Note
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Comme tous les messages sur Twitter, cette phrase a été traduite du chinois par nos soins. Elle est issue du discours de Xi Jinping, président de la République populaire de Chine et secrétaire général du parti communiste chinois, prononcé durant la conférence du parti communiste chinois sur la Propagande et l’Idéologie en octobre 2013. Il développa dans ce discours sa vision innovante de la communication de la Chine sur la scène internationale. Il lui importait de développer des nouvelles formes d’expression tournées à la fois vers des publics domestiques et étrangers.
1Le « rêve chinois », zhong guo meng, est un thème central dans la propagande chinoise et la communication diplomatique (wai xuan) de Pékin. Cette notion de « rêve chinois » ou « rêve de la Chine » a été lancée par le président Xi Jinping pour désigner ses objectifs politiques durant son mandat présidentiel. Selon le politologue chinois Lanxin Xiang, ce slogan politique se décompose en trois objectifs : « restaurer la gloire passée de la Chine et de l’État ; rappeler le désir séculaire d’une Chine moderne, riche et puissante, qu’ont eu tous les empereurs ; et rendre les Chinois fiers et heureux, afin de maintenir la stabilité sociale » (Le Belzic, 2013). La polysémie de cette expression est frappante : la Chine peut être envisagée comme le sujet rêvant et comme l’objet du rêve, une Chine que les citoyens nationaux, mais aussi les dirigeants et les peuples du monde entier doivent rêver, au sens d’idéaliser. Alors que la propagande est associée dans les esprits des publics français et occidentaux à une forme de communication politique problématique en termes d’éthique puisqu’elle intègre dans ses discours des éléments de désinformation (Ollivier-Yaniv, 2010), les chercheurs chinois reconnaissent des vertus à la propagande et « une connotation positive associée à ses activités communicationnelles essentiellement douces ou bénignes telles que la publication de nouvelles, la fabrication et la pédagogie idéologique ou même la publicité » (Wang, 2008, p. 259). Certains d’entre eux considèrent la diplomatie publique comme le prolongement de la propagande intérieure, en ce qu’elle se déploie à travers de nombreuses formes discursives et plateformes médiatiques, et puisqu’elle vise la promotion de la Chine auprès des publics étrangers (Chen et Liu, 2015 ; Zhou, 2010).
2Si la propagande est une forme très hiérarchisée, centralisée et unilatérale de communication, les activités relevant de la diplomatie publique sont polyphoniques, car nombreuses sont les voix de la Chine à s’exprimer à l’étranger. Elles sont aussi interactives dans la mesure où de nombreux publics libres d’expression peuvent par exemple commenter les publications des diplomates chinois sur leurs comptes sur les médias socio-numériques. Du fait des risques de moindre maîtrise du discours et de cacophonie communicationnelle liés à la multiplicité des voix (Arsène, 2012 ; Li, 2015), la Chine a commencé prudemment à inviter ses diplomates à s’exprimer officiellement sur Twitter et le gouvernement ne gère que huit comptes diplomatiques sur ce réseau. De plus, les missions de « wai xuan », et donc de promotion du « rêve chinois », sont dirigées par le département de la Propagande du parti communiste de Chine, et sont par conséquent fortement encadrées et contrôlées. On parle à ce sujet en Chine « d’actions prescrites ». Dans ce contexte si particulier de communication sous contrainte forte et d’éthos diplomatique fait de prudence, comment les diplomates chinois utilisent-ils Twitter pour servir à la diplomatie publique de l’État ? Comment la culture érudite et le poids de l’histoire longue de la diplomatie s’accommodent-ils de médias sociaux marqués par le pluralisme de l’information, la brièveté des messages, l’extraordinaire diffusion vers tous les types de publics, la culture de l’instantanéité des commentaires et des réponses, la prédilection pour les slogans (Lafrance, 2011, § 4) et pour l’humour ? Comment les diplomates chinois en poste à l’étranger qui alimentent des comptes officiels parviennent-ils à exprimer des voix différentes ou personnelles, mais harmonieuses dans le respect des prescriptions gouvernementales ? Le cadre théorique mobilisé pour répondre à ces questions associe les sciences politiques et les sciences de l’information et de la communication. Ainsi, nous avons voulu éclairer la manière dont les chercheurs chinois pensent la diplomatie publique et la diplomatie digitale dans une optique de soft power.
