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Article de revue

Les discours diplomatiques bulgares au sujet de la Russie

Pages 141 à 147

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.
  • [2]
    Ivan Vazov est aussi l’auteur d’un poème de 1916, quand les troupes bulgares affrontent les Russes en Dobroudja : « Mais vous venez furieux, / et nous appelez aux batailles cruelles ! / Nous vous aurions embrassés cette fois aussi cordialement et ardemment. / Mais votre regard est menaçant… »
  • [3]
    Orlin Orlinov, « Ode pour l’URSS », 1968.
  • [4]
    D’après un discours du président de la République Petar Stoyanov de 1997. Cette expression imprégna les discours politiques et médiatiques et est depuis couramment utilisée.
  • [5]
    Cette dépendance est en effet plus grande : la production de l’énergie en Bulgarie reste fortement dépendante des importations du gaz naturel russe. En 2013, presque 90 % du gaz naturel consommé en Bulgarie provient de Russie (Peeva, 2014). La plupart des centrales thermiques du pays utilisent le gaz naturel, et la centrale nucléaire de Kozloduy, qui produit 34 % de l’électricité en Bulgarie, reste dépendante des importations du combustible nucléaire russe (ministère de l’Énergie, 2017, p. 10). La dépendance énergétique de la Bulgarie est évaluée à plus de 35-36 %, alors que la moyenne en Europe est de 53-54 %. Mais la Bulgarie et particulièrement dépendante des importations de la Russie en matière d’énergie.
  • [6]
    Le premier gouvernement de Boyko Borisov (2009-2013) du parti Gerb, centre droit, joua la fidélité euro-atlantique et, pour s’opposer au gouvernement précédent de Serguey Stanishev (coalition socialo-libérale), arrêta le projet avec la Russie.
  • [7]
    Cf. les résultats sur : <http://results.cik.bg/referendum/rezultati/index.html>, page consultée le 10/06/2018.
  • [8]
    Pour être obligatoire, la participation devrait être au moins au niveau de la participation aux élections législatives précédentes, ce qui ne fut pas le cas.
  • [9]
    Nom officiel en bulgare de Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, roi avec régence (1943-1946) et Premier ministre (2001-2005).
  • [10]
    Historiquement, les partis issus de l’ancienne coalition anticommuniste Union des forces démocratiques, Sayuz na demokratichnite sili (SDS).
  • [11]

1Le discours diplomatique est toujours censé être « diplomatique » et, selon une anecdote connue, « les représentations ordinaires reprochent aux diplomates de “parler pour ne rien dire” et de “ne pas agir” » (Villar, 2006, p. 14). Constanze Villar, qui fut enseignante à l’université de Bordeaux, est l’auteure d’une recherche importante sur le sujet et évoque « les images du sens commun qui qualifient au gré des circonstances le discours diplomatique de banal, d’euphémique, de discret, de secret, de silencieux, de lacunaire, de mensonger ». Mais en dépit de cette image critique du discours diplomatique, son rôle politique est indéniable et fait l’objet d’études dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. La raison est que ce type de discours doit être lu et analysé au niveau des significations mais aussi des publics visés. Les politiciens disent rarement des choses inutiles ; le plus souvent, leurs discours visent un objectif et un public en tentant de produire des effets sur la façon de comprendre un sujet, mais aussi sur le comportement.

2L’article essaiera d’analyser les discours diplomatiques – qui sont aussi nécessairement politiques – bulgares au sujet de la Russie. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Vladimir Poutine (en poste depuis 2000), la Russie s’efforce de jouer un rôle décisif dans la transformation du système unipolaire, avec l’hégémonie des États-Unis, en système multipolaire. Ce programme de retour sur la scène internationale comme superpuissance est la conséquence de la perte de ce statut à la fin de la guerre froide, mais aussi une réponse aux difficultés internes du gouvernement russe actuel, toujours en quête d’une légitimité auprès de la société russe.

