Couverture de GAP_212

Article de revue

État des lieux. Les démarches administratives à l’interface des gouvernants et des gouvernés

Pages 113 à 128

Notes

  • [1]
    La littérature mobilise un champ lexical étendu pour désigner les individus en situation d’interaction avec les institutions administratives. Dans cet état des lieux, nous proposons d’employer indistinctement les termes de « ressortissants »  ou de « destinataires »  pour désigner les individus et les groupes sociaux qui sont les cibles d’une action publique donnée. Le terme d’ « usagers »  est plutôt mobilisé pour mettre l’accent sur les enjeux de représentation des publics par les administrations et sur les besoins et les usages de ces publics (voir J.-M. Weller [2010], « Comment les agents se soucient-ils des usager ?  » , Informations sociales, 158, p. 12-18). Le terme de « gouvernés »  souligne ou présume l’existence d’un rapport de domination entre ceux qui agissent au nom de l’autorité publique (les gouvernants) et ceux qui s’y confrontent (voir par exemple A. Spire [2016], « État des lieux : les policy feedbacks et le rapport ordinaire à l’État » , Gouvernement et action publique, 4 [4], p. 152). Enfin celui de « citoyens »  permet de souligner ou présumer l’existence d’un effet de l’action publique sur le rapport au politique. Nous laissons de côté le terme de « bénéficiaires »  qui présume quant à lui d’un effet positif de l’action publique sur les individus qu’elle cible.
  • [2]
    J.-M. Weller (2018), Fabriquer des actes d’État : une ethnographie du travail bureaucratique, Paris, Economica, p. 17.
  • [3]
    A. Spire (2007), « L’asile au guichet. La dépolitisation du droit des étrangers par le travail bureaucratique » , Actes de la recherche en sciences sociales, 169, p. 4-21.
  • [4]
    Y. Siblot (2006), Faire valoir ses droits au quotidien : les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, p. 29 ;  C. J. Heinrich (2016), « The Bite of Administrative Burden: A Theoretical and Empirical Investigation » , Journal of Public Administration Research and Theory, 26 (3), p. 5. Le pouvoir des bureaucraties de « faire attendre »  des citoyens a été notamment exploré par Javier Auyero dans le contexte argentin : J. Auyero (2012), Patients of the State: The Politics of Waiting in Argentina, Durham (N. C.), Duke University Press. Concernant les difficultés engendrées par la distance physique aux guichets de l’État, elles ont été soulevées par D. Moynihan et P. Herd dans le contexte états-unien du recours gratuit au droit à l’avortement ou encore par C. Deville dans le cas français des bénéficiaires ruraux du RSA en France : P. Herd, D. P. Moynihan (2018), Administrative Burden: Policymaking by Other Means, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation, chap. 3 ;  C. Deville (2019), Les Chemins du droit. Dématérialisation du RSA et distance à l’État des classes populaires rurales, thèse de doctorat, Amiens, Université de Picardie Jules Verne.
  • [5]
    B. Latour (2004 [2002]), La Fabrique du droit. Une ethnographie du conseil d’État, Paris, La Découverte, p. 240-242.
  • [6]
    J.-M. Weller (2018), Fabriquer des actes d’État : une ethnographie du travail bureaucratique, Paris, Economica, p. 27-32.
  • [7]
    J. Goody (2018 [1986]), La Logique de l’écriture : l’écrit et l’organisation de la société, trad. française de A.-M. Roussel, Malakoff, Armand Colin ;  D. Gardey (2008), Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte.
  • [8]
    D. Torny (1998), « La traçabilité comme technique de gouvernement des hommes et des choses » , Politix, 44, p. 51-75.
  • [9]
    N. Joly (2011), « L’écriture comme travail. Des éleveurs face aux exigences de traçabilité » , dans P. Béguin, B. Dedieu, E. Sabourin (dir.), Le Travail en agriculture : son organisation et ses valeurs face à l’innovation, Paris, L’Harmattan, p. 72 ;  J.-M. Weller (2007), « La disparition des bœufs du Père Verdon. Travail administratif ordinaire et statut de la qualification. » , Droit et société, 67 (3), p. 713-755 ;  N. Joly, J.-M. Weller (2009), « En chair et en chiffres. La vache, l’éleveur et le contrôleur » , Terrain, 53, p. 140-153 ;  J.-M. Weller (2012), « Comment ranger son bureau ?  Le fonctionnaire, l’agriculteur, le droit et l’argent » , Réseaux, 171, p. 67.
  • [10]
    L. Magnin (2019), « La politique agricole commune et les données retardataires » , Techniques & culture, 74, p. 131-143.
  • [11]
    Voir par exemple A. Riles (ed.) (2006), Documents: Artifacts of Modern Knowledge, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press, p. 13-14.
  • [12]
    Voir sur ce sujet la recension croisée de A. Spire (2019), « Sous la façade de l’État. À propos de : Jean-Marc Weller, Fabriquer des actes d’État. Une ethnographie du travail bureaucratique, Economica ;  B. Zacka, When the State Meets the Street. Public Services and Moral Agency, Harvard University Press » , La Vie des idées [en ligne].
  • [13]
    A. Gupta (2008), « Literacy, Bureaucratic Domination, and Democracy » , in J. Paley (ed.), Democracy: Anthropological Approaches, Santa Fe (N. M.), SAR Press, p. 167-192.
  • [14]
    M. S. Hull (2012), Government of Paper: The Materiality of Bureaucracy in Urban Pakistan, Berkeley (Calif.), University of California Press, chap. 3.
  • [15]
    C. A. Heimer, L. R. Staffen (1998), For the Sake of the Children: The Social Organization of Responsibility in the Hospital and the Home, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.
  • [16]
    En cela, ces enquêtes anthropologiques approfondies apportent un contre-éclairage qui permet de nuancer la vision univoque du travail administratif comme « violence bureaucratique » , telle qu’elle est portée par la critique intellectuelle « de gauche »  de la bureaucratisation (voir par exemple D. R. Graeber (2015), Bureaucratie, l’utopie des règles, Paris, Les Liens qui libèrent).
  • [17]
    B. Burden, D. Canon, K. Mayer, D. Moynihan (2012), « The Effect of Administrative Burden on Bureaucratic Perception of Policies: Evidence from Election Administration » , Public Administration Review, 72 (5), p. 741-751.
  • [18]
    P. Herd, D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit., p. 23-25.
  • [19]
    C. J. Heinrich, « The Bite of Administrative Burden » , art. cité, p. 2-3.
  • [20]
    V. Dubois (2015 [1999]), La Vie au guichet : administrer la misère, Paris, Éditions Seuil ;  A. Spire (2011), « La domestication de l’impôt par les classes dominantes » , Actes de la recherche en sciences sociales, 190, p. 58 ;  A. Spire (2012), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir éditions ;  L. Barrault-Stella (2013), Gouverner par accommodements : stratégies autour de la carte scolaire, Paris, Dalloz.
  • [21]
    C. Deville, Les Chemins du droit, op. cit.
  • [22]
    Y. Siblot, Faire valoir ses droits au quotidien, op. cit. ;  Y. Siblot (2006), « “Je suis la secrétaire de la famille ! ” La prise en charge féminine des tâches administratives entre subordination et ressource » , Genèses, 64, p. 46.
  • [23]
    A. Pohn-Weidinger (2012), « Annotation et rature : ébauche d’une sociologie du formulaire » , Ateliers d’anthropologie, 36 [en ligne].
  • [24]
    L. Barrault-Stella, Gouverner par accommodements, op. cit.
  • [25]
    A. W. Gouldner (1952), « Red Tape as a Social Problem » , in R. K. Merton, A. P. Gray, B. Hockey (eds), Reader in Bureaucracy, New York (N. Y.), Columbia University Press, p. 410-418.
  • [26]
    H. Kaufman (1977), Red Tape, its Origins, Uses and Abuses, Washington (D. C.), The Brookings Institution, p. 97.
  • [27]
    P. Pierson (1993), « When Effect Becomes Cause: Policy Feedback and Political Change » , World Politics, 45 (4), p. 595-628 ;  J. Soss (2000), Unwanted Claims: The Politics of Participation in the U.S. Welfare System, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press ;  A. L. Campbell (2003), How Policies Make Citizens: Senior Political Activism and the American Welfare State, Princeton (N. J.), Princeton University Press ;  S. Kumlin (2004), The Personal and the Political, Basingstoke, Palgrave Macmillan ;  S. Mettler (2005), Soldiers to Citizens: The G.I. Bill and the Making of the Greatest Generation, Oxford, Oxford University Press.
  • [28]
    S. Mettler, J. Soss (2004), « The Consequences of Public Policy for Democratic Citizenship: Bridging Policy Studies and Mass Politics » , Perspectives on Politics, 2 (1), p. 55.
  • [29]
    D. P. Moynihan, J. Soss (2014), « Policy Feedback and the Politics of Administration » , Public Administration Review, 74 (3), p. 320-332.
  • [30]
    A. Wichowsky, D. P. Moynihan (2008), « Measuring How Administration Shapes Citizenship: A Policy Feedback Perspective on Performance Management » , Public Administration Review, 68 (5), p. 908-920 ;  B. Burden, D. Canon, K. Mayer, D. Moynihan, « The Effect of Administrative Burden on Bureaucratic Perception of Policies » , art. cité ;  D. P. Moynihan, J. Soss, « Policy Feedback and the Politics of Administration » , art. cité.
  • [31]
    S. Kumlin, I. Stadelmann-Steffen (eds) (2014), How Welfare States Shape The Democratic Public: Policy Feedback, Participation, Voting and Attitudes, Cheltenham, Edward Elgar, p. 6-8.
  • [32]
    A. Revillard (2018), « Saisir les conséquences d’une politique à partir de ses ressortissants : la réception de l’action publique » , Revue française de science politique, 68 (3), p. 478.
  • [33]
    C. Berjaud (2019), « Les missions bolivariennes au Venezuela. Les policy feedbacks au prisme des gouvernés » , Gouvernement et action publique, 8 (1), p. 61-85.
  • [34]
    A. Spire, « État des lieux » , art. cité ;  L. Barrault-Stella, P. Bongrand, C. Hugrée, Y. Siblot (dir.) (2020), « Les rapports à l’école comme rapports à l’État » , Politix, 130, numéro spécial.
