Note
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[1]
Discours de Viktor Orbán, 26 juil. 2014. En ligne sur : <http://budapestbeacon.com/public-policy/full-text-of-viktor-orbansspeech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/10592>, consulté le 17/03/2017.
« L’Europe centrale est de retour mais, à la différence de 1989, pas comme une source d’“invention démocratique” pour l’Europe mais comme préoccupation pour l’Union européenne devant ce qu’il faut bien appeler, d’une part, une régression démocratique et, d’autre part, une crispation identitaire face à la vague migratoire. »
1Les populistes sont déjà au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe centrale et orientale, bien installés et s’inspirant les uns des autres pour mettre en place des formes de « démocratie non libérale » (Rupnik, 2016). Pourtant, comme le souligne Alexandre Dorna : « le populisme actuel représente une vague dont l’ampleur est mondiale, au point de pouvoir la qualifier de nouveau cycle de transfiguration politique. Ce diagnostic reconnaît dans le populisme un symptôme révélateur qui place le dysfonctionnement politique au cœur d’un malaise abyssal, à la fois intellectuel et moral » (2007).
2La progression du populisme radical a fait de grandes avancées dans les pays occidentaux aussi avec la victoire du Leave au référendum britannique sur la sortie du pays de l’Union européenne le 23 juin 2016, avec la forte ascension de la droite radicale populiste autrichienne, dont le candidat Norbert Hofer a failli remporter l’élection présidentielle en 2016, et avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis d’Amérique.
3En France, face aux crises des grands partis de gouvernement, le Front national s’est affirmé comme première force politique dans les intentions de vote en vue de l’élection présidentielle en 2017. Les forces de la droite radicale populiste sont installées dans les paysages politiques des anciennes démocraties depuis longtemps. Des partis xénophobes, nationalistes et antieuropéens gagnent de l’importance presque partout à l’échelle européenne. Cas Mudde rappelle que « le populisme est la réponse démocratique non libérale au libéralisme non démocratique. Il critique l’exclusion de questions importantes de l’ordre du jour politique par les élites et appelle à leur re-politisation… Les visions en blanc et noir du populisme et les positions intransigeantes mènent à des sociétés polarisées… et son extrémisme majoritaire renie la légitimité des points de vue et affaiblit les droits des minorités » (2015). D’après lui, c’est un système néolibéral à l’excès qui pava la voie des populistes comme Viktor Orbán, Jarosław Kaczyński, Robert Fico ou Donald Trump, etc.
4L’objet de cet article est de présenter des éléments du renforcement du populisme de type radical de droite en Europe centrale et orientale. Le populisme est un concept large qui se prête à des définitions différentes et qui comprend des phénomènes et des mouvements divers historiquement et dans les différents espaces géopolitiques. Le terme est banalisé du fait de ses usages par les hommes politiques qui s’accusent mutuellement de populisme pour se discréditer les uns les autres. Il y a plusieurs types de populismes et ils ne sont pas tous radicaux de droite ou de la droite extrême. Certains populismes ont une tendance progressiste (Hermet, 2001). Selon Guy Hermet (2012), tous les populismes ne « sont pas mauvais pour la démocratie » ; si elle est en crise, « les éléments populistes obligent à des réactions, un renouveau, pouvant conduire à un rajeunissement de la démocratie ».
5Cette analyse des formations de la droite radicale populiste dans les pays d’Europe centrale et orientale s’inscrit dans un contexte de renforcement général de ce type de forces politiques presque partout dans les pays européens et ailleurs. Les différentes crises auxquelles fait face l’Union européenne (UE) – les crises financière et des migrants, les crises des conflits géopolitiques avec la Russie et au Moyen Orient, le Brexit –, associées à des systèmes de partis instables, à une défiance élevée envers les institutions de la démocratie représentative de la part des citoyens de ces pays, à des scandales de corruption récurrents, renforcent les réussites électorales des populistes de la droite radicale populiste.