3La Bulgarie, membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 2004 et de l’Union européenne depuis 2007, est un pays européen considéré à la fois comme proche de la Russie et d’un intérêt particulier pour la diplomatie russe, pour des raisons culturelles (la proximité des langues bulgare et russe et l’usage dans les deux pays de l’alphabet cyrillique), historiques (le rôle de la Russie pour l’indépendance de la Bulgarie à la fin du xixe siècle) et économiques (la forte dépendance de la Bulgarie en ressources énergétiques importées de Russie).

L’image traditionnelle de la Russie en Bulgarie

4« Russie ! Combien nous capte-t-il, / ton nom sacré, familier, charmant. / Quelle lumière dans l’obscurité est-il ! / Un espoir dans nos tourments [1] ! ». Ce poème de l’écrivain bulgare Ivan Vazov, écrit en 1880, deux ans après la fin de la guerre russo-turque considérée en Bulgarie comme une guerre de libération nationale, montre bien l’image traditionnelle de la Russie dans la société bulgare. Vazov est regardé en Bulgarie comme le poète romantique de la bulgarité ; il est très populaire et fait partie du corps des auteurs de textes de l’identité nationale. Il est enseigné pendant tout le parcours de l’enseignement obligatoire, aussi bien de nos jours qu’avant 1989, pendant l’époque du communisme soviétique.

5Le rôle de la Russie tsariste en Bulgarie resta pourtant ambigu. Cette puissance était traditionnellement considérée comme protectrice et amicale. Mais tout de suite après 1878 et la signature du traité de Berlin, la Russie s’ingère dans les affaires intérieures bulgares : elle impose un prince à son goût, puis le destitue. La puissance de l’Est s’oppose à l’unification de la principauté de Bulgarie avec la province autonome de la Roumélie orientale en 1885, car cet acte unilatéral bulgare contredisait ses calculs stratégiques. Comme le note Dimitar Bechev (2017, p. 25), le lien entre la Russie et les pays balkaniques ne fut jamais aussi organique, stable et intime que beaucoup d’auteurs le pensent. Mais cette idée partagée par certains historiens et analystes ne fut jamais dominante dans les manuels de l’enseignement général, jamais « communiquée » en masse.

6La Bulgarie, pendant la première moitié du xxe siècle, fut systématiquement alliée aux puissances hostiles à la Russie : aux puissances centrales pendant la Première Guerre mondiale [2] et à l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale. La Bulgarie, même si dans la société demeura l’idée de la Russie protectrice et bienveillante, en fut le plus souvent un adversaire géopolitique. Mais un adversaire ambigu, car en juin 1941 la Bulgarie préféra rester neutre dans la guerre russo-allemande, alors qu’en décembre elle déclara la guerre aux Britanniques et aux Américains. Le tsar Boris III évoqua devant Hitler la russophilie des Bulgares comme argument contre l’envoi des troupes bulgares sur le front de l’Est. Ce qui fut utilisé aussi comme argument dans la propagande communiste après 1945 pour légitimer les liens étroits avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) pendant la guerre froide.

7Pendant la guerre froide, la Bulgarie communiste était considérée par l’Occident comme la plus fidèle des alliés soviétiques. Le pays ne s’opposa jamais à l’Union soviétique et participa à toutes les activités du bloc soviétique : la rupture avec la Chine communiste en 1966, l’intervention du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie en 1968, le soutien à la guerre en Afghanistan en 1979, le boycott des Jeux olympiques à Los Angeles en 1984, etc. Le pays ne montra jamais de différences par rapport à l’Union soviétique, comme la Hongrie et la Pologne en 1956, comme la Tchécoslovaquie et la Roumanie en 1968, et n’imagina jamais un autre modèle de communisme comme ce fut le cas de la Yougoslavie communiste. Le discours officiel de l’époque expliquait ce comportement comme une manifestation de « l’internationalisme prolétarien ». En revanche, la Bulgarie fut un membre du bloc soviétique sans présence militaire soviétique (sauf au niveau des conseillers) (Buzhashka et al., 2014).

