Notes
-
[1]
C’est le drapeau en vigueur encore aujourd’hui, à part quelques légères modifications. Cf. Murilo de Carvalho, 1990.
-
[2]
Bosi, 1992.
-
[3]
Mot consacré par l’usage, initialement utilisé par les positivistes qui rejectaient l’œuvre de la phase religieuse de Comte.
-
[4]
En ce qui concerne les conceptions raciales d’Agassiz, voir, entre autres : Gould, 1981.
-
[5]
Sur l’importance de la notion de milieu pour les positivistes français, cf. Braunstein, 1994.
-
[6]
Sur la question raciale au Brésil, cf., entre autres, Skidmore, 1974, et Stepan, 1991.
-
[7]
Lins, 1967.
-
[8]
Lemos, 1884.
-
[9]
À propos des rapports entre les positivistes brésiliens et les groupes français, ainsi que les stratégies de Lemos de disqualification des concourants, cf. Alonso, 1996.
-
[10]
Lemos croyait devoir adapter les enseignements de Comte à la réalité brésilienne. Il pensait par exemple, qu’au Brésil, les positivistes devraient compter avec les classes libérales et instruites, puisque le prolétariat n’existait presque pas. Cf. Murilo de Carvalho, 1990.
-
[11]
Lemos, Teixeira Mendes, 1888.
-
[12]
À propos de Silvio Romero, cf. Ventura, 1991.
-
[13]
Romero, 1894.
-
[14]
Sur Louis Agassiz et son voyage au Brésil, cf. Kury, 2001. À propos du séjour de Joseph Arthur de Gobineau au Brésil, cf. Raeders, 1988.
-
[15]
Consulter : Schwarcz, 1995, et Chor Maio, Ventura Santos, 1996.
-
[16]
Sur Lacerda, cf. Seyferth, 1985, 81-98.
-
[17]
Bosi, 1992.
-
[18]
Teixeira Mendes, 1880.
-
[19]
Sur la participation de G. Dias à la Commission Scientifique d’Exploration, cf. Kury, 2001.
-
[20]
Lettre d’Antonio Gonçalves Dias à Guilherme Capanema (Paris, 3 septembre 1857), 1964, Anais da Biblioteca Nacional, 84, 227.
-
[21]
Gonçalves Dias, 1869, 212.
-
[22]
Cf. Azzi, 1979, 38.
-
[23]
Ibid., 138-139.
-
[24]
Cf. Ribeiro, 1996.
-
[25]
Cité par Schwarcz, 1995, 93.
-
[26]
Pour une vision générale des courants politiques disputant la direction du camp indigéniste, cf. De Souza Lima, 1985.
-
[27]
Consulter Dos Santos Bigio, 1999.
-
[28]
Concernant les rapports entre Darcy Ribeiro et Rondon, cf. De Souza Lima, 1985.
-
[29]
Sur cet épisode, consulter : Donisete Grupioni, 1998.
-
[30]
Sur les méthodes employées par Rondon, cf. Collectif, 1971.
-
[31]
Lévi-Strauss, 1955.
-
[32]
Sur les images des expéditions de Rondon, cf. De Tacca, 2001.
-
[33]
Il est possible de consulter les images et les films au Museu do Índio (Rio de Janeiro).
-
[34]
Rondon, 1939, 878.
1 Le projet politique positiviste, républicain et autoritaire, a été fort influent au Brésil, particulièrement puissant dans le tournant du XIXème siècle au XXème siècle. Les disciples d’Auguste Comte ont même vaincu, en 1889, la bataille symbolique autour du drapeau national républicain : le modèle proposé par Raimundo Teixeira Mendes, ajoutait à l’ancien drapeau de l’Empire la devise « Ordem e Progresso » (Ordre et Progrès), censée lier le passé à l’avenir, ce qui suivait de près les instructions du philosophe français [1]. Même si le positivisme a perdu au long du XXème siècle l’influence anciennement active, le courant a pourtant laissé des traces idéologiques profondes dans les classes moyennes urbaines du pays.
2 Le critique littéraire Alfredo Bosi a soutenu l’idée que l’école comtienne était, au Brésil, aux origines idéologiques du modèle de l’État-Providence, présent dans les mouvements politiques de 1930 et de 1937, même si certains des partisans du positivisme refusaient la voie brusque des coups d’État. Le même auteur a également affirmé que les courants politiques actifs tout au long du XXème siècle, novateurs et autoritaires à la fois, doivent beaucoup au positivisme [2].
3 La présence de ce courant politique au Brésil remonte aux années 1880, autour de l’action des disciples d’Auguste Comte en faveur de l’abolition de l’esclavage dans le pays. Selon Bosi, il y a eu une opposition entre les groupes politiques liés aux grands propriétaires terriens de São Paulo et de Minas Gerais – libéraux, adeptes de Spencer et Darwin – et les groupes de la classe moyenne de Rio de Janeiro et du Sud du pays prêchant une dictature républicaine positiviste.
4 J’essaierai ici d’examiner, suivant cette dernière hypothèse, quelques aspects idéologiques et scientifiques de l’action positiviste par rapport à l’esclavage et à l’intégration des populations indiennes, de la fin du XIXème siècle aux premières décennies du XXème siècle. Je chercherai à comparer la pensée positiviste à certains aspects du Romantisme brésilien, surtout dans la louange de la culture indigène. Il faut d’abord distinguer les différentes acceptions du mot « positivisme ». En ce qui concerne les propositions d’intégration des groupes exclus de la nation, les politiques des positivistes « orthodoxes » [3] sont tout à fait opposées aux projets « scientistes », souvent classés, de façon erronée me semble-t-il, dans le fourre-tout du positivisme. Ainsi, faut-il se méfier de l’emploi abusif du mot, emploi assez courant chez les commentateurs brésiliens contemporains.