6Le cas le plus abouti de gouvernement populiste est la Hongrie, dirigée depuis 2010 par le premier ministre Viktor Orbán [1] et son parti Fidesz qui en premier lieu déclarent la fin de la démocratie libérale en juillet 2014 et l’avènement de l’ère de la démocratie non libérale, développant ainsi une nouvelle forme de régime hybride. Le gouvernement du parti Ordre et Justice (PiS) en place depuis 2015 en Pologne ou le gouvernement du premier ministre bulgare Boyko Borissov du parti Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB) trouvent dans les politiques de Viktor Orbán un modèle à suivre. Les appels anti-libéraux du PiS polonais datent de 2005 : « le parti appelle à abandonner le système de la démocratie libérale et à reconstruire un “État nouveau” […] un terme similaire à celui utilisé par la dictature de Salazar au Portugal, “Estado Novo” […] à travers “une révolution morale” » (Pankowski, 2010). Mais c’est avec sa deuxième participation au pouvoir qu’il s’inspire d’Orbán. Attila Agh (2016) qualifie l’expérience hongroise de régression démocratique, une « “maladie hongroise”, un défi antidémocratique pour l’Europe ».
7Nombre d’analystes considèrent que le populisme actuel est une menace pour la démocratie et pour l’Union européenne. Thierry Chopin (2016) fait le bilan de la montée des populistes en Europe et souligne que c’est surtout au libéralisme, dans ses différents aspects, politique, économique et culturel, que les populistes s’attaquent. Ils surfent sur les attitudes anti-globalisation, sur l’appauvrissement et la colère sociale non seulement des groupes les plus démunis mais aussi des classes moyennes en difficultés (Ibid.). La globalisation nourrit le « repli sur soi », la peur de l’autre et la xénophobie, « les étrangers étant considérés comme responsables des maux économiques et sociaux y compris en termes d’insécurité » (Ibid.). Dans le développement de son « rôle » d’homme providentiel contre le libéralisme, le premier ministre hongrois se voit en sauveteur au-delà des frontières nationales et se déclare prêt à accueillir en Hongrie les citoyens des autres pays européens pour les protéger du libéralisme.
8Un autre trait commun, partagé par les formations populistes, réside dans leurs stratégies de communication portées par un leader « charismatique providentiel » : « une exaltation de la dimension affective de proximité ; attitude anti-élitiste et anti-oligarchique ; la dénonciation de la distance entre gouvernés et gouvernants ; un discours qui fustige l’injustice sociale, l’insécurité, le chômage, la corruption et l’immigration […] ; un positionnement de rupture avec le système en place ; l’évocation manipulatrice des “vertus innées” du peuple qui rendraient inutiles toutes les médiations » (Dorna, 2007).
9Pour Pierre-André Taguieff (2002), « l’appel au peuple lancé par des leaders dotés de charisme et d’aptitudes télégéniques, hors des limites du système politique, va de pair avec la défense de l’identité nationale supposée menacée : le style populiste est inséparable de l’orientation ethno-nationaliste ». Ainsi on peut distinguer le « populisme identitaire » du « populisme protestataire » (Taguieff, 2017). Dans le cas du populisme identitaire se rangent les formations qui fondent leur identité sur la défense du peuple « pur ethnique » des ennemis d’ordre diffèrent. Le « populisme protestataire » caractérise les organisations qui jouent sur l’opposition du peuple aux élites et mettent en avant des postures anti-élitistes.
10Cas Mudde a présenté la synthèse des trois caractéristiques des nouveaux populismes : le « nativisme » avec la xénophobie et nationalisme ; l’autoritarisme lié aux attitudes tendant à suivre un leader autoritaire, l’intolérance pour les opinions pluralistes, la revendication d’une société de « Loi » et d’« Ordre » ; et une propension à accepter la violence et l’idéologie du populisme qui oppose le peuple pur aux élites corrompues (2007).
11Paul Taggart (2009) circonscrit le nouveau populisme notamment dans les partis anti-système, anti-establishment, qui excluent de la nation tous les groupes sociaux qui représenteraient une menace pour la nation pure.
