Hérodote 2016/3 N° 162

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Article de revue

Nouvelle donne géopolitique en Seine-Saint-Denis

Pages 11 à 28

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.
  • [2]
    Doctorant à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.
  • [3]
    Plus de 65 % des suffrages exprimés au second tour, ce qui a fait de la Seine-Saint-Denis le département le plus à gauche en France métropolitaine.
  • [4]
    Le parti Les Républicains (LR) et le parti Union des démocrates et indépendants (UDI).
  • [5]
    Aulnay-sous-Bois (PS), Livry-Gargan (DVG), Villepinte (Front de gauche), Le Blanc-Mesnil, fief de Marie-Georges Buffet, conseillère municipale jusqu’en 2014, Bobigny, la préfecture, dirigée par le PC depuis 1920 et Saint-Ouen (PC). En 2015, une septième ville de gauche, Noisy-le-Grand (PS), a été conquise par la droite à l’occasion d’une municipale partielle.
  • [6]
    Clichy-sous-Bois-Montfermeil en 2001 (communauté de communes depuis 1997), Plaine Commune en 2001, Aéroport du Bourget en 2006, Est Ensemble et Terres de France en 2010.
  • [7]
    Création de l’association Plaine Commune Promotion et signature d’une charte Entreprise-Territoire, pour inciter les entreprises à recruter localement, enfin création d’une Maison de l’emploi du territoire en 2006.
  • [8]
    Création de conseils de quartier, d’un conseil de développement (2005), organisation des Assises de Plaine Commune.
  • [9]
    À Bobigny, 8 des 12 adjoints du nouveau maire UDI sont issus de la « diversité ». Au Blanc-Mesnil c’est le cas de 6 sur 16, à Saint-Ouen de 4 sur 12.
  • [10]
    47 000 voix, soit nettement plus que les autres listes (UMP : 34 000, PS : 31 000, Front de gauche : 28 000, UDI-Modem : 20 000).

1 La séquence électorale 2014-2015 a constitué une nouvelle étape, marquante, dans la recomposition du paysage politique et électoral de la Seine-Saint-Denis. Pour la première fois depuis la création du département en 1968, la droite, prise dans son ensemble (droite républicaine et extrême droite), a fait pratiquement jeu égal avec les partis de gauche (gauche et extrême gauche). Lors des municipales de mars 2014, deux ans à peine après la présidentielle de 2012 et le triomphe de François Hollande [3], les listes LR-UDI [4] se sont emparées de six villes supplémentaires, deux socialistes et quatre communistes [5]. La droite dirige désormais plus de la moitié des communes du département (22 sur 40). Un an plus tard, elle faisait élire un nombre encore jamais atteint de conseillers départementaux (18 sur 42, contre 11 sur 40 précédemment) et le total des voix recueillies par les candidats Les Républicains, UDI et Front national dépassait même légèrement celui des candidats de gauche. Enfin, au second tour des élections régionales de décembre 2015, la liste regroupant le Parti socialiste, le Parti communiste et Europe Écologie-Les Verts, pourtant conduite par l’homme fort du PS en Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, n’a obtenu dans le département que 52,4 % des suffrages exprimés, un score très en deçà de ceux des régionales précédentes (66,5 % en 2010, 57 % en 2004), face à celles de la droite, conduite par Valérie Pécresse (32,9 %), et de l’extrême droite (14,7 %).

2 Ces résultats reflètent une tendance nationale et s’expliquent en partie par des facteurs que l’on peut qualifier de « conjoncturels » : l’impopularité de François Hollande et de son gouvernement, l’abstention d’une partie de l’électorat de gauche et une mobilisation plus forte des électeurs de droite et d’extrême droite. Mais ils s’inscrivent aussi dans des tendances lourdes, propres à la Seine-Saint-Denis et, plus largement, à la banlieue populaire de Paris, et qui forment la toile de fond des évolutions politiques et électorales locales.

3 En quarante ans, le paysage politique de la Seine-Saint-Denis a, en effet, changé du tout au tout. En 1977, les neuf députés du département étaient communistes. Le parti était majoritaire à lui seul à l’assemblée départementale. Il administrait 27 des 40 communes. Trois ans plus tôt, à la présidentielle de 1974, il avait renoncé à concourir, préférant soutenir François Mitterrand, mais en 1969 son candidat, Jacques Duclos, était arrivé largement en tête du premier tour dans le département, avec près de 40 % des voix. La droite et le Parti socialiste semblaient condamnés à jouer éternellement les utilités. C’était une cause entendue : la Seine-Saint-Denis était une terre communiste, le département le plus emblématique de ce que l’on appelait, depuis l’entre-deux-guerres, la « banlieue rouge » de Paris.

4 En 2016, le Parti communiste ne compte plus qu’un député – deux avec le dissident François Asensi. Il ne gère plus que sept mairies. Il a perdu la présidence du conseil général en 2008 au profit du PS et la dernière candidate qu’il a présentée à la présidentielle (Marie-Georges Buffet, en 2007) n’est arrivée qu’à la sixième place, derrière le candidat de la Ligue communiste révolutionnaire, Olivier Besancenot, avec 3,5 % des suffrages exprimés et dix fois moins de voix que la socialiste Ségolène Royal. Les mairies communistes ne gèrent plus le quotidien que d’un quart de la population du département contre plus des trois quarts en 1977. La compétition pour le contrôle politique du territoire oppose désormais trois forces d’importance inégale : l’alliance de la droite et du centre (22 mairies, 18 conseillers départementaux, 1 député), la gauche non communiste (9 mairies socialistes, 2 écologistes, 14 conseillers départementaux, 9 députés), et, sur la troisième marche du podium, le Parti communiste et ses alliés locaux (10 mairies, 14 conseillers départementaux, 9 députés). La Seine-Saint-Denis est devenue un département (presque) comme les autres. Comme dans la plus grande partie du pays, la bataille politique principale y oppose aujourd’hui la gauche socialiste et la droite républicaine. Seule particularité : le Parti communiste, malgré son déclin évident, reste ici plus puissant qu’ailleurs.

