Couverture de GMCC_246

Article de revue

Alfred Cortot, entre mémoire et oubli : le destin d'un grand pianiste

Pages 117 à 136

Notes

  • [1]
    Notre étude se fonde sur plusieurs sources trouvées aux archives nationales (an)?: série AJ37, Conservatoire de musique?; série F21-Archives des Beaux-Arts?; 2AG-État français?; F60-Secrétariat général du gouvernement?; F17-Instruction publique?; Z6-Cour de justice?; F7-Police générale?; 3W-Procès de Haute-Cour de Justice?; F42-Cinéma?; AJ40-Archives allemandes de la Seconde Guerre mondiale?; F1A-Ministère de l’Intérieur. Notre étude est également basée sur des études particulières concernant le domaine de la musique et de la politique culturelle de Vichy, sur des mémoires publiés à l’époque, sur le fond de Bernard Gavoty conservé à l’Institut de France et sur notre mémoire d’habilitation à diriger des recherches, portant sur «?Les artistes juifs et non juifs sous l’Occupation?», sous la direction du professeur Jean-Paul Bled, Université Paris-IV-Sorbonne, soutenue en novembre?2011, 650 p. et également notre ouvrage?; Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile?: l’exemple du sauvetage des juifs, Le Cerf, 2010-2011, t. 1, p.?421-465.
  • [2]
    Bernard Gavoty, Alfred Cortot, Paris, Éd Buchet/Chastel, 1977.
  • [3]
    Pablo Casals, Ma vie racontée à Albert E. Kahn, Paris, Stock 1979. Pablo Casals (1876-1973), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur espagnol, qui fut l’un des plus grands musiciens du xxe?siècle. Il fit ses débuts de soliste au violoncelle aux concerts Lamoureux de Paris en?1898. Après la chute du gouvernement républicain en Espagne en?1939, il se réfugia en France. Fervent antifasciste, il continua de jouer avec son ami Alfred Cortot.
  • [4]
    Dino Lipatti est né en?1917 à Bucarest. Initié à la musique au sein de son environnement familial, il a pour parrain Georges Enesco. Arrivé à Paris en?1934, il est l’élève d’Alfred Cortot, d’Yvonne Lefébure, de Paul Dukas, de Nadia Boulanger et de Stravinsky. Il est un interprète d’une rare méticulosité. Dragos Tanasescu and Grigore Bargauanu, Lipatti, London, Ed Kahn and Averilles, 1987.
  • [5]
    Alfred Cortot, «?Attitude de l’interprète?», Revue internationale de musique, no 5-6 (numéro spécial consacré au piano), April 1939, p.?885-888.
  • [6]
    an F21/3975?: Alfred Cortot?: «?Note concernant la création dans le cadre de la direction générale des Beaux-Arts et sous le contrôle de la direction générale des services d’information d’un organisme dénommé “L’esprit de la France aux armées”?».
  • [7]
    Georges Huisman (1899-1957) est à la tête de la direction des Beaux-Arts depuis le 6 février 1934. À ce titre, il aide à la diffusion du cinéma en France et contribue à la création du festival de Cannes en?1939. Face aux menaces de guerre, il supervise l’évacuation des objets et œuvres d’art des musées parisiens vers la province. Révoqué le 25 juillet 1940, il s’embarque avec Jean Zay et d’autres parlementaires à bord du Massilia, afin de continuer la lutte en Afrique du Nord. La tentative ayant échoué, il retourne à Marseille, et vit caché durant 18 mois dans une ferme près d’Albi, grâce à l’aide de Louis-Charles?Bellet. Arrêté par les Allemands en?1942, il est sauvé par l’écrivain Roland Dorgelès. Voir?: Christiane Rimbaud, L’Affaire du Massilia, Été 1940, Le Seuil, 1984?; Marcelle Georges Huisman, J’ai un bel avenir derrière moi, Paris, éd. du Platane, 1994.
  • [8]
    an F21/3975?: Lettres de Huisman à Giraudoux et à Duhamel, datées du 13?décembre 1939 et lettre de Cortot à Huismann, 27 septembre 1939.
  • [9]
    an F21/4710.
  • [10]
    an F17/13368?: lettres d’Alfred Cortot à Abel Bonnard?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, Paris, Perrin, 2005, p.?325-330?; François Porcile, Les Conflits de la musique française (1940-1965) Paris, Fayard, 2001, p.?55-76.
  • [11]
    Agnès Callu, «?Les réformes structurelles du conservatoire?», p 133, dans Myriam Chimènes (s.d.) La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, 2001?; Pascal Ory, «?La politique culturelle de Vichy?: ruptures et continuité?», in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Vie culturelle sous Vichy, Bruxelles, Complexe/ihtp 1990, p.?225-238.
  • [12]
    an F21/8099, Rapport du 29 juillet 1940, an 2AG/74?: rapport du 30 juillet 1940.
  • [13]
    an F21/8099, Projet sur l’utilisation des jeunes virtuoses français dans les initiatives de propagande à l’étranger, 1er août 1940. Rappelons qu’à l’origine le Service d’action artistique s’organisa dès 1922. Par application de la loi du 3?octobre 1940 portant sur le statut des Juifs. Philippe Erlanger a cessé le 19?décembre ses fonctions de chef du Service d’action artistique à l’étranger à la direction générale des Beaux-Arts et de directeur de l’Association française d’action artistique. Plus d’une fois, il précise dans ses nombreux rapports l’utilité d’adopter les projets proposés par Alfred Cortot.
  • [14]
    Les technocrates trouvent leurs paradigmes dans la technologie dont le potentiel productif contient la promesse d’une société d’abondance. L’arrivée des technocrates à Vichy dès 1940 signifie que le nouveau régime fait appel à des hommes apolitiques, ni de droite et ni de gauche, des non-conformistes. Limore Yagil, L’Homme nouveau et la révolution nationale de Vichy, Lille, Presses universitaires, p.?31-35.
  • [15]
    Laurence Bertrand Dorléac, L’Art de la défaite (1940-1944) Paris, Le Seuil, 1993, p.?140?; Limore Yagil, L’Homme nouveau, ibid., p.?145-146,166?; Michel Bergès, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années?40, Bordeaux, Presses universitaires, 1997, p.?32-33.
  • [16]
    an F17?13368, Louis Hautecœur, «?Projet d’équipement national, Beaux-Arts?», notes et rapports au ministère de l’Éducation nationale, 13-janvier 1942.
  • [17]
    Louis Hautecœur, Les Beaux-Arts en France, passé et avenir, Paris, A et J. Picard et Cie, 1948, p.?245.
  • [18]
    Leslie Sprout, «?Les commandes de Vichy, aube d’une ère nouvelle?», in Myriam Chimènes (dir.), La Musique sous Vichy, op.?cit., p.?157-181.
  • [19]
    Limore Yagil, L’Homme nouveau, op.?cit., p.?43-113.
  • [20]
    Jean Ybarnégaray est nommé ministre d’État (10?mai au 16?juin 1940) du gouvernement Paul Reynaud. Il continue sa carrière après l’armistice et devient ministre des Anciens Combattants et de la Famille française (17?juin au 11 juillet 1940) dans le gouvernement de Pétain. Le 10 juillet, il a voté en faveur de la remise des pleins pouvoirs au Maréchal. Du 12 juillet au 6 septembre, il reste ministre (de la Jeunesse et de la Famille) avant que Pétain ne se débarrasse de cet ancien parlementaire.
  • [21]
    an F44/2, note du 29 septembre 1940. an F21/3973?; F21/3975?; F21/8099?; 2AG/654?: Éducation nationale et jeunesse?; Bulletin de presse, no 4-5?novembre-décembre?1940. Limore Yagil, L’Homme nouveau, op.?cit., p.?145-146, 166?: politique de Louis Hautecœur.
  • [22]
    an 2AG/650, Conseil national. Le Conseil national est «?supposé représenter les diverses composantes de la société française?». Il est créé en janvier?1941 pour «?assister le chef de l’État dans la préparation d’une nouvelle constitution?», Henry Rousso, Le Régime de Vichy, Paris, puf, 2007, p.?46-47?; Michèle Cointet, Le Conseil national de Vichy. Vie politique et réforme de l’État en régime autoritaire (1940-1944), Paris, Aux Amateurs de livres, 1989.
  • [23]
    Voici la France, Paris, Julliard, 1940.
  • [24]
    Cité par Bernard Gavoty op.?cit., p.?158.
  • [25]
    an F21/8093, Note de Louis Hautecœur, du 18?mars 1941?; F17/13368?; Louis Hautecœur, Les Beaux-Arts en France, passé et avenir, Paris, A et J. Picard et Cie, 1948.
  • [26]
    Cité in Michel Bergères, op.?cit., p.?35.
  • [27]
    an F21/8093, Arrêté du 26?mars 1941 (Journal officiel du 28?mars 1941).
  • [28]
    an F17/13368, lettres d’Alfred Cortot à Abel Bonnard?; F21/8093, Note de Louis Hautecœur?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, op.?cit., p.?325-330?; François Porcile, Les Conflits de la musique française (1940-1965), Paris, Fayard, 2001, p.?55-76.
  • [29]
    Robert Paxton, La France de Vichy, Paris Seuil, p.?204-213.
  • [30]
    an F21/5306, Yannick Simon, Composer sous Vichy, Paris, Symétrie 2009, p.?64-85.
  • [31]
    an F21/8099, Plusieurs projets d’Alfred Cortot datés d’août 1940 et de Philippe Erlanger.
  • [32]
    La Charte du travail propose une nouvelle organisation professionnelle de la société française. Son but est de restaurer la valeur et la dignité du travail, et de remplacer la lutte des classes par une collaboration entre employeurs et salariés au sein de l’entreprise et de chaque profession.
  • [33]
    an F17/16944, Yannick Simon en s’alignant sur Myriam Chimènes avance une autre interprétation des documents d’archives. Yannick Simon, Composer sous Vichy, op.?cit, p.?81.
  • [34]
    Audrey Roncigli, Le Cas Furtwangler. Un chef d’orchestre sous le IIIe Reich, Paris, Éd Imago 2009, p.?33, 59, 63, 100?; Gérard Geffen, Furtwangler, une biographie par le disque, Paris, Belfond, 1986, p.?9-47?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?160-161.
  • [35]
    an F17/16944?: témoignage de Charles?Kiesgen l’imprésario de Cortot en France?; et Papiers Gavoty, op.?cit.?; Yannick Simon, Composer sous Vichy, op.?cit., p.?27-29?; Yves Durand, Les Prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos 1939-1945, Paris, Hachette, coll. «?La vie quotidienne?», 1994. Félicien?Laubreaux, Le Trait d’union, no 244, 29?novembre 1942?: «?Le maître Alfred Cortot joue devant les prisonniers.?»
  • [36]
    Bernard Gavoty, Alfred Cortot, ibid., p.?173 et Doda?Conrad, Doscadies, Ma chronique du xxe?siècle, Actes Sud, 1997, p.?256-258. Créée le 18 juillet 1940, la Propaganda Abteilung dépend conjointement du ministère de l’Information et de la Propagande du Reich, placé sous la direction de Goebbels, et de la Wehrmacht. Elle représente donc l’organe officiel de la propagande nazie en France. C’est le major Schmidtke, ancien officier de liaison pour la presse, qui est nommé à la direction de cette institution. Il restera en poste pendant toute la durée de l’Occupation, fait assez rare. Son pouvoir s’étendait à l’ensemble de la France occupée. La Propaganda Abteilung est divisée en quatre Propaganda Staffeln (sections) correspondant à un secteur géographique précis de la zone occupée?: Paris, Angers, Saint-Germain et Dijon.
  • [37]
    Richard Cobb, Vivre avec l’ennemi – La France sous deux occupations 1914-1918, 1940-1944, Paris, Éd du Sorbier, p.?85.
  • [38]
    Jean Paulhan, Lettre aux directeurs de la Résistance, in Œuvres complètes, Paris, Édition de Minuit 1952, vol. V, 429 sq.
  • [39]
    Il épouse Clotilde?Bréal, fille du philologue Michel Bréal, alliée à Léon Blum et qui a été la première femme de Romain Rolland. Cortot se dit à l’époque «?dreyfusard passionné?» évoquant ses dîners hebdomadaires chez les Ménard-Dorian, dont le secrétaire Léon Blum qu’il considère comme son «?meilleur ami?».
  • [40]
    an F17/16944, dossier d’épuration de Cortot.
  • [41]
    an F17/16944, Lettre de Cortot au Dr Werner en faveur de Léon Kartun du 5?novembre 1944, dans.
  • [42]
    an F17/16944, Lettre de Denise Soriano du 27 février 1945.
  • [43]
    an. F21/8093, Dossier conservatoire de musique?; an F17/16944, divers dossiers d’épuration d’artistes?; an Z6SN/3651, dossier Alfred Cortot?; F21/8107, 8096, 8099, F21/5169, F21/5180?; F7/15298, F17/13391, 13368 et Fond Gavoty à l’Institut de France.
  • [44]
    Reynaldo Hahn, Lettre à Francis Poulenc, 6 avril 1944, F-PN, département de la musique, N1a37(398).
  • [45]
    cdjc, CCXVIII-93a?; Yagil Limore, La France terre de refuge, et de désobéissance civile 1936-1944?: l’exemple du sauvetage des Juifs, Le Cerf 2010-2011, 3 tomes, 1?200 p., en particulier, t. II, p.?45-47.
  • [46]
    cdjc, CXXIII-33?; Jacques Depaulis, Reynaldo Hahn, Paris, Séguier, 2007, p.?131-135. Hahn est nommé, par arrêté du 4 février 1941, membre du jury d’admission, placé sous la présidence d’Alfred Cortot, chargé de recruter les artistes exécutants ou solistes appelés à intégrer les différents ensembles musicaux de la Radio nationale. Quelques mois plus tard, il est considéré comme juif, mais le cgqj ne recommande pas d’interdire la diffusion de ses œuvres à la radio.
  • [47]
    an F17/16944?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, Buchet/Chastel, Paris 1977, p.?153-171.
  • [48]
    Doda Conrad, Dodascalies. Ma chronique du xxe?siècle, Paris, Actes Sud 1985. Il s’agit des mémoires du fils de la célèbre cantatrice, que l’on peut lire avec grand intérêt.
  • [49]
    an F7/16944, Lettre de Marya Freund du 15?janvier 1945?; Doda Conrad, Dodascalies, ibid., p.?256-258.
  • [50]
    Collection musicale François Lang [à l’abbaye de Royaumont]. Catalogue établi par Denis Herlin. – aris, Klincksieck, 1993.
  • [51]
    an F17/16?944?: Témoignage de J.H. Gouin en?1945.
  • [52]
    Dans le cas du fils de Lazare Lévy, pour lequel on accuse Cortot de n’avoir rien fait pour le libérer, rappelons, qu’il s’agissait d’un résistant, membre du mouvement Combat et juif de surcroît. Dans le contexte de l’époque, on ne peut pas imaginer que la Gestapo pouvait accepter de libérer un résistant juif, à la demande d’un tel ou tel ministre du gouvernement de Vichy ou d’un conseiller quelconque.
  • [53]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal. Une vie. Paris, Mercure de France, 1992?; Jean-Luc Tingaud, Manuel Rosenthal, Crescendo vers Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
  • [54]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal, op.?cit., p 118-119. À titre d’exemple rappelons que le 27?novembre 1941, Maurice Chevalier participe au gala donné devant les prisonniers du Stalag XI, près de Magdeburg en Saxe.
  • [55]
    Gérard Chauvy, Lyon 1940-1947, Paris, Perrin, 2004, p.?151.
  • [56]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal, op.?cit., p.?138-139.
  • [57]
    Jacques Nantet, Souvenir de la comtesse Pastré, Paris, Revue de Deux Mondes, 1984?; Jean-Marie Guiraud, La Vie intellectuelle à Marseille, crdp, Marseille, 1987, p.?96-97?; 212-215?; Limore Yagil, La France terre de refuge, op.?cit., t. I, p.?452-457.
  • [58]
    Attestation de Mme Roger Charoy, du 28 février 1945. Roger Charoy son mari a été arrêté le 31?mars 1944 et déporté en juillet 1944.
  • [59]
    La loi du 16 février 1943 a contraint les jeunes âgés de?20 à 22?ans de partir travailler en Allemagne.
  • [60]
    an F17/16944, Lettre de Claude?Delvincourt, du 7 septembre 1945.
  • [61]
    an F17/16944, dossier Cortot?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?161.
  • [62]
    an F17/16944, dossier Cortot?; an Z6SN/3651 – Alfred Cortot?; F21/8107, F21/8093, 8096, 8099, F21/5169, F21/5180?; F7/15298, F17/13391, 13368?; Fond Gavoty à l’Institut de France?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?161.
  • [63]
    Sur l’histoire de la musique sous l’Occupation, consulter?: Gilles Ragache et Jean Robert, La Vie quotidienne des écrivains et des artistes sous l’Occupation 1940-1944, Paris, Hachette, 1988?; M. Chimènes (dir.), La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, ihtp-cnrs, 2001?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, Paris, Perrin 2005.
  • [64]
    Élève de Marcel Duprès au Conservatoire de musique, Gavoty fait de nombreuses conférences en matière de musique, et est un célèbre critique musical français du Figaro, sous le pseudonyme de Clarendon. Il est élu en?1976, membre de l’Académie des beaux-arts. Il ne s’agit pas donc d’un simple journaliste, mais d’un musicien, spécialiste des questions de musique.
  • [65]
    Au sujet de la carrière d’Alfred Cortot?: Myriam Chimènes, «?Alfred Cortot et la politique musicale du gouvernement de Vichy?», in Myriam Chimènes (dir.). La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, coll. «?Histoire culturelle?», 2001, p.?35-52.
  • [66]
    Si Myriam Chimènes a bien mentionné le dossier d’épuration d’Alfred Cortot, mais elle a choisi de ne pas mentionner le nom de plus de 50 personnes sauvées par Cortot, afin de minimiser l’importance de son activité, pour mieux pouvoir l’accuser ensuite.
  • [67]
    «?Vies parallèles, destins mêlés?: Alfred Cortot (1877-1962), Lazare-Lévy (1882-1964), deux virtuoses sous l’État Français?», dans De la guerre dans l’art, de l’art dans la guerre. Colloque international, Université Paris-X-Nanterre, inha, 29 au 29?janvier 2010. Textuel, no 63, Université Paris-VII. David Mastin, Marine Branland (dir.). Nous tenons à remercier l’auteur d’avoir accepté de nous envoyer une copie de son article. Son étude permet d’observer comment des jeunes chercheurs ne cherchent pas à connaître la vérité historique, et se limite à citer quelques rares documents d’archives qui justifient leur point de vue fixé d’avance.
  • [68]
    Frédéric Gaussin, ibid., p.?3.
  • [69]
    Stéphane Corcy, La Politique culturelle sous l’Occupation, Perrin, 2005, p.?191,193,246, 247, 296, 305, 311, 327-329, 342.
  • [70]
    Michel Bergès, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années?40, Paris, Économica, 1997, p.?30-31.
  • [71]
    Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, Seuil, 1995.
  • [72]
    Myriam Chimènes et Karine Le Bail (s.d), Henry Barraud. Un compositeur aux commandes de la Radio. Essai autobiographique, Fayard et bnf 2010, note p.?351.
  • [73]
    Frédéric Gaussin, op.?cit., p.?5.
  • [74]
    Notre étude sur ce sujet sera prochainement publiée.
  • [75]
    Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile, op.?cit., t. I, p.?37-74.
  • [76]
    Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, trad. par G. Durand, Paris, Calmann Lévy, 1972, p.?61-63 et p.?105.
  • [77]
    Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944, op.?cit., en particulier t. I, p.?37-75?: notion de la désobéissance civile.

