1Cet article traite des usages discursifs des classements d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche (EESR) par les universités. Les classements sont abordés ici en tant qu’événements médiatisés mis en scène et mis en discours par les universités. Ce faisant, nous nous maintenons à distance d’une perspective déterministe ou spéculative sur leur impact dans le champ de l’enseignement supérieur, sans toutefois perdre de vue que cet instrument, depuis quatre décennies, a contribué à la transformation des représentations, des identités, des relations et des institutions. Venant surtout de « l’extérieur » du champ universitaire, le classement des EESR s’est installé, malgré et avec les controverses dont il est l’objet, dans le paysage académique, devenant un des principes actifs d’une gouvernementalité (Foucault, 1994) néolibérale du secteur : sans s’imposer de manière autoritaire, le classement est un instrument normatif et prescriptif qui affecte et oriente la conduite de différents acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche (Hazelkorn, 2011).
2Les usages des classements au sein des universités participent d’une culture managériale, d’un « impératif gestionnaire » (Boure, 2010) qui a pris place dans le monde universitaire en pénétrant notamment l’espace communicationnel (Weingart et Maasen, 2007), sur lequel nous nous concentrons. La communication est devenue une fonction du management universitaire parmi d’autres, intégrée à son organisation et adaptée « au règne de l’image et aux règles de la communication institutionnelle » (Tristani-Potteaux, 1997). Or, le classement, dans l’« économie de la connaissance » comme ailleurs, fait aujourd’hui partie de la panoplie instrumentale du nouveau management public (Levoin et Oger, 2012 ; Bruno, 2008) et de la réputation qui se retrouve utilisée comme argument de communication par les institutions (D’Almeida, 2007) et intégrée aux actions prescrites du management communicationnel des universités.
3L’étude des usages discursifs des classements par les universités parisiennes au prisme de leurs traces sur leurs sites web permet d’appréhender dans quelle mesure et comment les classements des EESR affectent la « présentation de soi » (Goffman, 1979) institutionnelle à un public imaginaire. En complément d’autres études sur ce sujet (Barats et Leblanc, 2012), il s’agit d’articuler la mise en scène de soi aux propriétés génériques de l’instrument classement.
Propriétés génériques du classement
4Du point de vue des sciences sociales inspirées de la sociologie des sciences et des techniques et de la quantification, le classement est assimilé à un « instrument » considéré comme une « institution sociale » qui comporte à la fois une dimension technique et une dimension sociale depuis sa construction jusqu’à son instrumentation (Desrosières, 2008 ; Bruno, 2008 ; Lascoumes et Le Galès, 2005). On entend ici par « classement » un instrument de jugement d’entités fondé sur leur hiérarchisation résultant de la quantification de critères communs sélectionnés et prenant la forme canonique de la liste ou du tableau. Il peut encore être décrit, nous semble-t-il, par six propriétés irréductibles et reliées entre elles : 1) la calculabilité ; 2) la reproductibilité ; 3) la référentialité ; 4) l’homodifférencialité ; 5) la valuabilité ; 6) la simplicité.
5Le classement est un instrument de mise en calcul qui associe cardinalité et ordinalité. Il est l’équivalent de ce que les Anglo-saxons désignent par les termes de rating et ranking (Langville et Meyer, 2012). Le rating a d’abord une dimension cardinale en attribuant une valeur numérique à chaque item ou ensemble d’items. Le ranking quant à lui comporte d’abord une dimension ordinale en proposant une liste ordonnée d’items. À partir d’items ayant des valeurs numériques selon des critères communs, une liste hiérarchisée peut être établie. Le classement apparaît ainsi comme une technique particulière qui suppose un régime spécifique de calcul et de mise en ordre rendant commensurable ce qui est a priori incommensurable. Par exemple, le classement académique des universités mondiales par l’université Jioa Tong de Shanghai comporte quatre critères déclinés en indicateurs pondérés qui rendent les entités comparables. Pour chaque critère et pour l’ensemble, un « score » est calculé (rating) ; les différentes valeurs numériques sont ensuite ordonnées aboutissant à un ranking.
