C. Young (2004 (1990)) est une charge virulente contre la « Male Anglo-saxon Marxist Academia ». Il l’a amendée dans l’édition suivante en 2004, montrant que le débat ne se limitait pas à l’effet de contraste initial, qui a permis aux études postcoloniales de se mettre en scène avec fracas. L’ouvrage collectif dirigé par Neil Lazarus et récemment traduit en français, est l’une des réponses, solidement argumentée, des spécialistes du discours colonial qui ont refusé de déserter complètement la théorie marxiste pour le postcolonialisme. Lazarus, 2006.
  • [10]
    D’où les dénonciations très polémiques des études postcoloniales comme substitut opportuniste, radical sur le plan académique, mais politiquement inconsistant et surtout utile aux intellectuels nomades cooptés dans les universités d’Amérique du nord. Dirlik, 1997.
  • [11]
    McClintock, 1990, 84-98. Pour une critique plus récente et très argumentée, cf. Cooper, 2010.
  • [12]
    Cf. l’important programme de recherche publié en 1997 par Frederick Cooper et Ann Stoler (1997, 1-56) qui invitent à étudier ensemble les métropoles et les colonies, en repérant les effets de réverbération entre les politiques métropolitaines et coloniales et les tensions entre les différents acteurs et projets qui font et défont les colonies et les empires.
  • [13]
    Cet article est publié dans les Cahiers Internationaux de Sociologie, Balandier (1951, 44-79) récusant l’ethnologie coloniale essentialiste au profit de la sociologie pour étudier les transformations contemporaines des sociétés africaines. Il présente la situation coloniale comme une situation de crise structurelle. Sur l’oubli puis le réinvestissement de cette notion, cf. Cooper, 2010.
  • [14]
    L’école historiographique indienne des études subalternes s’inspire des historiens marxistes britanniques et elle conteste résolument l’historiographie nationaliste, réduite aux élites indiennes occidentalisées. En empruntant le concept à Gramsci, elle a cherché à montrer que les groupes subalternes, culturellement hors de portée de l’administration britannique, avaient préservé des marges d’autonomie et animé des mouvements de résistance tout aussi importants. Les études subalternes se sont scindées dans les années 1990 entre ceux de leurs membres qui continuent à proposer des travaux d’histoire sociale et ceux qui se sont engagés dans l’histoire des représentations avant de rejoindre les études postcoloniales. Pouchepadass, 2000, 161-186 ; Diouf, 1999.
  • [15]
    L’essai de Romain Bertrand (2006) sur la controverse de 2005 autour du « fait colonial » analyse les confusions qui ont momentanément monopolisé les débats, aux dépens de ses réels enjeux épistémologiques. On se permet également de renvoyer à Sibeud, 2007, 142-155.
  • [16]
    Saïd, 1978.
  • [17]
    Dans son essai sur les études postcoloniales, Jean-François Bayart (2010) souligne les multiples effets d’écho entre les positions et les propositions des études postcoloniales et celles élaborées et défendues en France entre 1950 et 1970, lorsque la décolonisation était encore un combat politique et intellectuel. « On a déjà donné », remarque-t-il avec humour. Cette répétition est particulièrement intrigante pour les historiens des sciences humaines et des sciences sociales, qui doivent en faire un objet.
  • [18]
    Mudimbé, 1988.
  • [19]
    Pierre Bourdieu (1976, 416-427) signalait ainsi les liens étroits entre l’analyse de la sociologie coloniale et la décolonisation de la sociologie. De même, Jean Copans (1971, 422-447) appelait à faire la sociologie immédiate des études africaines autant que leur histoire.
  • [20]
    Harding, 1996, 240-261. Au moment des indépendances, l’enjeu est différent. Les chercheurs africains en particulier veulent faire reconnaître l’égale dignité de leurs contributions pour sortir du rôle d’auxiliaires qui leur a été assigné dans les réseaux coloniaux. Ainsi les philosophes récusent les ethnophilosophies, bantoues ou autres, dans lesquelles ils voient, non sans raison, un ostracisme déguisé.