12Les populistes de la droite radicale gouvernent seuls ou participent à la formation des majorités gouvernementales et parlementaires en Hongrie depuis 2010 ; en Pologne entre 2006 et 2007 et à nouveau depuis 2015 ; en Slovaquie pendant la période 2006-2010 et depuis 2016 ; en Bulgarie entre 2009-2011, 2013-2014 et entre 2014-2016 ; en Croatie, au début de 2016, le poste du ministre de la Culture a été attribué à un sympathisant du régime pronazi des oustachi.
Un rejet partagé du « politiquement correct »
13Pendant toute la période postcommuniste, les principaux partis de gouvernement en Europe centrale ne sont pas prêts à s’opposer à l’extrémisme raciste ou à prendre leurs distances avec des partis extrémistes et parfois mettent en place des formes différentes de coopération avec de tels partis (Mudde, 2005). Rafal Pankowski (2010) constate, pour la Pologne, que le « déni officiel, la minimisation et la tolérance implicite de la part des autorités envers le problème du racisme et de la xénophobie croissants jouent un rôle important dans la préparation du terrain général des futures vagues de l’extrémisme de droite », un constat général pour la plupart des pays analysés qui prend actuellement plus d’importance. Comme le montrent les configurations des différentes coalitions gouvernementales avec une participation forte de la droite populiste radicale, il n’existe pas en Europe centrale et orientale de « cordon sanitaire », il n’y a pas de lignes à ne pas franchir, de « parias » à ne pas accepter comme partenaires par les partis dits « établis » et démocratiques tant de gauche que de droite.
14Ce qui unit les leaders populistes actuels est le rejet du « politiquement correct » et par là la diffusion et la normalisation de propos islamophobes ou racistes, la tendance à se présenter comme de vrais démocrates, à justifier des discours xénophobes avec la liberté de parole. Une fois au pouvoir, ils ont tendance à s’attaquer à la liberté des médias et aux institutions qui contrôlent et peuvent limiter leurs actions comme les cours de justice et constitutionnelles. Les cibles des populistes de la droite radicale en Europe centrale et orientale sont les minorités nationales, surtout la minorité Rom, et les étrangers d’origines extra-européennes de religion musulmane, mais aussi les « disciples » de George Soros, les diplômés d’universités étrangères, l’Union européenne avec sa Charte des droits fondamentaux, les organisations non gouvernementales qui travaillent à la défense des droits de l’homme, certains journalistes et, in fine, tous ceux qui contestent leurs positions et leurs idées.
15Citons parmi les traits communs des nouveaux populistes le mélange des « thématiques idéologiques de la droite (nationaliste) et de la gauche (socialiste) dans le cadre d’un opportunisme programmatique visant à aimanter les différentes protestations sans se soucier de cohérence. Ils associent une revendication de démocratie radicale avec la réaffirmation de l’autorité personnelle d’un chef considéré comme sauveur providentiel » (Reynié, 2013). Ce mélange est présent chez le PiS polonais, le Fidesz hongrois, et les partis de la droite radicale populiste en Bulgarie comme Ataka ou la coalition Front patriotique.
16La stratégie électorale des formations de la droite populiste radicale a aussi une lecture économique à travers le prisme du type de « parti-niche » (Meguid, 2008). Rajacic (2007) définit comme des « politiques de l’identité » les mobilisations émotionnelles pratiquées par les leaders non seulement des partis extrêmes mais aussi des grands partis traditionnels. Selon cet angle, la mobilisation de l’ethno-populisme est plutôt une technique électorale visant à maximiser leur soutien électoral.
17La problématique de la « corruption politique », accompagnée par des scandales de corruption récurrents et la dénonciation de l’implication des hommes politiques dans des différents -gates, affaiblit les partis principaux et les élites politiques et renforce le terrain des populistes de la droite radicale qui se développent sur le registre de la « Loi » et de « l’Ordre » (Engler, 2016 ; Pirro, 2014). Ainsi les populistes se font les porte-parole des « petites gens » contre les « élites corrompues » et appellent à des mesures judiciaires extraordinaires au détriment des droits et des libertés. On entend aussi des appels de la restauration de la peine de mort.