5 Les disciples de Comte au Brésil faisaient de la question raciale une matière mineure. Dès 1850, quand la traite intercontinentale a été déclarée illégale, les débats politiques et scientifiques occupant l’espace public des journaux et des revues ont subi une nette inflexion : on considérait de plus en plus la substitution du travail esclave comme un problème racial. Avec l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, le modèle ségrégationniste adopté dans les États du Sud de ce pays, appuyé par plusieurs intellectuels, parmi eux le suisse Louis Agassiz [4], est devenu un des parangons de la question. Au Brésil, cependant, le purisme racial n’a jamais été si pénétrant, malgré la publicité en faveur de l’immigration européenne et des préoccupations d’ordre eugénique de la part des élites. Il s’est peu à peu établi dans le pays une sorte de sentiment fataliste par rapport aux mariages mixtes. On pensait trouver la solution la plus adéquate dans le mélange des blancs avec des races dites inférieures et la dissolution du sang indien et noir dans le flux plus pur du sang européen. Ultérieurement, certains courants intellectuels ont valorisé le métissage, faisant du « mélange des races » la marque distinctive et positive d’une supposée « identité brésilienne ».
6 Au moment de la consolidation de la pensée positiviste au Brésil, la plupart des intellectuels et scientifiques du pays faisaient du « milieu » [5] et de la « race » [6] des catégories-clés d’interprétation sociale. Dans un tel contexte, la philosophie de l’histoire adoptée par les disciples brésiliens, religieux, de Comte, a fourni une référence alternative aux visées les plus courantes à l’époque. Ainsi, dès le XIXème siècle, les positivistes sont-ils apparus comme groupe politique autonome et bien des fois discordant du canon libéral-conservateur, comme a été le cas de l’action en faveur de l’abolition de l’esclavage, qui ne s’est promulguée qu’en 1888, une année avant l’installation du régime républicain dans le pays. La subordination de la raison au sentiment, pierre de touche de la religion de l’Humanité, ainsi que l’idéalisation de l’étape fétichiste, supposée en cours chez les populations venues d’Afrique, ont contribué à la valorisation des noirs – race attachée à l’amour – entamée par les positivistes orthodoxes. C’est dans ce sens que l’action politique antiesclavagiste des dirigeants comtistes a pu intégrer dans son sein les courants politiques et esthétiques de fond romantique liés à l’abolitionnisme.
7 Miguel Lemos (1854-1917) et Raimundo Teixeira Mendes (1855-1927) étaient les plus importants porte-parole du positivisme orthodoxe au Brésil, à l’époque. La conversion des deux hommes aux doctrines de Comte s’est produite dans les années 1874 et 1875, attirés tous les deux d’abord par l’œuvre mathématique du philosophe français. Après son adhésion à la religion de l’humanité en 1879, Lemos s’approche, en 1881, du groupe de Pierre Laffitte. Les deux amis – la conversion de Mendes date de 1880 – s’essayent alors à disqualifier les autres groupes se revendiquant des idéaux comtistes. Leur prédication semble avoir été marquée par l’inflexibilité idéologique et par l’extrême valorisation de la phase religieuse du legs de Comte. Pour Ivan Lins, historien du positivisme brésilien, Raimundo Teixeira Mendes, profondément catholique dans sa jeunesse, transférait sa ferveur mystique à la religion de l’Humanité, particulièrement au culte de Clotilde de Vaux, sorte de substitut de sa dévotion pour Marie [7].
8 L’épisode qui a déclenché un engagement plus actif de la part des positivistes « orthodoxes » contre l’esclavage tient à une dispute entre Miguel Lemos et Ribeiro de Mendonça, médecin, premier président, en 1878, de la Société Positiviste du Rio de Janeiro, charge occupée plus tard, dès 1881, par Miguel Lemos. La querelle gravitait autour du fait que Ribeiro de Mendonça était un propriétaire d’esclaves, ce qui répugnait à Lemos y voyant une sorte d’incompatibilité aux dogmes.
9 En 1883 Mendonça fait publier au Jornal do Comércio l’annonce de recherche d’un esclave fugitif. Immédiatement, Miguel Lemos lui adresse une lettre en lui demandant soit de libérer ses esclaves, soit de sortir du Centre Positiviste Brésilien. Mendonça, contrarié, quitte le Centre et publie une lettre en réponse à Lemos. Celui-ci fait publier l’année suivante une série de textes positivistes sur l’esclavage, y inclus leur échange épistolaire, réunis dans le volume O Positivismo e a Escravidão moderna [8] (Le positivisme et l’esclavage moderne), dédié à « la sainte mémoire de Toussaint-Louverture ».
10 Comme il était de règle pour le groupe des « orthodoxes », des extraits de Comte ouvraient le volume : des morceaux choisis du Cours de Philosophie Positive, du Système de Politique Positive et du Catéchisme Positiviste, dans des éditions brésiliennes. Choisis par Raimundo Teixeira Mendes, le deuxième dans la hiérarchie de l’église brésilienne, ces extraits distinguaient entre l’esclavage antique – qui avait habitué l’homme au travail et servi au perfectionnement personnel – et l’esclavage moderne – monstruosité qui n’avait aucun rapport organique avec la société contemporaine.
11 Venaient ensuite, dans le recueil, des textes écrits surtout par Lemos et Mendes, ainsi que les lettres échangées entre Lemos et Mendonça. La correspondance publiée représente la mise en évidence de deux logiques tout à fait opposées : celle d’un propriétaire pénétré de l’idéologie seigneuriale et celle de quelqu’un croyant parler au nom de l’Humanité. Selon Lemos, Comte, si tel était le cas, aurait traité les esclaves de façon tendre, tout en essayant de réparer la brutalité dont ils ont été les victimes. Lemos était pour l’abolition immédiate de l’esclavage et contre le payement d’indemnités aux propriétaires : prenant à contre-pied les arguments des fazendeiros, il affirmait que c’était plutôt aux esclaves et à leurs descendants d’exiger un dédommagement.
