Notes
-
[1]
Fourier, 1808, 133. L’invention même du terme « féminisme » est souvent attribuée à Fourier, à tort semble-t-il cependant.
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[2]
Ibid., 571.
-
[3]
Fourier, 1822c, 241-265.
-
[4]
Ibid., 1822c, 254. Pour une étude détaillée de la cosmogonie de Fourier, on se reportera aux deux intéressantes études de Michel Nathan (1981) et Claude Morilhat (1991).
-
[5]
Il n’y a en fait qu’un seul et unique ouvrage de ce genre qui ait accordé quelque attention à Fourier : il s’agit de l’Anthologie des sciences de l’homme de Jean-Claude Filloux et Jean Maisonneuve (1991, 159-166), dans laquelle sept pages sont consacrées à une présentation des principaux thèmes de l’œuvre de celui qui y est présenté dans l’introduction comme « le plus marginal et le plus inspiré des réformateurs sociaux » (vi), mais sans en souligner la prétention spécifique à la scientificité.
-
[6]
Mercklé, 2004.
-
[7]
Le terme de « science sociale », parfois écrit avec des initiales majuscules, a servi à Fourier, à ses disciples et à l’ensemble de l’École sociétaire, mais aussi à leurs adversaires et à leurs commentateurs, tout au long du xixe siècle, à décrire non pas l’ensemble des études scientifiques des sociétés humaines, mais bien spécifiquement leur propre doctrine. Ainsi, par exemple, La Phalange, publiée par l’École sociétaire, l’indiquait dans son sous-titre : elle fut d’abord « le journal », puis « la revue de la Science sociale ».
-
[8]
Durkheim, 1971, 120.
-
[9]
Morilhat, 1991, 14. Peut-être sans le savoir, Claude Morilhat a ainsi repris, pour qualifier la rhétorique du sujet de Fourier, une expression qu’avait employée Piotr Sorokin dans Tendances et déboires de la sociologie américaine pour dénoncer le manque de cumulativité dans les sciences sociales : la raison en était selon lui à chercher dans le manque d’intérêt pour l’histoire de leur discipline de la plupart des sociologues, « nouveaux Christophe Colomb » atteints d’un « complexe de l’inventeur » qui les pousse à redécouvrir systématiquement une « nouvelle Amérique sociologique » (Sorokin, 1959, cité par Dubois, 1994, 5).
-
[10]
Fourier, 1822a, « Sommaires », xxx. Cf. aussi Fourier, 1822b, 116.
-
[11]
Fourier, 1835-1836, 48-49.
-
[12]
Fourier, 1822b, 5.
-
[13]
Bourdieu, 1976, 99, note 27.
-
[14]
Ibid., 98.
-
[15]
Fourier, 1808, 102.
-
[16]
Bourdieu, 1976, 97.
-
[17]
Bourdieu, 1976, 101-103.
-
[18]
Mercklé, 2001.
-
[19]
Fourier, 1829, 153.
-
[20]
Fourier, 1808, « Préface des éditeurs ».
-
[21]
Beecher, 1993, 17.
-
[22]
Breton, 1961.
-
[23]
Barthes, 1971.
-
[24]
Butor, préface à Fourier, 1973.
-
[25]
Fourier, 1822a, 47 ; 1966, 561.
-
[26]
Fourier, 1967b, 38.
-
[27]
Fourier, 1808, 413.
-
[28]
Fourier, 1822a, 99 ; 1966, 311-312, note 1.
-
[29]
Ibid., 235.
-
[30]
Victor Considérant le confirme dans son Exposition abrégée du système phalanstérien : « Le mot Phalanstère signifie manoir de la Phalange, de même que le mot monastère signifie manoir des moines » (1845, 24).
-
[31]
Durkheim, 1966, 36.
-
[32]
Fourier, 1822b, 219.
-
[33]
Fourier, 1966, 124.
-
[34]
Fourier, 1822b, 69.
-
[35]
Fourier, 1808, 127.
-
[36]
Fourier, 1925.
-
[37]
Fourier, 1967a, 141.
-
[38]
Fourier, 1851a, 17.
-
[39]
Fourier, 1851a. Selon Hubert Bourgin (1905, 54), ce texte date de 1820, et relate un événement survenu en 1798. Mais selon Jean-Jacques Hémardinquer, l’événement ainsi relaté date plus vraisemblablement du voyage effectué par Fourier à Paris en 1790 (Hémardinquer, 1964, 56).
-
[40]
Petit, 1992, 16-17.
-
[41]
Fourier, 1822a, 133.
-
[42]
Fourier, 1851b, 219.
-
[43]
Fourier, 1808, 23.
-
[44]
Fourier, 1822c, 415-584.
-
[45]
Comme par exemple, Chevalier, 1958, 231.
-
[46]
Beecher, 1993, 194.
-
[47]
Fourier, 1822a, 40-41.
-
[48]
Fourier, 1822a, 85 ; cf. aussi Fourier, 1822b, 104.
-
[49]
Fourier, 1822c, 455 et suiv. ; Fourier, 1829, 123-129.
-
[50]
Fourier, 1822c, 462 et suiv.
-
[51]
Lettre à Philip Orkney Skene, 17 septembre 1824, reproduite in Gans, 1964, 108.
-
[52]
Mercklé, 2004.
-
[53]
Fourier, 1822c, 430.
-
[54]
Ibid., 471-472.
-
[55]
Ibid., 470-486.
-
[56]
Fourier, 1808, 2.
-
[57]
Lansac, 1926.
-
[58]
Pagès, 1969.
-
[59]
Savoye, 1994, 178.
-
[60]
La Démocratie Pacifique, 20 février 1849.
-
[61]
Cf. notamment Desroche, 1975, 200 ; Mucchielli, 1960, 144, note 1 ; Poulat, 1957, 14.
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[62]
Un colon de Réunion désignait ainsi la tentative à laquelle il avait participé, certes sur un mode extrêmement ironique. Colas, 1856.
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[63]
Asart, Lettre à Louis Eugène Tallon, Gênes, 30 mai 1882, un feuillet (quatre pages), Fonds Considérant, ENS, réf. 4/6/1.
-
[64]
Prochasson, 1997, 80.
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[65]
Durkheim, 1894.
-
[66]
Savoye, 1994.
-
[67]
Iibid., 178.
-
[68]
Fourier, 1829, 33.
-
[69]
Fourier, 1847, 35.
-
[70]
Considérant, 1834, 118. À ce propos, il convient de faire remarquer que, de façon étonnante, Antoine Savoye affirme que « l’expression ingénierie sociale vient des pays anglo-saxons où l’on emploie, au début du xxe siècle, social engineering pour désigner des actions sociales au sein des entreprises industrielles puis, plus largement, des formes d’intervention ou d’expertise en vue d’un changement social » (Savoye, 1994, 177). Ce qui étonne ici, c’est qu’un peu plus loin, il attribue correctement la paternité de l’expression à Victor Considérant. Mais de nouveau, il écrit ensuite, toujours à propos de cette ingénierie sociale : « On peut dire qu’elle est inventée dès cette époque, même si l’expression n’apparaît pas » (ibid., 84). Or, comme on l’a vu, l’expression est attestée dans les écrits de Victor Considérant à partir de 1841. Malgré ces curieuses contradictions, c’est donc bien le fouriérisme qui fonde l’ingénierie sociale selon Savoye, en lui donnant ses traits fondamentaux : objectif de transformation des rapports sociaux, dimension scientifique, échelle réduite.
Introduction
1Comment la doctrine fouriériste est-elle communément présentée ? De Fourier, on a généralement retenu la remise en cause féroce des mœurs économiques et domestiques de son temps, autrement dit de ce qu’il appelle la « Civilisation », et la représentation d’un ordre social idéal, « l’Harmonie » : d’une part, la critique du commerce, du mariage, de la condition des femmes, de la tyrannie des pères ; et d’autre part la description détaillée des formes d’organisation économique et sociale, ainsi que des conditions architecturales (le fameux « Phalanstère »), qui permettraient d’atteindre un ordre économique et domestique caractérisé à la fois par l’abondance, la juste rétribution des contributions, et la libre expression des passions individuelles par la conformation à des lois de « l’Attraction sociale » dont Fourier emprunte métaphoriquement le principe général au modèle newtonien. De Fourier, on a aussi retenu parfois la façon particulière qu’il a d’articuler entre eux les deux ordres sur lesquels porte sa doctrine, l’ordre économique et l’ordre domestique : c’est en réalité, selon lui, d’une évolution des mœurs que pourrait naître la transformation politique et économique qu’il appelle de ses vœux. En particulier, les féministes se sont rappelé que Fourier avait estimé que l’évolution de la condition des femmes devait être le moteur fondamental du changement social [1], mais en oubliant qu’ensuite, par souci de moralisation de la présentation publique de son système, Fourier, avec l’aide active de ses disciples, avait supprimé ce point de sa doctrine, qui fut présenté comme une « erreur de calcul » [2].
