Couverture de GAP_212

Article de revue

Des députés « hors sol » ?

Politiques de diaspora et représentation parlementaire des émigrés en France (2012-2017)

Pages 61 à 88

Notes

  • [1]
    Deux termes distincts, véhiculant des imaginaires différents, sont couramment mobilisés pour qualifier les personnes vivant en dehors de leur pays d’origine selon qu’elles soient issues de pays « pauvres »  ou de pays « riches » . Alors que les premières sont nommées « émigrés » , les secondes sont plus volontiers qualifiées d’« expatriés » . Dans le cadre de cet article, nous avons fait le choix de ne pas reproduire cette distinction peu opératoire en mobilisant uniquement le terme d’émigré.
  • [2]
    Le site NosDéputés.fr est une initiative du collectif Regards citoyens qui se donne pour objectif de « proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques » .
  • [3]
    Les entretiens, d’une durée d’une à deux heures, ont tous été réalisés par l’auteur entre avril 2013 et mars 2018. Quand il leur est directement fait référence dans le texte, ils sont numérotés de la manière suivante : Pierre-Yves Le Borgn’, entretien no 1 du 29 avril 2013, entretien no 2 du 21 novembre 2016 ;  Christophe Premat, entretien no 3 du 26 novembre 2016 ;  Arnaud Leroy, entretien no 4 du 30 novembre 2016 ;  Pouria Amirshahi, entretien no 5 du 23 février 2017 ;  Sergio Coronado, entretien no 6 du 17 mars 2017 ;  Alain Marsaud, entretien no 7 du 6 novembre 2017 ;  Thierry Mariani, entretien no 8 du 2 mars 2018.
  • [4]
    En 2013, treize pays accordaient à leurs émigrants une « représentation spéciale »  au Parlement, dont 5 seulement dans les deux chambres : la Colombie, la République dominicaine, l’Italie, la Roumanie et, donc, la France (Collyer, 2014, p. 70).
  • [5]
    « Déclaration du président Nicolas Sarkozy devant la Communauté française » , Libreville, 24 février 2010.
  • [6]
    Les trois DFE devant renoncer à leur mandat avant terme étant toutes des femmes et leurs remplaçants étant tous des hommes, on ne compte plus dès mars 2014 qu’une seule femme parmi les DFE. De même, l’orientation favorable à la majorité du groupe s’étiole rapidement. D’abord, car les élections partielles organisées en juin 2013 pour remplacer les deux députées socialistes invalidées sont remportées par des candidats de l’opposition. Ensuite, car la formation du gouvernement Valls en mars 2014 se traduit par la prise de distance avec la majorité présidentielle de deux des six DFE de gauche restants.
  • [7]
    Depuis les années 1980, les sénateurs des Français de l’étranger sont majoritairement issus du militantisme émigré (principalement à l’UFE ou à l’ADFE) et ont pour la plupart déjà siégé plusieurs mandats à l’AFE avant leur élection.
  • [8]
    Formellement, seuls 3 des 382 dossiers législatifs traités par l’Assemblé nationale sous la 14e législature relèvent spécifiquement des politiques de diaspora. Ils portent respectivement sur la prorogation du mandat des membres de l’AFE, la réforme du système de représentation des Français établis hors de France et enfin à leur possibilité de voter par internet aux élections présidentielle et européennes.
  • [9]
    Au début de la 14e législature, les DFE se répartissent de la manière suivante dans les commissions permanentes : aucun dans les trois commissions en charges des questions économiques, financières ou sociales, quatre aux affaires étrangères, un aux affaires culturelles, un à la défense nationale, un au développement durable et, enfin, quatre aux Lois et affaires constitutionnelles.
  • [10]
    Les DFE disposent d’un crédit annuel égal, pour les circonscriptions européennes, au coût de 80 passages en classe économique entre leur circonscription et Paris, et pour les circonscriptions extra-européennes, au coût de 30 passages en classe affaires entre leur circonscription et Paris.
  • [11]
    Un seul DFE fait le choix dès le début de la législature de ne pas recruter de collaborateurs en circonscription. Deux autres décident de rapatrier l’ensemble de leurs équipes à Paris vers la fin de leur mandat, au moment où ils prennent la décision de ne pas se représenter pour les élections de 2017.
  • [12]
    La loi du 22 juillet 2013 a instauré une représentation « locale »  des Français de l’étranger en créant 443 conseillers consulaires élus pour six ans dans 130 circonscriptions hors de France. Ces conseillers siègent dans des conseils consulaires organisés dans les différents pays et élisent en leur sein les 90 délégués à l’AFE.

1La montée en puissance de l’approche transnationaliste dans les études migratoires (Levitt, Jaworsky, 2007) a suscité un net regain d’intérêt scientifique pour les interactions politiques qui, en transcendant les frontières nationales, opèrent entre le pays d’origine des migrants et leur pays d’installation. Initialement focalisés sur les pratiques individuelles des migrants, particulièrement leur engagement diasporique (Østergaard-Nielsen, 2003 ;  Dumont, 2008 ;  Lyons, Mandaville, 2012) et leur rapport au vote « externe »  (Barry, 2006 ;  Collyer, Vathi, 2007), les travaux se sont progressivement élargis à l’étude des « politiques publiques de diaspora »  (diaspora policies). Suivant Alan Gamlen (2006), ces politiques mises en œuvre par certains États à destination de leurs nationaux résidant à l’étranger peuvent être distinguées en trois catégories : les politiques de renforcement diasporique (capacity building diaspora policies) qui visent à nourrir le sentiment d’appartenance à la communauté nationale du pays d’origine, les politiques d’extension des droits (extending rights diaspora policies) qui visent à y favoriser leur implication dans la vie sociale et politique ;  enfin, les politiques d’affirmation des devoirs (extracting obligations diaspora policies) qui visent à prélever une partie des ressources, économiques notamment, accumulées à l’étranger. Si elles sont loin de constituer un corpus cohérent, les recherches sur le transnationalisme politique fournissent des éclairages stimulants sur la structuration d’espaces de pratiques politiques entre pays d’émigration et d’immigration. Du fait de leur ancrage principal au sein des études migratoires anglo-saxonnes, elles présentent cependant deux limites persistantes.

2La première est l’attention encore secondaire qu’elles accordent aux migrants originaires de pays occidentaux, et a fortiori européens. Les recherches sur le transnationalisme tendent en effet à se focaliser sur le cas de migrants issus de pays « en voie de développement »  établis dans des pays « développés » , par exemple les populations d’origines caribéennes ou latino-américaines aux États-Unis (Levitt, 2001 ;  Itzigsohn, Villacrés, 2008] ou les diasporas africaines en Europe (Collyer, 2006 ;  Jaulin, Smith, 2015). Les études prenant pour objet des émigrés européens [1] étant nettement plus rares (voir notamment Dufoix et al., 2010 ;  Lafleur, 2013 ;  Weinar, 2020), la nature des relations politiques les liant à leur pays d’origine demeure encore relativement mal connue ;  alors même que l’Europe se classe au deuxième rang des continents « pourvoyeurs »  de migrants, derrière l’Asie, mais devant l’Afrique et l’Amérique latine (UN, 2019).

3La deuxième limite de la littérature existante réside dans son dialogue inégal avec les sciences sociales du politique. Si les transnationalistes se sont abondamment nourris de l’anthropologie politique et de la politique comparée, leurs échanges avec la sociologie politique sont restés plus limités. Certes, le désintérêt initial des « fondateurs »  de cette approche pour les États s’est progressivement estompé, ouvrant la voie au développement de travaux stimulants sur les interventions publiques à destination des migrants. Ces derniers s’avèrent cependant encore étonnamment hermétiques aux problématiques et cadres d’analyse de la sociologie de l’action publique. Leur tendance à se concentrer sur l’identification des motivations des États à mettre en œuvre des politiques de diaspora (Ragazzi, 2014 ;  Gamlen et al., 2019) ou sur l’évaluation de leur efficacité (López-Guerra, 2005 ;  Bauböck, 2007) les conduit souvent à délaisser dans l’analyse les conditions concrètes de leur production. Les questions de la nature des différents acteurs qui y participent, de leurs caractéristiques et pratiques restent ainsi notoirement sous-étudiées.

4C’est à pallier ces carences que le présent article entend participer. À travers une analyse des premiers députés des Français de l’étranger (DFE) ayant siégé à l’Assemblée nationale lors de la 14e législature de la Ve République (2012-2017), il vise à une meilleure compréhension des acteurs et conditions de définition des politiques publiques de diaspora en France. Si ce pays n’est pas traditionnellement considéré comme une terre d’émigration, il fait figure de pionnier en matière d’action publique à destination des migrants (Garriaud-Maylam, 2010). Le nombre de ses ressortissants établis à l’étranger a par ailleurs connu une croissance spectaculaire ces dernières années, pour atteindre 2,5 millions en 2018, dont 1,8 million d’inscrits aux registres consulaires (MAE, 2019, p. 8).

5L’étude du premier groupe de DFE à l’Assemblée nationale nous paraît ainsi offrir la possibilité de mieux saisir les processus de l’action publique à destination des émigrés et, plus spécifiquement, d’interroger les incidences sur leurs dynamiques de l’instauration d’une représentation parlementaire spéciale dans le pays d’origine. Dans le prolongement des travaux sur le « métier de député »  (Costa, Kerrouche, 2007 ;  Boelaert et al., 2017) et les processus de prise de rôle institutionnel (Lagroye, 1997 ;  Lefebvre, 2011), elle permet également d’interroger sous un angle original la relation entre les caractéristiques du lieu d’élection (notamment sa géographie, sa structure économique, son histoire politique ou, dans le cas présent, son extra-territorialité) et la manière dont les députés appréhendent leur rôle parlementaire (Costa, Poyet, 2006). Dans cette optique, une attention particulière sera ici prêtée aux modalités pratiques par lesquelles les premiers DFE ont cherché à s’investir dans la définition des politiques de diaspora et à construire une représentation politique spécifique des émigrés français.

