1En 1960, João Goulart a été élu vice-président de Jânio Quadros. Le système électoral permettait d’élire le président d’une liste et le vice-président d’une autre. Malgré les noms de leurs partis, Goulart (Parti travailliste brésilien) et Quadros (Parti travailliste national) représentaient des spectres opposés de la politique brésilienne. En termes idéologiques plus simples, ils incarnaient la gauche et la droite. Jango (ainsi que Goulart était surnommé) incarnait l’héritage du président Getúlio Vargas, tandis que Jânio chevauchait, en un sens, les idées du principal ennemi du varguismo, le journaliste, propriétaire de A Tribuna da Imprensa et gouverneur de l’État de Guanabara, Carlos Lacerda, icône du conservatisme libéral de l’Union démocratique nationale. Le 24 août 1961, Jânio Quadros a démissionné. Les ministres militaires ont alors tenté d’empêcher la prise de pouvoir de Jango, qui était en voyage en Chine, en alléguant qu’il serait communiste (Silva, 2011) et représentait un danger pour l’ordre national.
2Le gouverneur de l’État du Rio Grande do Sul, Leonel Brizola, marié à une sœur de Jango, a mené la résistance à travers un réseau de stations de radio – la Chaîne de la légalité – qui atteindrait son apogée avec la prise de pouvoir de Goulart le 7 septembre 1961. Mais pour éviter une guerre civile, Jango a accepté de perdre une partie des pouvoirs qui lui étaient garantis par la Constitution brésilienne de 1946. Le parlementarisme au Brésil a été introduit par un amendement constitutionnel. Pour la partie la plus conservatrice du pays, Jango a pris le pouvoir avec une tache d’illégitimité. Pour la partie la plus à gauche, il aurait pris le pouvoir par un coup d’État le 6 janvier 1963 quand au moyen d’un plébiscite, Jango a repris ses pouvoirs présidentiels.
Origines du coup d’État
3L’origine du soutien nord-américain au coup d’État de 1964 a commencé à se cristalliser le 13 mai 1959, lorsque le gouverneur du Rio Grande do Sul, le beau-frère du futur président João Goulart, a pris le contrôle de la compagnie d’électricité, appartenant à l’Américano-canadien Bond and Share, pour la valeur symbolique d’un cruzeiro. La deuxième étape surviendrait avec la prise de contrôle, en 1962, de la compagnie de téléphone – une filiale d’International Telephone and Telegraph Corporation (ITT) – pour soulager la population du Rio Grande de l’asphyxie provoquée par des tarifs élevés et des services de faible qualité (14 300 téléphones pour les 670 000 habitants de Porto Alegre ; Silva, 2011). En 1962, les Américains dénoncèrent le coup d’État. L’ambassadeur américain au Brésil, Lincoln Gordon, envoya un communiqué cristallin au président John Kennedy : « Goulart est en train d’alimenter un dangereux mouvement gauchiste, encourageant le nationalisme. Deux sociétés américaines, ITT et Amforp, ont été récemment expropriées par le gouverneur Leonel Brizola. De telles actions représentent une menace pour les intérêts économiques des États-Unis. » (apud Silva, 2013)
4Les télégrammes de Gordon à Kennedy, désormais dans le domaine public, sont une carte de la participation américaine pour l’implantation de la dictature militaire au Brésil. Dans l’un d’eux, on peut lire : « Il est fondamental d’organiser les forces politiques et militaires afin de réduire son pouvoir et, dans un cas extrême, de l’en éloigner. » (Ibid.) Dans une conversation enregistrée et finalement disponible, Gordon révèle tout son engagement putschiste : « Nous avons une organisation appelée IPES, qui est progressiste et qui a besoin d’une aide financière. Je pense que nous devons les aider. » Kennedy demande : « Combien nous devons mettre ? » Voici la réponse : « C’est à peine quelques millions de dollars. » Il s’inquiète : « C’est beaucoup d’argent. Après tout, vous savez, pour une campagne présidentielle ici vous en dépensez autour de 12. » Il reçoit l’alerte de Gordon : « Mais nous ne pouvons pas courir certains risques. » (Ibid.) L’ambassadeur William Draper, en 1962, a mis en garde :
Pendant que Goulart reste au pouvoir, les États-Unis doivent maintenir leurs efforts pour lui faire sentir la gravité de la situation économique et financière du Brésil, et continuer d’insister sur l’adoption de mesures correctives appropriées qui justifient notre aide financière à une grande échelle. Dans le même temps, nous devons essayer d’influencer son orientation politique dans un meilleur sens pour servir les intérêts des États-Unis […] Les États-Unis doivent aussi intensifier leur intelligence et rester en contact, discrètement, avec n’importe quels éléments militaires et politiques d’un possible régime alternatif capable d’agir rapidement et efficacement en faveur d’un tel régime, dans l’hypothèse que la crise financière imminente, ou n’importe quelle autre, résulte dans l’éloignement de Goulart.
