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Article de revue

Le journal des années noires revisité

Pages 35 à 48

Notes

  • [1]
    Lucien Febvre, « Une tragédie, trois comptes rendus (1940-1944) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 3e année, n° 1, 1948, pp. 51-68. Les références des trois ouvrages sont les suivantes : Léon Halkin, À l’ombre de la mort, préface de François Mauriac, Paris, Tournai, Casterman, 1947 ; Jean Guéhenno, Journal des années noires (1940-1944), Paris, Gallimard, 1947 ; Léon Werth, Déposition, Journal 1940-1944, Paris, Grasset, 1946.
  • [2]
    Le Comité d’histoire de la Guerre est créé par le décret du 6 juin 1945. Il est présidé par Lucien Febvre dès sa naissance. Organisme interministériel rattaché à la présidence du Conseil, il est chargé de coordonner les travaux de la Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France créée le 20 octobre 1944. Les deux institutions fusionnent en décembre 1951 pour former le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
  • [3]
    Henri Michel, « Avant-propos », in Les idées politiques et sociales de la Résistance (Documents clandestins, 1940-1944), Textes choisis et introduits par Henri Michel et Boris Mirkine-Guétzévitch, Paris, Presses universitaires de France, 1954, p. VII.
  • [4]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 51. Une note précise : « On sait que J. N. Cru, dans un livre intitulé Témoins, a procédé à l’examen critique des livres de Souvenirs de 1914. » Voir Jean-Norton Cru, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929.
  • [5]
    Comme le révèle l’inventaire réalisé dans le cadre du projet « EGO 1939-1945 » (Écrits de Guerre et d’Occupation), et disponible sur le site http://www.ego.1939-1945.crhq.cnrs.fr/. Voir dans le présent dossier l’article de Laurent Joly et Françoise Passera.
  • [6]
    La « déposition » de Marc Bloch a paru deux ans avant l’article de Febvre. Marc Bloch, L’Étrange Défaite : témoignage écrit en 1940, avant-propos de Georges Altman, Paris, Société des Éditions « Franc-Tireur », 1946.
  • [7]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 52.
  • [8]
    Léon Halkin fut arrêté par la Gestapo, pour ses activités résistantes, le 17 novembre 1943. Il fut d’abord incarcéré à Breendonk, dans la banlieue d’Anvers, puis à la prison bruxelloise de Saint-Gilles. Déporté à Gross-Strehlitz, près d’Auschwitz, il fut ensuite enfermé à Gross-Rosen, puis à Dora. De là, il échoua à Nordhausen, d’où il fut libéré le 11 avril 1945.
  • [9]
    Jean Guéhenno enseigna les lettres aux khâgneux des meilleurs lycées parisiens à partir de 1927. En poste au lycée Henri IV à la rentrée d’octobre 1940, il fut nommé l’année suivante à Louis-le-Grand. À la rentrée de 1943, il fut sanctionné et rétrogradé professeur de Première au lycée Buffon. Se reporter à Patrick Bachelier, « Jean Guéhenno professeur sous l’Occupation », in Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux (éds), Jean Guéhenno, guerres et paix, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009, pp. 119-132.
  • [10]
    Léon Werth était juif, il quitta Paris pendant l’exode et se réfugia dans son pied-à-terre jurassien de Saint-Amour. Il résida quelque temps à Bourg-en-Bresse, d’où il se rendit plusieurs fois à Lyon. Il regagna son domicile parisien en janvier 1944.
  • [11]
    La « déposition » de Marc Bloch a paru deux ans avant l’article de Febvre. L’Étrange Défaite : témoignage écrit en 1940, avant-propos de Georges Altman, Paris, Société des Éditions « Franc-Tireur », 1946.
  • [12]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 51
  • [13]
    Lucien Febvre qualifie À l’ombre de la mort de « livre de méditations […] et de réflexions », ce n’est pas pour lui un livre de « souvenirs », ibid.
  • [14]
    La base EGO recense 15 journaux personnels publiés en 1944, 41 en 1945, 40 en 1946, 23 en 1947 et 24 en 1948. Nous avons pris en compte ici les « journaux ou carnets » et « les récits ; journaux ou carnets ». Se reporter aux définitions des genres littéraires retenues pour le projet : http://www.ego.1939-1945.crhq.cnrs.fr/genreslitteraires.pdf
  • [15]
    Béatrice Didier, Le journal intime, Paris, Puf, 1976, p. 12.
  • [16]
    « Au fond de l’abîme, au fond de cette prison où nous sommes, quelle tentation de fuir […]. » Entrée du 22 février 1941. On relève plus de 30 occurrences des mots « prison » ou « prisonnier », avec cet emploi imagé. Jean Guéhenno, Journal des années noires 1940-1944, présenté et annoté par Jean-Kely Paulhan et Patrick Bachelier, Paris, Gallimard, « Folio », 2014, p. 121. Toutes les citations qui suivent portant la référence abrégée « JAN, 2014 » renvoient à cette édition.
  • [17]
    Expression empruntée à Philippe Artières, « Les écrits de la révoltes. La prise d’écriture des détenus (1970-1972) », in Drôle d’époque, Printemps 2001, n° 8, pp. 37-47.
  • [18]
    Ces fonctions sont décrites par Philippe Lejeune dans « Le journal d’Hélène Berr », in Bruno Curatolo et François Marcot (dir.), Écrire sous l’Occupation. Du non-consentement à la Résistance. France-Belgique-Pologne. 1940-1945, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 15-23.
  • [19]
    Pierre Limagne, Éphémérides de quatre années tragiques, 1940-1944 : Tome 2. De Stalingrad à Messine, Paris, Bonne presse, 1946.
  • [20]
    Julien Green, Journal 1940-1943, Paris, Plon, 1946.
  • [21]
    Élie Borschak, Huit mois à la Santé : Journal (1940-1941), Montreuil-sous-bois, Éd. Franco-ukrainiennes, 1946.
  • [22]
    Janine Bouissounouse, Maison occupée, Paris, Gallimard, 1946.
  • [23]
    Madeleine Ledoux, Les Bottes sur le tapis : Journal d’une occupée, Nîmes, Éd. des Arceaux, 1946.
  • [24]
    Germaine Renard, À Domfront sous les bombes : 24 mai-24 août 1944, Paris, Jouve, 1946.
  • [25]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 53.
  • [26]
    Ibid., p. 68.
  • [27]
    Notre exploration est restée limitée à quelques travaux récents. L’ouvrage est notamment exploité par André Sellier dans Histoire du camp de Dora, préface d’Edward Arkwright, Paris, La Découverte, 1998, et par Marie Bornand dans Témoignage et fiction : les récits de rescapés des camps dans la littérature de langue française (1945-2000), Genève, Droz, 2004.
  • [28]
    Léon Werth, Déposition : journal 1940-1944, présentation et notes de Jean-Pierre Azéma, Paris, Viviane Hamy, 1992. Le Villeneuve imaginé par Frédéric Krivine et Philippe Trébois, scénaristes de la série télévisée Un village français, dont le conseiller historique est le même Jean-Pierre Azéma, ressemble étrangement à Saint-Amour. Le personnage de Jules Bériot, directeur d’école franc-maçon et résistant, tient d’ailleurs un journal…
  • [29]
    Philippe Burrin fait six fois référence à Déposition dans La France à l’heure allemande 1940-1944, Paris, Seuil, 1995. Julian Jackson le cite cinq fois dans La France sous l’Occupation 1940-1944, Flammarion, 2004 (2001 pour l’édition originale).
  • [30]
    L’ouvrage n’est pas cité dans la bibliographie de Robert Aron, Histoire de Vichy 1940-1944, Paris, Fayard, 1954, qui possède pourtant une rubrique consacrée aux « Mémoires », intégrant plusieurs journaux personnels édités. Henri Michel dans Les Courants de pensée de la résistance, Paris, PufF, 1962, cite à trois reprises, dans la section « Sources et bibliographie », l’« écrivain résistant » Jean Guéhenno, sans jamais mentionner le journal. Robert Paxton dans La France de Vichy 1940-1944, préface de Stanley Hoffmann, Paris, Le Seuil, 1973 (1972 pour l’édition originale), cite une dizaine de fois Jean Guéhenno. Philippe Burrin, op. cit., et Julian Jackson, op. cit., s’appuient sur l’œuvre une dizaine de fois également.
  • [31]
    En 1966, 1973, 2002, et 2014.
  • [32]