1À la Libération, Alfred Cortot, pianiste de premier plan, fut jugé à deux reprises par les comités d’épuration. Une première fois, il a comparu le 17 octobre 1945 devant le Comité national d’épuration des professions d’artistes dramatiques, lyriques et de musiciens exécutants et il fut suspendu de toute activité professionnelle pendant une année, à dater du 1er avril 1945. Une seconde fois, Cortot fut jugé par le Conseil d’enquête de l’administration des Beaux-Arts, en sa qualité de professeur honoraire au Conservatoire et de président du Comité professionnel de l’art musical et de l’enseignement libre de la musique. Mais finalement en avril 1946, l’artiste fut reconnu libre de reprendre sa carrière, ce qu’il fit presque aussitôt en accomplissant une tournée de récitals en Europe. Mais tout bascula les 18 et 19 janvier 1947, lorsque, le pianiste, invité par Claude Delvincourt, accepta de jouer le concerto de Schumann, accompagné par l’orchestre sous la direction d’André Clusters. Il fut d’abord l’objet de protestations verbales dans les milieux musicaux, surtout syndicaux puis sujet d’une interdiction de fait, donnée par le syndicat des musiciens, de l’accompagner. Le Comité de la société des concerts confirma, une dizaine de jours avant la date du concert, que tout musicien d’orchestre qui accompagnerait une œuvre jouée par Alfred Cortot serait immédiatement rayé des listes syndicales. Ainsi, lors de sa rentrée musicale de janvier 1947, les musiciens de l’orchestre refusèrent de l’accompagner. Ce fut la preuve que pour bon nombre de personnes, y compris parmi les musiciens, que Cortot restait « persona non grata ». Après cet incident, Alfred Cortot retourna dans son pays natal, la Suisse. Il mourut en 1962, dans une clinique à Lausanne. Beaucoup de monde se déplaça pour assister à ses obsèques, mais aucun représentant officiel et peu de musiciens professionnels ne furent présents ce jour-là. Pourquoi avoir adopté une telle attitude à l’égard de ce grand pianiste reconnu mondialement ? Sa réputation de musicien « collaborateur » des nazis est-elle justifiée à la lecture de nombreux documents d’archives ? C’est ce que nous allons essayer d’étudier dans le cadre des pages suivantes. Nous proposons d’analyser l’activité de Cortot en trois parties distinctes mais complémentaires : les années d’avant 1940, les années d’Occupation et la présentation de Cortot dans l’historiographie [1].

