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Article de revue

Georg Simmel : connaissance et culture, individu et vie

Pages 98 à 107

Notes

  • [1]
    Je me permets sur ce point de renvoyer à mon article : Watier, 2018.
  • [2]
    C’est bien entendu une telle définition qui est mise en jeu, lorsque Simmel raille sur un mode nietzschéen la prétendue « prépondérance de l’homme cultivé, le plus stupide soit-il, sur le plus intelligent des prolétaires » (Ibid., p. 560). Une thématique également partagée par Max Weber lorsqu’il se permet le jugement de valeur célèbre sur les derniers hommes de ce développement de la civilisation : « Spécialistes sans vision et voluptueux sans cœur – ce néant s’imagine avoir gravi un degré de l’humanité jamais atteint jusque-là » (Weber, 1964, p. 251).
  • [3]
    La forte présence de Goethe dans les références d’arrière-plan de la sociologie naissante en Allemagne se signale également dans la citation qu’en fait sur le problème du préjugé F. Tönnies en 1887, en conclusion de son avant-propos de la première édition de Communauté et Société (2010, p. XXXVI).
« Chacun doit procéder à sa formation comme individu. »
Conversations de Goethe avec Eckermann (1988, p. 147)

1Lorsque les sociologues abordent leur objet, ils le font à partir de traditions culturelles qui leur fournissent des images et des représentations des rapports entre individu et société. Ces traditions ont en quelque sorte codifié des figures des accomplissements humains possibles ou souhaitables, relevant autant de conceptions philosophiques que de conceptions littéraires. Je m’appuierai sur les références et définitions de Georg Simmel pour montrer que le philosophe-sociologue emprunte à divers domaines des éléments à partir desquels il construit une individualité multiforme : en effet, entrent en ligne de compte des descriptions de type morphologique, avec l’entrecroisement des cercles sociaux où la personne est soumise à moins de contrôle ; des descriptions de la liberté individuelle résultant de la transformation de l’économie monétaire ; des a priori comme conditions nécessaires à la conceptualisation de l’individu selon la double signification de l’existence humaine (die Doppeldeutung der menschlichen Existenz), tournée vers les autres mais aussi vers soi ; une référence à une tradition culturelle dans laquelle les relations entre individu et culture sont dessinées selon un mouvement d’action réciproque. Ainsi entre en jeu la Bildung, qui prendra de plus en plus d’importance dès qu’il s’agira d’évaluer les relations entre le développement individuel et le développement de la culture. Ce mouvement vers les œuvres suppose, comme le remarquait Eckermann dans ses conversations avec Goethe à propos de son Faust, « quelque érudition » : ainsi, c’est la lecture de Schelling sur les Cabires qui lui a permis de comprendre le fameux passage de la Nuit classique de Walpurgis. À quoi, avec un rien de fausse modestie, Goethe (1988, p. 383) répond en souriant : « J’ai toujours estimé qu’il est bon de savoir quelque chose. »

2Pour comprendre cette individualité qui n’est pas, pour Simmel, strictement sociale, il nous faut rapporter cette conception à l’imaginaire de la Bildung, lequel suppose une individualité qui a à se former, à se perfectionner et à suivre sa loi propre. Se former à travers une culture artistique, une culture philosophique, une culture religieuse implique certes un idéal du savoir, une appropriation érudite, mais ce qui importe au plus haut point c’est un mouvement de la pensée pour la culture philosophique, une tâche infinie pour la culture religieuse. Simmel en donne une première formulation concise dans Rodins Plastik und die Geistesrichtung der Gegenwart (1995, p. 93-94) : « il existe un désir ardent de ce que l’on pourrait appeler la loi individuelle, celle de l’unité d’une vie purement personnelle, libre toute généralisation, avec la dignité, l’ampleur et la détermination de la loi. » Ce constat sera développé dans le chapitre 4 de son œuvre posthume Intuition de la vie (ou Méditations sur la vie, selon les éditions traduites en français), Quatre chapitres métaphysiques. Dès l’abord, nous sommes renvoyés à une théorie de la culture, aux rapports qu’entretiennent sujet et objet, mais aussi à une conception où se donne à lire ce que Simmel nomme le « dualisme purement formel dans lequel nous piège inévitablement l’appartenance de nos contenus de vie à d’autres sphères outre celle du moi » (Simmel, 1989a, p. 200). À partir de ce point de vue, il serait possible de lire toute l’œuvre de Simmel comme une analyse des trajets que le moi effectue entre lui-même et les formes religieuses, culturelles, sociales – trajets qui expriment chaque fois un conflit entre l’individualité tournée vers elle-même et le mécanisme social.