    Archives Gallimard, citées par Jean-Kély Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 15.
  • [33]
    Édith Thomas, « Les années noires », in La Quinzaine littéraire, 15 au 30 novembre 1966, p. 25.
  • [34]
    Voir Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, « Pluriel », 2013, p. 65.
  • [35]
    La première occurrence de l’expression apparaît beaucoup plus tard, dans un article du Monde daté du 16 avril 1992. Se reporter à Sébastien Ledoux, « Pour une généalogie du “devoir de mémoire” en France », disponible sur : http://centrealbertobenveniste.org/formail-cab/uploads/Pour-une-genealogie-du%20devoir-de-memoire-Ledoux.pdf, p. 3, site consulté en janvier 2015.
  • [36]
    Édith Thomas, art. cit.
  • [37]
    Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, « Points Histoire », 1990, pp. 149-154.
  • [38]
    Jean Guéhenno, Diary of the Dark Years, 1940-1944, Collaboration, Resistance, and Daily Life in Occupied Paris, traduit et annoté par David Ball, Oxford University Press, 2014.
  • [39]
    Alice Kaplan, « Shedding Light on Nazi-Occupied Paris, David Ball’s Translation of “Diary of the Dark Years” », The New York Times, 25 juin 2014. The Chicago Tribune, The New Republic et, en Grande-Bretagne, The Independant, ont également rendu compte de l’événement.
  • [40]
    Gisèle Sapiro, « Revaloriser la traduction dans un environnement hostile : le marché éditorial aux États-Unis », in Gisèle Sapiro (dir.), Traduire la littérature et les sciences humaines : conditions et obstacles, Paris, La Documentation française, 2012, pp. 57-108.
  • [41]
    Selon les mots de l’éditeur, rapportés par le traducteur. Entretien par questionnaire avec le professeur David Ball, mai 2015.
  • [42]
    Entretien avec le Professeur David Ball, mai 2015. Voir Alan Riding, And the Show Went On: Cultural Life in Nazi-Occupied Paris, New-York, Knopf, 2010.
  • [43]
    « En Angleterre, un professeur de faculté a dit qu’il le ferait lire dans ses cours », informe David Ball. Entretien avec lui, mai 2015.
  • [44]
    Voir Henry Rousso, « Histoire et mémoires des années noires », Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de Jean-Pierre Azéma, Institut d’études politiques de Paris, 2000, p. 6.
  • [45]
    Les articles réunis dans Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux (éds), Jean Guéhenno…, op. cit., offrent l’approche biographique la plus complète.
  • [46]
    Le sobriquet d’« écrivain du dimanche » est de Jean-Paul Sartre. Selon Paul Léautaud, Gide aurait dit : « Comme il y a des gens qui parlent du nez, M. Guéhenno parle du cœur ». Voir Jean Touchard, La Gauche en France, Paris, Seuil, 1977, p. 218.
  • [47]
    La présentation de l’auteur, dans la réédition de 1966, raconte : « Jean Guéhenno est né à Fougères en 1890 (I. & V.) où ses parents étaient ouvriers. Lui-même employé d’usine jusqu’à dix-sept ans, obtint une bourse pour préparer le concours de l’Ecole Normale Supérieure. […] Jean Guéhenno a été élu à l’Académie française en 1962. » Voir Journal des années noires, Paris, Gallimard, « Le livre de proche », 1966, p. 1.
  • [48]
    Jean Guéhenno, Caliban parle, Paris, Grasset, 1928.
  • [49]
    Id., Journal d’un homme de quarante ans, Paris, Grasset, 1934.
  • [50]
    Id., Journal d’une « révolution » 1937-1938, Paris, Grasset, 1939.
  • [51]
    C’est une « préface auctoriale assomptive originale ». Elle « a pour fonction cardinale d’assurer au texte une bonne lecture ». Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « Poétique », 1987, p. 183.
  • [52]
    Philippe Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944, Paris, Seuil, 1995, p. 338.
  • [53]
    « L’un de ses métiers était d’écrire mais il se taisait. Sa chance était de ne pas être contraint à écrire pour vivre. Il vivait d’un autre métier. Il avait renoncé à toute publication ouverte. » « Préface », JAN, 2014, p. 21.
  • [54]
    Publiée dans l’après-guerre : Jean Guéhenno, Jean-Jacques. Histoire d’une conscience, 2 vol., Paris, Grasset, 1948 et 1950.
  • [55]
    JAN, 2014, p. 87.
  • [56]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance 1926-1968, Paris, Gallimard, 2002, pp. 251-252. Il ne peut s’agir que d’un projet de publication clandestine.
  • [57]
    Jean Paulhan, cité par Jean-Kely Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 10.
  • [58]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 153.
  • [59]
    Ibid., p. 153.
  • [60]
    Jean-Kely Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 9.
  • [61]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 52.
  • [62]
    Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.
  • [63]
    Id., Les Brouillons de soi, Paris, Seuil, 1998, p. 125.
  • [64]
    JAN, 2014, p. 22.
  • [65]
    Philippe Lejeune, ibid., p. 317.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Ce manuscrit ainsi que d’autres sources ont permis d’identifier, en notes, certains des « X » évoqués dans le texte. Voir par exemple « Notes et sources », in JAN, 2014, note 68, p. 478, avec l’identification d’Armand Petitjean. Ce procédé d’anonymisation a été choisi par Guéhenno, au moment de la préparation du texte publié, pour priver, dit-il, « la traîtrise, la sottise et la vanité » du « dernier éclat que leur donnerait un nom ». « Préface », in JAN, 2014, p. 23. Voir également Patrick Bachelier, « Note sur le texte », ibid., p. 17. Quelques passages inédits, tirés d’entrées correspondant aux années noires (juin 1940-août 1944) sont retranscrits en note, voir par exemple « Notes et sources », ibid., note 5, p. 486.
  • [68]
    Nous remercions Patrick Bachelier qui nous a fourni ces précieuses informations.
  • [69]
    « Notes et sources », in JAN, 2014, note 71, p. 478.
  • [70]
    « Notes et sources », in JAN, 2014, note 46, p. 476.
  • [71]
    Correspondance Jean Guéhenno-Louis Guilloux (1927-1967). Les paradoxes d’une amitié, édition de Pierre-Yves Kerloc’h, La Part commune, 2011, p. 567. À l’automne 1944, Guéhenno écrivait déjà à Paulhan : « Je vais recopier le Journal et je vous le montrerai. » Voir Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 321.
  • [72]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 323.
  • [73]
    Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
  • [74]
    Nous suivons ici les remarques d’Alban Cerisier et Pascal Fouché, « Un siècle d’édition », in Gallimard 1911-2011, un siècle d’édition, Paris, Bibliothèque nationale de France-Gallimard, 2011, pp. 42-48.
  • [75]
    Selon Anne Simonin, « L’art de la fugue : le catalogue de Gallimard, 1940-1944 », in Gallimard 1911-2011, lectures d’un catalogue, Paris, Gallimard, 2012, p. 65.
  • [76]
    Ibid., p. 100.
  • [77]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 318.
  • [78]
    Comme dans la notation du 24 janvier 1941 : « Drieu réunit ses derniers articles et me les envoie […]. Nous n’avons aucun moyen de dire à ses messieurs ce que nous pensons de leur activité. […] Le pire c’est qu’ils essaient de faire passer notre silence et le parti que nous avons pris de ne rien publier pour une lâcheté. “Par bonheur, écrit l’un d’eux dans le dernier numéro de la N.R.F., ni Voltaire, ni Diderot ne raisonnaient ainsi.” Les hommes qui tendent leurs mains aux chaînes se donnent pour des Voltaire… »
  • [79]
    Ces chiffres sont donnés par Jean-Kely Paulhan, JAN, op. cit.
  • [80]
    Voir Alban Cerisier et Pascal Fouché (dir.), Gallimard 1911-2011, un siècle d’édition, Paris, BNF-Gallimard, 2011, p. 42.
  • [81]
    Lettre de Jean Paulhan datée du 27 juillet 1947. Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 359.
  • [82]
    « Préface », in JAN, 2014, p. 22.
  • [83]
    Lettre datée du 25 septembre 1944, Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 317.