6Sur le plan empirique, deux principaux types de sources ont été mobilisés. Premièrement, pour caractériser les profils et activités des DFE de la 14e législature, nous nous sommes appuyés sur les données archivées par l’Assemblée nationale. Nous avons recoupé, complété et affiné ces informations en mobilisant les documents de campagne et sites internet des élus, la plate-forme NosDéputés.fr[2] ainsi que les archives de plusieurs médias nationaux et français de l’étranger (particulièrement lepetitjournal.com). Deuxièmement, afin d’obtenir des informations complémentaires sur des processus qui ne sont pas rendus publics et sur les conceptions que les élus se font de leur mandat, nous avons réalisé des entretiens semi-directifs avec sept DFE de la 14e législature [3]. Des entretiens de seconde main, principalement des interviews journalistiques, ont ponctuellement été mobilisées en complément.

7L’article, à la vocation exploratoire assumée, s’organisera en quatre temps. Tout d’abord, nous nous arrêterons sur les spécificités des politiques françaises de diaspora afin de resituer les conditions d’introduction d’une représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale en 2012. Nous nous pencherons ensuite sur les profils hétérogènes des premiers DFE avant d’analyser les modalités, elles-mêmes partiellement différenciées, par lesquelles ils ont investi leur rôle de parlementaire et cherché à forger des pratiques et conceptions adaptées aux spécificités de leur mandat. Enfin, dans un quatrième temps, nous nous interrogerons sur la tenabilité du mandat de DFE, dont nous montrerons qu’il expose ses détenteurs à des contraintes particulièrement lourdes sans véritablement leur donner les moyens de « faire une différence »  pour leurs mandants, jusqu’à les questionner parfois eux-mêmes sur son intérêt et sa valeur.

Des nouveaux venus dans le champ des politiques de diaspora

8En France, les interventions publiques à destination des ressortissants établis hors du territoire national sont particulièrement anciennes et étoffées (Lequesne, 2017, p. 211). Elles constituent aujourd’hui un domaine relativement autonome des politiques internationales, dont la définition fait intervenir une diversité d’agents parmi lesquels les DFE sont les plus récents.

L’action publique relative aux Français de l’étranger

9Les politiques françaises de diaspora se sont longtemps incarnées dans la figure des consuls qui, sous l’Ancien régime, avaient pour mission d’assurer l’administration des communautés de négociants français à l’étranger et la défense de leurs intérêts face aux autorités locales (Mézin, 2006). Cette première forme de protection consulaire se rationalise et se généralise au xixe siècle, avec le développement d’une véritable administration diplomatique (Jestin, 2016) et la mise en place d’un dispositif d’immatriculation des Français de l’étranger (Flores, 2018, p. 45). Au tournant du xxe siècle, elle s’enrichit de volets scolaire et culturel. Les politiques de « rayonnement international »  menées sous la IIIe République (Salon, 1983, p. 23) permettent à un nombre croissant d’émigrés d’accéder à une éducation française depuis leur pays de résidence, par le biais d’institutions paraétatiques comme l’Alliance française (1884), la Mission laïque française (1902) ou encore les instituts français (1907). Dans le même temps, ceux-ci se voient reconnaître la plénitude de leurs droits civiques, avec l’ouverture, en 1913, des listes électorales à tous les ressortissants ayant satisfait leurs obligations militaires, indépendamment de leur lieu de domiciliation ou d’imposition. Il leur faudra cependant attendre les années 1970, et l’établissement des centres de vote consulaires, pour pouvoir participer aux élections françaises depuis leur pays de résidence. Finalement, les politiques françaises de diaspora connaissent un nouvel élargissement à la fin du xxe siècle, avec la mise en œuvre d’un volet social, par la création de la Caisse des Français de l’étranger (1978) et des comités consulaires pour la protection et l’action sociale (1984). Il est notable que le développement progressif en France de politiques de diaspora ambitieuses, aussi bien en termes de « renforcement diasporique »  que d’« extension des droits » , ne s’est jusqu’à présent guère accompagné de mesures d’« affirmation des devoirs » . Ainsi, contrairement aux citoyens américains par exemple, les Français de l’étranger ne sont redevables d’aucun impôt sur la nationalité.

10Si la conduite de l’action publique relative aux Français de l’étranger relève du ministère des Affaires étrangères (MAE), et plus spécifiquement en son sein des directions « des Français de l’étranger et de l’administration consulaire »  et de la « mondialisation » , elle s’appuie également depuis la Seconde Guerre mondiale sur un dispositif original de représentation institutionnelle des émigrés (Garriaud-Maylam, 2010, p. 114). Modelé sur le système de représentation des colonies en vigueur sous la IIIe République, celui-ci se compose de deux volets. D’une part, une assemblée consultative chargée de donner au gouvernement des avis sur la situation des ressortissants hors de France. Ce Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE), renommé Assemblée des Français de l’étranger (AFE) en 2004, était initialement composé de délégués cooptés au sein d’associations d’émigrés consacrées représentatives par le gouvernement. Il a été « démocratisé »  en 1982 et ses membres sont depuis élus par les citoyens inscrits sur les listes consulaires. D’autre part, les Français de l’étranger bénéficient également depuis 1946 d’une représentation spéciale au Parlement. Longtemps limitée au Sénat, avec actuellement douze sièges dédiés, elle a donc été élargie à l’Assemblée nationale en 2012 avec l’introduction de onze DFE [4].

11Les politiques de diaspora se sont ainsi progressivement constituées en France en un domaine d’action publique relativement autonome, qui se développe autour d’enjeux qui lui sont propres (pour le dire vite, ceux de la régulation des rapports entre l’État français et ses ressortissants hors du territoire national), s’objective dans des institutions qui lui sont dédiées (directions du ministère des Affaires étrangères, organes consultatifs, opérateurs…) et implique des agents qui, au-delà de leurs positions hétérogènes (fonctionnaires, responsables gouvernementaux, représentants de groupes d’intérêts, parlementaires…), partagent un intérêt spécifique pour leur contenu. Il nous paraît dès lors pertinent de penser leur espace de production en termes de champ et ainsi, en considérant « l’action publique comme le produit des pratiques et représentations des agents qui y sont engagés »  (Dubois, 2010, p. 8), d’appréhender relationnellement leurs orientations et la structure des rapports de force au sein desquels elles se dessinent (Bourdieu, Christin, 1990).

12Sans prétendre ici rendre compte dans toute leur complexité des logiques de structuration du champ des politiques de diaspora, on peut schématiquement considérer qu’il s’est organisé autour de deux pôles antagoniques : le premier regroupant des agents qui fondent leur légitimité sur leurs savoirs techniques et leur prétention à incarner l’intérêt supérieur de la France dans le monde (fonctionnaires du Quai d’Orsay, responsables gouvernementaux, cadres de « fleurons »  économiques…), le deuxième étant composé d’agents qui construisent leur légitimité sur leur prétention à porter les intérêts particuliers des ressortissants vivant à l’étranger (représentants associatifs, délégués au CSFE/AFE, parlementaires…). Jusqu’à la fin des années 1970, les agents du premier pôle sont nettement dominants, et imposent une conception largement dépolitisée des enjeux relatifs aux Français de l’étranger, principalement orientée vers les acteurs de l’« influence »  française dans le monde (particulièrement les « vrais »  expatriés, employés par des entreprises françaises à l’étranger). L’adoption successive de mesures visant à faciliter la participation des Français de l’étranger aux élections nationales puis à démocratiser les conditions de leur représentation donne néanmoins lieu à un relatif rééquilibrage des rapports de force entre les deux pôles et à une réorientation des politiques de diaspora au cours des décennies 1980 et 1990. La perception nouvelle des émigrés comme un électorat à conquérir et la légitimité élective dont peuvent désormais se prévaloir certains des agents constitutifs du second pôle, permettent en effet à ces derniers d’accéder à des ressources supplémentaires (institutionnelles mais aussi partisanes [Kernalegenn, Van Haute, 2020]) pour promouvoir de nouveaux droits et services en faveur des Français de l’étranger dans leur diversité (y compris les non-actifs et les travailleurs en contrat locaux). Les « réformes de l’État »  engagées à la veille des années 2000 (Bezes, 2009, p. 341) conduisent néanmoins à un nouveau glissement des rapports de force en faveur du premier pôle, plus « technocratique » , du champ. L’essor du « gouvernement par la performance »  se traduit alors par une « rationalisation »  des moyens alloués aux politiques de diaspora, une valorisation des partenariats avec le privé et un recentrage de certains dispositifs en faveur des acteurs économiques (Boussard, Loriol, 2008). C’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce de l’instauration inédite d’une représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, dont les promoteurs espèrent alors qu’elle permettra de renforcer l’influence des représentants élus dans la fabrique des politiques de diaspora.

Vers une représentation à l’Assemblée nationale des Français de l’étranger

13L’instauration de députés élus directement par les Français établis hors de France est une revendication ancienne des associations d’émigrés et particulièrement des deux plus importantes d’entre elles : l’Union des Français de l’étranger (UFE), historiquement proche de la droite parlementaire, et l’Association démocratique des Français à l’étranger (ADFE), plus marquée à gauche. Lors de la campagne présidentielle de 1981, les dirigeants de l’ADFE parviennent à faire reprendre l’idée dans les « 110 propositions pour la France »  de François Mitterrand. Elle est cependant rapidement abandonnée après l’élection : Valéry Giscard d’Estaing ayant obtenu plus de 70 % des voix à l’étranger, elle apparaît trop hasardeuse à la nouvelle majorité. Il faut attendre vingt-cinq ans pour qu’elle fasse son retour dans le débat public à la faveur de l’élection présidentielle de 2007. Alors que le nombre d’inscrits sur les listes électorales consulaires atteint le nombre record de 820 000, trois des principaux candidats (François Bayrou, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy) l’intègrent à leurs propositions de campagne. Aucun ne précise cependant les modalités concrètes de son application. C’est au « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions » , présidé par Édouard Balladur, que Nicolas Sarkozy confie cette tâche suite à son élection. Dans son rapport final, le comité estime que « s’il fallait assurer l’élection de députés de Français de l’étranger […] cela ne pourrait se concevoir que par le biais d’un scrutin de liste, appliqué à de vastes circonscriptions regroupant plusieurs régions du monde » , avant de juger « inopportun »  une telle réforme (Balladur, 2007, p. 72). Ces recommandations sont doublement ignorées. D’une part, la loi constitutionnelle adoptée par le Congrès le 23 juillet 2008 porte bien création de DFE. D’autre part, c’est un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, identique à celui en vigueur en métropole, qui est retenu pour leur élection. Des voix s’élèvent alors au sein de l’opposition pour dénoncer une manœuvre visant à favoriser les candidats de la majorité en leur dessinant des circonscriptions extraterritoriales sur mesure (Peltier-Charrier, 2018, p. 275).