8Mais c’est pendant la période communiste que la Russie (l’URSS) fut présentée comme une double libératrice (en 1878 et en 1944 à la fin de la Seconde Guerre mondiale) et un allié sûr, voire éternel. La formule officielle parlait de « l’amitié bulgaro-soviétique éternelle et indestructible », la poésie de l’époque déclarait : « Et celui qui te trahit, URSS, il trahit de même la grande espérance [3] ». La Russie devint une référence incontournable, et les autorités de l’époque, tout en voulant faire la démonstration d’une allégeance illimitée, proposèrent que la Bulgarie devienne dans l’avenir une des Républiques soviétiques (la 16e République) (Hristov, 2012 ; Baeva et Kalinova, 2017). Même si cette proposition fut une opération publicitaire dans le contexte de négociations au sujet des importations soviétiques et de l’aide financière attendue, elle fut en même temps unique dans le bloc soviétique. En effet, elle fut communiquée aux soviétiques, mais pas nécessairement à la population bulgare – les dirigeants communistes craignaient quand même une réaction hostile du côté de la société et surtout du côté des intellectuels.

9La transition postcommuniste et la disparition de l’URSS en 1991 changèrent profondément l’image de la Russie en Bulgarie. Ne pouvant plus compter sur l’aide de l’ancienne superpuissance, la Bulgarie dut adopter une autre attitude vis-à-vis son ancien patron. Le changement des élites à l’intérieur joua aussi son rôle – des politiciens plus tournés vers l’Occident accédèrent au pouvoir. La transition postcommuniste fut ainsi présentée et communiquée comme un tournant décisif de l’Est vers l’Ouest, une occidentalisation vue comme un choix de civilisation [4]. La Russie devint un partenaire utile, même si le souvenir de son rôle libérateur de 1878 persista. Mais cette fois le discours dominant dissocia la Russie de l’URSS. Cette dernière fut présentée non plus comme la libératrice de 1944, mais comme une force d’occupation qui imposa le régime communiste pendant 45 ans en dépit des espérances des Bulgares. Ce changement produisit un clivage politique au sein de la société bulgare entre russophobes et russophiles, les premiers adoptant l’idée de l’occupation soviétique en 1944, les seconds la rejetant.

Russophiles et russophobes

10Le clivage entre russophiles et russophobes influence maintenant aussi le débat politique interne et fait pression sur les élites politiques et leurs discours diplomatiques. Car ces discours ont une double fonction et un double public – à l’extérieur et à l’intérieur. Le rapport à la Russie s’inscrit dans le débat au sujet des nouveaux choix stratégiques en faveur de l’adhésion de la Bulgarie à l’OTAN en 2004 et à l’Union européenne (UE) en 2007. Dans le débat politique interne, la Russie est opposée au choix occidental et ainsi présentée comme manifestant une nostalgie du communisme. À l’extérieur, les discours semblent plus modérés, appellent à des relations pragmatiques avec la Russie. La raison de ce décalage discursif est facile à identifier : la Bulgarie reste assez dépendante des importations du gaz naturel de la Russie [5].

11L’histoire récente des relations entre la Bulgarie et la Russie est marquée par trois projets énergétiques abandonnés à cause de la difficile situation géopolitique de confrontation entre trois puissances majeures – la Russie, les États-Unis et l’UE – et à cause de la confrontation politique interne entre russophiles et russophobes. Toute communication politique et diplomatique du côté gouvernemental vise ces trois acteurs externes et les deux parties du public interne. Le premier de ces projets fut l’oléoduc Burgas-Alexandroúpolis, conçu en 2007 par la Russie, la Bulgarie et la Grèce pour éviter le passage des grands pétroliers par le Bosphore et les Dardanelles, mais aussi pour contourner la Turquie. Ce projet avait des risques écologiques majeurs, mais la raison de son arrêt en 2013 (Fakti.bg, 2013) fut la pression du côté des États-Unis et de la Turquie, qui à l’époque avait des relations plutôt tendues avec la Russie. Mais en 2017, le gouvernement semble penser à rouvrir le projet, cette fois à cause de la présence au sein de la majorité gouvernementale de la coalition des Patriotes unis, certains d’entre eux étant russophiles. La décision ne fut même pas communiquée, mais le gouvernement laissa entendre que l’arrêt du projet ne pourrait se faire unilatéralement et doit donc de ce fait être considéré comme nul. C’est aussi un message aux opposants au projet du côté des Verts et de l’ancienne droite, aujourd’hui affaiblis et hors du parlement.