Qui est Alfred Cortot ?

2Pour comprendre l’attitude d’Alfred Cortot durant les années 1940-1944, il faut prendre en considération quelques faits biographiques importants, tels que la position d’artiste de Cortot avant 1940, et son rôle de pédagogue et de réformateur en matière de musique. Né en Suisse à Nyon en 1877, Alfred Cortot entre à l’âge de 9 ans, au Conservatoire de Paris où il reste pendant dix années. En 1896, il obtient un premier prix de piano dans la classe de Louis Dimer [2]. Fervent wagnérien, il est nommé en 1901, chef de chant au Festival de Bayreuth, aux côtés d’Édouard Risler, puis il dirige, en juin 1902, la première représentation de l’opéra Tristan et Isolde de Wagner, en France, considérée par la presse comme un véritable exploit. En 1904, il crée la Société des Concerts avec laquelle il donne plusieurs représentations en France et en Europe. En 1905, il fonde avec le violoniste Jacques Thibaud et le violoncelliste Pablo Casals un trio de musique de chambre dont la réputation devient rapidement internationale ; trio qui ne se séparera qu’en 1944 [3]. En 1907, à l’âge de 30 ans, Cortot est nommé professeur de piano au Conservatoire de Paris, poste qu’il conservera jusqu’en 1917. En 1919, il fonde, avec Auguste Mangeota, directeur de la revue Le Monde musical, l’École normale de musique de Paris, boulevard Malesherbes. La modernité de son enseignement musical et les disciplines liées à l’expression artistique, ainsi que le prestige de ses professeurs, dont le violoncelliste Pablo Casals, le violoniste Jacques Thibaud ou la claveciniste Wanda Landowska, lui valent une réputation mondiale. Humaniste convaincu, Cortot souhaite qu’un enseignement musical complet avec toutes les disciplines liées à l’expression artistique soit proposé : la gymnastique rythmique, l’histoire de l’art en correspondance avec la musique, les langues vivantes. Sur les bancs de l’École normale, voisinent les élèves français et de jeunes musiciens de tous les coins du monde.

3Parmi ces élèves, on trouve la pianiste d’origine roumaine Clara Haskil, Dinu Lipatti [4] et Samson François. Alfred Cortot joua un rôle pédagogique fondamental, en faisant évoluer l’École française de piano, en publiant des ouvrages sur la technique pianistique, la théorie de la musique et l’interprétation. Il est le premier à considérer les Études de Fréderic Chopin, non plus comme des exercices, mais comme des œuvres exceptionnelles [5]. Grand défenseur de la musique germanique, Alfred Cortot se met également au service de la musique française ; il soutient notamment Claude Debussy dans la cabale contre Pelléas et Mélisande. Le 16 avril 1939, Cortot renonce à une tournée en Italie. C’est sa manière, en tant qu’artiste, de protester contre les manifestations antifrançaises.

Alfred Cortot sous l’occupation, 1939-1944

4Le 3 septembre 1939, la guerre est déclarée par la France et l’Angleterre, contre l’Allemagne qui a commencé d’envahir la Pologne. Aussitôt, Cortot annule ses engagements internationaux et le 11 septembre 1939, il prend l’initiative de rédiger un projet de création d’un organisme qui coordonne toutes les activités intellectuelles et artistiques susceptibles d’apporter aux soldats distractions et réconfort [6]. Le directeur des Beaux-Arts, Georges Huisman [7], transmet aussitôt cette note à Jean Giraudoux et à Georges Duhamel, avant de demander à Cortot de poursuivre sa réflexion sur l’institution d’un tel service dans le cadre de son administration [8]. L’un de ces nouveaux projets se concrétise le 21 novembre 1940 par l’institution, au terme d’un décret officiel, du « service de Lecture, Arts, Loisirs et Sports aux armées » [9], administré par un comité directeur présidé par Georges Duhamel et dont le délégué général est Cortot. Cette nomination rejoint ses préoccupations de réformer la profession musicale. Depuis longtemps, Cortot souhaitait réformer la profession musicale, mais pour le moment, il se contente de fonder l’Œuvre fraternelle des artistes, dont le rôle principal est de venir en aide à ceux qui subissent un chômage forcé, suite à l’exode et à la guerre.

5En juillet 1940, le directeur général des Beaux-Arts, Louis Hautecœur propose à Alfred Cortot, alors âgé de 63 ans, de retrouver son poste à l’administration des Beaux-Arts d’avant-guerre. Rappelons qu’après le rappel de Clemenceau au Gouvernement par Poincaré en novembre 1917, Cortot avait été nommé en 1918, au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, à la tête de la section artistique à l’étranger, destiné à promouvoir la création artistique au-delà des frontières. En sa qualité de directeur de ce service, Cortot fut consulté et obtint le concours d’André Messager et de Philippe Gaubert, respectivement premier et second chefs d’orchestre de la Société des Concerts. C’est donc essentiellement en tant qu’expert et pédagogue reconnu que Cortot est appelé en 1940 par le gouvernement de Vichy. Il rédige entre juillet et août 1940 six projets concernant la propagande culturelle à l’étranger, la réorganisation de l’enseignement musical, la défense du répertoire français, des compositeurs et des jeunes interprètes [10]. Ces projets s’inscrivent en continuité évidente avec l’esprit des réformes de 1936-1939 et même d’avant cette date [11]. C’est en particulier sa conception du Service d’action artistique, comme un outil de propagande pour le gouvernement qui doit, selon lui, se réserver le choix des artistes « autorisés à défendre à l’étranger le prestige des seules valeurs françaises qui n’ont pas eu à souffrir de notre récente et douloureuse défaite ». Ce projet intéresse Louis Hautecœur et le gouvernement de Vichy [12]. Cortot propose de faire connaître à l’étranger toute une pléiade de jeunes artistes qui, sous le couvert d’une présentation aussi favorable aux réactions de la critique et de l’opinion, bénéficieraient sans doute de nouveaux engagements locaux [13]. Philippe Erlanger, chef du Service d’action artistique à l’étranger jusqu’à 1940, mentionna plus d’une fois dans ses différents rapports les avantages d’appliquer certains des projets d’Alfred Cortot. Cela peut expliquer l’importance accordée par Louis Hautecœur aux projets de Cortot et la nomination de ce dernier à la tête du Service d’initiative artistique à partir de septembre 1940.

6Normalien, ancien conservateur de musée, professeur à l’École du Louvre et à l’École supérieure des beaux-arts, Louis Hautecœur traversera toutes les tempêtes gouvernementales jusqu’en avril 1944, date de son remplacement par Georges Hilaire. En technicien, il se plaça sous la tutelle des ministres de l’Éducation successifs (Mireaux qui le nomma, Ripert, Chevalier, Carcopino et Abel Bonnard) et, comme d’autres « technocrates » [14], s’aligna sur la ligne générale du Gouvernement, tout en espérant réaliser ses idées d’avant-guerre. En matière artistique, il reprit à son compte le programme de Georges Huisman, son prédécesseur, en accordant des subventions et des aides aux compositeurs sans travail et en protégeant l’héritage artistique français de la crise économique ambiante [15]. Face à la défaite militaire et à la débâcle, le salut de la France passait à ses yeux par le maintien et le développement du prestige culturel de la France.

7En janvier 1942, Louis Hautecœur mentionne dans sa lettre à Jérôme Carcopino, secrétaire d’État à l’Instruction publique : « La France n’a pas été vaincue sur le terrain artistique. Notre architecture, notre peinture, notre sculpture, notre musique continuent à exciter l’admiration. » [16] Pour Louis Hautecœur, les orchestres et ses virtuoses constituent un moyen idéal pour démontrer à l’occupant la persistance du prestige de la musique française [17]. Hautecœur choisit aussi d’associer la musique contemporaine au renouveau musical français en augmentant pour les associations symphoniques les quotas de musique française contemporaine [18]. Parallèlement au renouveau de la musique, il encourage aussi la pratique des chants traditionnels et folkloriques et l’usage des chants populaires. Connu pour ses prises de position en faveur de la défense de la culture française et du folklore musical avant 1940, Cortot est donc tout naturellement convoité sous Vichy, surtout par Louis Hautecœur. De plus, malgré les difficultés liées à l’Occupation, la culture est considérée par l’État comme un moyen d’action important pour mettre en place la Révolution nationale, et la musique bénéficie d’une place privilégiée au sein du projet culturel de Vichy.

8Un autre thème important, mis à l’honneur par le gouvernement de Vichy, c’est la formation de la jeunesse. Avec la débâcle, la jeunesse devient aux yeux du nouveau régime le fer de lance de la rénovation nationale [19]. Dès juillet 1940, on décide le regroupement des mouvements existants et la création de nouveaux mouvements comme les Compagnons de France. Cinq à six associations scoutes constituent la nouvelle fédération du scoutisme français agréée le 25 juillet. Le 30 juillet 1940, les premiers Chantiers de la Jeunesse sont installés dans les provinces du Sud. C’est dans ce contexte qu’il faut placer les projets de Cortot en matière de jeunesse et de musique. En juillet 1940, Jean Ybarnégaray, ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement de Vichy, lui propose le poste de directeur artistique des services de la jeunesse [20]. Le successeur de ce dernier, au poste de secrétaire général de la Jeunesse, Georges Lamirand, en fit un de ses chargés de mission pour les questions culturelles. On le présenta comme le responsable des « services artistiques » du secrétariat à la Jeunesse, puis comme délégué du « Service d’initiative artistique » au commissariat général à la Jeunesse, où Cortot a l’importante responsabilité de contribuer au développement du « goût généralisé des manifestations artistiques ou intellectuelles de toute nature, susceptibles de contribuer à la formation culturelle nationale » [21]. Cette nouvelle responsabilité concordait parfaitement avec les rêves, les projets et les ambitions de Cortot avant 1940, et l’on ne peut donc affirmer avec autant de facilité que les rapports que Cortot rédige au cours de l’été 1940 « illustrent son adhésion à l’idéologie de la Révolution nationale ». Sa nomination comme membre de la commission d’étude des questions de jeunesse du Conseil national en 1941 rejoint cette ambition du régime d’utiliser ses connaissances. Concrètement, Cortot n’a assisté qu’une seule fois aux débats du Conseil national en avril 1941 [22]. Il est vrai qu’il n’a pas démissionné, mais pour autant on ne peut lui attribuer un quelconque pourvoir dans le cadre de ce Conseil.