3Quelle que soit sa justesse descriptive, toute théorisation du social engage en deçà de sa propre pertinence une représentation a priori des dispositions humaines, dont l’auteur accentue certains traits. Je compte illustrer cette affirmation en analysant un certain nombre de traits psychologiques et sociaux que Simmel utilise dans sa cartographie du monde social, mais aussi montrer que toute son entreprise intellectuelle renvoie à une représentation de l’individualité dans ce qu’elle aurait de plus unique et de non partagé. Cette représentation est fortement liée au rapport à la culture que je développerai dans un second temps ; on peut déjà dire qu’à côté de l’individu social, il faut faire une place à une idée de l’individu comme centre propre et qui a des devoirs envers lui-même. La formulation concise d’un tel idéal se trouve dans le Wilhelm Meister de Goethe : « Tout au fond de nous-mêmes cependant réside cette force créatrice qui nous permet de réaliser ce qui doit être et qui ne nous laisse ni trêve ni repos jusqu’à ce que nous l’ayons projeté de telle ou telle manière, hors de nous ou en nous. » (Goethe, 1983, p. 365)

4Pour illustrer cette loi individuelle, les recherches érudites porteront sur un certain nombre de philosophes – Kant, Nietzsche, Schopenhauer –, d’écrivains et poètes – Goethe, George –, de peintres et sculpteurs – Rembrandt, Michel-Ange, Rodin.

L’individu social

5Simmel avait, dès la Différenciation sociale de 1892, montré que l’individu dans le monde moderne réalise une combinaison particulière d’appartenance aux cercles sociaux et n’est saisissable comme unité qu’au point imaginaire où toutes leurs circonférences se chevauchent. La personnalité est donc un lieu de croisement d’innombrables fils sociaux ; chaque appartenance particulière la lie au passé de ces groupes et en fait l’héritière de cercles différents, son individualité correspond aux combinaisons particulières et chaque fois uniques qu’elle réalise. De ce processus de multiplication des possibilités d’appartenance, il résulte également, pour la personnalité morale, de nouvelles particularités et de nouvelles tâches, lorsqu’elle passe de la socialisation dans un seul cercle à une socialisation à travers de nombreux cercles. La certitude et la sécurité cèdent la place à un flottement des tendances de la vie, voire à des conflits intrapersonnels. Qu’il résulte de la multiplicité des affiliations sociales des conflits internes et externes, menaçant l’individu d’un conflit intrapsychique, ne contredit pas leur effet fortifiant sur l’unité personnelle. Puisque de multiples intérêts se rencontrent en lui, il s’ensuit que leur combat fortifie l’unité du moi, seule à réaliser une telle combinaison conflictuelle. Malgré les complications psychologiques et sociologiques, l’individualité sort renforcée de ce contact avec le divers et le multiple, et loin qu’une telle fragmentation des expériences conduise à une perte ou dissolution individuelle, cette multiplication d’expériences et d’affiliations renforce au contraire le caractère proprement individuel.

L’humain

6Georg Simmel s’appuie, en arrière-plan de nombre de ses travaux, sur une conception de l’humain, de sa puissance d’agir, des figures que cette humanité peut emprunter en relation avec des conditions sociales, économiques, idéologiques ; il met en perspective des modes d’accomplissement et de réalisation de soi favorisés ou entravés par le monde culturel ambiant. Cette conception de l’humain le conduit à effectuer des comparaisons entre des modes d’activité singuliers et des dispositions très générales qui attendent en quelque sorte d’être activées. Il présentera à la fin de sa vie cette conception sous les termes de loi individuelle, qui renvoie à l’individualité, « cette unité qui ne se laisse ni analyser, ni déduire de rien d’autre, ni subsumer sous un concept supérieur, dans un monde par ailleurs démontrable et calculable à l’infini et répondant à des lois universelles » (Simmel, 1988a, p. 149). Dans une première formulation de la loi individuelle – dans un texte consacré à Rodin en 1903, cité ci-dessus et non traduit en français –, il insiste sur l’unicité, la spécificité, ce que chacun ressent comme nécessité interne liée à son être et son action, à quoi s’opposent toujours la généralité, l’indifférence propre à la norme valable pour tous qui exige sa subordination. De ce constat, il tire la conséquence qu’il existe un ardent désir d’une loi individuelle qui corresponde à l’unité d’une forme de vie. La véritable source éthique reposerait sur elle et non sur un impératif qui prend sa source hors de la vie personnelle. Tout se passe comme si chacun avait un ange ou un démon qui symbolise l’idée de sa vie.