6Tout se passerait selon ce scénario. Un télégramme au Département d’État américain présente le dénouement :
Nous prenons des mesures pour favoriser la résistance contre Goulart. Des actions secrètes sont en cours pour organiser des manifestations afin de créer un sentiment anticommuniste au Congrès, au sein de l’armée, de la presse et des groupes catholiques.
8Ainsi sont nées les faussement spontanées et lamentablement inoubliables « Marches des familles avec Dieu pour la liberté », qui ont appuyé le coup d’État.
9Jusqu’à la dernière seconde, les Américains accompagneraient l’évolution des événements et garantiraient un appui au moyen de l’opération « Brother Sam », conformément aux télégrammes :
Les décisions suivantes ont été prises pour apporter un soutien militaire et logistique aux forces anti-Goulart. Des navires pétroliers soutiendront l’escadre partant de la base d’Aruba. La force navale de combat a été activée pour des exercices sur la côte sud du Brésil, la destination initiale est le port de Santos. La force navale est composée d’un porte-avions, de quatre destroyers et de croiseurs de soutien. De Puerto Rico seront embarqués 110 tonnes de munitions, d’armes légères et de gaz lacrymogènes pour contenir et contrôler les foules.
11Puis, pendant des années, ils nieront tout.
Le Brésil de Jango
12Le Brésil que João Goulart a reçu était un pays enlisé dans l’inégalité sociale. Pour environ 70 millions d’habitants, seulement 3,35 millions possédaient des terres. 2,2 % d’entre eux, c’est-à-dire à peine 73 737 propriétaires, dominaient 58 % de la superficie territoriale. Le tableau était désolant : « Pour une population d’environ 70 millions d’habitants, 40 % d’analphabètes âgés de 15 à 69 ans, un maigre 6 millions (8,5 %) inscrits dans l’enseignement primaire, à peine 900 000 (1,2 %) dans l’enseignement secondaire et un honteux 93 000 (0,13 %) dans l’enseignement supérieur, seulement deux mille étudiants diplômés. » (Ibid.)
13Cássio Silva Moreira (2011), citant des données de l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) de 1960, résume ainsi la situation :
En plus des questions macro-économiques, il est important de rappeler certaines caractéristiques de l’économie brésilienne dans les années 1960. Il y avait un désir croissant de réformes et le gouvernement de João Goulart était l’un des principaux défenseurs de ces changements structurels. La réforme agraire était la plus commentée. La concentration des terres était considérée par beaucoup comme l’une des principales entraves au développement économique, étant donné l’énorme décalage entre le nombre de travailleurs ruraux et le nombre de propriétaires. Dans le recensement de 1960, la superficie totale des propriétés agricoles au Brésil était d’environ 249 millions d’hectares, répartis entre environ 3 millions d’entreprises rurales, les englobant toutes et ce, peu importe leur taille, de la grande ferme à la petite parcelle de terre agricole familiale. De cette extension, cependant, un peu plus de 110 millions d’hectares, soit 44 % de la superficie, était concentrée dans près de 32 000 entreprises, soit 0,97 % du total, laissant ainsi aux 99,3 % seulement 66 % de la superficie – en rappelant que 44,79 % des unités rurales disposaient de moins de 10 hectares. Cela ne pouvait pas être pire.
