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Article de revue

Les risques liés à l’élargissement des BRICS

Pages 192 à 203

Notes

  • [1]
    « Joint Communiqué. BRICS Foreign Affairs Ministers’ Meeting », Ekaterinbourg, 16 mai 2008, paragraphe 3.
  • [2]
    Idem.
  • [3]
    Tous les pays des BRICS font partie du G20.
  • [4]
    Souligné par nous.
  • [5]
    Joint Statement of the Second Summit, Brésil, 2010 : « le monde connaît actuellement des changements majeurs et rapides qui soulignent le besoin d’effectuer des transformations correspondantes dans la gouvernance mondiale dans tous les domaines concernés. »
  • [6]
    Déclaration de Delhi et plan d’action du quatrième sommet, 2012, paragraphe 3.
  • [7]
    Cinquième sommet, déclaration d’Ethekwini et plan d’action, Durban, 27 mars 2013, paragraphe 9.
  • [8]
    Sixième sommet, déclaration de Fortateza, paragraphe 11. Selon l’« Agreement on NDB », dans son article 10, la Banque sera pourvue d’« un Conseil des gouverneurs, un Conseil d’administration, un Président, un vice-Président ainsi que le décidera le Conseil des gouverneurs ».
  • [9]
    Article 29 de l’« Agreement on NDB » : « La Banque disposera d’une personnalité juridique pleine et entière ».
  • [10]
    Agreement on the New Development Bank, article 7 (a). Il a également été créé un fonds de réserve de 100 milliards de dollars. Il s’agit de l’Accord de réserve d’urgence (Contingency Reserve Agreement).
  • [11]
    La NBD examine actuellement l’admission de nouveaux pays membres. C’est ce qu’a révélé Zhu Xian, le vice-Président de la NBD et son directeur des opérations : « Il est très probable que nous verrons de nouveaux membres nous rejoindre en 2017 ou 2018. » La déclaration de Zhu Xian a été publiée sur le propre site de la NBD sous le titre « BRICS New Development Bank hopes to expand by drawing other nations as members » Voir : <www.ndb.int/media/brics-new-development-bank-hopes-expand-drawing-nations-members/>, consulté le 12/09/2017.
  • [12]
    Cette prérogative a également sa contrepartie dans le système de vote. L’accord fait une distinction entre « majorité simple », « majorité qualifiée » et « majorité spéciale ». Quant à ce troisième cas de figure, il est établi que « là où cet Accord le stipule, une majorité spéciale sera comprise comme un vote positif émanant de quatre des membres fondateurs allant de pair avec un vote positif des deux tiers du pouvoir de vote total des membres » (Agreement on the New Development Bank, article 6 (b)).
  • [13]
    Il est à noter que la moyenne de la croissance du PIB des années antérieures à 2010 est plus élevée pour les économies émergentes – ce qui, selon nous, est dû pour une grande part à la croissance de la Chine qui a pu atteindre 14 % en 2007.
  • [14]
    Cinquième sommet, déclaration d’Ethekwini, 27 mars 2013, paragraphe 3.
  • [15]
    Sixième sommet, déclaration de Fortaleza, 15 juillet 2014, paragraphe 3.

Le programme réformiste des BRICS

1Le monde occidental développé a accueilli l’émergence de ce que l’on appelait alors les BRIC avec scepticisme, mais également un mélange d’inquiétude et de curiosité. Comment des pays aussi éloignés géographiquement et culturellement aussi différents les uns des autres pourraient-ils élaborer ensemble un programme commun en mesure d’atteindre des objectifs d’intérêt national incluant des réformes de l’ordre international ? Autrement dit, comment pourraient-ils fonctionner en tant que groupe ?