12 Pour Mendonça, au contraire, le gouvernement devait pourvoir à une compensation aux propriétaires d’esclaves, en cas d’abolition. L’argument se fonde sur l’idée qu’il faudrait donner du temps et de l’argent aux entrepreneurs esclavagistes pour qu’ils changent de métier ou pour qu’ils mettent en place d’autres formes de production. Dans la correspondance, Mendonça avançait une autre thèse polémique : garantir aux seigneurs le droit de punir physiquement ses esclaves, tel un père punit son fils.
13 Miguel Lemos défait les arguments de son contradicteur dans un vigoureux écrit antiesclavagiste. Ainsi débute-t-il : « Ami et confrère. J’ai bien reçu hier votre lettre du douze Aristote, en réponse à la mienne du trois courant ». Selon lui, on ne pouvait pas comparer les situations ordinaires d’un État qui condamne un prisonnier à mort ou d’un père qui punit ses enfants avec la situation anormale que l’esclavage colonial impose entre maîtres et esclaves. Le dirigeant des positivistes brésiliens offre alors un aveu personnel : il avait lui-même libéré ses esclaves hérités, les employant comme travailleurs salariés. De fait, Lemos et son inséparable compagnon Teixeira Mendes fondaient leur stratégie de persuasion politique sur la moralité irréprochable de leur vie tant publique que privée. Cette caractéristique marquera également d’autres positivistes célèbres, comme c’est le cas de Rondon, dont il sera question ici, plus loin.
14 Le troisième texte de cet ouvrage consacré à l’esclavage au Brésil est signé par Lemos. Ici, il affirme à propos de sa principale thèse politique : « Dans l’incorporation du prolétariat esclave, la première mesure préalable et indiscutable est l’abolition immédiate : dans la patrie brésilienne les hommes sont des frères, il n’y a pas d’esclaves ». Ensuite, il essaie de placer l’extinction du travail captif dans le cours inexorable du développement du monde naturel et humain : « le monde sans esclaves est une fatalité aussi inflexible que les conditions cosmologiques qui nous imposent le mouvement de la terre ».
15 Ainsi, devient-il clair que pour les positivistes orthodoxes il n’y a pas de négociation possible quand il s’agit de l’esclavage. Cette prise de position a provoqué une dispute avec Pierre Laffitte, entraînant la séparation des Églises brésilienne et française [9]. Laffitte soutenait une politique plus flexible envers Mendonça et les positivistes propriétaires d’esclaves. Mendonça lui-même, dans sa lettre à Lemos, citait le positiviste français comme l’un des partisans de l’indemnisation aux propriétaires. Lemos, en réponse, démontrait que la phrase de Laffitte, citée par Mendonça, concernait le clergé et non pas les esclaves.
16 La question de l’esclavage représente la dispute du monopole de l’interprétation « positive » concernant la spécificité de la réalité locale, aussi bien que la volonté de choisir les stratégies les plus adéquates au moment politique brésilien [10]. En 1888, l’année de l’abolition de l’esclavage au Brésil, Lemos et Teixeira Mendes publiaient L’épopée africaine au Brésil [11], où ils traitent d’un sujet-clé de la culture scientifique brésilienne de l’époque : les « races ». L’exergue de Comte apprenait aux lecteurs que dans l’avenir les distinctions organiques des races allaient disparaître. Le texte fait état de l’évolution, dans la société positive, du cerveau humain, susceptible d’incorporer les dispositions propres à chaque « race », ce qui rendrait les êtres plus aptes à penser, à agir et à aimer.
17 Ainsi, Lemos et Mendes reconnaissent-ils une supériorité morale à la « race africaine » et une supériorité intellectuelle aux blancs, quoique ces différences, importantes pour la constitution de l’Humanité, ne caractérisent pas pour autant quelconque échelle hiérarchique. Si une échelle devait être établie, affirment les écrivains, il reviendrait aux noirs la place d’honneur, vu que l’amour était tenu, pour les positivistes religieux, par le sentiment le plus élevé. Leur souci majeur, on le voit, n’était pas le métissage, comme c’était le cas pour les racistes de l’époque, mais d’éviter que les Africains « fétichistes » soient « contaminés » par le « mélange théologiste » : l’incorporation des esclaves à la société devait « sauter » les étapes religieuse et métaphysique.
18 La même argumentation, toute particulière, sera également avancée en ce qui concerne l’incorporation des Indiens à la société. Ce qu’il importe ici de souligner est que les positivistes orthodoxes prêchaient le respect des cultures d’origine africaine, même si son évolution était inévitable. Il ne s’agit évidemment pas d’une conception proche au relativisme culturel présent dans les sciences sociales contemporaines. La philosophie de l’histoire des positivistes, basée sur la loi des trois États, prévoyait la disparition de l’étape fétichiste. Ce qui était en jeu était le contrôle idéologique de la masse de descendants africains, prêts à devenir libres, c’est-à-dire, son influence sur le prolétariat naissant. Selon les idées de Comte, les transformations se devraient d’être spontanées, jamais imposées. Ainsi, croyaient-ils, avec le temps les Africains finiraient naturellement par adopter les habitudes et les mœurs dites civilisées. Le milieu politique et intellectuel de l’époque, tout au contraire, s’inquiétait de la présence africaine au Brésil et songeait à des solutions capables d’effacer la « pernicieuse influence » dans l’avenir.