15La participation des Brésiliens aux salaires, en 1960, encore selon les données de l’IBGE citées par Cássio Moreira (Ibid.), donne une idée de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres : « 20 % plus pauvres, 3.9 ; 50 % plus pauvres, 17,4 ; 10 % plus riches, 39,6 ; 5 % plus riches, 28,3 ; 1 % plus riches, 11,9. » C’est ce pays que Jango a décidé de changer avec les « réformes de base » (dont la réforme agraire) qui ne pourraient être adoptées qu’avec l’approbation du Congrès national, après avoir été jugées par la presse comme une preuve de l’avancée communiste au Brésil. Cassio Moreira résume (Ibid.) :
Sous cette vaste appellation – « réformes de base » – étaient réuni un ensemble d’initiatives telles que : la réforme bancaire, fiscale, urbaine, administrative, agraire, universitaire et politique. Cette dernière soutenait la nécessité d’étendre le droit de vote aux analphabètes et au personnel subalterne des forces armées. De plus, des mesures nationalistes étaient défendues, prévoyant une intervention plus large de l’État dans la vie économique et un contrôle plus grand des investissements étrangers dans le pays, grâce à la réglementation des transferts de bénéfices à l’étranger.
17Goulart a subi la pression de l’extrême gauche pour accélérer les réformes et de la droite pour geler tout changement. Le 13 mars 1964, lors d’un rassemblement à la Central do Brasil, à Rio de Janeiro, Jango a annoncé les réformes. Deux jours plus tard, il a envoyé un message au Congrès national et a proposé, entre autres choses, un amendement constitutionnel visant à permettre l’expropriation des terres s’il n’y avait pas un paiement en espèces immédiatement. Un coup d’État pour les propriétaires fonciers.
18En fait, cela ne s’est pas passé ainsi. Quand il a été écarté du pouvoir, selon un sondage réalisé par l’Ibope, Jango avait 76 % d’opinions favorables. Dans sept capitales brésiliennes, il possédait plus de soutiens que d’opinions défavorables. Huit mois avant le coup d’État qui le conduirait à l’exil et à la mort, seuls 19 % des interrogés considéraient que son gouvernement était mauvais ou pire encore (Silva, 2013). L’élite conservatrice, les États-Unis et la presse brésilienne l’ont renversé avec le soutien d’une partie de la classe moyenne urbaine et du monde des affaires. Les réformes de base ont été abandonnées au nom de la « démocratie », de l’ordre, de la tranquillité nationale et de la peur.
Le rôle de la presse
19Le coup d’État de 1964 a été médiatico-civilo-militaire. Sans le travail de la presse, il n’y aurait pas eu de légitimité pour le renversement du président João Goulart. Les principaux journaux de chaque capitale ont agi en tant qu’initiateurs et arbitres. Un des plus ardents promoteurs du coup d’État était le journal de Rio, Correio da Manhã, qui se rendrait rapidement compte de son erreur et passerait dans l’opposition, périclitant sous le régime militaire. Dans des éditoriaux datés du 31 mars et du 1er avril 1964, le Correio da Manhã a distillé son putschisme épidermique. Lors de l’attaque intitulée « Basta ! », il a déclaré : « Le Brésil a déjà trop souffert avec le gouvernement actuel. Maintenant, basta ! » Assez de quoi ? Jango les représentait tous : « Basta de la farce […] Non content de déstabiliser le monde rural, avec le décret de la Supra, en inquiétant tant les propriétaires que les paysans […] maintenant il étend son action déformatrice aux forces armées, en détruisant de haut en bas la hiérarchie et la discipline ». Dans « Dehors ! », il a décrété : « Il n’y a qu’une seule chose à dire à M. Goulart : “Partez !” » Pour le journal, « João Goulart a commencé la sédition dans le pays. » Les réformes faisaient peur.