2L’émergence des BRICS s’est produite dans un contexte international d’exacerbation du monde unipolaire. L’invasion de l’Irak par les États-Unis et leurs alliés a provoqué une rupture très claire du concept de monde multipolaire, et même la France avait condamné l’intervention. Sur le plan du commerce international, le cycle de Doha, initié en novembre 2001 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a continué ses négociations après l’échec, notamment à partir de 2008, de la tentative de trouver un accord dans le domaine de l’agriculture et des produits non agricoles. Cette année 2008 fut marquée par une crise financière dont l’épicentre se situait aux États-Unis. Confrontées à un tel scénario, les économies émergentes cherchent à renforcer la perspective d’un monde multipolaire et à jouer un rôle international plus important afin d’amplifier leur participation à la coordination des politiques macroéconomiques et financières, tout en empêchant qu’une vague de protectionnisme ne vienne aggraver davantage la crise mondiale qui, à son tour, entraînerait des conséquences négatives pour les pays en développement. Le G20 est présenté par les économies émergentes comme le forum le plus approprié pour affronter cette crise de l’économie.

3Les BRICS apparaissent comme la réponse au manque d’initiative et au manque de crédibilité des puissances occidentales ainsi que des institutions internationales pour traiter la crise qu’elles ont elles-mêmes provoquée ou n’ont pas su éviter. Les BRICS voient là l’occasion de défendre un programme de réforme de certaines institutions internationales afin qu’elles soient le reflet de la nouvelle configuration du pouvoir international et pour augmenter leur participation dans les processus de décisions à l’échelle internationale qui soit compatible avec l’importance de leurs économies respectives. Elles adoptent ainsi une position diplomatique de réformistes – et non de perturbateurs – de l’ordre mondial en vigueur.

4Le programme réformiste des BRICS apparaît déjà dans les premiers documents de sa création. En 2008, dans le Communiqué commun suivant la réunion des ministres des Affaires étrangères des BRICS, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine affirment « le besoin d’une réforme de l’Organisation des Nations unies [ONU] qui la rende plus apte à traiter les défis mondiaux actuels de manière plus efficace [1] ». Le communiqué exprime aussi l’appui de la Russie et de la Chine, membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, aux aspirations du Brésil et de l’Inde de « jouer un plus grand rôle au sein des Nations unies », sans mentionner le soutien explicite en ce qui concerne l’entrée éventuelle du Brésil et de l’Inde au Conseil de sécurité comme membres permanents.

5Bien que le premier communiqué commun de 2008 ait souligné que « la coopération Sud-Sud est un élément important des efforts internationaux déployés dans le domaine du développement [2] », les BRICS, dans les déclarations suivantes, signaleront de manière répétée le rôle central du G20 pour la gouvernance mondiale [3]. Dans la déclaration commune du premier Sommet, en 2009, sommet qui a eu lieu à Ekaterinbourg, en Russie, les dirigeants des BRICS « soulignent le rôle central joué par les sommets du G20 dans le traitement de la crise financière [4] ».

6Pour les BRICS, le G20 joue un « rôle central » en étant le « premier forum » pour la coordination et la coopération économique internationale. Le message implicite, c’est que le G7+1 de l’époque se retrouvait délégitimé en tant que forum compétent pour affronter les crises économiques. Cette prise de position démontre que le groupe reconnaît le G20 comme forum envers lequel ils se doivent d’adopter une politique diplomatique commune.

7La réforme des institutions financières internationales est également l’un des objectifs des pays des BRICS. Dans la déclaration commune du premier Sommet, ils mentionnent le besoin de « faire avancer la réforme des institutions financières internationales, de manière à refléter les changements survenus dans l’économie mondiale », en proposant des mesures concrètes pour ces changements : « les économies émergentes et en développement doivent avoir un plus grand pouvoir de représentation dans les institutions internationales, et leurs dirigeants et responsables devraient être choisis par l’intermédiaire d’un processus de sélection ouvert, transparent et fondé sur le mérite. » La déclaration commune du deuxième Sommet, dans son paragraphe 11, insiste encore plus sur la défense de la réforme des institutions internationales.