2Mais de Fourier, finalement, on a en réalité surtout retenu les fantaisies stylistiques et les élucubrations cosmogoniques, que ce fût, au xixe siècle, pour discréditer sa doctrine, ou au contraire, au xxe siècle, pour la rhéabiliter et faire de son auteur, au choix, un grand poète, un précurseur du surréalisme, de la psychanalyse, de l’écologie, etc. Quelques pages seulement de la Théorie des quatre mouvements 1808 ont suffi aux critiques et aux caricaturistes pour dépeindre l’ensemble de la doctrine fouriériste comme une élucubration peu sérieuse, et la rejeter dans le domaine de la fiction et de l’amusement littéraires : il s’agit du chapitre vi de la première partie, intitulé « Couronne boréale » (qu’il qualifie pourtant lui-même d’emblée de « plus curieux que nécessaire »), dans lequel Fourier prévoit un adoucissement général du climat du globe sous l’effet de l’apparition d’une couronne lumineuse centrée sur le pôle nord, apparition elle-même causée par l’extension des activités industrielles et agricoles à la totalité de sa surface. Il s’ensuivrait aussi une transformation de l’eau de mer en « une sorte de limonade », par propagation d’un fluide d’acide citrique boréal. Les moqueries furent suscitées aussi par les spéculations cosmogoniques inaugurées à la fin de ce même chapitre, et reformulées ensuite dans le Traité de l’association domestique agricole [3] : Fourier y expliquait que l’accouplement de la Terre avec ses cinq satellites – Mercure, Junon, Cérès, Pallas, satellites libres, et la Lune, satellite « conjugué » – avait donné dans le passé les différentes espèces de fruits rouges ; et il prédisait que leurs futures copulations permettraient le remplacement des êtres nuisibles à l’homme, comme le crocodile, le requin ou le lion, par des êtres utiles comme l’anti-crocodile, l’anti-requin ou l’anti-lion, « superbe et docile quadrupède, un porteur élastique (…), avec des relais duquel un cavalier, partant le matin de Calais ou Bruxelles, ira déjeuner à Paris, dîner à Lyon et souper à Marseille » [4].
3Pourquoi alors, si l’ambition est de partir à la recherche des origines des sciences sociales au xixe siècle, s’intéresser à l’étrange cas de Charles Fourier ? Son œuvre n’appartiendrait d’aucune manière à la tradition sociologique, si l’on en croit ce qui précède et la façon dont elle est presque unanimement ignorée par les manuels d’histoire de la discipline et les anthologies de ses œuvres « fondatrices » [5] ; au contraire, celles de Karl Marx et de Saint-Simon ne sont presque jamais omises. On a pu faire l’hypothèse [6] que les destins théoriques de ces trois corpus doctrinaux sont intimement liés : d’une part, si l’idée est aujourd’hui profondément enracinée que l’œuvre de Fourier, si elle n’appartient pas à l’histoire des sciences sociales, est en revanche, au cœur de la rencontre dans la première moitié du xixe siècle entre une tradition naissante, celle du socialisme, et une tradition déclinante, celle de l’utopie, c’est certainement en partie en raison à la fois de la réception qu’en ont faite Marx et Engels d’une part, et de l’oubli durkheimien au profit de Saint-Simon d’autre part. En grande partie à son corps défendant, et contre aussi le sens que ses disciples s’efforcèrent de donner à son œuvre, Charles Fourier s’est trouvé rejeté dans la tradition utopique, alors même qu’il n’a en réalité la plupart du temps employé la notion d’utopie qu’à titre péjoratif pour disqualifier les doctrines concurrentes de Robert Owen ou de Saint-Simon.
4La question posée ici, au delà des causes de cette excommunication, est celle de ses conséquences sur la perception de l’œuvre de Charles Fourier et l’élaboration des représentations qui en ont été données jusqu’à aujourd’hui : comme on l’a dit rapidement, il a longtemps été, et il est d’une certaine façon toujours dressé de Fourier un portrait tel que chacun des traits qui sert à les dépeindre, lui d’une part et son œuvre d’autre part, sert aussi en réalité à justifier son rejet hors du domaine de la science, et donc a fortiori de la science sociale. Or, très simplement, il faut commencer par dire ici que ce portrait ne rend pas justice à l’une des caractéristiques principales de l’œuvre de Charles Fourier que cet article ambitionne au moins de rappeler et de restituer dans ses différentes dimensions : cette œuvre, explicitement, est présentée par son auteur comme l’expression d’une ambition spécifique, celle justement de fonder une nouvelle « science sociale » [7].
5On sait que Durkheim, dans l’analyse qu’il a consacrée au socialisme, définissait la science comme « tout l’ensemble de connaissances considérées comme acquises à l’époque correspondante » [8]. Puis, après avoir distingué à l’aide de cette définition entre doctrines spéculatives ou scientifiques d’une part et doctrines réformatrices d’autre part, il rangeait les socialismes français du siècle qui s’achevait dans la seconde de ces deux catégories. Ce qu’à travers l’exemple de Charles Fourier nous voudrions montrer, pour notre part, tout en prenant justement appui sur sa définition de la science, c’est qu’en procédant ainsi, Durkheim se comportait en piètre historien, puisqu’en réalité il jugeait des socialismes français de la première moitié du xixe siècle à l’aune de critères qui n’étaient pas ceux de « l’époque correspondante », mais ceux en réalité du moment scientifique dans lequel il se trouvait lui-même pris et qu’il contribuait ainsi en retour à définir. Ce faisant, il s’interdisait d’intégrer dans le champ de son étude le lien que certaines doctrines établissent ou maintiennent entre ces deux dimensions de la science et de l’action, appuyant ou étayant la seconde sur la première : leur prétention à la science lui devenait du même coup indifférente, alors que justement elle est une part essentielle, nous semble-t-il, du projet socialiste, et à ce titre mérite d’être étudiée spécifiquement.
6De ce fait, il convient de bien insister sur ce point pour finir d’introduire les développements qui suivent : l’objet central de cet examen n’est pas le fouriérisme tout entier, encore moins l’ensemble des doctrines socialistes, mais précisément la prétention du fouriérisme à être une science. Et ce qui est visé à travers l’étude de cette prétention, c’est une illustration de la variabilité historique des critères de définition de la science, et a fortiori des sciences sociales. Le fait que Fourier appartienne par son œuvre à un contexte plus large où s’emmêlent intimement science, ésotérisme, occultisme, mysticisme, suffit-il à le rejeter hors du domaine de la science ? C’est ce que nous entendons discuter, dans la mesure où, par cela même qu’on qualifierait aujourd’hui de résolument opposé à la science, il se présente en réalité comme un homme de science de son temps, c’est-à-dire d’un temps où la frontière de la science ne se constituait pas aussi nettement qu’aujourd’hui contre le mysticisme : Fourier lui-même a d’ailleurs souligné que Newton fut l’auteur d’écrits alchimistes, et que Kepler fut aussi l’auteur des Harmonies du monde. Ce que l’on voudrait essayer donc de commencer à montrer ici, c’est que juger certaines de ces caractéristiques fondamentales de l’œuvre de Fourier que nous allons détailler, au pire comme des fautes, au mieux comme des défauts ou des faiblesses épistémologiques, c’est très vraisemblablement céder à l’anachronisme. Autrement dit, c’est juger de textes scientifiques de la première moitié du xixe siècle à l’aune de critères qui ne furent que plus tardivement constitués en attributs ou en preuves de scientificité.
La « révolution inaugurale » des sciences sociales
7Ce qui frappe d’emblée à la lecture de Fourier, c’est que le discours qu’il tient sur la science tout au long de son œuvre se présente en réalité d’abord sous la forme d’un discours sur lui-même, dont la rhétorique particulière a pu être assimilée à une sorte de « complexe de Christophe Colomb » [9]. Et effectivement, Fourier a systématiquement recours à la figure archétypale de Christophe Colomb pour rendre compte de sa propre position dans le domaine scientifique. Cette comparaison est présente dès les premiers écrits, puisqu’on la trouve en particulier dans ce passage souvent cité d’Égarement de la raison, un texte publié seulement en 1847, mais vraisemblablement rédigé entre 1803 et 1806, donc avant même la publication de la Théorie des quatre mouvements :
« J’ai fait ce que mille autres pouvaient faire avant moi, mais j’ai marché au but seul, sans appui et sans chemin frayé. J’ai osé comme Colomb m’aventurer le premier dans un océan inconnu, dans le calcul des destinées qui avait effrayé les savants de toutes les classes. Moi seul j’aurai confondu 30 siècles de visions et d’imbécillité, nul ne peut revendiquer la moindre part à ma découverte, c’est à moi que les générations présentes et futures devront l’hommage de leur bonheur et cet hommage ne pourra être partagé que par celui qui opèrera la délivrance du genre humain, en mettant à exécution les lois de Dieu dont je suis l’inventeur ».
9Quelle représentation, ce faisant, Fourier cherche-t-il à donner de lui-même ? Il le proclame très explicitement : « Je ne suis pas écrivain, mais inventeur » [10]. Au delà de cette proclamation, on n’est évidemment pas obligé de faire toute confiance à Fourier pour décrire adéquatement le champ intellectuel, autrement dit le système des relations sociales dans lequel sa démarche de penseur et d’écrivain social et politique l’engage ; mais on peut au moins relever que la position qu’il entend ainsi occuper a été mûrement réfléchie :
« Les commerçans comprennent fort bien cette vérité ; chacun d’eux s’ingénie à s’écarter de la grande route, à trouver des articles inconnus : Il n’y a rien à gagner sur un article qui est entre les mains de tout le monde ; c’est, disent-ils, un article gâché, perdu.