9On peut tout simplement observer l’écart qui se manifeste de plus en plus au fil des mois, entre les ambitions du régime et leur mise en application, ce qui nous amène à un tout autre débat sur les objectifs du régime et leurs réalisations en période de guerre et d’occupation. En octobre 1940, Cortot publie une lettre « aux garçons de France » dans Voici la France[23]. En s’alignant sur le message du maréchal Pétain prononcé à Metz le 20 novembre 1938, Cortot lance une sorte d’esquisse officielle de la politique culturelle qu’il soutient :

10

« Je rêve, pour ma part, de voir s’élever, ici et là sur le territoire français des Maisons de Jeunes où, dans les veillées, on vous aiderait à évoquer les enseignements de la beauté sous ses divers aspects. Ni bricolage ni dilettantisme dans ces réunions, où alterneraient chansons de métier ou de terroir, danses et légendes régionales, travaux d’artisanat, projections de tableaux et de monuments, auditions musicales, apprentissage des disciplines chorales. N’oubliez pas que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Apprenez donc à regarder, à entendre, à comprendre. Adoptez une belle devise : “Plus est en nous”. Et n’oubliez pas qu’on ne chante pas toujours parce que l’on est joyeux, mais aussi parce ce que l’on est courageux. » [24]

11C’est sur la recommandation de Louis Hautecœur, qui déplore l’absence d’organisation logique de l’enseignement musical [25], que le 30 décembre 1940, le gouvernement fait appel à Cortot, grand interprète pour étudier le programme culturel que le gouvernement compte offrir à la jeunesse française. « Alfred Cortot, qui d’Amsterdam à Buenos Aires, a servi pendant trente ans la culture et la musique française, songe aussi à redonner à notre musique populaire la place qu’elle a perdue. Ainsi, il remet en vigueur les chansons du territoire, les danses issues de notre sol, il lance l’idée d’un théâtre spontané, d’une nouvelle Commedia dell’arte avec son jaillissement continu, qui fera de lui le théâtre vrai, celui de la France nouvelle. » [26] Le 26 mars 1941, Cortot est nommé comme chargé de mission au secrétariat général des Beaux-Arts « pour l’étude des questions relatives à l’enseignement musical, aux orchestres symphoniques et aux sociétés musicales en France, et pour donner suite à des propositions concrètes » [27]. Le 7 avril 1941, il remet à Louis Hautecœur un projet de réorganisation de l’enseignement de la musique, des orchestres symphoniques et des théâtres lyriques, dans lequel il préconise notamment l’institution d’un brevet d’enseignement de la musique, la réorganisation des conservatoires de province et la fédération des théâtres lyriques. Ensuite, Cortot rédige quelques rapports en matière de politique culturelle et de l’enseignement musical [28]. L’accent est mis sur l’initiation à la musique, le chant choral et l’organisation des concerts. C’est toujours en tant qu’expert que Cortot apporte au régime de Vichy son soutien.

12Par décret du 30 décembre 1943, Cortot est nommé président du Comité professionnel de l’art musical et de l’enseignement libre de la musique. Parmi les membres du Comité, figurent Germaine Lubin, Henri Rabaud, Claude Delvincourt, Charles Münch, Marguerite Long, Jacques Thibaud, Joseph Calvet, Marcel Dupré, etc. Depuis la promulgation de la loi concernant l’organisation provisoire de la production industrielle du 16 août 1940, les comités d’organisation se répandent rapidement dans tous les secteurs d’activité [29], et la musique comme le cinéma ne font pas exception. Il s’agit pour Vichy de réguler les rapports internes entre les différents intervenants sociaux.

13Dans le domaine musical, deux comités d’organisation ont été créés depuis 1940 : le Comité d’organisation des industries et des commerces de la musique, en 1941, et le Comité professionnel des auteurs dramatiques compositeurs et éditeurs de musique, en mars 1942. Dès 1941, le Comité national de propagande pour la musique a eu la tâche de reprendre les activités de l’ancien Comité national de propagande pour la rénovation et le développement de la musique, créé en 1929 [30]. Le Comité d’organisation professionnelle de la musique est créé en 1942, mais ne fonctionne concrètement qu’à partir d’octobre 1943, sous une appellation : Comité professionnel de l’art musical et de l’enseignement libre de la musique. Selon Alfred Cortot, le rôle de ce Comité n’est pas de donner des consignes précises aux compositeurs, mais de doter pour la première fois dans l’histoire du pays la corporation musicale française d’un statut collectif, assurant ses privilèges et inscrivant ses droits. En réalité, ce nouveau comité ne fait que reprendre les anciennes propositions d’avant-guerre, avancées par Philippe Erlanger [31] et surtout une partie du texte du décret du 4 mars 1942 et certaines attributions dévolues par la loi du 4 octobre 1941, dite Charte du travail [32].

14Ne pouvant pas juridiquement percevoir de cotisations, Cortot avance lui-même 500 000 francs et contracte, au nom du Comité, un emprunt d’un million de francs pour son bon fonctionnement. Cortot est toujours à la recherche de nouvelles propositions pour mieux organiser la musique en France. Dans sa lettre du 26 janvier 1943 adressée au ministre de l’Instruction publique, Abel Bonnard, il mentionne les dispositions prises par le Gouvernement allemand pour l’organisation professionnelle de la musique. Mais à aucun moment, il ne suggère l’adoption du modèle de la Chambre de la musique du Reich[33]. Très attaché aux traditions françaises, Cortot ne propose pas d’adopter le modèle national-socialiste. Il n’a jamais manifesté aucune sympathie pour le national-socialisme ou pour le modèle de l’organisation de la culture par l’État national-socialiste.

Cortot et les allemands

15Lorsque la guerre de 1939 est déclarée, Cortot a derrière lui une carrière déjà longue et glorieuse. Il est un musicien particulièrement connu et apprécié en Allemagne. Il est considéré comme « le plus grand pianiste de son temps » et notamment comme le traducteur le plus « autorisé de Schumann ». Comme d’autres artistes, il voit en l’Allemagne le pays de Goethe, de Heine, de Bach, de Beethoven, de Schubert, de Brahms, de Wagner et de Schiller, et ne s’intéressant pas à la politique, ne pouvait ou ne voulait comprendre la véritable nature du nazisme. Il accepte donc, comme avant 1939, de se produire en Allemagne. Il participe avec son vieil ami le violoniste Jacques Thibaud, au festival Mozart organisé à Paris par la Propaganda Staffel. Il donne ensuite en présence de l’occupant, plusieurs concerts officiels en France, notamment au profit du Secours national, et accepte, en juin et novembre 1942, une tournée en Allemagne avec le violoniste Jacques Thibault, à Hambourg, à Leipzig, à Munich, à Stuttgart et à Francfort-sur-le-Main. Cette tournée en Allemagne est entreprise sur l’initiative de son ami et chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, que Cortot connaissait depuis les années 1920.

16Rappelons qu’en 1929, la France avait remercié Furtwängler par l’ordre du Mérite, et qu’il avait poursuivi ses concerts dans le pays, en rencontrant le ministre de la Culture, le ministre de la Guerre, Painlevé, et des artistes de renommée internationale à l’exemple d’Alfred Cortot, Nadia Boulanger, Darius Milhaud et Edgar Varèse [34]. Le 20 février 1939, sur proposition du directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, et avec l’accord du ministre des Affaires étrangères, Furtwängler a reçu la croix de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur française. L’invitation de Furtwängler ne semble pas être suspecte aux yeux de Cortot, qui n’est absolument pas conscient de la signification politique d’une telle démarche dans le contexte précis des années 1940.

17En mai 1942, au cours de deux concerts donnés à l’Orchestre Philarmonique de Berlin, sous la direction de Furtwängler, le pianiste Alfred Cortot est soliste au Concerto pour piano de Robert Schumann. L’accueil qui lui est réservé est enthousiaste. C’est la première fois depuis l‘armistice que Cortot revient en Allemagne. Il profite de ce voyage, pour donner quelques concerts au Foyer français de Berlin et devant les nombreux prisonniers français détenus dans les stalags et les camps de travailleurs proches de Berlin [35]. En réalité, à l’exemple de son ami allemand Furtwängler, Cortot ne demandait qu’à continuer de jouer, de la même manière qu’avant 1940. Il ne réalisa pas qu’il s’agissait d’un piège tendu par Joseph Goebbels, le ministre de l’Information et de la Propagande du Troisième Reich et les services de la Propaganda Abteilung[36]. Sollicité une seconde fois, en 1943, par l’ambassadeur de Vichy en territoire occupé, François de Brinon, de reprendre ses présentations en Allemagne, Cortot refuse, conscient que sa présence en Allemagne sert avant tout les intérêts de la propagande nazie. Son refus entraîne immédiatement de la part des autorités d’occupation la suppression systématique de ses visas, nécessaires pour ses tournées en Suisse, en Espagne et en Belgique, auxquelles il doit en conséquence renoncer.

18Dans son ouvrage de référence, Richard Cobb a bien posé le problème de la collaboration. Est-ce que tous ceux qui, directement ou indirectement, travaillaient pour les Allemands étaient des « collabos » [37]. Est-ce que tous les artistes et intellectuels qui ont été présents à l’exposition Arno Breker, le sculpteur officiel du nazisme, peuvent être pour autant qualifiés comme des « collabos » ? En critiquant l’Épuration mise en œuvre suite à la libération du territoire, puis les peines judiciaires qui s’ensuivirent, Jean Paulhan, dans sa Lettre aux directeurs de la Résistance, prêche le droit à l’erreur de tous les écrivains qui avaient fréquenté Gerhard Heller ou Ernst Jünger et minore le poids de l’engagement en littérature, reprochant au Conseil national des écrivains (cne) de sombrer dans la rancune et la soif de vengeance [38]. Le cas Cortot rejoint parfaitement celui des intellectuels cités, et aurait mérité la même indulgence. La question n’est pas de savoir si Cortot a été un « collaborateur », mais de se rappeler qu’il n’a pas hésité à utiliser ses liens et sa position de conseiller, pour aider des collègues et des artistes juifs [39]. Il entreprit de nombreuses démarches en faveur d’une dizaine d’artistes juifs auprès des autorités allemandes [40]. Toutes ces démarches n’ont pas réussi, comme celles entreprises auprès de la Gestapo, mais certaines ont bien permis d’empêcher la déportation de nombreuses personnes.

Quelles sont les personnes secourues par Cortot ?

19Le pianiste Léon Kartun, Juif marié à une Aryenne, est un musicien de très haute compétence. Employé aux travaux de l’organisation Todt sur la côte normande, Cortot demande au docteur Werner de la Propaganda Staffel qu’il soit plutôt utilisé par une des organisations musicales allemandes, ce qui serait profitable en raison de la qualité exceptionnelle de la collaboration qu’il y apporterait [41]. En conséquence, le musicien ne fut pas déporté. Fin 1942, Cortot est intervenu en faveur du violoniste Dany Brunschwig qui, suite à une dénonciation, risquait d’être interné comme demi-israélite et déporté. Traquée vers le mois de décembre 1942 par les agents de la préfecture, la violoniste Denise Soriano demande à Cortot d’intervenir en sa faveur. La conversation à laquelle elle assista, avec le préfet et le secrétaire d’État aux Beaux-Arts, eut des effets presque immédiats, puisque quinze jours plus tard, elle obtint les papiers qui lui permirent jusqu’à la fin de l’Occupation de vivre autrement qu’en changeant de chambre toutes les semaines [42].