3Le concept de diplomatie publique est fréquemment explicité dans les manuels de science politique et de relations internationales ; on le trouve aussi parfois dans des articles de presse et des discours politiques. Pour autant, l’effort de conceptualisation achoppe sur la diversité des pratiques supposément recouvertes par ce terme, ainsi que sur leur dimension idéologique, voire polémique. La définition la plus souvent citée dans les ouvrages anglo-saxons et français envisage la diplomatie publique comme une activité diplomatique relevant de la communication stratégique en ce qu’elle vise à influer sur les cadres de pensée de très nombreuses catégories de publics étrangers et, en fin de compte, à peser sur les processus de décisions politiques de leurs gouvernements (Malone, 1985, p. 199). Les tenants de l’approche cognitive des politiques publiques parlent à ce sujet d’une recherche de mise sur agenda et d’un effort de cadrage des « référentiels », comme « ensemble de représentations qu’une société se donne pour comprendre et agir sur le réel » (Muller, 2014, p. 555) et « processus cognitif fondant un diagnostic » (Ibid., p. 556). Si la définition de Malone insiste sur les finalités stratégiques de la diplomatie publique, Tuch précise quels peuvent en être les acteurs et contenus : « la communication effectuée par un gouvernement auprès de publics étrangers afin de promouvoir (une meilleure compréhension de) ses idées et idéaux, ses institutions et sa culture, ainsi que ses politiques et objectifs nationaux » (Tuch, 1990, p. 3). La diplomatie publique rassemble un ensemble de discours et de pratiques par lesquels les États cherchent à influencer des opinions publiques étrangères d’une manière discrète ou secrète sur des questions précises, en même temps qu’à améliorer l’image de leur État-nation sur la scène internationale, ce qui suppose de développer leurs échanges transculturels. La diplomatie publique est analysée par les tenants d’une conception patriotique de l’intelligence économique comme « une forme de communication impliquant des stratégies et tactiques de relations publiques afin de provoquer un changement d’attitudes et de dispositions chez les publics étrangers » (Zhong et Lu, 2013, p. 543).
4Les médias numériques, l’Internet et les médias sociaux ont profondément impacté les pratiques de diplomatie publique dans la mesure où celles-ci sont tournées vers une très grande diversité de publics. L’utilisation des médias sociaux, par exemple, a réduit le coût de la mise en œuvre de stratégies de diplomatie publique en même temps qu’elle a permis de dynamiser les interactions entre les instances diplomatiques officielles et leurs publics. Ainsi, « la connectivité et l’interactivité sont les caractéristiques déterminantes des médias sociaux et l’activité communicationnelle qui définit ses acteurs » (Zaharna, 2010, p. 87). Dans la lignée des approches théoriques qui valorisent la co-création de sens à l’œuvre dans la communication (Weick, 1995 ; Botan et Taylor, 2004, p. 652), des chercheurs chinois considèrent que « toutes les activités communicationnelles de la Chine, État-nation sur la scène internationale, s’ancrent dans la vie sociale des pays et visent autant qu’elles interagissent directement avec certains publics étrangers » (Chen et Liu, 2015, p. 25).
5À partir d’une enquête qualitative approfondie des voix diplomatiques chinoises à Bruxelles et Ottawa étudiées dans leur environnement social et rapportées à l’actualité sur la scène politique internationale, cet article se propose de montrer que le gouvernement chinois reste prudent dans son utilisation diplomatique des médias sociaux, car le parti-État considère Internet comme une arme à double tranchant du fait des limites propres aux stratégies de censure (Arsène, 2009). Le régime chinois est parvenu à multiplier les dispositifs de contrôle visant à y limiter la liberté d’expression : contrôle technique, régulation juridique, pressions sociales, contrôle par délégation aux entreprises nationales. Le parti communiste chinois exerce en effet une censure rigoureuse sur l’opinion publique de ses nationaux, tandis que les activités qui relèvent de la diplomatie publique sont contrôlées par le département de la Propagande du comité central du parti communiste. Dans un contexte expressif marqué par le poids des « prescriptions » émanant du parti unique, un nombre limité de personnes et institutions s’expriment sur les médias sociaux au nom de la diplomatie chinoise. Pourtant, leurs publications parviennent à créer une impression polyphonique auprès de ses publics mondiaux, une polyphonie harmonieuse qui entend « raconter des histoires à la chinoise et faire entendre la voix chinoise [1] ».