Il en est de même en négoce du monde savant : ses articles de grande route, ses vieilleries dites métaphysique, politique, moralisme, économisme, sont des articles gâchés, perdus ; les écrivains judicieux devraient avoir le bon sens de chercher des sciences neuves, et de spéculer sur les articles inconnus, dédaignés, qui ne sont pas sur la grande route, et qu’on prend pour des trivialités indignes d’attention, ignobles (…).
C’est donc en s’écartant de la grande route qu’on arrive aux bonnes spéculations ; en science et en commerce il faut s’attacher aux articles inconnus » [11].
11La comparaison ainsi mise en œuvre par Fourier pour rendre compte de sa propre démarche scientifique dresse un parallèle explicite entre les stratégies des producteurs scientifiques et les stratégies commerciales, précisément entre l’innovation scientifique et l’innovation économique : est décrite ici la nécessité qui s’impose aux « nouveaux entrants » sur le marché de la science de choisir des objets de recherche dévalorisés, car dédaignés par les producteurs dominants, car seuls ces objets, sur laquelle la concurrence est encore faible, peuvent permettre de réaliser un important profit symbolique. Du reste, Fourier a une conception effectivement « libérale » de la recherche scientifique, dans la mesure où il considère que la concurrence entre les producteurs scientifiques est scientifiquement productive : « L’esprit de contradiction supplée souvent aux lumières » [12]. Certes, chez lui, l’analogie entre la science et le commerce est au moins autant le produit de son expérience personnelle que le signe d’une perception adéquate du fonctionnement vrai du champ scientifique : la position dominée que Fourier – qui fut, de métier, comptable, représentant, courtier aux ordres – occupa dans le commerce est dans les faits relativement homologue à celle qu’il occupa dans le champ intellectuel de son temps.
12Encore faut-il parvenir à établir de quelle sorte de « champ » intellectuel il s’agit réellement. Autrement dit, il convient de définir l’espèce spécifique de capital symbolique autour de laquelle s’organise la concurrence dans laquelle Fourier est pris. Faut-il parler comme on vient de le faire à l’instant, de façon très générale, de champ intellectuel ? Convient-il plutôt de spécifier plus strictement le domaine envisagé, en le désignant comme le champ scientifique ? Ou bien peut-on dire même que les relations sociales observées à l’intérieur d’un espace plus strictement délimité encore sont suffisamment homogènes pour autoriser à parler déjà d’un « champ des sciences sociales » ? La difficulté provient du fait qu’il n’y a en réalité aucun consensus entre les différents agents engagés dans cette lutte sur la définition du champ à l’intérieur duquel ils luttent, car tous mettent en œuvre, d’une certaine façon, la même stratégie polémique qui consiste à exclure les concurrents du champ scientifique en les rejetant soit dans le champ littéraire (comme le fait Fourier avec la philosophie), soit dans le champ politique (comme le fit ensuite Durkheim avec le socialisme). Dès lors, plutôt que d’essayer à toute force de définir l’échelle pertinente qui permettrait de restreindre l’étude à un espace de relations sociales homogènes, peut-être faut-il en fait prendre cette difficulté même comme objet, car l’indétermination dont elle témoigne donne des indications précieuses sur le degré d’autonomie du champ des sciences sociales, sur le stade de son développement morphologique : le dissensus sur la définition du champ est l’indice de ce que Bourdieu appelle le moment des « révolutions inaugurales », que l’on peut décrire comme le produit de démarches « sécessionnistes » mises en œuvre par certains agents à l’intérieur d’un champ, et qui « donnent naissance à un nouveau champ en constituant, par la rupture, un nouveau domaine d’objectivité » [13].
13Certaines des stratégies observables à ce moment précis de l’histoire des sciences sociales indiquent clairement, de fait, que le champ dans lequel elles prennent sens n’est que très faiblement autonome : l’autonomie d’un champ scientifique se mesure, selon Pierre Bourdieu [14], à la force de « l’affirmation du droit des scientifiques à trancher des questions scientifiques » ; or, le principe de l’évaluation scientifique, dans l’esprit de Fourier et des dirigeants de l’École sociétaire, reste un principe essentiellement externe, comme en témoigne l’exigence récurrente d’une tutelle politique de la science sociale. C’est ainsi qu’il faut comprendre en tout cas l’appel maintes fois répété de Fourier en faveur de l’établissement d’une « police » des découvertes extérieure au monde scientifique, ou encore, un peu plus tard, le projet d’un « ministère du Progrès et de l’Expérience » soumis en 1849 à l’Assemblée constituante par Victor Considérant, qui était le chef de l’École sociétaire, et à bien des égards sa figure la plus emblématique depuis la mort de Fourier en 1837. La science sociale que Fourier prétendait fonder, c’est-à-dire constituer comme un champ autonome, détaché en particulier de la littérature, de la morale et de la métaphysique, n’était donc encore absolument pas autonome en réalité.
14En ce sens, il est plus raisonnable de considérer que la « stratégie » qui est la sienne s’inscrit historiquement en deçà même de cette fameuse « révolution inaugurale » des sciences sociales. Ce n’est pas avec le fouriérisme que le capital spécifique autour duquel s’organise la sociologie commence à s’objectiver dans des institutions, des revues, des formations et des titres universitaires, à s’incorporer dans des dispositions. Le fouriérisme est en ce sens moins l’initiateur d’un mouvement d’accumulation primitive d’un capital d’autorité « sociologique », qu’un agent, parmi quelques autres, de ce que Pierre Bourdieu appelle une « invention hérétique », caractérisant le moment de rupture qui précède en fait l’inauguration d’un nouveau champ : en particulier, cela se traduit chez Fourier par la volonté maintes fois proclamée de se présenter comme « un homme presque illitéré » [15], autrement dit par un refus radical du jeu de l’hommage aux prédécesseurs, de l’accumulation des acquis, de la reconnaissance des sources, bref un refus « d’entrer dans le cycle de l’échange de reconnaissance qui assure une transmission réglée de l’autorité scientifique entre les tenants et les prétendants » [16].
15Dans la « parade de l’ignorance » que l’œuvre de Fourier met ainsi en scène, il y a bien sûr en partie l’expression d’une position dominée dans le champ intellectuel. Mais cela n’empêche pas cette ignorance de Fourier d’avoir une dimension stratégique essentielle, comme fondement de « l’invention hérétique » : Fourier a su d’une certaine façon faire de la nécessité que constitue son ignorance, une vertu scientifique qui le conduit à formuler l’exigence d’une rupture épistémologique décisive, celle par laquelle la « science sociale » entreprend de se détacher du domaine général de la philosophie. L’affirmation par Fourier du caractère scientifique de sa démarche se construit de fait très clairement comme une stratégie de rupture : rupture avec « l’utopie », avec la métaphysique et l’ensemble des sciences incertaines. En dernier ressort, ces trois termes – utopie, métaphysique, philosophie – apparaissent comme équivalents sous la plume de Fourier et de ses disciples.
« Le style de la science »
16À la fin de son article sur « le champ scientifique », Pierre Bourdieu explique que les stratégies de légitimation et de conservation mises en œuvre par les représentants de la sociologie officielle contemporaine consistent essentiellement à importer les modèles de la pratique scientifique des sciences « plus avancées », c’est-à-dire occupant une position plus élevée dans la hiérarchie sociale des sciences. Mais comme ces modèles sont généralement importés, par analogie, dans des domaines où rien n’assure a priori leur validité, les stratégies qu’ils soutiennent se réduisent en fait à une « parade » de la scientificité, à la mise en œuvre non pas de modèles de pratiques, mais simplement à une exhibition intéressée des « attributs symboliques de la respectabilité scientifique » [17]. De fait, on a pu souligner précédemment [18] que, chez Fourier, le recours systématique à l’analogie discursive apparaît comme un des principaux fondements de sa stratégie de rationalisation de la réflexion sociale : le recours au modèle newtonien pour rendre compte des lois de « l’Attraction sociale » est sans doute la plus connue de ces analogies fouriéristes ; mais son œuvre est en réalité caractérisée par de nombreux autres « emprunts » (à la botanique, à la musicologie, et enfin à la figure, classique au xixe siècle, de l’organisme vivant) qui ensemble composent une sorte de « foisonnement analogique » qui, malgré les dérives substantialistes qu’il entraîne en partie, reste dans l’esprit de Fourier non pas le produit d’une volonté d’affaiblissement de la rationalité du discours, mais est au contraire un des moteurs de son projet épistémologique. Cela dit, ce dont témoigne l’œuvre de Fourier, c’est que dans un autre état du « champ » des sciences sociales, antérieur d’un siècle et demi, précisément dans la période qui entoure la « révolution inaugurale » qui l’arrache à la philosophie, la parade de la scientificité sert non pas une stratégie de conservation, mais au contraire de subversion diamétralement opposée à celle que Pierre Bourdieu décrit.