Carte 1 : Les circonscriptions pour l’élection des députés par les Français établis hors de France

Carte 1 : Les circonscriptions pour l’élection des députés par les Français établis hors de France

Légende :  1re circonscription :  États-Unis et Canada ;  2e : Mexique, Amérique centrale, Caraïbes et Amérique du Sud ;  3e : Europe du Nord (îles Britanniques et Scandinavie) ;  4e : Benelux ; 5e : péninsule Ibérique (incluant les Açores et les Canaries), Andorre et Monaco ;  6e : Suisse et Liechtenstein ;  7e : Europe centrale et Balkans ;  8e : Chypre, Grèce, Israël, Italie, Malte, Turquie et Territoires palestiniens ;  9e : Maghreb et Afrique de l?Ouest (hors Bénin, Ghana, Togo et Nigeria) ;  10e : Proche-Orient et majeure partie de l’Afrique (Afrique centrale, orientale et australe, et quatre pays d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Ghana, Togo et Nigeria) ;  11e : Europe de l’Est, majeure partie de l’Asie (hors Moyen-Orient et Asie mineure) et Océanie.
Source : Wikipédia.

14Le Conseil constitutionnel valide cependant la nouvelle carte électorale le 18 février 2010. La semaine suivante, Nicolas Sarkozy a beau jeu de se féliciter devant la « Communauté française »  d’avoir tenu sa promesse à son égard : « Dès 2012, il y aura donc onze députés qui représenteront les deux millions de Français vivant à l’étranger […] Je pense que c’est pour vous une possibilité d’exprimer mieux ce que vous ressentez, les attentes qui sont les vôtres, les besoins qui sont les vôtres. J’ajoute que, c’est très important pour la France d’avoir deux millions de nos compatriotes à l’étranger, au contact avec le monde qui bouge, avec le monde qui avance. Et ces représentants porteront votre voix à l’Assemblée [5]. » 

15Le discours présidentiel laisse transparaître deux conceptions distinctes du rôle des futurs DFE. La première, catégorielle, insiste sur leur fonction de relais des intérêts spécifiques des Français de l’étranger au sein du système institutionnel français. La promesse sous-jacente est ici que la présence de représentants à l’Assemblée nationale (et plus seulement au Sénat et à l’AFE) permettra que ceux-ci soient mieux pris en compte dans la définition des politiques de diaspora. Quant à la seconde, elle les érige en contributeurs singuliers à la définition de l’intérêt général de la Nation. Forts de leur connaissance intime de l’étranger – du « monde qui avance »  – ils seraient en mesure d’enrichir les travaux parlementaires et, ainsi, d’être profitables à l’ensemble des Français.

16Le voile de suspicion jeté par l’opposition sur les conditions d’instauration des DFE ne s’estompe pas dans les mois précédents les élections de 2012. Les accusations d’instrumentalisation politique des émigrés s’exacerbent même en juin 2011 avec la création d’un secrétariat d’État aux Français de l’étranger, alors qualifiée d’« opération de détournement de fonds publics à des fins électorales »  par le porte-parole du PS. Malgré cette supposée manœuvre, les électeurs inscrits à l’étranger vont largement démentir leur réputation de pencher à droite lors des premières élections législatives hors de France (Collard, 2013). À l’issue d’un scrutin marqué par une très faible participation (autour de 20 % en moyenne), ils n’élisent que trois DFE issus de l’UMP, contre sept du PS et un d’EELV. Contre toute attente, ils envoient ainsi au Palais Bourbon un contingent de députés encore plus orienté à gauche que la nouvelle Assemblée dans son ensemble.

Qui sont les premiers députés des Français de l’étranger ? 

17Au cours de la 14e législature de l’Assemblée nationale, quatorze personnes différentes ont eu l’occasion d’exercer l’un des onze mandats de DFE ;  trois élus de 2012 devant renoncer avant terme, pour cause d’invalidation dans deux cas, et de nomination au gouvernement dans le dernier. La morphologie générale de ce groupe de députés apparaît relativement distincte de celle de l’Assemblée nationale dans son ensemble. Sans être socialement identiques à leurs électeurs, les DFE sont en effet, à la manière des émigrés français eux-mêmes (Duchene-Lacroix, 2005), tendanciellement plus jeunes et, en termes professionnels, davantage issus du secteur privé. Ils sont en outre plus souvent des néophytes à l’Assemblée nationale et, du moins au début de la législature, de sexe féminin et membres de la majorité [6].

Tableau 1. Caractéristiques des députés des Français de l’étranger (juin 2012)

DFETous les députés
NN%
Ensemble11577100
Âge moyen4854-
SexeHomme742273
Femme415527
Professions déclaréesCadres et professions intellectuelles supérieures1047081
Autres110719
Secteur public331955
Secteur privé, libéral ou indépendant825845
Appartenance politiqueMajorité présidentielle (PS/EELV/PRG)833157
Droite parlementaire (UMP, NC)322940
Autres0173
Premier mandat à l’AssembléeOui921738
Non236062
Tableau 1. Caractéristiques des députés des Français de l’étranger (juin 2012)

Tableau 1. Caractéristiques des députés des Français de l’étranger (juin 2012)

Sources : calculs de l’auteur et Rouban (2012) pour l’ensemble de l’Assemblée.

18Ces remarques à portée générale ne sauraient dissimuler que le premier groupe des DFE est particulièrement peu homogène. Une analyse statistique de leurs carrières politiques met en évidence d’importantes disparités dans la structure de leur capital politique en fonction de deux lignes d’opposition. La première les distingue selon que leur parcours soit dominé par les engagements militants bénévoles (dans un parti, une association ou un syndicat) ou par des positions politiques rémunérées (mandats électifs, salariés d’élus ou de partis). La seconde les différencie cette fois en fonction de l’importance de la « cause »  des Français de l’étranger dans leur investissement militant, estimée par le nombre d’années d’engagement dans des associations d’émigrés ou des fédérations partisanes hors de France.

Graphique 1. Structure des carrières politiques des DFE de la 14e législature

Graphique 1. Structure des carrières politiques des DFE de la 14e législature

Graphique 1. Structure des carrières politiques des DFE de la 14e législature

Légende : rond = femme ;  triangle = homme ;  gris foncé = gauche parlementaire ;  gris clair = droite parlementaire ;  cerné de noir = circonscription extra-européenne ;  plein = circonscription européenne.
Sources : calculs de l’auteur.

19Ce système d’opposition permet d’identifier deux pôles antagoniques qui structurent le groupe des DFE de la 14e législature. Le premier, que l’on peut schématiquement qualifier comme celui des « professionnels métropolitains » , regroupe des députés qui, avant 2012, avaient déjà passé plus de la moitié de leur vie adulte (après vingt-cinq ans) en politique professionnelle, mais ne s’étaient jamais investis, ou seulement de manière secondaire (moins d’un tiers des années militantes) dans des collectifs dédiés aux Français établis hors de France. Les membres de ce pôle sont ceux dont les caractéristiques sont les plus proches de la moyenne de l’Assemblée nationale, aussi bien en termes d’âge que de parcours politiques (Boelaert et al., 2017, p. 81). Il est par ailleurs notable qu’ils sont tous des hommes et, plus souvent que le groupe des DFE dans son ensemble, de droite (on y retrouve trois des quatre DFE affiliés à l’UMP) et élus dans des circonscriptions non européennes. A contrario, le second pôle identifiable, celui des « militants émigrés » , regroupe des DFE dont les carrières politiques avaient été menées jusqu’alors essentiellement à titre bénévole et majoritairement dans l’espace de l’activisme français à l’étranger. Leurs profils socio-politiques sont très proches de ceux alors dominants au sein de l’AFE (dont quatre DFE sont d’ailleurs d’anciens membres) et, pour les plus âgés d’entre eux, parmi les sénateurs des Français de l’étranger [7]. Ce second pôle est aussi majoritairement féminin, clairement orienté à gauche (il compte six DFE socialistes) et dominé par les élus européens. Pour être complet, on peut remarquer qu’aucun des DFE de la 14e législature ne cumulait au moment de son élection une importante expérience politique professionnelle avec un engagement de longue durée dans des groupements d’émigrés. L’absence de tels profils trouve son explication dans l’exiguïté du marché des positions permettant de vivre par et pour la politique dans l’espace du militantisme émigré. Enfin, on peut noter que seulement un DFE est dépourvu de toute expérience antérieure à la fois dans la politique professionnelle et dans le militantisme émigré. Il s’agit de l’ancien vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France, Meyer Habib (UDI), qui est élu à la faveur d’une élection partielle en 2013 dans la circonscription englobant une partie du pourtour méditerranéen, dont Israël.

20La polarité duale du groupe des DFE de la 14e législature s’explique par les conditions de sélection des candidats dans les circonscriptions hors de France avant les élections de 2012 (Pellen, 2013). La représentation, alors largement partagée, selon laquelle les Français de l’étranger seraient majoritairement de droite a en effet influé de manière significative sur le type de profils privilégiés par l’UMP d’une part, et le PS d’autre part. Dans le premier cas, les nouveaux mandats ont attisé les convoitises parmi les cadres des sections hors de France mais aussi, comme le souligne le secrétaire général aux Français de l’étranger de l’UMP de l’époque (lui-même futur DFE), auprès de figures nationales en quête d’une circonscription favorable : « En 2012, c’était des circonscriptions qui étaient très très courues parce qu’en réalité tout le monde à droite, y compris des parlementaires, s’imaginaient qu’il suffisait de dire “coucou j’arrive” et qu’on allait voter pour nous. Et donc, il y a eu énormément de candidats. En réalité tous ceux qui avaient été battus lors de précédentes élections ont essayé de se recaser là »  (no 8). Chargé de trancher entre les nombreux candidats à l’investiture, le bureau national de l’UMP a eu tendance à privilégier la détention de ressources politiques nationales sur celle de ressources plus « locales » , liées à l’espace militant des Français de l’étranger. Il n’est dès lors guère étonnant que les futurs DFE du parti se soient in fine inscrits davantage dans le pôle des « professionnels métropolitains » .