19 L’un des plus importants adversaires idéologiques des positivistes a été le journaliste et critique littéraire Silvio Romero [12], auteur de Doctrine contre doctrine (1894), explicitement dirigé contre ce qu’il appelait le « néo-jésuitisme » des disciples de la Religion de l’Humanité [13]. Point par point, Romero a essayé de démolir la philosophie et les analyses politiques d’Auguste Comte et des positivistes brésiliens. Tout d’abord, il croyait ne pas pouvoir dissocier, dans le cas brésilien, le positivisme du militarisme. Sans l’appui des militaires, pense l’écrivain, l’Église positiviste n’aurait jamais acquis l’importance qu’on lui accorde. Cette approximation entre les doctrines de l’armée et celle des positivistes religieux, selon lui, renforce la devise « ordre et progrès » et rend plus grave l’absence de « liberté » parmi les priorités politiques des orthodoxes. Comme exemple, il pense à la Russie et à la Turquie, où il y a progrès et ordre, mais où il manque fâcheusement la liberté. Pour lui, le vrai régime républicain suppose des élections et ne peut jamais s’ancrer sur une dictature : « les arguments positivistes finissent au bout d’un fusil » – dénonçait-il.
20 Une autre critique de Silvio Romero adressée aux positivistes concerne la loi des trois États et le concept d’Humanité. Selon lui, l’évolution est un processus permanent, toujours en marche, toujours en voie de se faire. En outre, l’Humanité pensée comme un grand-être a quelque chose de ridicule, « parce que les habitants d’une petite planète, point minuscule dans une infinité de mondes » ne peuvent pas contenir en soi cette valeur immense. Que dirait-on à propos des habitants d’autres planètes ? – se demandait Romero.
21 L’auteur soutient le transformisme de Darwin contre les « présomptions » de ceux qui adoptaient le concept d’Humanité et affirme que la loi des trois États n’est pas applicable à tous les peuples et à toutes les races, mais seulement à la civilisation occidentale. De plus, Romero refuse le rapprochement de la science et de la religion proposé par Auguste Comte. Pour le dire brièvement, laissant de côté d’autres points développés par Romero – il critique âprement, par exemple, la classification comtienne des sciences –, il suffit ici de souligner son rejet de la conception positiviste de l’Humanité et l’adoption, à la place, des conceptions raciales. Il affirme : « Le chemin pris par la civilisation est beaucoup plus complexe que ne le pense Auguste Comte. Chaque peuple ou, plus exactement, chaque race a sa propre manière de concevoir l’Univers et de modifier cette conception ; (…) par exemple, aucune des religions de l’Extrême Orient n’est soumise à la loi des trois États ».
22 Bien que polygéniste, Romero était un admirateur de Spencer. Il croyait que la seule voie de développement permise au pays était le métissage, capable de «diluer » les caractéristiques des races inférieures (les noirs et les indiens) dans le « blanchiment » de la société. Dès lors, il s’oppose à la critique du métissage faite par des écrivains nettement racistes, tels Louis Agassiz ou Gobineau – tous les deux ayant séjourné au Brésil [14] –, pour qui le mélange des « races » serait mauvais et même fatal. Romero considérait le métissage comme le produit d’un processus d’adaptation des populations au milieu local et comme le résultat de la lutte des espèces pour la vie. Qu’on laisse faire le mélange – disait-il – l’élément blanc sera toujours vainqueur.
23 Le débat autour du métissage et du conséquent « blanchiment » de la population était au centre des disputes scientifiques et politiques au tournant du XIXème siècle au Brésil [15]. La tendance majoritaire voyait le croisement des races avec optimisme, puisque les « qualités » dites supérieures des blancs allaient triompher des traits primitifs des Noirs et des Indiens. D’autres, tel le médecin Nina Rodrigues, pensaient que les mariages mixtes menaient nécessairement à la dégénérescence de la population.
24 On trouve un exemple expressif de cette ambiance intellectuelle dans la présentation que le biologiste João Batista de Lacerda fait au premier Congrès International des Races, à Londres, en 1911, où, comme appui à son mémoire scientifique, il reproduit le tableau La rédemption de Chaim, du peintre Modesto Brocos, de 1895, qui montre les trois générations d’une famille brésilienne : la grand-mère noire, sa fille mulâtresse et le petit-fils tout blanc [16]. Pour comprendre cette convergence esthétique et scientifique, on peut faire appel à l’analyse qu’Alfredo Bosi [17] a fait de la trajectoire symbolique du mythe de Chaim au Brésil, servant traditionnellement de pièce justificative de l’esclavage à l’aide de l’Ancien Testament et repris au XIXème siècle par les écrivains romantiques abolitionnistes, comme Castro Alves, pour dénoncer l’horreur du destin des Africains dans le Nouveau Monde. Toujours selon Bosi, de la fin du XIXème siècle jusqu’à la Guerre de 1914, le racisme évolutionniste agit comme une espèce de mythe de Chaim rationalisé.
25 Pour les positivistes la chose était sans importance : la question des races était secondaire dans la compréhension de la dynamique de la société. Du point de vue d’une politique raciale, ils soutenaient que le métissage était positif, par des raisons bien différentes de celles soutenues plus couramment, comme on l’a vu. Le plus important était l’incorporation effective des ex-esclaves comme prolétaires au sein de la société. Ainsi, s’opposaient-ils à l’immigration d’européens blancs, sauf dans certains cas précis, opinion toute contraire aux propositions des groupes prônant le « blanchiment » des travailleurs brésiliens.
26 En 1880, Teixeira Mendes proposait un mi-terme entre l’esclavage et l’industrialisme : la création d’une étape proche du féodalisme. La thèse sera ensuite abandonnée, car pour les positivistes le système féodal exigeant le ciment de la religion il n’était pas souhaitable de soutenir au Brésil un renforcement du catholicisme. Ainsi, les disciples orthodoxes de Comte ont-ils fini par proposer, à partir de 1883, l’incorporation des Africains et de leurs descendants, de façon à les affranchir du théologisme catholique et à leur faire « sauter », en même temps, l’étape métaphysique. Conforme aux textes des positivistes brésiliens, les esclaves fétichistes avaient déjà adopté le culte de la vierge-mère, pouvant s’adapter sans problème au positivisme. Cet argument apparaît de manière beaucoup plus développée en ce qui concerne la politique positiviste à l’égard des indigènes.