12Le projet South Stream fut le deuxième de ces grands projets, un gazoduc sous la mer Noire, transportant du gaz naturel vers l’Europe centrale en passant par la Bulgarie. Ce projet, conçu en 2009 par la Russie, la Bulgarie, l’Italie, la Grèce et la Serbie, voulait contourner l’Ukraine surtout après la grande crise de l’approvisionnement du gaz naturel à la suite du conflit russo-ukrainien en 2008-2009. À la suite des pressions américaines, ainsi que du côté de l’UE, et dans un climat de réchauffement des relations entre la Russie et la Turquie, le président russe Vladimir Poutine décide l’arrêt du projet et la construction d’un gazoduc alternatif par le territoire turc. En Bulgarie, le South Stream fut aussi un sujet de débats intenses entre russophiles et russophobes. Mais encore aujourd’hui, après la visite du président bulgare Rumen Radev en Russie, suivie par la visite du Premier ministre Boyko Borisov (2018), le projet est de nouveau examiné. La nouvelle fut annoncée comme s’inscrivant dans l’ambition de la Bulgarie de devenir un acteur essentiel de la répartition du gaz naturel de la Russie et de l’Asie centrale dans les Balkans. Elle visait aussi bien la Turquie que le public des russophiles, tout en limitant les réactions des russophobes en promettant de réaliser le projet dans le cadre des régulations de l’UE.

13Le troisième projet est la deuxième centrale nucléaire de Belene, conçue en 1981 comme un projet commun avec l’URSS. Mais à la suite des conflits internes entre russophiles et russophobes et entre des acteurs géopolitiques, ce projet, considéré souvent comme trop coûteux et risqué, est stoppé par la Bulgarie en 2012, par une majorité gouvernementale hostile aux projets avec la Russie [6]. Mais récemment le gouvernement, avec une nouvelle majorité [7], décide de relancer le projet, cette fois avec une participation internationale élargie (avec le concours possible de la Chine et de la France) (Stanchev, 2018). Au sujet de la centrale nucléaire de Belene, le parti socialiste, dans l’opposition, initia en 2013 un référendum national. La participation fut de 20,2 % et 60,6 % des votants se prononcèrent « pour » la construction d’une nouvelle centrale. Même si le référendum ne put devenir obligatoire [8], il démontra la division de la société entre russophiles et russophobes. La réouverture du projet fut présentée par le gouvernement comme une continuation des politiques énergétiques des gouvernements de centre droit de l’UFD (1997-2001) et du gouvernement de coalition des socialistes et du parti de Siméon Sakskoburggotski [9] (2005-2009). La communication visa cette fois aussi l’opposition russophile et russophobe en même temps.

14Ce clivage est aussi bien particulier. Parmi les russophiles, on retrouve des socialistes qui gardent une nostalgie historique, ayant fait leurs études en URSS ou ayant des affaires avec la Russie aujourd’hui. On retrouve aussi des russophiles au sein du parti d’extrême droite Ataka, qui sont plutôt des sympathisants du président russe Poutine, dans lequel ils voient un autocrate conservateur qui s’oppose aux Américains et aux Européens, considérés comme trop laxistes et permissifs. Du côté des russophobes, la diversité est également présente. On les retrouve surtout parmi les partis de la droite anticommuniste [10] et leur attitude par rapport à la Russie est basée sur le rejet de l’URSS et de son héritage. La Russie, même non communiste, est considérée comme héritière de l’Union soviétique, soupçonnée par ces milieux de promouvoir un cryptocommunisme. Parmi les russophobes, on retrouve aussi des opposants à l’autoritarisme de Vladimir Poutine et au système gouvernemental russe, vu comme antithèse de la démocratie occidentale. Mais ce qui réunit les russophobes est leur sympathie pour l’atlantisme, pour les États-Unis et l’Occident en général, considérés comme un projet de société opposé aux autocraties orientales.