Une tragédie, des comptes rendus : le journal dans le flot éditorial de l’après-guerre

1 En 1948, Lucien Febvre propose, dans les Annales, un compte rendu fort élogieux de trois livres récemment parus : À l’ombre de la mort de Léon Halkin, Journal des années noires de Jean Guéhenno et Déposition de Léon Werth [1]. Il préside alors le Comité d’histoire de la Guerre [2] et défend, à ce titre, l’idée que Clio peut et doit se saisir de ce passé brûlant. C’est cette position qu’il exprime clairement quelques années plus tard, en préfaçant un ouvrage d’Henri Michel :

2

Attendons, attendons quarante ans ; alors, les acteurs de la tragédie étant morts, ou moribonds, les historiens pourront, toutes cendres refroidies, commencer à retirer sans se brûler les marrons tout cuits de la légende officielle [3].

3 Son enthousiasme pour ces « trois compte rendus » donne quelques éléments de réponse à la question inévitable des sources. D’emblée, Febvre en appelle d’ailleurs à l’indispensable travail de critique historique : ces témoignages et tous les autres, écrit-il, « attendent leur John Norton Cru [4] ». Lui-même s’y attelle déjà, en quelque sorte : sa belle chronique des Annales fait émerger les trois livres de la masse des publications à caractère autobiographique qui ont paru, alors, depuis 1944, soit près de 700 ouvrages [5]. Le parcours exemplaire dans la tourmente de ces trois intellectuels engagés compte pour beaucoup, c’est évident, dans sa préférence [6]. L’historien admire également, chez tous, les qualités de l’esprit critique, tout en remarquant l’intérêt de leur « observatoire [7] » respectif : les cachots et camps où fut successivement interné l’historien belge Léon Halkin [8], la chaire parisienne du professeur Jean Guéhenno [9] et enfin le bourg de Saint-Amour, exil de l’écrivain Léon Werth [10]. Les trois témoins lui évoquent, presque naturellement, le souvenir de Marc Bloch [11].

4 Décrivant rapidement le flot éditorial duquel il extrait les trois ou­vrages, Lucien Febvre souligne l’importance des textes qui « prennent forme de journal intime [12] ». C’est bien ce que prétendent donner à lire Jean Guéhenno et Léon Werth : le fruit d’une écriture de soi, sur le vif, au jour le jour, sans ajout ni retouche, et qui se présente comme une succession d’entrées datées [13]. 143 journaux personnels, tenus pendant la Seconde Guerre mondiale, avaient ainsi été publiés, avec plus ou moins d’écho, entre 1944 et 1948. Cet ensemble représente 20,5 % des écrits autobiographiques édités durant ces cinq années [14]. Un tel poids éditorial rend bien compte de l’importance des pratiques d’écriture personnelle durant la guerre, et du journal en particulier. Ce dernier « naît aisément d’une situation carcérale [15] » et c’est bien la métaphore de la prison que file Jean Guéhenno pour dire la situation des Français occupés [16]. Les différents malheurs du temps – séparations, exils, violences et deuils – déclenchèrent d’innombrables « prises d’écriture [17] » diaristes, les fonctions du carnet étant notamment de pallier l’absence, d’épancher la douleur [18].

5 Lucien Febvre ne retient ici que des textes autobiographiques rédigés par des personnalités dont le métier était d’écrire et qui s’inscrivaient, bon gré mal gré, dans des traditions intellectuelles et littéraires codifiées. Ils sont majoritaires dans ces publications d’après-guerre. Ainsi, en 1946, année où paraît Déposition, plus de la moitié des 40 journaux personnels édités sont ceux d’intellectuels, faisant profession de journaliste, tel Pierre Limagne [19], d’écrivain, comme Julien Green [20] ou d’universitaire, tel Elie Borschak [21]. La journaliste Janine Bouissounouse [22] est la seule femme parmi eux.

6 L’historien délaisse en revanche les écritures ordinaires, dues à des anonymes. Si, dans leur très grande majorité, ces textes profanes n’ont pas été publiés, certains l’ont été dès l’après-guerre. Ainsi, toujours en 1946, ont paru deux journaux personnels rédigés par des femmes sans profession et sans réputation : Madeleine Ledoux [23] et Germaine Renard [24]. Il est certain que de tels textes, signés par des inconnus, édités par de petites maisons provinciales, parfois à compte d’auteur, dans des tirages limités, firent moins de bruit que le Journal de Green. Mais la négligence de Lucien Febvre pour cette catégorie n’en est pas moins révélatrice d’une conception du bon témoignage où priment les dispositions intellectuelles du témoin, comme en attestent les compliments, au parfum de corporatisme, qu’il adresse à Léon Halkin :

7

C’est très beau. Et je ne puis m’empêcher de remarquer que cet homme était un historien. Qui ne fait pas de l’éloquence. Ou du mélodrame. Qui s’analyse. Analyse les autres. Et se posent des problèmes [25].

8 Dans les dernières lignes de sa chronique, le professeur au Collège de France s’interroge avec malice : « Les historiens. Mais liront-ils ces livres [26] ? » La réponse à donner aujourd’hui n’est pas la même pour les trois documents. La postérité du Journal des années noires, dans la communauté historienne et en dehors, le classe à part.

La couleur des années noires… et des « Dark Years »

9 Soutenu par une préface de François Mauriac à sa parution, en 1946, le livre de Léon Halkin a été réédité en 1965, puis en 1985. Il est régulièrement cité dans les ouvrages sur l’histoire et la littérature concentrationnaires [27]. La Déposition de Léon Werth avait paru confidentiellement en 1946, chez Grasset, éditeur très affaibli après-guerre. Elle connut dès lors un long oubli avant qu’une réédition critique, réalisée par l’historien Jean-Pierre Azéma en 1992, n’en rappelle les grandes qualités [28]. Déposition figure toujours en bonne place, depuis, dans la liste des témoignages cités dans les ouvrages historiques sur la période [29]. Elle rejoint ainsi le Journal des années noires, qui en occupe très souvent la tête, loin des suivants. Le livre de Jean Guéhenno est en effet devenu, au moins depuis la « révolution paxtonienne », une sorte de témoignage canonique sur la période [30].

10 Le livre a connu quatre rééditions, toutes en livre de poche [31], destin confirmant le pronostic de l’éditeur, formulé dès 1947. Gaston Gallimard était en effet persuadé que le Journal « constituera[it] un ouvrage de fonds dont la diffusion sera[it] régulière [32] ». Un tel format suppose des tirages conséquents, pouvant se chiffrer, au total, à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. À leur rythme, les rééditions successives ont été en moyenne épuisées tous les cinq ans. Celle de 1966 avait été chroniquée dans La Quinzaine littéraire par Édith Thomas, proche amie de Guéhenno, qu’elle avait côtoyé au Comité national des écrivains (CNE). Trois ans après la panthéonisation de Jean Moulin, la résistante communiste y dressait le constat d’une mémoire faible de la période, en particulier chez ceux qui ne l’avaient pas vécue :

11

Que représente ce passé qui fut le nôtre, pour les jeunes d’aujourd’hui ? Je ne sais trop. Nous ne nous intéressions guère, dans notre jeunesse, au conflit de 1914-1918, ni aux souvenirs de nos pères. Et aujourd’hui, s’il nous arrive d’évoquer la Résistance, c’est avec le sentiment de jouer le rôle de demi-soldes de l’Empire, sous la Restauration [33].