7L’humain de Simmel, comme le comédien auquel il a consacré des travaux, peut jouer des rôles et sait qu’il joue, mais ses prises de rôle se font de manière insensible, comme appelées par les situations. En ce sens, une connaissance des formes de socialisation peut anticiper sur leur déroulement probable et les prises de rôles associées, les conduites moralement acceptables, les licences accordées – par exemple, se présenter plus dénudée dans une relation sociable à laquelle participent de nombreuses personnes que dans une relation duelle entre inconnus, comme Simmel l’illustre dans le texte sur la coquetterie. Cet humain a une connaissance typique de situations également typiques et il la met en œuvre pour s’orienter dans la société. Cette connaissance repose sur deux types de généralisations : une généralisation psychologique et une généralisation sociale. La vie sociale présente de nombreuses situations de coprésence et celles-ci sont compréhensibles parce que les personnes en action réciproque se font une image de l’autre selon sa fonction, sa place dans la société, son sexe (pour ne pas commettre d’anachronisme, je n’utilise pas le terme « genre »). À partir de cette généralisation sociale, l’individu s’attend à ce qu’un officier, un entrepreneur, un ouvrier, une femme, agissent selon les modes d’action liés à ce rôle social. Les individus se font également une représentation psychologique des interactants : honnête, fourbe, égoïste, généreux, fiable, douteux, mou, énergique, etc. Cette psychologie que Simmel a traitée dès Les Problèmes de la philosophie de l’histoire est une psychologie conventionnelle, non une psychologie scientifique. Il dira qu’elle correspond à une disposition tout à fait particulière, la connaissance de l’homme par l’homme, qui provient de la socialisation au sens courant du terme. L’usage de catégories psychologiques universelles en même temps que de typifications sociales, par lesquelles l’individu entre en contact avec autrui, relève de la capacité de typifier développée par Simmel dans Sociologie. J’ajouterai, bien qu’elle soit moins thématisée que les typifications psychologiques et sociales, une troisième capacité : celle à cadrer des formes de socialisation, des situations, et à agir en conséquence. Des exemples significatifs se trouvent dans la Philosophie de l’argent : l’atmosphère d’indifférence que produit l’argent conduit à traiter les autres selon un code binaire simple – client/acheteur, débiteur/créancier – sans aucune considération personnelle, ou plus exactement de considération de la personne qui n’est qu’une fonction d’un acte social. L’homme peut en ce sens traiter son prochain avec une totale indifférence – celle-ci serait même nécessaire dans de nombreuses situations caractéristiques du monde moderne.

8Nous recherchons sous quel type humain placer l’autre. Les généralisations auxquelles nous procédons selon une perspective sociologique et psychologique rendent possibles les actions réciproques, et l’image supra-individuelle construite permet de traiter l’individu comme unité d’un type commun à d’autres et du type qu’il est seul à réaliser. Sans vouloir ou désirer mentir, l’individu retient par-devers lui toute une partie de ce qu’il pense, ou des pensées qui lui passent par la tête, alors même qu’il est en interaction avec une ou d’autres personnes, ce qui nous renvoie au fait suivant, que l’on peut caractériser selon deux modes : l’homme n’est jamais totalement socialisé, entièrement immergé dans une relation sociale ; une part de lui échappe à cette emprise, et il en va ainsi parce que l’orientation vers ce qui lui est propre pose une barrière à cette emprise. L’individu qui utilise une typification sociale sait aussi que l’autre individu ne se réduit pas à elle, que tout élément d’un groupe est encore « autre chose en plus », que « cet être extra-social » (dieses außersoziale Sein – Simmel, 1999a, p. 71-72) va colorer et nuancer ses actes sociaux. Cette autre chose en plus coexiste avec tous les rôles jouables par un individu. Jouer un rôle, c’est se couler dans une forme préexistante, épouser les contours d’un ensemble, suivre une norme, des indications liées à une interaction ; et de fait, nous sommes alors telle ou telle fonction, certes toujours personnellement colorée mais indépendante de notre individualité. La vie sociale présente ainsi des occasions sociales qui nous happent et que nous habitons, mais il en résulte aussi une tension entre ces rôles que nous sommes conduits à jouer et l’idée de notre individualité, « de notre vraie vie individuelle », dit Simmel (2001, p. 66). Dans la vie ordinaire, une tension réside dans ce fait : nous sommes toujours immergés dans cette forme préliminaire qu’est notre vie, alors que, selon ce que nous prescrit un rôle joué pour des raisons sociales ou religieuses, nous prenons une forme en partie étrangère à nous ; l’existence personnelle, en ce sens, emprunte une forme préexistante qui se nourrit de la vie propre de l’individu.

9L’humain est ainsi divisé. Il joue des rôles qui ne sont pas à considérer comme des modes de présentation de soi hypocrites : ce sont ceux liés aux formes de socialisation. Mais un noyau individuel s’y sent non comblé. L’être humain qui joue des rôles n’en considère pas moins qu’il est une unité qui se sent distincte de ces multiples rôles, sans pour autant pouvoir la cerner avec une précision absolue. En d’autres termes, l’individu se vit comme totalité ; les rôles et le social ne le recouvrent jamais et l’individu peut aussi tenter d’opposer une forme de résistance au monde social. Cette image d’une tension – voire d’un conflit – entre ce que l’individu veut être pour lui-même et les exigences sociales parcourt de nombreux textes, par exemple l’entrée en matière des grandes villes et la vie de l’esprit dans laquelle Simmel affirme que la lutte de l’individu pour son autonomie contre l’héritage historique et social est fondamentale. L’individu est partie d’un tout, mais est également un tout pour lui-même.