La Bulgarie entre Ouest et Est

15Le clivage interne dans la société bulgare entre russophiles et russophobes produit des questions au sujet des choix géopolitiques de la Bulgarie. Une étude de WIN Gallup international pose une question hypothétique : « Il y a six pays dans le monde avec la plus grande puissance militaire : les États-Unis, la Chine, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l’Inde. Supposons qu’il y ait un conflit dans votre pays et que vous ne choisissiez qu’un de ces pays comme partenaire, quel pays choisiriez-vous ? » En Bulgarie, 42 % choisissent la Russie, mais seulement 17 % les États-Unis et 4 % la France [11]. La Bulgarie se range ainsi avec des pays comme la Grèce, la Serbie, mais aussi la Turquie, l’Iran et la Chine, où la plupart des citoyens choisissent la Russie comme puissance protectrice. Dans un rapport pour le Sénat américain, le sénateur démocrate Ben Cardin souligne l’image de la Bulgarie dans le monde occidental : « La Russie influence la Bulgarie, en utilisant son rôle dominant dans l’économie du pays, en particulier dans le secteur de l’énergie et avec la propagande, le développement des relations avec divers partis politiques et événements culturels. Elle influence fortement l’armée bulgare, qui continue à compter sur l’équipement de l’époque soviétique » (Cardin, 2018).

16La croissance de la tension entre Russie et Occident au sujet des conflits en Ukraine et en Syrie, mais aussi à cause de l’ingérence supposée russe dans les élections des pays occidentaux, affecte aussi la Bulgarie qui ne peut pas rester neutre. Mais tout en démontrant sa solidarité avec les alliés, la Bulgarie préfère garder une certaine distance par rapport aux sanctions contre la Russie. Les réserves au sujet des sanctions furent formulées par des politiciens de différents partis, notamment du parti socialiste (traditionnellement contre les sanctions) et du parti au pouvoir Gerb (centre droit).

17L’opinion, elle, reste réticente en ce qui concerne la menace russe. Une étude récente démontre que l’opinion n’est pas susceptible d’accepter l’idée que la Russie représente une menace. À la question de l’agence Mediana : « Est-ce que vous considérez les activités de la Russie comme une menace pour la paix ? », 18 % répondent « oui » et 58 % « non » (Kolev, 2017). Même si la Russie est soupçonnée de protéger des partis d’extrême droite, de soutenir des régimes dictatoriaux, de s’allier avec l’Iran, voire avec la Turquie, en opposition à l’UE et aux États-Unis, les Bulgares restent majoritairement incrédules devant les qualifications occidentales. Une des raisons aussi pour les gouvernements bulgares d’être prudents.

18Les discours diplomatiques bulgares restent souvent mesurés sur les sujets brûlants actuels. La Bulgarie démontre toujours sa solidarité avec ses alliés occidentaux, mais ne fait jamais de déclarations enflammées contre la politique russe. Lors de la tentative d’empoisonnement de l’ancien double agent Sergueï Skripal à Londres, la Bulgarie – dans la déclaration officielle de son Premier ministre – exprima son soutien au Royaume-Uni, mais demanda les résultats finaux de l’enquête pour se décider au sujet de l’expulsion de diplomates russes de Sofia. Comme la Grèce, le Portugal et la Suisse, elle décida de ne pas suivre l’exemple britannique et des autres alliés.