12 La Seconde Guerre mondiale était d’ailleurs mise au programme scolaire de la classe terminale à la rentrée de 1965, alors qu’elle était entrée dans les programmes du secondaire, en classe de première, seulement quatre ans plus tôt [34]. La réédition de 1966 s’inscrivait aussi dans ce contexte : les professeurs et leurs élèves disposaient d’un témoignage riche. Édith Thomas recommandait également la lecture de l’ouvrage en raison de son actualité brûlante, formulant une sorte de « devoir de mémoire » avant la lettre [35] :

13

Et pourtant, ce qui fait l’originalité du conflit de 1939-1945, c’est qu’il soulevait des problèmes qui ne sont nullement résolus. Le fascisme n’est pas mort et peut toujours ressurgir, l’idéologie du nazisme […] peut renaître sous d’autres formes : le racisme, l’antisémitisme n’ont nullement disparu de par le monde, la Gestapo a fait école, comme on le vit bien dans les tortures de la guerre d’Algérie, les nostalgiques de la croix gammée forment encore une puissante franc-maçonnerie, de Tokyo à Los Angeles. C’est pourquoi l’expérience que nous avons faite peut encore servir d’avertissement, de mise en garde [36].

14 Il est notable que la deuxième réédition, en 1973, intervienne seule­ment sept ans après celle-là. Elle coïncide avec la publication de La France de Vichy de Robert O. Paxton. La « révolution paxtonienne » imposait une remémoration forte des années noires, deux ans seulement après le choc provoqué par Le Chagrin et la Pitié. En pleine « mode rétro [37] », une réédition s’imposait.

15 La dernière, qui date de 2014, intègre un appareil critique conséquent et inédit. Elle est concomitante, quant à elle, de la première traduction anglaise de l’œuvre [38], événement culturel remarquable, d’ailleurs largement salué dans la presse américaine. Dans la chronique qu’elle a donnée au New York Times, l’historienne Alice Kaplan rend parfaitement compte du statut du Journal en France : « If Jean Guéhenno had never existed, France would surely have had to invent him. [….] It is a mystery why “Diary of the Dark Years, 1940-1944” first published in 1947 and still a standard reference in France, is only now appearing in English in a fine translation [….] [39]» C’est David Ball qui est à l’origine du projet. Professeur émérite de littérature française et comparée aux États-Unis, traducteur reconnu, son travail en France, pendant deux ans, a été facilité par une bourse de la Fondation Andrew W. Mellon. Dans un « environnement hostile [40] » à l’adaptation des œuvres étrangères, le succès critique du « Diary », son éventuelle réussite commerciale, même comme simple « niche book [41] », constitue une agréable surprise. Celle-ci peut s’expliquer par le succès du « livre récent d’Alan Riding sur la collaboration artistique et intellectuelle » qui a été « très remarqué, au-delà du monde universitaire » [42]. Le Paris littéraire est en effet un des thèmes centraux du Journal.

16 La notoriété du livre, sa belle trajectoire, jusqu’aux États-Unis et peut-être sur les bancs de quelque université anglaise [43] doit sans doute beaucoup à son beau titre. Il a donné, dans le vocabulaire des historiens, leur couleur aux années de l’Occupation et du régime de Vichy. L’expression « France des années noires » est en effet souvent préférée aujourd’hui à d’autres, en raison de la plus grande neutralité qu’elle aurait. Le syntagme « années noires », pour désigner la période, est apparu après-guerre. La paternité de Jean Guéhenno n’est pas démontrée mais il fut en tous les cas le premier auteur à le populariser dans un titre [44]. Ce dernier ne saurait pourtant expliquer à lui seul le charme opéré par l’œuvre sur ses lecteurs. Les logiques de sa séduction sont multiples.

Séductions de l’auteur

17 Le charme du texte est d’abord incontestablement lié à la biographie de son auteur [45]. Écrivain quelque peu oublié aujourd’hui, Jean Guéhenno le doit sans doute autant à l’insuffisance de sa production romanesque qu’à sa réputation d’« écrivain du dimanche » pétri de bons sentiments [46]. Son parcours à la Péguy et son attitude exemplaire sous la botte sont sans doute mieux connus aujourd’hui que son œuvre, mis à part le fameux carnet. Dans toutes les rééditions du Journal, on trouve d’ailleurs un paratexte éditorial insistant sur cette trajectoire extraordinaire, de l’enfance ouvrière à l’Académie française, en passant par l’École Normale Supérieure [47]. Archétype de la méritocratie républicaine, l’auteur a toujours vécu cette ascension dans la crainte d’une trahison des siens, dilemme qu’il a évoqué dans son retentissant Caliban parle[48].

18 Cette image ne doit pas dissimuler que Jean Guéhenno a été, dans les années 1930, une figure intellectuelle de tout premier ordre. Face à la montée des périls, il défendait des positions résolument pacifistes, marqué qu’il était par l’expérience de 1914, et antifascistes. Il s’exprimait notamment dans la revue Europe, dont il prit, en 1928, la direction, sollicité par Romain Rolland. Il la hissa haut dans le paysage intellectuel français, grâce à des sommaires ouverts à toutes les sensibilités de la gauche et aux plumes, françaises et étrangères, les plus talentueuses. Un premier carnet, Journal d’un homme de 40 ans[49], qu’il publia en 1934, se présente comme une belle profession de foi humaniste, défendant avec vigueur le refus inconditionnel de la guerre. Sa carrière intellectuelle se poursuivit à l’hebdomadaire Vendredi, soutien indépendant du gouvernement Blum, entre 1935 et 1938. Un second carnet, le Journal d’une révolution [50], relate cette expérience du Front populaire. Face aux accords de Munich, l’auteur demeura prisonnier de son pacifisme. La défaite de 1940 et ses conséquences lui imposaient de revenir sur ses illusions passées. Mais l’auteur expliqua qu’il adopta, sous l’Occupation, une conduite rendant impossible toute expression publique. Il aurait décidé en effet de ne pas faire éditer le moindre de ses textes tant qu’il faudrait obtenir l’imprimatur allemand. La préface qu’il donna pour son Journal de 1947 explicite largement ce choix du « silence de la mer ». Elle figure dans toutes les rééditions de l’ouvrage et a été traduite pour l’adaptation anglaise. Ce type de paratexte [51] est un haut lieu de la séduction littéraire, nécessitant une certaine habileté de l’auteur pour ne pas indisposer le lecteur. Guéhenno prend soin de préciser, comme pour minimiser cette « attitude trop exigeante pour l’immense majorité des auteurs [52] », qu’il vivait d’un autre métier, rendant moins impérieuse chez lui la nécessité de paraître [53]. Pendant les années noires, il se consacra effectivement beaucoup à ses étudiants. Il préparait également une biographie intellectuelle de Jean-Jacques Rousseau [54]. On sait par ailleurs qu’il s’engagea dans la Résistance intellectuelle au sein du CNE qu’il contribua à fonder, en 1942, et en collaborant aux Lettres françaises. Il publia clandestinement, en 1944, aux éditions de Minuit, un court texte, Dans la prison, qui correspond à quelques pages de son carnet.

Séductions du silence

19 L’œuvre séduit donc également parce qu’elle témoignerait de cette position morale intransigeante et intangible pendant toute la durée de l’Occupation : le refus catégorique et définitif de publier sous contrôle. Le Journal est rempli d’invectives à l’égard des hommes de lettres qui se compromettent : « L’espèce de l’homme de lettres, écrit ainsi Guéhenno le 30 novembre 1940, n’est pas une des plus grandes espèces humaines. Incapable de vivre longtemps caché, il vendrait son âme pour que son nom paraisse [55]. » Mais une lettre du diariste, daté du 28 janvier 1942, à Jean Paulhan, qui fut l’éditeur du Journal, révèle que cette position n’a pas toujours été aussi invariable :

20

Tu sais que vers 1936 je publiai dans Le Populaire, écrit Guéhenno, quelques “Lettres à un camarade”, et puis j’abandonnai. [...] Et l’idée me vient que ce serait une assez bonne farce de les publier sous ce titre : “Lettre à un camarade 1936-1939”. Ce ne serait pas, je crois, impossible. Quelques mots seulement à changer ou à supprimer. Je mettrais en tête une préface pour dire que, en 1942, la grande masse des Français n’a à se repentir de rien, ainsi que d’ailleurs ces lettres en font la preuve. Et je voudrais qu’on en fît un petit livre, de petit format, à mettre dans la poche. Qu’en dis-tu [56] ?