10

L’individu a le désir d’être un tout harmonieux, un tout ayant son centre propre, à partir duquel tous les éléments de son être et agir prennent un sens unifié, dans des rapports réciproques. Mais si par contre c’est le tout supra-individuel qui doit être parfait en soi, s’il doit avec une signifiance qui trouve sa satisfaction en elle-même réaliser une idée objective propre, alors il ne peut admettre cette perfection pour ses membres […]. La totalité de l’ensemble (même si elle ne prend de réalité pratique que dans certaines actions de particuliers, voire au sein de chaque particulier) est éternellement en lutte contre la totalité de l’individu.
(Simmel, 1988b, p. 637)

11Simmel présentera une illustration générale de cette tension qui peut aller jusqu’au conflit dans un article sur Michel-Ange.

12

La manière la plus simple de symboliser la forme permanente de notre vie est peut-être la suivante : elle se détermine par la pression qu’exercent sur nous objets et circonstances, nature et société, ainsi que par les réactions de notre liberté, qui abolissent cette pression ou se laissent violenter par elle, la combattent ou l’évitent […]. Telle est peut-être la complication majeure de notre vie : ce qui limite sa spontanéité et opprime sa libre aspiration vers le haut est en même temps la condition indispensable pour que cette aspiration à l’action parvienne à une expression visible, à une activité créatrice de forme.
(Simmel, 1990, p. 36)

13Cette phrase me semble condenser la sociologie des formes de socialisations de Simmel, mais aussi et surtout sa philosophie de la culture et le rapport vie/forme. La forme, qu’elle soit économique, politique, sociale, artistique, juridique ou religieuse, est un cadre qui limite l’action mais elle est aussi ce qui permet, en se confrontant à cette limite, de la modifier. Il n’y a pas de vie sans forme. En ce sens, la forme est contrainte et ressource ; de nouvelles formes mieux adaptées à un courant vital particulier peuvent advenir, par exemple le rapport des femmes au mariage de l’époque, pour lequel elles cherchent une autre forme. Cela étant, le tragique de la culture tel qu’il l’entend conduit les formes instituées, qui étaient au service de la vie, à se retourner contre elle et, dans les cas les plus caricaturaux comme celui de l’économie, à se transformer en tyrans alors qu’elles étaient à l’origine servantes de cette vie.

14Les formulations les plus générales que l’on pourrait donner de ce type humain sont abordées dans la Philosophie de l’argent et dans Méditations sur la vie. Dans la Philosophie de l’argent, Simmel décrit l’individu comme être limité qui n’a pas de limite ou encore comme être indirect, animal fabriquant des outils mais aussi animal s’assignant des fins. L’homme serait situé entre l’animal totalement dépendant de la vie instinctuelle et Dieu, chez qui conception et réalisation sont intimement liées et ne tolèrent pas de délai. Pour parvenir à ces buts, l’homme a, quant à lui, besoin du truchement du moyen. Ce type humain « est toujours tendu par l’effort, jamais durablement satisfait, toujours en devenir », ce qui conduit Simmel à donner l’amour comme l’état humain par excellence (Simmel, 1988b, p. 245) et le moyen, dans sa version renforcée qu’est l’outil, comme le symbole de l’espèce humaine. Fabriquer des outils n’est pas à prendre dans un sens restrictif d’ustensile matériel : un contrat, un testament et, bien sûr, l’argent sont des outils qui augmentent de manière considérable l’agir humain. Les institutions, les organisations sont donc les médiations nécessaires dès que l’individu ne peut atteindre certains buts par une action directe. Dans Méditations sur la vie, décrivant le caractère limité de l’existence humaine, il souligne l’importance de la conscience de soi en tant que « phénomène originel de l’esprit comme esprit humain ». L’homme sujet de connaissance se prend lui-même comme objet de connaissance, se fait l’objet de son propre savoir et de ce fait se pose au-dessus de lui-même. Nous retrouvons l’être limité qui cependant n’a pas de limites, celui pour qui toute orientation est confrontée à une frontière, mais qui n’a pas de frontières pour le choix de quelque direction que ce soit. Dans la deuxième édition des Problèmes de la philosophie de l’histoire, il interroge la question de la causalité individuelle – obéir à une causalité qui ne vaut que pour soi et qui se montre dans sa manière de traiter le monde, et cela différemment de la manière dont les autres le manient. La philosophie de la vie est fondamentalement un questionnement sur la possibilité d’être un individu qui ne donne qu’une part de lui aux formes sociales et qui ne prouve sa liberté que dans le fait de ne pas être interchangeable avec autrui, mais en suivant une causalité qui ne vaut que pour lui. D’un point de vue éthique, le devoir sourd de la vie totale de la personne individuelle. C’est l’image de soi et tout ce que ce soi a déjà accompli qui lui fixe l’exigence de réaliser ce qu’il est. Cette loi individuelle qu’il a cherché à caractériser pour la morale vaut aussi pour l’érotique et c’est sans doute cette philosophie de l’individu qui signale le mieux sa conception de la particularité de chacun. Il suggère qu’il doit exister dans le domaine érotique une loi individuelle, de même que dans le domaine moral : « une relation sans pareille entre individus sans pareils comporte une signification entièrement limitée à cette relation et dépassant cependant sa phénoménalité superficielle, dominée ou justifiée non par une idée générale de la beauté, de la valeur de ce qui est digne d’amour, mais justement par la seule idée de ces existences individuelles et de leur achèvement. » (Simmel, 1988a, p. 149)