27 Teixeira Mendes, dans un éloge du poète romantique Gonçalves Dias, de 1880 [18], affirme que toutes les religions sont en sympathies, parce qu’elles convergent toutes, comme vers leur limite, au sens mathématique, dans la religion de l’humanité. Mais le fétichisme, à son tour, rencontre la science, puisque tous les deux reconnaissent de l’activité dans la matière. La seule différence, affirme-t-il, « entre les deux états mentaux c’est que l’un prête à l’autre l’universalité des attributs qu’il rencontre parmi les hommes, tandis que l’autre se borne à l’activité physico-chimique ». Ainsi, les extrêmes peuvent être plus proches que les étapes intermédiaires. Tout se passe comme si les positivistes avaient repris le mythe du bon sauvage. La dite pureté des Indiens les mettrait à même de voir directement le monde à l’état positif, au moment de leur incorporation, « quand le positivisme aura gagné le Brésil ». Le poète Gonçalves Dias, affirme Mendes, a bien remarqué cette supériorité de la morale indienne par rapport à celle des civilisés.
28 Dias avait perçu, selon Mendes, des éléments essentiels du positivisme religieux : la suprématie du cœur sur la raison et la catéchèse de l’amour. Du point de vue de l’action politique, le poète aurait également montré la bonne voie : la soumission au passé, c’est-à-dire, le besoin d’incorporer la culture des Indiens à la culture brésilienne par l’usage de leur langue et de leurs traditions. Tel fut le cas des Romains de l’Antiquité qui ont fait leurs les dieux des peuples vaincus. Ainsi, les positivistes, dès les dernières décennies du XIXème siècle, soutenaient que l’incorporation des Indiens à l’Humanité devrait respecter leur culture et leur religion, afin de les faire passer directement vers la morale positive. Cela, de fait, correspondait à proposer la fin des missions religieuses, traditionnellement occupées de la catéchèse des peuples indigènes.
29 Ce texte de Teixeira Mendes, de 1880, débute la réflexion positiviste en faveur de l’incorporation pacifique des Indiens à la « civilisation ». Leur politique indigéniste a une dette vis-à-vis du romantisme brésilien, ayant dans la construction mythique de l’image de l’Indien l’une de ses principales caractéristiques. La galerie des personnages importants de l’histoire du Brésil cités dans les textes relatifs à la question indienne compte plusieurs écrivains romantiques, tel Gonçalves de Magalhães et Castro Alves. L’admiration de Teixeira Mendes pour Gonçalves Dias (c’est le même cas de Rondon) se nourrit, certes, de certaines affaires singulières. En premier lieu, les familles de Mendes et de Dias étaient de la même ville, Caxias, au Maranhão. Le père du positiviste avait été ami du poète. En outre, Dias avait déjà développé certaines caractéristiques chères à Mendes : la croyance dans la possibilité de « perfectibilité » des Indiens brésiliens et la valorisation esthétique du fétichisme. À part cela, Gonçalves Dias était lui-même un métis et connaissait de près les Indiens de l’Amazonie, où il est né.
30 Outre ses compositions littéraires, Gonçalves Dias avait écrit des textes ethnographiques et participé à une expédition scientifique [19]. Pendant la préparation du voyage, dans une lettre à un ami, il critique l’anthropologie physique de son temps, en affirmant qu’au lieu d’emporter avec lui des instruments pour mesurer le cerveau et les crânes des indigènes, l’anthropologue devrait utiliser un dynamomètre afin de prouver que les Indiens avaient plus de force que les blancs [20].
31 Le poète a encore rédigé un dictionnaire de la langue tupi et une longue étude comparant les Indiens brésiliens aux Malais, Polynésiens et Mélanésiens. Essayant de répondre à la question de savoir si les « Américains » pouvaient être incorporés à la civilisation chrétienne, Dias avance un argument très proche celui de Mendes : « pourra plus facilement l’admettre (la civilisation chrétienne) un peuple en état de rusticité primitive que celui qui aura une religion diverse et peut-être antipathique » [21]. La polémique quant à la « perfectibilité » des Indiens ne s’est pas restreinte, comme l’on voit, à la période républicaine. Dès les premiers temps coloniaux – l’indépendance du pays date de 1822 – il a eu d’importants débats concernant le statut des peuples américains. Vers la moitié du XIXème siècle, pendant l’Empire, Gonçalves Dias polémiquait indirectement avec le naturaliste bavarois Karl Friedrich von Martius, pour qui les Indiens étaient les descendants dégénérés d’un peuple plus développé, prêts à l’extinction. Pour les positivistes, l’orientation de Dias était une reprise des conceptions de José Bonifácio de Andrada e Silva (1763-1838), minéralogiste et homme politique brésilien, de formation européenne et illustré. Ce dernier suivait les jésuites dans la galerie que Mendes, Lemos et Rondon formaient des personnages du passé favorables à l’idée de « perfectibilité » des Américains.
32 Apparemment, Lemos ne partageait pas la même vénération de Mendes pour le poète Gonçalves Dias. Après son adhésion à la religion de l’Humanité, en 1879, Lemos, qui était alors à Paris, entreprend la catéchèse de Mendes par voie épistolaire. L’un des débats concernait exactement la question du fétichisme dans les textes comtiens. C’est ce que l’on apprend de la réponse de Lemos, dans une lettre datée de juin 1879 : « tu me poses des questions à propos de la conception fétichiste de Comte, qui te paraît non nécessaire et contraire à ce que nous savons du positivisme. D’abord, tu as choisi un point secondaire de l’ouvrage de Comte : la question importante n’est pas là, le principal est d’accepter la construction politique et religieuse dans ses principes fondamentaux » [22].