20Márcio Moreira Alves, un journaliste qui deviendrait emblématique de la lutte contre la dictature, a été le premier à enquêter sur les crimes de torture sous le régime militaire. Il avait déjà commencé à le faire au début de la dictature pour le Correio da Manhã. Dans son livre Torturas e torturados (1967), il écrit : « Le 3 avril 1964, le Correio da Manhã a publié en première page, un éditorial intitulé “Le terrorisme, non !”. Cela a été le premier cri d’alarme contre le climat qui s’instaurait au Brésil et serait, dans les mois suivants, vécu par le peuple brésilien. » Le grand journal se réveillerait malheureusement avec trois jours de retard. Alves note : « Correio da Manhã est devenu, dans les mois qui ont suivi le mouvement du 1er avril, la tranchée glorieuse des libertés individuelles et politiques des Brésiliens. »
21Le 27 mars 1964, le journal Folha de S. Paulo sort ses armes pour la bataille finale : « Jusqu’à quand les Forces responsables de ce pays, celles qui incarnent les idéaux et les principes de la démocratie, vont-elles regarder passivement la direction systématique, obstinée et maintenant clairement déclarée, prise par le président de la République de détruire les institutions démocratiques ? » Le Jornal do Brasil, quatre jours plus tard, le malheureux 31 mars quand les forces du général Mourão Filho marcheraient de Juiz de Fora (Minas Gerais) à Rio de Janeiro, a torpillé João Goulart : « car celui qui viole le code pénal militaire en apparaissant à une réunion de sergents pour prononcer un discours hautement démagogique et incitant à la division des forces armées ne peut plus avoir d’appui légal pour l’exercice de la présidence de la République. » Le même Jornal do Brasil, le 1er avril 1964, use de sophisme et commémore avec une verve de journalisme autoconvaincu : « Depuis hier s’est installée dans le pays une véridique légalité, légalité que l’autorité n’a pas voulu préserver, en la violant dans ce qu’elle a de plus fondamental : la discipline et la hiérarchie militaire. La légalité est avec nous et non pas avec l’autorité alliée des communistes. » Enthousiasmé, le « JB » utiliserait toutes ses armes pour convaincre qu’il n’y avait pas d’arbitraire, que les militaires étaient les sauveurs de la patrie : « Un coup d’État ? C’est un crime seulement punissable de la destitution du pouvoir purement et simplement du président. Porter atteinte à la Fédération est un crime de lèse-patrie. Nous accusons ici M. João Goulart de crime de lèse-patrie. Il nous a plongés dans une lutte fratricide, un désordre social et une corruption généralisée. »
22Le journal conservateur O Estado de S. Paul, victime de la dictature de Getúlio Vargas entre 1937 et 1945, n’a pas hésité à appuyer la mise en place d’une dictature militaire. Le 1er avril 1964, le quotidien de l’élite pauliste a vibré en faisant écho à la révolution de 1930, quand il avait comme ennemi l’Estado de Minas Gerais : « Le Minas Gerais est avec nous cette fois… » La victoire était prévisible : « Dans quelques heures, ces forces ne seront rien de plus qu’une infime fraction des légions innombrables de Brésiliens qui ont envie de démontrer définitivement à l’autorité que la nation ne cédera jamais à ses contraintes. » Le journal Estado de Minas, le 2 avril 1964, a répondu :
Une foule en liesse sur la place de la Liberté. Le gouverneur de l’État et les chefs militaires acclamés. Le point culminant des célébrations d’hier, à Belo Horizonte, pour la victoire du mouvement pour la paix et pour la démocratie, a été, sans doute, une réunion populaire devant le Palais de la Liberté. Toute la zone située devant le siège du gouvernement de l’État du Minas Gerais a été complètement occupée par une foule qui a accouru pour célébrer le succès de la campagne initiée dans le Minas Gerais.
24A Tribuna da Imprensa, de Carlos Lacerda, principal journal de l’opposition à Jango, l’a insulté avec vulgarité : « banni, baillonné et intimidé, il a quitté le pouvoir sous l’injonction de légitimité populaire de M. João Belchior Marques Goulart, leader infâme de communisto-entrepreneurs-syndicalistes » (03/04/1964). Le même jour, O Globo s’est enfoncé dans la boue des pires sophismes : « Goulart a fui et la démocratie est rétablie. » Et, exultant : « Étant donné les aspirations nationales de paix, de tranquillité et de progrès… les forces armées ont pris la responsabilité de restaurer la Nation dans l’intégrité de ses droits, la débarrassant de la fin amère qui lui était réservée par les rouges qui avaient impliqué l’exécutif fédéral ».