21Du côté du PS, à l’inverse, la perception des nouveaux mandats comme peu favorables à la gauche conduit la direction à laisser une grande latitude aux militants dans le choix des candidats. Seules les circonscriptions englobant l’Amérique latine et le Maghreb, pensées comme les plus « gagnables » , sont réservées par Solférino et finalement attribuées à des cadres partisans aguerris. Dans les neuf autres, des primaires militantes sont organisées. Elles aboutissent systématiquement à l’investiture de secrétaires de sections locales, établis à l’étranger et engagés dans le « militantisme émigré »  depuis des années. Le PS obtenant des résultats bien meilleurs qu’anticipés parmi les Français de l’étranger, particulièrement en Europe, plusieurs de ces candidats sans bagage politique national accèdent à la députation, souvent à leur propre surprise.

Le travail de représentation parlementaire des émigrés

22Si formellement les DFE ont le même statut que tous les autres députés, leur mandat les place dans une situation, à plusieurs égards, inédite. D’une part, bien sûr, du fait des caractéristiques profondément atypiques de leur territoire d’élection. Les onze circonscriptions hors de France se distinguent en effet par leur superficie, leur éloignement mais aussi la dispersion en leur sein des ressortissants français parmi les populations locales (Pellen, 2013, p. 1140). D’autre part, les DFE ont pour originalité d’être élus par des citoyens qui, parce qu’ils ne résident pas sur le territoire national, relèvent dans leur quotidien de droits étrangers. En conséquence, la plupart des lois qu’ils sont conduits à discuter n’ont guère d’implications directes pour leurs électeurs. En 2012, des détracteurs de la réforme se sont inquiétés que cette déconnection inédite entre domiciliation et représentation à la Chambre basse ne condamne le nouveau mandat à l’inanité ou au corporatisme (Marlière, 2012). C’est justement sur les modalités effectives d’investissement de leur rôle de parlementaire par les DFE de la 14e législature que nous allons à présent porter notre étude, en nous appuyant sur une analyse de leurs activités au Palais Bourbon et en circonscription. S’ils ont développé des pratiques de représentation relativement hétérogènes, en fonction de leurs profils et de leurs conceptions variables du rôle, nous verrons qu’ils se sont rejoints dans leurs efforts pour, d’une part, intervenir et peser dans le champ des politiques de diaspora et, d’autre part, cultiver leur proximité avec leurs mandants hors de France. Pour le dire autrement, ils se sont tacitement entendus, au-delà de leurs divergences, pour « jouer le jeu »  d’une représentation spécifique des émigrés français et, par là même, pour reconnaître le champ des politiques de diaspora comme un espace aux enjeux relativement autonomes au sein du champ politique (Bourdieu, 1981, p. 7).

Des modalités différenciées d’investissement du rôle de député

23Le constat d’une grande diversité des pratiques et représentations selon les députés est établi de longue date par les spécialistes des études parlementaires (Wahlke et al., 1962 ;  Cayrol et al., 1971 ;  Costa, Kerrouche, 2007). Si l’on s’en tient à l’examen de leurs activités, telles qu’archivées par l’Assemblée nationale, on remarque que les DFE ne font nullement exception à cette règle générale. D’un point de vue purement comptable, leur taux de présence et « volume d’activité »  au cours de la 14e législature sont comparables à la moyenne parlementaire et montrent qu’ils ne se sont pas saisi des différentes procédures de manière plus homogène que leurs collègues métropolitains. Les dossiers législatifs sur lesquels ils ont travaillé ne les démarquent pas plus radicalement. Si certains DFE se sont consacrés essentiellement aux questions internationales, la plupart se sont investis activement dans des sujets tout aussi variés que les autres députés, et souvent sans rapport avec les politiques de diasporas comme, par exemple, le système carcéral, l’anti-terrorisme, l’égalité entre les femmes et les hommes ou encore l’économie maritime. En s’appuyant sur les acquis de la sociologie des rôles parlementaires (Kerrouche, 2004 ;  Rozenberg, Vigour, 2018), deux éléments principaux peuvent être avancés pour expliquer cette hétérogénéité entre les premiers DFE dans leur travail parlementaire : les conceptions variables qu’ils ont de leur fonction et la structure différenciée de leurs capitaux politiques.

24Tout d’abord, l’ambiguïté constitutive du mandat de DFE se retrouve dans la diversité des manières dont ses détenteurs ont d’en parler, aussi bien lors de leurs interventions à l’Assemblée qu’en entretien. Tout en ayant à l’esprit les rationalisations et usages stratégiques dont ces présentations de soi peuvent être l’objet (Collovald, 1988), trois rapports au mandat peuvent être distingués. Le premier est celui de « délégué »  des Français de l’étranger, qui assume pleinement d’être à l’Assemblée avant tout pour défendre leurs intérêts. C’est le cas de ce DFE de l’opposition qui n’a pourtant lui-même jamais vécu à l’étranger : « Moi mon but c’est de m’occuper des sujets qui intéressent les Français de l’étranger. Et il y en a trois : un, l’éducation en français, deux la couverture sociale et trois la fiscalité. Voilà. C’est pas compliqué […] Donc j’ai choisi de me concentrer sur les Affaires étrangères parce que c’est ce qui est le plus en relation avec la situation des Français de l’étranger »  (no 8). Dans le deuxième rapport au mandat, l’accent est à l’inverse mis sur le rôle de législateur « ordinaire » , mû par une expertise ou des convictions, plus que par les spécificités du territoire d’élection. Malgré sa longue expérience de l’expatriation, ce DFE socialiste en fournit une illustration paradigmatique : « Dès le début moi j’ai fait le choix de faire un vrai mandat de parlementaire, c’est-à-dire de ne pas penser mon activité parlementaire en fonction de ma circonscription mais plutôt de mes compétences et de mes centres d’intérêts. Ça m’a été reproché d’ailleurs, mais j’assume totalement en me disant que les Français de l’étranger ne peuvent aller bien que si la France dans son ensemble va bien »  (no 4). Enfin, troisièmement, plusieurs DFE s’efforcent, à la manière de cet autre député de gauche, d’adopter une position médiane, visant à concilier les deux logiques de représentation : « C’est un mandat qui oblige à marcher sur deux jambes, et c’est ce que j’ai essayé de faire. C’est-à-dire que je me suis pleinement investi dans mon rôle de député en tant que législateur, de façon générale, en étant très investi dans le débat politique national. Mais, en parallèle, j’ai aussi essayé de consacrer autant de temps et d’attention à ma circonscription, et à la problématique des Français établis hors de France »  (no 5).

25Néanmoins, la capacité des élus à mettre leurs pratiques effectives du mandat en adéquation avec les conceptions subjectives qu’ils en ont et, a fortiori, à pouvoir jouer sur plusieurs tableaux en articulant des rôles potentiellement contradictoires n’est pas équitablement distribuée dans le champ politique (Lagroye, 1994 ;  Vigour, 2014). Elle apparaît fortement corrélée à la structure de leurs capitaux politiques qui constituent, selon nous, le deuxième facteur explicatif de l’hétérogénéité observable entre les DFE dans l’exercice de leur mandat.

26D’une part, en termes de ressources collectives, une corrélation peut être mise au jour entre l’appartenance partisane des DFE et la fréquence de leurs recours à certaines procédures. Ceux siégeant dans l’opposition ont globalement eu davantage tendance que ceux de la majorité à proposer et signer des propositions de loi et des amendements, à intervenir dans l’hémicycle et à poser des questions au gouvernement. Ils se sont en revanche montrés moins enclins à rédiger des rapports ou à participer aux travaux en commission. Loin d’être spécifiques aux DFE, ces tendances s’observent à l’échelle de l’Assemblée dans son ensemble et témoignent, d’une part, de la plus grande autonomie dont disposent les élus de l’opposition pour s’immiscer dans la procédure législative et interpeller le gouvernement (même si leurs chances d’infléchir effectivement le contenu d’une loi sont réduites) et, d’autre part, de la prééminence des groupes majoritaires sur la répartition du travail en commission (Carcassonne, 2004 ;  Kerrouche, 2006).

Tableau 2. Activités parlementaires moyennes des députés de la 14e législature

Appartenance politiqueType de députéEffectifsEn CommissionRapports rédigésAmendementsPropositions de loiQuestionsInterventions longues hémicycle
PrésenceInterventionsProposésSignésProposéesSignéesÉcritesOrales
Groupe socialiste (SER)DFE625823091881 6874611609188
Membre du groupe28922727061811 018164958294
Groupes LR (ex-UMP) et UDIDFE517416032873 6942814132919428
Membre du groupe23618022833063449717227014399
Députés de la 14e législature, tous partis cofondus58620225352552 225410617411355
Tableau 2. Activités parlementaires moyennes des députés de la 14e législature

Tableau 2. Activités parlementaires moyennes des députés de la 14e législature

Lecture : au cours de la législature, les six DFE du groupe socialiste ont, en moyenne, participé à 258 réunions de commission parlementaire et posé 160 questions écrites, alors que, sur la même période, les 289 députés socialistes (DFE inclus) n’ont, en moyenne, participé qu’à 227 réunions de commission et posé que 95 questions.
Sources : calculs de l’auteur à partir des archives de l’Assemblée nationale et du site NosDéputés.fr ;  moyennes individuelles calculées sur toute la législature, soit quarante-sept mois.