Une monophonie expressive incorporée dans un pluralisme des registres et des genres de discours
6Une grande homogénéité se dessine à travers le corpus recueilli de 1 592 tweets, ce qui est cohérent avec leur mission officielle de représentation diplomatique ainsi qu’avec l’homogénéité sociologique et idéologique de leurs auteurs. Pour autant, les messages portent sur des sujets, emploient des registres et des styles de discours variés, ce qui vient composer une impression polyphonique jouant un rôle stratégique. Certains messages relèvent de la communication publique et politique, ils expriment et défendent les grandes lignes de la politique étrangère de la Chine. D’autres ne peuvent pas être rattachés à un élément précis de la politique chinoise, mais instruisent et plaident l’idée d’une Chine puissante, actrice incontournable et de premier plan dans le concert des nations. Enfin, des messages relèvent d’une stratégie de soft power.
Exprimer et défendre les grandes lignes de la politique étrangère de la Chine
7Dès la réforme de 1978, le parti communiste a tenté de défendre la légitimité de son rôle en tant que dirigeant du gouvernement central du pays (D’Hooghe, 2005, p. 93). Ce discours a pris une forme didactique et affective, il s’agissait pour le parti de gouvernement de saturer sa diplomatie publique d’explications au sujet de son mode de gouvernance très spécifique induit par la taille de sa population, sa géographie et son régime politique. En effet, 457 tweets de diplomates chinois illustrent et expliquent des politiques publiques chinoises très variées, mais aussi ce qui est décrit comme des « avantages institutionnels ». Ces messages sont très homogènes, notamment parce qu’ils citent de manière fidèle des extraits de discours d’hommes politiques ou d’interviews publiées ou prononcées dans les médias.
8Les points saillants du discours du président Xi Jinping sont par exemple résumés dans un tweet publié par le compte China’s mission to the European Union (@ChinaEUMission) le 1er décembre 2017 : « la Chine n’exportera pas le modèle chinois aux étrangers, ni “n’importera” des modèles étrangers de #développement, affirme le président Xi. Le parti communiste chinois lutte pour le bien-être des Chinois et le développement humain » (12/01/2017, 19 : 30 : 12, @ChinaEUMission). Ce tweet illustre bien le parti pris des leaders du parti communiste de valoriser l’essor pacifique de la Chine dans le but de faire taire les craintes exprimées par les journalistes de la plupart des médias internationaux. Dans un contexte international marqué par le protectionnisme commercial et par l’expansion économique et géopolitique de la Chine à travers la « nouvelle route de la soie », le gouvernement chinois a souvent utilisé Twitter pour expliquer sa politique économique : « l’ouverture de la Chine n’est pas un jeu à somme nulle, mais une coopération gagnante-gagnante pour le monde. – dit le président Xi » (31/10/2017, 16 : 56 : 57, @ChinaEUMission) ; « RT @cgtnamerica : “La mondialisation n’est pas un monstre redoutable’, a déclaré le ministre des affaires étrangères chinois lors de la #MunichSecurityConference” (20/02/2017, 19 : 23 : 11, @ChinaEmbOttawa, retweet du Twitter de CGTN, la télévision officielle chinoise en langue étrangère).
9Les comptes Twitter de diplomates chinois sont le reflet de la politique officielle, les voix individuelles ne s’y expriment pas. En outre, ils traitent de problèmes sensibles, comme ceux liés au Tibet, et tentent d’imposer leur propre vision de l’occupation du Tibet par la Chine. L’ambassade de Chine à Ottawa a, par exemple, partagé deux vidéos intitulées This is Tibet sur Twitter le 9 et le 15 août 2017. Ces dernières racontent et montrent les grands changements économiques et sociaux qui ont marqué l’histoire récente du Tibet en s’appuyant sur une description concrète et incarnée des évolutions du mode de vie des Tibétains. Les films courts valorisent des politiques précises de développement mises en œuvre par le gouvernement chinois dans la région. Ce storytelling vise à transformer l’envahisseur en un bienfaiteur dans une dialectique rhétorique très classique du colonialisme. De nombreux Tibétains prennent la parole dans ces films, mais cette polyphonie n’est pas synonyme de diversité des voix, car celles qui ont été sélectionnées pour s’exprimer servent sans aucune nuance la communication diplomatique de la Chine.