17Dans cette stratégie de subversion de la philosophie par l’importation dans le champ des études sociales d’un discours dont la rhétorique est empruntée à Newton en particulier et à celles qu’il nomme les « sciences fixes » en général, Fourier s’appuie d’abord explicitement sur les mathématiques et la géométrie : « Ma théorie sociétaire ne donne point dans l’arbitraire des faiseurs de systèmes ; elle se fonde sur un procédé spécial, puisé dans la nature, conforme au vœu des passions et aux théorèmes de géométrie ; car le mécanisme des séries passionnées est géométrique en tous sens » [19]. Il y a, rassemblés dans cette proclamation, tous les éléments constitutifs de la subversion de la philosophie par la science entreprise par Fourier : sa visée essentiellement critique, contre « l’arbitraire des faiseurs de système », la conformité de la théorie aux lois naturelles, la possibilité enfin d’énoncer ces lois dans des termes empruntés aux sciences exactes, ou construits du moins, comme on va le voir, sur le même modèle rhétorique que celui des sciences exactes.
18Ainsi, de façon anecdotique mais tout à fait significative, les efforts faits par Fourier pour éviter que l’attention des lecteurs ne se focalise trop exclusivement sur son premier ouvrage, la Théorie des quatre mouvements, ne prennent tout leur sens que si on les réfère à la mise en place progressive de cette forme spécifique de stratégie de subversion. Le jugement que Fourier portait sur son premier ouvrage, tel en tout cas qu’il fut rapporté par ses disciples, est suffisamment clair à ce sujet : « Ce n’est pas le style de la science » [20]. Ce qui témoigne de l’instrumentalisation stratégique du recours au modèle de la science, contre la philosophie, c’est que le jugement de Fourier apporte une réponse non pas à une question de fond : « Est-ce de la science ? », mais à une question de forme, autrement dit ici de rhétorique : « Est-ce le style de la science ? ». De ce point de vue pourtant, comme on va le voir, on trouve dans les premiers articles de 1803, puis dans la Théorie des quatre mouvements, la plupart des éléments constitutifs de ce que l’on pourrait considérer au xixe siècle comme le « style de la science ».
19En l’occurrence, le style, c’est d’abord une « écriture » : en grande partie épurée des plus voyantes de ses élucubrations après 1808, l’œuvre de Fourier n’en reste pas moins constamment marquée ensuite par ce que la plupart de ses commentateurs ont considéré comme des extravagances stylistiques : Fourier maintint de fait tout au long de son œuvre une remarquable capacité d’invention linguistique, que ses disciples soucieux d’une plus grande austérité stylistique déplorèrent constamment. La « fantaisie » de son écriture fut tardivement saluée par celles et ceux qui choisirent de voir en lui non pas seulement un penseur social mais aussi et surtout un écrivain et un poète. Cette « réorientation » [21] de la lecture de son œuvre dans la seconde moitié du xxe siècle est due en particulier à André Breton, qui dans son Ode à Fourier [22], fait de lui un ancêtre du surréalisme. À sa suite et après l’exhumation du Nouveau monde amoureux par Simone Debout-Oleszkiewicz, d’autres ont salué en Fourier le poète, le « logothète » [23], l’auteur des « trouvailles verbales les plus exquises » [24].
20Fourier se voulait-il poète ? Rien n’est moins certain en réalité, et il semble bien dans un premier temps qu’il ait proclamé un désintérêt presque intégral vis-à-vis de toute préoccupation formelle : ne prétendant pas au titre d’écrivain mais à celui d’inventeur, il ne pouvait logiquement que se méfier des « charmes du style » [25] et des « fleurs de rhétorique » [26]. En conséquence, dès son premier ouvrage, il avertit clairement ses lecteurs qu’ils ne sauraient attendre de lui les qualités littéraires exigées de la fiction ou des œuvres de « plaisante morale » : « Gardez-vous soigneusement encore d’écouter les critiques qui porteraient sur l’inventeur et non sur l’invention. Qu’importe la manière dont elle est annoncée ? que ce prospectus manque de style, de méthode, etc. : j’y consens et ne veux pas même chercher à mieux faire dans les mémoires suivants. Fussent-ils écrits en patois c’est l’invention et non pas l’inventeur qu’il faut juger » [27].
21Cela dit, l’écriture de Fourier présente des spécificités qui, considérées dans leur ensemble, peuvent être décrites comme caractéristiques d’un style propre. On peut certes rire, comme le firent ses détracteurs, de ses néologismes et de ses classifications extravagantes, ou bien les craindre comme le firent la plupart de ses disciples, soucieux de respectabilité. Mais on peut aussi les considérer d’un point de vue très différent, comme l’expression externe de la rigueur scientifique. Fourier se réclamait en effet du droit de l’inventeur, non de celui de l’écrivain, à créer un vocabulaire spécifique à la science nouvelle qu’il entendait fonder. Sa néologie, loin en réalité des effets de style, ne serait donc à ses yeux que « technique et obligée » [28], et les termes ainsi forgés ne présenteraient d’ailleurs selon lui aucune difficulté de compréhension particulière : « Quant aux mots nouveaux, des femmes qui ne savent ni grec ni latin les ont compris ; et des savants prétendront qu’ils sont arrêtés par quelques mots composés, comme gastrosophie ou sagesse de la gourmandise, mot formé de gastronomie et philosophie ! » [29]. De tous les néologismes inventés par Fourier, celui par lequel il désigne le lieu dans lequel il entend expérimenter sa théorie est sans doute un des rares à avoir laissé une trace durable dans le langage commun : il s’agit en effet du « Phalanstère », mot créé par Fourier à partir du radical phalan(ge), et du suffixe emprunté à (mona)stère [30]. Mais en réalité, au lieu d’éloigner sa doctrine de la science, la néologie de Fourier constituait à ses yeux un des attributs fondamentaux de la scientificité de son texte, dans lequel il fallait voir l’expression d’une stratégie de rupture épistémologique fondée sur un refus explicite des normes formelles constitutives de la bienséance intellectuelle de son temps.
22Le « style de la science », ensuite, se traduit dans ce que l’on pourrait appeler la manie taxinomique de Fourier. Pour Durkheim, la sociologie, pour parvenir à la scientificité, doit décrire les choses telles qu’elles sont, et la meilleure façon d’y parvenir consiste à les regrouper au sein d’ensembles cohérents, de « types » ou de « classes » qu’il s’agira de définir : la raison en est, selon lui, que « la science ne peut décrire les individus, mais seulement les types » [31]. Et il constate que la philosophie, quand elle a pris les sociétés pour objets, n’a pas essayé depuis Aristote jusqu’au xixe siècle, de classer autre chose que des formes d’États. On peut donc reconnaître à Fourier le mérite d’avoir cherché à classer des objets plus triviaux, d’avoir en fait cherché à tout classer, même ce qu’on pensait inclassable, pour montrer justement qu’une science du social, descriptive et classificatoire, était possible. Les exemples de classifications fouriéristes sont en effet très nombreux, et frappent surtout par la diversité des objets auxquels s’applique l’effort taxinomique. Sans entrer dans leur détail, on mentionnera ici notamment, le « tableau synoptique des 36 caractères du commerce civilisé » [32], la classification des banqueroutes [33], le « tableau des disgrâces de l’état conjugal » [34], et celle qui reste sans doute la plus célèbre et la plus originale de toutes : la classification des différentes sortes de cocus, dont la Théorie des quatre mouvements ne présente qu’un extrait [35], et qui fut restituée dans sa version complète, d’après son manuscrit original, en 1925, sous le titre de Hiérarchie du cocuage [36].
23Fourier se montre, dans la justification de sa manie classificatoire, particulièrement sensible au prestige dont jouissent dans la première moitié du xixe siècle les taxinomies de Buffon et de Linné, comme il le suggère lui-même : « Il faut au classement matériel des Linné et des Buffon allier le classement passionnel » [37]. Cette manie qui parcourt l’ensemble de son œuvre apparaît clairement déterminée par la volonté de procéder dans le domaine des études sociales de la même façon que dans les sciences de la nature, et si les classifications de Fourier peuvent apparaître fantaisistes par ce qu’elles classent et la façon dont elles classent, elles ne le sont certainement pas dans leur finalité, qui est de revêtir le discours de ce qui est considéré dans la première moitié du xixe siècle comme un attribut fondamental de la scientificité.