5 Au niveau de la gouvernance territoriale, le changement est tout aussi manifeste. En 1977, cette gouvernance se jouait à trois, les communes, le conseil général et l’État. Ce dernier occupait le rôle principal, car il décidait des grandes infrastructures. Mais le rôle des mairies (notamment dans la construction d’un immense parc social, 190 000 logements, une résidence principale sur trois) et celui du département (avec l’aménagement du parc de La Courneuve) étaient loin d’être négligeables. Depuis, sont intervenues la décentralisation de 1982, la création de cinq communautés d’agglomération [6], de la Société du Grand Paris (2010), chargée de construire un nouveau réseau de métro, le Grand Paris Express, et, tout dernièrement (en janvier 2016), celle de la Métropole. Formellement, le système a été complètement refondu. En pratique, les effets de cette refonte institutionnelle sur les rapports de forces politiques et les politiques urbaines sont encore incertains.

De la banlieue rouge à la banlieue rose... ou bleue

Un déclin irrésistible et interminable

6 Il n’y a plus de banlieue rouge, sinon résiduelle. C’est incontestablement un changement majeur. D’abord au niveau local, tant la culture communiste a imprégné le territoire, marqué son paysage urbain, influencé sa sociologie, sa sociabilité, ses mentalités et ses pratiques politiques. La banlieue rouge a été à la fois un système géopolitique local (c’est-à-dire un dispositif de contrôle politique du territoire au service d’une force politique, le Parti communiste) d’une extraordinaire efficacité, et ce qu’on pourrait appeler une formation sociale territorialisée (c’est-à-dire une société spécifique ancrée dans un territoire particulier) [Subra, 2016]. Le tout formant une réalité remarquable par sa durée, son étendue et ses effets. Les premières municipalités communistes ont été élues, en effet, dans les années 1920 et certaines sont restées communistes pendant soixante-dix ans (comme Bobigny) ou le sont encore quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans après l’élection du premier maire communiste (comme Stains ou Ivry-sur-Seine). À son apogée, aux lendemains des municipales de 1977, la banlieue rouge a compté plus de 70 communes dans l’ensemble de la région parisienne.

7 Ce système géopolitique local est entré dans une phase de déclin progressif, mais continu, à partir de l’élection de François Mitterrand en 1981. Déclin rapide aux élections présidentielles et législatives, car une partie de l’électorat communiste a choisi, à partir de cette date, de voter « utile » en soutenant dès le premier tour les candidats socialistes, se transformant ainsi en électorat bipartisan. Le déclin fut beaucoup plus lent aux élections départementales et municipales du fait de l’enracinement local des élus. En Seine-Saint-Denis, le différentiel entre l’évolution des scores obtenus aux différents types d’élections est très net : le Parti communiste a perdu quatre de ses neuf députés en une seule élection, en 1981, et les deux tiers de ses électeurs aux présidentielles en moins de vingt ans et même la moitié en seulement sept ans (38,6 % en 1969, 27,3 % en 1981, 13,5 % en 1988) ; la baisse du nombre de ses conseillers généraux et de ses mairies a été beaucoup plus lente (27 municipalités en 1977, 20 en 1983, 18 en 1995, 13 en 2001, 10 en 2008, 7 en 2014). Le système géopolitique local constitué par le Parti communiste lui a donc permis de ralentir considérablement son déclin électoral et de conserver longtemps une grande partie de ses positions de pouvoir locales.

Défendre le modèle de la banlieue rouge... ou le réinventer ?

8 Ce déclin ne s’explique pas par une raison unique, mais par la convergence de plusieurs facteurs nationaux et locaux. Certains sont structurels : la perte d’attractivité de l’idéologie communiste et la disparition du « camp socialiste », la désindustrialisation massive de l’Île-de-France, l’évolution de la sociologie du territoire et la composition du parti lui-même.

9 Mais il renvoie aussi à l’incapacité du Parti communiste à s’adapter à ces conditions nouvelles, à son absence de stratégie ou à ses lacunes stratégiques. La participation du PCF au gouvernement, bien que limitée dans le temps (1981-1983, 1997-2002), a durablement brouillé son image, en le privant de ce que les politologues appellent sa « fonction tribunitienne ». Aux régionales de 2015, il n’a pas su capter le vote des électeurs de gauche mécontents de la politique du gouvernement Valls, comme le montrent ses scores relativement faibles dans plusieurs de ses fiefs (18,9 % à Saint-Denis, contre 33,9 % à la liste Bartolone). Beaucoup de maires appartenant à ce qu’on a appelé le courant « orthodoxe » (qui a contrôlé jusqu’ici la fédération départementale et, jusqu’en 2008, le conseil général) se sont contentés d’espérer que la forte proportion de logements HLM et les difficultés économiques de la population suffiraient à les protéger contre la concurrence du PS et de la droite, dans l’attente d’une improbable réindustrialisation.