15Dans ses derniers travaux, Simmel met l’accent sur le fait que la vie de l’être humain, tout au long de son cours, est fondamentalement déterminée par la mort. Il revient ainsi sur le mélange de savoir et de non-savoir propre à l’être humain qui caractérise son action. Dorénavant, c’est comme condition ontologique de l’être humain en tant qu’« être intermédiaire » qu’il envisage ce mélange de savoir factuel – tout un chacun sait qu’il va mourir – et de non-savoir temporel – tout un chacun ignore quand. Cette dernière ignorance tempère l’angoisse de mourir et procure à l’homme « une certaine marge de manœuvre intérieure ». S’il ne pouvait donner une valeur de certitude à des données pourtant incontrôlables (que la confiance pallie dans les relations sociales, par exemple), l’être humain ne pourrait, selon Simmel, ni exister ni agir, sa vie telle que nous la connaissons serait impossible (Simmel, 2020, p. 158-159 ; voir sur ce point Jalbert, 2003).

La culture

16La culture ou l’idéal de culture de Simmel est aussi une représentation imaginaire et idéale de ce qui fonde l’humanité de l’homme.

17Cette représentation de l’individualité sera mise en avant dans les textes portant sur Goethe, George, Michel-Ange mais aussi dans tous ceux où s’opposent non seulement individualisme quantitatif et individualisme qualitatif, mais aussi individualisme latin et individualisme germanique. L’analyse repose sur des représentations et des figures idéales typiques de l’individualité, et qui seraient exemplaires pour des époques ou des aires socioculturelles. Ainsi, l’imaginaire cosmopolite de l’individu et la conception kantienne s’opposent à l’imaginaire romantique de l’unicité et de l’originalité, et par ailleurs l’individualité latine peut s’opposer à l’individualité germanique.

18Si l’homme est un héritier, et pas uniquement un descendant, c’est parce qu’il peut formellement s’approprier des traditions, des organisations, des œuvres, qui correspondent à une objectivation de l’esprit, et cette objectivation lui ouvre un (des) monde(s). La question pour Simmel est la suivante : dans quelle mesure ces éléments objectivés autorisent-ils un développement individuel ? Si la découverte de Newton est couchée dans un livre, elle reste de l’esprit objectivé, elle est une « propriété potentielle de la société », mais si personne ne se l’approprie elle n’est pas une valeur culturelle. Les relations qu’entretiennent science et société ou science et culture, de nos jours, relèvent à n’en pas douter d’un tel constat, un grand pan de la science restant en dehors de la culture des individus. L’accumulation de la réserve de savoir objectif devient incommensurable avec ce que la personnalité individuelle peut elle-même absorber, et elle est néanmoins imbriquée dans ces réseaux mais sans capacité d’appropriation. Le pas suivant consiste à saisir le rôle que joue l’idée de Bildung : c’est-à-dire aussi que je la considère comme la toile de fond à partir de laquelle se comprend l’opposition que Simmel fera jouer entre individu, humanité et société [1], culture subjective et culture objective. La Bildung est une représentation commune, une représentation idéelle, que la littérature a pu inventer et à travers laquelle se diffuse une norme de comportement et d’orientation vis-à-vis de soi. Elle concerne le rapport de l’homme à la culture. La culture, pourrait-on dire, fait partie du projet vital de chacun et suppose un idéal éducatif. Il est ainsi possible de distinguer entre l’idéal éducatif des xviiie et xixe siècles : le premier « visait une formation de l’homme lui-même, donc la valeur personnelle et intérieure, mais il fut évincé au xixe siècle par une formation comme une somme de connaissances et de comportements objectifs » (Simmel, 1988b, p. 574) [2]. À l’homme de culture se substitue l’homme spécialisé (Kulturmensch / Fachmensch, pour le dire dans les termes qu’affectionne Max Weber). C’est ce schème imaginaire de rapport à soi qui sera confronté à des transformations socioculturelles et qui servira à les juger. On peut caractériser cette représentation par la relation entre l’autoformation individuelle et l’appropriation des biens de culture, et ce sont les difficultés de réalisation de ce processus dans les conditions modernes d’existence qui font l’objet de réflexion de Simmel.