8Depuis leur création, les BRICS ont étendu leur action selon deux axes principaux : 1) la coordination dans les réunions et les organisations internationales ; 2) la construction d’un programme de coopération multisectorielle entre leurs membres. Dans ce programme, les BRICS ont privilégié la sphère de la gouvernance économico-financière en donnant la priorité à la coordination dans le cadre du G20, en incluant la réforme du Fonds monétaire international, et le programme de la gouvernance politique qui, comme nous l’avons fait remarquer, défend la réforme des Nations unies et de son Conseil de sécurité. Mais l’action des BRICS ne se limite pas aux questions économiques et de hard power. L’avis partagé par les pays du groupe est que les États seront affectés par les changements intervenus dans le système international et qu’il faut étendre la coopération à d’autres domaines [5]. Au bout du compte, il y a des défis communs, comme ceux qui découlent du processus d’urbanisation, de la lutte contre la pollution, de la réduction de la pauvreté et des inégalités, de l’innovation et des nouvelles technologies, par exemple. La légitimité des BRICS sur la scène internationale dépend de cette action conjointe dans les forums internationaux comme le G20 et le FMI, de l’ampleur du programme et, comme il est d’usage de le dire, de l’importance des chiffres qui les caractérisent. Les BRICS comptent une population d’environ 3 milliards de personnes, soit 43 % de la population mondiale ; ils sont constitués de pays pourvus de grandes étendues territoriales ; ils disposent d’une présence transcontinentale qui confère au groupe une valeur stratégique ; et leur poids économique dans l’économie mondiale est significatif. Le sigle BRICS est devenu synonyme de changement dans le pouvoir économique mondial et le scepticisme initial dont le groupe a été l’objet – reflété dans les questions du premier paragraphe de cet article – est dès lors mis en échec lorsque la coopération des BRICS s’étend à un domaine stratégique : celui de la finance. Les BRICS décident de créer leur propre banque.

La Nouvelle Banque de développement, première institution du programme réformiste

9Les BRICS se définissent comme « une plateforme de dialogue et de coopération [6] ». Il ne s’agit ni, par conséquent, d’un bloc économique ni d’une organisation internationale. Les BRICS ne sont pas dotés d’une structure permanente autour de laquelle se déploie la gestion de ses sommets et des décisions prises. Cela étant, les réunions annuelles préparatoires et de sommet sont organisées par le pays qui assure la présidence tournante du groupe pour l’année en question. En dépit de l’absence d’une structure institutionnelle, ce mécanisme d’organisation du groupe n’a pas empêché ces pays d’identifier des priorités communes et de chercher des solutions concrètes.

10C’est pourquoi, conscients de l’importance et des difficultés pour obtenir des financements à long terme pour des projets d’infrastructures, les BRICS ont commencé à effectuer des études pour « examiner la faisabilité et la viabilité de la création d’une Nouvelle Banque de développement pour mobiliser des ressources destinées à des infrastructures et à des projets de développement durable au sein des BRICS et d’autres économies émergentes et pays en développement [7] ». Lors du sixième sommet des BRICS, organisé au Brésil le 15 juillet 2014, ils signent l’accord créant la Nouvelle Banque de développement (NBD) [8]. L’accord est entré en vigueur l’année suivante, le 3 juillet 2015. Le siège de la NBD se trouve à Shanghai et le premier bureau régional sera établi à Johannesburg en Afrique du Sud. Si les BRICS ne sont pas une organisation internationale, la NBD l’est [9]. La création de cette banque a démontré que les BRICS pouvaient effectuer des avancées significatives en matière d’initiatives concrètes.

11La NBD détient un capital initial de 50 milliards de dollars US, divisé de manière égale entre les pays fondateurs, pouvant atteindre 100 milliards de dollars US [10]. L’année de sa fondation, il fut beaucoup question de ce qui serait « nouveau » dans la NBD, ce qui la distinguerait du FMI et de la Banque mondiale. En 2016, la NBD a procédé, avec succès, à la mise en vente de ses premières « obligations vertes » (green bonds) sur le marché interbancaire chinois, montant estimé à 3 milliards de yuans (448,9 millions de dollars US), tout en soulignant son attachement au principe de souveraineté des États en n’exigeant pas en contrepartie l’adoption de certaines politiques publiques par les gouvernements recevant un financement. Ce dernier aspect nous semble une caractéristique importante de la NBD qui la distingue du FMI et de la Banque mondiale.