20Professeur au conservatoire de Musique à Paris et célèbre flûtiste, Marcel Moyse est l’auteur de nombreuses études et exercices pour cet instrument de musique. Le 24 septembre 1940, il demande à Cortot l’autorisation de partir à Lausanne pour un concert avec sa belle-fille, Blanche Honegger-Moyse, violoniste, et son mari Louis Moyse, pianiste. Sur l’intervention du préfet du Jura, il obtient un visa permanent, renouvelable tous les trois mois pour toute la durée de la guerre. En 1943, il informe Cortot que des scellés ont été posés à son domicile. On lui reproche sa confession juive. Cortot adresse une lettre au docteur Werner de la Propaganda Staffel le 30 novembre 1943 pour lui demander d’éviter des difficultés à cet artiste de très haute valeur [43]. Ce qui a été aussitôt fait.

21Le cas du musicien Reynaldo Rahn est particulièrement révélateur de la situation de certains artistes juifs sous l’Occupation [44]. Sa situation illustre les incohérences de la bureaucratie vichyste d’une part et le poids de l’intervention personnelle de certains fonctionnaires, d’autre part. D’origine allemande, juif par son père, basque et catholique par sa mère, Reynaldo Hahn est né à Caracas (Venezuela) en 1875. En 1878, sa famille s’exile à Paris et il entre au conservatoire de Paris à l’âge de 10 ans. Naturalisé français après la mort de sa mère, il fait son service militaire à 38 ans, et, la guerre de 1914 déclarée, demande à partir sur le front où il passe plus de trois ans, pour en revenir avec la Légion d’honneur et la Croix de guerre. En septembre 1940, alors que commencent la bataille d’Angleterre et les bombardements intensifs à Londres, soucieux de respecter ses engagements vis-à-vis de Jacques Rouché, le directeur de l’Opéra de Paris, Reynaldo obtient un laissez-passer pour revenir quelques jours à Paris et diriger une ultime représentation des Noces de Figaro à l’Opéra-Comique, le 11 septembre 1940. Il s’installe ensuite à Toulon. Rapidement, il se trouve coupé de toute ressource. Ses droits d’auteur, qui devaient à l’époque représenter une somme importante, sont bloqués en zone occupée par les autorités de Vichy. Il fait des tournées dans la zone libre, à Vichy, à Lyon, à Cannes, à Marseille et à Arles. En vertu des lois raciales de Vichy et surtout des ordonnances allemandes, bien qu’il ait été baptisé à Caracas et ait fait sa première communion à Saint-Augustin, il est jugé comme « indésirable ». Avec l’aide d’Alfred Cortot, du maire de Cannes, Antoine Blanchardon [45], celle du directeur du Casino de cette ville, et celle d’autres personnes qui acceptent de l’aider, il reste caché en zone libre [46]. La situation change de manière radicale après l’occupation des Alpes-Maritimes par les troupes allemandes en septembre 1943. Reynaldo est recherché par les autorités allemandes. Il s’enfuit à Monte-Carlo où il reste caché jusqu’à la Libération.

22En 1943, la chanteuse soprano Marya Freund est arrêtée par les autorités d’occupation [47]. Le nom et la réputation de Marya Freund ont été synonymes de suprématie dans l’art vocal : suprématie d’interprétation, suprématie de musicalité et suprématie d’authenticité artistique. Connue pour avoir chanté les Lieder de Mahler et, en 1913, créé les Gurrelieder de Schönberg à Vienne, elle avait donné, en 1921, les premières auditions française, belge et anglaise du Pierrot lunaire de Schönberg [48]. À côté de la musique contemporaine, elle était célèbre aussi pour son interprétation, des maîtres romantiques. Ses partenaires au piano ont été Alfred Cortot, Alfred Casella et Elly Ney. En 1936, dans une forme vocale éblouissante, elle fait à 60 ans ses adieux au public de la salle Gaveau à Paris. En 1942, la nouvelle de son arrestation et de sa prochaine déportation s’est répandue rapidement à Paris, probablement grâce à Hélène Morand, femme du romancier et ambassadeur de Vichy, Paul Morand. Suite à de multiples interventions et aux initiatives prises par Paul Morand et Germaine Lubin, « idole des Allemands », Marie-Blanche de Polignac, Jacques Benoist-Méchin, et Alfred Cortot, Marya Freund. Après plusieurs semaines d’internement à Drancy, elle est finalement transférée à l’hôpital Rothschild avec les personnes « non déportables » [49]. Le 21 juillet 1943, elle réussit à s’évader de l’hôpital. Elle se cache plusieurs semaines chez Irène Aïtoff, puis chez la musicienne Yvonne Gouverné, et enfin sous une fausse identité comme malade chez le docteur Revel, ami d’une élève de Marya et directeur d’une clinique de Neuilly-sur-Seine. Devant le danger de se faire dénoncer par l’infirmière en chef de la clinique qui a découvert son secret, Marya doit s’enfuir et se cache chez la veuve de Walter Staram, puis dans une pension de famille discrète, située dans une petite rue de Saint-Germain-en-Laye, en attendant la fin de l’Occupation. Il était donc particulièrement difficile, pour une artiste connue mondialement comme Marya Freund, de passer inaperçue sans être dénoncée dans la France occupée.

23Le pianiste juif, François Lang, né à Paris le 27 février 1908 est un pianiste de grand talent. Il est connu pour avoir joué comme virtuose ou comme soliste avec les grands orchestres, sous la direction des meilleurs chefs d’orchestre : Gaubert, Paray, Ingelbrecht, Poulet, Kleibert, Spendermann. En 1931, il donna une série de concerts en Allemagne avec l’orchestre symphonique de Paris. Les journaux allemands de l’époque en ont donné des comptes rendus élogieux. Mobilisé en 1939, François Lang obtient une citation et la Croix de guerre pour son courage exemplaire. Après l’armistice, il se fixe à Antibes (Alpes-Maritimes) où il se consacre essentiellement à la musique et à rassembler des collections de partitions. Après la réquisition de sa villa en octobre 1943 à Grenoble, il est arrêté le 26 novembre par un agent de la Gestapo et transféré à Drancy [50]. Alfred Cortot est intervenu auprès des autorités allemandes en vue d’obtenir sa libération. Mais François Lang fut déporté en Allemagne le 7 décembre 1943 et trouva la mort en 1944 à Auschwitz [51]. Concrètement, rares ont été les interventions auprès de la Gestapo, qui ont permis la libération de tel ou tel artiste juif [52].

24Le chef d’orchestre Manuel Rosenthal mentionne l’amitié manifestée par Cortot en 1941 et 1942, attitude qui lui fut d’un réel réconfort moral [53]. Élève du Conservatoire de musique, il a obtenu en 1928 le prix de la fondation franco-américaine Florence-Blumenthal, et il débute comme chef d’orchestre. Jacques Rouché, directeur de l’Opéra, lui commande un ballet intitulé Un baiser pour rien. Dans ce merveilleux creuset artistique qu’était alors Paris, cet extraordinaire bouillonnement de créateurs venus de tous les pays, Manuel Rosenthal côtoyait Darius Milhaud, Arthur Honegger, Henri Sauguet, Francis Poulenc, Georges Auric et bien d’autres musiciens prometteurs. Percussionniste à la création de l’Orchestre national de la Radiodiffusion nationale, le chef d’orchestre Désiré Ingelbrecht le nomme son adjoint de 1934 à 1939. Mobilisé en 1939, il est fait prisonnier. Il organise pendant les six mois de sa détention des représentations avec d’autres musiciens, comédiens et chanteurs au stalag près de Nuremberg [54]. Un officier allemand mélomane le dispense des corvées et lui accorde une pièce isolée pour composer. Avec les moyens du bord, il réalise une opérette que les musiciens réalisent. Des signes d’activité musicale existent dans d’autres camps de prisonniers. Un jour, il l’emmène à la gare et le laisse s’évader. Arrivé à Paris, il retrouve sa femme Claudine. À la demande des autorités allemandes, il se présente en 1941 pour régulariser ses papiers. L’une des femmes en uniforme de la Wehrmacht, qui était violoniste dans le civil, le reconnaît et lui donne l’Ausweis, le visa et les papiers nécessaires. Deux semaines plus tard, il a franchi la ligne de démarcation en direction de Marseille. Comme chef d’orchestre juif, toute activité lui est interdite. En septembre 1941, il rencontre à Lyon, Émile Bémond [55], l’ancien directeur de la radio, devenu directeur du Progrès de Lyon. Il espère pouvoir trouver du travail avec l’aide de cet homme, mais en vain. Il part à Besançon, espérant revoir son fils. Mais, il est arrêté par les autorités allemandes et traduit devant un tribunal allemand. Par chance, le caporal Oskar W. qui était un violoncelliste dans le civil lui délivre une nouvelle carte d’identité au nom de Roger Doret, un Ausweis et un billet de train pour Marseille [56]. Désormais, il peut se déplacer sous la couverture d’un « représentant en teinture » résidant dans la cité phocéenne. Arrivé à Marseille en 1942, il se cache comme bon nombre d’autres artistes chez la comtesse Lily Pastré à Montredon [57]. À la fin de l’année 1942, il repart à Paris et participe aux activités de résistance du Front national de la musique. Il reprendra ses activités de chef d’orchestre à la Libération.

25Alfred Cortot intervient aussi en faveur du pianiste Henri Etlin, aveugle, menacé d’expropriation et de la vente de ses biens ; de Mme Charron Strauss, juive internée à Drancy ; d’Alma Van Leuwen Boomkamp, menacée de déportation et de nombreuses autres personnes, dont l’historien a souvent du mal à retrouver des témoignages concrets. Suite aux multiples démarches de Cortot auprès de la Gestapo, Marcelle Charoy, en tant que juive, et les membres de sa famille n’ont pas été déportés [58]. Il contribue aussi avec Arletty et Jean Cocteau à la libération du poète et écrivain juif Tristan Bernard, arrêté par la Gestapo à Cannes en 1943 et interné avec sa femme à Drancy.