19S’appuyant sur la Bildung, la formation comme idéal de la culture, Simmel partage un thème dont H. G. Gadamer a souligné le rôle central pour les sciences de l’esprit du xixe siècle et à quelle transformation spirituelle fondamentale il correspond : il s’agit de « L’idéal d’une société cultivée […]. Elle se reconnaît et se justifie non plus par la naissance et le rang, mais essentiellement par la seule identité de ses jugements ou, mieux, par la capacité qu’elle a de s’élever jusqu’à l’exigence d’un jugement […]. D’après son essence la plus profonde, le goût n’est donc rien de privé, mais au contraire un phénomène social de première importance. » (Gadamer, 1960, p. 7 et p. 32sq) Disons-le ainsi : la culture est le point de passage obligé du moi à lui-même ou du soi à soi. Wilhelm Meister n’apprend en fait qu’une seule chose : se former (sich bilden). Dans le processus culturel, « le sujet s’objective et l’objectif se subjective et cela constitue la spécificité du processus culturel […] » (Simmel, 1989a, p. 209). La Bildung (formation) suppose que l’intérieur se confronte à l’extérieur, que l’interaction avec les œuvres picturales ou littéraires, avec l’étranger (d’où l’importance des traductions), mais aussi avec les techniques et les sciences, soit forte. Il s’agit d’un travail d’appropriation et non d’une simple assimilation de contenus : l’appropriation me modifie et les formes objectives sont elles-mêmes vivifiées ou nourries par cette sève individuelle. À partir de cristallisations culturelles qui sont suprasubjectives se met en place un processus d’appropriation-transformation.

20C’est « l’essence de la Bildung que nos dispositions purement personnelles se réalisent dans des formes déjà données. Ce faisant, elles les transforment et nous sommes également transformés : c’est seulement dans cette synthèse que notre vie spirituelle gagne sa pleine originalité et personnalité, seulement en elle s’incarnent de manière tangible son caractère incomparable et sa pleine individualité. » (Simmel, 1999a, p. 704) Il faut encore ajouter que ce monde culturel, contrairement à celui correspondant à la concurrence de par son accessibilité en principe universelle, permet à chacun de goûter les produits de l’esprit sans pour autant que cet acquis soit pris à un autre ; le monde objectif dont parle Simmel est le résultat d’une objectivation de courants de vie qui par là même deviennent transindividuels et disponibles. Il n’est pas naïf au point de ne pas voir, comme nous dirions aujourd’hui, les inégalités d’accès, mais ce manquement à l’universalité idéelle ne doit pas faire perdre de vue la valeur portée par cette idée de culture.

21On pourrait avancer que Simmel s’appuie sur une sémantique, une représentation imaginaire forte dans l’aire germanique, qui a fortement différencié l’homme intérieur de l’homme social, ou qui a essayé, en suivant la formulation de Goethe, de saisir comment et « dans quelle mesure notre moi et le monde extérieur contribuent à notre existence spirituelle ». Pour approcher cette conception de l’individu, il est aussi nécessaire de faire remarquer à la suite de H. Marcuse, notamment dans Raison et Révolution, que la culture allemande ne peut être dissociée du protestantisme. Cela serait particulièrement vrai de l’idéalisme allemand pour qui les vraies beautés, le véritable bien, ne relèvent pas de la société ; les sciences, les arts, la philosophie, la religion sont les domaines de l’accomplissement, mais c’est un homme intérieur, une âme – et non un exemplaire social – qui est ici le protagoniste de ces domaines. Ces domaines où la formation se déroule sont alors conçus comme les domaines véritables, « le vrai réel », situé au-delà des contingences sociales conçues comme médiocres. Certes, ce modèle a des limites et Marcuse fera ressortir qu’une telle disposition « donne le pas à la liberté de pensée sur la liberté d’action, elle met la moralité avant la justice, la vie intérieure avant la vie en société », ce qui, d’un point de vue de transformation du monde, est bien entendu critiquable. Mais il reconnaît que « cette culture idéaliste, parce qu’elle s’isole d’une réalité intolérable, préserve sa propre intégrité. Elle a servi ainsi, malgré des consolations et des embellissements illusoires, de dépôt aux vérités non encore réalisées dans l’histoire de l’humanité. » (Marcuse, 1968, p. 64). Et c’est ce dépôt qu’il ne me semble pas inutile de revisiter. Il ne s’agit pas bien entendu d’imaginer un retour à la Bildung, mais de penser, par rapport à ce que je nommerai le tout social, un espace qui remette l’accent sur une différence entre culture et moralité d’une part, civilisation, social, convenance de l’autre, monde culturel d’épanouissement et d’accomplissement de soi, opposé à la seule convenance. Un idéal éducatif adossé à l’idée de Bildung est une formation de soi et non une simple transmission de capacités techniques. La cultivation de soi, ce type de rapport particulier à soi impliqué par la Bildung, on peut la comprendre comme suit : « de même que l’être humain doit vivre au-dehors à partir de son intériorité, l’artiste doit produire au-dehors à partir de son intériorité, en faisant progresser sans cesse son individu jour après jour, quelle que soit la façon dont il s’y prend. » (Simmel, 1989b, p. 72-73) C’est la conception de Humboldt énoncée dans sa théorie de la formation de l’homme, et c’est ainsi que l’homme devient une personnalité, acquiert une personnalité.