27D’autre part, à un niveau plus individuel, l’ancienneté d’un député, son « envergure »  politique mais aussi sa position sociale et son genre pèsent de manière déterminante sur les conditions d’exercice de son mandat, notamment en orientant ses chances d’accéder à une position de responsabilité ou à une commission permanente donnée (Achin, 2005, p. 487). À cet égard, prétendre endosser le rôle de « délégué »  des Français de l’étranger n’est ni anodin, ni donné à tout le monde. La gestion des politiques publiques de diaspora dans leurs différentes composantes relevant du seul domaine de la politique extérieure, un tel choix implique en effet d’être en mesure de rejoindre la commission des Affaires étrangères. Certes, du fait de la prééminence de l’exécutif sur ce secteur d’action publique (Kessler, 1999, p. 51), cette commission n’offre que des possibilités limitées de peser sur le processus législatif, d’autant plus dans le cas des politiques de diasporas que les lois s’y rapportant explicitement sont rarissimes [8]. À la manière de la commission Défense (Rozenberg et al., 2015, p. 190), elle permet néanmoins aux députés qui y siègent d’avoir un accès privilégié à « ceux qui comptent »  dans le domaine (ministres, ambassadeurs, responsables du ministère, dirigeants étrangers…) et ainsi espérer obtenir des informations utiles auprès d’eux, porter à leur connaissance des situations particulières, voire les influencer subtilement. Néanmoins, la commission des Affaires étrangères a la réputation de faire partie des plus prestigieuses de l’Assemblée nationale (Abélès, 2001, p. 39) et l’ancienneté dans le champ politique constitue un critère déterminant pour pouvoir la rejoindre (Riaux, 2014). Dès lors, il n’est guère étonnant de constater que les quatre DFE qui y sont nommés au début de la 14e législature (deux de la majorité et deux de l’opposition) ont en commun de tous pouvoir être rattachés au pôle des « professionnels métropolitains »  précédemment mis en évidence. En 2012, l’ancienneté en politique professionnelle semble aussi avoir primé parmi les DFE pour les nominations aux positions plus secondaires de la diplomatie parlementaire, telles que les fonctions de présidence de groupes d’amitiés ou de délégué au sein d’assemblées d’organisations internationales.

Tableau 3. Position des DFE dans les arènes de la diplomatie parlementaire (au 1er septembre 2012)

EffectifsMembre de la commission des Affaires étrangèresDélégué au sein d’une assemblée parlementaire internationalePrésidence d’un groupe d’amitié
Pôle des « professionnels métropolitains » 5443
Pôle des « militants expatriés » 6022
Total11465
Tableau 3

Tableau 3. Position des DFE dans les arènes de la diplomatie parlementaire (au 1er septembre 2012)

Lecture : parmi les cinq DFE qui, au 1er septembre 2012, peuvent être rattachés au pôle des « professionnels métropolitains » , quatre sont membres de la commission des Affaires étrangères et trois président un groupe d’amitié.
Sources : calculs de l’auteur à partir des archives de l’Assemblée nationale.

28Ainsi, du fait des logiques de hiérarchisation interne de l’Assemblée, les DFE qui se retrouvent dans les meilleures positions pour influer sur le secteur d’action publique le plus susceptible d’intéresser les Français établis à l’étranger, sont paradoxalement ceux dont l’engagement politique antérieur est le moins marqué par la cause des émigrés. Les autres n’ont d’autre choix, plus ou moins conforme à leur conception initiale du mandat, que de consacrer l’essentiel de leurs activités parlementaires à des domaines sans lien direct avec les politiques de diasporas [9].

29Cependant, si le contenu des dossiers législatifs que les députés sont en mesure d’investir dépend largement de leur commission d’appartenance, les procédures parlementaires offrent à ceux qui le souhaitent d’autres leviers, moins sélectifs, pour diversifier leurs domaines d’intervention et, le cas échéant, tenter de mieux concilier leurs pratiques avec leurs conceptions du mandat. À cet égard, il est notable que les DFE de la 14e législature ont eu tendance à se retrouver autour d’un usage analogue des questions (écrites ou orales) au gouvernement et des collectifs non législatifs à vocation internationale, qui les distingue des députés métropolitains. D’une part, s’ils ont eu un recours quantitativement inégal aux questions, ils ont en commun d’y avoir majoritairement abordé des problématiques propres aux Français de l’étranger, principalement en matière de fiscalité, de procédures électorales et d’enseignement français hors de France. Cet usage des questions comme un outil pour publiciser des situations spécifiques à leur électorat, ou des implications particulières pour eux de certaines dispositions légales, est similaire à celui déjà mis en évidence parmi les sénateurs des Français de l’étranger (Østergaard-Nielsen, Ciornei, 2019, p. 160). D’autre part, les DFE se sont aussi retrouvés dans leurs modalités d’investissement des instances parlementaires non législatives. En premier lieu, ils ont eu tendance à adhérer à un nombre particulièrement important de groupes d’amitié interparlementaires, en moyenne vingt par DFE. En dépit des prérogatives très réduites de ces « clubs »  (Maus, 2012, p. 27-30), ils se sont tous, sans exception, attachés à rejoindre ceux en lien avec les principaux États de leur territoire d’élection. Si l’on en croit ce DFE lui-même membre de quarante-cinq groupes, de telles adhésions présentent l’avantage de pouvoir se positionner, à peu de frais, comme un connaisseur de ces pays : « Le rôle de ces groupes, il est très faible, parce qu’il n’y a plus de moyens. Mais l’intérêt, c’est d’être étiqueté comme une personne intéressée par ces pays et donc, en réalité, leurs ambassades vous contactent, les hommes politiques de passage vous contactent, les lobbies par moment peuvent vous contacter aussi. Ça permet de maintenir un lien avec les pays et d’être identifié là-bas et à l’Assemblée »  (n°8). En second lieu, l’examen des groupes d’études et commissions d’enquête auxquels les DFE ont participé au cours de la 14e législature montre qu’ils ont eu tendance à privilégier des collectifs portant sur des thématiques internationales ou transnationales comme, par exemple, le groupe d’étude sur « les zones et travailleurs frontaliers » , celui sur la « coordination des droits européens »  ou encore la commission d’enquête sur « l’exil des forces vives de la France » . Bien que ces instances ne jouent aucun rôle législatif, elles offrent à leurs membres l’occasion de prendre part à des auditions avec des acteurs du secteur concerné mais aussi, éventuellement, de faire valoir une expertise sur un sujet qu’ils n’ont pas forcément l’opportunité de valoriser par ailleurs. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que, pour certains DFE, investir de tels groupes a pu leur permettre d’intervenir dans le champ des politiques de diaspora, quand bien même ils n’avaient pas accès à des arènes centrales de la diplomatie parlementaire. Ce fut par exemple le cas pour ce membre de la commission des Affaires culturelles : « Sur l’expatriation, j’ai participé à la commission (d’enquête sur l’exil des forces vives), et après on m’a confié un avis sur un contrat objectifs-moyens de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). Et ça, ça m’a permis de rentrer à son conseil d’administration. Et maintenant que j’y siège, je connais les dossiers et les acteurs de l’éducation hors de France, et bien sûr ça m’aide pour ma circonscription »  (no 3).

30Il ressort de cette analyse forcément partielle de l’activité parlementaire des premiers DFE qu’ils n’ont été ni inactifs, ni absents à l’Assemblée nationale (du moins pas plus que les autres députés), qu’ils s’y sont saisis d’une grande diversité de sujets, souvent sans lien avec les politiques de diasporas, mais aussi, qu’au-delà de leurs conceptions variables du mandat, ils se sont souvent efforcés de lui donner une « coloration »  internationale. Pour les mieux dotés en capitaux valorisés dans l’espace parlementaire, ce type de spécialisation a pu prendre la forme d’un rattachement à la commission des Affaires étrangères. Celle-ci apparaît d’ailleurs, et de loin, comme la commission la plus recherchée par les DFE, puisqu’à mi- législature, ils ne sont pas moins de six à y siéger, soit plus de la moitié d’entre eux. Pour les autres DFE, c’est principalement par leur usage des questions au gouvernement et des collectifs non législatifs à vocation internationale qu’ils se sont attachés à faire valoir, et à donner à voir, leurs apports spécifiques à la représentation nationale et leur prétention à peser sur la définition des politiques de diaspora.

Cultiver la proximité au-delà des frontières

31Comme le note Rémi Lefebvre, « le métier politique tient à une capacité à tenir ensemble des contraintes et attentes multiples et à y répondre en un temps limité »  (Lefebvre, 2014, p. 68). Ainsi des députés qui, au côté de leur chronophage travail au Palais Bourbon, se doivent de rester sensibles à leur circonscription, particulièrement s’ils aspirent à s’y faire réélire (Costa, Kerrouche, 2007, p. 99). Malgré l’extra-territorialité de leur circonscription, les DFE de la 14e législature ne se sont guère émancipés de cette « idéologie du terrain »  (Lefebvre, 2005, p. 55). Ils se sont tous attachés à cultiver leur proximité avec leurs mandants en mobilisant trois moyens principaux : les déplacements, les collaborateurs locaux et les outils numériques de communication.

32Premièrement, les DFE ont multiplié les voyages en circonscription. Contrairement aux députés d’outre-mer, qui passent parfois plusieurs semaines consécutives loin de Paris (Beauvallet, 2018, p. 93), ils ont tous fait le choix d’adopter un rythme de déplacement concentré sur les périodes de moindre activité ou de vacances de l’Assemblée nationale. Ces séjours, financés grâce à des facilités spécifiques [10], ont suivi un programme analogue, composé de rencontres avec la « communauté française »  des villes visitées (principalement par le biais de permanences, de réunions publiques et de visites d’écoles françaises), d’entrevues avec les autorités consulaires et diplomatiques sur place et de temps d’échange avec des responsables politiques du pays d’accueil. Si le contenu des déplacements n’a varié qu’à la marge d’un DFE à un autre, leur format a présenté des différences notables selon la distance de la circonscription à Paris. Pour les élus européens, aux circonscriptions moins lointaines et plus resserrées, ils ont souvent pris la forme de séjours de courte durée (une à trois journées) dans une ville en particulier et sur un rythme quasi-hebdomadaire, proche de celui d’un élu métropolitain. De leur côté, les DFE aux circonscriptions les plus éloignées et les plus étendues ont eu tendance à privilégier des déplacements moins fréquents (une à deux fois par mois en moyenne) mais plus longs (quatre à dix jours), leur permettant de sillonner en une fois plusieurs pays de leur circonscription.