26Enfin, il importe de mentionner également le rôle de Cortot dans les démarches entreprises par Claude Delvincourt, directeur du Conservatoire de musique à Paris de 1942 à 1944, pour faire exempter du sto (Service du travail obligatoire) et du départ forcé en Allemagne les élèves du Conservatoire et ceux des écoles de musique. Avec l’autorisation du ministre du Travail, les artistes musiciens appartenant aux divers orchestres, menacés d’être requis et envoyés individuellement en Allemagne au titre du sto, ont été maintenus en France dans l’exercice de leur profession et dans leurs groupements respectifs. Toute information demandée par le Comité professionnel de l’art musical et de l’enseignement libre de la musique (cpam) sous divers prétextes afin d’établir le recensement des artistes musiciens susceptibles, en raison de leur âge, d’être requis par le Service du travail obligatoire, a été refusée [59]. En témoigne, la lettre de Claude Delvincourt, directeur du conservatoire de musique en 1945 qui remercie Cortot :

27

« Aux moments les plus difficiles de l’Occupation, j’ai reçu d’Alfred Cortot un appui dont je lui garde une très vive reconnaissance. En particulier, quand je m’occupais de soustraire mes élèves au Service du travail obligatoire et me trouvais de ce fait en conflit ouvert avec le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Cortot est intervenu avec beaucoup de courage et d’énergie pour essayer de modifier l’attitude d’Abel Bonnard à l’égard de nos jeunes musiciens. Mieux encore, lorsque le ministre eut vent de l’activité clandestine à laquelle je me livrais en dépit des instructions reçues et que, de ce fait, ma révocation fut décidée, Cortot qui en avait été averti prit l’offensive rue de Grenelle avec tant de vigueur que la mesure envisagée à mon égard fut retardée, et que j’ai pu atteindre la Libération sans ralentir mon activité. J’aurais été heureux de porter ces faits à la connaissance de la Commission devant laquelle parut M. Cortot. Malheureusement je ne fus pas convoqué comme témoin… » [60]

28Au-delà de ces cas mentionnés, il est clair que la position d’Alfred Cortot sous Vichy et ses relations avec les autorités allemandes lui ont permis d’obtenir le droit de visiter quatre camps de prisonniers français en Allemagne, de contribuer à la libération d’une trentaine de musiciens ou d’empêcher la déportation de plusieurs musiciens juifs [61]. Cortot intervient notamment auprès du docteur Werner de la Propaganda Staffel et obtient que les musiciens des orchestres des théâtres nationaux et des quatre sociétés subventionnées en France ne soient pas soumis à l’obligation du sto en Allemagne. Ceci leur a permis de continuer leurs activités dans leurs groupements professionnels en France. Sur cette liste de 26 musiciens y figurent les violonistes : Gaston Dupont, Léon Locatelli, Henri Poulain, René Faure, André Cardin et Raymond Piat ; le clarinettiste Marcel Poffe ; les flûtistes Serge Quillet, Désiré Marquetout ; les bassons Pierre Boet, Claude De Clerq ; les trombonistes Bernard Romane et Ambroise Moreni ; les trompettistes : Claude Akoka et Nestor Vico ; Maurice Husson alto, René Vidalot cor, René Tonnelier cor, Charles Perrier cor, André Focheux alto, Joseph Sandrais cornet, Jean Dupin hautbois, Albert Payen trompette, et Albert Bomitto violoncelle. Environ une soixantaine de musiciens ont témoigné à la Libération en faveur de Cortot, qui réussit à limiter le nombre des musiciens qui devaient partir en Allemagne. Il est donc clair qu’Alfred Cortot a utilisé ses relations avec les autorités d’occupation, et sa position à Vichy, pour contribuer à la libération de plusieurs dizaines de musiciens détenus dans les stalags et oflags ou pour empêcher la déportation de plusieurs musiciens juifs et le départ en Allemagne de musiciens résistants [62].

Alfred Cortot dans l’historiographie de l’histoire culturelle de Vichy

29Paradoxalement, si la vie culturelle des années noires a suscité depuis les années 1990 des études historiques essentiellement centrées sur la littérature, les arts plastiques, le théâtre et le cinéma, la musique, elle, demeure absente de ce champ de recherche jusqu’à la constitution en 1995 d’un groupe de recherche pluridisciplinaire, composé de musicologues et d’historiens sur « La vie musicale en France pendant la Seconde Guerre mondiale » suivie de l’organisation d’un colloque sous la direction de Myriam Chimènes, publié en 2001 [63]. Ceci dit, depuis cette date, les articles, études ou publications consacrées à Alfred Cortot, aux conservatoires de musique dans les différentes villes de France sous l’Occupation – Paris, Marseille, Grenoble, Lyon, Bordeaux –, ou aux musiciens durant cette période, et notamment aux musiciens juifs, restent assez rares. À ce jour, la seule biographie consacrée à Alfred Cortot fut celle de son ami et académicien Bernard Gavoty [64]. On peut certainement critiquer l’auteur de ne pas avoir indiqué ses sources et de ne pas être suffisamment objectif, mais pour autant la majorité des informations mentionnées dans son ouvrage se confirment par l’étude des différentes sources d’archives que nous avons étudiées. Dans ces conditions, ces écrits ne peuvent plus être considérés comme des propos pro-domo mais comme un véritable témoignage dont la véracité se confirme totalement à la lecture de nombreux documents d’archives.

30Dans son article pionnier, Myriam Chimènes souligne les différentes positions officielles de Cortot, son attitude politique pendant les années 1940-1944, allant jusqu’à mentionner sa double épuration à la Libération, par le Conseil d’enquête de l’administration des beaux-arts, et par le Comité national d’épuration des professions d’artistes dramatiques, lyriques et de musiciens exécutants [65]. Cherchant à accuser Cortot et à le juger, elle omet volontairement de mentionner la liste des nombreux artistes juifs qu’il sauva d’une éventuelle déportation et l’accuse d’être maréchaliste dès juin 1940 et de basculer clairement dans le camp de la collaboration ensuite [66]. Son article est régulièrement cité par d’autres historiens, sans que pour autant les auteurs cherchent à vérifier eux-mêmes l’authenticité et la véracité de cette interprétation et celle des sources mentionnées. Dans son article, Agnès Callu analyse essentiellement les réformes structurelles du conservatoire de 1939 à 1947 et met surtout l’accent, à juste titre, sur l’intérêt que porte Louis Hautecœur aux réformes proposées par Cortot, ce qui met bien en exergue la continuité entre Vichy et l’avant-guerre. Frédéric Gaussin, musicien et spécialiste de Lazare Lévy, a publié un article, en 2010, sur Lazare Levy et Alfred Cortot dans les actes du colloque de Nanterre [67]. L’auteur qui est chargé d’écrire la biographie du pianiste Lazare Lévy, confond la réalité historique et la présentation des faits qu’avance Lazare Lévy comme témoin de l’époque. Ce dernier avait accusé son ami Alfred Cortot de ne pas être intervenu pour faire libérer son fils arrêté par la Gestapo comme résistant, membre du mouvement de résistance Combat. Par conséquent, Frédéric Gaussin oublie totalement que Cortot n’avait pas les moyens de faire libérer des résistants juifs et présente l’artiste comme un « antisémite », alors qu’il était proche de Léon Blum, et comme « un belliciste, qui disposait d’un pouvoir absolu au gouvernement de Vichy et qui a préféré ignorer le fils de son ami et le laisser mourir aux mains de ses tortionnaires, la Gestapo ». Comprendre les faits historiques et les attitudes des uns et des autres en les plaçant dans le contexte particulier, tel est le rôle de l’historien, mais certainement pas de porter un jugement moral et de manquer de toute objectivité. Avancer l’accusation selon laquelle Cortot était antisémite en se basant uniquement sur les propos de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle est une démarche particulièrement discutable pour l’historien qui cherche à fonder ses propos sur des documents d’archives [68]. Combien de fonctionnaires de Vichy hauts placés – ce qui n’était pas le cas de Cortot en dépit de ses nombreuses responsabilités en matière de jeunesse et d’éducation-ont véritablement réussi à modifier les décisions prises par la Gestapo et surtout par Aloïs Brunner en 1943-1944, concernant l’arrestation de résistants juifs ? À notre sens, il s’agissait d’une mission impossible.

31À l’encontre de cette présentation totalement erronée et injuste sur le plan historique, il convient de rappeler celle que propose Stéphanie Corcy dans son ouvrage « La Vie culturelle sous l’Occupation » publié en 2005 [69] et qui est celle d’une historienne particulièrement honnête et dépassionnée. On peut ajouter également les propos parfaitement nuancés de Michel Bergès dans Vichy contre Mounier : « Alfred Cortot, négligé par l’historiographie des politiques culturelles de Vichy, fut donc un temps, à l’ombre de Hautecœur, l’inspirateur officieux, symbolique, qui apporta le prestige de son nom aux velléités d’action ministérielle… » [70] Enfin, il convient de rappeler qu’après la Libération les projets proposés par Cortot sont restés toujours d’actualité et que ni Amable Massis ni Marcel Landowski n’ont jamais renié l’action féconde d’Alfred Cortot. Ses réformes importantes méritent en tant que telles d’être évoquées par ceux qui étudient l’histoire de la musique en France. Ajoutons que ce n’était ni « l’ambition » ni « le goût des ministères », ni « l’attrait du pouvoir » qui a fait agir Cortot, comme certains musicologues-historiens le lui reprochent, mais bien sa volonté de réaliser des anciens projets et réformes en matière de musique.

Conclusion

32Le comportement de Cortot ressort pour certains comme Myriam Chimènes de ce que Philippe Burrin qualifie d’« accommodation choisie et volontaire » [71], pour d’autres à l’instar de Karine Le Bail, « Alfred Cortot était lié aux milieux collaborationnistes » [72]. Rappelons que si à la Libération, tout a été fait pour accuser Alfred Cortot d’être « un collaborateur », il n’a été suspendu de ces fonctions que pendant une seule année, car les charges contre lui ont perdu de leur importance face aux nombreux témoignages de résistants, de musiciens qui ont, grâce à ses interventions, échappé à l’arrestation ou au départ en Allemagne et de juifs qui ont eu la vie sauve. Il importe à notre sens de modifier cette vision simpliste de l’artiste, comme lié aux milieux collaborationnistes ou un collaborateur notoire.

33Il est assez surprenant de constater que, depuis 1949, aucun historien n’a cherché à élucider le mystère Cortot, ni à étudier le cas de ces nombreuses personnes (plus de 50) qui ont témoigné en sa faveur à la Libération, dans un climat de haine et de mensonge et que la seule biographie existante de cet artiste de renom est celle de son ami Gavoty. L’aide apportée à de nombreux artistes juifs est particulièrement étonnante de la part d’un pianiste, qui accepta de se mettre au service de la Révolution nationale pour réaliser différents projets en matière d’éducation musicale. Contrairement aux accusations avancées par Frédéric Gaussin, selon lesquelles pour Cortot, « les artistes juifs ou maçons ne sont pas des artistes de France », Cortot fit tout ce qu’il pouvait pour aider les artistes juifs [73]. Cortot se rallia au régime de Vichy, non par idéologie ou pour vouloir obtenir un poste plus honorifique, mais pour pouvoir concrétiser des projets de réforme de l’enseignement musical en France, qu’il voulait réaliser depuis plusieurs années. Même s’il a porté la francisque, comme d’autres à cette époque, Cortot ne s’est jamais intéressé aux questions politiques. Il pensait tout simplement servir la France, en contribuant à faire triompher la musique française dans l’Europe occupée et à servir l’intérêt de la musique française. Si l’attitude de Cortot, comme celle de Sacha Guitry, de Serge Lifar, de Maurice Chevalier, d’Édith Piaf, de Jacques Rouché, de Claude Delvincourt et d’autres artistes, reste ambiguë pendant cette période, il faut néanmoins rappeler leur courage d’aider d’autres artistes, et notamment des Juifs [74]. Dans notre étude sur le sauvetage des Juifs en France, nous avons qualifié ces attitudes courageuses et ambiguës comme des actes de désobéissance civile [75].

Qu’est-ce que désobéir ?

34La désobéissance aux lois supérieures ou aux lois politiques et sociales est bien souvent synonyme de résistance à l’occupant et peut aller jusqu’à l’engagement dans la lutte armée. Cependant, la désobéissance des personnes qui sauvèrent les Juifs ne fut pas formulée, ni théorisée comme telle. Elle fut avant tout une affaire individuelle. La désobéissance civile était pour ces personnes tout d’abord un acte non violent, décidé en conscience contre la loi existante et ses conséquences. La désobéissance civile est une transgression d’une règle de droit positif. S’agissant de la violation d’une règle pénale, elle s’analyse comme une infraction [76]. Dans le contexte des années 1940-1944, qui eût accepté d’un cœur léger de braver les interdits que toute une éducation avait forgés, pour secourir un Juif ?