22Lorsqu’il analyse la transformation du sens du mot personnalité, Adorno souligne qu’il ne s’agit pas du culte du moi, encore moins du simple constat de ce qui est, la personnalité réduite à l’individu tel qu’il est et se présente, ni de la perversion de la notion lorsque l’on parle de personnalités du monde politique ou sportif. La personnalité consiste à se rapporter au monde comme à un troisième terme, par rapport à sa pensée et à son action. Adorno, tout comme Simmel, craint que la perte de la personnalité dans la pure adaptation fonctionnelle ne conduise à la perte de conscience critique ; immolant la conception classique de la personnalité, on sacrifie du même coup « le moment d’autonomie, de liberté, de résistance, qui pourtant passablement perverti par l’idéologie faisait partie de l’idéal de la personnalité » (Adorno, 1984). Bien entendu, une telle conception suppose un idéal de culture, par rapport auquel l’homme spécialisé et éloigné de la culture objective apparaît comme un simple rouage d’un ensemble qui le dépasse. Un tel idéal, s’il fait sa place à l’unicité individuelle, s’il pense l’accomplissement humain, ne le réduit pas aux formes d’authenticité qui s’appuient sur un bien, un domaine propre seul à développer : l’idéal éducatif de référence implique bien plus une appropriation-transformation. Pour Simmel, cet idéal de l’individualité est éloigné de tout égoïsme et subjectivisme ; en ce sens, la loi individuelle (das individuelle Gesetz) implique que tout acte modifie notre être et l’on pourrait poser comme idéal éthique : Kannst du wollen, daß dieses dein Tun dein ganzes Leben bestimme ? (peux-tu vouloir que cet acte comme tien détermine ta vie entière ?), à différencier de cette pensée un peu fastidieuse de Nietzsche : Kannst du wollen, daß dieses dein Tun unzählige Male wiederkehre ? (peux-tu vouloir que cet acte comme tien se répète à l’infini ?). (Simmel, 1999b, p. 421 ; Simmel, 2020, p. 302, traduction légèrement revue par l’auteur)

23Hermann Broch, dans un texte lumineux consacré à James Joyce, résumait un tel idéal :

24

L’artiste, pris dans ce sens le plus élevé, ne crée pas seulement pour le divertissement et l’instruction de son public, il travaille uniquement et exclusivement à la formation de sa propre existence. C’est la culture comme Goethe l’a comprise, comme il l’a opposée à la philosophie et aux sciences, c’est cette tâche dure et rigoureuse de la connaissance qui l’a accompagné toute sa vie en le contraignant à assimiler avec une faim jamais satisfaite tous les phénomènes de la vie et à les métamorphoser au véritable sens du mot.
(Broch, 1985, p. 209)

25Bien entendu, un tel idéal, s’il trouve son accomplissement dans l’activité artistique, est une tâche que chacun a à accomplir.

26Travailler à la formation de sa propre existence, fait penser aux exercices spirituels tels que les entend Pierre Hadot. Un tel exercice renvoie à notre densité existentielle. Puisque la vie humaine est constituée par le problème qu’elle est pour elle-même, se pose la question de ce que chacun peut parvenir à être – et cela, il ne le peut qu’en se cherchant à travers toutes les productions objectivées de l’aventure humaine. Une vie authentique est à ce prix. Dans l’introduction du livre Philosophische Kultur, Simmel rappelle la fable du paysan et de ses enfants : ces derniers creusant et labourant pour découvrir un trésor n’ont pas découvert de trésor mais la terre fut trois fois plus fructueuse qu’auparavant, « Nous ne trouverons pas le trésor, mais le monde que nous aurons labouré sera triplement fructueux pour l’Esprit, quand bien même il ne se serait pas agi en somme de chercher réellement un trésor, mais de creuser parce que telle est la nécessité et la disposition interne de notre esprit. » (Simmel, 1996, p. 167) On peut suggérer que la philosophie de la culture de Simmel correspond au moment érudit, alors que ce qu’il nomme la culture philosophique comme attitude d’esprit est le transfert de ce trésor vers la vie et le monde.