12Selon l’article 5 de l’Agreement on the NDB, « L’appartenance sera ouverte aux membres des Nations unies en fonction des périodes, des conditions et des termes que la Banque déterminera à l’issue d’un vote à la majorité qualifiée par le Conseil des gouverneurs » […] « l’appartenance à la Banque sera ouverte aux membres emprunteurs et non-emprunteurs. »

13La NBD permet donc l’admission de nouveaux partenaires, que ce soit des pays développés ou en développement [11]. Cependant, comme il est établi à l’article 2 de l’Accord en question, l’objectif de la Banque consister à mobiliser des moyens pour des projet s « au sein des BRICS, d’autres économies de marché émergentes et de pays en développement ». Est exclu, par conséquent, le financement de projets d’infrastructures dans les pays développés. On se trouve en présence ici d’une décision politique caractéristique de l’action de la NBD. Par ailleurs, l’Accor d établit certaines limitations pour les « membres non fondateurs » et les « pays membres non emprunteurs » pour ce qui a trait au pouvoir de vote. En ce qui concerne ces derniers, le pouvoir de vote ne saurait dépasser les 20 %. Il est précisé : « aucun accroissement dans la souscription d’un membre ne deviendra effectif […] ce qui aurait pour effet de : (i) faire passer le pouvoir de vote des membres fondateurs en dessous des 55 (cinquante-cinq) pour cent du total du pouvoir de vote ». Les BRICS, fondateurs de la NBD, maintiennent la prérogative qui fait d’eux, conjointement, les principaux actionnaires de la Banque [12].

14En dépit de critères liés au pouvoir de vote qui réserve aux BRICS le contrôle financier de la Banque, on doit s’interroger sur la question de savoir si l’objectif d’élargissement de la NBD ne signifierait pas un éloignement par rapport aux BRICS ou si cette augmentation du nombre des membres de la NBD va dans le même sens que les objectifs et l’avenir des BRICS eux-mêmes. En 2017, une proposition faite par le gouvernement chinois pourrait nous fournir quelques pistes.

Le concept BRICS-Plus et ses ramifications

15Lors du neuvième sommet des BRICS de 2017 à Xiamen en Chine, le contexte international était différent des premières années. Lors de la création des BRIC, les pays connaissaient des taux de croissance élevés et jouissaient d’une plus grande stabilité sociale. Aujourd’hui, près de dix ans après leur première réunion, les BRICS affrontent un contexte complètement différent et défavorable par comparaison à celui qui prévalait.

16Des cinq pays, seules la Chine et l’Inde conservent une croissance suffisamment élevée. Néanmoins, selon un rapport du FMI, il y aura une légère diminution de la croissance du PIB de l’Inde qui devrait se situer à 7,2 %, tandis que la Chine, qui prévoit un PIB en croissance de 6,5 % en 2017, pourrait voir ce taux s’établir à la baisse à 6 % en 2018. Ces chiffres divergent de ceux des autres pays. On prévoit une croissance de l’économie russe autour de 1,1 % et 1,2 % en 2017 et 2018 respectivement. L’économie de l’Afrique du Sud devrait croître de 0,8 % en 2017 après avoir connu une croissance de 0,3 % en 2016. Quant au Brésil, il est le seul à connaître des perspectives plus sombres, à seulement 0,2 % (IMF, 2017).

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Source : Fonds monétaire international

17Normalement, c’est le pays qui préside le sommet qui propose le contenu à débattre avec les autres pays associés. En mars 2017, le ministre des Relations extérieures de la Chine, Wang Yi, a exposé une proposition de redéfinition des contours des BRICS visant à inclure d’autres grandes économies en développement, sous le nom de « BRICS-Plus ». Selon Wang Yi, la Chine « va explorer les modalités d’élargissement du BRICS Plus et établira un partenariat plus étendu, en maintenant le dialogue avec d’autres pays et organisations en développement, pour transformer le groupe en plateforme plus influente pour la coopération Sud-Sud dans le monde » (RFI, 2017). Selon l’économiste en chef de la Banque de développement eurasienne, Yaroslav Lissovolik, en faisant référence à la « coopération Sud-Sud », le ministre chinois laisse clairement entendre que la proposition du BRICS-Plus ne consisterait pas à élargir « le cœur même de l’association en incluant les plus grands pays développés, mais en accroissant son ouverture et son accessibilité aux États du monde en développement » (China Daily, 2017). Les BRICS se positionnent sur la scène internationale comme le point d’intersection entre le G20 et les autres pays en développement.