10 D’autres maires, à l’inverse, ont pris le risque d’une certaine innovation stratégique (voir l’interview de Patrick Braouezec dans ce numéro). Ils ont mis en œuvre des politiques urbaines de modernisation du territoire extrêmement actives, comme dans le secteur de La Plaine Saint-Denis. Du point de vue électoral, cette stratégie visait à compenser le déclin de l’électorat communiste traditionnel par la mobilisation d’électeurs issus de l’immigration ou appartenant aux nouvelles couches moyennes. En termes géopolitiques et stratégiques, cela revenait à « réinventer » le système géopolitique local, dans une nouvelle version de la banlieue rouge, basée non plus sur la relation fusionnelle Parti communiste-classe ouvrière, mais sur l’alliance entre ces trois composantes de la population et leurs élus communistes.

11 La réussite du pari supposait que deux conditions soient remplies : que les habitants d’origine immigrée aient le sentiment de bénéficier des transformations du territoire (et donc qu’ils sortent de l’abstention et de la non-participation politique qui les caractérisaient jusque-là) et que les nouveaux électeurs venus de l’extérieur se reconnaissent dans ce projet (et votent pour les candidats communistes, plutôt que pour leurs concurrents socialistes ou écologistes). Les élus ont donc cherché à maximiser l’impact des créations d’emplois sur la population en menant une politique « inclusive » [7]. Ils ont mis l’accent sur la démocratie participative [8] et affiché leurs convictions écologistes et altermondialistes (organisation d’un forum social européen, sur le modèle de celui de Porto Alegre, en novembre 2003) et leur volonté de créer de la « mixité sociale », tout en cherchant à éviter une gentrification de leur territoire. Le bilan de cette stratégie du renouveau du modèle de la banlieue rouge est pour le moment mitigé : le taux de chômage reste élevé (près de 18,5 % sur le territoire de Plaine Commune – regroupant Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse –, car la majorité des emplois créés sont en réalité des transferts et l’employabilité des habitants est faible en raison de leur niveau de formation et des discriminations à l’embauche) ; la participation politique est toujours en crise (voir plus loin) ; en 2014, la mairie de Saint-Ouen a été conquise par la droite et celle de Saint-Denis a failli l’être par le PS.

Une question centrale : comment intégrer politiquement la population d’origine immigrée ?

12 Plusieurs municipalités communistes ont organisé, en 2005-2006, des référendums locaux sur le vote des étrangers extracommunautaires aux municipales, mais le Parti communiste n’a guère été plus enclin et plus rapide que les autres, le PS, les Verts et même la droite, à ouvrir ses listes à des candidats issus de l’immigration maghrébine ou africaine et à leur proposer des postes d’élus. L’élection des deux premiers conseillers généraux communistes d’origine extra-européenne, Abdel-Majid Sadi et Azzedine Taïbi, date de 2001. Un troisième, d’origine malienne, Bally Bagayoko, les a rejoints en 2008. Celle du premier maire d’origine maghrébine, Azzedine Taïbi, à Stains, n’est intervenue qu’en 2014. Deux ans plus tard, une autre élue d’origine maghrébine, Meriem Derkaoui, devenait maire d’Aubervilliers. En 2016 enfin, Mohamed Gnabaly, Franco-Sénégalais, est investi nouveau maire sans étiquette de L’Île-Saint-Denis.

13 Le PS a, lui, fait élire en 2012 un député d’origine maghrébine, à Montreuil, Razzy Hammadi, un ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), et deux conseillères départementales d’origine extra-européenne (dont une écologiste) en 2015.

L’éclatement de la famille communiste

14 Les divergences stratégiques entre responsables du Parti, les échecs des candidats communistes aux élections nationales, alors que les mairies résistaient mieux, ont conduit à une prise d’autonomie des élus municipaux. Certains (Patrick Braouezec, François Asensi), un moment baptisés les « refondateurs », en conflit avec l’appareil du Parti, ont pris leurs distances et ont fini par rendre leur carte, tout en restant membres du Front de gauche. À Aubervilliers, Jean-Jacques Karman, en désaccord avec la ligne officielle « réformiste » du Parti, n’a pas hésité à se présenter contre des sortants communistes, lors des municipales de 1995 et de 2001 et des législatives de 2002. D’autres, enfin, ont purement et simplement quitté le Parti communiste pour le PS (Corinne Valls, à Romainville) ou Europe Écologie-Les Verts (Stéphane Gatignon, à Sevran).

15 Les désaccords internes entre refondateurs et orthodoxes ont été si intenses qu’on a pu dire qu’il y avait en Seine-Saint-Denis non pas un Parti communiste, mais deux ou même trois (avec les partisans de Jean-Jacques Karman). Entre 2004 et 2008, le conseil général a ainsi compté deux groupes de conseillers généraux communistes. Depuis 2010, on a assisté à des duels fratricides entre candidats, comme à Montreuil en 2014 entre l’ancien maire entre 1984 et 2008, Jean-Pierre Brard, et Patrice Bessac, investi par la fédération, son ancien directeur de campagne pour les législatives de 2012.

16 Enfin, l’effondrement du nombre de militants communistes (environ 3 000 cotisants en Seine-Saint-Denis, selon l’historien Roger Martelli, ce qui signifie un nombre évidemment inférieur de militants actifs) a eu pour conséquence un effacement du PC de l’espace public, du moins en dehors des périodes électorales, de la période de vente des vignettes de L’Huma et de certaines grandes campagnes nationales. L’encadrement très fin de la population qui caractérisait la banlieue rouge à son âge « classique » n’est plus qu’un souvenir. Le PCF est devenu, dans l’ex-banlieue rouge, essentiellement un parti d’élus, de cadres municipaux et intercommunaux.