Construire une image de puissance mondiale de premier ordre
10En tant que puissance politique, la Chine participe de manière accrue et confiante à la gouvernance mondiale. Cette montée en puissance inquiète et suppose un discours de réassurance sur le caractère pacifique de cet essor. 182 tweets publiés par les ambassades chinoises peuvent être analysés comme tournés vers la valorisation de la Chine en tant que pays responsable et soucieux de participer à la gouvernance internationale, d’être exemplaire en termes d’actions caritatives internationales, de lutte contre la pauvreté, mais aussi le changement climatique, la désertification, l’exploitation des ressources naturelles.
11Bien que la quasi-totalité des tweets analysés exprime des positions dans la droite ligne de la voix diplomatique officielle, les diplomates chinois tentent de fabriquer de la diversité polyphonique à travers la pratique de plus en plus assumée de retweets des messages publiés par des comptes officiels d’organisations non gouvernementales et de leaders d’opinion. Ces messages présentent un point commun qui est de rendre compte d’informations valorisantes pour la Chine et son gouvernement. Ainsi, les comptes Twitter diplomatiques chinois interagissent régulièrement avec ceux d’organisations internationales et de diplomates étrangers sur les questions de changement climatique : « RT @GreenpeaceEAsia : Bonne nouvelle ! La Chine a déjà réalisé son objectif d’énergie solaire de 2020 » (08/28/2017, 11 : 55 : 02, @ChinaEUMission) ; « Le rapport @IEA montre #China est le plus grand investisseur et créateur en matière d’énergies propres du monde, la Chine montre la voix en matière de lutte contre #climatechange » (07/12/2017, 13 : 59 : 17, @ChinaEUMission) ; « @ErikSolheim : la plus grande ferme solaire flottante au monde a commencé à produire de l’électricité à Huainan, dans la province d’Anhui, en Chine orientale » (17/08/2017, 12 : 33 : 18, @ChinaEUMission).
Promouvoir la Chine dans une optique de soft power
12L’amélioration de l’image des États-nations est un objectif central de la diplomatie publique, auquel les comptes Twitter diplomatiques chinois participent. Au moins de 342 tweets illustrent les efforts des diplomates chinois pour valoriser la culture de leur pays. Ces tweets visent à 1) rendre compte du développement économique du pays et de ses progrès en termes sociaux ; 2) promouvoir des innovations scientifiques et technologiques (comme le TGV chinois, l’e-commerce) ; 3) raconter la Chine dans un storytellling subtil qui exploite les mythes, les héros, les symboles de la culture chinoise : les 24 fêtes correspondant à 24 termes solaires, les festivals chinois, les symboles chinois comme le dragon ou encore l’animal mascotte, le panda ; 4) montrer des images et des vidéos qui permettent de « réhumaniser » la Chine à travers des lieux habités, des pratiques culturelles ou des coutumes chinoises dans leur dimension éventuellement folklorique.
13La fonction « retweet » confère à ces comptes diplomatiques un vernis polyphonique. Les ambassades chinoises citent régulièrement les recherches et découvertes d’universitaires, ainsi que les propos de dirigeants politiques étrangers quand ils sont susceptibles de valoriser la Chine. Ce retweet participe au soft power chinois à l’instar de la publication d’entretiens entre des diplomates chinois et différents dirigeants politiques internationaux qui ont une vision émerveillée du développement économique chinois. Parallèlement, les diplomates utilisent des tweets, ou des retweets, pour faire connaître les entreprises chinoises et leurs produits à un public international. Le 14 juillet 2017, le compte Twitter @ChinaEmbOttawa retweeta un message de Richard Liu, un chef d’entreprise chinoise en e-commerce, pour diffuser une nouvelle inattendue d’ouverture du marché chinois aux entreprises canadiennes : « chers commerçants canadiens : la Chine veut vos produits » (14/07/2017, 23 : 27 : 32). Ce tweet avait pour but de rappeler l’importance et l’opportunité des relations économiques et commerciales bilatérales entre la Chine et le Canada.