18Il s’agit d’une « stratégie d’annexion de l’espace culturel avec des visées vers une hégémonie culturelle et politique, appelée aussi gramscianisme de droite » (Pankowski, 2010). Même si tout populisme n’est pas extrémiste, il peut y avoir des liens. « Les mouvements populistes s’emploient bien souvent à populariser des thématiques issues de l’extrémisme […]. Le développement massif des populismes traduit cependant une extrémisation du champ politique » (Bourseiller, 2012).
19Les symboles et les signes nazis refont apparence sans inhibition à Budapest, en Bulgarie et sur les médias sociaux. Aux côtés des partis de la droite radicale populiste établis émerge une nouvelle vague de partis néofascistes et néo-nazis comme le Jobbik hongrois ou comme le Parti populaire Notre Slovaquie (ĽSNS). « En toute impunité des militants d’extrême droite font le salut nazi devant le parlement hongrois de Budapest » à la veille du référendum hongrois sur le système des quotas de répartition des réfugiés (Gauquelin, 2016).
20En Bulgarie, des militants extrêmes d’Ataka incendient le drapeau européen sous les yeux des hauts responsables du Parti socialiste bulgare et leur leader V. Siderov commet des actes violents contre les représentants des minorités, des diplomates étrangers ou des étudiants bulgares. Les autorités bulgares peinent aussi à interdire la marche de Loukov qui célèbre un général lié au passé nazi de la Bulgare. Un phénomène se diffuse avec la crise des migrants : l’apparition dans certains pays de formations paramilitaires, des « milices civiques », des ligues dont certains sont engagés à « chasser les réfugiés » comme en Bulgarie ou en Hongrie. Par cette acceptation de la violence, les extrêmes en Europe centrale sont plus proches du parti néo-nazi grec Aube dorée que des formations occidentales qui essayent de se redonner une image plus acceptable.
Progression électorale et évolution organisationnelle
21En Slovaquie, lors des élections régionales de 2013, un parti qualifié de néo-nazi a percé : le Parti populaire Notre Slovaquie en Slovaquie L’SNS, dont le leader Marin Kotleba est élu à la présidence de la région de Banska Bystrica. Aux élections législatives de 2016, ce parti obtient une représentation parlementaire en recueillant 8,04 % des votes et 14 députés sur 150, alors que le Parti national slovaque SNS obtient 8,64 % et 15 députés. Une autre formation populiste SME-Rodina obtient 6,62 % et 11 députés. Les extrêmes et la droite radicale populiste sont bien présents au parlement élu en 2016 avec plus d’un quart des sièges, mais ils sont fragmentés. En effet, il existe des différences entre le L’SNS et le SNS, ce dernier essayant de donner une image plus modérée et rejette la collaboration avec les néo-nazis (Deloy, 2016). Depuis mars 2016, le Parti national slovaque est pour la deuxième fois au gouvernement national comme partenaire dans la coalition autour du parti SMER-SD du premier ministre Robert Fico, avec le parti de la minorité hongroise Most-Hid et le parti Réseaux Siet. Le SNS était déjà entré au gouvernement national de la coalition du SMER-SD entre 2006-2010 avec le parti populiste de Vladimir Meciar.
22En Pologne, les élections du 25 octobre 2015 ont donné la majorité absolue à la formation Droit et justice PiS peu après que le candidat du PiS, Andrzej Duda, a remporté le second tour de la présidence de la République.
23Mais le paysage politique connaît plusieurs nouveaux acteurs populistes. Tout d’abord, la formation Congrès de la Nouvelle Droite (KNP) polonais « du très controversé Janusz Korwin-Mikke […] semble à même de s’installer dans l’espace politique de la droite anti-establishment en Pologne, laissé vacant par des formations telles que la Liga Polskich Rodzin (LPR) et Samoobrona (SPR) d’Andrzej Lepper » (Ivaldi, 2015). Cependant, c’est une autre nouvelle formation populiste qui fait sa percée aux élections législatives en Pologne du 25 octobre 2015 : les listes de Pawel Kukiz, « chanteur de rock et candidat protestataire », qui avaient recueilli 20,8 % des suffrages lors du 1er tour de la dernière élection présidentielle du 10 mai 2015, prennent la troisième place avec 8,81 % des suffrages et remportent 44 sièges (Deloy, 2015).