21 La correspondance publiée ne fait apparaître aucune réponse de Paulhan concernant ce projet, dont on sait qu’il n’a pas abouti. Il n’est pas évoqué dans le Journal. Il révèle en tous les cas que le silence de Guéhenno s’explique par des logiques autres que celles mises en avant par l’auteur. Son engagement pacifiste d’avant-guerre le place en effet dans une position délicate : il est évident ici, avec ce projet de « Lettres », que c’est sur ces illusions qu’il aurait eu à revenir. Difficile de convaincre Jean Paulhan qu’il n’y avait « à se repentir de rien ». La question du pacifisme, celle du désarmement avaient été une pomme de discorde entre les deux hommes. Paulhan considérait que la foi pacifiste, que Guéhenno avait criée si fort, devait rester « secrète par nature [57] ». La correspondance des deux écrivains fait apparaître clairement ce différend. Dans une lettre antérieure au 2 novembre 1938, Paulhan, après avoir rappelé à Guéhenno son engagement antimilitariste du début des années 1930, écrit : « Quant à vouloir à la fois la démocratie, l’individualisme et le pacifisme, je crois (pardonnez-moi le mot) que c’est contradictoire et fou [58]. » La réponse de Guéhenno, datée du 3 novembre suivant, est celle-ci : « Mais non ! Nous n’avons pas été “lâches”. Nous avons fait tout ce que nous devions. Mais Monsieur Daladier manque de talent et n’a pas su le dire [59]. » Ce pacifisme d’avant-guerre, difficile à assumer en 1940, que l’éditeur Paulhan avait toujours jugé naïf et aveugle, explique donc, en partie, le silence de Jean Guéhenno sous l’Occupation. Jean-Kely Paulhan remarque très justement à cet égard que « le Journal des années noires peut apparaître comme la mise en examen de la naïveté du pacifisme qui a dominé la société française des années 1930 [60] ». Une mise en examen publique qui restait impossible, pour Guéhenno, avant 1947. La conduite du silence, dont les ressorts sont multiples et complexes, ne dépend donc pas uniquement, chez Jean Guéhenno, d’un principe moral intangible.

La séduction de la forme : « la vie encore chaude »

22 La forme d’« autobiographie au jour le jour », pour reprendre une formule d’Edmond Goncourt, constitue un des plus beaux attraits du Journal, notamment pour l’historien. Lucien Febvre s’y arrête dans ses commentaires de 1948 :

23

L’histoire, écrit-il, se fait avec de la vie encore chaude. À condition que cela soit de la vraie vie, sans truquage, ni mensonge. Et non point cette vie factice, cette vie de papier noirci qu’avec un peu d’adresse et pas mal de mots le moindre écrivailleur est capable, sans effort, de substituer à la réalité [61].

24 Le travail critique de l’historien doit consister ici à authentifier « la vraie vie, sans truquage ni mensonge ». C’est se demander, au final, si le Journal tient les promesses du « pacte autobiographique [62] » ? La préface – encore elle – joue ici le rôle de contrat. Guéhenno s’y engage en effet « à tenir sur lui-même un discours véridique [63] », mais aussi à livrer un journal authentique : « Alors, il s’enfermait chez lui et par habitude gribouillait encore, mais pour lui seul, ce qu’il ne pouvait crier. Il passait ainsi son temps et sa colère. Ce journal n’est fait que de ces gribouillages. » Il s’explique plus loin de l’élagage d’une partie du manuscrit qui « pourtant est plus sombre encore » et dont il a « renoncé à […] publier bien des pages » et dû « rayer des noms propres » [64].

25 S’intéressant à la question de la « genèse » du journal, Philippe Lejeune souligne que la particularité du genre est de ne pas avoir, en principe, d’« avant-texte » [65]. On voit que ce n’est pas le cas ici, comme souvent pour les journaux édités. L’aveu de l’auteur est ici un gage d’authenticité : s’il existe un écart entre le « manuscrit » et le livre, l’auteur en donne la mesure. Mais, comme le remarque encore Lejeune, « un autobiographe [...] n’est pas quelqu’un qui dit la vérité sur lui-même, mais quelqu’un qui dit qu’il la dit ». Le « contrat [autobiographique] implique la possibilité et la légitimité d’une vérification [66] ». Cette vérification doit porter ici sur la mesure de l’écart entre le texte édité, dernier avatar du journal, et le manuscrit original, qu’on peut définir comme le résultat matériel d’une pratique d’écriture du quotidien, n’ayant subi aucune suppression, aucun ajout, ni aucune retouche ultérieurs. Évoquant dans la préface son « manuscrit », Guéhenno désigne un avant-texte connu du Journal, actuellement en la possession de son fils. Ce document comporte 1078 pages et débute au 25 mai 1939 pour se terminer au 16 janvier 1949. L’œuvre publiée couvre une période plus courte : sa première entrée est datée du 17 juin 1940, la dernière du 25 août 1944. Jean Kely-Paulhan et Patrick Bachelier ont eu accès à ce manuscrit pour préparer la dernière réédition du journal [67]. Les deux éditeurs ont pu vérifier la conformité, au mot près, avec le texte publié, exception faite des pages élaguées. Une édition intégrale du texte est d’ailleurs en projet [68].

26 Dans le livre, Guéhenno évoque les conditions concrètes de sa pratique, notamment dans ses notations du 12 octobre 1941 : « Je crois plus prudent de mettre ces cahiers à l’abri. Je tiendrai désormais ce journal sur des feuilles volantes. » On apprend dans l’appareil critique de la dernière édition que Jean Guéhenno « a écrit son journal sur des cahiers d’écolier pour la période du 25 mai 1939 au 12 octobre 1941 » puis, qu’« à compter de ce jour, craignant pour lui et ses amis », il a préféré « rédiger son journal sur des feuilles volantes » [69]. Patrick Bachelier et Jean-Kely Paulhan ne fournissent malheureusement aucune information sur la durée de cette mesure de précaution. On remarquera seulement qu’elle n’avait plus lieu d’être après la Libération. Il aurait été intéressant de savoir si le fameux manuscrit, dont ils évoquent au moins sept cahiers [70], porte la trace du changement de support. Cet élément permettrait de répondre à une question essentielle : le manuscrit dont il est question est-il le plus ancien avant-texte du journal ?

27 La correspondance entre Jean Guéhenno et Louis Guilloux invite à en douter. Dans une lettre datée du 13 septembre 1945, Guéhenno évoque sa « démission » de la Direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse, dont il avait été nommé responsable par le Gouvernement provisoire. Il se trouve alors à Montolieu, avec sa fille Louisette, et confie à son ami :

28

Nous travaillons. Mais mal ; moi du moins. Je suis, comme tout ce malheureux pays, dans une sorte de coma dont je ne parviens pas à sortir. J’essaie de recopier le manuscrit d’un journal que j’ai tenu pendant ces quatre années. Mais que cela paraît mièvre et vide, par comparaison aux souvenirs [71].

29 Le manuscrit est-il cette copie, dont la fabrication a pu commencer à l’automne 1944 ? Si tel était le cas, le manuscrit original existe-t-il encore ? Car c’est entre ce document et le livre publié qu’il faudrait mesurer les écarts. Guéhenno a-t-il réécrit son journal, en se fondant sur des souvenirs qui étaient différents, comme il le reconnaît ici, de ses impressions saisies sur le vif ? Le texte édité, l’élagage par rapport au manuscrit connu, l’anonymisation de certains personnages sont le produit d’une époque postérieure à l’Occupation. La lettre de Guéhenno à Paulhan, datée du 7 novembre 1944, révèle que deux personnes, en plus de Guéhenno, ont participé à l’élaboration du texte édité : « Je n’ai plus eu le temps de repenser à la publication du Journal. Il faudrait que je le recopie et que je vous demande à J[ean] B[lanzat] et à toi-même de faire après cela le choix convenable [72]. » Il convient donc d’envisager le texte dans son contexte et ses modalités réelles de production. Ce contexte déborde celui qu’on lui reconnaît habituellement : il s’agit des années noires, certes, mais également de celles d’un « malheureux pays » qui se réveille difficilement après elles. Entre l’automne 1944 et le printemps de 1947, la France libérée est en deuil et doit se reconstruire. La « guerre des écrivains [73] » est loin d’être terminée. Les modalités, quant à elles, font intervenir deux éditeurs qui ont opéré des choix, en fonction des enjeux du moment. Pour les éditeurs et les écrivains, cette séquence chronologique est dominée par la question de l’épuration.