La stratégie de conquête du Parti socialiste, gagnante en 2008...

17 Le déclin électoral du Parti communiste en Seine-Saint-Denis est aussi le résultat des stratégies offensives mises en œuvre par le PS et par la droite pour s’emparer de ses positions de pouvoir. Le Parti socialiste a mis du temps pour s’affranchir du rôle de force d’appoint dans lequel il était cantonné dans le système de la banlieue rouge, bien que ces candidats aient devancé les candidats communistes aux élections présidentielles et législatives dans de nombreuses municipalités communistes, dès 1981.

18 La situation a commencé à changer à partir de la fin des années 1990. La fédération départementale du PS a mis en œuvre, sous la direction de Claude Bartolone, une stratégie de conquête progressive, patiente et habile, visant à la fois le conseil général et certaines municipalités, celles qui paraissaient « gagnables ». Cette stratégie reposait sur trois éléments : 1. un travail d’implantation des candidats socialistes visant à préparer de futures victoires aux municipales grâce à la conquête de mandats de conseillers généraux et de députés dans les villes communistes, moyen d’évaluer le potentiel électoral d’une candidature autonome et d’asseoir la notoriété du futur candidat ; 2. une alliance stratégique avec les écologistes, de manière à atteindre, ensemble, une masse critique d’électeurs suffisante pour passer devant les candidats communistes au premier tour ou à s’en rapprocher suffisamment ; 3. la remise en cause, lorsque cela était nécessaire, de la règle du désistement républicain.

19 Cette stratégie a porté ses fruits : en 2004, la gauche non communiste fait jeu égal avec le PC en nombre de conseillers généraux (15 contre 15), puis prend l’ascendant en 2008, permettant à Claude Bartolone de s’emparer de la présidence du conseil général. La même année, trois municipalités communistes étaient conquises par la gauche non communiste, Aubervilliers (77 000 habitants), Montreuil (104 000 habitants) et Pierrefitte-sur-Seine, une ville de moindre importance, mais située dans une circonscription visée par le PS, celle de Patrick Braouezec. Dans les deux premières villes, les candidats socialistes ont bénéficié du report d’une partie des voix de droite.

... et mise en échec en 2014-2015

20 Ce scénario a failli se reproduire en 2014 à Saint-Denis, autre place forte du PCF : aux législatives de 2012, le député Front de gauche sortant, Patrick Braouezec, devancé au premier tour par le socialiste Mathieu Hanotin, a été battu au second tour (46,5 % contre 53,5 %), les candidats UMP et FN étant éliminés. En mars 2015, le même Mathieu Hanotin a été élu conseiller départemental contre les candidats soutenus par le PCF. Mais, quelques mois plus tôt, il a échoué, à 181 voix près, dans sa tentative de conquête de la mairie. Sauf à Bagnolet (victoire du socialiste Tony Di Martino), la stratégie de conquête de Claude Bartolone a connu un coup d’arrêt brutal. Le PCF a reconquis Aubervilliers et Montreuil, servi par la gestion très critiquée de la ville par Dominique Voynet (qui avait renoncé à se représenter). Les « Barto boys », comme les avait surnommés la presse, ces jeunes ambitieux, souvent issus de l’immigration (Razzy Hammadi à Montreuil, Mathieu Hanotin à Saint-Denis, Karim Bouamar à Villetaneuse, Karim Bouamrane à Saint-Ouen), envoyés à l’assaut des mairies communistes par Claude Bartolone, ont échoué face à des candidats communistes plus résistants que prévu ou ont été doublés par la droite (Saint-Ouen) [Serisier, 2014]. Ce coup d’arrêt s’est transformé en déroute avec la défaite de deux sortants socialistes face à la droite à Aulnay-sous-Bois et Livry-Gargan, socialiste depuis 1919 !

Les succès de la droite : tout, sauf le produit du hasard

21 La grande surprise des municipales de 2014 a bien sûr été la victoire de la droite dans des villes gouvernées par le Parti communiste depuis des décennies, Bobigny, Le Blanc-Mesnil, Saint-Ouen. Dans ces trois villes, les listes de droite se sont imposées, assez largement à Bobigny (plus de 800 voix d’écart et 54 % des exprimés) et à Saint-Ouen (plus de 700 voix et 53,1 %), moins facilement au Blanc-Mesnil (200 voix d’écart et 50,7 % des exprimés).

22 Comment expliquer ces succès ? Ils s’inscrivent, bien sûr, dans une tendance nationale (la droite a obtenu à ces municipales, dans la France entière, 46,3 % des voix au premier tour, contre 38,2 % pour la gauche et s’est emparée de centaines de villes), mais aussi dans une dynamique départementale de progression depuis 1989.

23 Les facteurs locaux ont sans doute été tout aussi déterminants. À Saint-Ouen : les problèmes liés aux trafics de stupéfiants, un début de gentrification et les divisions de la gauche, dont les listes n’ont pas fusionné au second tour, celle du PS se contentant de se désister. Résultat, alors que l’ensemble des listes de gauche et d’extrême gauche était nettement majoritaire au premier tour (près de 7 400 voix, 62,6 % des exprimés), la liste de la maire sortante communiste, Jacqueline Rouillon, n’a obtenu que 5 600 voix et 46,8 % des suffrages au second, une partie des électeurs socialistes du premier tour choisissant très certainement de s’abstenir.