33 L’année suivante, au 20 mai 1880, Miguel Lemos écrit une lettre à Mendes concernant le poète romantique. Tout fait croire que le converti Lemos connaissait les réflexions de Mendes à propos de Dias, signées du 19 avril 1880. Le positiviste résidant à Paris avertit son compagnon : « il faut surtout combattre cette manie, pour laquelle a fortement contribué Gonçalves Dias, qui veut réduire notre mouvement esthétique actuel et futur à l’idéalisation de la vie sauvage » [23]. Il conclut, affirmant que les Brésiliens sont « des Portugais, Européens occidentaux ». Les Indiens ne représenteraient qu’une petite inflexion dans le mélange entre la race noire et blanche. À partir des premières décennies de la période républicaine, la question indienne est devenue de plus en plus un point de discussion politique pour les positivistes. L’incorporation de Dias dans la galerie des héros nationaux ne sera pas remise en question, malgré les réticences de Lemos.
34 Le contexte de la reprise de l’indigénisme romantique par les positivistes est marqué par l’action politique du racisme scientifique. Le cas des Indiens Kaingang est l’un des plus polémiques à l’époque [24]. L’éclosion des conflits est marquée par l’assassinat par les Indiens d’un missionnaire catholique en 1901. Dès 1907, Hermann von Ihering – zoologiste allemand établi au Brésil – publie dans des journaux de São Paulo des articles contre les Indiens hostiles, en faveur des projets de colonisation « blanche » et de la « marche du progrès ». En 1911 il soutient l’extermination des Kaingang parce qu’ils étaient en conflit avec les travailleurs chargés d’ouvrir une route pour le chemin de fer qui traverserait leurs terres. Ihering avait déjà dit : « Il est nécessaire de comprendre la dégénérescence des races humaines pour ensuite supputer son évolution future » [25]. Ainsi, il croit que le gouvernement devrait envoyer des troupes pour éliminer les Kaingang. Dans ce cas, la civilisation ferait rapidement ce que la nature allait de toute façon accomplir d’une manière plus lente. Les positivistes profitaient de la radicalisation du débat dans la presse pour attaquer les assertions d’Ihering et prôner leurs idéaux, qu’ils qualifiaient comme fraternels et humanitaires. Ils s’engagent à prouver que les Indiens étaient susceptibles d’être civilisés.
35 Du camp des positivistes orthodoxes sortira l’un des personnages les plus importants de la politique indigéniste au Brésil [26] : Cândido Mariano Rondon [27], sorte d’anti-Ihering. Au long du XXème siècle, ceux qui restaient proches du positivisme religieux ont essayé – et réussi – dans des moments divers à conduire les actions des institutions publiques chargées de la politique indigéniste. L’influence positiviste, à part sa présence traditionnelle dans l’armée, s’est fait encore sentir en certains courants de la gauche nationaliste, tel le cas de l’anthropologue Darcy Ribeiro, qui se considérait lui-même disciple du militaire positiviste [28].
36 Né d’une famille pauvre dans la zone rurale du Mato Grosso, en 1865, Rondon entre dans l’armée et devient disciple de Benjamin Constant Botelho de Magalhães, réputé militaire positiviste, admiré par toute une génération d’ingénieurs et de polytechniciens de la capitale du Brésil (Rio de Janeiro) au début du XXème siècle. Rondon se lie à l’Apostolat positiviste auquel il reste fidèle jusqu’à sa mort en 1958. Le militaire s’est transformé en l’un des principaux mythes républicains brésiliens. Sa renommée est due en grande partie à l’image de rigidité morale qu’il transmettait, soutenue aussi par la foi inébranlable en la Religion de l’Humanité. Le mythe Rondon a continué de se perpétuer après sa mort. Ses derniers mots, selon Darcy Ribeiro, étaient la devise positiviste : « les vivants sont de plus en plus gouvernés par les morts ».
37 La politique indigéniste de Rondon était fondée sur le mot d’ordre « mourir s’il le faut, tuer jamais ». En quelques années, Rondon réussit à contrôler officiellement l’accès aux Indiens, au moyen du Service de Protection de l’Indigène, créé en 1910. Il a même voulu empêcher la réalisation de la première expédition dont Claude Lévi-Strauss a participé, à cause de la présence de Jean Vellard, accusé d’avoir utilisé des armes à feu contre les Guayaki au Paraguay [29]. Au delà de l’interdiction de toute agression, sa méthode pour essayer de nouer des rapports pacifiques avec les indigènes consistait à donner aux tribus des instruments agricoles et d’artisanat, et à leur enseigner l’agriculture et l’élevage. Il leur laissait, par exemple, des petits champs déjà semés avec des instruments pour le labour [30].
38 Rondon considérait que les Indiens étaient à l’origine de la nation. Il proposait de leur assurer une protection fraternelle et de délimiter les terres qui leur appartenaient. Grâce à Rondon, le service laïc de l’État, exécuté par l’armée, a en partie remplacé les missionnaires religieux. Malgré la présence des soldats, plusieurs régions, où il y avait des conflits violents, ont été pacifiées sans le recours aux armes. Des témoins affirment que des militaires fidèles à Rondon ont même été tués par des Indiens sans avoir réagi, en accord avec les instructions de leur maître.
39 Au delà de cette défense vigoureuse du droit des indigènes à la vie, Rondon essayait de les transformer en autant de travailleurs et de les civiliser au moyen de l’apprentissage d’activités « utiles », sans trop insister sur les méthodes systématiques, parce que contraires à leurs goûts. Selon lui, il fallait leur apprendre à bâtir des maisons, à faire des appareils simples en leur montrant les procédures. Ainsi, ils apprendraient de façon tranquille, sans être forcés. Probablement cet apprentissage empirique leur épargnerait le contact avec les systèmes métaphysiques toujours en place, mais, en même temps, pouvait les préparer au passage direct vers l’état positif.