Gallimard redore son blason

30 La « guerre des écrivains » est le contexte de la première réception de l’œuvre. Guéhenno a laissé un témoignage pour la postérité mais c’est dans le contexte de l’après-guerre qu’il faut chercher son sens premier. Le livre, on l’a vu, avait d’abord paru, en 1947, dans la prestigieuse collection « Blanche » de Gallimard. On remarquera qu’avant-guerre Jean Guéhenno était un auteur Grasset, où il avait été directeur de collection : ses deux premiers journaux furent publiés par cette maison. La compromission de la celle-ci, sous l’Occupation, la plaçait en grande difficulté à la Libération. Gallimard était dans une situation complexe mais moins défavorable. La liste noire, établie par le CNE, comportait le nom de 23 de ses auteurs, sur les 158 qu’elle mettait à l’index. Seuls trois d’entre eux avaient publié des ouvrages entre juin 1940 et août 1944 : Pierre Drieu la Rochelle, qui donna trois livres, Armand Petitjean et Henry de Montherlant qui en écrivirent chacun un. Parmi les ouvrages allemands dont Gallimard publia des traductions, un était particulièrement compromettant : Et si Dieu se tait de Dwinger [74]. Si la liste noire avait été une liste de livres, un petit nombre seulement y aurait figuré, alors que la maison publia 519 nouveautés [75] sous l’Occupation. Les compromissions de la NRF-revue, dont le collaborationniste Drieu avait pris le contrôle en novembre 1940, étaient beaucoup plus flagrantes. La Commission d’épuration de l’édition accepta cependant de traiter cette question à part : la revue fut liquidée. Inculpé, au nom de son entreprise, pour faits intentionnels de collaboration avec l’ennemi, en vertu de l’ordonnance du 5 mai 1945, Gaston Gallimard bénéficia du classement définitif de son dossier le 7 juin 1948. Les témoignages de soutien qu’il reçut de la part d’auteurs tels que Camus, Paulhan ou Sartre comptèrent beaucoup. Les nombreux auteurs résistants figurant à son catalogue entre 1940 et 1944 constituèrent en outre autant d’éléments à sa décharge. Le dossier d’épuration de Gallimard fait d’ailleurs apparaître une liste « d’ouvrages d’auteurs antinazis ou de la Résistance publiés sous l’Occupation » où figurent notamment les noms de Jacques Decour, de Louis Aragon ou encore de Saint-Exupéry [76]. Le véritable opportunisme aurait sans doute consisté à les publier après la Libération. Quoi qu’il en soit, la maison devait redorer une image ternie, et le Journal des années noires pouvait constituer un élément de cette stratégie. La publication du texte semble avoir représenté un enjeu important pour l’éditeur Jean Paulhan : « Tu devrais me laisser emporter ton journal. Dis oui et je viens tout de suite le chercher [77] », écrivait-il à l’auteur le 27 septembre 1944.

31 Guéhenno était un auteur résistant qui n’avait publié aucun texte sous la botte. Et son Journal, s’il portait un jugement sans concession sur la revue au tétragramme [78], ne contenait aucune attaque contre la maison d’édition. Si les trois auteurs de la liste noire y sont tous gratifiés d’un portrait au vitriol, le rôle de la maison dans la diffusion de leur pensée n’est nullement souligné.

32 Le lancement commercial du livre fut d’abord modeste : 6 600 exemplaires seulement avaient été fabriqués lors du premier tirage. Selon une méthode éprouvée, un tirage de lancement qui s’écoulait rapidement pouvait donner lieu à un retirage. Mais le Journal fut un échec commercial : 2 776 exemplaires restaient invendus en décembre 1949 [79]. À titre de comparaison, le best-seller de Gallimard, pour l’année 1947, La peste d’Albert Camus, atteignit les 169 000 exemplaires vendus en 1949. Les romans de la « Série noire », lancée en 1945, tiraient quant à eux à 20 000 exemplaires en moyenne, pour l’année 1948 [80]. Les lecteurs de l’après-guerre étaient sans doute attirés par des lectures plus dépaysantes. Le Journal était peut-être une sorte de livre de niche, destiné en priorité à ceux que l’attitude des gens de lettres sous l’Occupation intéressait. La correspondance Paulhan-Guéhenno révèle que le livre n’est pas passé inaperçu chez les écrivains : « Sartre et Halévy sont venus me parler de ton Journal (avec, il faut l’avouer, de violentes réserves). […] Joë Bousquet très emballé. » Et Paulhan d’ajouter : « Des gens très simples aussi m’en parlent, avec beaucoup d’émotions : un éleveur de taureaux en Camargue, un petit journaliste de Nîmes [81]. »

33 Deux publics se dessinent ici : d’une part, les écrivains, dont l’attitude sous l’Occupation constitue le thème principal du livre, où il est traité sur la base d’une éthique exigeante et, d’autre part, les gens ordinaires, qui peuvent se reconnaître dans le portrait bienveillant que le diariste brosse des Français occupés. La préface joue d’ailleurs de l’identification de l’auteur avec eux : « Le Français moyen s’y reconnaîtra – c’est tout ce que le témoin espère ; – il y retrouvera sa honte, cette terrible honte qui nous dévorait […] [82]. »

Conclusion

34 Témoignage canonique sur les années noires, le texte du Journal des années noires est en réalité le produit de deux époques : l’Occupation et l’après-guerre. Les enjeux de cette dernière ont eu des incidences très grandes sur le contenu des différents avatars du témoignage, lequel nous est parvenu sous la forme figée d’un livre. La fabrication de la copie remise à Jean Paulhan, plus ou moins fidèle à l’original, les choix opérés par les éditeurs du texte dans cet épais « manuscrit », ou l’anonymisation de certains personnages ont été réalisés dans un contexte particulier. D’abord, c’est celui d’un pays en reconstruction où la mémoire de la période est un élément essentiel de l’identité en refondation. Sur le sujet, alors qu’il se demande encore, en septembre 1944, ce qu’il ferait de son journal, Jean Guéhenno écrit à Jean Paulhan :

35

On ment beaucoup ces temps-ci. Ce doit être la caractéristique des temps héroïques. Il faut dire aux gens qu’ils sont grands et beaux pour qu’ils le deviennent. On a beaucoup menti de Corneille à Malraux. C’est la méthode Coué… Je te promets de me surveiller [83].

36 Ensuite, c’est celui de l’épuration où se pose, en des termes judiciaires, la question de la responsabilité des écrivains. Sur ce point, Guéhenno est hostile, comme Paulhan, à l’épuration des écrivains.