Une infomédiation génératrice d’une impression de polyphonie
14La diplomatie publique chinoise sur Twitter associe des messages illustrant l’ambiguïté de son positionnement, qui doit à la fois respecter un certain nombre des codes de Twitter pour espérer être suivie, pour que ses messages soient commentés et retweetés et s’inscrire dans un cadre très contraignant. D’une part, les diplomates tentent d’introduire des contenus variés et de faire entendre une forme de polyphonie pour dynamiser l’image de leur institution et de leur pays, et prouver l’ouverture de la Chine, sa capacité à dialoguer avec le monde ; mais d’autre part, les comptes des diplomates sont utilisés comme s’il s’agissait de comptes du service de presse du ministère des Affaires étrangères servant de relais de diffusion pour les communiqués officiels. Cette pratique est la plus évidente dans la communication « twiplomatique » de la Chine au Canada (corpus de 350 tweets). Plus des trois quarts des tweets sont des pures copies de communiqués diplomatiques. Ils relèvent donc de la plus pure communication publique et politique du gouvernement de Pékin : les textes complets des discours des dirigeants (principalement le président chinois, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et l’ambassadeur de Chine au Canada) ; les communiqués de presse des « deux sessions » plénières annuelles de l’Assemblée populaire nationale (APN) et du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) ; les nouvelles sur les échanges bilatéraux ; des messages liés à l’emploi du temps officiel de l’ambassadeur chinois au Canada. Ces comptes de diplomates servent cependant aussi beaucoup de relais de diffusion pour les dépêches des agences de presse nationales officielles de la Chine, notamment Xinhua, CGTN et le Quotidien du Peuple. Les comptes diplomatiques chinois de Bruxelles et Ottawa retweetent ainsi des articles et des dépêches sans les commenter, ils s’effacent en temps qu’infomédiateurs accréditant l’idée qu’une seule entité s’exprime derrière un vernis polyphonique. Le concept d’infomédiation est ici utilisé au sens d’« autorité informationnelle [qui] n’a pas pour fonction principale l’influence, mais celle d’informer (donner une forme) » (Broudoux, 2017) ; il gomme donc le caractère politique et stratégique de l’activité qui consiste à citer une source extérieure et les dimensions réticulaires d’échange de bons procédés et de renforcement mutuel.
15Pour autant, l’idée que le dispositif socio-médiatique de Twitter faciliterait les échanges entre utilisateurs est vérifiée pour ce qui concerne les diplomates chinois et leurs homologues étrangers. Dans 233 tweets, on observe des discussions au sens où les personnes en charge des comptes diplomatiques à l’origine des tweets répondent toujours aux commentaires. Ces échanges relèvent du registre de la conversation, de l’échange de politesse, mais inscrivent les relations diplomatiques dans une forme de personnalisation et de convivialité. Début 2017, Ivanka Trump, fille du président américain Donald Trump, publia une vidéo de sa fille en train de chanter des chansons traditionnelles chinoises pour exprimer ses salutations au peuple chinois pour le Nouvel An. L’ambassade de Chine à Ottawa retweeta ce message d’Ivanka Trump et ce retweet fut à son tour réexpédié 3 757 fois. Durant la période du Nouvel An chinois, l’ambassade de Chine à Ottawa interagit avec Justin Trudeau, le Premier ministre du Canada, sur Twitter à travers un échange de vœux pour la nouvelle année. Cet échange a également été retransmis 1 389 fois. Les comptes Twitter des diplomates chinois interagissent en parallèle avec ceux des ministères étrangers : le compte @ChinaEmbOttawa échange avec l’ambassade du Canada à Pékin pour célébrer les nouveaux records économiques et touristiques bilatéraux : « + de 610 000 touristes chinois ont visité le Canada en 2016 et le nombre de visiteurs est en augmentation ! #CanadaChina, RT @CanadaChine : La Chine est le deuxième partenaire commercial du Canada et le troisième marché touristique du pays » (10/27/2017, 18 : 50 : 28).