  • [35]
    L. Balland, C. Berjaud, S. Vera Zambrano (dir.) (2015), « Les ancrages sociaux de la réception » , Politiques de communication, 4 (1) ;  A. Spire (2018), Résistances à l’impôt, attachement à l’État : enquête sur les contribuables français, Paris, Seuil. L’approche par les réceptions de l’action publique poursuit aussi, dans le paysage académique français, l’une des intuitions des travaux sur les instruments d’action publique (Sciences Po, p. 13). Les instruments, y compris ceux de nature organisationnelle et bureaucratique, sont capables de produire des effets autonomes sur les citoyens qui s’y confrontent. Ils agissent comme des instances de socialisations en même temps qu’ils sont appropriés et « socialisés »  par les acteurs qui s’en saisissent (P.-Y. Baudot [2015], « La donnée et le système. Comment socialiser un instrument d’action publique ?  Le cas du système d’information partagé-personnes handicapées [2006-2014] » , Gouvernement et action publique, 4 [2], p. 25-56). Certains travaux français qui étudient la mise en œuvre sous l’angle du « non-recours »  appellent aussi au développement de travaux qui analysent « certains aspects dynamiques de la construction normative et de la construction identitaire »  que représente la mise en œuvre administrative, pour comprendre la légitimité des politiques étudiées (P. Warin [2010], « Mise en œuvre des politiques et production normative : angle mort des politiques publiques ?  » , dans J. Commaille, L. Dumoulin, C. Robert [dir.], La Juridicisation du politique, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société » , p. 156-158).
  • [36]
    S. Duchesne, P. Muller (2003), « Sociologie politique et analyse de l’action publique : représentations croisées de l’État et des citoyens » , dans P. Favre, J. Hayward, Y. Schemeil (dir.), Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, p. 36.
  • [37]
    M. Darmon (2010 [2006]), La Socialisation, Malakoff, Armand Colin, p. 6.
  • [38]
    M. Réguer-Petit (2016), Bifurcations familiales et socialisations politiques : une comparaison des femmes en famille nucléaire, monoparentale et recomposée, thèse de doctorat, Paris, Institut d’études politiques, p. 299-303.
  • [39]
    Y. Déloye, F. Haegel (2019), « La politisation : du mot à l’écheveau conceptuel » , Politix, 127, p. 76.
  • [40]
    Si on se réfère à la hiérarchie administrative, les intermédiaires administratifs n’occupent donc pas toujours la position structurelle de « cadres intermédiaires »  de la fonction publique, ils peuvent aussi avoir le statut de hauts fonctionnaires, d’agents subalternes ou de professionnels agricoles de « première ligne » .
  • [41]
    Sur ces notions de médiation et de médiateur de politiques publiques à l’interface entre l’État et les groupes sociaux, on peut se référer aux travaux de P. Muller (voir par exemple cette synthèse : P. Muller [2019], « Référentiel » , dans L. Boussaguet, S. Jacquot, P. Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 533-540. Des liens peuvent aussi être faits avec la notion de « passeurs »  proposée pour analyser la circulation et les transferts de politiques publiques : F. Jobard, J. Geeraert, B. Laumond, I. Mützelburg, U. Zeigermann (2020), « Sociologie politique des passeurs : acteurs dans la circulation des savoirs, des normes et des politiques publiques » , Revue française de science politique, 70 (5), p. 557-573.
  • [42]
    Voir par exemple P.-É. Weill (2014), « Quand les associations font office de street-level bureaucracy. Le travail quotidien en faveur de l’accès au droit au logement opposable » , Sociologie du travail, 56 (3), p. 298-319 ;  ou M. Pette (2014), « Associations : les nouveaux guichets de l’immigration ?  Du travail militant en préfecture » , Sociologie, 5 (4), p. 405-421.
  • [43]
    B. Mesnel (2020), Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture. Une comparaison des agriculteurs face à la politique agricole commune et des policy feedbacks en France et en Espagne, thèse de doctorat en science politique, Paris, Institut d’études politiques.
  • [44]
    A. Revillard, « Saisir les conséquences d’une politique à partir de ses ressortissants : la réception de l’action publique » , op. cit.
  • [45]
    A. Gupta (2012), Red Tape: Bureaucracy, Structural Violence, and Poverty in India, Durham (N. C.), Duke University Press ;  J. Auyero, Patients of the state, op. cit.
  • [46]
    D. P. Moynihan, P. Herd, E. Rigby (2013), « Policymaking by Other Means Do States Use Administrative Barriers to Limit Access to Medicaid? » , Administration & Society, 48 (4) ;  P. Herd, D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit.
  • [47]
    M. S. Hull, Government of paper, op. cit.
  • [48]
    A. Bartoli, G. Jeannot, F. Larat (dir.) (2016), « Simplifier l’action publique ?  » , Revue française d’administration publique, 157 ;  F. Gélédan (2016), « Spectres du léviathan : l’État à l’épreuve de la simplification administrative (2006-2015) » , Revue française d’administration publique, 157, p. 33 ;  M. Alauzen (2019), Plis et replis de l’État plate-forme. Enquête sur la modernisation des services publics en France, thèse de doctorat en sociologie, Paris, Mines ParisTech.
  • [49]
    P. Bezes (2020), « Le nouveau phénomène bureaucratique. Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique » , Revue française de science politique, 70 (1), p. 21 ;  B. Hibou (2012), La Bureaucratisation du monde à l’ère néo-libérale, Paris, La Découverte.
  • [50]
    S. Mettler (2002), « Bringing the State Back in to Civic Engagement: Policy Feedback Effects of the G.I. Bill for World War II Veterans » , The American Political Science Review, 96 (2), p. 351-365 ;  A. L. Campbell, How Policies Make Citizens, op. cit. ;  S. Mettler, Soldiers to Citizens, op. cit. ;  L. M. MacLean (2011), « State Retrenchment and the Exercise of Citizenship in Africa » , Comparative Political Studies, 44 (9), p. 1238-1266.
  • [51]
    En France, une enquête empirique récente démontre par exemple que l’encadrement administratif des personnes handicapées décourage leur inscription sur les listes électorales : P.-Y. Baudot, M.-V. Bouquet, C. Braconnier, G. Gabalda (2020), « Les politiques publiques façonnent-elles les listes électorales ?  Le cas des personnes handicapées en 2017 » , Revue française de science politique, 70 (6), p. 747.
  • [52]
    J. Soss, Unwanted Claims, op. cit. ;  J. Soss, R. C. Fording, S. Schram (eds) (2011), Disciplining the Poor: Neoliberal Paternalism and the Persistent Power of Race, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.
  • [53]
    P. Herd et D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit.(notamment le chapitre 4).
  • [54]
    B. Mesnel (2018), « Socialiser à la biodiversité à travers la néo-libéralisation de la PAC ?  Les limites bureaucratiques de la conditionnalité et du paiement vert du point de vue des agriculteurs » , Développement durable et territoires, 9 (3) ;  B. Mesnel (2019), « Impulser le changement depuis Bruxelles ?  La mise en œuvre des “surfaces d’intérêt écologique” en France et en Espagne » , dans M. Arrignon, C. Bosc (dir.), Les Politiques d’agroécologie, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal ;  L. Magnin (2019), « La politique agricole commune protège-t-elle les haies ?  Interprétations plurielles de la conditionnalité des aides relative à la BCAE 7 » , Sciences, eaux et territoires, 30, p. 94-97.
  • [55]
    Pour un autre exemple, celui de la mise en œuvre du revenu de solidarité active en France, voir C. Deville, Les Chemins du droit, op. cit.
  • [56]
    Par exemple, sur le cas des agriculteurs en France et en Espagne, voir les chapitres deux et trois dans B. Mesnel (2020), Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture, thèse citée.
  • [57]
    D. Moynihan, P. Herd (2010), « Red Tape and Democracy: How Rules Affect Citizenship Rights » , The American Review of Public Administration, 40 (6), p. 654-670.
  • [58]
    D. Moynihan, P. Herd, H. Harvey (2015), « Administrative Burden: Learning, Psychological, and Compliance Costs in Citizen-State Interactions » , Journal of Public Administration Research and Theory, 25 (1), p. 43-69.
  • [59]
    P. Herd, T. DeLeire, H. Harvey, D. P. Moynihan (2013), « Shifting Administrative Burden to the State: The Case of Medicaid Take-Up » , Public Administration Review, 73 (1), p. 69-81.
  • [60]
    Pour un exemple de comparaison internationale voir : B. Mesnel, Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture, thèse citée. Dans le contexte français, voir aussi les dispositifs d’enquête déployés pour comparer les rapports de différents groupes sociaux à l’institution scolaire et pour les mettre en comparaison avec les rapports à d’autres institutions étatiques dans le numéro spécial déjà cité : L. Barrault-Stella, P. Bongrand, C. Hugrée, Y. Siblot (dir.), « Les rapports à l’école comme rapports à l’État » .
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1Plusieurs courants des sciences sociales manifestent un intérêt croissant pour le travail administratif en tant qu’objet de recherche, lorsqu’il est produit à l’interface des gouvernants et des gouvernés, c’est-à-dire dans les échanges entre des représentants de l’autorité administrative ou politique d’une part et des administrés soumis à une action publique d’autre part. On trouve ainsi des réflexions autour des démarches administratives comme intermédiaire des relations entre les administrés et l’État dans des littératures hétérogènes : la littérature anglophone de Public Administration, les travaux d’anthropologie de l’État, de sociologie des techniques et des sciences, de sociologie du « guichet »  et des réformes administratives, ou encore de sociologie des comportements politiques.