24Le « style de la science », c’est enfin, chez Fourier, une forme particulière de mise en récit du travail intellectuel. De ce point du vue, il est frappant de constater à quel point, dès les premiers articles publiés en 1803 dans le Bulletin de Lyon, Fourier déploie déjà pleinement un discours de la « découverte », que l’on pourrait considérer comme le mythe fondateur de sa stratégie de subversion : l’intuition première des lois qui composent la théorie sociétaire n’aurait pas résulté d’une introspection, mais de l’observation, et ces lois ne seraient donc pas des principes moraux, mais des règles qu’observaient déjà la nature et les sociétés avant que Fourier ne les énonçât. Leur formulation, plutôt que d’une invention, procède donc en réalité d’une découverte scientifique dont le modèle est d’ailleurs explicitement emprunté, jusque dans l’aspect le plus anecdotique de ses circonstances, à la découverte newtonienne :
« Une pomme devint pour moi, comme pour Newton, une boussole de calcul. Cette pomme, digne de célébrité, fut payée quatorze sous par un voyageur qui dînait avec moi chez le restaurateur Février, à Paris. Je sortais alors d’un pays où des pommes égales et encore supérieures en qualité et en grosseur se vendaient un demi-liard, c’est-à-dire plus de cent pour quatorze sous. Je fus si frappé de cette différence de prix entre pays de même température, que je commençai à soupçonner un désordre fondamental dans le mécanisme industriel, et de là naquirent les recherches qui, au bout de quatre ans, me firent découvrir la théorie des séries de groupes industriels, et par suite les lois du mouvement universel manquées par Newton » [38].
26À une représentation du processus d’élaboration comme une lente et progressive maturation, Fourier substitue l’image d’une rupture brutale, qui s’inscrit dans le temps à un instant précis, aisément datable [39]. Cette conception du « travail » scientifique, cela dit, n’est pas propre à Fourier, mais semble au contraire caractériser plus largement les débuts des sciences sociales, puisqu’on la retrouve notamment aussi dans le discours que tient Auguste Comte sur la science nouvelle qu’il entend fonder, dont la direction « fut irrévocablement déterminée en mai 1822, par l’opuscule où surgit (sa) découverte fondamentale des lois sociologiques » [40]. Par le fait qu’elle procède de l’observation et non de l’introspection, par sa soudaineté aussi, la découverte chez Fourier a des caractéristiques proches de la révélation : la découverte scientifique est assimilable à la résolution du mystère de la nature, de l’énigme que constituent les lois auxquelles elle obéit, lois que la science a pour mission non pas d’inventer mais de « révéler », c’est-à-dire littéralement de dévoiler. Particulièrement significative de cette conception de la découverte scientifique est l’omniprésence dans l’œuvre de Fourier de l’image du « voile » qui pèse sur la nature : on la retrouve dans deux des citations favorites de Fourier, maintes fois reproduites tout au long de son œuvre : celle de Voltaire selon laquelle une « épaisse nuit voile encore la nature », et celle de l’Abbé Jean-Jacques Barthélémy, selon laquelle « la nature est couverte d’un voile d’airin que tous les efforts des siècles ne sauraient percer ».
Une science expérimentale
27La « parade » de la scientificité, dont on vient d’énumérer quelques-uns des symptômes les plus voyants – méfiance vis-à-vis des « charmes du style », manie taxinomique, discours de la « découverte » plutôt que de l’invention –, structure la rhétorique fouriériste dès le début. Mais il ne s’agit pas que de cela : lorsque dans la Théorie de l’unité universelle, Fourier énonce les « douze devoirs d’étude méthodique » auxquels la philosophie a systématiquement failli, et dont l’observation suffit à garantir l’accès à la vérité des objets étudiés, il insiste particulièrement sur une règle méthodologique fondamentale, qui consiste à « se rallier à la vérité expérimentale, n’admettre que la vérité confirmée par l’expérience » [41]. Fourier n’a en effet jamais cessé d’appeler, dans tous ses écrits, à la mise à l’épreuve pratique de sa théorie, par la formation d’une « Phalange » de volontaires, leur installation dans un « Phalanstère » et leur organisation en « séries » agricoles et industrielles savamment composées, dont le produit matériel extraordinaire démontrerait la validité de ses principes.
28C’est dans un manuscrit datant vraisemblablement de 1803 que l’on trouve la première expression de cette exigence : « Si un plan de réforme est sagement conçu, demande Fourier, pourquoi ne pas l’éprouver d’abord sur divers petits cantons, afin de prévenir les désordres que produirait dans l’empire entier (la mise en œuvre) d’un système erroné ? » [42]. Et dès le début de la Théorie des quatre mouvements, en 1808, l’exigence de la vérification expérimentale est à nouveau affirmée, dans un passage où s’exprime d’ailleurs à nouveau le « complexe de Christophe Colomb » de Fourier :
« Et tandis que les sophistes du dix-neuvième siècle répèteront avec ceux du quatorzième qu’il n’y a rien de nouveau à découvrir, ne se peut-il pas qu’un potentat veuille tenter l’essai que firent les monarques de Castille ? Ils exposaient peu de chose en hasardant un vaisseau pour courir la chance de découvrir un nouveau monde et d’en acquérir l’empire. Un souverain du dix-neuvième siècle pourra dire de même : Hasardons sur une lieue carrée l’essai de l’association agricole, c’est bien peu risquer pour courir les chances de tirer le genre humain du chaos social, de monter au trône de l’unité universelle, et de transmettre à perpétuité le sceptre du monde à nos descendants » [43].
30À partir du Traité de l’association domestique agricole, cette exigence expérimentale conduit Fourier à une description systématique du protocole qui doit permettre la vérification de sa théorie, et qui sous le nom de « Théorie en concret » occupe près de deux cents pages de l’ouvrage [44]. Cette « théorie en concret », dans laquelle il décrit minutieusement les dispositions géographiques, architecturales et sociologiques à respecter dans la mise en place d’une communauté humaine chargée de mettre sa doctrine à l’épreuve, constitue ce que l’on pourrait donc appeler une « théorie de la pratique » expérimentale de la science sociale fouriériste. Il s’y attache tout d’abord à préciser l’échelle du dispositif expérimental. L’échelle la plus réduite est celle du « mode sociétaire simple », qui regroupe 400 à 500 personnes.
31Dans un premier temps, Fourier considère qu’il s’agit là d’un effectif minimum en deçà duquel l’expérience ne peut être tentée ; mais, contre ceux de ses commentateurs qui ont voulu la décrire comme figée dans sa forme définitive dès les premiers écrits [45], il faut indiquer qu’il y a indéniablement, dans l’œuvre de Fourier, une évolution ensuite sur ce point, liée à la seconde seconde « découverte » (sic) faite par Fourier en 1819, celle du principe de « l’association simple » : bien avant la première déconvenue expérimentale de Condé-sur-Vesgre, survenue en 1833, Fourier avait en réalité lui-même entrepris d’adapter son dispositif théorique à une « épreuve réduite » en dressant le plan des « approximations sociétaires » permettant de passer par une série d’étapes pratiques transitoires à l’association intégrale. Pour Jonathan Beecher, c’est « simplement par souci d’exhaustivité théorique (aussi peut-être un peu comme une sorte de jeu d’esprit) » [46] que Fourier a élaboré le dispositif de « l’épreuve réduite ». Il me semble au contraire que la recherche par Fourier d’une économie de moyens pratiques n’avait rien d’un jeu gratuit de l’esprit, mais correspondait en réalité parfaitement à l’ensemble de l’évolution dont témoignait la publication de l’ouvrage de 1822 : elle démontrait une soumission de la théorie à la perspective de son expérimentation, qui suffirait à elle seule à prouver que ces deux dimensions ne sont pas imperméables l’une à l’autre dans l’œuvre de Fourier.
32Le Traité de l’association domestique agricole fournit d’ailleurs quelques exemples concrets de cette perméabilité, par lesquels Fourier démontre, au moins en théorie, que la doctrine est susceptible de s’enrichir des leçons que pourrait apporter son expérimentation. Il n’excluait d’ailleurs pas la possibilité même d’un échec de ces expériences, tout en soulignant que l’échec lui-même pouvait être source d’enseignements théoriques : « dans le nombre des essais, on aurait obtenu des succès et des échecs. Le résultat eut été ou d’introduire d’après l’expérience des améliorations importantes, ou d’écarter d’après l’expérience des innovations dangereuses ». Cette question de l’échec, il se l’était enfin posée explicitement à lui-même dans une sorte d’auto-interview qui figure dans les « Sommaires » du Traité de l’association domestique agricole, et la réponse qu’il y apportait préfigurait de façon assez étonnante certaines des évolutions majeures des histoires conjointes de la théorie et de la pratique fouriéristes :
« Question… Si l’épreuve était douteuse ou défavorable, si enfin l’on échouait dans l’essai, quel en serait le résultat en bien ou en mal ?
Rép. Le résultat, le pis-aller même, dans le cas d’erreur, d’illusion théorique, donnerait en pratique d’énormes avantages, car si le seul pouvoir de l’attraction ne suffisait pas à soutenir le mécanisme des séries contrastées, on pourrait le soutenir de statuts et engagements selon nos méthodes, et conserver les innombrables bénéfices de gestion économique, progrès de mécanique, perfectionnement des espèces, garanties sanitaires (…). tous ces bienfaits, même dans le cas de fausseté des calculs d’attraction, naîtraient encore de la distribution et de l’exercice par séries contrastées soumises à des engagements et statuts » [47].