27Une dernière remarque pour conclure : si Max Weber et Georg Simmel ne partagent pas la même conception de la sociologie, divergent sur la sociologie de la religion, ils ont en commun une idée de la vie de chacun dans sa particularité et cette idée est exprimée de la sorte :

28

C’est peut-être là le sens profond de la représentation mystique, selon laquelle tout homme est accompagné par un ange ou un génie personnel qui le guide à travers les circonstances, et qui, en un certain sens incarnerait « l’idée » de sa vie.
(Simmel, 2020, p. 265) ;

29

Il faut se mettre à son travail et répondre aux demandes de chaque jour – dans sa vie d’homme, mais aussi dans son métier. Et ce travail sera simple et facile si chacun trouve le démon qui tient les fils de sa vie et lui obéit.
(Weber, 1959, p. 98)

30La référence au Daimon chez Goethe s’impose : « Et nul temps, nulle force ne peuvent morceler la Forme marquée d’un sceau, qui, vivant se déploie [3]. » (Goethe, 2008, p. 164)

Références bibliographiques

  • Adorno, T. W., « De la personnalité », in Adorno, T. W., Modèles critiques, Paris, Payot, 1984, p. 173-178.
  • Broch, H., « James Joyce et le temps présent », in Broch, H., Création littéraire et connaissance, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1985, p. 187-213.
  • Gadamer, H. G., Warheit und Method, Tübingen, Mohr, 1960.
  • Goethe (von), J. W., Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, Paris, Aubier Montaigne, 1983.
  • Goethe (von), J. W., Conversations de Goethe avec Eckermann, Paris, Gallimard, 1988.
  • Goethe (von), J. W., « Urworte. Orphisch », in Hadot, P., N’oublie pas de vivre, Goethe et la tradition des exercices spirituels, Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque des idées », 2008.
  • Jalbert, J. E., « Time, Death and History in Simmel and Heidegger », Human Studies, vol. 26, n° 2, 2003, p. 259-283.
  • Marcuse, H., Raison et révolution, Paris, Minuit, 1968.
  • Simmel, G., « Digression sur l’eros platonicien et l’eros moderne » (édition posthume, 1922), in Simmel, G., Fragments sur l’amour, Paris, Rivages, 1988a.
  • Simmel, G., Philosophie de l’argent, Paris, Presses universitaires de France, 1988b.
  • Simmel, G., « La tragédie de la culture », in Simmel, G., Philosophie de la modernité, Paris, Payot, 1989a.
  • Simmel, G., « L’individualisme de Goethe », in Simmel, G., Philosophie de la modernité, vol. 2, Paris, Payot, 1989b.
  • Simmel, G., « Michel Ange », in Simmel, G., Michel Ange et Rodin, Paris, Rivages, 1990.
  • Simmel, G., Rodins Plastik und die Geistesrichtung der Gegenwart, in Kramme, R. (dir.), Gesamtausgabe 7, Aufsätze und Abhandlungen 1901-1908, Francfort, Suhrkamp, 1995.
  • Simmel, G., Philosophische Kultur, in Kramme, R. et Rammstedt, O. (dir.), Georg Simmel Gesamtausgabe, vol. 14, Francfort, Suhrkamp, 1996.
  • Simmel, G., Sociologie. Études sur les formes de la socialisation, Paris, Presses universitaires de France, 1999.
  • Simmel, G., Lebensanschauung, in Fitzi, G. et Rammstedt, O. (dir.), Georg Simmel Gesamtausgabe, vol. 16, Francfort, Suhrkamp, 1999b.
  • Simmel, G., « À propos de la philosophie du comédien », in Simmel, G., La Philosophie du comédien, Belval, Circé, 2001.
  • Simmel, G., Méditations sur la vie, Belval, Circé, 2020.
  • Tönnies, F., Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
  • Watier, P., « Philosophy, Cultural Philosophy and Sociology », Simmel Studies, vol. 22, n° 1, 2018, p. 97-117.
  • Weber, M., Le Savant et le politique, Paris, Plon, 1959.
  • Weber, M., L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.

Mots-clés éditeurs : culture, érudition, Bildung, vie, individu

Date de mise en ligne : 23/04/2021

Notes

  • [1]
    Je me permets sur ce point de renvoyer à mon article : Watier, 2018.
  • [2]
    C’est bien entendu une telle définition qui est mise en jeu, lorsque Simmel raille sur un mode nietzschéen la prétendue « prépondérance de l’homme cultivé, le plus stupide soit-il, sur le plus intelligent des prolétaires » (Ibid., p. 560). Une thématique également partagée par Max Weber lorsqu’il se permet le jugement de valeur célèbre sur les derniers hommes de ce développement de la civilisation : « Spécialistes sans vision et voluptueux sans cœur – ce néant s’imagine avoir gravi un degré de l’humanité jamais atteint jusque-là » (Weber, 1964, p. 251).
  • [3]
    La forte présence de Goethe dans les références d’arrière-plan de la sociologie naissante en Allemagne se signale également dans la citation qu’en fait sur le problème du préjugé F. Tönnies en 1887, en conclusion de son avant-propos de la première édition de Communauté et Société (2010, p. XXXVI).

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