2Chacune de ces littératures privilégie des questionnements spécifiques qui sont liés à l’angle plutôt néo-institutionnaliste, à la perspective plutôt cognitive, pragmatiste ou dispositionnaliste avec laquelle les démarches administratives sont analysées en tant qu’objet d’étude. Dès lors, on peut s’attarder sur la capacité du travail administratif à organiser des rapports de pouvoir et de domination spécifiques, interroger la façon dont il produit des inégalités et des problèmes d’accès des usagers à leurs droits, explorer ses fonctions de socialisation des citoyens à l’État et au politique [1]. Cependant, en dépit de leurs contrastes, ces littératures sont aussi complémentaires en ce qu’elles envisagent toutes le travail administratif non pas comme un produit mais plutôt comme une médiation, dont les significations et les effets sont soumis à la dimension relationnelle de l’action publique. Cet état des lieux insiste sur cette complémentarité afin d’ouvrir des pistes pour l’analyse des rapports ordinaires aux démarches administratives et, par-là, pour l’analyse des rapports entre les gouvernants et les gouvernés sous l’angle administratif. Ainsi et sans prétendre ici à une revue exhaustive des différents courants de recherche, nous proposons d’en croiser les travaux les plus représentatifs pour caractériser plusieurs modalités du rapport ordinaire aux démarches administratives.

3Plus précisément, nous verrons que trois modalités distinctes du rapport ordinaire aux démarches administratives se dégagent de cet état des lieux : la nature objective des objets et supports administratifs, leur expérience pratique et leur expérience critique et péjorative. Prises et discutées ensemble, ces trois modalités ouvrent des perspectives de recherche à la fois pour la sociologie de la mise en œuvre et des réformes administratives et pour l’analyse des rapports ordinaires à l’État et au politique. Elles encouragent au déploiement d’enquêtes multi-situées et comparatives pour saisir pleinement les effets des démarches administratives à l’interface des gouvernants et des gouvernés, et les déterminants de ces effets.

Trois modalités du rapport ordinaire aux démarches administratives dans la littérature

4Le corpus sur lequel nous nous appuyons emploie indistinctement les termes de travail bureaucratique, de démarches administratives ou de travail administratif pour désigner des tâches accomplies par les administrés dans le cadre de leurs rapports à l’action publique et aux bureaucraties, qui conditionnent l’accès à leurs droits et sans lesquelles l’action publique n’existerait pas, ne pourrait pas « prendre vie »  aux yeux des ressortissants comme aux yeux des bureaucraties. Le travail administratif renvoie alors en priorité au registre de l’écrit et à des opérations variées témoignant des fonctions multiples de l’écriture : « noter, rédiger, lire, et plus largement enregistrer, recopier, calculer, résumer [2] » . D’autres auteurs adoptent une définition plus large du travail administratif, en désignant par là le travail accompli « dans le champ bureaucratique »  et notamment au guichet, contenant alors une part d’oralité [3]. On peut ainsi ajouter au remplissage des papiers toutes les activités qui consistent à gérer les relations aux agents de guichet et les déplacements dans les services : des activités non écrites et pourtant constitutives des échanges administratifs, qui sont plus ou moins coûteuses selon les contextes et les acteurs en présence [4]. Selon leur questionnement de recherche, les travaux mettent la focale sur une dimension particulière de ce travail administratif accompli par les individus au contact des bureaucraties : ses matérialités et leur signification, les expériences pratiques et inégalitaires auxquelles il donne lieu, ou bien ses jugements normatifs et critiques. Les démarches administratives sont alors étudiées soit comme un support matériel de l’action publique auprès des ressortissants, soit comme une source de contraintes et d’inégalités pour les ressortissants, soit comme un vecteur d’apprentissages politiques (voir le tableau infra).

Tableau 1. Les trois modalités du rapport ordinaire aux démarches administratives

TerminologieModalitéRôle à l’interface gouvernants/gouvernésLittérature/Références principales
Matérialités des démarchesNature objective des objets et des supports administratifsUne médiation (indispensable) de l’action publique, un outil d’action gouvernementaleSociologie des techniques et des sciences ;  anthropologie de l’État, des bureaucraties et des écrits administratifs
Fardeau administratifVécus, expériences pratiquesUne source de contraintes et d’inégalités pour les ressortissants face à l’ÉtatSociologie des relations de guichet ;  sociologie des administration et l’action publique/Public Administration
PaperasseJugements, opinions négatives et péjoratives du travail administratifUn vecteur d’apprentissages et de socialisations politiquesTravaux sur les policy feedbacks ;  Sociologie des réceptions de l’action publique et des rapports ordinaires à l’État ;  Sociologie de la socialisation politique et de la politisation

Tableau 1. Les trois modalités du rapport ordinaire aux démarches administratives

5Les démarches comme matérialisation de l’action gouvernementale. Une première dimension du rapport ordinaire aux démarches concerne leur matérialité, c’est-à-dire leur nature objective tant sur le fond que sur la forme, leur contenu, leur agencement, leur accessibilité et leur circulation. On trouve un intérêt spécifique pour cette dimension matérielle dans deux types de littérature : la sociologie des techniques et des sciences lorsqu’elle s’intéresse aux écrits administratifs comme véhicules du droit, et l’anthropologie de l’État lorsqu’elle analyse les écrits comme des supports de la domination et du pouvoir étatique.

6La sociologie des techniques et des sciences s’empare des écrits administratifs comme objet d’analyse ethnographique pour éclairer la fabrique quotidienne du droit et de l’action publique. B. Latour, dans son ethnographie du Conseil d’État, montre comment l’ « objectivité »  du droit repose principalement sur les « traces accumulées dans les dossiers » , l’activité centrale des juges consistant à « cheminer le long d’une chaîne référentielle en superposant […] des documents et des tracés, distincts certes par leur matérialité (photos, graphes, documents ou plans), mais qui ont pour nature de maintenir intacte l’information à travers le jeu des transformations »  [5]. La présence d’une signature, d’un accusé de réception d’un courrier, d’une phrase renvoyant à un autre document annexé au dossier, d’une référence écrite à un texte de jurisprudence, constituent autant d’éléments matériels qui rendent possible le mouvement de « produire du droit »  au quotidien. Le dossier administratif est alors considéré comme une matière « à la fois technique et sociale »  à partir de laquelle se fabrique l’action de l’État, puisque c’est grâce aux dossiers que les acteurs dotés d’une autorité publique « font »  et « disent »  le droit « en situation »  [6]. Ces travaux soulignent alors la place stratégique des « actes d’écriture »  dans les processus d’organisation des sociétés, en écho aux études du développement et des transformations historiques des usages de l’écrit [7]. L’approche par les matérialités permet ainsi de documenter le développement de la traçabilité écrite comme technique de gouvernement [8], en étudiant notamment la façon dont les écrits administratifs permettent « l’articulation entre un système de traces existant et la confection ad hoc d’un système de traçabilité [9] » . Les travaux les plus récents soulignent les nouveaux enjeux relatifs à l’augmentation des supports et des données numériques dans les dispositifs de traçabilité, s’appuyant sur des processus automatisés [10]. Certains auteurs, y compris dans le champ de l’anthropologie, peuvent reprocher à cette sociologie des techniques administratives d’adopter une approche trop autonome et dépolitisée des supports bureaucratiques et de leur fonction, au détriment de l’étude des acteurs qui les produisent et se les approprient [11]. Dès lors, les usages stratégiques et les luttes politiques et sociales qui se jouent dans le travail administratif peuvent sembler négligés dans ces travaux [12].