25Il manquait la manchette tragicomique. Avant sa rapide repentance, le 2 avril 1964, le Correio da Manhã a eu le temps et la créativité de la commettre : « Lacerda annonce le retour du pays à la démocratie ». Trois jours après, Estado de Minas exhortait : « Heureuse la nation qui peut compter sur des corporations militaires si civiques […] Les militaires ne devront pas déposer leurs armes avant que ne se taisent les voix de la corruption et de la trahison de patrie ». Ce même 5 avril, O Globo publiait à sa une ce qui serait toujours répété comme la principale justification, l’alibi parfait pour être brandi à l’avenir contre les réviseurs du passé : « La révolution démocratique a précédé d’un mois la révolution communiste ». Le Jornal do Brasil, le 6 avril, renforçait cette thèse en citant un grand juriste prêt à se rabaisser : « Pontes de Miranda a dit que les forces armées ont violé la Constitution afin de la sauver ! » Le 16 avril, le Correio Braziliense apporterait sa contribution pour dégrader l’idée de démocratie au Brésil : « Des milliers de personnes ont assisté hier, aux cérémonies qui ont marqué la prise de pouvoir du maréchal Humberto Castelo Branco à la présidence de la République […] L’acte d’investiture du président Castelo Branco a revêtu le sens le plus démocratique possible. »
26O Globo, dans son éditorial du 2 avril 1964, a exploré le pire du lyrisme national : « La Nation vit des jours glorieux. Parce qu’ils ont su unir tous les patriotes, indépendamment de liens politiques, d’amitiés ou d’opinions sur des problèmes isolés, pour sauver l’essentiel : la démocratie, la loi et l’ordre. Grâce à la décision et l’héroïsme des forces armées, qui obéissent à leurs chefs, elles ont démontré le manque de vision de ceux qui essayaient de détruire la hiérarchie et la discipline, le Brésil s’est débarrassé du gouvernement irresponsable, qui avec insistance essayait de l’entraîner vers des directions contraires à sa vocation et à ses traditions […] Encore une fois, le peuple brésilien a été sauvé par la Divine Providence, qui lui a permis de surmonter une grave crise sans grandes souffrances ou deuils. Soyons dignes d’une si grande faveur. » Dieu était putschiste.
27En 1964, encore dans le feu des événements, un livre intitulé Os idos de março e a queda em abril (Les ides de mars et la chute d’avril) a paru, avec des textes de huit journalistes de l’engagé et enthousiaste Jornal do Brasil. Dans les pages de cet inventaire empressé, l’organisateur du projet, le directeur du « JB », le journaliste Alberto Dines, qui se construirait ensuite l’image d’un champion de la résistance et de la censure, ne tarissait pas d’éloges pour le chef civil des putschistes. Il a écrit : « Coup d’État ou contre-coup d’État ? Minas marche contre Goulart. Enfin est apparu un homme pour faire le premier pas. Cet homme est le plus tranquille, le plus serein de tous ceux qui sont sur la scène politique. Magalhães Pinto, sans beaucoup d’enthousiasme, a racheté de la souillure les Brésiliens. » (Dines, 1964)
28Les militaires étaient bien servis en attachés de presse dans les journaux et les livres.
De l’enthousiasme à la rétraction de O Globo
29Le 2 avril 1964, comme il s’est avéré, O Globo a accueilli avec crainte le retour de la « démocratie » :
Comme nous le disions dans l’éditorial d’avant-hier, la légalité ne pourrait pas être une garantie de la subversion, le rempart des agitateurs, le garde-fou du désordre. Au nom de la légalité, il n’est pas légitime d’admettre l’assassinat des institutions, comme cela s’était produit devant la Nation horrifiée. Maintenant, le Congrès donnera le remède constitutionnel à la situation existante, pour que le pays poursuive sa marche vers son grand destin sans que les droits individuels soient affectés, sans que les libertés publiques disparaissent, sans que le pouvoir de l’État ne soit de nouveau utilisé en faveur du désordre, de l’indiscipline et de tout ce qui était en train de nous mener à l’anarchie et au communisme.
31La menace communiste était brandie à chaque paragraphe pour éliminer le doute et apaiser les consciences effrayées :
Nous pourrons, à partir d’aujourd’hui, affronter le futur avec confiance, certains, enfin, que tous nos problèmes auront des solutions, car les affaires publiques ne seront plus gérées avec mauvaise foi, de la démagogie ou du non-sens. Sauvés de la communisation qui se préparait rapidement, les Brésiliens doivent remercier les braves militaires qui les ont protégés de leurs ennemis.