18Pour l’instant, la proposition du BRICS-Plus n’a pas été officiellement présentée aux autres membres des BRICS et aucune invitation n’a été émise ni aucune demande d’adhésion n’a été formulée : les BRICS ne sont pas une organisation internationale et ne disposent d’aucune procédure officielle d’adhésion pour les nouveaux membres. Néanmoins, on a pu supposer que la Chine voudrait inviter le Mexique, le Pakistan et le Sri Lanka (Times of India, 2017).

19La proposition BRICS-Plus a déjà donné lieu à polémique. Le Pakistan et le Sri Lanka sont considérés par les analystes indiens comme des pays pro-chinois. Le concept de BRICS-Plus apparaît à certains comme faisant partie d’une stratégie de la politique extérieure de la Chine visant à orienter les BRICS dans le sens du projet prioritaire : l’initiative « Une ceinture, une route » lancée par le président Xi Jinping en 2013 et qui sera, selon Tian Jinchen, la « plus grande plateforme économique au monde » (Jinchen, 2016), traversant l’Asie centrale jusqu’à l’Europe au moyen de deux voies : l’une terrestre (la ceinture économique de la route de la soie) et l’autre maritime (la route de la soie maritime du xxie siècle). Dans ce cadre, la Chine et le Pakistan ont établi un accord en 2015 pour la construction d’un couloir économique traversant une partie du Cachemire occupée par le gouvernement pakistanais et revendiqué par l’Inde. Le malaise existant entre l’Inde et la Chine a été mis en évidence lorsque l’Inde, invitée par la Chine, n’est pas apparue au Forum « Une ceinture, une route » en mai 2017 à Pékin.

20En laissant de côté les impasses au sein des BRICS, la proposition du gouvernement chinois de faire du BRICSPlus la plateforme ayant le plus grand impact pour la coopération Sud-Sud est compréhensible si l’on prend en compte les prévisions concernant les économies des pays en développement. Le taux moyen de croissance du PIB des marchés émergents et des économies en développement atteindra 4,7 % en 2019, alors qu’il ne sera que de 1,7 % pour les économies avancées la même année. Cette augmentation sera essentiellement due aux exportations de biens agricoles ainsi qu’à la reprise des secteurs de l’énergie et des minerais.

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Source : Perspectives économiques mondiales de la Banque mondiale

21Selon l’étude de la Banque mondiale, la croissance des sept plus grandes économies émergentes (EM7) – le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Russie et la Turquie – dépassera substantiellement celle des économies industrialisées du G7 en 2020, d’autres marchés émergents et pays en développement étant également bénéficiaires [13].

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Source : Banque mondiale

22Il faut enfin citer l’étude de PwC intitulée The World in 2050 – the Long View : How Will the Global Economic Order Change by 2050 ? montrant que les marchés émergents domineront dans le classement des dix plus grandes économies du monde en 2050 en parité de pouvoir d’achat (PwC, 2017).

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Sources : IMF for 2016 estimates, PwC analys for projections to 2050

23Mais si les prévisions sont positives pour les économies émergentes et les pays en développement, des risques subsistent en raison de la tendance actuelle d’expansion du protectionnisme international. La Banque mondiale met en garde face à la possibilité d’inversion de ce scénario optimiste en mettant en avant comme indice l’augmentation des discussions portant sur le protectionnisme sur Internet : « Les occurrences des termes sur les moteurs de recherches tels que “protectionnisme”, “réduction des échanges”, “guerre commerciale”, et “tarifs douaniers” sont en augmentation ».