35Concrètement, la désobéissance civile est une attitude adoptée par un nombre limité d’individus, qui ont agi discrètement, sans avoir pour autant bénéficié au départ du soutien de l’opinion. Pour les uns, cette attitude signifiait venir en aide aux personnes en détresse, les prévenir avant leur arrestation, leur procurer de faux papiers ou des moyens de vivre, pour d’autres un acte de résistance face à l’occupant. C’était une affaire de conscience avant tout. Accepter d’enfreindre la loi, de s’exposer à des poursuites, de risquer des sanctions pénales ou administratives, de se faire arrêter et déporter [77] n’était pas une attitude qui caractérise essentiellement des résistants. Parmi les nombreux artistes étudiés, on constate parfaitement que bon nombre d’entre eux, y compris ceux qui ont « collaboré » avec les autorités allemandes, ont eu le courage de secourir ou d’intervenir en faveur d’autres artistes juifs ou d’autres fugitifs. Dans le cas de Cortot, la nécessité de continuer à participer à la vie musicale a certainement entraîné des accommodements avec l’État français ou avec les autorités allemandes, mais l’artiste savait aussi rendre service à de nombreuses personnes, qui se trouvaient en danger, ce qui n’était pas une attitude banale dans le contexte particulier de l’Occupation. Le rôle de l’historien n’est pas d’avancer des jugements, mais d’éclaircir des mystères, de comprendre les parcours particuliers des uns et des autres, sans pour autant s’aligner sur les rumeurs et les jugements avancés souvent dans le contexte de l’Épuration qu’a connue la France après 1945, celui d’une guerre « franco-française ».