7En réaction, des travaux d’anthropologie de l’État et des bureaucraties soulignent davantage le rôle des auteurs et des propriétaires des documents, y compris des acteurs autres que les détenteurs du pouvoir étatique (des citoyens, des agents subalternes), pour déterminer comment s’exerce de façon souvent équivoque le pouvoir social et politique des documents. Ces travaux éclairent les ambiguïtés de l’écrit en tant qu’instrument d’action gouvernementale : celui-ci offre des possibilités de subversion aux individus qui ne sont pas uniquement liées à leurs compétences écrites et bureaucratiques. Ainsi A. Gupta montre que davantage que le lettrisme formel, c’est le lettrisme « politique »  des gouvernés, renvoyant à la maîtrise des codes de l’échange bureaucratique (savoir verser un pot-de-vin, produire de faux documents, imposer le registre de l’oralité plutôt que l’écrit), qui explique les relations de pouvoir et les inégalités face au travail bureaucratique [13]. Les analyses de M. Hull dans l’administration pakistanaise montrent que les « qualités matérielles »  des papiers permettent aussi le déploiement de « tactiques d’irresponsabilité »  du côté des acteurs politiques et administratifs : par exemple, la circulation des documents d’un service à l’autre ou d’un dossier à l’autre, l’inscription de plusieurs signatures et annotations, offrent aux agents la possibilité de se protéger individuellement des décisions qu’ils émettent, y compris auprès des citoyens [14]. Dans d’autres contextes, comme les services de médecine pédiatrique, c’est précisément la co-construction des documents par les soignants et les familles qui fonde leur pouvoir de responsabilisation des individus [15]. Ces travaux, en soulignant la dimension collective du travail bureaucratique en tant qu’activité, montrent que le pouvoir des documents repose sur la combinaison d’expériences sociales variées, incluant des possibilités de contournement et de détournement. Les démarches administratives apparaissent donc comme un outil de pouvoir et de gouvernement aux effets incertains et équivoques, suspendus à la combinaison de leurs usages et de leurs appropriations, y compris par les gouvernés [16].

8Pour analyser plus directement les appropriations pratiques des démarches administratives par les ressortissants, il est alors utile d’introduire la notion de « fardeau administratif »  telle qu’elle est mobilisée en sociologie des bureaucraties.

9Le fardeau administratif et les inégalités sociales face aux démarches. Dans la littérature anglophone de Public Administration, le terme de « fardeau administratif »  (administrative burden) désigne « l’expérience, par un individu, de la mise en œuvre d’une politique publique comme coûteuse »  [17]. D. Moynihan et P. Herd proposent ainsi une approche par les « coûts »  du travail administratif, distinguant trois coûts qui pèsent sur les citoyens et sur les agents dans leur confrontation pratique aux démarches et documents administratifs. Des coûts d’apprentissage (learning costs) renvoient au temps et aux efforts déployés pour s’informer à propos d’un programme ou d’un service, ses bénéfices et ses conditions d’éligibilité. Des coûts psychologiques renvoient à « la gêne et les stigmates » , la frustration et le stress liés au fait de s’engager dans les procédures liées à un programme. Enfin des coûts de conformité (compliance costs or procedural costs) désignent les efforts pour fournir les informations et la documentation demandées, accéder au service, se plier aux demandes particulières de l’administration [18]. C. Heinrich précise que ces coûts administratifs émergent dans plusieurs types de transactions : les échanges entre citoyens et administrations aux guichets (qui peuvent être à l’initiative de l’administration ou à l’initiative de l’administré), les échanges entre agents à l’intérieur d’une organisation administrative et enfin les échanges entre citoyens en dehors de l’organisation administrative, encore peu étudiés par les travaux existants [19]. Avec ces typologies des coûts et des transactions bureaucratiques, ces auteurs proposent des outils concrets pour analyser les vécus individuels et collectifs des démarches administratives et pour penser les inégalités sociales qui en découlent.

10Les enquêtes menées aux guichets des administrations en France soulignent aussi les inégalités sociales produites par les injonctions bureaucratiques. Les citoyens les plus modestes sont plus souvent au contact des guichets et leur accès aux droits sociaux dépend plus souvent de l’accompagnement qui leur est proposé, tandis que des populations plus privilégiées sont plus à même de s’arranger avec le droit et de « domestiquer »  les échanges bureaucratiques [20]. Les inégalités face aux injonctions administratives sont liées aux ressources scolaires et relationnelles des individus, elles obéissent aussi à des logiques spatiales et numériques qui tiennent à la dématérialisation et à la répartition inégale des guichets sur le territoire [21]. Certains travaux s’intéressent aux effets spécifiques des opérations écrites sur les usagers. Ils mettent alors en évidence la division genrée du travail administratif au sein des foyers et l’influence des trajectoires biographiques sur la construction des rapports subjectifs aux papiers [22] ;  ils soulignent la capacité des usagers à s’approprier des formulaires administratifs pour y faire apparaître les particularités de leurs situations [23] ;  ils éclairent des situations où les citoyens produisent volontairement un travail administratif destiné à s’ « accommoder »  de l’action publique, en élaborant par exemple des demandes écrites de dérogation [24]. Les inégalités produites par le travail administratif doivent ainsi être envisagées en lien avec les ressources et les stratégies des ressortissants, de ce fait elles peuvent revêtir à la fois une dimension agrégée qui dépend des infrastructures bureaucratiques et une dimension plus individuelle qui repose sur les trajectoires et les ressources propres à chaque individu.

11Ainsi, la littérature anglophone relative au fardeau administratif et les travaux de sociologie des relations de guichet encouragent à envisager les démarches administratives d’abord comme une source de contraintes et d’inégalités sociales, voire d’exclusion administrative, pour les ressortissants. Une troisième modalité du rapport ordinaire aux démarches doit ensuite être considérée, qui se démarque d’une entrée par les coûts et qui apparaît à la fois dans l’imaginaire collectif de la « paperasse »  et dans les travaux pionniers sur le sujet, et de façon plus implicite dans les approches par les policy feedbacks comme dans la sociologie des comportements politiques : l’expérience critique et politique des démarches et, par-là, de l’action gouvernementale.

12La paperasse ou le travail administratif comme expérience de socialisation politique. L’imaginaire collectif regorge de références critiques envers les démarches administratives. On pense aux romans de Franz Kafka et à l’atmosphère bureaucratique cauchemardesque dans laquelle est plongé le personnage de K. dans Le Procès ou Le Château. Chez Kafka, le travail administratif et sa matérialité constituent à chaque fois une pièce maîtresse à travers laquelle s’expriment la rigidité, la distance mais aussi le ridicule du pouvoir. On pourrait encore citer l’héroïne de bande dessinée Mafalda, créée par l’Argentin Quino et qui prénomme sa tortue de compagnie « bureaucratie »  en raison de sa lenteur. Le travail administratif est ainsi rarement présenté comme une source de plaisir pour les individus qui l’accomplissent et le vocable de la « paperasse » , utilisé dans son sens commun, sert à dépeindre les bureaucraties sous leur plus mauvais jour.