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Source : Google Trend

24Le projet BRICS-Plus est un pari s’appuyant sur les prévisions à la hausse des économies en développement et sans doute motivé par les intérêts de la politique extérieure de la Chine. Mais le BRICS-Plus peut avoir pour effet de diluer le poids relativement important de l’économie chinoise et indienne au sein du groupe. Qui plus est, l’élargissement des membres des BRICS suit la tendance qui s’est accentuée lors des sommets successifs de renforcer l’engagement et la coopération avec les non-BRICS countries, en particulier les pays émergents et en développement, au-delà des organisations internationales et régionales correspondantes. En 2013, à l’occasion du cinquième sommet ayant lieu à Durban, les dirigeants des pays des BRICS se sont réunis avec leurs homologues des pays du continent africain. Selon les termes de la Déclaration de ce sommet, « Cette rencontre parallèle est une occasion pour les dirigeants africains et des BRICS de débattre des moyens de renforcer la coopération des pays des BRICS et du continent africain [14] ». Lors du sixième sommet, les gouvernements des BRICS ont organisé une session conjointe avec les leaders des nations sud-américaines « en vue de développer la coopération entre les BRICS et l’Amérique du Sud [15] ». Le septième sommet des BRICS, à Ufa, en Russie, a eu lieu conjointement avec l’Organisation de coopération de Shanghai qui comprend la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

25Les BRICS et la NBD sont sur une pente ascendante mais avec certaines différences. Les BRICS sont à considérer sous l’angle de la gouvernance politique, alors que la NBD est cantonnée à la sphère de la gouvernance économico-financière. Le BRICS-Plus est ouvert à l’adhésion des pays qui se trouvent dans le contexte de la « coopération Sud-Sud » alors que la NBD est également ouverte à l’adhésion des pays développés, mais avec un statut différent des membres fondateurs par rapport au pouvoir de vote et à la condition des pays membres non emprunteurs.

26Enfin, il est légitime de se demander si l’élargissement des BRICS renforcera la narration originelle mettant en avant la réforme des institutions, en particulier l’ONU et le FMI, avec pour objectif une plus forte participation de ce groupe de pays dans les processus décisionnels internationaux. En d’autres termes, il s’agit de savoir si le BRICS-Plus serait la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler la coopération Sud-Sud, s’il se transformerait en une plateforme réduite à la coopération économique – en laissant de côté le volet politique – ou s’il continuera à être la principale plateforme du groupe des réformistes dans le scénario international contemporain.

27Les BRICS connaissent actuellement un processus de maturation et de transformation. Le neuvième sommet des BRICS, en Chine, a lieu dans un contexte d’aggravation des asymétries économiques affectant les BRICS et des tensions entre la Chine et l’Inde. Le fait de pouvoir ou non maintenir la capacité des BRICS à agir de concert au sein d’autres forums multilatéraux de nature politique reste, aujourd’hui, une question en suspens. La proposition du « BRICS-Plus » peut aussi bien renforcer la narration originelle des BRICS que la diluer dans un programme qui donne moins d’importance aux réformes des institutions internationales.

28Dans un monde aux tendances protectionnistes, les prévisions positives concernant des économies des pays en développement vont dans le sens de la proposition d’élargissement des BRICS. En attendant, celle-ci risque d’être peu profitable tant que se maintiendra le schéma récurrent des échanges commerciaux caractérisant la relation Nord-Sud. Il faut également veiller à ce que les BRICS ne se transforment pas en annexe de l’ambitieux projet du gouvernement chinois connu sous le nom de « La ceinture et la route » – même si un tel projet ne s’insère pas dans le champ diplomatique du Brésil et de l’Afrique du Sud.

29Au moment où les organisations internationales de l’après-Seconde Guerre mondiale souffrent de paralysie institutionnelle et d’un manque croissant de légitimité, les propositions d’élargissement d’espaces de dialogue et de promotion de coopération comme les BRICS et le BRICS-Plus sont les bienvenues, car elles participent à la construction d’un ordre mondial plus inclusif. Au bout du compte, le BRICS-Plus peut accroître le niveau d’accessibilité et d’influence des pays en développement auprès des principaux forums internationaux.