40 Les Pareci et les Bororo ont travaillé à l’installation des poteaux télégraphiques au Mato Grosso et ont aidé aux travaux de démarcation des frontières à l’Ouest du pays. Cet exemple servait à Rondon pour prouver qu’il était possible de civiliser les Indiens. Les résultats techniques de cette entreprise ont été presque nuls pour ce qui concerne le télégraphe. Celui-ci a été très vite remplacé par la communication par radio. Lévi-Strauss, dans Tristes tropiques [31], a décrit la décadence des lignes. Cependant, l’ethnologue français lui-même et son groupe avaient profité des chemins ouverts par les militaires et les Indiens au service de Rondon. L’incorporation des Indiens au monde officiel, ainsi que la démarcation des frontières du Brésil et l’intégration du territoire du pays, ont donc été les vrais résultats politiques des expéditions de Rondon.
41 Les actions de Rondon ont produit une grande quantité de matériel de propagande, y compris des centaines de photographies et de films [32]. Ces registres iconographiques sont impressionnants [33]. Ils démontrent avec netteté les croyances du chef militaire et son attachement à la cause d’une civilisation laïque. Les thèmes qui ressortent des images peuvent être réunis en trois groupes : l’ordre militaire, l’intégration des Indiens à la nation et la mise en place d’images esthétisantes et romantiques des tribus rencontrées.
42 La discipline régnait sous le commandement de Rondon. Des soldats réputés désœuvrés étaient souvent envoyés en missions avec le positiviste. Les campements suivaient une routine rigide et des rituels obligatoires, telle la levée des couleurs. Mélangés à des soldats en uniforme, des indiens tout nus sont photographiés prenant part aux rituels, surtout à celui du culte du drapeau national, qui, comme on l’a vu, contenait des éléments de la doctrine positiviste. Les images montrent les premiers habitants du Brésil en contact avec les objets du monde civilisé, comme les appareils-photo, les montres, les instruments de travail. On peut également voir des salles de cours qui avaient lieu dans des maisons bâties par les Indiens eux-mêmes, avec les techniques nouvellement apprises. Le troisième aspect à relever est l’extrême beauté de certaines images qui semblent vouloir montrer toute la grandeur des peuples indigènes, faisant appel aux idéaux de la littérature indigéniste du siècle précédent. Le portrait du bon sauvage est caractérisé comme étant à la fois pur et noble, une image au miroir, peut être, de Rondon lui-même, missionnaire positiviste, au point extrême de la chaîne des étapes historiques de l’Humanité.
43 Ainsi, est-il impossible de parler de l’histoire de l’intégration des ethnies soumises au Brésil sans se rapporter au rôle central occupé par les positivistes. De la critique de l’esclavage à la défense des Indiens, les politiques soutenues par les disciples de Comte au Brésil ont souvent acquis un profil humanitaire, qu’il faut prendre en compte dans une étude des élites et de la modernisation autoritaire de l’État brésilien. Dans ce sens, il est clair qu’il s’agit également d’une croyance profonde dans la marche de l’histoire de l’humanité vers l’état positif et de la disparition inexorable de la culture indigène. Cependant, Rondon propose que le passage soit fait de façon lente et sans rupture brutale. L’Indien est, de son point de vue, un grand enfant. Les lois de l’évolution agiraient nécessairement dans le sens de sa transformation.
44 Les conceptions des positivistes se rapprochent de celles de la littérature romantique dans la mesure où elles placent, toutes les deux, les indigènes à l’origine du sentiment national, sorte de source vivante de la patrie. Dans une conférence sur José Bonifácio – homme politique, personnage-clé de l’indépendance du pays et le premier à soutenir l’intégration des indigènes – lue par Rondon à l’Institut Historique, les mots du poète Gonçalves Dias sont utilisés comme des arguments en faveur des Indiens : « Ils furent l’instrument de tout ce qui il y a de grand et d’utile, ils sont le principe de toutes les choses ; ils nous ont légué les fondations de notre caractère national » [34].
45 Dès lors, l’histoire des idées positivistes au Brésil ne relève pas uniquement d’éléments nouveaux, comme l’affirme l’historiographie traditionnelle. Les rapports existants entre l’ambiance intellectuelle où le positivisme s’est installé et celle de l’Empire brésilien sont beaucoup plus importants qu’il ne semble au premier abord. Ce le cas des images identitaires de la nation fondées sur des caractérisations idéales des Indiens, inventées par les écrivains du XIXème siècle et qui ont survécu au moins une centaine d’années chez les disciples brésiliens d’Auguste Comte.
Bibliographie
Bibliographie
- Alonso A., 1996, De Positivismo a Positivistas : interpretações do positivimo brasileiro, Revista Brasileira de Informação Bibliográfica em Ciências Sociais, 42, 109-134.
- Azzi R., 1979, A concepção da ordem social segundo o positivismo ortodoxo brasileiro, Dissertação de Mestrado, Departamento de Filosofia, UFRJ.
- Bosi A., 1992, Dialética da colonização, São Paulo, Companhia das Letras.
- Braunstein J.F., 1994, Le concept de milieu, de Lamarck à Comte et aux positivistes, Lamarck, Paris, CTHS, 557-571.
- Chor Maio M., Ventura Santos R., (eds.), 1996, Raça, Ciência e Sociedade, Rio de Janeiro, Editora Fiocruz.
- Collectif, 1964, Anais da Biblioteca Nacional, 84.
- Collectif, 1971, A grande aventura de Rondon, Rio de Janeiro, Instituto Nacional do Livro (documents).
- De Souza Lima A.C., 1985, Aos fetichistas, ordem e progresso : um estudo do campo indigenista no seu estado de formação, Dissertação de Mestrado, Rio de Janeiro, Museu Nacional.
- De Tacca F., 2001, A imagética da Comissão Rondon, Campinas, Papirus.
- Donisete Grupioni L., 1998, Coleções e expedições vigiadas, São Paulo, Hucitec.
- Dos Santos Bigio E., 1999, Cândido Rondon : a integração nacional, Rio de Janeiro, Contraponto.
- Gonçalves Dias A., 1869, Brazil e Occeania. (Obras Posthumas), São Luís, s.e.