24 À Bobigny et au Blanc-Mesnil, à l’inverse, le phénomène de gentrification n’existe pas et la gauche s’est présentée unie dès le premier tour. Mais elle a souffert, malgré des projets de renouvellement urbain massifs (mais tardifs), de l’usure des équipes sortantes et d’une déception chez certains jeunes à l’égard des politiques municipales. La droite était en tête dès le premier tour et a plus bénéficié de la mobilisation des abstentionnistes au second tour que la gauche.

Carte 1. – Malgré une avancée significative en 2012 à l’élection présidentielle, la gauche s’affaiblit depuis, élection après élection

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Carte 1. – Malgré une avancée significative en 2012 à l’élection présidentielle, la gauche s’affaiblit depuis, élection après élection

25 Ces victoires sont également le résultat de la stratégie mise en œuvre par les candidats de la droite et du centre. La conquête du conseil départemental ayant longtemps paru hors de portée, la droite s’est surtout concentrée sur la conquête de mairies, les municipalités conquises auparavant servant de bases à la conquête des municipalités voisines. Elle n’a pas hésité à jouer la carte du « vote immigré » ou « communautaire » en faisant une place importante sur ses listes à des candidats issus des « quartiers », en particulier à Bobigny et au Blanc-Mesnil [9]. Le comportement de l’électorat issu de l’immigration a joué un rôle majeur dans les défaites des municipalités de gauche, soit parce qu’il s’est plus massivement abstenu que d’habitude et surtout beaucoup plus qu’à la présidentielle de 2012 (voir Robine [2014] qui souligne que, dans les « quartiers », seules les élections nationales mobilisent), soit parce que ces électeurs ont rallié des listes de droite.

26 Fait notable : le rôle, dans ces victoires, de la composante centriste de la droite, l’UDI, alors que la droite « dure » du département perdait de l’influence. Si Montfermeil, à l’est du département, est gérée depuis 1983 par des maires appartenant à la frange la plus droitière (Pierre Bernard, puis Xavier Lemoine, membre du Parti chrétien-démocrate de Christine Boutin), Éric Raoult, ancien ministre à la Ville dans les années 1990, connu pour ses prises de position musclées, a été marginalisé par son rival et voisin Philippe Dallier, le sénateur-maire des Pavillons-sous-Bois. Il a perdu son siège de député en 2012, puis sa mairie du Raincy, face à un candidat divers droite, enfin le contrôle de la fédération départementale des Républicains en 2014. Les centristes de l’UDI se sont, eux, emparés de plusieurs villes de gauche en 2001 (Épinay-sur-Seine et Drancy), puis en 2010 (Noisy-le-Sec) et 2014 (Bobigny). Chaque nouvelle victoire s’est appuyée sur la prise antérieure d’une position de pouvoir de la gauche : la mairie de Drancy à partir de celle du Bourget, puis, l’année suivante (2002), la circonscription de Drancy-Bobigny, suivie des deux cantons en 2004, avant la création d’une intercommunalité en 2006. Jean-Christophe Lagarde, maire UDI de Drancy depuis 2001, élu député l’année suivante (deux mandats pris au PCF) et constamment réélu depuis (en 2014 dès le premier tour et avec 75 % des voix), a été le pilote de cette offensive politique. Il a, par exemple, fourni militants, équipes de campagne et conseils stratégiques à Stéphane De Paoli pour l’emporter à Bobigny, ainsi que ses réseaux dans la communauté musulmane.

27 L’UMP, devenue Les Républicains en mai 2015, a suivi une stratégie similaire : victoire à Aulnay-sous-Bois du conseiller régional Bruno Beschizza, délégué national de l’UMP aux questions de sécurité, à Villepinte, au Blanc-Mesnil, à Livry-Gargan puis à Noisy-le-Grand à l’élection partielle de septembre 2015. En 2014, l’ensemble des maires UMP sortant s’est fait réélire (Philippe Dallier avec 81,8 % des suffrages exprimés). Les deux forces de droite se répartissent le territoire et on aperçoit ici et là des rivalités sourdes entre elles.

Carte 2. – Depuis 2012, la droite se renforce en Seine-Saint-Denis

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Carte 2. – Depuis 2012, la droite se renforce en Seine-Saint-Denis

La Seine-Saint-Denis, terre de conquête pour le Front national ?

28 Au lendemain des élections européennes de 2014, le FN annonçait, dans un tract, être désormais le premier parti politique de Seine-Saint-Denis, puisqu’il était en tête dans vingt-quatre villes (et deuxième dans six autres) et avait recueilli à l’échelle du département le plus grand nombre de voix de toutes les listes en présence [10]. Ce résultat doit être tempéré, car il s’est produit dans un contexte de très forte abstention (68,7 % des inscrits). Il n’est donc pas transférable mécaniquement à l’élection présidentielle qui, traditionnellement, mobilise bien plus les électeurs de la Seine-Saint-Denis. Au premier tour de celle de 2012, l’abstention n’avait concerné que 26,5 % des inscrits ; 544 000 électeurs s’étaient rendus aux urnes, 200 000 de plus qu’aux élections européennes de 2014. Les élections locales de 2014-2015 ont illustré les difficultés d’implantation du FN dans le département : le parti de Marine Le Pen n’a réussi à monter que deux listes pour les municipales, à Noisy-le-Grand et Rosny-sous-Bois (qui ont obtenu 12 % et 13 % des suffrages exprimés) et, aux départementales, bien que le FN soit partout présent avec plus de 14 % à chaque fois, un seul de ses candidats a franchi le cap du premier tour, dans le canton de Tremblay-en-France/Montfermeil.