30Les BRICS ont des caractéristiques et des objectifs distincts des schémas de coopération intergouvernementale promus par les puissances occidentales dans la seconde moitié du xxe siècle. Et la proposition « BRICS-Plus » introduit une autre dimension politique au projet, actuellement soumis à de nouvelles tensions, non entre le monde occidental développé et les pays des BRICS, mais au sein des BRICS eux-mêmes. Le défi demeure de trouver une manière de mieux résoudre les différends entre les membres.

31Il faut replacer les BRICS dans leur contexte historique pour éloigner le risque d’avancer dans la direction contraire à celle qui a motivé leur création. Si le programme de réforme des institutions internationales demeure l’objectif des BRICS, alors le projet originel, élargi ou non à de nouveaux membres, aura été préservé et son élan initial maintenu à la veille de la commémoration d’une décennie d’existence.

Bibliographie

Références bibliographiques


Mots-clés éditeurs : BRICS, réforme de l’ONU, BRICS Plus, NDB, réforme du FMI

Mise en ligne 24/11/2017

https://doi.org/10.3917/herm.079.0192

Notes

  • [1]
    « Joint Communiqué. BRICS Foreign Affairs Ministers’ Meeting », Ekaterinbourg, 16 mai 2008, paragraphe 3.
  • [2]
    Idem.
  • [3]
    Tous les pays des BRICS font partie du G20.
  • [4]
    Souligné par nous.
  • [5]
    Joint Statement of the Second Summit, Brésil, 2010 : « le monde connaît actuellement des changements majeurs et rapides qui soulignent le besoin d’effectuer des transformations correspondantes dans la gouvernance mondiale dans tous les domaines concernés. »
  • [6]
    Déclaration de Delhi et plan d’action du quatrième sommet, 2012, paragraphe 3.
  • [7]
    Cinquième sommet, déclaration d’Ethekwini et plan d’action, Durban, 27 mars 2013, paragraphe 9.
  • [8]
    Sixième sommet, déclaration de Fortateza, paragraphe 11. Selon l’« Agreement on NDB », dans son article 10, la Banque sera pourvue d’« un Conseil des gouverneurs, un Conseil d’administration, un Président, un vice-Président ainsi que le décidera le Conseil des gouverneurs ».
  • [9]
    Article 29 de l’« Agreement on NDB » : « La Banque disposera d’une personnalité juridique pleine et entière ».
  • [10]
    Agreement on the New Development Bank, article 7 (a). Il a également été créé un fonds de réserve de 100 milliards de dollars. Il s’agit de l’Accord de réserve d’urgence (Contingency Reserve Agreement).
  • [11]
    La NBD examine actuellement l’admission de nouveaux pays membres. C’est ce qu’a révélé Zhu Xian, le vice-Président de la NBD et son directeur des opérations : « Il est très probable que nous verrons de nouveaux membres nous rejoindre en 2017 ou 2018. » La déclaration de Zhu Xian a été publiée sur le propre site de la NBD sous le titre « BRICS New Development Bank hopes to expand by drawing other nations as members » Voir : <www.ndb.int/media/brics-new-development-bank-hopes-expand-drawing-nations-members/>, consulté le 12/09/2017.
  • [12]
    Cette prérogative a également sa contrepartie dans le système de vote. L’accord fait une distinction entre « majorité simple », « majorité qualifiée » et « majorité spéciale ». Quant à ce troisième cas de figure, il est établi que « là où cet Accord le stipule, une majorité spéciale sera comprise comme un vote positif émanant de quatre des membres fondateurs allant de pair avec un vote positif des deux tiers du pouvoir de vote total des membres » (Agreement on the New Development Bank, article 6 (b)).
  • [13]
    Il est à noter que la moyenne de la croissance du PIB des années antérieures à 2010 est plus élevée pour les économies émergentes – ce qui, selon nous, est dû pour une grande part à la croissance de la Chine qui a pu atteindre 14 % en 2007.
  • [14]
    Cinquième sommet, déclaration d’Ethekwini, 27 mars 2013, paragraphe 3.
  • [15]
    Sixième sommet, déclaration de Fortaleza, 15 juillet 2014, paragraphe 3.
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