33Deuxièmement, les DFE se sont appuyés sur leurs collaborateurs parlementaires pour essayer de maintenir un lien avec leurs électeurs et pallier leur impossibilité physique d’être en continu à leurs côtés. Comme leurs collègues de métropole, c’est souvent dans une double logique thématique et territoriale qu’ils ont organisé leurs équipes (Boelaert et al., 2017, p. 59-63) : certains assistants ayant en charge le suivi du travail à l’Assemblée et d’autres la gestion plus spécifique des relations avec la circonscription. À de rares exceptions près [11], ces derniers sont issus des réseaux militants à l’étranger du parti du député et établis dans des villes comptant parmi les plus importantes populations françaises de la circonscription. Comme l’explique ce DFE de l’opposition, ces collaborateurs hors de France sont, comme les autres assistants locaux, chargés de faire remonter les attentes du « terrain » , voire de représenter le député en son absence (Le Lidec, 2008, p. 149) : « Mes collaborateurs en circonscription faisaient tout simplement le travail que je ne pouvais pas faire quand je n’étais pas là. C’est-à-dire réunir les gens, leur parler, tenir des permanences, me tenir au courant de leurs problèmes. Par exemple, dans la ville où se trouve la plus grosse communauté de ma circo, il y avait une permanence deux fois par semaine, tenue par ma collaboratrice »  (no 7). Outre leurs collaborateurs rémunérés, les DFE ont aussi cherché à partir de 2014 à s’appuyer sur les conseillers consulaires nouvellement créés [12] pour les aider à « mailler »  leur circonscription et à remonter les préoccupations des électeurs.

34Les troisièmes outils auxquels les DFE ont eu massivement recours pour tenter de nouer des relations avec leurs mandants sont les moyens numériques de communication. Tout d’abord, les DFE (et leurs équipes) se sont attachés, comme la plupart de leurs homologues métropolitains, à communiquer sur leurs activités par le biais de sites internet ou des réseaux sociaux (Chibois, 2014 ;  Bollaert et al., 2017, p. 119). Ensuite, de manière plus originale, ils ont adressé régulièrement des messages électroniques à leurs électeurs pour leur transmettre des informations sur leur mandat ou les inviter à des événements publics. Pour ce faire, ils ont pu utiliser les listes de diffusion électroniques des consulats, qui contiennent les adresses mails des inscrits sur les listes électorales de la circonscription et auxquelles ils ont légalement accès. Enfin, à nouveau de manière assez inédite, ils ont tenu des « permanences virtuelles » , par Skype ou par téléphone, afin que leurs électeurs puissent, malgré l’éloignement, entrer rapidement en contact avec eux. Le témoignage de ce DFE de la majorité laisse à penser que ces permanences virtuelles ont constitué des interfaces aux fonctions et contenus tout aussi indéterminés et variables que celles tenues physiquement dans leur circonscription par les députés métropolitains (Kerrouche, 2009, p. 451) : « J’envoyais régulièrement un mail à tous les électeurs grâce à la liste de diffusion consulaire pour les informer de mes activités et puis j’en profitais pour leur dire que j’organisais aussi des permanences virtuelles. Ceux qui le souhaitaient pouvaient m’envoyer un mail avec leur question et puis je les rappelais pour en parler […]. Ça m’a aidé à saisir des questions techniques, à remonter des choses, des problèmes, pour des questions écrites, voire des amendements. Parfois, je me suis aussi fait psychologue, tu touches à tous les domaines de la vie des gens, tu fais un peu bureau des plaintes »  (no 3).

35Qu’ils soient issus de l’espace du militantisme émigré ou qu’ils aient été « parachutés »  dans l’une des circonscriptions hors de France, les DFE de la 14e législature ont en commun de s’être tous engagés dans ces activités visant à les « rapprocher »  de leurs mandants et à les implanter dans leur territoire, pourtant « extraterritorial » , d’élection. Ce travail d’ancrage, qui ne se distingue pas radicalement de celui mis en œuvre par les députés métropolitains, constitue pour beaucoup d’entre eux un élément central de leur représentativité et, comme l’exprime ce DFE d’opposition, leur octroierait même un surplus de légitimité par rapport aux autres représentants des émigrés : « Si vous voulez une vraie représentation des Français de l’étranger, excusez-moi, mais le seul moyen c’est nous, c’est d’avoir des députés. Pour nous (les DFE), c’est “chaque électeur compte”. Donc on va se bouger pour les voir, pour les écouter […] Alors que bah la réalité, c’est que les sénateurs quand ils sont en tournée à l’étranger souvent ils ne voient personne. Enfin personne… Ils vont voir les élus consulaires (qui les élisent), ils vont à une réception à l’Ambassade où est invitée on va dire la nomenklatura expatriée dans le pays, et puis voilà c’est tout »  (no 8).

36L’étude des pratiques et prises des positions des premiers DFE, à l’Assemblée comme en circonscription, met ainsi clairement en lumière leur adhésion commune – au moins formelle – aux présupposés fondateurs du champ des politiques de diaspora que sont la croyance en l’existence d’enjeux propres aux ressortissants établis à l’étranger et en la nécessité de leur prise en charge par une action publique spécifique et autonome. Cette souscription à l’illusio du champ des politiques de diaspora, au sens d’investissement dans le jeu et ses enjeux (Bourdieu, 1980, p. 111-112), est cependant mise à l’épreuve au cours de la législature par les difficultés originales auxquelles ils doivent faire face dans l’exercice de leur mandat et qui, chez certains, conduisent à une remise en question de leur conception du jeu et de leur intérêt à le jouer.

Un mandat intenable ? 

37Au moment de la réforme constitutionnelle de 2008, la création de DFE a été présentée par ses promoteurs comme une manière d’améliorer à la fois la « qualité »  de la représentation nationale et les conditions de production des politiques publiques à destination des émigrés. Sans prétendre proposer un bilan de cette réforme ou une évaluation de l’efficacité du travail des premiers DFE – exercice délicat s’il en est (Navarro et al., 2012) –, nous aimerions plus modestement dans le cadre de cette dernière partie nous interroger sur l’expérience concrète que ces derniers en ont eu. À l’issue de notre enquête, il nous paraît possible d’avancer que le mandat de DFE fait peser sur ses détenteurs des contraintes particulières, à plusieurs égards plus importantes que celles auxquelles doivent faire face les autres députés, et que cela a des implications significatives à la fois sur leurs conditions de vie, sur leurs rapports à leur activité de parlementaire, mais aussi, à terme, sur leur croyance dans le sens et la valeur des politiques de diaspora. Si le caractère éprouvant du métier politique est bien documenté (Lefebvre, 2014 ;  Godmer, Marrel, 2016 ;  Ollion, 2019), notre enquête fait ressortir un niveau d’épuisement, de désenchantement, voire de découragement particulièrement élevé chez les premiers DFE. Trois éléments en particulier ressortent fréquemment : la fatigue du rythme, la difficulté à peser sur l’orientation des politiques de diaspora et, enfin, l’incapacité à s’« ancrer »  dans leur circonscription.

Un « rythme de fou » 

38Au Royaume-Uni, des chercheurs en psychologie ont mis en évidence la fréquence et l’importance des symptômes de stress et de fatigue nerveuse parmi les membres de la Chambre des communes (Weinberg et al., 1999). Si aucune recherche de ce genre n’a jusqu’à présent été menée en France, les entretiens que nous avons conduits avec les DFE de la 14e législature tendent à laisser penser que le rythme du mandat n’a, chez eux non plus, pas été sans effet sur leur état de santé physique et psychologique.

39En premier lieu, nos enquêtés ont systématiquement insisté sur l’extrême fatigue liée à l’accumulation des déplacements entre l’Assemblée et leur circonscription. L’éloignement et la taille de leur territoire d’élection obligent en effet les DFE à passer un temps important dans les transports, à multiplier les nuits loin de leur domicile et, pour les élus des circonscriptions extra-européennes, à jongler avec les fuseaux horaires. Évoquant un « rythme de fou » , le doyen d’âge des DFE (68 ans en 2017) confesse même avoir craint pour sa santé : « Moi avant j’avais été député en métropole. Mais là ça n’a rien à voir. Le rythme n’a rien à voir […]. On passe son temps à prendre des avions et à dormir dans des hôtels plus ou moins miteux […] Certaines fois, j’ai cru que j’allais crever dans la nuit, loin de chez moi, tellement j’étais épuisé »  (no 7). À la manière de cet élu d’une circonscription distante de plusieurs milliers de kilomètres de la France, plusieurs DFE nous ont confié avoir dû changer leur mode de vie pour tenir le coup : « C’est vraiment très très compliqué physiquement. Moi je suis devenu végétarien pendant le mandat, vraiment pendant le mandat. Fallait que je sois en forme. Je bois pas, je fume très peu et je suis devenu végétarien et aussi j’ai appris à dormir partout où je peux, dès que je peux »  (no 6).

40En deuxième lieu, plusieurs DFE nous ont fait part de leur extrême difficulté à concilier leurs activités politiques avec leurs engagements personnels. Si une telle articulation n’est jamais aisée pour les responsables politiques (Catlla, 2014), elle apparaît encore plus délicate pour les représentants des émigrés, et notamment pour ceux d’entre eux vivant à l’étranger. Pour rappel, en 2012, sept des onze nouveaux DFE vivent à l’étranger, sont relativement jeunes et accèdent à un mandat national pour la première fois. Une telle situation complexifie davantage encore l’accommodement des temporalités politiques et personnelles. En atteste cet ancien suppléant, qui est jeune père de famille lorsqu’il accède à la députation en cours de législature : « Mes enfants étaient encore très petits, et je n’avais pas du tout envie de quitter le pays où je vivais depuis des années et où travaille ma femme […]. Quand tu dois mener ta vie entre plusieurs pays, la pression sur l’agenda est énorme, tu es toujours en train de le refaire, tu passes beaucoup de temps dans les transports, loin de chez toi, c’est pénible, et c’est très très pesant pour la famille aussi. Tu dois sans cesse jongler entre différentes temporalités, c’est dur à vivre et ça pèse sur le moral et sur les gens autour de toi, surtout quand tu es parent »  (no 3).