16Les voix diplomatiques chinoises sur Twitter sont peu nombreuses et leurs discours sont en parfait unisson du fait du cadre politique très contraignant dans lequel elles s’expriment conformément à l’éthos diplomatique. Pour autant, ces voix participent à l’évolution de la pratique diplomatique du gouvernement chinois d’un modèle purement propagandiste vers un modèle de diplomatie publique, polyphonique et capable d’articuler harmonieusement une grande diversité de registres, de contenus, en se présentant comme un infomédiaire de dépêches et d’articles d’agences de presse, ainsi que de communiqués officiels. Sur un mode mineur mais non anecdotique, certains messages valorisent la Chine dans une perspective de soft power alors qu’ils n’ont pas été pensés comme tels : articles scientifiques publiés par des chercheurs occidentaux, vœux de dirigeants occidentaux. Consensuels et policés, les messages sur Twitter des comptes diplomatiques chinois à Bruxelles et Ottawa ont aussi intégré les règles d’usage propres aux médias sociaux numériques, comme la personnalisation, à travers la mise en valeur d’histoires et de visages, l’humour à travers des clins d’œil notamment lors des vœux, l’utilisation de la mascotte sympathique du panda et l’interactivité avec une systématisation des réponses aux commentaires.
17L’analyse « netnographique » de tous les tweets publiés par les deux comptes Twitter chinois à Bruxelles et à Ottawa illustre les efforts de la diplomatie chinoise pour intégrer les règles tacites d’usage des médias sociaux et les rendre compatibles avec des objectifs stratégiques et une tradition de communication centralisée sous contrôle et purement descendante. Les tweets du corpus qui émanent directement des propriétaires des comptes relèvent de types de discours variés, bien que les messages les plus institutionnels dominent. On y trouve des messages très éloignés du champ politique, qui valorisent des performances économiques, des histoires individuelles ou des aspects folkloriques de la culture chinoise dans une perspective de marketing touristique. De plus, bien que le gouvernement chinois gère peu de comptes « twiplomatiques », l’utilisation accrue de la fonction « retweet » par les diplomates confère un caractère polyphonique à ces comptes et crée autour d’eux un réseau souple de sympathie à travers des échanges de politesse, certes conventionnels (« merci pour le retweet ! »). Cette fonction « retweet » multiplie les possibilités de conversations entre les organisations et leurs publics (Boyd, Golder et Lotan, 2010, p. 10), peu importe que celles-ci soient superficielles ou développées, libres ou sous contrôle. Ces ferments de conversations favorisent l’établissement de relations entre le gouvernement chinois et ses nombreuses parties prenantes internationales qui sont présentes sur les médias sociaux en même temps qu’ils contribuent à forger l’image d’une Chine ouverte et capable de dialogue, moins austère et plus tolérante en matière de liberté d’expression. Pékin mobilise donc largement la fonction « retweet » de Twitter pour faire la promotion du pays au sens large (gouvernance, performance économique, implication en matière de responsabilité sociale et environnementale, qualité de vie, richesse du patrimoine culturel, sens de la fête, solidarité nationale, valeurs humanistes et caritatives), ce qui lui permet de conjurer les procès en propagande grossière et en autopromotion nombriliste. Les comptes diplomatiques chinois illustrent l’intelligence des stratégies de communication par délégation en laissant à d’autres le soin de présenter la Chine sous son meilleur jour. Pour autant, ces comptes diplomatiques qui sont la pointe visible des stratégies de soft power chinois restent très marqués par des mécanismes et des dispositifs de censure a priori, et par un écosystème politique brutal qui génère de l’autocensure. De fait, le gouvernement chinois sur Twitter s’exprime certes de manière polyphonique, mais dans un unisson quasi parfait, et cette harmonie est parfaitement stratégique eu égard aux buts visés de promotion du « rêve chinois ». Les diplomates du pays du panda se sont donc bien approprié Twitter. Et l’oiseau bleu ne fait pas que diffuser les discours officiels du plantigrade et renforcer son autorité (Merzeau, 2013), il l’aide aussi à développer son capital de sympathie, un atout non négligeable.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : infomédiation, diplomatie publique, twiplomatie, polyphonie, Chine, diplomatie digitale
Date de mise en ligne : 10/08/2018.
https://doi.org/10.3917/herm.081.0045Note
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Comme tous les messages sur Twitter, cette phrase a été traduite du chinois par nos soins. Elle est issue du discours de Xi Jinping, président de la République populaire de Chine et secrétaire général du parti communiste chinois, prononcé durant la conférence du parti communiste chinois sur la Propagande et l’Idéologie en octobre 2013. Il développa dans ce discours sa vision innovante de la communication de la Chine sur la scène internationale. Il lui importait de développer des nouvelles formes d’expression tournées à la fois vers des publics domestiques et étrangers.