Date de mise en ligne : 29/09/2016.

https://doi.org/10.3917/gmcc.263.0035

Notes

  • [1]
    Lucien Febvre, « Une tragédie, trois comptes rendus (1940-1944) », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 3e année, n° 1, 1948, pp. 51-68. Les références des trois ouvrages sont les suivantes : Léon Halkin, À l’ombre de la mort, préface de François Mauriac, Paris, Tournai, Casterman, 1947 ; Jean Guéhenno, Journal des années noires (1940-1944), Paris, Gallimard, 1947 ; Léon Werth, Déposition, Journal 1940-1944, Paris, Grasset, 1946.
  • [2]
    Le Comité d’histoire de la Guerre est créé par le décret du 6 juin 1945. Il est présidé par Lucien Febvre dès sa naissance. Organisme interministériel rattaché à la présidence du Conseil, il est chargé de coordonner les travaux de la Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France créée le 20 octobre 1944. Les deux institutions fusionnent en décembre 1951 pour former le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale.
  • [3]
    Henri Michel, « Avant-propos », in Les idées politiques et sociales de la Résistance (Documents clandestins, 1940-1944), Textes choisis et introduits par Henri Michel et Boris Mirkine-Guétzévitch, Paris, Presses universitaires de France, 1954, p. VII.
  • [4]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 51. Une note précise : « On sait que J. N. Cru, dans un livre intitulé Témoins, a procédé à l’examen critique des livres de Souvenirs de 1914. » Voir Jean-Norton Cru, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Étincelles, 1929.
  • [5]
    Comme le révèle l’inventaire réalisé dans le cadre du projet « EGO 1939-1945 » (Écrits de Guerre et d’Occupation), et disponible sur le site http://www.ego.1939-1945.crhq.cnrs.fr/. Voir dans le présent dossier l’article de Laurent Joly et Françoise Passera.
  • [6]
    La « déposition » de Marc Bloch a paru deux ans avant l’article de Febvre. Marc Bloch, L’Étrange Défaite : témoignage écrit en 1940, avant-propos de Georges Altman, Paris, Société des Éditions « Franc-Tireur », 1946.
  • [7]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 52.
  • [8]
    Léon Halkin fut arrêté par la Gestapo, pour ses activités résistantes, le 17 novembre 1943. Il fut d’abord incarcéré à Breendonk, dans la banlieue d’Anvers, puis à la prison bruxelloise de Saint-Gilles. Déporté à Gross-Strehlitz, près d’Auschwitz, il fut ensuite enfermé à Gross-Rosen, puis à Dora. De là, il échoua à Nordhausen, d’où il fut libéré le 11 avril 1945.
  • [9]
    Jean Guéhenno enseigna les lettres aux khâgneux des meilleurs lycées parisiens à partir de 1927. En poste au lycée Henri IV à la rentrée d’octobre 1940, il fut nommé l’année suivante à Louis-le-Grand. À la rentrée de 1943, il fut sanctionné et rétrogradé professeur de Première au lycée Buffon. Se reporter à Patrick Bachelier, « Jean Guéhenno professeur sous l’Occupation », in Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux (éds), Jean Guéhenno, guerres et paix, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2009, pp. 119-132.
  • [10]
    Léon Werth était juif, il quitta Paris pendant l’exode et se réfugia dans son pied-à-terre jurassien de Saint-Amour. Il résida quelque temps à Bourg-en-Bresse, d’où il se rendit plusieurs fois à Lyon. Il regagna son domicile parisien en janvier 1944.
  • [11]
    La « déposition » de Marc Bloch a paru deux ans avant l’article de Febvre. L’Étrange Défaite : témoignage écrit en 1940, avant-propos de Georges Altman, Paris, Société des Éditions « Franc-Tireur », 1946.
  • [12]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 51
  • [13]
    Lucien Febvre qualifie À l’ombre de la mort de « livre de méditations […] et de réflexions », ce n’est pas pour lui un livre de « souvenirs », ibid.
  • [14]
    La base EGO recense 15 journaux personnels publiés en 1944, 41 en 1945, 40 en 1946, 23 en 1947 et 24 en 1948. Nous avons pris en compte ici les « journaux ou carnets » et « les récits ; journaux ou carnets ». Se reporter aux définitions des genres littéraires retenues pour le projet : http://www.ego.1939-1945.crhq.cnrs.fr/genreslitteraires.pdf
  • [15]
    Béatrice Didier, Le journal intime, Paris, Puf, 1976, p. 12.
  • [16]
    « Au fond de l’abîme, au fond de cette prison où nous sommes, quelle tentation de fuir […]. » Entrée du 22 février 1941. On relève plus de 30 occurrences des mots « prison » ou « prisonnier », avec cet emploi imagé. Jean Guéhenno, Journal des années noires 1940-1944, présenté et annoté par Jean-Kely Paulhan et Patrick Bachelier, Paris, Gallimard, « Folio », 2014, p. 121. Toutes les citations qui suivent portant la référence abrégée « JAN, 2014 » renvoient à cette édition.
  • [17]
    Expression empruntée à Philippe Artières, « Les écrits de la révoltes. La prise d’écriture des détenus (1970-1972) », in Drôle d’époque, Printemps 2001, n° 8, pp. 37-47.
  • [18]
    Ces fonctions sont décrites par Philippe Lejeune dans « Le journal d’Hélène Berr », in Bruno Curatolo et François Marcot (dir.), Écrire sous l’Occupation. Du non-consentement à la Résistance. France-Belgique-Pologne. 1940-1945, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 15-23.
  • [19]
    Pierre Limagne, Éphémérides de quatre années tragiques, 1940-1944 : Tome 2. De Stalingrad à Messine, Paris, Bonne presse, 1946.
  • [20]
    Julien Green, Journal 1940-1943, Paris, Plon, 1946.
  • [21]
    Élie Borschak, Huit mois à la Santé : Journal (1940-1941), Montreuil-sous-bois, Éd. Franco-ukrainiennes, 1946.
  • [22]
    Janine Bouissounouse, Maison occupée, Paris, Gallimard, 1946.
  • [23]
    Madeleine Ledoux, Les Bottes sur le tapis : Journal d’une occupée, Nîmes, Éd. des Arceaux, 1946.
  • [24]
    Germaine Renard, À Domfront sous les bombes : 24 mai-24 août 1944, Paris, Jouve, 1946.
  • [25]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 53.
  • [26]
    Ibid., p. 68.
  • [27]
    Notre exploration est restée limitée à quelques travaux récents. L’ouvrage est notamment exploité par André Sellier dans Histoire du camp de Dora, préface d’Edward Arkwright, Paris, La Découverte, 1998, et par Marie Bornand dans Témoignage et fiction : les récits de rescapés des camps dans la littérature de langue française (1945-2000), Genève, Droz, 2004.
  • [28]
    Léon Werth, Déposition : journal 1940-1944, présentation et notes de Jean-Pierre Azéma, Paris, Viviane Hamy, 1992. Le Villeneuve imaginé par Frédéric Krivine et Philippe Trébois, scénaristes de la série télévisée Un village français, dont le conseiller historique est le même Jean-Pierre Azéma, ressemble étrangement à Saint-Amour. Le personnage de Jules Bériot, directeur d’école franc-maçon et résistant, tient d’ailleurs un journal…
  • [29]
    Philippe Burrin fait six fois référence à Déposition dans La France à l’heure allemande 1940-1944, Paris, Seuil, 1995. Julian Jackson le cite cinq fois dans La France sous l’Occupation 1940-1944, Flammarion, 2004 (2001 pour l’édition originale).
  • [30]
    L’ouvrage n’est pas cité dans la bibliographie de Robert Aron, Histoire de Vichy 1940-1944, Paris, Fayard, 1954, qui possède pourtant une rubrique consacrée aux « Mémoires », intégrant plusieurs journaux personnels édités. Henri Michel dans Les Courants de pensée de la résistance, Paris, PufF, 1962, cite à trois reprises, dans la section « Sources et bibliographie », l’« écrivain résistant » Jean Guéhenno, sans jamais mentionner le journal. Robert Paxton dans La France de Vichy 1940-1944, préface de Stanley Hoffmann, Paris, Le Seuil, 1973 (1972 pour l’édition originale), cite une dizaine de fois Jean Guéhenno. Philippe Burrin, op. cit., et Julian Jackson, op. cit., s’appuient sur l’œuvre une dizaine de fois également.
  • [31]
    En 1966, 1973, 2002, et 2014.
  • [32]
    Archives Gallimard, citées par Jean-Kély Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 15.