29 Cependant, le FN connaît incontestablement une dynamique positive dans le département, depuis 2012. Il y avait été puissant dans les années 1990 (91 000 voix pour Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 1995), avant la scission mégrétiste, qui lui avait fait perdre une grande partie de son appareil et de ses candidats, ainsi qu’un nombre important d’électeurs (70 000 voix en 2002, 52 000 en 2007). À l’élection présidentielle de 2012, il a reconquis une partie du terrain perdu (72 000 voix). Mais ce score ne le plaçait toujours qu’en quatrième position. Il a fortement progressé, en 2014, aux élections européennes (+ 32 000 voix par rapport à 2009) et régionales (+ 23 000 voix par rapport au premier tour de 2010). Bien qu’il soit, aux régionales de 2015, en deçà de ses résultats nationaux, le FN réduit donc progressivement son retard. Ce vote FN est principalement concentré dans l’est du département (à l’exception de Drancy), c’est-à-dire dans les zones de force de la droite (24 % à Montfermeil) et communistes (Tremblay-en-France). Il est moins présent dans les secteurs où la gentrification est plus avancée (9 % à Montreuil, 7 % aux Lilas, 10 % à Saint-Ouen). Dans les municipalités communistes de l’ouest du département (entre 10 % et 16 % au second tour des régionales, à Saint-Denis, Stains, Aubervilliers, La Courneuve), il reste dans la moyenne régionale, nettement en dessous de ses scores nationaux.

30 La Seine-Saint-Denis constitue, en tout état de cause, une des territoires cibles pour le FN. Pour preuve, l’ascension très rapide du jeune secrétaire départemental du FN, Jordan Bardella, qui, après avoir été élu conseiller régional, est devenu en janvier 2016 président de « Banlieues Patriotes », l’association grâce à laquelle le FN compte s’implanter dans les banlieues françaises.

Abstention et non-participation politique

31 La Seine-Saint-Denis est devenue une terre d’abstention dans les années 1990. Elle détient même le record national du taux d’abstention avec, aux municipales de 2014, des taux supérieurs à 50 % dans de très nombreuses villes, avec deux communes, Stains et Clichy-sous-Bois, dépassant les 60 %. Sauf exception (comme à Bobigny, au Blanc-Mesnil et à Saint-Ouen), la dégradation de la participation s’est accentuée par rapport à 2008. Même situation aux élections régionales (63,1 % d’abstention au premier tour, 54 % au second) et européennes, avec, pour ces dernières, des pics à 80 % à Villetaneuse et 75 % dans les communes de l’ouest du département. Le fait qu’aux régionales Claude Bartolone conduise la liste d’union de la gauche n’a pas fait progresser la participation, sauf dans quelques communes de gauche de sa zone d’influence (Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Romainville) et dans plusieurs petites communes de droite.

32 L’abstention est donc devenue une donnée structurelle du paysage politique du département. Cependant, elle ne rend compte que d’une partie du phénomène de la non-participation politique en Seine-Saint-Denis. Dans les communes à forte population étrangère ou d’origine immigrée et où les catégories populaires sont très fortement majoritaires, moins de 25 %, voire 20 % de la population théoriquement en âge de voter votent effectivement, si on ajoute les étrangers non communautaires (en situation légale ou non) qui ne sont pas électeurs, les non-inscrits et les abstentionnistes. Lorsque les listes victorieuses l’emportent avec une faible marge, cela signifie qu’elles sont élues par 10 % à 15 %, parfois moins, des habitants de la commune et, dans certains quartiers, par quelques dizaines d’habitants seulement.

Carte 3. – S’il est loin d’être le « Parti de Seine-Saint-Denis » comme il le proclame en 2014, le FN se renouvelle à partir de 2012

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Carte 3. – S’il est loin d’être le « Parti de Seine-Saint-Denis » comme il le proclame en 2014, le FN se renouvelle à partir de 2012

La Métropole du Grand Paris, « tout changer pour que rien ne change » ?

Pour ou contre une métropole forte ?

33 Dans le domaine de la gouvernance, la grande affaire des années 2012-2016 a été la création de la Métropole du Grand Paris (MGP). Les élus de Seine-Saint-Denis ont joué un rôle particulier dans le processus chaotique qui a abouti à la naissance, en janvier 2016, de cet EPCI (établissement public de coopération intercommunale) de près de 7 millions d’habitants, regroupant 131 communes (essentiellement la Ville de Paris et la petite couronne). Le maire UMP des Pavillons-sous-Bois, Philippe Dallier, s’est d’abord opposé à la première version du projet de loi MAPTAM (Modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles), parce qu’il considérait que la métropole prévue manquait d’ambition. Le gouvernement s’étant décidé à présenter un projet de métropole plus « musclé », il l’a soutenu, entraînant avec lui quelques sénateurs de droite, suffisamment pour que le projet de loi soit, cette fois, adopté par le Sénat [Subra, 2014]. La grande majorité des autres élus du département (et du reste de l’agglomération), elle, a toujours été hostile à la création d’une métropole puissante. Une fois la loi MAPTAM votée, ces élus ont multiplié les pressions sur le gouvernement pour obtenir que les compétences de la MGP soient revues à la baisse, avant même d’être entrées en vigueur, et, surtout, que les « territoires » composant la future métropole disposent d’une autonomie d’action maximale. Ce qu’ils ont fini par obtenir, par le biais d’amendements intégrés dans la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) d’août 2015.