13Cet angle critique transparaît dans les premiers travaux anglophones mobilisant le terme de « red tape »  (dont la « paperasse »  peut être la traduction française) et notamment l’article précurseur d’A. Gouldner, qui désigne par là des démarches jugées excessives ou inutiles par les citoyens, même lorsqu’ils ne les vivent pas comme pesantes [25]. H. Kaufman envisage quant à lui la paperasse comme une plaie inexorable de l’action publique et lui confère le statut, « avec la mort et les taxes » , de « dimension inéluctable de la vie »  [26]. La notion de paperasse est donc initialement mobilisée avec une intention normative : souligner la vocation du travail administratif à s’inscrire à l’encontre des besoins et des intérêts des administrés. C’est moins cette dimension normative qui nous semble enrichissante ici, que la reconnaissance avec le terme de paperasse de l’existence d’opinions et de jugements de valeur des ressortissants face aux démarches administratives. La notion de paperasse, en tant qu’étiquette négative accolée à des démarches administratives, complète ainsi de deux manières la notion de fardeau administratif. Premièrement, elle contient l’hypothèse selon laquelle une procédure administrative qui ne ferait pas peser de coût particulier sur les ressortissants peut cependant être perçue négativement par eux. Autrement dit, juxtaposer les notions de fardeau administratif et de paperasse permet de ne pas présumer d’une correspondance parfaite entre les vécus d’une part et les jugements d’autre part du travail administratif. Deuxièmement, la notion de paperasse permet d’explorer le rôle des démarches administratives dans la construction de relations politisées entre gouvernants et gouvernés, en mettant la focale sur l’appropriation cognitive des injonctions administratives par les individus en tant qu’usagers des administrations et également en tant que citoyens amenés à formuler des jugements politiques. Le travail administratif est ainsi envisagé comme un vecteur d’éventuels apprentissages politiques et de policy feedbacks.

14Les travaux sur les policy feedbacks envisagent les politiques publiques comme des sources d’apprentissages politiques pour les citoyens, faisant ainsi un pas de l’analyse des politiques publiques vers l’étude des socialisations politiques [27]. Les ressources qui interviennent dans ces processus d’apprentissage sont à la fois matérielles (les bénéfices sociaux accordés, par exemple) et cognitives, lorsque l’action publique influence la façon dont les ressortissants comprennent et agissent par rapport au système politique, la façon dont ils se perçoivent et perçoivent les autres [28]. Les activités administratives constituent dès lors un chaînon intermédiaire incontournable dans les policy feedbacks : les catégories administratives, les échanges aux guichets des bureaucraties et les pratiques professionnelles des agents co-construisent les messages et les ressources politiques qui sont transmis par l’action publique aux citoyens [29]. Notamment, les coûts occasionnés par les démarches administratives apparaissent comme des leviers d’apprentissages et de rencontres politiques [30]. La nature des effets politiques possibles recouvre un large spectre que l’on peut synthétiser à partir de trois aspects des relations des citoyens au politique : leurs attitudes envers l’action publique et les institutions politiques, leur intégration sociale et leur participation politique, enfin leurs préférences électorales et partisanes [31].

15En France, le développement récent d’une sociologie des « réceptions »  de l’action publique offre un nouveau souffle à l’étude des liens entre les politiques publiques et les apprentissages politiques [32]. Des travaux se revendiquent ainsi directement d’une analyse des « policy feedbacks au prisme des gouvernés [33] »  ou bien réfléchissent à la façon d’articuler l’approche par les policy feedbacks avec un questionnement tourné vers les rapports ordinaires à l’État et au politique [34]. Dans le sillon des travaux sur les feedbacks, ces approches insistent sur la variation des expériences individuelles et sur les ancrages sociaux des réceptions [35]. La sociologie des comportements politiques et des rapports ordinaires au politique apporte des perspectives complémentaires, lorsqu’elle propose un questionnement symétrique autour des politiques publiques et des institutions administratives comme instances de socialisation politique secondaire. Il s’agit de mieux intégrer « les décisions et les discours des gouvernants »  dans l’étude des représentations et des comportements des citoyens [36]. Le processus de politisation est alors étudié à l’échelle des individus et le plus souvent sous l’angle de la socialisation politique, c’est-à-dire des dynamiques par lesquelles se forment les pratiques et les représentations ordinaires dans le domaine politique [37]. Par exemple, M. Réguer-Petit enquête auprès de mères de famille en situation de bifurcations familiales et elle montre comment leur expérience concrète des politiques et des institutions judiciaires (à l’occasion d’un divorce notamment) influence leur politisation en suscitant chez elles trois types de défiance : une défiance « sectorielle »  exprimée envers la légitimité de l’État pour statuer dans le domaine familial, une défiance « personnifiée »  qui vise le personnel politique dans sa globalité, et enfin une défiance « généralisée »  qui vise l’État et les institutions étatiques dans leur ensemble [38]. L’action publique et sa dimension administrative produisent ainsi des catégorisations sociales et génèrent des contacts sociaux qui suscitent et concentrent des phénomènes de politisation des citoyens [39].

16Le travail administratif qui matérialise l’action publique à l’interface de l’État et des usagers participe ainsi à la politisation des citoyens et il peut expliquer leur rapport à la sphère politique locale, nationale, voire européenne.

Perspectives de recherche

17Penser ensemble ces trois dimensions du rapport ordinaire aux démarches administratives ouvre des pistes de recherche à la fois pour la sociologie de la mise en œuvre et des administrations et pour l’analyse des rapports ordinaires à l’État et au politique. L’enjeu est aussi de réfléchir au type de démarche empirique permettant d’analyser ensemble les trois dimensions identifiées et leurs déterminants.

18Perspectives pour l’étude de la mise en œuvre et des administrations. La grille ici proposée des trois modalités du rapport ordinaire aux démarches offre des perspectives pour étudier la mise en œuvre, qui concernent en premier lieu l’évolution et les effets des médiations administratives de l’action publique. Par médiations administratives, on entend la façon dont les intermédiaires administratifs des politiques publiques s’approprient les documents et les supports administratifs pour ensuite les transmettre aux usagers. Ces intermédiaires se distinguent moins par leur fonction que par leur positionnement à l’interface de l’action publique et des usagers [40], ce positionnement les amenant à jouer un rôle de médiation du travail administratif, c’est-à-dire de mise en cohérence entre l’univers de sens sur lequel repose la politique publique et celui des ressortissants [41]. Les médiateurs dont il s’agit de questionner l’activité et le rôle d’agents de socialisation aux démarches peuvent être des agents administratifs publics, mais aussi des acteurs privés. On sait en effet que dans de nombreux domaines d’action publique et de façon plus ou moins institutionnalisée, des acteurs non-étatiques (associations, syndicats, établissements bancaires, etc.) participent à l’accompagnement administratif des usagers face aux programmes publics. Des associations militantes accompagnent par exemple les populations précaires ou immigrées dans leur cheminement administratif en France [42], des syndicats et des établissements bancaires accompagnent par exemple leurs clients agriculteurs dans la demande d’aides publiques en Espagne [43]. Les pratiques de ces intermédiaires administratifs privés échappent souvent largement au contrôle des pouvoirs publics alors que leur rôle peut être essentiel pour comprendre la mise en œuvre et les effets d’une politique publique. Or, on peut mieux comprendre ce rôle en séparant d’une part la matérialité des démarches administratives, et d’autre part leur expérience pratique et critique par les usagers.

19Du point de vue de l’évaluation des politiques publiques, l’étude du rapport ordinaire aux démarches administratives permet de contribuer à l’évaluation « par le bas »  des réceptions de l’action publique et des effets de la mise en œuvre. La grille des trois modalités du rapport aux démarches permet en particulier d’analyser la place de la dimension administrative dans les dynamiques d’appropriation de l’action publique et de co-construction de ses effets par les ressortissants. L’une des hypothèses des approches en termes de réception est en effet d’envisager l’action publique comme étant en partie co-construite par les ressortissants, d’où le besoin d’enquêter auprès de ces derniers pour saisir la dimension contrainte mais aussi active de la réception [44]. Suivant cette hypothèse et comme on l’a dit, la grille d’analyse des trois modalités permet alors de tenir ensemble les pratiques et les représentations des ressortissants face à l’action publique, et les dimensions objectives et subjectives de la réception.

20Le travail administratif, ses matérialités et ses médiations constituent par ailleurs des points d’observation privilégiés des dynamiques de réforme et de rationalisation des administrations. L’attention portée au travail administratif éclaire en effet la dimension bureaucratique des outils de gouvernement et des processus de légitimation de l’action publique. On trouve ainsi des travaux qui mettent en évidence la contribution de la complexité administrative à la discipline des populations [45], qui l’analysent comme un moyen pour des acteurs politiques et administratifs de détourner les objectifs d’une politique publique [46], ou encore comme une modalité de diffusion du blâme politique [47].

21La grille d’analyse des trois modalités des démarches autorise aussi un enrichissement des questionnements autour des politiques de modernisation et de simplification administrative. Les politiques de simplification émergent au cours d’un processus institutionnel de problématisation des démarches à l’interface des administrations et des usagers. Les problématiques qui sont alors retenues par les décideurs sont plurielles, et les solutions proposées ne visent pas forcément à améliorer l’expérience des usagers : les décideurs peuvent aussi bien chercher à mettre en cohérence le travail administratif avec les objectifs d’action publique qui sont fixés, ou bien à agir sur l’image qu’il renvoie de l’État et de sa légitimité [48]. Selon notre lecture, les politiques de simplification ne constituent donc pas une quatrième modalité du rapport ordinaire aux démarches administratives, mais bien une problématisation des démarches selon des cadrages variés et qui peuvent mettre la focale plus ou moins sur l’une des trois modalités (matérialité, vécus, jugements). Dès lors, la grille des trois modalités du rapport ordinaire aux démarches administratives offre des perspectives en matière de caractérisation et de comparaison de ces politiques de simplification envisagées comme des politiques de réforme de l’État et de ses manières d’entrer en relation avec les citoyens.