19Même si la Bulgarie soutient toujours l’intégrité territoriale de l’Ukraine, les gouvernements s’expriment aussi en faveur de la levée des sanctions imposées par l’UE à cause de l’annexion de la Crimée en 2014. En juillet 2017, le Premier ministre Boyko Borisov déclara devant une assemblée politique des jeunes : « Notre politique est absolument loyale, forte : l’adhésion à 100 % à l’OTAN, qui est notre sécurité et notre défense et, en même temps, une relation pragmatique avec la Russie en termes d’approvisionnement en gaz et de commerce » (Dnevnik 2017).

20La Bulgarie reste divisée au sujet de la Russie, entre russophiles et russophobes. Les premiers voient toujours la Russie comme une puissance amicale et protectrice, une alliée possible. « La Bulgarie a la chance unique d’être un pont entre la Russie et l’UE », déclare récemment le chef du parti d’extrême droite Ataka, Volen Sidérov (Angelov, 2018). De l’autre côté, Vélizar Shalamanov, ancien ministre de la Défense dans un gouvernement intérimaire (2014), décrit la vision des russophobes : « La Russie vise certainement la rupture de l’OTAN et de l’UE, ou au moins le départ de l’OTAN d’au moins un pays… » (Shalamanov, 2018) Mais depuis 2013 au moins, les gouvernements de Gerb préfèrent tenir une position plutôt neutre en essayant de maintenir un équilibre difficile entre ces deux pôles, selon la formule : « dans l’OTAN, mais pas contre la Russie ».

Bibliographie

Références bibliographiques


Mots-clés éditeurs : Bulgarie, russophobes, Russie, géopolitique, russophiles

Mise en ligne 10/08/2018

https://doi.org/10.3917/herm.081.0141

Notes

  • [1]
    Traduction de l’auteur.
  • [2]
    Ivan Vazov est aussi l’auteur d’un poème de 1916, quand les troupes bulgares affrontent les Russes en Dobroudja : « Mais vous venez furieux, / et nous appelez aux batailles cruelles ! / Nous vous aurions embrassés cette fois aussi cordialement et ardemment. / Mais votre regard est menaçant… »
  • [3]
    Orlin Orlinov, « Ode pour l’URSS », 1968.
  • [4]
    D’après un discours du président de la République Petar Stoyanov de 1997. Cette expression imprégna les discours politiques et médiatiques et est depuis couramment utilisée.
  • [5]
    Cette dépendance est en effet plus grande : la production de l’énergie en Bulgarie reste fortement dépendante des importations du gaz naturel russe. En 2013, presque 90 % du gaz naturel consommé en Bulgarie provient de Russie (Peeva, 2014). La plupart des centrales thermiques du pays utilisent le gaz naturel, et la centrale nucléaire de Kozloduy, qui produit 34 % de l’électricité en Bulgarie, reste dépendante des importations du combustible nucléaire russe (ministère de l’Énergie, 2017, p. 10). La dépendance énergétique de la Bulgarie est évaluée à plus de 35-36 %, alors que la moyenne en Europe est de 53-54 %. Mais la Bulgarie et particulièrement dépendante des importations de la Russie en matière d’énergie.
  • [6]
    Le premier gouvernement de Boyko Borisov (2009-2013) du parti Gerb, centre droit, joua la fidélité euro-atlantique et, pour s’opposer au gouvernement précédent de Serguey Stanishev (coalition socialo-libérale), arrêta le projet avec la Russie.
  • [7]
    Cf. les résultats sur : <http://results.cik.bg/referendum/rezultati/index.html>, page consultée le 10/06/2018.
  • [8]
    Pour être obligatoire, la participation devrait être au moins au niveau de la participation aux élections législatives précédentes, ce qui ne fut pas le cas.
  • [9]
    Nom officiel en bulgare de Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, roi avec régence (1943-1946) et Premier ministre (2001-2005).
  • [10]
    Historiquement, les partis issus de l’ancienne coalition anticommuniste Union des forces démocratiques, Sayuz na demokratichnite sili (SDS).
  • [11]
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