24En République tchèque, ce n’est pas seulement à travers des formations extrêmes, marginales, que le populisme xénophobe se propage mais à partir de l’une des institutions principales du pays : la présidence de la République et les discours et messages du chef de l’État Milos Zeman, connu pour ses propos xénophobes et anti-islam. Sa participation au rassemblement du groupuscule islamophobe Bloc contre l’Islam à Prague en novembre 2015 lui a valu des critiques tant au niveau international que sur le plan interne. Pour contrer la propagation de discours de haine sur les réseaux sociaux, une campagne gouvernementale HateFreeCulture sous le slogan « Jsme v tom spolecne » (« On est tous dans le même bateau ») a été organisée en 2015 en République tchèque. L’initiative a recensé sur Internet 2,5 millions de commentaires haineux dont des appels au meurtre ou au viol, des références au nazisme, des insultes homophobes ou sexistes (Meignan, 2015).
25Dans le cas slovaque, c’est le premier ministre Robert Fico qui déclare que « l’islam n’a pas de place en Slovaquie » (Chadwick, 2016). La « menace » des réfugiés arrive « au secours » électoral du Premier ministre sortant Robert Fico qui mène la campagne électorale de son parti SMER-SD avec le slogan « Protégeons les Slovaques » et des messages contre les réfugiés, pour les élections législatives de mars 2016 (Deloy, 2016). Le gouvernement slovaque avait déclaré être prêt à accueillir seulement 180 familles de réfugiés syriens chrétiens et a formellement contesté le plan européen de relocalisation. Robert Fico déclare en janvier 2016 qu’il ne permettra pas l’entrée dans son pays d’une large communauté musulmane et maintient sa rhétorique contre l’immigration afin de renforcer le soutien électoral pour sa formation SMER-SD (Gabrizova, 2016). Il met en avant la menace terroriste que représenteraient les réfugiés et les musulmans (Deloy, 2016). Les visées électoralistes de l’exploitation de cette rhétorique contre les réfugiés ne sont pas cachées : « si l’on accepte les réfugiés, on se retrouvera ensuite avec un demi-fou qui atteint 30 % de suffrages comme à Banska Bystrica » (Ibid.).
26En Bulgarie, les principales formations nationalpopulistes se retrouvent réunies ensemble dans la coalition Patriotes unis VMRO NFSB Ataka à l’occasion des élections présidentielles de 2016. C’est une première unification électorale et politique de la droite populiste radicale institutionnalisée bulgare. Leur candidat, le leader de la VMRO Krassimir Karakatcanov, arrive en troisième position avec 14,97 % des votes au premier tour du 8 octobre 2016 (CIK, 2016). Dans le même temps, de nouveaux mouvements populistes gagnent de l’importance et affaiblissent les partis établis.
De l’opposition à la solidarité européenne à l’anti-européisme
27Une autre tendance est l’euroscepticisme et l’anti-européisme des radicaux de la droite populiste en Europe centrale et orientale. Elle se manifeste dans les différentes réactions du rejet de la solidarité européenne, que ce soit dans le cas de la crise grecque ou dans la crise des migrants.
28Pendant la crise grecque, les pays d’Europe centrale et orientale ont peu de sympathie pour les citoyens grecs (Berendt, 2015). On voit rappelées les politiques fiscales d’austérité et de rigueur, les crises économiques et sociales que les anciens pays communistes ont dû appliquer, tout comme le niveau de vie et de revenus moins important qu’en Grèce. Les montants des pensions de retraite des Lituaniens et des Lettons ont été comparés avec le niveau en Grèce. « Cependant, en réalité, ce sont ces plus petites nations qui elles-mêmes ont fait face aux crises, qui ont avalé le remède de l’austérité et qui ont vécu cela […] qui sont les plus hostiles à un autre plan de sauvetage d’Athènes » (Cerniauskas et Raudseps, 2015).