  • [33]
    Édith Thomas, « Les années noires », in La Quinzaine littéraire, 15 au 30 novembre 1966, p. 25.
  • [34]
    Voir Éric Conan et Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Fayard, « Pluriel », 2013, p. 65.
  • [35]
    La première occurrence de l’expression apparaît beaucoup plus tard, dans un article du Monde daté du 16 avril 1992. Se reporter à Sébastien Ledoux, « Pour une généalogie du “devoir de mémoire” en France », disponible sur : http://centrealbertobenveniste.org/formail-cab/uploads/Pour-une-genealogie-du%20devoir-de-memoire-Ledoux.pdf, p. 3, site consulté en janvier 2015.
  • [36]
    Édith Thomas, art. cit.
  • [37]
    Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, « Points Histoire », 1990, pp. 149-154.
  • [38]
    Jean Guéhenno, Diary of the Dark Years, 1940-1944, Collaboration, Resistance, and Daily Life in Occupied Paris, traduit et annoté par David Ball, Oxford University Press, 2014.
  • [39]
    Alice Kaplan, « Shedding Light on Nazi-Occupied Paris, David Ball’s Translation of “Diary of the Dark Years” », The New York Times, 25 juin 2014. The Chicago Tribune, The New Republic et, en Grande-Bretagne, The Independant, ont également rendu compte de l’événement.
  • [40]
    Gisèle Sapiro, « Revaloriser la traduction dans un environnement hostile : le marché éditorial aux États-Unis », in Gisèle Sapiro (dir.), Traduire la littérature et les sciences humaines : conditions et obstacles, Paris, La Documentation française, 2012, pp. 57-108.
  • [41]
    Selon les mots de l’éditeur, rapportés par le traducteur. Entretien par questionnaire avec le professeur David Ball, mai 2015.
  • [42]
    Entretien avec le Professeur David Ball, mai 2015. Voir Alan Riding, And the Show Went On: Cultural Life in Nazi-Occupied Paris, New-York, Knopf, 2010.
  • [43]
    « En Angleterre, un professeur de faculté a dit qu’il le ferait lire dans ses cours », informe David Ball. Entretien avec lui, mai 2015.
  • [44]
    Voir Henry Rousso, « Histoire et mémoires des années noires », Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de Jean-Pierre Azéma, Institut d’études politiques de Paris, 2000, p. 6.
  • [45]
    Les articles réunis dans Jeanyves Guérin, Jean-Kely Paulhan, Jean-Pierre Rioux (éds), Jean Guéhenno…, op. cit., offrent l’approche biographique la plus complète.
  • [46]
    Le sobriquet d’« écrivain du dimanche » est de Jean-Paul Sartre. Selon Paul Léautaud, Gide aurait dit : « Comme il y a des gens qui parlent du nez, M. Guéhenno parle du cœur ». Voir Jean Touchard, La Gauche en France, Paris, Seuil, 1977, p. 218.
  • [47]
    La présentation de l’auteur, dans la réédition de 1966, raconte : « Jean Guéhenno est né à Fougères en 1890 (I. & V.) où ses parents étaient ouvriers. Lui-même employé d’usine jusqu’à dix-sept ans, obtint une bourse pour préparer le concours de l’Ecole Normale Supérieure. […] Jean Guéhenno a été élu à l’Académie française en 1962. » Voir Journal des années noires, Paris, Gallimard, « Le livre de proche », 1966, p. 1.
  • [48]
    Jean Guéhenno, Caliban parle, Paris, Grasset, 1928.
  • [49]
    Id., Journal d’un homme de quarante ans, Paris, Grasset, 1934.
  • [50]
    Id., Journal d’une « révolution » 1937-1938, Paris, Grasset, 1939.
  • [51]
    C’est une « préface auctoriale assomptive originale ». Elle « a pour fonction cardinale d’assurer au texte une bonne lecture ». Voir Gérard Genette, Seuils, Paris, Seuil, « Poétique », 1987, p. 183.
  • [52]
    Philippe Burrin, La France à l’heure allemande 1940-1944, Paris, Seuil, 1995, p. 338.
  • [53]
    « L’un de ses métiers était d’écrire mais il se taisait. Sa chance était de ne pas être contraint à écrire pour vivre. Il vivait d’un autre métier. Il avait renoncé à toute publication ouverte. » « Préface », JAN, 2014, p. 21.
  • [54]
    Publiée dans l’après-guerre : Jean Guéhenno, Jean-Jacques. Histoire d’une conscience, 2 vol., Paris, Grasset, 1948 et 1950.
  • [55]
    JAN, 2014, p. 87.
  • [56]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance 1926-1968, Paris, Gallimard, 2002, pp. 251-252. Il ne peut s’agir que d’un projet de publication clandestine.
  • [57]
    Jean Paulhan, cité par Jean-Kely Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 10.
  • [58]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 153.
  • [59]
    Ibid., p. 153.
  • [60]
    Jean-Kely Paulhan, « Avant-propos », in JAN, 2014, p. 9.
  • [61]
    Lucien Febvre, art. cit., p. 52.
  • [62]
    Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1975.
  • [63]
    Id., Les Brouillons de soi, Paris, Seuil, 1998, p. 125.
  • [64]
    JAN, 2014, p. 22.
  • [65]
    Philippe Lejeune, ibid., p. 317.
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Ce manuscrit ainsi que d’autres sources ont permis d’identifier, en notes, certains des « X » évoqués dans le texte. Voir par exemple « Notes et sources », in JAN, 2014, note 68, p. 478, avec l’identification d’Armand Petitjean. Ce procédé d’anonymisation a été choisi par Guéhenno, au moment de la préparation du texte publié, pour priver, dit-il, « la traîtrise, la sottise et la vanité » du « dernier éclat que leur donnerait un nom ». « Préface », in JAN, 2014, p. 23. Voir également Patrick Bachelier, « Note sur le texte », ibid., p. 17. Quelques passages inédits, tirés d’entrées correspondant aux années noires (juin 1940-août 1944) sont retranscrits en note, voir par exemple « Notes et sources », ibid., note 5, p. 486.
  • [68]
    Nous remercions Patrick Bachelier qui nous a fourni ces précieuses informations.
  • [69]
    « Notes et sources », in JAN, 2014, note 71, p. 478.
  • [70]
    « Notes et sources », in JAN, 2014, note 46, p. 476.
  • [71]
    Correspondance Jean Guéhenno-Louis Guilloux (1927-1967). Les paradoxes d’une amitié, édition de Pierre-Yves Kerloc’h, La Part commune, 2011, p. 567. À l’automne 1944, Guéhenno écrivait déjà à Paulhan : « Je vais recopier le Journal et je vous le montrerai. » Voir Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 321.
  • [72]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 323.
  • [73]
    Gisèle Sapiro, La Guerre des écrivains 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
  • [74]
    Nous suivons ici les remarques d’Alban Cerisier et Pascal Fouché, « Un siècle d’édition », in Gallimard 1911-2011, un siècle d’édition, Paris, Bibliothèque nationale de France-Gallimard, 2011, pp. 42-48.
  • [75]
    Selon Anne Simonin, « L’art de la fugue : le catalogue de Gallimard, 1940-1944 », in Gallimard 1911-2011, lectures d’un catalogue, Paris, Gallimard, 2012, p. 65.
  • [76]
    Ibid., p. 100.
  • [77]
    Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 318.
  • [78]
    Comme dans la notation du 24 janvier 1941 : « Drieu réunit ses derniers articles et me les envoie […]. Nous n’avons aucun moyen de dire à ses messieurs ce que nous pensons de leur activité. […] Le pire c’est qu’ils essaient de faire passer notre silence et le parti que nous avons pris de ne rien publier pour une lâcheté. “Par bonheur, écrit l’un d’eux dans le dernier numéro de la N.R.F., ni Voltaire, ni Diderot ne raisonnaient ainsi.” Les hommes qui tendent leurs mains aux chaînes se donnent pour des Voltaire… »
  • [79]
    Ces chiffres sont donnés par Jean-Kely Paulhan, JAN, op. cit.
  • [80]
    Voir Alban Cerisier et Pascal Fouché (dir.), Gallimard 1911-2011, un siècle d’édition, Paris, BNF-Gallimard, 2011, p. 42.
  • [81]
    Lettre de Jean Paulhan datée du 27 juillet 1947. Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 359.
  • [82]
    « Préface », in JAN, 2014, p. 22.
  • [83]
    Lettre datée du 25 septembre 1944, Jean Paulhan et Jean Guéhenno, Correspondance, op. cit., p. 317.
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