33La rétraction viendrait 49 années plus tard, le 31 août 2013, sur le site du journal O Globo : « le soutien éditorial au coup d’État de 1964 a été une erreur. » Justification : « Cette prise de conscience ne date pas d’aujourd’hui, elle provient d’années de discussions internes, au cours desquelles les organisations Globo ont conclu que, à la lumière de l’histoire, le soutien est devenu équivoque ». Mea culpa : « Depuis les manifestations de juin, un cri est revenu dans les rues : “La vérité est dure, Globo a soutenu la dictature”. De fait, il s’agit d’une vérité et, aussi, d’un fait, d’une vérité difficile. Depuis de nombreuses années, il y a des discussions internes, les organisations Globo reconnaissent que, à la lumière de l’histoire, ce soutien a été une erreur. »
34Le texte de la rétractation fait face à toutes les questions sensibles :
L’année où le mouvement militaire a complété deux décennies, en 1984, Roberto Marinho a publié un éditorial signé en première page. Il s’agit d’un document révélateur. Il y soulignait l’attitude de Geisel, le 13 octobre 1978, qui a fait disparaître tous les actes institutionnels, le principal de ceux-ci, le AI5, a rétabli l’habeas corpus, l’indépendance de la magistrature et abrogé le décret-loi 477, base des opérations du régime dans le milieu universitaire.
36Il trouve des qualités à la dictature lorsqu’il rappelle l’éditorial de Roberto Marinho en 1984 :
Il mettait en avant les progrès économiques réalisés lors de ces vingt années, mais, pour justifier son adhésion aux militaires en 1964, il ne laissait pas de doute, sa conviction était que l’intervention avait été évidemment nécessaire pour maintenir la démocratie, mais aussi, pour contenir le surgissement d’une guerre.
38La représentation d’O Globo cherche à soigner l’image du journal par une petite contextualisation historique :
Les contextes historiques sont nécessaires pour l’analyse du positionnement des personnes et des institutions, encore plus lors de ruptures institutionnelles. L’histoire n’est pas seulement une description de faits, qui se succèdent les uns aux autres. Elle est l’outil le plus puissant dont l’homme dispose pour continuer en toute sécurité vers l’avenir : on apprend des erreurs commises et on s’enrichit en les reconnaissant. À la lumière de l’histoire, cependant, il n’y a aucune raison de ne pas reconnaître aujourd’hui, explicitement, que le soutien a été une erreur, tout comme d’autres décisions éditoriales ont été équivoques pendant la période qui s’est écoulée depuis cette erreur initiale. La démocratie est une valeur absolue. Et, quand elle est en risque, elle ne peut pas être sauvée par elle-même.
40Elle ne peut pas être sauvée par des coups d’État.
Conclusions, ou « en avant »
41En 2014, 50 ans après le coup d’État médiatico-civilomilitaire, le Brésil organisera des élections présidentielles qui pourront permettre la réélection de la présidente Dilma Rousseff, l’ex-guérillero, emprisonnée et torturée par le régime militaire. Le Brésil accueillera la Coupe du monde de football, un sport qui a servi la dictature, en 1970, lorsque la sélection brésilienne a été sacrée triple championne du monde, au Mexique, à l’apogée de la répression et de l’idéologie du « Brésil, aimez-le ou laissez-le » selon le slogan créé par la propagande.
42Les médias ne font pas l’éloge des résistants et de leurs tragédies, mais de ceux qui détiennent le pouvoir et de leurs gloires. Ils ne saluent pas les modernes épiques et les Don Quichotte de la démocratie, mais les représentants du « bon sens » et de la légitimité – légitimité que les élites et les propres médias définissent comme telle – même au détriment de la légalité. Les médias ne racontent pas l’histoire, ils essaient de l’écrire.
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Mots-clés éditeurs : Brésil, coup d'État de 1964, guerre froide, médias, histoire
Date de mise en ligne : 24/04/2014
https://doi.org/10.3917/herm.068.0219