Recomposition territoriale et gestion par le consensus

34 La création de la nouvelle métropole, au 1er janvier 2016, intervenant après les municipales de 2014 et la conquête de plusieurs villes par la droite, a néanmoins eu, d’ores et déjà, plusieurs effets majeurs sur la gouvernance de la Seine-Saint-Denis et sur les équilibres politiques. Elle s’est traduite par l’achèvement et la refonte partielle de la carte intercommunale. Les 14 communes (une sur trois), qui s’étaient refusées, jusque-là, à adhérer à une communauté d’agglomération ou de communes, ont été contraintes d’intégrer la MGP et un des quatre « territoires » qui la composent au niveau local. Les maires concernés ont perdu dans l’opération une partie de leur autonomie d’action. Deux des communautés d’agglomération existantes (Plaine Commune et Est Ensemble) ont pu se transformer, sans modifications de limites, en « territoires » de la MGP, car elles dépassaient déjà largement le seuil de population requis (300 000 habitants). Les trois autres ont dû fusionner entre elles et avec les communes jusque-là hors intercommunalité, suivant une carte en bonne partie décidée par le préfet du département : Aéroport du Bourget et Terres de France dans le « territoire » Paris Terres d’envol (8 villes entre les aéroports du Bourget et de Roissy-CDG et 340 000 habitants) ; Clichy-sous-Bois-Montfermeil dans le « territoire » Grand Paris-Grand Est (14 communes et 380 000 habitants). Si le Front de gauche, malgré la perte de Saint-Ouen aux municipales de 2014, a conservé le contrôle de Plaine Commune et le PS, malgré la perte de Montreuil et de Bobigny, celui d’Est Ensemble, les deux autres « territoires » sont majoritairement à droite, avec 6 villes sur 8 pour Paris Terres d’envol et 12 sur 14 pour Grand Paris-Grand Est. Les villes de gauche (Sevran et Tremblay-en-France dans le premier cas, Clichy-sous-Bois et Neuilly-sur-Marne dans le second) sont isolées.

35 Parallèlement, une partie des compétences des communes et des intercommunalités existantes a été transférée à la nouvelle métropole. La façon dont s’exerce le pouvoir au niveau local et dont sont mises en œuvre les stratégies d’aménagement va nécessairement évoluer, au moins à la marge : les deux grandes intercommunalités (Plaine Commune et Est Ensemble) vont devoir négocier sur certains dossiers avec la métropole ; les communes qui forment les deux nouveaux territoires (Paris Terres d’envol et Grand Paris-Grand Est) négocier entre elles et avec la métropole.

36 Mais les territoires ont obtenu un statut juridique – celui d’établissement public territorial – presque équivalent à celui des anciennes communautés d’agglomération, qui leur permet d’être bien plus que de simples subdivisions de la nouvelle Métropole. Les transferts de compétences au bénéfice de celle-ci ont été en partie repoussés dans le temps, et celui de la contribution foncière des entreprises à 2020. Le Fonds métropolitain de soutien à l’investissement, un dispositif de péréquation au profit des communes et des territoires en difficulté, ne disposera que de 55 millions d’euros par an. 98 % du budget de la MGP (3,36 milliards d’euros sur 3,42) seront redistribués aux communes membres et, par leur intermédiaire, aux « territoires ». Avec un budget résiduel de 61 millions d’euros en 2016 (dont les 55 du fonds d’investissement) – alors que la région dispose de près de 5 milliards d’euros en 2015 (dont 2,3 milliards d’investissement) – la nouvelle Métropole du Grand Paris est loin d’être l’acteur puissant capable de trancher les débats métropolitains et de porter les grands projets d’équipements dont l’agglomération a un besoin urgent.

37 Enfin, la façon dont s’est négociée, entre élus de droite et de gauche, la mise en place de la MGP, où la droite est majoritaire, notamment l’élection de son président et de ses vice-présidents, montre que la nouvelle instance de gouvernance sera gérée sur le mode du consensus. La droite a écarté la candidature très clivante de Nathalie Kosciusko-Morizet, que la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, ne pouvait accepter, deux ans après avoir battu « NKM » aux municipales. Le nouveau président, Patrick Ollier, maire de Rueil-Malmaison, a montré sa capacité à travailler avec des élus de gauche au sein de l’ancienne communauté d’agglomération du Mont-Valérien. La gauche participe à l’exécutif de la MGP avec 6 vice-présidences sur 19 (3 PS, 1 Front de gauche, 1 PC et 1 EELV) – ce qui reflète à peu près les rapports de forces électoraux – et obtient le suivi de plusieurs dossiers stratégiques : Anne Hidalgo est première vice-présidente, déléguée aux relations internationales et aux grands événements (donc chargée des candidatures aux Jeux olympiques de 2024 et à l’organisation de l’Exposition universelle de 2025) ; Patrick Braouezec est 4e vice-président (relations avec les EPCI de grande couronne et coopération entre les territoires) ; s’y ajoutent la politique de l’habitat, la mixité, la stratégie environnementale, le patrimoine naturel et paysager, les zones d’activité et les grands équipements. La répartition des financements par la MGP des projets d’aménagement et d’équipements des territoires sera le résultat d’un deal entre les élus, où les appartenances politiques des uns et des autres compteront finalement assez peu. La tentation sera grande de saupoudrer pour ne fâcher personne. Les deux grandes inconnues portent sur la capacité des élus de la MGP à faire malgré tout émerger quelques grands projets ou quelques politiques audacieuses et sur le rôle que voudront jouer les deux autres grands acteurs de l’aménagement de l’Île-de-France : l’État (après une possible alternance en 2017) et la région, dont la nouvelle présidente, Valérie Pécresse, n’a pas tardé à réclamer « le transfert des compétences de la Métropole à la région Île-de-France ».