41Ainsi, bien que les modalités exactes d’organisation de leur agenda aient pu connaître des variations selon leur âge, leur situation familiale, la configuration de leur circonscription ou encore leur socialisation antérieure au métier politique (Marrel, Payre, 2018), les premiers DFE ont en commun d’avoir dû faire face à des contraintes spatio-temporelles particulièrement fortes, qui se sont avérées éprouvantes physiquement et psychologiquement dans la durée. Dans ces conditions, il est remarquable que la plupart d’entre eux s’en soient malgré tout tenus, jusqu’à la fin de la législature, au rythme de déplacement en circonscription mis en évidence précédemment ;  les deux seuls qui le ralentissent dans les derniers mois de leur mandat étant ceux ayant décidé de ne pas se représenter. La prise en compte des contraintes spatio-temporelles propres aux DFE éclaire aussi d’un jour nouveau leur attrait tendanciel pour la commission des Affaires étrangères. Outre traiter des dossiers les plus susceptibles d’intéresser leurs électeurs, celle-ci se caractérise en effet par « un rapport au temps moins contraint que dans les autres commissions »  (Riaux, 2014, p. 69) qui, comme le reconnaît ce DFE, permet d’alléger sensiblement le rythme du travail parlementaire : « Au début, j’étais membre de la Commission des lois […] je passais ma vie à Paris dans l’hémicycle, mes journées, et mes nuits aussi d’ailleurs, ce qui fait que je n’arrivais plus à aller en circonscription. Avec mon transfert aux Affaires étrangères, qui a quand même une activité beaucoup plus réduite, j’ai pu récupérer du temps en dehors de l’Assemblée et ça m’a facilité la vie »  (no 2).

Un sentiment d’impuissance

42Nous l’avons vu, les premiers DFE n’ont pas développé des conceptions uniformes de leur mandat, certains endossant plus volontiers que d’autres le rôle de « délégué »  des Français de l’étranger. Néanmoins, nous avons également montré que, dans les faits, ils se sont pour la plupart efforcés d’investir les organes de la diplomatie parlementaire et de se positionner à l’Assemblée sur les sujets intéressants spécifiquement leurs électeurs hors de France. En sus, l’étude de leur agenda indique qu’ils ont également participé de manière régulière à des réunions avec des responsables du ministère des Affaires étrangères (au Quai d’Orsay ou en circonscription), aux travaux de l’AFE ou encore, pour ceux de la majorité, à des conseils d’administration d’opérateurs de l’action publique hors de France (AEFE, France Médias Monde, Caisse des Français de l’étranger…). En d’autres termes, à la manière des sénateurs des Français de l’étranger avant eux, ils ont cherché à se faire reconnaître comme des agents avec lesquels il faut compter dans le champ des politiques de diaspora. Cependant, la capacité effective des DFE à peser sur les orientations globales de l’action publique à destination des émigrés entre 2012 et 2017 semble être restée extrêmement limitée. À la manière de cet élu socialiste, pourtant parmi les mieux dotés en capitaux politiques traditionnellement valorisés dans l’espace parlementaire, nos enquêtés ont en effet invariablement insisté sur les difficultés qu’ils ont eu à faire valoir leurs positions dans le domaine : « On avait l’impression que [pour le MAE] c’était une préoccupation supplémentaire que de nous donner l’information, que de devoir établir un lien particulier avec des DFE. Que pour eux on était plus, comment dire, des boulets quoi […]. Et c’est vrai qu’on a eu l’impression de ne pas avoir été écouté, en tant que DFE. Ça a créé de la frustration par rapport au MAE et par rapport au gouvernement »  (no 5).

43Deux dossiers reviennent fréquemment pour exemplifier ce sentiment de marginalisation dans la prise de décision. Le premier concerne le montant de la subvention de service public allouée à l’enseignement français à l’étranger. Alors que les DFE n’ont eu de cesse d’appeler à son augmentation (pour ceux de l’opposition) ou au moins à sa sanctuarisation (pour ceux de la majorité), celui-ci est resté résolument orienté à la baisse sur la période, passant de 420 millions d’euros en 2013 à 354 millions en 2017. Le second à trait à la décision gouvernementale d’assujettir à la CSG/CRDS les revenus immobiliers des non-résidents. Sans être forcément tous opposés au principe d’une taxation des Français de l’étranger, les DFE ont rapidement pointé, aux côtés des sénateurs et des délégués à l’AFE, l’iniquité et la fragilité juridique d’une telle mesure qui fait contribuer au financement de la sécurité sociale des personnes n’y ayant pas accès. Une nouvelle fois sans succès puisque, malgré une condamnation de la Cour de justice de l’Union européenne en 2015, celle-ci a été reconduite jusqu’à aujourd’hui dans une version amendée. L’incapacité des DFE à infléchir les positions gouvernementales, sur ces deux dossiers emblématiques comme sur d’autres, a été source de lassitude pour nombre de DFE, et particulièrement ceux de la majorité. À la manière de cet élu socialiste, plusieurs n’hésitent d’ailleurs pas à s’interroger ouvertement sur l’utilité même de leur mandat en fin de législature : « On peut toujours faire des rapports, qui sont certainement très intéressants, mais notre impact, prise, capacité d’influence, à faire adopter un amendement ou quelque chose comme ça, elle est quasiment inexistante. À part donner votre avis lors d’une réunion ou faire un colloque, vous ne pouvez pas faire grand-chose en fait […]. En l’état, je trouve que le mandat de DFE, il est quand même assez bancal »  (no 4).

44Plus largement, cette impression d’impuissance renvoie à la position dominée des députés dans la fabrique des politiques publiques internationales et, plus spécifiquement, des politiques de diaspora. Si l’on en croit nos enquêtés, et l’absence de réorientation notable de l’action publique à destination des émigrés entre 2012 et 2017, l’introduction d’une représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale n’a pas suffi à modifier sensiblement la structure des rapports de force et la domination tendancielle du pôle « technocratique »  au sein du champ de production des politiques de diaspora.

Un ancrage contrarié

45Les DFE que nous avons eu l’occasion d’interroger ont également témoigné avoir ressenti une grande difficulté à « s’ancrer »  dans leur circonscription. Pour le dire autrement, ils semblent avoir peiné à mettre en œuvre des stratégies notabiliaires, « entendues comme des modes de constitution de l’éligibilité, d’entretien de la légitimité et d’exercice du pouvoir »  (Ragaru, 2004, p. 72), adaptées à leur territoire d’élection.

46D’une part, leurs efforts d’implantation ont été contrariés par la dispersion, la mobilité et l’inégale structuration communautaire des Français de l’étranger (Lequesne, 2020 ;  Smith, 2020). Dans ces conditions, se faire connaître et nouer un lien régulier avec leurs mandants, au-delà de la minorité de ceux bien insérés dans les réseaux diplomatiques ou les associations d’émigrés, a été pour eux un défi délicat à relever. D’autant plus que, contrairement à la plupart des autres députés de la 14e législature, ils n’ont guère pu mobiliser les ressources d’un autre mandat local pour marquer leur présence sur le territoire.

47D’autre part, l’ancrage des DFE a également été contraint par leur capacité limitée à répondre aux attentes matérielles et symboliques de leurs mandants (Briquet, 1994). L’extra-territorialité des circonscriptions a en effet réduit drastiquement le périmètre des domaines sur lesquels ils pouvaient prétendre intercéder en leur faveur : des questions comme celles du logement, de l’emploi ou de la santé relevant davantage du pays d’accueil que de celui d’origine. Par ailleurs, nous l’avons vu, leur pouvoir d’influence effectif s’est également révélé faible sur les sujets relevant pourtant des politiques françaises de diaspora. Certes, les DFE se sont tous efforcés de puiser dans leur réserve parlementaire pour soutenir financièrement des écoles, des alliances françaises ou des associations dans leur circonscription. Les sommes ainsi débloquées (environ 130 000 euros par an et par député) apparaissent cependant largement insuffisantes pour, d’un côté, pallier la baisse concomitante des budgets alloués aux politiques de diaspora et, de l’autre côté, nouer un rapport de clientèle avec leurs électeurs (Briquet, Sawicki, 1998). D’autant plus, qu’aux dires mêmes de nos enquêtés, les Français de l’étranger n’ont souvent pas saisi clairement la distinction entre leur député et les services consulaires. L’essentiel des sollicitations auxquelles les DFE ont eu à répondre concernait ainsi des questions ne relevant pas de leurs compétences, telles que la naturalisation de proches, l’accès aux aides sociales françaises ou encore la contestation d’impôts. Si ce type de requêtes individuelles ne leur est pas propre (Le Lidec, 2008, p. 153 ;  Kerrouche, 2009, p. 432), ils ont particulièrement peiné à leur apporter une réponse favorable. Elles renvoient en effet pour la plupart à des enjeux perçus comme de souveraineté et dont la gestion relève directement des administrations centrales des Affaires étrangères, de l’Intérieur ou des Finances. Par ailleurs, elles entrent parfois en contradiction avec les conceptions qu’ils se font des droits auxquels les citoyens émigrés peuvent légitimement prétendre. À la manière de ce député de l’opposition, la plupart de nos enquêtés nous ont ainsi confié avoir souvent été gênés par les demandes qui leur étaient faites : « Quand on est à Madagascar, la revendication de base c’est : “je veux que ma famille aussi devienne française”. Quand on est au Liban, là aussi on aimerait bien que le cousin devienne Français, ou au moins qu’on intervienne auprès du ministère de l’Intérieur pour qu’il puisse devenir policier. Ou bien des problèmes de sous. Des problèmes de fiscalité. Lorsqu’on est au fin fond de l’Afrique centrale et bien là c’est du “c’est scandaleux que je n’ai pas de carte vitale”. Bah oui c’est comme ça, tu vis pas en France. C’est des choses comme ça. C’est la revendication égalitaire par rapport à la France. Ils payent pas d’impôts les mecs, et ils voudraient bénéficier de toutes les prestations dont on peut bénéficier en France. Sans blague !  »  (no 7).