- Gould S.J., 1981, The Mismeasure of Man, London, Penguin.
- Kury L., 2001, A Comissão Científica de Exploração (1859-1861). A ciência imperial e a musa cabocla, in Heizer A., Videira A.A.P., (eds.), Ciência, civilização e império nos trópicos, Rio de Janeiro, Access, 29-54.
- Kury L., 2001, A sereia amzônica dos Agassiz : zoologia e racismo na Viagem ao Brasil (1865-1866), Revista Brasileira de História, 21, 41, 157-172.
- Lemos M., 1884, O Positivismo e a escravidão moderna, Rio de Janeiro, Sociedade Positivista.
- Lemos M., Teixeira Mendes R., 1888, A epopéia africana no Brasil, Rio de Janeiro, Apostolado Positivista do Brasil.
- Lévi-Strauss C., 1955, Tristes tropiques, Paris, Plon.
- Lins I., 1967, História do positivismo no Brasil, São Paulo, Cia. Editora Nacional, 1967.
- Murilo de Carvalho J., 1990, A formação das almas. O imaginário da república no Brasil, São Paulo, Companhia das Letras (édition espagnole : 1997, La formación de las almas. El imaginario de la república en el Brasil, Quilmes, Universidad Nacional de Quilmes).
- Raeders G., 1988, O Conde de Gobineau no Brasil, Rio de Janeiro, Paz e Terra.
- Ribeiro D., 1996, Os índios e a civilização. A integração das populações indígenas no Brasil moderno, São Paulo, Companhia das Letras (7ème édition).
- Romero S., 1894, Doutrina contra doutrina. O evolucionismo e o positivismo na República do Brasil, Rio de Janeiro, J.B. Nunes.
- Rondon C., 1939, José Bonifácio e o problema indígena, Mensário do Jornal do Commercio, 867-879.
- Schwarcz L., 1995, O Espetáculo das raças, São Paulo, Companhia das Letras.
- Seyferth G., 1985, A antropologia e a teoria do branqueamento da raça no Brasil : a tese de João Batista de Lacerda, Revista do Museu Paulista, 30, 81-98.
- Skidmore Th., 1974, Black Into White : Race and Nationality in Brazilian Thought, Oxford, Oxford University Press.
- Stepan N., 1991, The Hour of Eugenics. Race, Gender and Nation in Latin America, Ithaca/Londres, Cornell University Press.
- Teixeira Mendes R., 1880, Influência da Religião da Humanidade na apreciação de um poeta. Gonçalves Dias, Rio de Janeiro, Bibliothèque Nationale de Rio de Janeiro.
- Ventura R., 1991, Estilo tropical, São Paulo, Companhia das Letras.
Notes
-
[1]
C’est le drapeau en vigueur encore aujourd’hui, à part quelques légères modifications. Cf. Murilo de Carvalho, 1990.
-
[2]
Bosi, 1992.
-
[3]
Mot consacré par l’usage, initialement utilisé par les positivistes qui rejectaient l’œuvre de la phase religieuse de Comte.
-
[4]
En ce qui concerne les conceptions raciales d’Agassiz, voir, entre autres : Gould, 1981.
-
[5]
Sur l’importance de la notion de milieu pour les positivistes français, cf. Braunstein, 1994.
-
[6]
Sur la question raciale au Brésil, cf., entre autres, Skidmore, 1974, et Stepan, 1991.
-
[7]
Lins, 1967.
-
[8]
Lemos, 1884.
-
[9]
À propos des rapports entre les positivistes brésiliens et les groupes français, ainsi que les stratégies de Lemos de disqualification des concourants, cf. Alonso, 1996.
-
[10]
Lemos croyait devoir adapter les enseignements de Comte à la réalité brésilienne. Il pensait par exemple, qu’au Brésil, les positivistes devraient compter avec les classes libérales et instruites, puisque le prolétariat n’existait presque pas. Cf. Murilo de Carvalho, 1990.
-
[11]
Lemos, Teixeira Mendes, 1888.
-
[12]
À propos de Silvio Romero, cf. Ventura, 1991.
-
[13]
Romero, 1894.
-
[14]
Sur Louis Agassiz et son voyage au Brésil, cf. Kury, 2001. À propos du séjour de Joseph Arthur de Gobineau au Brésil, cf. Raeders, 1988.
-
[15]
Consulter : Schwarcz, 1995, et Chor Maio, Ventura Santos, 1996.
-
[16]
Sur Lacerda, cf. Seyferth, 1985, 81-98.
-
[17]
Bosi, 1992.
-
[18]
Teixeira Mendes, 1880.
-
[19]
Sur la participation de G. Dias à la Commission Scientifique d’Exploration, cf. Kury, 2001.
-
[20]
Lettre d’Antonio Gonçalves Dias à Guilherme Capanema (Paris, 3 septembre 1857), 1964, Anais da Biblioteca Nacional, 84, 227.
-
[21]
Gonçalves Dias, 1869, 212.
-
[22]
Cf. Azzi, 1979, 38.
-
[23]
Ibid., 138-139.
-
[24]
Cf. Ribeiro, 1996.
-
[25]
Cité par Schwarcz, 1995, 93.
-
[26]
Pour une vision générale des courants politiques disputant la direction du camp indigéniste, cf. De Souza Lima, 1985.
-
[27]
Consulter Dos Santos Bigio, 1999.
-
[28]
Concernant les rapports entre Darcy Ribeiro et Rondon, cf. De Souza Lima, 1985.
-
[29]
Sur cet épisode, consulter : Donisete Grupioni, 1998.
-
[30]
Sur les méthodes employées par Rondon, cf. Collectif, 1971.
-
[31]
Lévi-Strauss, 1955.
-
[32]
Sur les images des expéditions de Rondon, cf. De Tacca, 2001.
-
[33]
Il est possible de consulter les images et les films au Museu do Índio (Rio de Janeiro).
-
[34]
Rondon, 1939, 878.