Conclusion

38 L’équilibre des rapports de forces géopolitiques en Seine-Saint-Denis, à court et moyen terme, dépendra de plusieurs facteurs. Dans un premier temps, la capacité de la gauche à mobiliser ses partisans pour la présidentielle et les législatives de 2017. Une forte progression de la droite et de bons résultats de l’extrême droite en mai à la présidentielle, suivis, un mois plus tard, de la défaite de plusieurs députés socialistes sortants et peut-être de Marie-Georges Buffet dans la 4e circonscription, pourraient préparer de nouveaux succès de la droite aux municipales de 2020 et aux départementales de 2021, et une possible conquête par celle-ci du conseil départemental. La gauche socialiste n’est plus dans la même dynamique offensive après les échecs des municipales de 2014 (qui ont ruiné les espoirs de Claude Bartolone de prendre la présidence de la future Métropole du Grand Paris) et des régionales de 2015 (où il visait la présidence de la région). Mais il n’est pas du tout exclu que la ville de Saint-Denis bascule entre les mains du PS en 2020, tant le résultat des municipales de 2014 a été serré. La prise de contrôle de Plaine Commune par le PS supposerait cependant également une reconquête d’Aubervilliers et/ou une victoire du PS sur le Front de gauche à La Courneuve.

39 Plus fondamentalement, la façon dont sera gérée l’« après-banlieue rouge » dans les communes perdues par le Parti communiste est une question ouverte. Quel impact a eu, là où il s’est déjà produit, ou aura, là où il vient de se produire, l’accès au pouvoir des élus postcommunistes ? Trois scénarios sont théoriquement possibles : l’arrivée rapide et relativement massive de nouvelles catégories sociales, attirées grâce à une politique urbaine de rupture, comme cela s’est produit dans les années 1980 dans certaines villes de banlieue parisienne, Levallois-Perret ou Antony, où de jeunes loups RPR – Patrick Balkany, Patrick Devedjian – s’étaient empressés de changer la population de leur ville, en détruisant l’habitat populaire et en le remplaçant par des immeubles de bureaux et des logements de standing, pour se prémunir contre le retour du Parti communiste qu’ils venaient de déloger de la mairie ; l’invention d’une autre façon de « faire banlieue populaire », incluant ou recyclant une partie de l’héritage communiste et prenant en compte l’importance de la population issue de l’immigration ; l’échec des nouvelles équipes municipales qui rendrait possible le retour du PCF ou l’arrivée de la gauche non communiste.

Bibliographie

Bibliographie

  • Delacroix C. (2009), « La chute de Montreuil la rouge », Hérodote, n° 135, La Découverte, Paris, 4e trimestre.
  • Robine J. (2014), « Hollande et les “quartiers”, une grande déception... qui n’explique sans doute pas la déroute électorale », Hérodote, n° 154, La Découverte, Paris, 3e trimestre.
  • Serisier W. (2014), « Nouveaux rapports de force politiques dans la petite couronne parisienne après les élections municipales de 2014 », Hérodote, n° 154, La Découverte, Paris, 4e trimestre.
  • Serisier W. (2016), « Géopolitique de la Seine-Saint-Denis », thèse de doctorat (en cours), Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.
  • Subra P. (2012), Le Grand Paris. Géopolitique d’une ville mondiale, Armand Colin, Paris, 335 p.
  • Subra P. (2014), « Métropole de Paris : les aventures extraordinaires d’un projet de loi », Hérodote, n° 154, La Découverte, Paris, 3e trimestre.
  • Subra P. (2016), Géopolitique locale. Territoires, acteurs, conflits, Armand Colin, Paris, 335 p.

Notes

  • [1]
    Professeur à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.
  • [2]
    Doctorant à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII.
  • [3]
    Plus de 65 % des suffrages exprimés au second tour, ce qui a fait de la Seine-Saint-Denis le département le plus à gauche en France métropolitaine.
  • [4]
    Le parti Les Républicains (LR) et le parti Union des démocrates et indépendants (UDI).
  • [5]
    Aulnay-sous-Bois (PS), Livry-Gargan (DVG), Villepinte (Front de gauche), Le Blanc-Mesnil, fief de Marie-Georges Buffet, conseillère municipale jusqu’en 2014, Bobigny, la préfecture, dirigée par le PC depuis 1920 et Saint-Ouen (PC). En 2015, une septième ville de gauche, Noisy-le-Grand (PS), a été conquise par la droite à l’occasion d’une municipale partielle.
  • [6]
    Clichy-sous-Bois-Montfermeil en 2001 (communauté de communes depuis 1997), Plaine Commune en 2001, Aéroport du Bourget en 2006, Est Ensemble et Terres de France en 2010.
  • [7]
    Création de l’association Plaine Commune Promotion et signature d’une charte Entreprise-Territoire, pour inciter les entreprises à recruter localement, enfin création d’une Maison de l’emploi du territoire en 2006.
  • [8]
    Création de conseils de quartier, d’un conseil de développement (2005), organisation des Assises de Plaine Commune.
  • [9]
    À Bobigny, 8 des 12 adjoints du nouveau maire UDI sont issus de la « diversité ». Au Blanc-Mesnil c’est le cas de 6 sur 16, à Saint-Ouen de 4 sur 12.
  • [10]
    47 000 voix, soit nettement plus que les autres listes (UMP : 34 000, PS : 31 000, Front de gauche : 28 000, UDI-Modem : 20 000).
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