22Finalement, l’analyse des évolutions de la contrainte administrative à l’interface des gouvernants et des gouvernés permet d’éclairer certaines modalités et certains effets de la bureaucratisation contemporaine des façons de gouverner, renvoyant à la fois au fonctionnement interne des organisations administratives et à la façon dont l’État mène son action publique à destination des citoyens ou des entreprises [49]. D’autres perspectives concernent la façon dont l’expérience d’une contrainte administrative alimente les rapports ordinaires à l’État et au politique.

23Perspectives pour l’analyse des rapports ordinaires à l’État et au politique. La littérature sur le travail bureaucratique à l’interface des gouvernants et des gouvernés invite en outre à approfondir certains questionnements spécifiques autour des rapports ordinaires à l’État et au politique.

24Il s’agit en particulier pour les travaux dans le champ des policy feedbacks d’explorer plus en détail l’effet du travail bureaucratique sur les préférences et les comportements politiques des ressortissants. Sur ce point, la littérature existante propose des résultats riches mais divergents. Dans certains cas, la matérialité des démarches et l’augmentation objective du travail administratif, en renforçant la visibilité et l’importance de l’action publique auprès de ses bénéficiaires, peut favoriser leur attachement à l’autorité publique et leur niveau d’engagement politique dans l’optique de défendre leurs acquis sociaux [50]. D’un autre côté, le traitement administratif de certaines populations peut diminuer leur niveau d’intégration dans la vie politique [51]. De même, certains ressortissants peuvent s’appuyer sur leur expérience d’une paperasse ou d’un fardeau administratif pour conclure à une rupture entre leur situation concrète et les attentes sociétales d’une part, et entre eux et les élites politiques et administratives d’autre part. Ainsi, la paperasse et le fardeau administratif peuvent contribuer aux mécanismes par lesquels certaines politiques publiques détériorent la confiance et la légitimité accordées aux institutions et aux gouvernants [52].

25L’entrée par les trois modalités du rapport aux démarches administratives ouvre ainsi plusieurs pistes de compréhension qui concernent la construction des rapports ordinaires à l’État et au politique, par l’intermédiaire des politiques publiques. Sur le plan empirique, elle invite particulièrement au développement d’enquêtes multi-situées et comparatives.

26Quelles enquêtes ?  Deux stratégies empiriques semblent particulièrement pertinentes pour l’analyse articulée des trois dimensions du rapport ordinaire aux démarches : les enquêtes multi-situées et multi-niveaux d’une part, les approches comparatives d’autre part.

27Les enquêtes multi-situées permettent d’abord de suivre aux différents niveaux de la mise en œuvre la fabrique de la contrainte administrative, ses prises en charge et ses éventuels usages stratégiques par des acteurs politiques et administratifs. Des enquêtes menées aux États-Unis dans le champ de la protection sociale montrent par exemple comment la complexité administrative peut résulter de stratégies politiques mises en place au niveau infranational pour contrer des mesures nationales [53]. Au sein de l’Union européenne, des analyses multi-situées de la politique agricole commune mettent en avant les intérêts pluriels des acteurs politiques, administratifs et professionnels en prise avec la gestion des aides agricoles comme élément moteur dans la fabrique d’une politique agro-environnementale administrativement peu lisible pour ses destinataires [54]. Les enquêtes multi-situées permettent aussi, lorsqu’elles mobilisent des méthodes ethnographiques de part et d’autre du guichet, d’intégrer les pratiques des différents médiateurs des politiques publiques auprès des ressortissants dans l’explication des expériences plurielles et inégales de ces derniers [55]. Le rôle des médiations administratives s’observe alors à différents niveaux de la mise en œuvre : au niveau micro des pratiques relationnelles aux « guichets » , au niveau méso de l’offre de potentiels services d’accompagnement administratif, voire, dans le cas de politiques supranationales, au niveau national de la configuration d’acteurs qui définissent les outils et les priorités de la mise en œuvre. Enfin, l’approche multi-niveaux, lorsqu’elle donne lieu à une enquête à la fois auprès des individus et des collectifs dans lesquels ils s’insèrent (groupe socioprofessionnel, association, syndicat), constitue un moyen d’éclairer la dimension individuelle d’une part, la dimension collective d’autre part, des inégalités face aux politiques publiques et des effets que celles-ci produisent [56].

28Des enquêtes comparatives apparaissent par ailleurs nécessaires pour spécifier les dynamiques causales par lesquelles les démarches administratives influencent les expériences ordinaires des usagers. La matérialité des démarches suffit-elle pour expliquer les capacités inégales des usagers à se les approprier et à s’en affranchir ?  Comment d’autres variables comme les ressources dont disposent les ressortissants et les médiations administratives de l’action publique, interagissent-elles avec la matérialité des démarches pour en expliquer les coûts (inégaux) et les perceptions (disparates) par les individus et les groupes sociaux ?  En pratique et grâce à la comparaison, il s’agit notamment de comprendre comment différentes médiations administratives d’une même politique publique peuvent influencer ses effets sur les ressortissants. Une multitude de types de comparaisons sont alors envisageables : entre secteurs d’action publique [57] ou entre programmes d’action publique [58], en comparant un même programme dans le temps (par exemple avant et après la mise en œuvre d’une réforme administrative) [59], ou encore en comparant la mise en œuvre d’une même politique dans différents espaces et auprès de publics contrastés, à l’échelle nationale ou internationale [60].

29Finalement, cette lecture croisée révèle une combinaison de trois modalités qui permettent, ensemble, de décrire la multi-dimensionnalité des expériences occasionnées par les démarches administratives à l’interface des gouvernants et des gouvernés. La matérialité des documents d’une part, leur expérience pratique par les ressortissants d’autre part, enfin leur expérience critique constituent des dimensions potentiellement indépendantes par lesquelles les démarches administratives produisent des effets contrastés et inégaux, politiques et sociaux sur les ressortissants qui s’y confrontent à titre individuel ou collectif.

30L’entrée par les démarches administratives constitue dès lors un moyen d’approfondir les liens entre sociologie de l’action publique et sociologie politique. Elle contribue en effet non seulement aux questionnements autour de la mise en œuvre comme déterminant des effets des politiques publiques, mais aussi aux questionnements autour de la mise en œuvre comme processus de socialisation des citoyens à l’État et au politique. Il s’agit notamment d’interroger la place des médiateurs administratifs des politiques publiques en tant qu’agents de socialisation politique. Les projets de recherche qui s’inscriront dans cette perspective pourront développer des enquêtes multi-situées et comparatives pour identifier finement les effets pluriels des démarches sur les rapports à l’État et au politique, et pour saisir les déterminants de ces effets des démarches à la fois du côté de l’action publique et du côté des ressortissants et de leurs dispositions.

Notes

  • [1]
    La littérature mobilise un champ lexical étendu pour désigner les individus en situation d’interaction avec les institutions administratives. Dans cet état des lieux, nous proposons d’employer indistinctement les termes de « ressortissants »  ou de « destinataires »  pour désigner les individus et les groupes sociaux qui sont les cibles d’une action publique donnée. Le terme d’ « usagers »  est plutôt mobilisé pour mettre l’accent sur les enjeux de représentation des publics par les administrations et sur les besoins et les usages de ces publics (voir J.-M. Weller [2010], « Comment les agents se soucient-ils des usager ?  » , Informations sociales, 158, p. 12-18). Le terme de « gouvernés »  souligne ou présume l’existence d’un rapport de domination entre ceux qui agissent au nom de l’autorité publique (les gouvernants) et ceux qui s’y confrontent (voir par exemple A. Spire [2016], « État des lieux : les policy feedbacks et le rapport ordinaire à l’État » , Gouvernement et action publique, 4 [4], p. 152). Enfin celui de « citoyens »  permet de souligner ou présumer l’existence d’un effet de l’action publique sur le rapport au politique. Nous laissons de côté le terme de « bénéficiaires »  qui présume quant à lui d’un effet positif de l’action publique sur les individus qu’elle cible.
  • [2]
    J.-M. Weller (2018), Fabriquer des actes d’État : une ethnographie du travail bureaucratique, Paris, Economica, p. 17.
  • [3]
    A. Spire (2007), « L’asile au guichet. La dépolitisation du droit des étrangers par le travail bureaucratique » , Actes de la recherche en sciences sociales, 169, p. 4-21.
  • [4]
    Y. Siblot (2006), Faire valoir ses droits au quotidien : les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences Po, p. 29 ;  C. J. Heinrich (2016), « The Bite of Administrative Burden: A Theoretical and Empirical Investigation » , Journal of Public Administration Research and Theory, 26 (3), p. 5. Le pouvoir des bureaucraties de « faire attendre »  des citoyens a été notamment exploré par Javier Auyero dans le contexte argentin : J. Auyero (2012), Patients of the State: The Politics of Waiting in Argentina, Durham (N. C.), Duke University Press. Concernant les difficultés engendrées par la distance physique aux guichets de l’État, elles ont été soulevées par D. Moynihan et P. Herd dans le contexte états-unien du recours gratuit au droit à l’avortement ou encore par C. Deville dans le cas français des bénéficiaires ruraux du RSA en France : P. Herd, D. P. Moynihan (2018), Administrative Burden: Policymaking by Other Means, New York (N. Y.), Russell Sage Foundation, chap. 3 ;  C. Deville (2019), Les Chemins du droit. Dématérialisation du RSA et distance à l’État des classes populaires rurales, thèse de doctorat, Amiens, Université de Picardie Jules Verne.
  • [5]
    B. Latour (2004 [2002]), La Fabrique du droit. Une ethnographie du conseil d’État, Paris, La Découverte, p. 240-242.
  • [6]
    J.-M. Weller (2018), Fabriquer des actes d’État : une ethnographie du travail bureaucratique, Paris, Economica, p. 27-32.
  • [7]
    J. Goody (2018 [1986]), La Logique de l’écriture : l’écrit et l’organisation de la société, trad. française de A.-M. Roussel, Malakoff, Armand Colin ;  D. Gardey (2008), Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte.
  • [8]
    D. Torny (1998), « La traçabilité comme technique de gouvernement des hommes et des choses » , Politix, 44, p. 51-75.
  • [9]
    N. Joly (2011), « L’écriture comme travail. Des éleveurs face aux exigences de traçabilité » , dans P. Béguin, B. Dedieu, E. Sabourin (dir.), Le Travail en agriculture : son organisation et ses valeurs face à l’innovation, Paris, L’Harmattan, p. 72 ;  J.-M. Weller (2007), « La disparition des bœufs du Père Verdon. Travail administratif ordinaire et statut de la qualification. » , Droit et société, 67 (3), p. 713-755 ;  N. Joly, J.-M. Weller (2009), « En chair et en chiffres. La vache, l’éleveur et le contrôleur » , Terrain, 53, p. 140-153 ;  J.-M. Weller (2012), « Comment ranger son bureau ?  Le fonctionnaire, l’agriculteur, le droit et l’argent » , Réseaux, 171, p. 67.
  • [10]
    L. Magnin (2019), « La politique agricole commune et les données retardataires » , Techniques & culture, 74, p. 131-143.
  • [11]
    Voir par exemple A. Riles (ed.) (2006), Documents: Artifacts of Modern Knowledge, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press, p. 13-14.
  • [12]
    Voir sur ce sujet la recension croisée de A. Spire (2019), « Sous la façade de l’État. À propos de : Jean-Marc Weller, Fabriquer des actes d’État. Une ethnographie du travail bureaucratique, Economica ;  B. Zacka, When the State Meets the Street. Public Services and Moral Agency, Harvard University Press » , La Vie des idées [en ligne].
  • [13]
    A. Gupta (2008), « Literacy, Bureaucratic Domination, and Democracy » , in J. Paley (ed.), Democracy: Anthropological Approaches, Santa Fe (N. M.), SAR Press, p. 167-192.
  • [14]
    M. S. Hull (2012), Government of Paper: The Materiality of Bureaucracy in Urban Pakistan, Berkeley (Calif.), University of California Press, chap. 3.
  • [15]
    C. A. Heimer, L. R. Staffen (1998), For the Sake of the Children: The Social Organization of Responsibility in the Hospital and the Home, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.
  • [16]
    En cela, ces enquêtes anthropologiques approfondies apportent un contre-éclairage qui permet de nuancer la vision univoque du travail administratif comme « violence bureaucratique » , telle qu’elle est portée par la critique intellectuelle « de gauche »  de la bureaucratisation (voir par exemple D. R. Graeber (2015), Bureaucratie, l’utopie des règles, Paris, Les Liens qui libèrent).
  • [17]
    B. Burden, D. Canon, K. Mayer, D. Moynihan (2012), « The Effect of Administrative Burden on Bureaucratic Perception of Policies: Evidence from Election Administration » , Public Administration Review, 72 (5), p. 741-751.
  • [18]
    P. Herd, D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit., p. 23-25.
  • [19]
    C. J. Heinrich, « The Bite of Administrative Burden » , art. cité, p. 2-3.
  • [20]
    V. Dubois (2015 [1999]), La Vie au guichet : administrer la misère, Paris, Éditions Seuil ;  A. Spire (2011), « La domestication de l’impôt par les classes dominantes » , Actes de la recherche en sciences sociales, 190, p. 58 ;  A. Spire (2012), Faibles et puissants face à l’impôt, Paris, Raisons d’agir éditions ;  L. Barrault-Stella (2013), Gouverner par accommodements : stratégies autour de la carte scolaire, Paris, Dalloz.
  • [21]
    C. Deville, Les Chemins du droit, op. cit.
  • [22]
    Y. Siblot, Faire valoir ses droits au quotidien, op. cit. ;  Y. Siblot (2006), « “Je suis la secrétaire de la famille ! ” La prise en charge féminine des tâches administratives entre subordination et ressource » , Genèses, 64, p. 46.
  • [23]
    A. Pohn-Weidinger (2012), « Annotation et rature : ébauche d’une sociologie du formulaire » , Ateliers d’anthropologie, 36 [en ligne].
  • [24]
    L. Barrault-Stella, Gouverner par accommodements, op. cit.
  • [25]
    A. W. Gouldner (1952), « Red Tape as a Social Problem » , in R. K. Merton, A. P. Gray, B. Hockey (eds), Reader in Bureaucracy, New York (N. Y.), Columbia University Press, p. 410-418.
  • [26]
    H. Kaufman (1977), Red Tape, its Origins, Uses and Abuses, Washington (D. C.), The Brookings Institution, p. 97.
  • [27]
    P. Pierson (1993), « When Effect Becomes Cause: Policy Feedback and Political Change » , World Politics, 45 (4), p. 595-628 ;  J. Soss (2000), Unwanted Claims: The Politics of Participation in the U.S. Welfare System, Ann Arbor (Mich.), University of Michigan Press ;  A. L. Campbell (2003), How Policies Make Citizens: Senior Political Activism and the American Welfare State, Princeton (N. J.), Princeton University Press ;  S. Kumlin (2004), The Personal and the Political, Basingstoke, Palgrave Macmillan ;  S. Mettler (2005), Soldiers to Citizens: The G.I. Bill and the Making of the Greatest Generation, Oxford, Oxford University Press.
  • [28]
    S. Mettler, J. Soss (2004), « The Consequences of Public Policy for Democratic Citizenship: Bridging Policy Studies and Mass Politics » , Perspectives on Politics, 2 (1), p. 55.
  • [29]
    D. P. Moynihan, J. Soss (2014), « Policy Feedback and the Politics of Administration » , Public Administration Review, 74 (3), p. 320-332.
  • [30]
    A. Wichowsky, D. P. Moynihan (2008), « Measuring How Administration Shapes Citizenship: A Policy Feedback Perspective on Performance Management » , Public Administration Review, 68 (5), p. 908-920 ;  B. Burden, D. Canon, K. Mayer, D. Moynihan, « The Effect of Administrative Burden on Bureaucratic Perception of Policies » , art. cité ;  D. P. Moynihan, J. Soss, « Policy Feedback and the Politics of Administration » , art. cité.
  • [31]
    S. Kumlin, I. Stadelmann-Steffen (eds) (2014), How Welfare States Shape The Democratic Public: Policy Feedback, Participation, Voting and Attitudes, Cheltenham, Edward Elgar, p. 6-8.
  • [32]
    A. Revillard (2018), « Saisir les conséquences d’une politique à partir de ses ressortissants : la réception de l’action publique » , Revue française de science politique, 68 (3), p. 478.
  • [33]
    C. Berjaud (2019), « Les missions bolivariennes au Venezuela. Les policy feedbacks au prisme des gouvernés » , Gouvernement et action publique, 8 (1), p. 61-85.
  • [34]
    A. Spire, « État des lieux » , art. cité ;  L. Barrault-Stella, P. Bongrand, C. Hugrée, Y. Siblot (dir.) (2020), « Les rapports à l’école comme rapports à l’État » , Politix, 130, numéro spécial.
  • [35]
    L. Balland, C. Berjaud, S. Vera Zambrano (dir.) (2015), « Les ancrages sociaux de la réception » , Politiques de communication, 4 (1) ;  A. Spire (2018), Résistances à l’impôt, attachement à l’État : enquête sur les contribuables français, Paris, Seuil. L’approche par les réceptions de l’action publique poursuit aussi, dans le paysage académique français, l’une des intuitions des travaux sur les instruments d’action publique (Sciences Po, p. 13). Les instruments, y compris ceux de nature organisationnelle et bureaucratique, sont capables de produire des effets autonomes sur les citoyens qui s’y confrontent. Ils agissent comme des instances de socialisations en même temps qu’ils sont appropriés et « socialisés »  par les acteurs qui s’en saisissent (P.-Y. Baudot [2015], « La donnée et le système. Comment socialiser un instrument d’action publique ?  Le cas du système d’information partagé-personnes handicapées [2006-2014] » , Gouvernement et action publique, 4 [2], p. 25-56). Certains travaux français qui étudient la mise en œuvre sous l’angle du « non-recours »  appellent aussi au développement de travaux qui analysent « certains aspects dynamiques de la construction normative et de la construction identitaire »  que représente la mise en œuvre administrative, pour comprendre la légitimité des politiques étudiées (P. Warin [2010], « Mise en œuvre des politiques et production normative : angle mort des politiques publiques ?  » , dans J. Commaille, L. Dumoulin, C. Robert [dir.], La Juridicisation du politique, Paris, LGDJ, coll. « Droit et société » , p. 156-158).
  • [36]
    S. Duchesne, P. Muller (2003), « Sociologie politique et analyse de l’action publique : représentations croisées de l’État et des citoyens » , dans P. Favre, J. Hayward, Y. Schemeil (dir.), Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, p. 36.
  • [37]
    M. Darmon (2010 [2006]), La Socialisation, Malakoff, Armand Colin, p. 6.
  • [38]
    M. Réguer-Petit (2016), Bifurcations familiales et socialisations politiques : une comparaison des femmes en famille nucléaire, monoparentale et recomposée, thèse de doctorat, Paris, Institut d’études politiques, p. 299-303.
  • [39]
    Y. Déloye, F. Haegel (2019), « La politisation : du mot à l’écheveau conceptuel » , Politix, 127, p. 76.
  • [40]
    Si on se réfère à la hiérarchie administrative, les intermédiaires administratifs n’occupent donc pas toujours la position structurelle de « cadres intermédiaires »  de la fonction publique, ils peuvent aussi avoir le statut de hauts fonctionnaires, d’agents subalternes ou de professionnels agricoles de « première ligne » .
  • [41]
    Sur ces notions de médiation et de médiateur de politiques publiques à l’interface entre l’État et les groupes sociaux, on peut se référer aux travaux de P. Muller (voir par exemple cette synthèse : P. Muller [2019], « Référentiel » , dans L. Boussaguet, S. Jacquot, P. Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, p. 533-540. Des liens peuvent aussi être faits avec la notion de « passeurs »  proposée pour analyser la circulation et les transferts de politiques publiques : F. Jobard, J. Geeraert, B. Laumond, I. Mützelburg, U. Zeigermann (2020), « Sociologie politique des passeurs : acteurs dans la circulation des savoirs, des normes et des politiques publiques » , Revue française de science politique, 70 (5), p. 557-573.
  • [42]
    Voir par exemple P.-É. Weill (2014), « Quand les associations font office de street-level bureaucracy. Le travail quotidien en faveur de l’accès au droit au logement opposable » , Sociologie du travail, 56 (3), p. 298-319 ;  ou M. Pette (2014), « Associations : les nouveaux guichets de l’immigration ?  Du travail militant en préfecture » , Sociologie, 5 (4), p. 405-421.
  • [43]
    B. Mesnel (2020), Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture. Une comparaison des agriculteurs face à la politique agricole commune et des policy feedbacks en France et en Espagne, thèse de doctorat en science politique, Paris, Institut d’études politiques.
  • [44]
    A. Revillard, « Saisir les conséquences d’une politique à partir de ses ressortissants : la réception de l’action publique » , op. cit.
  • [45]
    A. Gupta (2012), Red Tape: Bureaucracy, Structural Violence, and Poverty in India, Durham (N. C.), Duke University Press ;  J. Auyero, Patients of the state, op. cit.
  • [46]
    D. P. Moynihan, P. Herd, E. Rigby (2013), « Policymaking by Other Means Do States Use Administrative Barriers to Limit Access to Medicaid? » , Administration & Society, 48 (4) ;  P. Herd, D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit.
  • [47]
    M. S. Hull, Government of paper, op. cit.
  • [48]
    A. Bartoli, G. Jeannot, F. Larat (dir.) (2016), « Simplifier l’action publique ?  » , Revue française d’administration publique, 157 ;  F. Gélédan (2016), « Spectres du léviathan : l’État à l’épreuve de la simplification administrative (2006-2015) » , Revue française d’administration publique, 157, p. 33 ;  M. Alauzen (2019), Plis et replis de l’État plate-forme. Enquête sur la modernisation des services publics en France, thèse de doctorat en sociologie, Paris, Mines ParisTech.
  • [49]
    P. Bezes (2020), « Le nouveau phénomène bureaucratique. Le gouvernement par la performance entre bureaucratisation, marché et politique » , Revue française de science politique, 70 (1), p. 21 ;  B. Hibou (2012), La Bureaucratisation du monde à l’ère néo-libérale, Paris, La Découverte.
  • [50]
    S. Mettler (2002), « Bringing the State Back in to Civic Engagement: Policy Feedback Effects of the G.I. Bill for World War II Veterans » , The American Political Science Review, 96 (2), p. 351-365 ;  A. L. Campbell, How Policies Make Citizens, op. cit. ;  S. Mettler, Soldiers to Citizens, op. cit. ;  L. M. MacLean (2011), « State Retrenchment and the Exercise of Citizenship in Africa » , Comparative Political Studies, 44 (9), p. 1238-1266.
  • [51]
    En France, une enquête empirique récente démontre par exemple que l’encadrement administratif des personnes handicapées décourage leur inscription sur les listes électorales : P.-Y. Baudot, M.-V. Bouquet, C. Braconnier, G. Gabalda (2020), « Les politiques publiques façonnent-elles les listes électorales ?  Le cas des personnes handicapées en 2017 » , Revue française de science politique, 70 (6), p. 747.
  • [52]
    J. Soss, Unwanted Claims, op. cit. ;  J. Soss, R. C. Fording, S. Schram (eds) (2011), Disciplining the Poor: Neoliberal Paternalism and the Persistent Power of Race, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.
  • [53]
    P. Herd et D. P. Moynihan, Administrative Burden, op. cit.(notamment le chapitre 4).
  • [54]
    B. Mesnel (2018), « Socialiser à la biodiversité à travers la néo-libéralisation de la PAC ?  Les limites bureaucratiques de la conditionnalité et du paiement vert du point de vue des agriculteurs » , Développement durable et territoires, 9 (3) ;  B. Mesnel (2019), « Impulser le changement depuis Bruxelles ?  La mise en œuvre des “surfaces d’intérêt écologique” en France et en Espagne » , dans M. Arrignon, C. Bosc (dir.), Les Politiques d’agroécologie, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal ;  L. Magnin (2019), « La politique agricole commune protège-t-elle les haies ?  Interprétations plurielles de la conditionnalité des aides relative à la BCAE 7 » , Sciences, eaux et territoires, 30, p. 94-97.
  • [55]
    Pour un autre exemple, celui de la mise en œuvre du revenu de solidarité active en France, voir C. Deville, Les Chemins du droit, op. cit.
  • [56]
    Par exemple, sur le cas des agriculteurs en France et en Espagne, voir les chapitres deux et trois dans B. Mesnel (2020), Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture, thèse citée.
  • [57]
    D. Moynihan, P. Herd (2010), « Red Tape and Democracy: How Rules Affect Citizenship Rights » , The American Review of Public Administration, 40 (6), p. 654-670.
  • [58]
    D. Moynihan, P. Herd, H. Harvey (2015), « Administrative Burden: Learning, Psychological, and Compliance Costs in Citizen-State Interactions » , Journal of Public Administration Research and Theory, 25 (1), p. 43-69.
  • [59]
    P. Herd, T. DeLeire, H. Harvey, D. P. Moynihan (2013), « Shifting Administrative Burden to the State: The Case of Medicaid Take-Up » , Public Administration Review, 73 (1), p. 69-81.
  • [60]
    Pour un exemple de comparaison internationale voir : B. Mesnel, Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture, thèse citée. Dans le contexte français, voir aussi les dispositifs d’enquête déployés pour comparer les rapports de différents groupes sociaux à l’institution scolaire et pour les mettre en comparaison avec les rapports à d’autres institutions étatiques dans le numéro spécial déjà cité : L. Barrault-Stella, P. Bongrand, C. Hugrée, Y. Siblot (dir.), « Les rapports à l’école comme rapports à l’État » .
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