34Fourier ajoute, un peu plus loin, que « si le produit doit être TRIPLE par voie d’attraction, il reste encore DOUBLE par voie de sujétion » [48]. Autrement dit, l’échec pourrait conduire – c’était du moins ce que pensait Fourier dès le début des années 1820 ! – à ne chercher la mise en œuvre pratique de l’association que dans le domaine productif ou « matériel », et à délaisser la dimension « passionnelle » de la théorie. Dès lors, il n’y a aucune surprise à constater, à mesure que son audience s’élargissait, une évolution parallèle du processus d’élaboration théorique, marqué par une « moralisation » de la doctrine, et une redéfinition du champ de ce qu’il convenait d’en expérimenter.
35Les prescriptions du protocole expérimental ainsi élaboré ne se résument évidemment pas à une simple question d’échelle, même si celle-ci est longuement développée dans la « théorie en concret » de l’association. Fourier attire ainsi l’attention sur quelques unes des conditions géographiques de l’expérimentation : l’essai, en particulier, doit être localisé près d’un cours d’eau, sur un terrain propice à la plus grande variété possible de cultures, mais néanmoins à proximité d’une grande ville. Le protocole expérimental intègre ensuite un certain nombre de prescriptions sociologiques, portant sur la structure de la Phalange elle-même : celle-ci doit en effet regrouper, selon des règles de composition minutieusement élaborées, des personnes présentant la plus grande variété possible en fortunes, en âges et en caractères.
36Enfin, le dernier ensemble de prescriptions préparatoires porte sur les conditions architecturales de l’expérience : Fourier ne se contente pas de décrire l’implantation géographique et la composition sociologique de la Phalange, il la dote d’un bâtiment, à la fois lieu de vie et de travail. L’ensemble des prescriptions architecturales contenues dans les descriptions du Phalanstère [49] ne vise qu’un seul et même but, faciliter les relations interindividuelles afin de permettre le déploiement intégral des effets de l’attraction passionnée : de cette ambition témoignent la volonté de rapprocher les différents bâtiments les uns des autres, la multiplication des « rues-galeries », passages abrités et chauffés destinés à faciliter la circulation [50], ou encore la multiplication des salles de réunions – ou « séristères » – de toutes tailles.
37La description détaillée que Fourier fait du Phalanstère illustre de façon exemplaire le double sens que revêt en réalité chez Fourier la notion d’attraction : d’une part, elle désigne le mécanisme fondamental des interactions sociales, dont l’architecture sociétaire doit faciliter le déploiement intégral. Mais d’autre part, l’attraction désigne aussi le mode de la réalisation de la théorie : pour s’imposer, la doctrine sociétaire doit « attirer », c’est-à-dire séduire. C’est alors la doctrine elle-même qui doit être « attrayante » : on retrouve par exemple cette seconde acception de l’attraction dans les reproches que Fourier fait à l’ascétisme owenien, en particulier quand il indique que si certaines conditions de confort ne sont pas remplies à Motherwell, où doit être réalisé un nouvel établissement owéniste, « on manquera le but qui est d’attirer, élever l’attraction industrielle au degré suffisant pour séduire hommes, femmes et enfants de tous âges et de toutes fortunes ; entraîner les sauvages comme les civilisés » [51]. J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer ailleurs [52] à quel point la dénonciation, comme « utopique », de cette croyance dans la force de l’exemple expérimental, pouvait faire manquer les principes les plus fondamentaux de détermination de l’architecture et de l’organisation mêmes du phalanstère : elles tirent en effet nombre de leurs caractéristiques de la tension entre la nécessité de donner à voir ce qu’il s’y passe, et celle de préserver la pureté des conditions de l’expérience en l’isolant de la Civilisation qui l’entoure. Ainsi, la distance du lieu d’implantation du phalanstère avec une grande ville est déterminée tout à la fois des considérations logistiques en matière d’approvisionnement et d’échanges commerciaux, par la volonté d’offrir au grand nombre des curieux la possibilité de visiter le Phalanstère et d’en contempler la réussite, et par celle aussi de se protéger « contre la contagion des mœurs civilisées » et tenir ses visiteurs « consignés en quarantaine morale » [53]. Cette tension se traduit concrètement dans l’organisation architecturale du Phalanstère : d’une part, il devra être entouré d’une palissade destinée à le « garantir des curieux importuns » [54] ; d’autre part, l’espace architectural du Phalanstère sera divisé soit horizontalement, soit verticalement, de façon à cantonner les visiteurs à sa périphérie. Ceux-ci seront alors accueillis soit dans un « caravansérail » situé à l’extrémité de l’aile gauche du bâtiment principal, soit dans un « camp cellulaire » situé à la frise du Phalanstère, au-dessus du dernier étage [55] : le Phalanstère doit être transparent, mais imperméable.
38Même si Fourier lui-même ne le fait pas explicitement, ce n’est pas forcer le trait que de comparer en définitive le Phalanstère à une « éprouvette » (la première occurrence avérée de ce mot date de 1803…), c’est-à-dire à un dispositif matériel qui permet à la fois d’observer l’expérience et de la préserver d’interactions parasites avec le milieu ambiant. Ainsi, la description du Phalanstère apparaît entièrement déterminée par la soumission de son architecture à l’exigence expérimentale du projet fouriériste, qui fait du Phalanstère un véritable « laboratoire » scientifique de la théorie sociale, et de l’exigence expérimentale le critère même de sa scientificité, exigence qui la distingue fondamentalement de la philosophie, « dont les théories ne sont pas compatibles avec l’expérience, et n’ont pour règle que la fantaisie des auteurs » [56].
39Et pourtant, malgré ce rôle fondamental de l’exigence expérimentale dans la construction de la doctrine fouriériste, comme dans l’explication de ses évolutions, très peu de questions ont été posées, jusqu’à présent, à la notion d’expérimentation sociale qui s’y élabore ainsi, à son statut vis-à-vis de la doctrine, aux relations qu’elles entretiennent l’une avec l’autre, et a fortiori à la posture épistémologique particulière qu’ensemble elles composent. Pourquoi, dans le tri opéré au sein de l’œuvre de Fourier par ses commentateurs, l’ambition méthodologique spécifique qui s’y formule, construite autour de l’exigence d’une « expérimentation sociale », a-t-elle été négligée de façon aussi générale ? Seuls font exception à cette indifférence générale le travail déjà ancien de Maurice Lansac sur Les conceptions sociologiques de Charles Fourier [57], et la contribution un peu plus récente de Robert Pagès sur « L’expérimentation en sociologie » [58], qui désigne la doctrine fouriériste comme « la pensée qui se réclame le plus expressément et, sous bien des rapports, légitimement, de la science sociale expérimentale ». Mais s’agit-il réellement d’indifférence ? Ce n’est pas que la notion d’expérimentation sociale chère aux fouriéristes a été jugée peu intéressante, voire infondée ou caduque : dans l’ensemble, elle n’a tout simplement pas été perçue, et donc elle n’a pas été commentée. Il convient pourtant d’attirer l’attention, d’emblée, sur le fait que l’invocation de la méthode expérimentale dans l’œuvre de Fourier est en réalité loin d’être fortuite ou secondaire ; elle y est au contraire une préoccupation explicite, récurrente et centrale, qui en fonde le projet scientifique.
40Bien sûr, l’exigence expérimentale ainsi formulée a eu, tout au long de l’œuvre de Fourier comme tout au long de la vie politique de l’École sociétaire, une forte fonction polémique – mais pas seulement : « l’expérimentalisme » social de Fourier relève d’une analogie méthodologique qui contraint à sa mise en œuvre et lui interdit donc de rester purement rhétorique, sous peine d’annuler justement toute son efficacité polémique. Il ne s’agit plus ici seulement d’imiter « le style de la science » : les fouriéristes ne sauraient indéfiniment reprocher à leurs adversaire de refuser l’expérimentation, sans eux-mêmes expérimenter leur propre doctrine. L’élaboration d’une théorie de la pratique les contraignait à la mise en œuvre d’une pratique de la théorie. C’est évidemment là que le bât a blessé : de la première tentative de Condé-sur-Vesgre en 1833 jusqu’à celle de Réunion dans les années 1850, échelonnées sur près de trois décennies, les expérimentations menées par les disciples de Charles Fourier furent toutes finalement considérées comme des échecs par les historiens du fouriérisme, unanimes pour une fois sur ce point. La somme accumulée de ces échecs jetait évidemment une ombre sur l’ambition pratique de l’œuvre fouriériste, mais risquait aussi par contrecoup d’en fragiliser les fondements théoriques. Antoine Savoye écrivait ainsi dans son ouvrage consacré aux Débuts de la sociologie empirique, à propos des fouriéristes : « S’ils ont à leur actif plusieurs essais phalanstériens, leurs résultats ne sont guère probants et portent tort à leur conception plutôt qu’ils n’en montrent la validité » [59].