29La Slovaquie, la Lituanie et la Lettonie se sont alors rangées parmi les pays membres de la zone euro qui souhaitaient que la Grèce quitte la monnaie commune (Rankin, 2015). Ces pays, et surtout les quatre du groupe de Višegrad, se sont fait aussi remarquer avec leur refus des plans européens de répartitions des réfugiés syriens. Le point culminant a été le 2 octobre 2016 avec le référendum organisé par Viktor Orbán sur cette question : le rejet de la politique européenne a été soutenu à 98 % des 42 % des électeurs ayant participé au vote, ce qui n’a pas suffi pour valider le scrutin, un seuil de 50 % étant obligatoire.
30Les populistes d’Europe centrale et orientale se sont imposés discursivement, culturellement et politiquement dans les paysages politiques et les institutions parlementaires et gouvernementales. La rapidité de leur ascension ne peut pas être expliquée de manière univoque dans tous les cas nationaux. Des politistes spécialistes des transitions postcommunistes mettent en avant des facteurs comme le type du régime communiste pour expliquer la consolidation rapide de la démocratie ; mais si ces modèles expliquent la montée des populismes en Bulgarie et en Roumanie, il n’en va pas de même pour la Hongrie et la Pologne qui, selon cette perspective, n’auraient pas dû connaître une montée des populismes de droite radicale.
31La présence des minorités ethniques ou religieuses ou le degré d’affectation par la vague des migrants et des réfugiés constituent des explications dans les cas bulgare et hongrois, mais pas dans les cas de la Pologne ou de la Slovaquie. En Slovaquie, alors que très peu de migrants ont été accueillis, des protestations contre les réfugiés musulmans ont été organisées pendant que des citoyens des pays occidentaux manifestaient pour leur défense. La Pologne n’a pas été réellement touchée par la crise des migrants, mais une mobilisation xénophobe a eu lieu. Le facteur économique ne peut pas non plus expliquer la montée des populismes, car certains pays connaissent des difficultés économiques alors que d’autres sont en croissance.
32Le tableau est donc complexe et reflète les divisions et les clivages internes à chaque pays et à chaque société, entre les cosmopolites et les globalistes d’un côté et les nationalistes de l’autre. Il faut aussi tenir compte des disparités économiques et sociales internes entre les régions des différents pays qui peuvent expliquer les votes pour les formations politiques promettant des mesures plus sociales.
33Certains pays ont une longue tradition de cohabitation culturelle comme la Bulgarie ou la Pologne à laquelle de nombreux intellectuels antipopulistes se réfèrent actuellement (le débat ancien sur la Pologne des Piast et la Pologne des Jagellon, multiculturelle ou nationaliste).
34Face à la montée des populistes, on assiste à des mobilisations contestataires de citoyens en colère contre les élites, considérées comme corrompues, et contre les partis politiques établis, avec des appels à plus de transparence politique et de participation civique. Les citoyens et les oppositions libérales se mobilisent contre les atteintes des acquis démocratiques. La société civile polonaise a montré de nouveau sa vivacité et sa résistance en 2016. En Hongrie, les groupes civiques et l’opposition réagissent également par des mobilisations contestataires.
35D’autres pays font preuve d’un « réveil citoyen » (Gueorguieva et Krasteva, 2015). Les protestations de masse contre des mesures politiques considérées comme illégitimes et non démocratiques en Bulgarie en 2013-2014, les manifestations contre un projet d’interdiction de l’avortement et de limitation des droits des femmes ou, plus tard, l’occupation du parlement par l’opposition en Pologne, en 2016, les manifestations contre le projet de décriminaliser les cas de corruption politique en dessous d’un plafond en Roumanie, en 2017, sont autant d’exemples de mouvements civiques de masse qui s’expriment face aux gouvernements soit pour la sauvegarde d’acquis démocratiques, soit revendiquer un approfondissement de la démocratie.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : montée de la droite radicale populiste, Europe centrale et orientale, crise de la démocratie libérale, populismes
Mise en ligne 26/05/2017
https://doi.org/10.3917/herm.077.0117Note
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Discours de Viktor Orbán, 26 juil. 2014. En ligne sur : <http://budapestbeacon.com/public-policy/full-text-of-viktor-orbansspeech-at-baile-tusnad-tusnadfurdo-of-26-july-2014/10592>, consulté le 17/03/2017.