48Les très faibles possibilités offertes aux DFE pour « faire une différence »  sur le quotidien de leurs mandants ont ainsi considérablement complexifié leur travail de légitimation et d’implantation, et ont même pu miner leur croyance dans la valeur des jeux et enjeux internes au champ des politiques de diaspora. S’ils se sont efforcés de mettre en œuvre des pratiques de construction de la proximité avec leurs électeurs analogues à celles développées par les autres députés, celles-ci se sont avérées peu adaptées au contexte extra-territorial. La multiplication des déplacements dans leurs circonscriptions, souvent éreintants, ne leur a ainsi permis ni de sensibiliser largement à leur mandat les Français y étant établis, ni de s’y ancrer dans la durée. Les élections législatives de 2017 en fournissent une confirmation brutale. Dans les onze circonscriptions extra-territoriales, la participation est encore plus faible qu’en 2012, l’abstention dépassant au second tour les 83 % (contre 57 % à l’échelle nationale). En outre, les neuf DFE ayant fait le choix de se représenter résistent particulièrement mal à la « vague macroniste » . À l’exception de Meyer Habib, qui mène une campagne adressée exclusivement aux Français d’Israël qui mériterait une étude spécifique en elle-même (Askolovitch, 2017), ils sont tous sèchement battus, souvent par une marge supérieure à 40 %.

Conclusion

49L’étude des premiers représentants des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale menée dans le cadre de cet article a permis de préciser les conditions dans lesquelles a été investi le mandat inédit de DFE et d’interroger les implications de sa création sur l’orientation des politiques françaises de diaspora.

50Nous avons mis en évidence que les DFE n’ont nullement constitué un groupe homogène sous la 14e législature. La dynamique inattendue des premières élections législatives dans les circonscriptions hors de France a abouti à leur polarisation entre, d’un côté, des professionnels de la politique « parachutés »  à l’étranger et, de l’autre côté, des émigrés investis de longue date dans la « cause »  des Français de l’étranger, mais novices en politique professionnelle. De même, l’analyse de leur travail parlementaire a montré qu’ils n’ont pas développé une conception unique de leur rôle, ni géré de manière analogue les tensions inhérentes au mandat entre poursuite de l’intérêt général et gestion des attentes des électeurs (Nay, 2003).

51Néanmoins, nous avons également donné à voir que les premiers DFE ont globalement assumé l’originalité de leur mandat et leur fonction de médiateurs entre les Français de l’étranger et leur pays d’origine. Sans mettre en œuvre des pratiques de représentation radicalement singulières de celles des députés élus sur le territoire national, ils se sont efforcés de faire entrer à l’Assemblée des thématiques relatives aux émigrés qui n’y étaient auparavant guère débattues, tout en cultivant à travers les frontières leur proximité avec leurs mandants. Ce faisant, ils ont cherché à se positionner et à se faire reconnaître comme des agents incontournables du champ des politiques de diaspora.

52Notre étude invite néanmoins à nuancer la portée des changements effectivement induits par l’arrivée des DFE sur ce champ d’action publique. Leur capacité d’influence en la matière s’est en effet avérée, de leur propre aveu, extrêmement réduite. L’instauration d’une représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale ne s’étant guère accompagnée d’un renforcement des pouvoirs du Parlement dans l’élaboration et la gestion des outils de la politique extérieure de la France, dont ceux à destination des émigrés, les DFE ont peiné de manière récurrente à faire valoir leurs positions – pourtant parfois transpartisanes – face au gouvernement ou à l’administration du Quai d’Orsay. Au final, leur « arrivée dans le jeu »  s’est traduite par un allongement des circuits de légitimation des politiques de diaspora bien plus que par une inflexion de leurs orientations. Leur incapacité à influencer significativement le contenu des seules politiques françaises intéressant directement leurs électeurs a sensiblement complexifié leurs efforts d’implantation dans les circonscriptions extra-territoriales. Elle n’est ainsi sans doute pas totalement étrangère à la déroute particulièrement spectaculaire qu’ils ont connue lors des élections législatives de 2017 (Kernalegenn, Pellen, 2019). Mais la difficulté persistante des premiers DFE à peser dans le champ des politiques de diaspora, malgré leur investissement souvent coûteux à titre personnel, semble également avoir progressivement fragilisé leur illusio, leur croyance en la valeur du jeu des politiques de diaspora et en leur intérêt à continuer à le jouer. À cet égard, il est significatif de noter que seulement quatre des quatorze personnes ayant siégé en tant que DFE au cours de la 14e législature ont maintenu une activité militante (associative ou politique) spécifiquement en lien avec les Français de l’étranger à l’issue de leur mandat.

53Il revient désormais à la deuxième « génération »  de DFE élue en 2017 (pour l’essentiel des émigrés entrés en politique dans le sillage de la candidature d’Emmanuel Macron) de trouver des modalités d’investissement du rôle leur permettant de concilier, avec plus de succès, ses ambiguïtés et contraintes. Sous réserves d’investigations complémentaires en cours de réalisation, ils semblent pour l’instant s’être inscrits largement dans la continuité de leurs prédécesseurs en prenant à leur tour au sérieux le travail de représentation parlementaire des émigrés français. Comme eux, ils ont activement investi les organes de la diplomatie parlementaire, sans pour autant y consacrer la totalité de leur activité à l’Assemblée. Comme eux également, ils se sont engagés dans des entreprises de construction de la proximité avec leurs mandants, impliquant de nombreux déplacements en circonscription et un usage extensif des outils numériques. Comme eux enfin, ils n’ont de cesse de faire valoir leur représentativité pour tenter de redéfinir en leur faveur les rapports de force structurant le champ des politiques de diaspora. En témoigne l’activisme avec lequel ils ont cherché ces derniers mois, dans le contexte de pandémie de Covid-19, à se poser en porte-parole des Français de l’étranger en difficulté pour promouvoir auprès du gouvernement la mise en place d’un plan de soutien spécifique en leur faveur.

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Mots-clés éditeurs : politique transnationale, politiques de diaspora, travail de représentation, député, parlement, français de l’étranger, métier politique

Date de mise en ligne : 08/09/2021

https://doi.org/10.3917/gap.212.0061

Notes

  • [1]
    Deux termes distincts, véhiculant des imaginaires différents, sont couramment mobilisés pour qualifier les personnes vivant en dehors de leur pays d’origine selon qu’elles soient issues de pays « pauvres »  ou de pays « riches » . Alors que les premières sont nommées « émigrés » , les secondes sont plus volontiers qualifiées d’« expatriés » . Dans le cadre de cet article, nous avons fait le choix de ne pas reproduire cette distinction peu opératoire en mobilisant uniquement le terme d’émigré.
  • [2]
    Le site NosDéputés.fr est une initiative du collectif Regards citoyens qui se donne pour objectif de « proposer un accès simplifié au fonctionnement de nos institutions démocratiques à partir des informations publiques » .
  • [3]
    Les entretiens, d’une durée d’une à deux heures, ont tous été réalisés par l’auteur entre avril 2013 et mars 2018. Quand il leur est directement fait référence dans le texte, ils sont numérotés de la manière suivante : Pierre-Yves Le Borgn’, entretien no 1 du 29 avril 2013, entretien no 2 du 21 novembre 2016 ;  Christophe Premat, entretien no 3 du 26 novembre 2016 ;  Arnaud Leroy, entretien no 4 du 30 novembre 2016 ;  Pouria Amirshahi, entretien no 5 du 23 février 2017 ;  Sergio Coronado, entretien no 6 du 17 mars 2017 ;  Alain Marsaud, entretien no 7 du 6 novembre 2017 ;  Thierry Mariani, entretien no 8 du 2 mars 2018.
  • [4]
    En 2013, treize pays accordaient à leurs émigrants une « représentation spéciale »  au Parlement, dont 5 seulement dans les deux chambres : la Colombie, la République dominicaine, l’Italie, la Roumanie et, donc, la France (Collyer, 2014, p. 70).
  • [5]
    « Déclaration du président Nicolas Sarkozy devant la Communauté française » , Libreville, 24 février 2010.
  • [6]
    Les trois DFE devant renoncer à leur mandat avant terme étant toutes des femmes et leurs remplaçants étant tous des hommes, on ne compte plus dès mars 2014 qu’une seule femme parmi les DFE. De même, l’orientation favorable à la majorité du groupe s’étiole rapidement. D’abord, car les élections partielles organisées en juin 2013 pour remplacer les deux députées socialistes invalidées sont remportées par des candidats de l’opposition. Ensuite, car la formation du gouvernement Valls en mars 2014 se traduit par la prise de distance avec la majorité présidentielle de deux des six DFE de gauche restants.
  • [7]
    Depuis les années 1980, les sénateurs des Français de l’étranger sont majoritairement issus du militantisme émigré (principalement à l’UFE ou à l’ADFE) et ont pour la plupart déjà siégé plusieurs mandats à l’AFE avant leur élection.
  • [8]
    Formellement, seuls 3 des 382 dossiers législatifs traités par l’Assemblé nationale sous la 14e législature relèvent spécifiquement des politiques de diaspora. Ils portent respectivement sur la prorogation du mandat des membres de l’AFE, la réforme du système de représentation des Français établis hors de France et enfin à leur possibilité de voter par internet aux élections présidentielle et européennes.
  • [9]
    Au début de la 14e législature, les DFE se répartissent de la manière suivante dans les commissions permanentes : aucun dans les trois commissions en charges des questions économiques, financières ou sociales, quatre aux affaires étrangères, un aux affaires culturelles, un à la défense nationale, un au développement durable et, enfin, quatre aux Lois et affaires constitutionnelles.
  • [10]
    Les DFE disposent d’un crédit annuel égal, pour les circonscriptions européennes, au coût de 80 passages en classe économique entre leur circonscription et Paris, et pour les circonscriptions extra-européennes, au coût de 30 passages en classe affaires entre leur circonscription et Paris.
  • [11]
    Un seul DFE fait le choix dès le début de la législature de ne pas recruter de collaborateurs en circonscription. Deux autres décident de rapatrier l’ensemble de leurs équipes à Paris vers la fin de leur mandat, au moment où ils prennent la décision de ne pas se représenter pour les élections de 2017.
  • [12]
    La loi du 22 juillet 2013 a instauré une représentation « locale »  des Français de l’étranger en créant 443 conseillers consulaires élus pour six ans dans 130 circonscriptions hors de France. Ces conseillers siègent dans des conseils consulaires organisés dans les différents pays et élisent en leur sein les 90 délégués à l’AFE.

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