41Tel était de fait le risque que son expérimentation faisait courir à la théorie : si le succès expérimental devait produire la validation de la théorie sociétaire, l’échec risquait forcément, au contraire, de faire la démonstration inverse, celle de son invalidité, malgré les belles déclarations de principe évoquées plus haut. Ce risque conduisit l’École sociétaire, après Condé-sur-Vesgre, à privilégier le raffinement de la théorie, et donc à retarder sine die le moment de son expérimentation pratique. Et lorsqu’elle fut ensuite confrontée à ses échecs répétés, l’histoire du fouriérisme pratique se reconstruisit petit à petit en oscillant, sans surprise aucune, entre la négation et l’oubli. Déjà en 1849, un article du quotidien fouriériste La Démocratie pacifique, pour récuser l’accusation d’échec, niait l’expérimentation :
« M. Considérant nie formellement, entendez-vous bien, que jamais le phalanstère ait échoué nulle part, pour la raison qu’il n’a jamais été nulle part mis en expérimentation. Il est bien vrai qu’en 1832-1833 on a voulu faire à Condé-sur-Vesgre un essai d’association phalanstérienne : on a fondé un comité, acquis plusieurs centaines d’hectares de bruyère… Mais les fonds ne sont pas venus… Il y a donc eu à Condé-sur-Vesgre un commencement de préparation du champ d’expérience, où l’on avait l’intention de mettre en pratique le système phalanstérien, mais pas la moindre expérimentation dudit système » [60].
43Si cet article a été si fréquemment cité par les historiens du fouriérisme et les observateurs de l’histoire sociale du xixe siècle [61], c’est évidemment parce qu’il sert très opportunément cette « reconstruction » de l’histoire de l’École sociétaire. Et il ne faut pas s’étonner dès lors que pendant les années qui suivirent l’échec ultime, celui de Réunion (Texas), la mémoire collective de ce qui restait de l’École sociétaire ne porte pratiquement pas trace de ces diverses tentatives ; si dans le dernier quart du xixe siècle, la pensée de Fourier comptait encore un certain nombre de disciples, ceux-ci n’avaient visiblement pas été entretenus dans le culte des « hauts faits de science sociale exécutés (…) dans le Nouveau Monde » [62] par leurs aînés, et l’un de ces disciples tardifs, dénommé Asart, en était ainsi réduit à quémander des bribes de cette histoire occultée à Louis Eugène Tallon, un des dirigeants de cette survivance tardive de l’École sociétaire :
« Pourriez-vous m’aider, mon cher M. Tallon, à résoudre cette question qui m’a été posée par des personnes auxquelles j’ai parlé de nos idées : Comment se fait-il qu’en France où la théorie de Fourier a eu de nombreux adeptes (…), l’on n’ait pas encore formulé aucun projet sinon pour la réalisation complète de nos idées, au moins pour une réalisation partielle qui eut avancé la question ? Pour mon compte je ne sais que leur répondre à ce sujet » [63].
45Dans le brouillon de sa réponse qui est conservé dans le fonds de l’École normale supérieure, Tallon rappelait quelques-unes de ces expériences. Mais d’une part il occultait soigneusement toutes celles qui furent conduites par des « réalisateurs dissidents », et ne disait mot de celles que Jean-Baptiste Godin était en train de conduire à Guise ; et d’autre part, il en mettait l’échec sur le compte d’un mauvais choix du « champ de manœuvre » :
« Les projets ne manquent pas, Fourier lui-même en a formulés dans ses œuvres et dans ses manuscrits : des tentatives malheureuses ont été faites au Texas, à Condé-sur-Vesgre, mais le champ de manœuvre avait été mal choisi ».
47Certaines des raisons de l’occultation de l’exigence expérimentale par les commentateurs de l’œuvre de Fourier se devinent maintenant plus aisément : à trop insister sur la centralité de cette exigence théorique d’une expérimentation pratique, ceux de ces commentateurs qui entendaient « réhabiliter » l’œuvre de Fourier couraient en effet le risque, au contraire, de mettre au jour une histoire des échecs expérimentaux potentiellement nocive, par contamination, pour la théorie elle-même. Dès lors, taire ou minorer cette exigence expérimentale, c’était une façon de couper le cordon entre la pratique et la théorie, pour sauver la théorie. Mais l’ignorer aujourd’hui, c’est s’interdire de réfléchir aux fonctions de cette exigence : elle fut certainement une arme de la polémique contre la métaphysique ; elle fut aussi un procédé discursif, par lequel les fouriéristes « mimaient » un attribut fondamental de la scientificité, dont l’expérimentation était peu à peu, au xixe siècle, regardée comme le seul critère ; mais en définitive, elle ne fut pas que cela : elle fut aussi une croyance sincère dans la possibilité de construire des dispositifs expérimentaux applicables aux phénomènes moraux, sur laquelle s’appuie finalement une véritable « idéologie de la pratique expérimentale ».
La science sociale et l’action
48Parce que l’œuvre de Fourier ne ressemble pas autant que d’autres œuvres qui lui sont ultérieures (celles de Comte et de Durkheim par exemple) à un texte scientifique, les prétentions méthodologiques qu’elle affiche pourtant n’avaient guère été soumises jusqu’à présent qu’à ces seules questions : de qui Fourier subit-il l’influence ? À quelle tradition les thèmes de sa pensée l’apparentent-ils ? Même si elles sont importantes, ces questions ne suffisent pas, parce que Fourier défend bien, au delà ou en deçà de ces questionnements, une position méthodologique qui lui est propre, en pleine conscience. Cette ambition a clairement été soulignée par Christophe Prochasson : « L’image farfelue que bien des commentateurs ont donnée de l’œuvre de Fourier masque le sens d’une démarche qui se voulut également scientifique. Constatant la faillite de la philosophie et des sciences sociales dans leur prétention à régler la question sociale, Fourier œuvre à la découverte de la science sociale » [64]. Si dans les textes reconnus fondateurs en sociologie, comme par exemple dans Les règles de la méthode sociologique [65], l’ambition méthodologique directrice parvient à masquer d’autres constructions, d’ordre métaphysique ou analogique, dans le texte de Fourier c’est l’inverse qui semble s’être produit, malgré ses protestations : la fantasmagorie, la métaphysique, la métaphore et l’analogie ont contribué à (ou servi de prétexte pour) masquer les prétentions épistémologiques du texte.
49Ce qui apparaît en définitive, quand on s’attache à prendre au sérieux cette prétention à la science, et donc à analyser les modes d’expression et les enjeux, c’est que les fouriéristes sont bien au cœur d’un mouvement qui concevait la « science sociale » comme indissociable d’une volonté de transformation de la société, et que l’exigence expérimentale constitue le point d’articulation fondamental entre leur programme épistémologique et leur programme social. Il convient bien sûr de rappeler que l’École sociétaire n’était pas isolée dans son invocation de la méthode expérimentale : avec des degrés divers de réussite, selon Antoine Savoye [66], cette invocation caractérisait tout un pan de l’histoire de la construction de la sociologie au xixe siècle, celui qu’il considère comme relevant de « l’ingénierie sociale ». Les différentes doctrines qui peuvent s’en réclamer (parmi lesquelles Antoine Savoye compte celles de Fourier, de Le Play, ainsi que de Louis Blanc avec sa formule des « ateliers sociaux ») ont ceci en commun qu’elles partent du principe qu’« un changement du régime politique, aussi radical soit-il, ne saurait répondre, à lui seul, à la crise de la société (…). La résolution de cette crise suppose de nouvelles relations sociales, instituées grâce à des expériences concrètes, elles-mêmes fondées sur une connaissance scientifique de la réalité et constamment évaluées. (…) C’est de l’observation de la société que les ingénieurs sociaux tirent leurs solutions sociales. C’est de l’épreuve des faits qu’ils en attendent la sanction, au travers le (sic) succès ou l’échec de leurs expérimentations sociales » [67].
50Mais que l’on invoque, pour éclairer cette idéologie de la pratique expérimentale, le thème de « l’ingénierie sociale », qui met plutôt l’accent sur la recherche de « solutions sociales » pratiques, ou celui de « l’expérimentation activiste » dans lequel la pratique apparaît plus étroitement asservie à une entreprise de légitimation scientifique et politique, dans chacune de ces perspectives il s’agit bien en fait de souligner à quel point l’élaboration d’une certaine conception de la « science sociale » était indissociable d’une volonté de transformation de la société. Aux yeux des fouriéristes, la science sociale se serait condamnée à ne pas être entièrement science si elle n’avait pas visé l’action, si elle était restée, comme l’écrivit Fourier, « bornée au rôle passif » ou « limitée à l’analyse du mal existant » [68]. Or, l’exigence de la vérification expérimentale était justement ce qui devait permettre à la science de se faire action tout en restant science. Par l’expérimentation, l’École sociétaire opposait le volontarisme social à l’histoire subie. L’expérimentation, comme méthode d’une réelle pratique scientifique ou seulement comme idéologie de cette pratique, apparaît alors au terme de ce parcours comme réellement fondatrice de la « science sociale » dont se réclamait dès l’origine les fouriéristes, et que Victor Considérant définissait ainsi : « La science sociale doit déterminer (…) la nature des Réformes qui auraient pour objet de faire passer la Société de l’État présent à une Organisation supérieure (…). La science sociale a pour objet la connaissance du Mouvement social dans son évolution complète ; elle doit donc faire connaître toutes les formes virtuelles de la sociabilité humaine et la loi de leur développement dans le passé, dans le présent et dans l’avenir » [69]. Ce que permet de clairement établir l’attention accordée ici aux modalités spécifiques d’expression de la prétention scientifique du fouriérisme, c’est que cette « science sociale » est, indissociablement, une « ingénierie sociale », selon l’expression inventée par Victor Considérant :
« Eh bien ! d’après ce que nous avons fait connaître du caractère intrinsèque de l’Hypothèse sociale de Fourier, du Mécanisme nouveau que nous proposons pour combiner les Relations humaines, nous occupons exactement, devant la Société, la position des Ingénieurs que nous venons de mettre en scène. Nous sommes des ingénieurs sociaux » [70].