  • [21]
    L’historien Dipesh Chakrabarty (2000 (2009)) a proposé de « provincialiser l’Europe », c’est-à-dire de traquer les référents silencieux à l’histoire et aux logiques sociales européennes dans les sciences sociales, pour désamorcer leur européocentrisme implicite. On lui a reproché de replacer ainsi, paradoxalement, les productions scientifiques européennes au centre des débats. Pouchepadass, 2002, 381-391.
  • [22]
    Cooper, Stoler, 1997, 1-56.
  • [23]
    Cooper, 1996.
  • [24]
    Cooper, 2004, 9-38.
  • [25]
    Sur l’Office de la Recherche Scientifique Coloniale, puis ORSTOM, on dispose des 7 volumes collectifs édités à l’occasion de son 5e anniversaire : Barrère, Bonneuil, Chatelin, Gaillard, Moulin, Petitjean, Shinn, Waast, 1996. Sur les instituts français puis fondamentaux d’Afrique Noire, il y a beaucoup moins de travaux, cf. de Suremain, 2001.
  • [26]
    Ainsi la France envoie jusqu’en 1953 des enquêtes anthropométriques pour « répondre » aux informations sur la nutrition demandées par la Food and Agriculture Organization. Cf. Bonnecase, 2008 et 2010, 151-174.
  • [27]
    Lachenal, 2006.
  • [28]
    Christophe Bonneuil (2001) montre que l’encadrement des populations dans le cadre de projets agricoles coercitifs a contribué à l’affirmation de l’État, colonial puis indépendant, et qu’il a également permis aux agronomes européens, qui surveillaient les travaux, de découvrir les savoirs paysans et de transformer ainsi le paradigme développementaliste.
  • [29]
    Il prolonge les discussions engagées lors d’une journée d’étude que nous avons organisée en octobre 2009 à l’Université Paris viii. Nous voudrions remercier tout particulièrement Claude Blanckaert, Alice Conklin, Frederick Cooper et Kapil Raj qui ont pris part au débat initial et l’ont enrichi de leurs contributions.
  • [30]
    On pense par exemple à l’article de Gayatri Spivak, « Les subalternes peuvent-ils s’exprimer ? », reproduit in Diouf, 1999, 165-230.
  • [31]
    La notion de « savoirs endogènes » a été proposée par le philosophe béninois Paulin Hountondji en 1994 pour dégager les savoirs africains, qui sont pour une part des savoirs populaires et utilitaires (la pharmacopée par exemple), de la qualification péjorative contenue dans le terme « indigène » et de l’immobilisme attribué aux savoirs dits « traditionnels ». Posant la question du public auquel sont destinés les savoirs, il plaide pour une formation double permettant aux chercheurs africains de maîtriser ces savoirs endogènes et les savoirs occidentaux (cf. Hountondji, 1994). Au moment des indépendances, Paulin Hountondji avait au préalable analysé la sourde reconduction des dissymétries héritées de la colonisation dans les pratiques scientifiques (1993, 99-108).
  • [32]
    Singaravélou, 2011.
  • [33]
    Confrontée à des relectures accusatrices, l’historiographie coloniale a été récemment relancée par de multiples travaux. En revanche, l’historiographie africaniste persiste à sanctuariser la rupture de 1960, abordée sur le mode de l’ego-histoire. L’ouvrage récent de Sophie Dulucq (2009), analysé dans ce numéro par Frederick Cooper, a cependant ouvert une première brèche en montrant que l’histoire de l’Afrique, en France, avait des antécédents coloniaux importants.
  • [34]
    Ce choix est débattu notamment par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique. Cf., par exemple, le plaidoyer de Philip Crossman (2004, 319-340) pour l’adoption des langues locales comme langues d’enseignement supérieur et de recherche qui récapitule les positions et repose sur une enquête dans les universités africaines. Les écrivains ont ouvert la voie, cependant le problème du lectorat visé se pose différemment pour eux. Cf. le plaidoyer de l’écrivain kenyan Ngugi Wa thiong’o (2005, 155-164) qui a choisi d’écrire en kikuyu.
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