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Article de revue

La DMZ coréenne, une frontière paradoxale

Page 86

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1Le drame de la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées est connu. Il se noue aux débuts de la guerre froide, en août 1945, lorsque les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) décident de se partager la péninsule coréenne et choisissent le 38e parallèle comme ligne de démarcation. Cette division qui ne satisfait personne débouche sur la guerre de Corée (1950-1953), épouvantable massacre qui fait près de trois millions de morts et ne règle rien. Faute de mieux, à l’armistice de Panmunjeom (27 juillet 1953), on en revient au statu quo ante.

2Soixante ans après, rien n’a changé : il y a toujours deux Corées qui, techniquement, sont encore en guerre puisqu’elles n’ont pas signé de paix. Et pour souligner que s’il n’y a qu’une seule population, une seule culture et une seule langue coréennes, il y a bien deux États antagonistes, la République de Corée (au sud) et la République populaire démocratique de Corée (au nord) sont séparées par un cordon sanitaire hermétiquement clos de 238 kilomètres sur 4, qu’on appelle la DMZ (demilitarized zone).

3Ironiquement, cette zone démilitarisée est une des zones les plus militarisées au monde. Truffée de postes militaires, de miradors et de batteries de canon, elle est gardée par plus d’un million d’hommes et serait intégralement minée. Loin d’apaiser les tensions, elle a surtout servi à les attiser. Depuis 1953, il ne s’est pas passé une seule année sans incident : échauffourée entre soldats, échanges de coups de feu, creusement de tunnels d’invasion ou passages de clandestins.

4Il y a pourtant un paradoxe DMZ. Malgré son absurdité tragique, n’a-t-elle pas finalement servi d’abcès de fixation ? En cristallisant, voire en ritualisant le conflit Nord-Sud sur quelques kilomètres, elle a empêché que les deux Corées ne repartent en guerre sur d’autres terrains. C’est même quand il n’y a pas de DMZ que le bât blesse. En mer Jaune, où les eaux territoriales sont mal délimitées, pêcheurs du Sud et marins du Nord se livrent désormais à une « guerre du crabe » qui, en novembre 2010, a bien failli dégénérer en guerre ouverte, lorsque Pyongyang a bombardé l’île sudiste de Yeonpyeong.

5Mieux encore, c’est grâce à la DMZ que les deux sœurs ennemies restent en contact. Adossé à la section ouest, le parc industriel de Kaesong, inauguré en 2005, permet chaque jour à près de 50 000 Coréens, du Nord et du Sud, de travailler ensemble. Établi sur sa section est, le circuit touristique des monts Kumgang a d’ores et déjà attiré un million de touristes du Sud vers le Nord. Sur la DMZ elle-même, le dialogue n’a jamais été interrompu. Il est souvent confraternel, et parfois davantage comme l’a relaté Joint Security Area, un très beau film de Park Chan-wook (2000), où des soldats des deux camps finissent par nouer de véritables liens d’amitié.

6Et demain, pour cette péninsule ultra-industrialisée qui se découvre l’âme écologique, la DMZ représente un atout extraordinaire. Préservée de toute intervention humaine depuis un demi-siècle, elle est devenue un poumon vert doublée d’un sanctuaire pour les oiseaux migrateurs. Les environnementalistes s’enthousiasment, l’Unesco envisage un classement et, comme de juste, Yann Arthus-Bertrand vient d’organiser une exposition à Séoul (mars 2012) sur la « DMZ vue du ciel ».


Date de mise en ligne : 02/11/2013

https://doi.org/10.4267/2042/48323

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