52Rien ne permet de dire que la sociologie a aujourd’hui résolu les tensions entre science et action qui l’ont donc traversée, comme on le voit, depuis ses origines ; il se peut même qu’en raison de la spécificité des objets que la sociologie se propose de connaître scientifiquement, cette tension reste consubstantielle au projet sociologique. Tant que ce débat n’est pas clos (et il ne semble pas devoir l’être de si tôt), il y a certainement quelque intérêt à en reconstituer le cheminement historique. Et en définitive, l’étude que nous avons essayé de mener sur quelques uns des aspects qui nous ont paru centraux dans le projet fouriériste peut alors servir, très modestement, à illustrer un état initial de ce problème, et à faciliter la compréhension d’une modalité, particulière à un moment bien déterminé de l’histoire des études sur les sociétés, de cette croyance dans la « compossibilité » de l’exigence scientifique et de la volonté de transformation sociale qui demeure l’horizon d’une bonne partie des conceptions actuelles du travail sociologique.
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Mots-clés éditeurs : Charles Fourier, École sociétaire, utopie, Phalanstère, histoire, science, expérimentation, sociologie, réception, épistémologie, socialisme
Date de mise en ligne : 01/05/2008
https://doi.org/10.3917/rhsh.015.0069Notes
-
[1]
Fourier, 1808, 133. L’invention même du terme « féminisme » est souvent attribuée à Fourier, à tort semble-t-il cependant.
-
[2]
Ibid., 571.
-
[3]
Fourier, 1822c, 241-265.
-
[4]
Ibid., 1822c, 254. Pour une étude détaillée de la cosmogonie de Fourier, on se reportera aux deux intéressantes études de Michel Nathan (1981) et Claude Morilhat (1991).
-
[5]
Il n’y a en fait qu’un seul et unique ouvrage de ce genre qui ait accordé quelque attention à Fourier : il s’agit de l’Anthologie des sciences de l’homme de Jean-Claude Filloux et Jean Maisonneuve (1991, 159-166), dans laquelle sept pages sont consacrées à une présentation des principaux thèmes de l’œuvre de celui qui y est présenté dans l’introduction comme « le plus marginal et le plus inspiré des réformateurs sociaux » (vi), mais sans en souligner la prétention spécifique à la scientificité.
-
[6]
Mercklé, 2004.
-
[7]
Le terme de « science sociale », parfois écrit avec des initiales majuscules, a servi à Fourier, à ses disciples et à l’ensemble de l’École sociétaire, mais aussi à leurs adversaires et à leurs commentateurs, tout au long du xixe siècle, à décrire non pas l’ensemble des études scientifiques des sociétés humaines, mais bien spécifiquement leur propre doctrine. Ainsi, par exemple, La Phalange, publiée par l’École sociétaire, l’indiquait dans son sous-titre : elle fut d’abord « le journal », puis « la revue de la Science sociale ».
-
[8]
Durkheim, 1971, 120.
-
[9]
Morilhat, 1991, 14. Peut-être sans le savoir, Claude Morilhat a ainsi repris, pour qualifier la rhétorique du sujet de Fourier, une expression qu’avait employée Piotr Sorokin dans Tendances et déboires de la sociologie américaine pour dénoncer le manque de cumulativité dans les sciences sociales : la raison en était selon lui à chercher dans le manque d’intérêt pour l’histoire de leur discipline de la plupart des sociologues, « nouveaux Christophe Colomb » atteints d’un « complexe de l’inventeur » qui les pousse à redécouvrir systématiquement une « nouvelle Amérique sociologique » (Sorokin, 1959, cité par Dubois, 1994, 5).
-
[10]
Fourier, 1822a, « Sommaires », xxx. Cf. aussi Fourier, 1822b, 116.
-
[11]
Fourier, 1835-1836, 48-49.
-
[12]
Fourier, 1822b, 5.
-
[13]
Bourdieu, 1976, 99, note 27.
-
[14]
Ibid., 98.
-
[15]
Fourier, 1808, 102.
-
[16]
Bourdieu, 1976, 97.
-
[17]
Bourdieu, 1976, 101-103.
-
[18]
Mercklé, 2001.
-
[19]
Fourier, 1829, 153.
-
[20]
Fourier, 1808, « Préface des éditeurs ».
-
[21]
Beecher, 1993, 17.
-
[22]
Breton, 1961.
-
[23]
Barthes, 1971.
-
[24]
Butor, préface à Fourier, 1973.
-
[25]
Fourier, 1822a, 47 ; 1966, 561.
-
[26]
Fourier, 1967b, 38.
-
[27]
Fourier, 1808, 413.
-
[28]
Fourier, 1822a, 99 ; 1966, 311-312, note 1.
-
[29]
Ibid., 235.
-
[30]
Victor Considérant le confirme dans son Exposition abrégée du système phalanstérien : « Le mot Phalanstère signifie manoir de la Phalange, de même que le mot monastère signifie manoir des moines » (1845, 24).
-
[31]
Durkheim, 1966, 36.
-
[32]
Fourier, 1822b, 219.
-
[33]
Fourier, 1966, 124.
-
[34]
Fourier, 1822b, 69.
-
[35]
Fourier, 1808, 127.
-
[36]
Fourier, 1925.
-
[37]
Fourier, 1967a, 141.
-
[38]
Fourier, 1851a, 17.
-
[39]
Fourier, 1851a. Selon Hubert Bourgin (1905, 54), ce texte date de 1820, et relate un événement survenu en 1798. Mais selon Jean-Jacques Hémardinquer, l’événement ainsi relaté date plus vraisemblablement du voyage effectué par Fourier à Paris en 1790 (Hémardinquer, 1964, 56).
-
[40]
Petit, 1992, 16-17.
-
[41]
Fourier, 1822a, 133.
-
[42]
Fourier, 1851b, 219.
-
[43]
Fourier, 1808, 23.
-
[44]
Fourier, 1822c, 415-584.
-
[45]
Comme par exemple, Chevalier, 1958, 231.
-
[46]
Beecher, 1993, 194.
-
[47]
Fourier, 1822a, 40-41.
-
[48]
Fourier, 1822a, 85 ; cf. aussi Fourier, 1822b, 104.
-
[49]
Fourier, 1822c, 455 et suiv. ; Fourier, 1829, 123-129.
-
[50]
Fourier, 1822c, 462 et suiv.
-
[51]
Lettre à Philip Orkney Skene, 17 septembre 1824, reproduite in Gans, 1964, 108.
-
[52]
Mercklé, 2004.
-
[53]
Fourier, 1822c, 430.
-
[54]
Ibid., 471-472.
-
[55]
Ibid., 470-486.
-
[56]
Fourier, 1808, 2.
-
[57]
Lansac, 1926.
-
[58]
Pagès, 1969.
-
[59]
Savoye, 1994, 178.
-
[60]
La Démocratie Pacifique, 20 février 1849.
-
[61]
Cf. notamment Desroche, 1975, 200 ; Mucchielli, 1960, 144, note 1 ; Poulat, 1957, 14.
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[62]
Un colon de Réunion désignait ainsi la tentative à laquelle il avait participé, certes sur un mode extrêmement ironique. Colas, 1856.
-
[63]
Asart, Lettre à Louis Eugène Tallon, Gênes, 30 mai 1882, un feuillet (quatre pages), Fonds Considérant, ENS, réf. 4/6/1.
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[64]
Prochasson, 1997, 80.
-
[65]
Durkheim, 1894.
-
[66]
Savoye, 1994.
-
[67]
Iibid., 178.
-
[68]
Fourier, 1829, 33.
-
[69]
Fourier, 1847, 35.
-
[70]
Considérant, 1834, 118. À ce propos, il convient de faire remarquer que, de façon étonnante, Antoine Savoye affirme que « l’expression ingénierie sociale vient des pays anglo-saxons où l’on emploie, au début du xxe siècle, social engineering pour désigner des actions sociales au sein des entreprises industrielles puis, plus largement, des formes d’intervention ou d’expertise en vue d’un changement social » (Savoye, 1994, 177). Ce qui étonne ici, c’est qu’un peu plus loin, il attribue correctement la paternité de l’expression à Victor Considérant. Mais de nouveau, il écrit ensuite, toujours à propos de cette ingénierie sociale : « On peut dire qu’elle est inventée dès cette époque, même si l’expression n’apparaît pas » (ibid., 84). Or, comme on l’a vu, l’expression est attestée dans les écrits de Victor Considérant à partir de 1841. Malgré ces curieuses contradictions, c’est donc bien le fouriérisme qui fonde l’ingénierie sociale selon Savoye, en lui donnant ses traits fondamentaux : objectif de transformation des rapports sociaux, dimension scientifique, échelle réduite.