6La reproductibilité est liée d’une part aux changements de critères et de méthodologies, et d’autre part aux changements de valeurs numériques et d’ordre, qui confèrent aux classements leur multiplicité et leur répétition dans le temps. Les critères et les méthodologies sont toujours sélectionnés, produisant une « connaissance orientée » nouvelle (Karpik, 2005) qui autorise la coexistence d’une multiplicité de classements fondés sur différents critères et méthodologies. Quelques exemples au sein du corpus : classement académique des universités mondiales par l’université Jioa Tong de Shanghai, classement des universités mondiales du Times Higher Education, classement de Leiden, classement SMBG, classement de L’Étudiant, etc. Aussi, les universités ou formations peuvent toujours être plus ou moins bien classées dans différents classements selon les différentes représentations du monde académique qui ont cours. À l’intérieur de critères et de méthodologies stables, les valeurs numériques et, en conséquence, l’ordre peuvent changer et être recalculés et publiés de manière régulière. Une routine médiatique en orchestre la diffusion (Barats, 2012). D’une année sur l’autre, dans un même classement, la position des universités et des formations peut changer dans le classement. Cette dynamique peut avoir des conséquences sur les inscriptions des étudiants, le financement, l’image, la réputation, etc. En outre, se sachant surveillés, les acteurs des établissements peuvent devenir « réactifs » aux classements en adaptant leur comportement aux normes de l’instrument (Espeland et Sauder, 2007).
7Les classements hiérarchisent non pas de manière abstraite « n items » selon « a… b critères » mais bien des entités dont la désignation rappelle le « réel » (telle ou telle université, telle ou telle formation, tel ou tel critère). La référentialité inscrit l’instrument dans le monde social en délivrant une information pratique, c’est-à-dire pouvant être liée à l’action et à la décision : choisir une université ou une formation, pour les étudiants, ou encore, pour les universités, se gouverner en agissant sur la « satisfaction des étudiants », sur « l’insertion professionnelle », sur les formats de signature des articles, en reprenant quelques critères de certains classements.
8L’homodifférencialité est la double propriété que possèdent les classements à harmoniser en rendant comparable et à différencier les entités. Le classement unifie en établissant une relation commune entre les entités qui partagent la même échelle. Ce faisant, les entités sont appréciées dans le cadre d’une relation hiérarchique où l’hétérogénéité est diminuée. Dans le même moment, les classements différencient les entités en leur attribuant une position unique. Un rapport d’intervalle, d’écart, de magnitude est établi entre les entités acquérant leur singularité dans la série. Cette double propriété instaure un rapport de compétition entre les entités : la place dans un classement n’est jamais véritablement acquise et reste toujours empreinte d’incertitude, celle-ci étant déterminée de manière relative.
9Pour le type d’instrument qui nous intéresse ici, classer c’est aussi juger. Les classements incorporent une propriété de valuabilité en ayant une visée sociale permanente de production de jugement. En plus du jugement qui intervient notamment dans le choix des méthodologies et la pondération des critères, par la quantification et la hiérarchisation, les classements attribuent non simplement une valeur quantitative mais bien une valeur qualitative relative aux entités selon leur position : « en haut de » est aussi associé à « meilleur que » ; « en dessous de » est assimilé à « moins bon que », etc. La propriété de valuabilité des classements réside dans leur prétention à définir et à apprécier la valeur des entités, leur qualité. En tant que « dispositifs de jugement » agissant par délégation pour peu que des acteurs leur accordent leur confiance, les classements, par le type de connaissance qu’ils produisent, interviennent comme des intermédiaires entre un marché et des acteurs amenés à opérer des choix (Karpik, 2005).
10Les classements, enfin, prennent la forme canonique de la liste et du tableau, « technologie intellectuelle » ancienne de « mise en ordre de la connaissance » (Goody, 1979). Le tableau est l’aboutissement d’un processus complexe de création et de simplification de l’information et le vecteur d’une information nouvelle qui suppose l’élimination d’une vaste quantité d’informations jugées non pertinentes. Simplifiée, l’information gagne en accessibilité et en facilité de traitement pour un ensemble d’acteurs mais aussi en autorité (Espeland et Sauder, 2007). Effaçant les détails sur ses conditions de production, le tableau de classement devient un objet supposé plus réel que ce qui est laissé en dehors. Dissocié de son processus de production, il propose enfin une information décontextualisée qui autorise, parce qu’elle semble universelle, sa circulation et sa réutilisation à distance. En dehors de son foyer de production, le classement peut être alors réinvesti dans d’autres contextes où des acteurs peuvent s’en approprier le sens par la recontextualisation (Ibid.).
Classements et structure sous-jacente des universités parisiennes
11S’il existe une multitude de classements produits par divers acteurs (entreprises de presse, cabinets privés, pouvoirs publics et agences publiques, EESR, organisations internationales, centres de recherche, acteurs d’Internet, syndicats, etc.) à l’échelle nationale, européenne et internationale, leurs traces sur les sites web des universités parisiennes donnent la mesure de leur place au sein des universités. D’une université à l’autre, la référence aux classements d’universités varie de manière importante. Pour les 100 premiers résultats sur le moteur de recherche Google, la part des pages ayant trait aux classements d’universités dans une perspective de mise en valeur du soi est de 8 % (université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; 19 % (université Panthéon-Assas) ; 0 % (université Sorbonne Nouvelle) ; 0 % (université Paris-Sorbonne) ; 0 % (université Paris-Descartes) ; 18 % (université Pierre-et-Marie-Curie) ; 3 % (université Paris Diderot) ; 4 % (université Paris 8) ; 0 % (université Paris Ouest Nanterre La Défense) ; 13 % (université Paris Sud) ; 38 % (université Paris-Est Créteil) ; et 10 % (université Paris 13). L’instrument classement affecte partiellement et inégalement les universités parisiennes sous le coup d’une double logique : une logique de l’instrument, tel qu’il est construit, et une logique institutionnelle d’appropriation (Lebaron, 2008). D’une part, les universités sont passées au crible d’un instrument qui, loin d’être un miroir des EESR, est lui-même inégal et sélectif dans la représentation des diverses fonctions sociales des universités. D’autre part, l’appropriation de l’instrument par les établissements n’est ni mécanique ni uniforme. Parce que le classement modifie les équilibres entre les différents acteurs de la vie universitaire et de la recherche et qu’il met en cause la perception que ceux-ci ont de leur établissement, son usage est à la fois controversé et négocié au sein des universités selon leurs spécificités disciplinaires, l’intérêt variable des différents acteurs pour leur utilisation et les rapports de force entre ceux-ci, etc. (Ibid.)
12L’usage du classement relève d’une dynamique circulaire autour de la « présentation de soi » : la citation de classements par une institution dépend, dans une optique de mise en valeur du soi, de la présence d’une institution dans les classements. De ce point de vue, les universités parisiennes se partagent autour de deux principaux types de classements dont l’usage contribue à instituer deux catégories d’universités distinctes : les universités scientifiques ou à dominante scientifique utilisant principalement les classements internationaux dans lesquels elles sont présentes (34 % des occurrences), et les universités pluridisciplinaires utilisant principalement d’autres classements, généralement nationaux (classement commercial d’un cabinet privé [52 % des occurrences], classements médiatiques et classements des pouvoirs publics [chacun 6 % des occurrences], classements produits par des acteurs de l’internet [1 % des occurrences] et classement d’un syndicat étudiant [1 % des occurrences]).
13Ce partage hiérarchise de manière sous-jacente les établissements. Malgré la multiplication des classements internationaux depuis 2003, seulement 1 % à 3 % des 17 000 « universités mondiales » sont aujourd’hui visibles dans ces classements (Rauhvargers, 2011). Le nombre limité d’établissements et l’accès restreint à ces classements confèrent aux happy few présents dans ceux-ci le statut d’université d’élite et de prestige (Winston, 2000, cité par Hazelkorn, 2011). Dans deux des universités parisiennes spécialisées en sciences dures (université Pierre-et-Marie-Curie et université Paris Sud) les références abondantes et presque exclusives aux classements internationaux assoient la représentation d’une catégorie spécifique d’universités. Dans l’architecture des sites, les classements occupent une place qui tend à les associer à l’image institutionnelle : rubriques « université », « politique d’établissement », « politique de recherche » ou site relié de la fondation d’une université. Intégrés à l’image institutionnelle, ils sont mentionnés en outre dans divers documents promotionnels : guides à destination des personnels ou des étudiants, journaux internes, fiches de postes pour recrutement, chiffres clés. Les universités apparaissent comme faisant partie d’un groupe sélectif et prestigieux des meilleurs établissements au sein d’un triple ancrage territorial, la France, l’Europe et le monde : « meilleures universités européennes », « meilleures universités du monde » ; « fait partie des six établissements français présents dans le top 100 des meilleurs établissements mondiaux ». Les classements internationaux s’accompagnent au sein des établissements d’un discours unifié sur l’université représentée comme une entité homogène et prestigieuse associée en tant que telle aux classements et à l’excellence de la recherche.
14Pour les universités pluridisciplinaires utilisant d’autres classements, généralement nationaux, l’usage opère surtout à l’échelle des formations. Les classements utilisés par ces universités portent eux-mêmes essentiellement sur les formations, et comportent des discontinuités : les arts et les humanités, particulièrement présents dans les universités Sorbonne Nouvelle, Paris-Sorbonne et Paris Ouest Nanterre La Défense, sont très peu concernés par les classements des formations comme aussi les sciences naturelles ; les usages discursifs des classements sont concentrés autour des disciplines des sciences de la gestion, de l’économie, du droit et de l’ingénierie (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Panthéon-Assas, Paris 8, Paris-Est Créteil et Paris 13) ; enfin, les formations dites « professionnalisantes » (licences professionnelles et masters professionnels) sont nettement plus présentes que les formations dites « généralistes » (licences, masters). Dans l’architecture des sites, les références aux classements apparaissent dans les mini-sites dédiés aux formations, dans les rubriques « diplômes » ou « formation », ou encore sur le site relié d’une association étudiante, et figurent dans des documents diffusés de présentation des formations. Les usages discursifs des classements se retrouvent dispersés, agissant principalement dans l’image des formations : « meilleurs bachelors » ; « meilleures licences professionnelles de France » ; « meilleurs masters de France », etc.
Motifs de mise en valeur par le classement : la présence, la position, la progression et la comparaison
15La légitimité et l’appropriation de l’instrument classement résident non seulement dans la capacité de ses promoteurs, souvent des entreprises privées, à rendre acceptables les méthodologies et les critères pour les différents acteurs concernés, mais aussi dans la capacité à mettre potentiellement en valeur les entités appréciées (Bouchard, 2012). La mise en valeur des entités est censée servir la mise en valeur du classement et de l’institution qui en est à l’origine ; à l’inverse, la dévalorisation des entités comporte le risque de dévaloriser et le classement et son producteur. Les classements médiatiques des hôpitaux, par exemple, sont devenus plus acceptables en passant de la « liste noire » aux « meilleurs » établissements hospitaliers (Pierru, 2009).
16La présentation de soi par les universités se retrouve en partie façonnée par la structure isotopique du classement, structure elle-même réinterprétée ou recontextualisée au prisme d’une attention centrée sur la mise en valeur du soi. Le classement donne lieu à une fabrique structurée du soi valorisé, à une « figuration à travers le chiffre » organisée (Jeanneret, 2010), qui se déploie autour de quatre motifs récurrents : 1) la présence ; 2) la position ; 3) la progression ; 4) la comparaison.
17Le tableau de classement délimite un dedans (visible et ordonné) et un dehors (invisible et désordonné) gérant la présence et l’absence des entités. La présence dans un classement constitue un premier motif discursif de mise en valeur du soi dont l’usage laisse parfois en arrière-plan une position « anonyme » (Mercier, 2012) dans un classement. « Le Times Higher Education publie un palmarès international basé sur la réputation, Polytechnique et Paris 1 seuls Français présents » ; « L’UPMC dans le classement de Shanghai » ; « Paris 13 dans le Times Higher Education » ; « Le Master Executive du CIFFOP cité dans le palmarès des meilleures formations ».
18Le classement hiérarchise les entités et leur attribue avec l’ordre une position et une qualité relatives, instituées en « actif » pour les EESR qui prennent en charge la publicisation de leur position. Sa mise en valeur est d’autant manifeste que celle-ci est élevée : en dessous d’un certain seuil, le capital positionnel se dilue et devient moins signifiant dans la communication institutionnelle. Les titres d’actualités renvoient généralement à des positions élevées dans les classements : « Paris School of Economics (PSE) classée 12e département d’économie au monde » ; « En 2012, avec 20 cursus figurant parmi les 10 premiers de leur catégorie (dont 5 au 1er rang et 12 récompensés par 4 étoiles), l’Université Panthéon-Assas confirme sa place dans le palmarès » ; « L’Institut français de presse est classé 4e par le site internet Streetpress » ; « Paris-Diderot : # 1 ! ». La présentation de la position des universités dans les classements internationaux procède d’une logique similaire par la réécriture territoriale de la position et de sa valeur relative et symbolique : 1er et 2e établissements français, 7e et 8e européens, 40e et 41e mondiaux. Enfin, la position dans un classement peut être utilisée comme un label visuellement repérable certifiant et attestant auprès des publics la qualité des formations. Par exemple, à l’université Paris Est-Créteil, les documents de présentation de certaines licences professionnelles inscrivent le classement dans une formule stabilisée, quelle que soit la position : « La qualité de notre formation est reconnue puisqu’elle est 10e (3 étoiles) au classement SMBG 2011 des meilleurs bachelors en négociation, vente, commerce » ; « La qualité de notre formation est reconnue puisqu’elle est 4e (3 étoiles) au classement SMBG 2012 des meilleurs bachelors en banque-finance ».
19Par sa reproductibilité dans le temps, le classement agit comme un instrument de surveillance de l’évolution des entités, évolution relative aux résultats des autres entités qui se traduit par trois états : la progression, la stabilité et la régression de la position dans un classement. La progression dans un classement constitue un motif discursif d’auto-valorisation institutionnelle particulièrement présent au sein des établissements cités dans les grands classements internationaux. « L’UPMC continue sa progression dans le classement de Taïwan – En 2011, l’UPMC progresse de 9 places et occupe la 42e place mondiale du classement de Taïwan. » ; « C’est en effet le 14 août que l’“Academic Ranking of World Universities (ARWU)” – plus connu sous l’appellation de classement de Shanghai – a publié son dernier palmarès plaçant l’Université Paris-Sud en tête des établissements français, à la 40e place mondiale et 7e européenne. Une belle progression de 5 places par rapport à 2010. » ; « Progression de trois licences professionnelles sur cinq au classement SMBG ».
20Enfin, le classement s’accompagne d’une mise en scène de soi par la comparaison avec les autres entités qui procède d’un double mouvement, d’une distinction de soi dans la compétition avec d’autres entités et d’un rapprochement avec d’autres entités concurrentes dont le prestige se retrouve associé aux « nouveaux voisins » (Espeland, 2012) qui peuplent le paysage du classement. « Ce résultat traduit une progression globale de 5 places par rapport au palmarès 2010, mettant cette fois Paris-Sud devant l’UPMC (41e) et l’ENS Ulm (69e), ces trois établissements étant, comme dans le passé, les seuls établissements français classés dans le top 100 du palmarès de Shanghai. Les universités américaines continuent de truster les premières places de ce classement avec Harvard, Stanford, le MIT et Berkeley aux 4 premières places devant Cambridge. »
21Par le biais d’une analyse discursive des classements sur les sites web des universités parisiennes, cet article s’est attaché à montrer comment l’instrument normé et structuré du classement, proliférant dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis les années 1970-1980 (Bouchard, 2012), affecte et oriente aujourd’hui le discours de communication institutionnelle destiné à la promotion des établissements auprès de leurs publics. L’espace de la communication institutionnelle met en veille les controverses sur les classements ayant cours dans les coulisses internes des universités ou dans les espaces médiatique, scientifique et politique ; l’instrumentation du classement s’allie au management de l’image des universités et à la mise en scène favorable de soi qui suppose la neutralisation des débats sur l’instrument qui la sert (Karpik, 2012). Or derrière cette apparente neutralisation ou naturalisation sont mises en tension la quête de performance et de qualité, et la lutte contre les inégalités au sein du système universitaire français.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : sites web, classement, présentation de soi, université, image, communication, recherche
Mise en ligne 25/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/51576