Date de mise en ligne : 04/10/2012

https://doi.org/10.3917/gmcc.246.0117

Notes

  • [1]
    Notre étude se fonde sur plusieurs sources trouvées aux archives nationales (an)?: série AJ37, Conservatoire de musique?; série F21-Archives des Beaux-Arts?; 2AG-État français?; F60-Secrétariat général du gouvernement?; F17-Instruction publique?; Z6-Cour de justice?; F7-Police générale?; 3W-Procès de Haute-Cour de Justice?; F42-Cinéma?; AJ40-Archives allemandes de la Seconde Guerre mondiale?; F1A-Ministère de l’Intérieur. Notre étude est également basée sur des études particulières concernant le domaine de la musique et de la politique culturelle de Vichy, sur des mémoires publiés à l’époque, sur le fond de Bernard Gavoty conservé à l’Institut de France et sur notre mémoire d’habilitation à diriger des recherches, portant sur «?Les artistes juifs et non juifs sous l’Occupation?», sous la direction du professeur Jean-Paul Bled, Université Paris-IV-Sorbonne, soutenue en novembre?2011, 650 p. et également notre ouvrage?; Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile?: l’exemple du sauvetage des juifs, Le Cerf, 2010-2011, t. 1, p.?421-465.
  • [2]
    Bernard Gavoty, Alfred Cortot, Paris, Éd Buchet/Chastel, 1977.
  • [3]
    Pablo Casals, Ma vie racontée à Albert E. Kahn, Paris, Stock 1979. Pablo Casals (1876-1973), violoncelliste, chef d’orchestre et compositeur espagnol, qui fut l’un des plus grands musiciens du xxe?siècle. Il fit ses débuts de soliste au violoncelle aux concerts Lamoureux de Paris en?1898. Après la chute du gouvernement républicain en Espagne en?1939, il se réfugia en France. Fervent antifasciste, il continua de jouer avec son ami Alfred Cortot.
  • [4]
    Dino Lipatti est né en?1917 à Bucarest. Initié à la musique au sein de son environnement familial, il a pour parrain Georges Enesco. Arrivé à Paris en?1934, il est l’élève d’Alfred Cortot, d’Yvonne Lefébure, de Paul Dukas, de Nadia Boulanger et de Stravinsky. Il est un interprète d’une rare méticulosité. Dragos Tanasescu and Grigore Bargauanu, Lipatti, London, Ed Kahn and Averilles, 1987.
  • [5]
    Alfred Cortot, «?Attitude de l’interprète?», Revue internationale de musique, no 5-6 (numéro spécial consacré au piano), April 1939, p.?885-888.
  • [6]
    an F21/3975?: Alfred Cortot?: «?Note concernant la création dans le cadre de la direction générale des Beaux-Arts et sous le contrôle de la direction générale des services d’information d’un organisme dénommé “L’esprit de la France aux armées”?».
  • [7]
    Georges Huisman (1899-1957) est à la tête de la direction des Beaux-Arts depuis le 6 février 1934. À ce titre, il aide à la diffusion du cinéma en France et contribue à la création du festival de Cannes en?1939. Face aux menaces de guerre, il supervise l’évacuation des objets et œuvres d’art des musées parisiens vers la province. Révoqué le 25 juillet 1940, il s’embarque avec Jean Zay et d’autres parlementaires à bord du Massilia, afin de continuer la lutte en Afrique du Nord. La tentative ayant échoué, il retourne à Marseille, et vit caché durant 18 mois dans une ferme près d’Albi, grâce à l’aide de Louis-Charles?Bellet. Arrêté par les Allemands en?1942, il est sauvé par l’écrivain Roland Dorgelès. Voir?: Christiane Rimbaud, L’Affaire du Massilia, Été 1940, Le Seuil, 1984?; Marcelle Georges Huisman, J’ai un bel avenir derrière moi, Paris, éd. du Platane, 1994.
  • [8]
    an F21/3975?: Lettres de Huisman à Giraudoux et à Duhamel, datées du 13?décembre 1939 et lettre de Cortot à Huismann, 27 septembre 1939.
  • [9]
    an F21/4710.
  • [10]
    an F17/13368?: lettres d’Alfred Cortot à Abel Bonnard?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, Paris, Perrin, 2005, p.?325-330?; François Porcile, Les Conflits de la musique française (1940-1965) Paris, Fayard, 2001, p.?55-76.
  • [11]
    Agnès Callu, «?Les réformes structurelles du conservatoire?», p 133, dans Myriam Chimènes (s.d.) La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, 2001?; Pascal Ory, «?La politique culturelle de Vichy?: ruptures et continuité?», in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Vie culturelle sous Vichy, Bruxelles, Complexe/ihtp 1990, p.?225-238.
  • [12]
    an F21/8099, Rapport du 29 juillet 1940, an 2AG/74?: rapport du 30 juillet 1940.
  • [13]
    an F21/8099, Projet sur l’utilisation des jeunes virtuoses français dans les initiatives de propagande à l’étranger, 1er août 1940. Rappelons qu’à l’origine le Service d’action artistique s’organisa dès 1922. Par application de la loi du 3?octobre 1940 portant sur le statut des Juifs. Philippe Erlanger a cessé le 19?décembre ses fonctions de chef du Service d’action artistique à l’étranger à la direction générale des Beaux-Arts et de directeur de l’Association française d’action artistique. Plus d’une fois, il précise dans ses nombreux rapports l’utilité d’adopter les projets proposés par Alfred Cortot.
  • [14]
    Les technocrates trouvent leurs paradigmes dans la technologie dont le potentiel productif contient la promesse d’une société d’abondance. L’arrivée des technocrates à Vichy dès 1940 signifie que le nouveau régime fait appel à des hommes apolitiques, ni de droite et ni de gauche, des non-conformistes. Limore Yagil, L’Homme nouveau et la révolution nationale de Vichy, Lille, Presses universitaires, p.?31-35.
  • [15]
    Laurence Bertrand Dorléac, L’Art de la défaite (1940-1944) Paris, Le Seuil, 1993, p.?140?; Limore Yagil, L’Homme nouveau, ibid., p.?145-146,166?; Michel Bergès, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années?40, Bordeaux, Presses universitaires, 1997, p.?32-33.
  • [16]
    an F17?13368, Louis Hautecœur, «?Projet d’équipement national, Beaux-Arts?», notes et rapports au ministère de l’Éducation nationale, 13-janvier 1942.
  • [17]
    Louis Hautecœur, Les Beaux-Arts en France, passé et avenir, Paris, A et J. Picard et Cie, 1948, p.?245.
  • [18]
    Leslie Sprout, «?Les commandes de Vichy, aube d’une ère nouvelle?», in Myriam Chimènes (dir.), La Musique sous Vichy, op.?cit., p.?157-181.
  • [19]
    Limore Yagil, L’Homme nouveau, op.?cit., p.?43-113.
  • [20]
    Jean Ybarnégaray est nommé ministre d’État (10?mai au 16?juin 1940) du gouvernement Paul Reynaud. Il continue sa carrière après l’armistice et devient ministre des Anciens Combattants et de la Famille française (17?juin au 11 juillet 1940) dans le gouvernement de Pétain. Le 10 juillet, il a voté en faveur de la remise des pleins pouvoirs au Maréchal. Du 12 juillet au 6 septembre, il reste ministre (de la Jeunesse et de la Famille) avant que Pétain ne se débarrasse de cet ancien parlementaire.
  • [21]
    an F44/2, note du 29 septembre 1940. an F21/3973?; F21/3975?; F21/8099?; 2AG/654?: Éducation nationale et jeunesse?; Bulletin de presse, no 4-5?novembre-décembre?1940. Limore Yagil, L’Homme nouveau, op.?cit., p.?145-146, 166?: politique de Louis Hautecœur.
  • [22]
    an 2AG/650, Conseil national. Le Conseil national est «?supposé représenter les diverses composantes de la société française?». Il est créé en janvier?1941 pour «?assister le chef de l’État dans la préparation d’une nouvelle constitution?», Henry Rousso, Le Régime de Vichy, Paris, puf, 2007, p.?46-47?; Michèle Cointet, Le Conseil national de Vichy. Vie politique et réforme de l’État en régime autoritaire (1940-1944), Paris, Aux Amateurs de livres, 1989.
  • [23]
    Voici la France, Paris, Julliard, 1940.
  • [24]
    Cité par Bernard Gavoty op.?cit., p.?158.
  • [25]
    an F21/8093, Note de Louis Hautecœur, du 18?mars 1941?; F17/13368?; Louis Hautecœur, Les Beaux-Arts en France, passé et avenir, Paris, A et J. Picard et Cie, 1948.
  • [26]
    Cité in Michel Bergères, op.?cit., p.?35.
  • [27]
    an F21/8093, Arrêté du 26?mars 1941 (Journal officiel du 28?mars 1941).
  • [28]
    an F17/13368, lettres d’Alfred Cortot à Abel Bonnard?; F21/8093, Note de Louis Hautecœur?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, op.?cit., p.?325-330?; François Porcile, Les Conflits de la musique française (1940-1965), Paris, Fayard, 2001, p.?55-76.
  • [29]
    Robert Paxton, La France de Vichy, Paris Seuil, p.?204-213.
  • [30]
    an F21/5306, Yannick Simon, Composer sous Vichy, Paris, Symétrie 2009, p.?64-85.
  • [31]
    an F21/8099, Plusieurs projets d’Alfred Cortot datés d’août 1940 et de Philippe Erlanger.
  • [32]
    La Charte du travail propose une nouvelle organisation professionnelle de la société française. Son but est de restaurer la valeur et la dignité du travail, et de remplacer la lutte des classes par une collaboration entre employeurs et salariés au sein de l’entreprise et de chaque profession.
  • [33]
    an F17/16944, Yannick Simon en s’alignant sur Myriam Chimènes avance une autre interprétation des documents d’archives. Yannick Simon, Composer sous Vichy, op.?cit, p.?81.
  • [34]
    Audrey Roncigli, Le Cas Furtwangler. Un chef d’orchestre sous le IIIe Reich, Paris, Éd Imago 2009, p.?33, 59, 63, 100?; Gérard Geffen, Furtwangler, une biographie par le disque, Paris, Belfond, 1986, p.?9-47?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?160-161.
  • [35]
    an F17/16944?: témoignage de Charles?Kiesgen l’imprésario de Cortot en France?; et Papiers Gavoty, op.?cit.?; Yannick Simon, Composer sous Vichy, op.?cit., p.?27-29?; Yves Durand, Les Prisonniers de guerre dans les stalags, les oflags et les kommandos 1939-1945, Paris, Hachette, coll. «?La vie quotidienne?», 1994. Félicien?Laubreaux, Le Trait d’union, no 244, 29?novembre 1942?: «?Le maître Alfred Cortot joue devant les prisonniers.?»
  • [36]
    Bernard Gavoty, Alfred Cortot, ibid., p.?173 et Doda?Conrad, Doscadies, Ma chronique du xxe?siècle, Actes Sud, 1997, p.?256-258. Créée le 18 juillet 1940, la Propaganda Abteilung dépend conjointement du ministère de l’Information et de la Propagande du Reich, placé sous la direction de Goebbels, et de la Wehrmacht. Elle représente donc l’organe officiel de la propagande nazie en France. C’est le major Schmidtke, ancien officier de liaison pour la presse, qui est nommé à la direction de cette institution. Il restera en poste pendant toute la durée de l’Occupation, fait assez rare. Son pouvoir s’étendait à l’ensemble de la France occupée. La Propaganda Abteilung est divisée en quatre Propaganda Staffeln (sections) correspondant à un secteur géographique précis de la zone occupée?: Paris, Angers, Saint-Germain et Dijon.
  • [37]
    Richard Cobb, Vivre avec l’ennemi – La France sous deux occupations 1914-1918, 1940-1944, Paris, Éd du Sorbier, p.?85.
  • [38]
    Jean Paulhan, Lettre aux directeurs de la Résistance, in Œuvres complètes, Paris, Édition de Minuit 1952, vol. V, 429 sq.
  • [39]
    Il épouse Clotilde?Bréal, fille du philologue Michel Bréal, alliée à Léon Blum et qui a été la première femme de Romain Rolland. Cortot se dit à l’époque «?dreyfusard passionné?» évoquant ses dîners hebdomadaires chez les Ménard-Dorian, dont le secrétaire Léon Blum qu’il considère comme son «?meilleur ami?».
  • [40]
    an F17/16944, dossier d’épuration de Cortot.
  • [41]
    an F17/16944, Lettre de Cortot au Dr Werner en faveur de Léon Kartun du 5?novembre 1944, dans.
  • [42]
    an F17/16944, Lettre de Denise Soriano du 27 février 1945.
  • [43]
    an. F21/8093, Dossier conservatoire de musique?; an F17/16944, divers dossiers d’épuration d’artistes?; an Z6SN/3651, dossier Alfred Cortot?; F21/8107, 8096, 8099, F21/5169, F21/5180?; F7/15298, F17/13391, 13368 et Fond Gavoty à l’Institut de France.
  • [44]
    Reynaldo Hahn, Lettre à Francis Poulenc, 6 avril 1944, F-PN, département de la musique, N1a37(398).
  • [45]
    cdjc, CCXVIII-93a?; Yagil Limore, La France terre de refuge, et de désobéissance civile 1936-1944?: l’exemple du sauvetage des Juifs, Le Cerf 2010-2011, 3 tomes, 1?200 p., en particulier, t. II, p.?45-47.
  • [46]
    cdjc, CXXIII-33?; Jacques Depaulis, Reynaldo Hahn, Paris, Séguier, 2007, p.?131-135. Hahn est nommé, par arrêté du 4 février 1941, membre du jury d’admission, placé sous la présidence d’Alfred Cortot, chargé de recruter les artistes exécutants ou solistes appelés à intégrer les différents ensembles musicaux de la Radio nationale. Quelques mois plus tard, il est considéré comme juif, mais le cgqj ne recommande pas d’interdire la diffusion de ses œuvres à la radio.
  • [47]
    an F17/16944?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, Buchet/Chastel, Paris 1977, p.?153-171.
  • [48]
    Doda Conrad, Dodascalies. Ma chronique du xxe?siècle, Paris, Actes Sud 1985. Il s’agit des mémoires du fils de la célèbre cantatrice, que l’on peut lire avec grand intérêt.
  • [49]
    an F7/16944, Lettre de Marya Freund du 15?janvier 1945?; Doda Conrad, Dodascalies, ibid., p.?256-258.
  • [50]
    Collection musicale François Lang [à l’abbaye de Royaumont]. Catalogue établi par Denis Herlin. – aris, Klincksieck, 1993.
  • [51]
    an F17/16?944?: Témoignage de J.H. Gouin en?1945.
  • [52]
    Dans le cas du fils de Lazare Lévy, pour lequel on accuse Cortot de n’avoir rien fait pour le libérer, rappelons, qu’il s’agissait d’un résistant, membre du mouvement Combat et juif de surcroît. Dans le contexte de l’époque, on ne peut pas imaginer que la Gestapo pouvait accepter de libérer un résistant juif, à la demande d’un tel ou tel ministre du gouvernement de Vichy ou d’un conseiller quelconque.
  • [53]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal. Une vie. Paris, Mercure de France, 1992?; Jean-Luc Tingaud, Manuel Rosenthal, Crescendo vers Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1999.
  • [54]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal, op.?cit., p 118-119. À titre d’exemple rappelons que le 27?novembre 1941, Maurice Chevalier participe au gala donné devant les prisonniers du Stalag XI, près de Magdeburg en Saxe.
  • [55]
    Gérard Chauvy, Lyon 1940-1947, Paris, Perrin, 2004, p.?151.
  • [56]
    Dominique Saudinos, Manuel Rosenthal, op.?cit., p.?138-139.
  • [57]
    Jacques Nantet, Souvenir de la comtesse Pastré, Paris, Revue de Deux Mondes, 1984?; Jean-Marie Guiraud, La Vie intellectuelle à Marseille, crdp, Marseille, 1987, p.?96-97?; 212-215?; Limore Yagil, La France terre de refuge, op.?cit., t. I, p.?452-457.
  • [58]
    Attestation de Mme Roger Charoy, du 28 février 1945. Roger Charoy son mari a été arrêté le 31?mars 1944 et déporté en juillet 1944.
  • [59]
    La loi du 16 février 1943 a contraint les jeunes âgés de?20 à 22?ans de partir travailler en Allemagne.
  • [60]
    an F17/16944, Lettre de Claude?Delvincourt, du 7 septembre 1945.
  • [61]
    an F17/16944, dossier Cortot?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?161.
  • [62]
    an F17/16944, dossier Cortot?; an Z6SN/3651 – Alfred Cortot?; F21/8107, F21/8093, 8096, 8099, F21/5169, F21/5180?; F7/15298, F17/13391, 13368?; Fond Gavoty à l’Institut de France?; Bernard Gavoty, Alfred Cortot, op.?cit., p.?161.
  • [63]
    Sur l’histoire de la musique sous l’Occupation, consulter?: Gilles Ragache et Jean Robert, La Vie quotidienne des écrivains et des artistes sous l’Occupation 1940-1944, Paris, Hachette, 1988?; M. Chimènes (dir.), La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, ihtp-cnrs, 2001?; Stéphanie Corcy, La Vie culturelle sous l’Occupation, Paris, Perrin 2005.
  • [64]
    Élève de Marcel Duprès au Conservatoire de musique, Gavoty fait de nombreuses conférences en matière de musique, et est un célèbre critique musical français du Figaro, sous le pseudonyme de Clarendon. Il est élu en?1976, membre de l’Académie des beaux-arts. Il ne s’agit pas donc d’un simple journaliste, mais d’un musicien, spécialiste des questions de musique.
  • [65]
    Au sujet de la carrière d’Alfred Cortot?: Myriam Chimènes, «?Alfred Cortot et la politique musicale du gouvernement de Vichy?», in Myriam Chimènes (dir.). La Vie musicale sous Vichy, Bruxelles, Complexe, coll. «?Histoire culturelle?», 2001, p.?35-52.
  • [66]
    Si Myriam Chimènes a bien mentionné le dossier d’épuration d’Alfred Cortot, mais elle a choisi de ne pas mentionner le nom de plus de 50 personnes sauvées par Cortot, afin de minimiser l’importance de son activité, pour mieux pouvoir l’accuser ensuite.
  • [67]
    «?Vies parallèles, destins mêlés?: Alfred Cortot (1877-1962), Lazare-Lévy (1882-1964), deux virtuoses sous l’État Français?», dans De la guerre dans l’art, de l’art dans la guerre. Colloque international, Université Paris-X-Nanterre, inha, 29 au 29?janvier 2010. Textuel, no 63, Université Paris-VII. David Mastin, Marine Branland (dir.). Nous tenons à remercier l’auteur d’avoir accepté de nous envoyer une copie de son article. Son étude permet d’observer comment des jeunes chercheurs ne cherchent pas à connaître la vérité historique, et se limite à citer quelques rares documents d’archives qui justifient leur point de vue fixé d’avance.
  • [68]
    Frédéric Gaussin, ibid., p.?3.
  • [69]
    Stéphane Corcy, La Politique culturelle sous l’Occupation, Perrin, 2005, p.?191,193,246, 247, 296, 305, 311, 327-329, 342.
  • [70]
    Michel Bergès, Vichy contre Mounier. Les non-conformistes face aux années?40, Paris, Économica, 1997, p.?30-31.
  • [71]
    Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, Seuil, 1995.
  • [72]
    Myriam Chimènes et Karine Le Bail (s.d), Henry Barraud. Un compositeur aux commandes de la Radio. Essai autobiographique, Fayard et bnf 2010, note p.?351.
  • [73]
    Frédéric Gaussin, op.?cit., p.?5.
  • [74]
    Notre étude sur ce sujet sera prochainement publiée.
  • [75]
    Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile, op.?cit., t. I, p.?37-74.
  • [76]
    Hannah Arendt, Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, trad. par G. Durand, Paris, Calmann Lévy, 1972, p.?61-63 et p.?105.
  • [77]
    Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944, op.?cit., en particulier t. I, p.?37-75?: notion de la désobéissance civile.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.88

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions