Notes
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[1]
Lowi distingue quatre types de politiques publiques, articulées autour de deux variables : le type de contrainte (lointaine ou immédiate) et ce sur quoi la contrainte s’exerce (comportement individuel ou l’environnement des individus). Les politiques constitutives relèvent d’une contrainte indirecte qui s’exerce sur l’environnement des individus : elles visent à changer les structures et les règles du jeu (Lowi, 1972).
-
[2]
Il s’agit d’une étude commandée par l’Institut de recherche économique et sociale (IRES), à la demande de la Confédération générale du travail (CGT). Nous tenons à remercier Guillaume Gourgues, coordinateur de la recherche à l’échelle nationale, et David Guéranger, responsable du cas marseillais. Ils ont réalisé certains des entretiens mobilisés ici (nous précisons lesquels dans le corps de texte).
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[3]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
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[4]
La CCIMP, créée en 1599, est la plus ancienne chambre de commerce et d’industrie de France. Comme les autres chambres de commerce et d’industrie territoriales (CCIT), elle est un établissement public économique, chargée de représenter les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de services sur son péri-mètre, ici Marseille-Provence, et leur fournit un ensemble de services. Elle est financée par l’ensemble des entreprises d’un territoire par le biais de taxes foncières et de taxe sur la valeur ajoutée. Bicéphale, elle est dotée d’une assemblée composée de chefs d’entreprise, élus par leurs pairs, et d’une direction administrative, laquelle est nommée par le président de l’assemblée.
-
[5]
L’UPE 13, quant à elle, est une association interprofessionnelle structurée à l’échelle du département des Bouches-du-Rhône. Elle représente les intérêts des entreprises qui s’acquittent d’une libre cotisation (ce qui la distingue de la CCIMP). Pour l’UPE 13, il s’agit en l’occurrence des entreprises qui adhèrent au Mouvement des Entreprises de France (MEDEF).
-
[6]
Voir à ce titre les critères de classement établis par la société Cushman & Wakefield, analysé dans les travaux précités de Bardet et Healy (2015, p. 11-12).
-
[7]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[8]
Nous rejoignons ici l’analyse de Maisetti sur la conception du développement économique défendue sous le mandat de J. Pfister, mêlant explicitement attractivité du territoire et dépassement des périmètres administratifs (Maisetti, 2017, p. 228).
-
[9]
Les données disponibles sur les entreprises du département permettent de dresser le classement des cinq cents plus grands chiffres d’affaires réalisés par les entreprises des Bouches-du-Rhône [www.verif.com/Hit-parade/01-CA/01-Par-departement/13-Bouches-du-Rhône]. Elles présentent toutefois l’inconvénient d’être automatiquement actualisées, ce qui ne permet pas de connaître le CA au moment où les représentants exercent leur mandat. Pour ceux-là, nous avons opéré une recherche entreprise par entreprise. La presse spécialisée ainsi que les données conservées sur le site [www.societe.com/] ont permis de recueillir les données manquantes. Si ces dernières sont donc antérieures aux données utilisées pour établir le classement, cela nous semble néanmoins constituer un aperçu relativement fidèle de la place relative de chacune des entreprises dirigées par les représentants patronaux intéressés.
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[10]
Les données récoltées sur leur parcours scolaire les place également dans cette catégorie, quatre sur cinq ayant un diplôme de niveau BAC + 5, soit parmi les 17 % des patrons le plus diplômés (Penissat, Rabier, 2015, p. 16-17).
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[11]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 (2012 à 2017).
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[12]
Entretien mené par Guillaume Gourgues et David Guéranger, réalisé le 23 novembre 2017 dans les locaux de la CCIMP.
-
[13]
Entretien avec la directrice études et développement économique, CCI Marseille-Provence.
-
[14]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
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[15]
Au premier rang desquelles la réduction souvent opérée de l’entreprise à la voix de son dirigeant. Notons en outre qu’il n’existe pas de trace de la méthodologie retenue pour la passation de ce sondage.
-
[16]
Entretien avec Laurence Honoré, responsable du pôle engagement et attractivité du territoire de l’UPE 13, réalisé le 14 décembre 2017.
-
[17]
Logement, transports, petite enfance, développement du territoire, gouvernance économique et développement durable, coopération entre collectivités territoriales.
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[18]
Il convient bien sûr de prendre avec prudence les résultats de ces deux sondages, eu égard au faible échantillon de salariés interrogés (600), et au manque de précisions sur les conditions de passation du questionnaire employeur. Tout au plus pouvons-nous lire que les résultats de ce dernier se basent sur « une enquête auprès de 1 020 entrepreneurs, artisans et professions libérales », là encore, sans précision sur la répartition selon les catégories. Le site web consacré au pacte laisse penser qu’il est possible de remplir le questionnaire en ligne, sans autre garantie à donner qu’une adresse mail [www.monentreprisemaville.com/sondage.aspx], consultée le 16 septembre 2019.
-
[19]
Qualité de vie (la culture, les loisirs…), sécurité, transports, logement, petite enfance, soutiens aux entreprises, gestion des finances locales, environnement, cadre de vie (propreté, espaces verts…). Les mêmes items sont proposés aux salariés et aux employeurs, à l’exception du « soutien aux entreprises », qui disparaît du questionnaire employeurs. Source : livret de présentation « Mon entreprise ma ville » fourni par l’UPE 13. On trouve également une version synthétique du sondage à destination des salariés de l’agglomération en ligne [www.monentreprisemaville.com/resultatSondage.aspx] (consulté le 16 septembre 2019).
-
[20]
On notera par exemple l’absence de la thématique des inégalités salariales et/ou sociales, qui paraît pourtant fondamentale, notamment dans un territoire aussi clivé socialement que celui-ci. Cela peut être bien sûr lié à la volonté de gommer les divergences entre salariés et employeurs sur les questions plus conflictuelles traitées par ailleurs dans les instances paritaires.
-
[21]
Notons l’absence de représentants de la CFDT ou celle de la CGT, avec lesquels les relations ont été décrites comme bien plus conflictuelles par les représentants patronaux et syndicaux rencontrés. Pour une analyse des ressorts de cette « alliance improbable » entre patrons et certains syndicats, qui dépasse le cadre du présent article, nous renvoyons à l’étude dirigée par Gourgues, à laquelle nous avons participé (Gourgues, à paraître).
-
[22]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[23]
Ingénieur des Ponts et Chaussées, il effectue son début de carrière au ministère de l’Équipement avant d’entrer dans l’administration du port de Marseille.
-
[24]
Ingénieur des Mines, urbaniste de formation, promoteur immobilier, passé par la SCIC, filiale immobilière de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC). Dirigeant de la Caisse d’épargne, puis du groupe La Poste. Il développe depuis 1990 une activité de consultant en stratégie des organisations.
-
[25]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 de 2012 à 2017.
-
[26]
Ajoutons que l’usage de l’expression « à la française » par notre enquêté fait allusion, de manière quelque peu péjorative, à l’idée du « millefeuille territorial », situation qui serait propre à la France, d’empilement des structures administratives et de l’incapacité à réformer l’édifice institutionnel local.
-
[27]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 de 2012 à 2017.
-
[28]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[29]
Jusque-là, le nom du collectif « mon entreprise, ma ville » en lui-même ne spécifiait pas une quelconque préférence institutionnelle.
-
[30]
Notons que cette formule, dont le statut juridique est le syndicat mixte, convient assez bien à une lecture en termes d’archipel, puisqu’elle garantit l’autonomie des différents territoires qui composent le pôle.
-
[31]
C’est le cas notamment du représentant de Force ouvrière (FO), qui nous confie en entretien que la sensibilité de la question institutionnelle parmi les fonctionnaires territoriaux FO, durant cette période, le pousse à se mettre en retrait du collectif.
-
[32]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[33]
Ainsi que le suggère la formule « pour une fois, on va féliciter J.-M. Ayrault » évoquée dans l’extrait d’entretien précédent.
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[34]
Citons l’exception notable de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et président de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), favorable au projet métropolitain.
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[35]
Entretien avec le conseiller collectivités territoriales au cabinet du ministère de la Décentralisation, réalisé le 15 juillet 2015.
-
[36]
Entretien avec Odile Blanc, cheffe de projet de l’équipe institution pour la mission interministérielle, et Étienne Brun Rovet, directeur de cabinet en charge du volet institutionnel de la mission interministérielle.
-
[37]
Si l’on a vu que les maires du département sont très majoritairement opposés à cette métropole, le président du conseil régional PACA s’est exprimé publiquement en sa faveur.
-
[38]
(« Une aventure collective – Mouvement Métropole », s. d.) « Plus de 190 structures sont représentées au sein du conseil des partenaires ! »
-
[39]
Nous avons été frappé au cours de notre enquête par la quantité de publications réalisées par la mission en un temps d’existence relativement court (trois ans), ainsi que la facilité avec laquelle chacun des membres de la mission interrogé nous proposait de nous les distribuer.
-
[40]
Entretien avec Manon Loisel, associée au cabinet de conseil Acadie, AMO de la mission interministérielle.
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[41]
Entretien avec Vincent Fouchier, en charge du projet métropolitain au sein de la mission de préfiguration du projet métropolitain Aix-Marseille-Provence.
-
[42]
Entretien avec Olivier Dussopt (ex-PS), rapporteur de la loi MAPTAM à l’Assemblée nationale.
1Le 20 janvier 2017, dans les locaux de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille-Provence (CCIMP), se tient une réunion entre son Président, Jean-Luc Chauvin, et celui de la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP), Jean-Claude Gaudin (LR). Elle a pour but de sceller un partenariat qualifié d’« inédit » entre les deux institutions, à travers la signature d’une convention-cadre, symbole d’une vision partagée sur la question du développement économique. La CCIMP devient même, selon les mots de J.-C. Gaudin, l’« agence de développement économique de la métropole ». Mais, si les protagonistes jugent cette alliance « historique », c’est aussi qu’elle vient « exaucer le vœu de [ses] prédécesseurs qui ont fermement milité en faveur de la création de la métropole ». En effet, entrée en vigueur un an plus tôt (au 1er janvier 2016), la métropole AMP a été au centre d’une mobilisation intense de certains acteurs patronaux, dont la CCIMP, considérée comme « l’échelon pertinent » à partir duquel penser l’action publique. Au-delà de la signature d’une convention cadre, il s’agit donc pour J.-L. Chauvin de célébrer la réussite de la mobilisation des représentants patronaux en faveur de la métropole.
2La métropole Aix-Marseille-Provence a été créée par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 26 janvier 2014, et est issue de la fusion des six principales intercommunalités des Bouches-du-Rhône (voir carte 1). À travers la création des métropoles, il s’agit pour le gouvernement de réformer la carte politico-administrative locale, dont les dysfonctionnements sont souvent résumés dans l’expression du « millefeuille territorial » : un trop grand nombre d’échelons locaux, une répartition des compétences floue qui entraîne des surcoûts et conduit à une action publique sous-optimale. La création des métropoles est également vue par le gouvernement de l’époque comme un levier de croissance majeur dans une économie mondialisée. La construction d’institutions métropolitaines serait en ce sens la réponse politique au phénomène de métropolisation, que l’on peut définir très brièvement comme le processus, identifiable à l’échelle globale, de concentration des activités et des hommes au sein de pôles urbains de plus en plus puissants, de plus en plus étendus (Brunet et al., 1993).
La métropole Aix-Marseille-Provence
La métropole Aix-Marseille-Provence
3Les travaux scientifiques consacrés aux réformes territoriales ont montré que ces dernières avaient tout du serpent de mer (Desage, 2010 ; Desage, Guéranger, 2011 ; Négrier, 2012). Sans cesse remises sur le métier, chaque réforme se justifierait au nom de l’insuffisance des précédentes à lutter contre le « millefeuille territorial ». Selon certains auteurs, il existerait une amnésie législative conduisant invariablement à une réforme dont le contenu est en deçà des ambitions initiales (Desage, Guéranger, 2011). Cette incapacité législative tient au fait que les réformes sont, dans leur élaboration (Le Lidec, 2005, 2009), comme dans leur mise en œuvre (Baraize, Négrier, 2001 ; Guéranger, 2003), captées par les élus locaux et leurs associations (Le Lidec, 2001). Ces derniers n’auraient aucun intérêt à voir le nombre d’échelons réduit ni leurs compétences précisées, au risque de perdre leur mandat ou un certain nombre de leurs prérogatives. Ils s’attacheraient donc, dans une logique corporatiste, à défendre un statu quo, qui leur est plus favorable (Bezes, Le Lidec, 2011).
4Ces travaux permettent de déconstruire la vision mythifiée du législateur unique (Milet, 2010, p. 9) et porteur de l’intérêt général, et de remettre au cœur de l’analyse les relations de pouvoir entre des acteurs aux stratégies différentes, voire antagonistes. La construction métropolitaine, au sens institutionnel, répond donc à des enjeux politiques bien plus que fonctionnels (Négrier, 2005). Pour heuristiques qu’ils soient, ces travaux à de rares exceptions près (Cadiou, Olive, 2012) se concentrent principalement sur le rôle des élus et administratifs locaux dans la domestication de la loi, et évacuent bien souvent d’autres types d’acteurs de l’analyse. Or, la question métropolitaine, à Marseille comme ailleurs, a ouvert une scène de controverse à l’intérieur de laquelle une pluralité d’acteurs se sont positionnés, en interaction avec les pouvoirs publics, afin de faire valoir leurs intérêts. C’est le cas ici de la CCIMP, et avec elle, d’un certain nombre de représentants patronaux locaux.
5Ainsi, cet article vise à restituer la manière dont certains acteurs patronaux se sont mobilisés dans le but de promouvoir l’institution métropolitaine. Si la sociologie des mobilisations a depuis quelques années porté une attention accrue à l’analyse des mondes patronaux (Offerlé, 2009, 2011, 2015 ; Penissat, Rabier, 2015), force est de constater que la participation de ces derniers à la fabrication des politiques publiques locales, à quelques exceptions près (Giraud, 2016 ; Healy, 2008) demeure encore assez méconnue (Douillet, Lefebvre, 2017, p. 173-175). Dans une autre perspective, la théorie de la gouvernance urbaine (Le Galès, 1995) et celle des régimes urbains (Pinson, 2014), influencées par des auteurs anglo-saxons comme Clarence Stone (Stone, 1993), ont toutefois permis de montrer l’importance des acteurs non étatiques et non publics – notamment les acteurs économiques – dans la conduite de l’action publique urbaine.
6Nous appréhendons la réforme institutionnelle comme appartenant à un certain type de politique publique, qualifiée de constitutive (ou constituante) selon la classification faite par Lowi [1] (comme le font Douillet et Lefebvre, 2017). Nous interrogeons la participation de certains acteurs patronaux à cette politique. Ces derniers sont ici appréhendés comme un groupe d’intérêt à l’échelle territoriale, cherchant à « orienter les choix des détenteurs de positions politico-administratives, ou en tout cas à défendre des intérêts auprès d’eux » (Cadiou, 2016, p. 9). Nous nous inscrivons dans la démarche développée dans l’ouvrage collectif dirigé par Stéphane Cadiou, en ce que nous souhaitons « rendre compte de la manière dont les intérêts organisés contribuent aux affaires territoriales […] en analysant le travail de mobilisation des intérêts, d’interaction avec les dirigeants politico administratifs et d’adaptation aux contraintes politiques » (Cadiou, 2016, p. 11). Cette démarche permet de ne pas préjuger des relations entre groupes d’intérêts (même « dominants ») et pouvoir local, tout en demeurant attentif aux asymétries de ressources dont ils disposent pour faire entendre leur voix. Considérer ces représentants patronaux comme un groupe d’intérêt invite en outre à poursuivre une réflexion autour du militantisme patronal, à la suite de Michel Offerlé. Ses travaux soulignent l’intérêt qu’il est particulièrement heuristique d’appliquer aux représentants patronaux les catégories utilisées par la sociologie de l’engagement, laquelle s’est jusque-là peu saisie du travail concret des acteurs économiques dominants pour faire valoir leurs intérêts (Offerlé, 2015). En l’espèce, il s’agira dans notre travail de renseigner les profils et ressources des militants, leurs répertoires d’actions, et comment ces derniers évoluent tout au long de la période étudiée au regard de leur réception par les acteurs politiques dont ils cherchent à orienter l’action. En somme, l’attention sera focalisée sur les formes et les « temps de l’engagement » (Sawicki, 2003) patronal.
7Notre cas d’étude pose la question de la participation des intérêts économiques aux affaires territoriales, qui figure au cœur de travaux récents consacrés à la construction métropolitaine (d’Albergo, Lefèvre, 2018). Il nous conduit à un résultat contrasté : après plusieurs années de mobilisation patronale marquées par la non-prise en compte de ses revendications, la création de la métropole Aix-Marseille-Provence est l’occasion de les satisfaire, au moins partiellement. Nous verrons que l’association de ces acteurs patronaux de la métropole AMP résulte avant tout d’un stratégie des services de l’État pour contourner l’opposition des élus locaux. Pour autant, parce qu’elle ouvre la voie à leur intégration au sein de la nouvelle institution, elle nous amène à mettre en évidence la logique d’échange politique territorialisé (Négrier, 2005, p. 211) qui sous-tend les relations État-patronat. Cette logique d’échange est fondée sur une « demande d’accès » des acteurs patronaux à la métropole. Des travaux anglo-saxons se sont penchés sur cette forme d’échange, en observant le fonctionnement des groupes d’intérêt économiques à l’échelle européenne (Bouwen, 2002). Si elle propose une typologie stimulante pour caractériser les types de transaction entre acteurs publics et privés, cette analyse nous paraît trop fonctionnaliste. En effet, à chaque institution européenne correspondrait un type d’échange, et une forme optimale d’organisation des intérêts économiques permettant leur accès aux institutions. Notre cas d’étude donne à voir au contraire une profusion des formes et des modalités d’action de la mobilisation patronale, qui en révèle le caractère sinueux. La demande d’accès à l’institution métropolitaine n’est pas une donnée de départ, mais une des solutions envisagées par des représentants patronaux mobilisés pour le développement économique et l’attractivité du territoire marseillais.
8Ainsi, la question à laquelle nous tentons de répondre ici est la suivante : comment une mobilisation patronale fondée sur une demande d’attractivité a-t-elle débouché sur l’intégration de ses membres au sein des instances de la métropole Aix-Marseille-Provence ?
9Pour y répondre, il conviendra de revenir dans un premier temps sur la progressive construction d’un groupe patronal uni autour d’un agenda métropolitain. Ce faisant, nous mettrons en évidence le processus de sélection des intérêts économiques représentés au sein de ce groupe, qui fait la part belle à une certaine élite patronale locale et à une certaine vision du développement économique. Dans un second temps, nous analyserons les registres d’interpellation de ces acteurs vis-à-vis du monde politique. La multiplication et l’évolution des répertoires d’action montrent que la détention de ressources importantes ne conduit pas forcément au succès des stratégies déployées par ces acteurs. Au contraire, c’est à partir d’un constat d’échec des mobilisations passées que les représentants patronaux « durcissent » leurs revendications à partir des années 2010, dans le sens d’un positionnement en faveur d’une réforme institutionnelle. Dans un troisième et dernier temps, c’est l’association de ce groupe patronal au sein de la mission préfigurant la métropole AMP, puis dans cette dernière, qui sera mise en lumière. Il s’agira de montrer comment la légitimation des acteurs patronaux est opérée par l’État selon une stratégie visant à faire advenir un projet largement contesté par les élus locaux.
Encadré 1. Méthodologie
Pour le construire, une partie du terrain marseillais a été mobilisée. Côté sources écrites, outre une revue de presse réalisée grâce au logiciel Europresse, couvrant la période 2004-2017, l’article s’appuie premièrement sur les documents produits par les organisations patronales : tracts, production savante, programmes de conférences, publications réalisées durant les campagnes électorales, etc. Ces différents documents sont disponibles sur Internet ou nous ont été transmis lors de nos entretiens avec les acteurs des institutions patronales. Ils constituent un matériau précieux dans la mesure où ils donnent à voir, au-delà des discours, les productions concrètes de cette décennie de mobilisations. Cependant, parce qu’ils présentent un même versant de l’histoire, nous avons cherché à déconstruire le discours patronal officiel qu’ils véhiculent afin de le replacer dans l’espace plus large des rapports de forces locaux. En plus d’une analyse critique du contenu présenté dans ces documents, le travail d’enquête a consisté à les confronter aux productions et discours venant des autres acteurs de la configuration territoriale, qu’il s’agisse de l’État local comme des collectivités territoriales investis dans le débat métropolitain. En effet, les documents officiels et internes produits par la mission interministérielle de préfiguration de la métropole AMP sont aussi mobilisés pour prendre la mesure, notamment, des interactions entre acteurs publics (à la fois locaux et nationaux) et militants patronaux : plaquettes de présentations, comptes rendus de réunions, production savante, etc. Ces différentes sources écrites sont complétées par une vingtaine d’entretiens semi-directifs, réalisés parmi les membres des organisations patronales (5), les élus locaux et le personnel administratif des anciennes intercommunalités et/ou de la métropole (7), ainsi que les membres de la mission interministérielle (7) et du ministère de la Décentralisation (2).
La progressive structuration d’un (petit) monde patronal autour d’un agenda de développement métropolitain
10À en croire nos entretiens avec les représentants patronaux mobilisés, la métropole serait appelée de ses vœux par l’ensemble du monde économique. C’est ce que relate l’ancien directeur de la branche territoriale du MEDEF, l’Union patronale des Bouches-du-Rhône (UPE 13) :
Le « monde économique » local se déclinerait ainsi en trois entités qui, selon lui, font système. Mais, à regarder de plus près la composition des acteurs investis au sein de ces trois organisations, il semble que l’unité proclamée soit plus incertaine. Cette mobilisation concerne des patrons à la tête d’institutions dites représentatives, partageant des caractéristiques particulières, qui les distinguent du reste de la population patronale locale. Nous commencerons par décrire la structuration de ce qui nous est présenté comme une « hélice à trois pales », avant de mettre en évidence le caractère sélectif de cette mobilisation.Alors il faut comprendre qu’il y a trois forces dans le monde économique, vous avez l’UPE 13, qui est le MEDEF, qui est une force syndicale militante, qui est là pour (il tape du poing) les grèves des dockers, etc. On se bat, etc. Il y a la CCIMP qui est une institution, qui est là pour faire des études, développer l’économie, etc. Et le Top 20, qui est une force de lobbying des grands patrons, mais tout ça est ensemble hein d’accord [3].
Le triptyque CCIMP, UPE 13, Top 20 : une « hélice à trois pales »
11Le moment fondateur de la structuration du monde économique autour d’une ambition métropolitaine est souvent situé par nos enquêtés à la suite de la publication d’une étude de la DATAR en 2004 (DATAR, 2004). Cette dernière établit un classement des villes européennes en termes de rayonnement, Marseille apparaissant à la 23e place. Cette position dans la compétition interurbaine apparaît insuffisante aux yeux de Jacques Pfister, nouvellement élu à la tête de la CCIMP [4]. Ancien patron d’Orangina-Schweppes, ingénieur civil des Mines de Nancy et diplômé de l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD), il est élu à la fin de l’année 2004 sur une liste soutenue par l’Union patronale des Bouchesdu-Rhône, l’UPE 13 [5].
12L’étude de la DATAR lui sert à fixer le cap de son mandat : rattraper le « retard » marseillais (Maisetti, 2017, p. 185-186) et faire remonter l’agglomération dans les vingt premières du classement européen, à échéance de dix ans. Cette revendication est révélatrice de la prégnance des effets de classement dans une logique de compétition interurbaine, considérée comme inéluctable (Bardet, Healy, 2015). Surtout, elle traduit une certaine conception du développement économique, fondée principalement sur l’attractivité internationale. Cela apparaît clairement dans les critères de classification construits par l’étude, comme le montre l’extrait suivant :
Sur l’ensemble des 180 agglomérations retenues, nous avons construit une base de données comparables qui rendent compte des principales fonctions internationales. Cette base comporte quinze indicateurs : la population des agglomérations en 2000, l’évolution de leur population de 1950 à 1990, le trafic de marchandises des ports, les passagers des aéroports, l’accessibilité des villes à l’échelle européenne, les sièges sociaux des plus grands groupes européens, les places financières, les foires internationales, les congrès internationaux, les musées, les touristes, les sites culturels, les étudiants, l’édition des revues scientifiques et les réseaux de la recherche européenne.
14Les critères établis sont par ailleurs fondés sur un périmètre d’étude qui va au-delà de la ville de Marseille ou de son intercommunalité, pour inclure l’échelle de l’agglomération, définie par la continuité du bâti (DATAR, 2004, p. 13). C’est à la lumière des critères et découpages établis par la DATAR, que l’on retrouve de manière comparable dans d’autres classements publiés avant (Brunet, 1989) ou ailleurs [6], que Jacques Pfister conduit son action à la tête de la chambre. Il cherche dès lors à fédérer les grands patrons du territoire, considérant que c’est par leur action commune que Marseille pourra améliorer son positionnement, ainsi que nous le relate l’ancien directeur de l’UPE 13 :
Il [Jacques Pfister] se retourne vers nous, MEDEF. Il dit : « Mais elles sont où les grandes entreprises ? » Et là on lui dit : « Ben, il y en a un peu là ». « Oui mais en gros, moi j’ai besoin pour ça que les grands acteurs du territoire existent » et donc on décide, je vous la fais courte, de dire : « Et ben on crée le club Top 20, parce qu’ils portent l’ambition Top 20, depuis on l’a oublié, on réunit les plus grands patrons de ce territoire et on va essayer de se mobiliser sur toute une série de sujets. Et au départ ben on dit, les grands événements il faut les faire venir [7]. »
16L’idée implicitement sous-tendue ici est celle d’un monde économique jusque-là fragmenté. S’il faut certainement prendre des précautions par rapport à l’ampleur du changement induit par la présidence de Jacques Pfister – rappelons-le, décrite par le directeur d’une organisation ayant porté sa candidature – cela semble corroboré par les travaux de Pierre-Paul Zalio sur les entrepreneurs marseillais. Ils soulignent en effet le passage d’une économie locale largement dominée par quelques grandes familles à la fin du xixe et pendant la majeure partie du xxe siècle (Zalio, 1999), jusqu’à sa lente décomposition à partir des années 1970, processus au cours duquel de nouveaux entrepreneurs émergent, conduisant à un éclatement du milieu patronal (Zalio, 2008). La création du Top 20, officialisée en 2006, incarne donc la volonté émanant de la Chambre de Commerce d’unir les grands patrons autour d’une ambition d’attractivité, laquelle ne saurait être promue qu’à l’échelle d’un territoire plus vaste que Marseille [8]. Ainsi, le club est uniquement composé de dirigeants de grandes entreprises dont le siège social est situé sur un périmètre excédant les limites administratives de la municipalité.
Encadré 2. Le club Top 20 en chiffres
– Revendiquant au minimum 100 millions de chiffre d’affaires (soit parmi les 80 plus grandes entreprises du département des Bouches-du-Rhône)**.
– Affiche une surreprésentation du secteur industriel (40 %environ, alors qu’il ne représente que 5 % des établissements dans le département des Bouches-du-Rhône***), et notamment parmi les entreprises réalisant les plus gros résultats (6 parmi les 10 plus grands CA du club).
– 42 milliards de CA cumulé.
Notes :
Sauf mention contraire, les chiffres mentionnés proviennent du club Top 20 lui-même.
* La catégorie « dirigeant d’entreprise » recouvre ici des réalités assez diverses : du président directeur général au président du directoire, en passant par les directeurs industriels de site, ces statuts illustrent le fait que les membres du Top 20 représentent parfois des antennes locales de grands groupes nationaux ou mondiaux.
** Il faut sans doute prendre quelque distance avec ces chiffres : au-delà de leur caractère déclaratif, les résultats disponibles par entreprise ne sont pas toujours communiqués. Lorsqu’ils le sont, très peu spécifient les résultats opérés par la société mère (holding), parfois extra-locale, et ceux réalisés par la filiale basée sur le territoire.
*** INSEE, Caractéristiques des établissements en 2015, département des Bouches-du-Rhône (13).
17Se dessine de cette façon le triptyque « chambre de commerce-UPE 13-Top 20 » qui constitue la base de la mobilisation patronale sur une décennie, laquelle est marquée par une grande stabilité. On observe en effet une forte intrication à la tête de ces trois organisations, puisque les mêmes membres circulent, se croisent, se succèdent : sur la décennie de mobilisation étudiée (2004-2017), seuls cinq représentants patronaux se partagent les mandats de présidents (voir tableau 2). Sur ces cinq présidents, trois sont ou ont été à la tête des entreprises dégageant parmi les plus gros chiffres d’affaires du département : en recoupant avec les données disponibles sur les entreprises locales, elles se classent parmi les quatre-vingts plus grandes entreprises (sur les 44 872 que compte le département des Bouches-du-Rhône) [9]. Les deux autres présidents se distinguent moins par la taille de leur entreprise (même si Stéphan Brousse est à la tête d’une entreprise qui se situe aux environs de la 250e place) que par la détention de mandats syndicaux (l’un est conseiller spécial PME auprès de la présidente du MEDEF ; l’autre a été président de la Fédération nationale de l’immobilier dans les Bouches-du-Rhône). Ainsi, si certains de ces représentants patronaux diffèrent de ceux étudiés par Rabier et Pénissat, à savoir les représentants patronaux à la tête des différentes fédérations du MEDEF (Penissat, Rabier, 2015), il n’en demeure pas moins qu’il s’agit ici d’une fraction dominante du patronat [10], a fortiori local.
Liste des présidents des organisations patronales depuis 2004
Liste des présidents des organisations patronales depuis 2004
18L’intrication de ce triptyque se donne à voir également au niveau organisationnel. Les liens qui unissent L’UPE 13 et la CCIMP s’illustrent d’abord par les résultats des élections à la chambre : la liste emmenée par Jacques Pfister en 2004 emporte soixante sièges, soit la totalité des sièges à pourvoir. Si les résultats suivants voient entrer des élus issus de la CGPME, l’UPE 13 est largement majoritaire à la chambre jusqu’à aujourd’hui. Les échanges entre les deux institutions iraient même plus loin, à en croire la presse locale, qui fait état de circuits financiers « étroits et opaques » passant de la chambre à l’organisation syndicale (Vaysse, 2016). Quant au Top 20, si sa vocation est de réunir les plus grandes entreprises du territoire, la CCIMP y détient un siège, de même que l’UPE 13, « de facto, en tant que géniteurs [11] ». L’unité du monde patronal vantée par nos enquêtés révèle donc davantage la forte complicité de quelques représentants d’une certaine frange des intérêts économiques. À la tête des trois organisations figurent en effet des dirigeants dotés de caractéristiques qui les distinguent nettement du reste de la population des chefs d’entreprises.
19Cet élitisme patronal peut également être appréhendé à partir des publics visés par certaines actions qu’ils développent afin de promouvoir des politiques d’attractivité du territoire. Il apparaît en effet que les petites et moyennes entreprises sont davantage les cibles que les partenaires de ce lobbying.
Une élite patronale pour « évangéliser les PME »
20Lors d’un entretien collectif mené avec plusieurs représentants patronaux, un léger moment de flottement pointe lorsque la question de l’unanimisme du monde économique vis-à-vis de son investissement dans la promotion de l’échelon métropolitain est abordée. Ce sont les propos tenus par une permanente de la CCIMP qui vont le susciter, très rapidement reprise par ses collègues de l’UPE 13 :
Cadre CCIMP : C’est [les grandes entreprises] à qui ça parle ce discours [pro-métropole]. C’est assez facile pour eux de porter ce discours-là, c’est plus compliqué pour une PME de voir directement l’intérêt, pour des raisons qui nous ont été expliquées, il y avait eu un débat avec les…
Ex-élu UPE 13 : Ouais, alors moi je suis plus mitigé par rapport à ça parce que les PME constatent bien que les politiques de transports qui étaient gérées par des autorités organisatrices dispersées, qui faisaient chacune ce qu’elle voulait, les uns gratuits, à Aubagne, les autres bon, eux ils sont bien conscients que la problématique de faire venir ses salariés, d’être attractif est importante, et donc du coup, je pense qu’ils ne sont pas si neutres que ça par rapport à la problématique.
Cadre UPE 13 : Ils ne sont pas neutres mais ils ont moins de disponibilités pour s’engager…
Ex-élu UPE 13 : Oui voilà, le type qui a un bureau de tabac il ne peut pas passer son temps dans des réunions et des ateliers.
Cadre CCIMP : Non mais je ne veux pas dire que le monde patronal est divisé, je veux juste dire que…
Directeur UPE 13 : Oui, ça ne serait pas heureux d’ailleurs, parce qu’il ne l’est pas, c’est plutôt le monde politique qu’on a besoin de faire changer.
Cadre UPE 13 : Non mais comme tout changement, ça crée de l’inquiétude à un moment donné [12].
22À travers cette séquence se dessine une ligne de clivage entre les « grandes entreprises » et les « PME », tracée par les enquêtés eux-mêmes. La manière dont la permanente de la CCIMP a été reprise par ses collègues suggère fortement que le discours d’un monde économique uni constitue un enjeu politique important pour ces acteurs, faisant de la défense de la métropole un enjeu d’intérêt général. Il semble intéressant d’aller au-delà d’une simple question technique (manque de temps) ou d’une résistance naturelle au changement, afin de mettre en évidence les ressorts politiques de cette distance vis-à-vis d’une institution métropolitaine. Si les représentants patronaux mobilisés cherchent à travers cette dernière un interlocuteur unique positionné sur un territoire jugé pertinent, certaines PME et notamment parmi celles situées hors Marseille seraient réticentes à voir s’éloigner un centre de décision auprès duquel elles avaient la possibilité de dialoguer. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les propos de la permanente de la CCIMP :
Moi j’ai entendu dans une réunion, quelqu’un du côté de l’étang de Berre, dire « pour nous, la métropole c’est impossible », il était responsable de zone d’activité, le SAN [Syndicat d’Agglomération Nouvelle] était très riche à ce moment-là. Et il dit : « moi quand je sais qu’une entreprise est en difficulté, d’abord je le sais parce que je la connais, on va taper à la porte du SAN et ils nous trouvent toujours quelque chose » [13].
24En l’absence d’entretiens avec des gérants de telles entreprises permettant de confirmer ces éléments, il nous semble néanmoins intéressant de noter les efforts déployés par les institutions patronales mobilisées pour diffuser le discours pro-métropole auprès d’autres acteurs économiques du territoire. Les propos tenus lors de la réunion que rapporte la permanente de la CCIMP font référence à un cycle de conférences organisées par la chambre durant l’année 2014. Intitulées « Sur la route de la métropole », elles se déroulent sur chaque territoire appelé à fusionner dans la future métropole Aix-Marseille-Provence. Coanimées par Jacques Pfister et le préfet délégué en charge du projet métropolitain (voir infra), elles ont pour objectif de présenter la future institution, ainsi que de tordre le cou à certaines « idées reçues » à propos de cette dernière, véhiculées par des acteurs qui s’y opposent, principalement les élus locaux, et ainsi rassurer les participants. Si l’on pouvait penser que ce genre d’événement était organisé en direction des citoyens, les propos de l’ancien directeur du l’UPE 13 nous précise à qui il s’adressait :
Qui était à l’initiative de ces conférences ?
– C’est à la CCI qu’elle a été prise. C’était à un moment donné, là, pour évangéliser. Alors on n’était pas sur du grand public, on était sur de la cible TPE-PME, qui est plus compliquée à convaincre, parce que plus attachée à son territoire, à défendre son machin, etc. Parce que le pouvoir de sape politique des anti-métropolitains était très fort [14].
26Là encore, le discours de l’unité du monde économique est mis à mal, et les « TPE-PME » sont davantage considérées comme des cibles du lobbying patronal que comme des promoteurs. Le terme d’évangélisation utilisé par le directeur du MEDEF conduit à appréhender le rôle que ces représentants patronaux pensent jouer sur le monde économique, sur le mode d’une élite éclairée garante des intérêts de l’ensemble du monde économique, dont il apparaîtrait que certains ne sont pas à même de les identifier. Cela se donne également à voir à travers un sondage (Briand, 2014), commandé par la chambre et réalisé auprès de l’ensemble des chefs d’entreprise situés sur chacune des intercommunalités amenées à fusionner. Nous pouvons déjà signaler que le recours même à cette méthode alimente la distinction entre les commanditaires et le reste des chefs d’entreprise. Mais, plus significatif encore, les résultats illustrent, sinon la défiance, du moins la relative distance vis-à-vis de l’enjeu métropolitain d’un grand nombre d’individus interrogés. En témoignent les réponses données par l’échantillon d’entrepreneurs du pays d’Aix sondés : si 44 % des sondés se déclarent favorables à la métropole, 41 % ne se prononcent pas, quand 15 % s’y déclarent opposés. Ce chiffre monte à 23 % pour les sondés situés sur le territoire de Pays de Martigues et de Ouest Provence. Plus généralement, 66 % des sondés indiquent ne pas connaître précisément ses missions. Sans tenir pour vérité absolue les résultats de ce sondage, dont la présentation affiche d’ailleurs dès le départ des formulations discutables [15], ils permettent à la fois d’entrevoir les tensions qui peuvent exister au sein du monde économique sur cette question, et comprendre la volonté des commanditaires de faire preuve de « pédagogie » à travers les conférences. Les resituer dans leur contexte de diffusion renforce encore la distinction entre un nombre restreint de représentants issus de la fraction supérieure du patronat, fortement mobilisés autour d’un enjeu d’attractivité métropolitaine, et le reste du monde économique qu’il serait selon eux nécessaire de sensibiliser.
27À travers l’étude de la structuration d’un groupe patronal, nous avons cherché à spécifier les profils des acteurs impliqués, et, en creux, à souligner son caractère sélectif. Il ne s’agit pas là d’une particularité du milieu patronal marseillais, les travaux consacrés aux mobilisations patronales, notamment à la tête des instances dites représentatives, ont déjà pu souligner la propension des élites patronales à parler au nom d’un supposé « monde de l’entreprise » (Offerlé, 2009, 2011). Le « petit monde » ainsi identifié se caractérise par un certain élitisme dans sa composition, dont l’ambition est arrimée à un enjeu d’attractivité internationale du territoire. La poursuite de cet objectif général se décline en de multiples actions, notamment tournées vers les pouvoirs publics locaux. L’évolution des registres d’action au cours du temps nous donne à voir les frictions entre ces représentants et les acteurs politiques du territoire.
Du projet métropolitain à l’institution : les contours d’une mobilisation incertaine
28En retraçant plus finement la chronologie des mobilisations de ce groupe d’intérêt patronal, qui démarre concrètement avec le mandat de J. Pfister et la stratégie Top 20 en 2004-2005, il apparaît que les répertoires d’action utilisés, ainsi que les revendications formulées évoluent. La mise en évidence des différents temps de l’engagement permet d’observer une inflexion des prises de position, quand bien même elles s’articulent autour d’un impératif qualifié de métropolitain. Initialement fondées sur des demandes de rationalisation de certains domaines d’action publique, elles débouchent ensuite sur la revendication d’une institution métropolitaine, dans une période de réforme territoriale. La plasticité du terme « métropole », bien analysé dans certains travaux (Bué et al., 2004), peut jeter un voile sur ces variations. Au contraire, les restituer nous permet de déceler les hésitations, les bifurcations qui caractérisent la mobilisation, autrement dit son caractère incertain. La multiplication des actions de ce groupe d’acteurs dans le temps révèle en effet leurs difficultés à obtenir gain de cause auprès du pouvoir local. C’est ce constat qui les amène à faire de la question institutionnelle le cœur de leurs revendications, s’appuyant sur un contexte de réforme territoriale annoncée par le gouvernement.
Fédérer le « monde économique » autour d’un enjeu d’amélioration des politiques publiques
29Nous avons vu plus haut que la mobilisation des représentants patronaux était fondée sur un diagnostic d’insuffisance de rayonnement économique du territoire marseillais, et que les critères mobilisés pour en attester étaient principalement liés à un niveau d’infrastructures-clés. On retrouve une logique en partie similaire dans l’action du collectif « mon entreprise, ma ville ». Fondé par l’UPE 13 – et soutenu par la chambre – à l’occasion des municipales de 2008, il devient l’un des principaux instruments des revendications des représentants patronaux. Décrit comme « une première en France », ce collectif rassemble à la fois des organisations patronales, dont l’UPE 13 comme chef de file, et certains syndicats de salariés (FO, CFTC, CFE-CGC). Il serait né du constat, à en croire une permanente de l’UPE 13 [16], que les enjeux de développement économique n’étaient pas suffisamment pris en compte par les élus locaux. Il s’agit donc d’interpeller les candidats aux prochaines municipales et de les amener à se positionner sur un certain nombre de thématiques [17], réunies dans un pacte intitulé « réussir mon entreprise ma ville ». La sélection de ces enjeux est le fait du collectif lui-même. Ce dernier prétend néanmoins se faire le porte-parole des préoccupations des salariés comme des employeurs, dans la mesure où les thèmes retenus sont en partie issus des réponses à deux études d’opinions datant de janvier 2008. Menées en parallèle auprès de deux échantillons – employeurs et salariés – elles consistent pour les personnes interrogées [18] à établir une liste de priorités, parmi sept ou huit domaines d’action publique [19].
30Un élément retient l’attention, au-delà du choix initial des items, en lui-même discutable [20] : le terme « métropole » en est absent, il s’agit bien d’un ensemble de domaines d’action publique. Pourtant, les revendications finalement incluses dans le pacte soumis aux candidat.e.s diffèrent des résultats. Si le logement, les transports et la petite enfance y figurent, trois autres sujets sont évoqués : le « développement du territoire » (« promotion de l’attractivité »), la « gouvernance économique » (« associer les acteurs économiques aux décisions ») ainsi que la « coopération entre collectivités territoriales » (« jouer collectif pour inscrire les projets dans l’espace territorial pertinent »). Pour cette dernière revendication, il est inscrit que « les dossiers et projets doivent s’inscrire dans un espace pertinent qui dépasse les clivages politiques trop souvent dominants dans les choix opérés […] Un bon exemple d’application est la construction de la métropole marseillaise ». Dans l’ensemble de ces revendications inscrites dans le pacte soumis aux candidats, la question de la métropole en tant qu’institution n’est abordée que comme une éventualité, une option parmi d’autres pour améliorer la coopération entre collectivités territoriales. Elle est d’ailleurs évoquée de manière assez vague, liée au « jouer collectif » et au « territoire pertinent », sans que ces notions ne soient clairement définies. Cela s’explique par le caractère hautement sensible de l’enjeu métropolitain pour les élus locaux (voir infra), et par la volonté de ce collectif d’obtenir un maximum de signatures : 49 candidats aux élections municipales, allant des communistes à l’UMP, apportent d’ailleurs leur signature.
31Au-delà du contenu des revendications, l’alliance nouée dans le cadre du collectif vise à construire la catégorie « monde de l’entreprise », qui irait au-delà des simples intérêts des employeurs, et ainsi faire exister un groupe social plus large, quitte à passer sous silence l’absence d’autres syndicats de salariés [21]. À la manière d’un accord transpartisan, l’union salariés–patrons se pare de la vertu de l’intérêt général. On retrouve une logique similaire dans le cas des « bonnets rouges » quelques années plus tard (Rabier, 2015) : une alliance entre représentants patronaux et syndicats de salariés autour d’un dénominateur commun peu clivant (pour l’auteure la défense de l’identité bretonne) permettant de « feindre de dépasser des intérêts de classe divergents » (Rabier, 2015, p. 155). Pour l’ancien directeur de l’UPE 13, il s’agit d’une méthode tout à fait assumée dont l’objectif est de légitimer les revendications portées par le collectif auprès des élus, comme l’indiquent ses propos :
Et on a créé un collectif qui s’est appelé « mon entreprise ma ville ». Imaginez les politiques ont été très surpris, évidemment, tous les candidats nous ont reçus. Alors les candidats aux municipales, ici, où ils ont vu débarquer patronat et syndicats de salariés ensemble, qui ont porté exactement les mêmes revendications. Alors là ils étaient un peu emmerdés les politiques, parce qu’en même temps on vient parler d’une voix commune, etc. [22].
33Cette stratégie « paritaire » survit d’ailleurs aux élections, faisant du collectif un vecteur des revendications des représentants patronaux, à travers des prises de position sur chacune des thématiques développées dans le pacte, consacrant un répertoire d’action principalement communicationnel : lettres ouvertes, production de visuels, liens avec la presse locale, etc.
34Là encore, les représentants patronaux mobilisés insistent sur la complémentarité de cette initiative avec le rôle joué par la CCIMP en parallèle. Les documents publiés par le collectif font d’ailleurs systématiquement mention du « soutien et [de] l’expertise de la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence ». Cela passe concrètement par la commande du sondage précité, fruit d’un partenariat entre le collectif et la CCIMP. Mais l’expertise dont il est question renvoie plus généralement aux études effectuées par la Chambre sur la thématique métropolitaine, et qui alimentent la réflexion patronale. La plus importante d’entre elles est celle commandée conjointement par la CCI et le club Top 20 en 2009, réalisée par Yves Cousquer [23] et Jean-Bernard de Cérou [24]. Recrutés par Jacques Pfister, ils sont à l’initiative d’une série de rencontres et de groupes de travail rassemblant élus, techniciens et acteurs économiques locaux afin d’élaborer une stratégie de développement du territoire, dans l’optique déjà évoquée de l’insérer dans le concert des vingt plus grandes métropoles européennes. Le rapport final est rendu au cours de l’année 2010, sous le titre « Projet archipel métropolitain Marseille Provence : vingt projets pour entrer dans le top 20 ». Cette étude est significative à plusieurs égards : d’une part, le périmètre retenu pour la conduire est celui du département des Bouches-du-Rhône, dans son ensemble, c’est-à-dire plus large que la notion d’agglomération retenue par la DATAR, mais également de la future métropole AMP. D’autre part, l’emploi du terme d’archipel vise à souligner la diversité, voire les différences qui existent au sein de ce territoire. Il s’agit de le présenter comme un ensemble de pôles, qui, s’ils sont connectés entre eux, ont un fonctionnement propre. Au-delà de l’aspect technique du terme, dans la mesure où il est repris de la sphère académique (Veltz, 2005), il s’agit d’une stratégie visant à contourner la question épineuse d’une éventuelle intégration institutionnelle, par ailleurs discutée dans le cadre d’une réforme territoriale portée par le gouvernement, a fortiori quand le rapport est présenté comme le fruit d’une collaboration avec des élus locaux. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les propos de l’ancien président du club Top 20 :
« Qu’est-ce que ça pourrait être une métropole », parce que le mot est surutilisé, mais la réalité de ce que ça pourrait devenir, telle que ça l’est aujourd’hui, non, personne ne sait très bien. Et d’ailleurs à cette époque-là, vu la nature du territoire sur lequel on est, [Cousquer et de Cerou] défendent, une métropole d’archipels. Bon, je n’aime pas beaucoup ces termes-là, mais le sujet est de dire en gros, c’est un terme politiquement correct pour dire : « Alors, on fait une métropole, mais comme il y a des territoires très différents, Aix Marseille, machin, on garde le côté voilà, à la française quoi, comme on est capable de faire ! avec des archipels » [25]…
36L’évocation du caractère politiquement correct exprime bien cette réticence à se positionner sur la question institutionnelle. Cette dernière constitue donc la limite à ne pas franchir en termes de revendications durant cette période. La métropole comme horizon souhaitable renvoie ici davantage à un territoire non administratif, à l’intérieur duquel les représentants patronaux appellent à davantage de coopérations entre acteurs publics. Il s’agit principalement de s’entendre sur un certain nombre d’enjeux de politiques publiques considérés comme dysfonctionnels, du point de vue de l’attractivité du territoire. Dès lors, les modes d’action privilégiés relèvent principalement de la communication, fondée sur des capacités d’expertises fortes, des répertoires d’action relativement classiques pour des acteurs patronaux (Laurens, 2015 ; Offerlé, 2009).
37Mais la critique à peine voilée du président du club Top 20 sur le bien-fondé de la notion d’archipel [26] laisse entrevoir un changement dans la stratégie patronale. La question de l’intégration institutionnelle devient par la suite prégnante dans leurs revendications, entraînant une prise de position plus sensible politiquement. Nous allons voir que ce changement naît d’un sentiment d’échec pour les acteurs patronaux, qui saisissent l’opportunité d’une réforme territoriale en cours de préparation par le gouvernement.
La réforme territoriale pour sortir de l’impasse : quand l’institution devient le cœur des revendications
38La période 2011-2012 est révélatrice d’un glissement des revendications des représentants patronaux, qui se donne à voir au sein des trois organisations mobilisées. Le changement fait suite au constat d’échec de la stratégie poursuivie jusque-là. Le refus de de positionner explicitement par rapport à la question institutionnelle est notamment remis en cause. Désormais, il s’agit de revendiquer l’institution métropolitaine comme la condition sine qua non pour rattraper le « retard » du territoire en matière d’attractivité. Le contexte s’y prête : la réforme territoriale du 16 décembre 2010 portée par le gouvernement UMP prévoit pour la première fois la création d’institutions portant le nom de métropoles. Quelques mois plus tard, à la faveur de l’alternance politique de 2012, un nouveau projet de réforme est annoncé par le gouvernement PS. Les représentants patronaux mobilisés tentent de saisir cette opportunité en inscrivant leur mobilisation dans le débat sur les réformes institutionnelles.
39Au club Top 20, cette inflexion stratégique s’incarne notamment par un changement de présidence. Alain Lacroix succède à Frédéric Chevalier à la tête d’une organisation qui « végète » selon les dires du premier, du fait d’un manque de structuration interne et de position claire sur les positions à défendre. Ainsi, son mandat est marqué par la volonté de construire une position commune aux patrons membres sur la question métropolitaine. Concrètement, cette dernière s’émancipe de la vision d’un territoire pluriel, tel que présenté dans le rapport commandé quelques années plus tôt, et conduit à un repositionnement en faveur d’une intégration institutionnelle, comme l’illustrent les propos d’Alain Lacroix :
Après en interne, j’ai deux critiques : la première, c’est la critique sur l’archipel, pourquoi ? Parce que l’archipel c’est quoi ? C’est une façon, c’est un ersatz, c’est on veut mais comme on n’y arrivera pas, qu’ils [les élus locaux] voudront jamais, on fait un machin quoi. Donc moi je ne suis pas pour les machins. Donc euh, j’ai toujours été pour… euh, quelque part une construction unique [27].
41Il s’agit là d’une réorientation claire pour le club, quelques années seulement après le projet d’« archipel métropolitain », qualifié désormais de « machin » afin d’en souligner le caractère inconsistant et peu pertinent. Concernant l’UPE 13, c’est au travers du collectif « mon entreprise, ma ville » que le changement est le plus visible. Au début de l’année 2012, en effet, une campagne de tractage matinal est organisée en différents lieux, le choix étant fonction de l’ampleur des embouteillages qui s’y créent. Postés à même les voies de circulations, les représentants patronaux présents diffusent des tracts aux automobilistes à l’arrêt, pour promouvoir l’institution métropolitaine. Il s’agit là d’un répertoire d’action peu commun pour des représentants patronaux (Offerlé, 2009, p. 76), et l’on saisit même la gêne qui en découle, à travers ces propos :
Donc nous on est obligé aussi d’aller sur l’affect. Quand je vous dis on va tracter en disant, « tu mets combien de temps dans les transports ? Grâce à la métropole… », on fait des raccourcis énormes, c’est même un peu honteux, je veux dire, ce n’est pas… Mais à un moment donné, malheureusement [28]…
43Il souligne à quel point la manifestation constitue un registre réprouvé, qualifiant de raccourci honteux le fait d’interpeller les automobilistes pour les convaincre que la solution aux embouteillages est la création d’une métropole. Mais, au-delà, les propos rapportés ici mettent l’accent sur la dimension contrainte de son usage. Pour le directeur du MEDEF local, les patrons sont obligés de descendre dans la rue pour se faire entendre, de jouer sur l’affect plutôt que sur la raison puisque les élus locaux restent sourds à leur demande d’institution métropolitaine. Cette revendication ne naît pas à ce moment-là. Depuis plusieurs mois déjà, le collectif a impulsé une campagne dont le titre, « Osons la métropole », est significatif de ce changement de position [29], et organise des rencontres débats sur le territoire afin de sensibiliser le « monde économique » à la question métropolitaine, entendue dans son acception institutionnelle. Le contexte s’y prête : après la promulgation de la loi de réforme des collectivités territoriales le 16 décembre 2010, deux formules institutionnelles sont prévues pour les territoires urbains : une métropole intégrée, et un pôle métropolitain, structure souple de coordination des politiques publiques entre intercommunalités [30]. Lors de ces rencontres, le collectif « mon entreprise ma ville » affirme que « la première [est] plus ambitieuse, élue au suffrage universel et plus à même de permettre à notre territoire de rattraper son retard ». Les positions de l’UPE 13 évoluent donc par l’entremise du collectif, qui se positionne clairement en faveur de l’option institutionnelle la plus intégrée, et n’hésite pas à user de modes d’actions relativement éloignés des répertoires classiques de l’action collective patronale. Cette inflexion suscite d’ailleurs quelques réserves parmi les membres du collectif, même si elles ne s’expriment pas publiquement [31]. La volonté des représentants patronaux de s’inscrire dans le débat institutionnel correspond également à une recherche de soutien de l’État. À travers les propos qui suivent, on comprend qu’interpeller le gouvernement est une manière de passer outre une situation perçue comme bloquée :
Et là, on est passé dans une phase plus agressive de notre part, c’est-à-dire que quand on a vu que finalement on se faisait enfumer, on s’est dit qu’il fallait aller chercher l’État. […] Euh, ça devait être déjà en 2011, ouais 2012, juste avant le changement de gouvernement. On avait un très bon relais chez Sarkozy, Christian Frémont qui était son directeur de cabinet et qui a été préfet ici. On lui dit : « Franchement, on n’arrive pas sur la métropole, aidez-nous ! » On est à la fin de l’ère Sarko, ce n’est pas des moments où vous poussez des réformes institutionnelles, euh surtout qu’on avait eu l’espoir que Sarko devait supprimer les départements, vous vous souvenez, il a rétropédalé, ça n’arrive pas. Et il arrive Jean-Marc Ayrault. Alors pour une fois, on va féliciter Jean-Marc Ayrault. Il connaît le sujet métropolitain, il l’a vécu à Nantes. Et quand on le reçoit sur ce territoire, lui il est convaincu, il dit « c’est une catastrophe, il faut absolument… », et c’est lui qui pousse et qui propose ça [32].
45Le gouvernement devient donc l’acteur légitime pour les représentants patronaux, identifié comme le seul à même de sortir d’une situation qu’ils considèrent comme une impasse. En cela, ce que le dirigeant de l’UPE 13 qualifie de « phase plus agressive » est la conséquence de sa défiance à l’égard des décideurs publics locaux, considérant que seule la contrainte institutionnelle permettra de « jouer collectif ». Face à ce qu’ils considèrent comme le refus des élus locaux d’accéder à leurs revendications, les représentants patronaux en viennent à solliciter l’État, profitant d’un relais politique de premier plan, en la personne de Christian Frémont, ancien préfet des Bouches-du-Rhône, qui occupe à cette période le poste de directeur de cabinet du président Nicolas Sarkozy. Soulignons toutefois que cela ne suffit pas à faire entendre leurs revendications. Comme le rapporte le directeur du MEDEF local, il faut attendre l’arrivée d’un nouveau gouvernement, socialiste, avec lequel les relations sont a priori plus distantes [33], pour que cette demande trouve un écho plus favorable. On voit ainsi comment cette mobilisation, dans sa forme comme dans son contenu, est contrainte de s’adapter aux configurations politiques, tant locale que nationale.
46Une nouvelle fois, nous nous éloignons d’une lecture instrumentale des groupes d’intérêts, en soulignant la complexité et le caractère évolutif des modalités de participation de ces derniers à l’action publique locale. Dans cette même perspective, il convient maintenant de s’attarder davantage sur le rôle majeur que joue l’État au début des années 2010. Ouvrant une nouvelle séquence réformatrice en matière d’organisation territoriale, les gouvernements qui se succèdent à cette période permettent au groupe patronal mobilisé de légitimer cette revendication. Si le relais dont ils disposent à l’Élysée sous N. Sarkozy ne leur permet pas d’obtenir gain de cause, nous montrerons qu’à partir de 2012, le gouvernement socialiste et la mission qu’il met en place localement font directement appel à eux, s’appuyant sur leur soutien pour légitimer une réforme contre laquelle les élus locaux se mobilisent fortement. Ce partenariat privilégié État-grands patrons conduit à leur intégration au sein de la mission de préfiguration, puis de la « gouvernance économique métropolitaine ». C’est cette phase de légitimation réciproque qui est décrite dans notre dernière partie.
La consécration du rôle patronal par l’État : les patrons dans la métropole
47La loi RCT, on l’a vu, offre la possibilité aux acteurs locaux qui le souhaitent de construire une métropole ou un pôle métropolitain. Les élus locaux du territoire optent pour la deuxième option, dans la mesure où elle permet une forme de coopération souple, garante de l’autonomie des membres. Ils sont en effet, dans leur grande majorité, réticents à une institution fortement intégrée, pourtant appelée de ses vœux par les acteurs patronaux mobilisés. L’alternance politique de mai 2012 conduit à la mise en place d’un gouvernement PS qui se montre plus volontariste en matière de structuration institutionnelle, et ouvre par là une fenêtre d’opportunité (Kingdon, 1984) pour les représentants patronaux. La réforme territoriale portée par le gouvernement, à travers la loi MAPTAM, rend la création de douze métropoles obligatoire sur l’ensemble du territoire national, dont l’agglomération marseillaise, visée par un statut particulier : il s’agit d’opérer la fusion entre les six principales intercommunalités du département. Cette volonté étatique se heurte très vite à une forte opposition des élus locaux, qu’elle cherche à contourner en faisant appel à la « société civile ». Ce faisant, les revendications formulées par les acteurs patronaux s’en trouvent légitimées. Mais, au-delà, ces derniers participent concrètement aux travaux de préfiguration de la métropole Aix-Marseille-Provence, et parviennent, in fine, à intégrer les arcanes de la métropole nouvellement créée.
Le recours à la « société civile », une stratégie étatique de contournement des élus locaux
48En septembre 2012, un conseil des ministres se réunit à Marseille pour réfléchir à un plan d’action spécifique pour le territoire secoué pendant l’été par des épisodes de violence fortement médiatisés. Cette exposition médiatique et politique des violences urbaines à Marseille n’est certes pas nouvelle, et des travaux en ont montré le caractère problématique (Mucchielli, 2013). Notons toutefois qu’il constitue l’occasion pour le Premier ministre d’annoncer un grand plan d’ensemble pour l’agglomération. Ce plan s’articule autour de deux éléments : la question de la sécurité, et celui d’une politique d’agglomération, qui passe par la construction d’une métropole issue de la fusion des six principales intercommunalités du territoire. S’il ne s’agit pas de la première tentative de l’État de structurer le territoire marseillais à une échelle qualifiée de métropolitaine (Olive, 2015), il paraît intéressant de montrer comment la question des violences urbaines constitue un argument de nature à justifier la volonté étatique de procéder de manière autoritaire à une fusion d’intercommunalités. Les réformes institutionnelles sont en effet traditionnellement marquées par le poids des élus locaux dans leur élaboration (Le Lidec, 2008), rendant coûteux et incertain un projet de redécoupage des échelons territoriaux sans leur appui.
49De manière significative, une forte opposition des élus locaux de tous bords politiques se structure à la suite de cette annonce. Au niveau local, cette opposition s’exprime notamment sous l’égide de l’Union des maires des Bouches-du-Rhône, qui revendique la signature de 111 maires du département (qui en compte 119 au total [34]), signataires d’une demande de retrait de la loi. Cette demande s’accompagne d’une série d’actions visant à contester le bien-fondé de cette décision gouvernementale qualifiée d’autoritaire (Boyer, 2013). Manifestations dans chacune des intercommunalités appelées à fusionner, boycott des rencontres avec la ministre en charge du projet de loi, propositions de structurations alternatives (Douay, 2013) : les mobilisations à l’échelle locale s’accompagnent d’un travail parlementaire pour les élus cumulant les deux mandats, visant à supprimer l’article de loi concernant la métropole Aix-Marseille-Provence (Parnet, 2016). Pour certains des élus opposés, il ne s’agit pas de nier la réalité métropolitaine, mais bien d’un désaccord sur les solutions proposées par le gouvernement : l’enjeu métropolitain doit être traité sans remettre en question la pleine autonomie des territoires préexistants (Charroux, 2015). Se joue ici une nouvelle fois la distinction entre métropole comme projet politique et comme solution institutionnelle.
50Face à cette opposition, la stratégie gouvernementale consiste à contourner les élus locaux et à mobiliser les acteurs favorables au projet. C’est ce qui transparaît dans les propos tenus par un membre du cabinet du ministère de la Décentralisation :
Vous parlez du dialogue avec la société civile, et notamment des acteurs économiques, pour Marseille, vous avez pu la rencontrer ?
– La ministre y a été quatorze fois, elle a pu la rencontrer [rires].
C’est une spécificité marseillaise de s’appuyer sur des réseaux constitués de la société civile, ou à Lyon ça a pu être mené ?
– Que l’État s’appuie sur la société civile pour emmener au-delà de quelques élus tout un territoire, oui c’est une spécificité. En général, c’est quand même plus les élus qui mobilisent leur propre société civile, c’est vrai que c’est plutôt une spécificité marseillaise [35].
52Cette stratégie se donne à voir concrètement dans le pilotage du projet métropolitain. En effet, à la suite du comité interministériel, un préfet délégué « en charge de la préparation du projet métropolitain Aix-Marseille-Provence » est nommé, en la personne de Laurent Théry. Lauréat du Grand Prix de l’urbanisme en 2010, il est réputé proche de Jean-Marc Ayrault, les deux ayant travaillé ensemble à la restructuration de l’île de Nantes quelques années plus tôt. Laurent Théry recrute rapidement Vincent Fouchier en tant que « bras droit ». Passé par la DATAR, spécialiste des questions urbaines, il est également président du groupe Urbain de l’OCDE. Dès la fin de l’année 2012, ils mettent en place une mission interministérielle de préfiguration du projet métropolitain, dont la composition comme le fonctionnement traduit la volonté d’ouverture à la « société civile ». Du point de vue de la composition de la mission, nous pouvons noter en effet, en plus des institutions étatiques (DATAR, préfecture de région, SGAR, ministères), le détachement de salariés du Port de Marseille (Frédéric Dagnet), du groupe La Poste (Pascale Faruggia), ainsi que de la CCIMP (Nicolas Frachon).
Organigramme de la mission interministérielle
Organigramme de la mission interministérielle
53Cette composition est fondée, à en croire certains membres, sur la volonté de ces institutions de participer à la préparation du projet, comme nous l’indique une salariée de la mission, détachée de la ville de Marseille :
– C’est souvent des initiatives individuelles… pour la Poste, pour le port, pour la chambre de… La chambre de commerce il y avait deux personnes qui étaient proposées par le président de la chambre de commerce, et puis pour la région, c’est des gens qui ont souhaité intégrer cette équipe, et qui ont sollicité leur mise à disposition.
Donc sur une base de volontariat ?
– OB : base de volontariat, et, bien entendu, euh, dans la mesure du partenariat préétabli entre les différentes instances quoi, entre le préfet et les partenaires [36].
55La précision effectuée par Odile Blanc nous donne à voir la logique d’agrégation d’un ensemble de partenaires opérée par le préfet Théry, mêlant acteurs publics [37] et privés, sur la base de leur positions favorables vis-à-vis de la constitution d’une métropole. Elle dessine de facto une alliance État local-« société civile » face aux collectivités locales et à leurs représentants, élus ou administratifs, absents de l’organigramme.
56La dimension « partenariale » se retrouve également dans les activités de la mission. Cette dernière s’organise en effet, durant les premiers mois de son existence, autour d’un conseil des élus, chargé de traiter des questions institutionnelles, et d’un conseil des partenaires, chargé de plancher sur le projet métropolitain, ces deux conseils devant alimenter mutuellement les travaux de l’autre. La position des élus locaux a mis à mal cette organisation, refusant de siéger dans une instance qu’ils jugent illégitime. Le conseil des partenaires fonctionne donc seul, et la question du projet métropolitain est pris en main par un ensemble d’acteurs que les membres de la mission s’emploient à présenter comme le plus ouvert et collectif possible. Sur le site de la mission [38], il est fait mention d’un réseau large de 190 partenaires institutionnels ayant participé aux réflexions préparatoires et nourri les (très [39]) nombreux rapports, livres blancs et documents stratégiques édités par elle. Cette profusion, qui constituait une fierté assumée comme telle en entretien, vise à faire la démonstration par la science de la nécessité métropolitaine. Ainsi, si les éléments juridico-institutionnels tels que l’harmonisation fiscale ou la répartition précise des compétences sont l’objet de négociations parallèles entre élus locaux et gouvernement, l’objectif du volet projet est de légitimer l’institution. Cette stratégie est parfaitement résumée par une salariée d’un cabinet de conseil travaillant pour la mission :
On réunit tous les acteurs qui ont envie de participer au jeu, et sur chacun des chantiers – transition énergétique, éducation, logement, innovation économique, jeunesse – comment à chaque fois on essaie de répondre à la question « Comment l’institution métropolitaine va permettre de “faire mieux, faire plus, faire autrement” ? » En gros, la métropole c’est « faire mieux, faire plus, faire autrement », faire mieux à moyens constants, avec ce qu’on a déjà, le faire ensemble ça va nous aider. Faire plus, c’est comment ça va nous donner plus de moyens en mutualisant et faire autrement c’est « Comment on profite de l’opportunité métropolitaine pour ouvrir de nouvelles pistes [40] ? »
58Cette stratégie, si elle a principalement pour but de légitimer un projet de loi gouvernemental, n’en crée pas moins les conditions d’accès à la production de l’action publique locale pour certains acteurs. Si la « société civile » dans son ensemble est promue, ce sont bien les représentants patronaux mobilisés qui font office de partenaire privilégié, tant dans la participation aux travaux de la mission de préfiguration qu’au sein de la métropole créée quelques années plus tard.
Un partenaire particulier : l’intégration des représentants patronaux dans la métropole
59Nous avons déjà évoqué le fait que certains membres de la mission sont des salariés détachés de leur poste à la chambre de commerce, faisant d’eux les relais des intérêts de l’institution. Plus encore, au sein du conseil des partenaires, on remarque la présence systématique de certaines organisations, quel que soit le domaine étudié : il en va ainsi de la CCIMP qui participe aux sujets qui touchent de près ou de loin à ses domaines de compétence (le chantier Culture et innovation par exemple, par ailleurs piloté par un salarié détaché de la chambre, ou encore Système logistique et portuaire) mais également des sujets plus lointains, comme les chantiers « ville/nature » ou encore « cohésion sociale et territoriale ». La forte présence de la chambre au sein du conseil des partenaires témoigne de sa légitimité aux yeux de la direction de la mission, et peut s’expliquer par son investissement ancien et les ressources expertes qu’elle a su développer depuis qu’elle s’est saisie de la thématique métropolitaine. En effet, nous avons pointé du doigt la forte dimension technique de la mission et le volume conséquent des publications réalisées dans un délai très court. Au-delà d’une ouverture stratégique à la société civile, la mission cherche donc à puiser dans les études qui ont été réalisées avant sa mise en place, comme l’indiquent les propos de Vincent Fouchier :
Comment on construit un projet en partant de pas grand-chose finalement ?
– Ben, il y avait beaucoup de choses, peu organisées, mais beaucoup de choses. Les conseils de développement avaient travaillé depuis des années, le Top 20, les entreprises du territoire avaient travaillé, ils avaient fait des propositions, il y avait des clubs de réflexion, le club Nouveau Sud, enfin il y avait un milieu local qui se projetait dans la métropole depuis des années. Disons qu’il y avait du matériau qui était là, qui était en suspension, que personne n’avait vraiment assimilé, qui n’était pas passé dans les gènes ni de l’action de l’État, ni des collectivités [41].
61Nous voyons comment ces ressources permettent à la CCI et aux acteurs patronaux de devenir des partenaires privilégiés de la mission interministérielle. Pour reprendre les analyses de Bouwen, les acteurs patronaux mobilisés ont apporté un certain type de ressource dont la mission a besoin, à savoir une expertise (expertise knowledge) (Bouwen, 2002). Mais, au-delà, l’enrôlement des patrons mobilisés permet à la mission de contourner le refus des élus locaux, en entretenant à son tour la fiction d’un monde économique uni pour la réforme gouvernementale. C’est en ce sens que l’on peut comprendre les propos du rapporteur de la loi MAPTAM à l’Assemblée nationale, lorsqu’il nous relate son séjour à Marseille pour consulter les acteurs locaux :
J’ai privilégié sur ces trois jours les rencontres avec les organisations syndicales, les membres du conseil local de développement, avec la CCI, avec la CGPME, avec le MEDEF et avec les acteurs économiques, et ce qui était frappant, c’était que tous les acteurs de la société civile et du développement économique nous encourageaient et nous disaient : « ne lâchez pas, faites la métropole on en a besoin [42] ».
63Notons enfin que des liens personnels se sont noués au cours de cette période d’échanges et de travail en commun entre patrons et représentants de l’État. C’est le cas du président du club Top 20, Alain Lacroix, qui nous confie ses liens d’amitié avec Laurent Théry :
– Oui c’est un de mes amis Laurent, il est parti maintenant mais c’est mon voisin, il habitait à côté de chez moi. On était très copains.
Vous vous connaissiez d’avant la mission ?
– Non, non ! on est devenu très copains. Quand il est arrivé, on l’a reçu à la chambre de commerce à dîner un soir avec Jacques Pfister, le président. Et puis il est devenu mon voisin et puis on a beaucoup travaillé ensemble, et en plus c’est un mec bien quoi. Et donc, après vous y travaillez, avec la difficulté que ça a généré, je veux dire avec la centaine de maires, là, qui…
65En restituant cette anecdote, nous n’affirmons pas que les membres de la mission sont sous l’influence des intérêts patronaux. Il convient de rester prudent vis-à-vis de la notion même d’influence et de son potentiel heuristique. Néanmoins, cela permet de considérer les acteurs économiques comme des soutiens, parfois même au sens moral, pour les membres de la mission interministérielle, confrontés à une situation bien plus délicate dans leurs rapports avec les élus locaux. Elle souligne la communauté de vues entre État local (mission) et représentants patronaux à propos de l’enjeu métropolitain, unis contre des élus locaux réfractaires.
66Surtout, cette position de partenaire privilégié peut s’objectiver au regard de l’intégration des représentants patronaux au sein même de la gouvernance de la métropole Aix-Marseille-Provence. Mise en place officiellement le 1er janvier 2016, elle est dotée d’un Conseil de développement dans lequel siègent les représentants du monde économique de manière statutaire : CCIMP, UPE 13. Symboliquement, la présidence a été confiée à Gérard Goninet, directeur des sites France Airbus Helicopters, une des plus grandes entreprises du territoire et membre du club Top 20. Mais, plus important encore, l’administration métropolitaine a mis en place au cours de l’année 2017 un comité de gouvernance économique, présenté comme le « lieu privilégié pour partager les avancées et les actions en faveur du développement économique du territoire » selon les mots de Martine Vassal, première vice-présidente de la métropole (devenue présidente depuis novembre 2018). Dans ce comité figurent également, outre les élus métropolitains en charge des questions économiques, deux des trois pales de l’hélice, l’UPE 13 ainsi que la CCIMP. Ce dispositif donne ainsi corps à une des revendications des représentants patronaux, exprimée dès 2008 avec la campagne du collectif « Mon entreprise ma ville », à savoir la mise en place d’une gouvernance économique. L’absence des autres partenaires signataires, et notamment des représentants de syndicats de salariés parmi les membres du comité nous semble révélatrice de cette primauté des intérêts patronaux dans la gouvernance métropolitaine.
67Le projet de loi MAPTAM, et à travers lui la volonté gouvernementale de construire une métropole sur le territoire marseillais, se révèle donc être tout à fait décisif pour les patrons mobilisés. Il s’agit du moment où un courant de problème (problem stream), mis en récit par les représentants patronaux, rencontre un courant de solution (policy stream) constitué par la mise en place d’une métropole au sens institutionnel, à la faveur d’une alternance politique (political stream). Le modèle de la fenêtre d’opportunité proposé par Kingdon rend bien compte du basculement qui s’opère à partir de 2012. Nous avons cherché à caractériser la relation d’interdépendance entre ces deux catégories d’acteurs, leur légitimation réciproque dans la valorisation d’une institution métropolitaine, notamment face à des élus locaux fortement mobilisés contre le projet. Loin d’être un simple acteur parmi d’autres au sein de la « société civile » telle qu’elle est promue par la mission de préfiguration, les acteurs patronaux constituent bien un partenaire privilégié, notamment du fait de l’importance des ressources expertes accumulées depuis une décennie de mobilisation. C’est à ce niveau que se situe la différence avec d’autres groupes d’intérêts (les élus locaux par exemple) (Cadiou, Olive, 2015) et rappellent bien l’importance de la détention de ressources dans la capacité à participer à l’action publique, quand bien même celle-ci ne découle pas automatiquement de celle-là. S’ils ont échoué à faire valoir leurs vues avant le projet de loi porté par le gouvernement socialiste, les patrons du territoire ne peuvent toutefois pas être considérés comme un groupe d’intérêt comme les autres, comme en témoigne leur intégration au sein de la gouvernance économique métropolitaine.
Conclusion
68Nous avons cherché à restituer la trajectoire d’un groupe d’intérêt patronal pour la construction métropolitaine à Marseille depuis une décennie. Structuré principalement autour d’un agenda d’attractivité internationale du territoire, ce groupe, au profil très sélectif, a cherché à intervenir auprès des pouvoirs publics pour faire valoir la nécessité d’un fonctionnement métropolitain, afin de rattraper le supposé retard en termes de développement économique. La plasticité du terme métropole pourrait laisser penser que cette position est restée la même durant toute cette période. Or, nous avons souligné comment les revendications ont évolué au cours du temps : d’une demande de rationalisation de l’action publique à celle d’une institution intégrée, seule à même de permettre une action publique efficace au niveau métropolitain. Ce changement est, selon les représentants patronaux, la résultante d’un constat d’échec de leurs actions passées, qui les pousse à demander l’intervention de l’État. Ce point-là est crucial pour comprendre le caractère incertain de cette mobilisation, et ce malgré la détention de ressources (expertes, économiques, relationnelles) importantes. C’est finalement à travers la séquence législative ouverte par le projet de loi MAPTAM que ces revendications et les acteurs qui les portent sont légitimés.
69Dès lors, la construction d’AMP donne à voir tout à la fois l’importance majeure de l’État dans l’intégration d’une certaine frange des intérêts patronaux dans la mise en place de la métropole, et son caractère circonstanciel. En effet, l’intervention de l’État à Marseille n’est pas la résultante d’une sollicitation de ces acteurs patronaux, mais répond à un agenda qui lui est propre. Pour le dire autrement, nous considérons l’ouverture des instances décisionnelles d’AMP aux représentants patronaux comme la résultante d’une stratégie étatique visant à promouvoir la « société civile » face à des élus locaux réfractaires au projet de loi. En cela, notre étude se démarque de certains travaux sur les régimes urbains (Pinson, 2014) puisqu’elle montre la place centrale de l’État dans le processus de sélection des interlocuteurs légitimes à l’échelle locale. En effet, pour stratégique qu’elle soit, l’alliance avec ces représentants patronaux n’est pas sans effet sur le fonctionnement de l’institution métropolitaine, comme en témoigne la mise en place de l’agenda économique de la métropole AMP, fruit d’une co-construction affichée entre les acteurs économiques et les agents de la métropole. Nous avons cherché à mettre en lumière la légitimation réciproque des rôles de l’État et des représentants patronaux. Cette légitimation s’inscrit dans une logique d’échange politique territorialisé entre ces derniers, désormais cristallisée au sein d’une institution métropolitaine.
70Le détour par la sociologie des mobilisations et des groupes d’intérêt nous paraît heuristique dans la mesure où il permet de réencastrer la question des réformes territoriales dans un espace de mobilisations plus large, dépassant les seules luttes entre élus réformateurs et élus réfractaires. Plus largement, cela nous renseigne sur les modalités concrètes d’association entre pouvoir économique et pouvoir local. Revenir sur le processus sinueux qui a conduit à l’association des représentants patronaux au sein de la gouvernance économique d’AMP met en évidence son caractère stratégique, fondé sur une recherche de légitimation réciproque et de logique d’échange, davantage qu’une réponse au caractère supposé inéluctable de la métropolisation. Si la sociologie des réformes territoriales a permis de dépasser une analyse fonctionnaliste de la construction métropolitaine, l’attention portée aux acteurs économiques nous permet d’aller plus loin que l’analyse d’une dialectique entre changement et résistances à l’intégration institutionnelle. Elle contribue à caractériser la nature du changement métropolitain, en particulier dans l’intégration de certains intérêts sociaux dans son fonctionnement ordinaire, au-delà des compétences juridiques attribuées par la loi.
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Mots-clés éditeurs : groupe d’intérêt, réforme territoriale, métropole, MAPTAM, représentants patronaux, Aix-Marseille-Provence
Date de mise en ligne : 16/06/2020
https://doi.org/10.3917/gap.201.0087Notes
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[1]
Lowi distingue quatre types de politiques publiques, articulées autour de deux variables : le type de contrainte (lointaine ou immédiate) et ce sur quoi la contrainte s’exerce (comportement individuel ou l’environnement des individus). Les politiques constitutives relèvent d’une contrainte indirecte qui s’exerce sur l’environnement des individus : elles visent à changer les structures et les règles du jeu (Lowi, 1972).
-
[2]
Il s’agit d’une étude commandée par l’Institut de recherche économique et sociale (IRES), à la demande de la Confédération générale du travail (CGT). Nous tenons à remercier Guillaume Gourgues, coordinateur de la recherche à l’échelle nationale, et David Guéranger, responsable du cas marseillais. Ils ont réalisé certains des entretiens mobilisés ici (nous précisons lesquels dans le corps de texte).
-
[3]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[4]
La CCIMP, créée en 1599, est la plus ancienne chambre de commerce et d’industrie de France. Comme les autres chambres de commerce et d’industrie territoriales (CCIT), elle est un établissement public économique, chargée de représenter les intérêts des entreprises commerciales, industrielles et de services sur son péri-mètre, ici Marseille-Provence, et leur fournit un ensemble de services. Elle est financée par l’ensemble des entreprises d’un territoire par le biais de taxes foncières et de taxe sur la valeur ajoutée. Bicéphale, elle est dotée d’une assemblée composée de chefs d’entreprise, élus par leurs pairs, et d’une direction administrative, laquelle est nommée par le président de l’assemblée.
-
[5]
L’UPE 13, quant à elle, est une association interprofessionnelle structurée à l’échelle du département des Bouches-du-Rhône. Elle représente les intérêts des entreprises qui s’acquittent d’une libre cotisation (ce qui la distingue de la CCIMP). Pour l’UPE 13, il s’agit en l’occurrence des entreprises qui adhèrent au Mouvement des Entreprises de France (MEDEF).
-
[6]
Voir à ce titre les critères de classement établis par la société Cushman & Wakefield, analysé dans les travaux précités de Bardet et Healy (2015, p. 11-12).
-
[7]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[8]
Nous rejoignons ici l’analyse de Maisetti sur la conception du développement économique défendue sous le mandat de J. Pfister, mêlant explicitement attractivité du territoire et dépassement des périmètres administratifs (Maisetti, 2017, p. 228).
-
[9]
Les données disponibles sur les entreprises du département permettent de dresser le classement des cinq cents plus grands chiffres d’affaires réalisés par les entreprises des Bouches-du-Rhône [www.verif.com/Hit-parade/01-CA/01-Par-departement/13-Bouches-du-Rhône]. Elles présentent toutefois l’inconvénient d’être automatiquement actualisées, ce qui ne permet pas de connaître le CA au moment où les représentants exercent leur mandat. Pour ceux-là, nous avons opéré une recherche entreprise par entreprise. La presse spécialisée ainsi que les données conservées sur le site [www.societe.com/] ont permis de recueillir les données manquantes. Si ces dernières sont donc antérieures aux données utilisées pour établir le classement, cela nous semble néanmoins constituer un aperçu relativement fidèle de la place relative de chacune des entreprises dirigées par les représentants patronaux intéressés.
-
[10]
Les données récoltées sur leur parcours scolaire les place également dans cette catégorie, quatre sur cinq ayant un diplôme de niveau BAC + 5, soit parmi les 17 % des patrons le plus diplômés (Penissat, Rabier, 2015, p. 16-17).
-
[11]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 (2012 à 2017).
-
[12]
Entretien mené par Guillaume Gourgues et David Guéranger, réalisé le 23 novembre 2017 dans les locaux de la CCIMP.
-
[13]
Entretien avec la directrice études et développement économique, CCI Marseille-Provence.
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[14]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
-
[15]
Au premier rang desquelles la réduction souvent opérée de l’entreprise à la voix de son dirigeant. Notons en outre qu’il n’existe pas de trace de la méthodologie retenue pour la passation de ce sondage.
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[16]
Entretien avec Laurence Honoré, responsable du pôle engagement et attractivité du territoire de l’UPE 13, réalisé le 14 décembre 2017.
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[17]
Logement, transports, petite enfance, développement du territoire, gouvernance économique et développement durable, coopération entre collectivités territoriales.
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[18]
Il convient bien sûr de prendre avec prudence les résultats de ces deux sondages, eu égard au faible échantillon de salariés interrogés (600), et au manque de précisions sur les conditions de passation du questionnaire employeur. Tout au plus pouvons-nous lire que les résultats de ce dernier se basent sur « une enquête auprès de 1 020 entrepreneurs, artisans et professions libérales », là encore, sans précision sur la répartition selon les catégories. Le site web consacré au pacte laisse penser qu’il est possible de remplir le questionnaire en ligne, sans autre garantie à donner qu’une adresse mail [www.monentreprisemaville.com/sondage.aspx], consultée le 16 septembre 2019.
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[19]
Qualité de vie (la culture, les loisirs…), sécurité, transports, logement, petite enfance, soutiens aux entreprises, gestion des finances locales, environnement, cadre de vie (propreté, espaces verts…). Les mêmes items sont proposés aux salariés et aux employeurs, à l’exception du « soutien aux entreprises », qui disparaît du questionnaire employeurs. Source : livret de présentation « Mon entreprise ma ville » fourni par l’UPE 13. On trouve également une version synthétique du sondage à destination des salariés de l’agglomération en ligne [www.monentreprisemaville.com/resultatSondage.aspx] (consulté le 16 septembre 2019).
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[20]
On notera par exemple l’absence de la thématique des inégalités salariales et/ou sociales, qui paraît pourtant fondamentale, notamment dans un territoire aussi clivé socialement que celui-ci. Cela peut être bien sûr lié à la volonté de gommer les divergences entre salariés et employeurs sur les questions plus conflictuelles traitées par ailleurs dans les instances paritaires.
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[21]
Notons l’absence de représentants de la CFDT ou celle de la CGT, avec lesquels les relations ont été décrites comme bien plus conflictuelles par les représentants patronaux et syndicaux rencontrés. Pour une analyse des ressorts de cette « alliance improbable » entre patrons et certains syndicats, qui dépasse le cadre du présent article, nous renvoyons à l’étude dirigée par Gourgues, à laquelle nous avons participé (Gourgues, à paraître).
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[22]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
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[23]
Ingénieur des Ponts et Chaussées, il effectue son début de carrière au ministère de l’Équipement avant d’entrer dans l’administration du port de Marseille.
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[24]
Ingénieur des Mines, urbaniste de formation, promoteur immobilier, passé par la SCIC, filiale immobilière de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC). Dirigeant de la Caisse d’épargne, puis du groupe La Poste. Il développe depuis 1990 une activité de consultant en stratégie des organisations.
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[25]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 de 2012 à 2017.
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[26]
Ajoutons que l’usage de l’expression « à la française » par notre enquêté fait allusion, de manière quelque peu péjorative, à l’idée du « millefeuille territorial », situation qui serait propre à la France, d’empilement des structures administratives et de l’incapacité à réformer l’édifice institutionnel local.
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[27]
Entretien avec Alain Lacroix, président du club Top 20 de 2012 à 2017.
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[28]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
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[29]
Jusque-là, le nom du collectif « mon entreprise, ma ville » en lui-même ne spécifiait pas une quelconque préférence institutionnelle.
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[30]
Notons que cette formule, dont le statut juridique est le syndicat mixte, convient assez bien à une lecture en termes d’archipel, puisqu’elle garantit l’autonomie des différents territoires qui composent le pôle.
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[31]
C’est le cas notamment du représentant de Force ouvrière (FO), qui nous confie en entretien que la sensibilité de la question institutionnelle parmi les fonctionnaires territoriaux FO, durant cette période, le pousse à se mettre en retrait du collectif.
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[32]
Entretien avec Nicolas Barthe, directeur de l’UPE 13 (2005-2015).
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[33]
Ainsi que le suggère la formule « pour une fois, on va féliciter J.-M. Ayrault » évoquée dans l’extrait d’entretien précédent.
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[34]
Citons l’exception notable de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et président de la Communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), favorable au projet métropolitain.
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[35]
Entretien avec le conseiller collectivités territoriales au cabinet du ministère de la Décentralisation, réalisé le 15 juillet 2015.
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[36]
Entretien avec Odile Blanc, cheffe de projet de l’équipe institution pour la mission interministérielle, et Étienne Brun Rovet, directeur de cabinet en charge du volet institutionnel de la mission interministérielle.
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[37]
Si l’on a vu que les maires du département sont très majoritairement opposés à cette métropole, le président du conseil régional PACA s’est exprimé publiquement en sa faveur.
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[38]
(« Une aventure collective – Mouvement Métropole », s. d.) « Plus de 190 structures sont représentées au sein du conseil des partenaires ! »
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[39]
Nous avons été frappé au cours de notre enquête par la quantité de publications réalisées par la mission en un temps d’existence relativement court (trois ans), ainsi que la facilité avec laquelle chacun des membres de la mission interrogé nous proposait de nous les distribuer.
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[40]
Entretien avec Manon Loisel, associée au cabinet de conseil Acadie, AMO de la mission interministérielle.
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[41]
Entretien avec Vincent Fouchier, en charge du projet métropolitain au sein de la mission de préfiguration du projet métropolitain Aix-Marseille-Provence.
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[42]
Entretien avec Olivier Dussopt (ex-PS), rapporteur de la loi MAPTAM à l’Assemblée nationale.