Notes
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[*]
Une erreur s'est glissée dans le titre de l'article paru dans la version papier de la revue : « De racketteur à fonctionnaire. Capital social, mobilisations et reconversions post-conflit dans les régies financières de Côte d'Ivoire ». Le titre a donc été modifié en conséquence dans la version numérique : « De rebelle à fonctionnaire. Capital social, mobilisations et reconversions post-conflit dans les régies financières de Côte d'Ivoire ».
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[1]
Je tiens à remercier très sincèrement les coordinateurs du dossier ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue, dont les remarques sur les précédentes versions de ce texte étaient particulièrement fines et fécondes.
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[2]
Pour prendre un exemple récent, l’accord de paix d’Alger de 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad prévoyait par exemple l’intégration d’une partie des ex-combattants à l’armée malienne.
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[3]
La question de la démobilisation des anciens combattants et de leur intégration dans l’armée régulière est bien plus documentée par la littérature sur les sorties de guerre (voir Muggah, 2005, 2009 ; Spear, 2007 ; Fofana, 2014).
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[4]
Nous nous focalisons ici sur les trajectoires ascendantes des anciens rebelles. À l’inverse, pour un éclairage sur les trajectoires descendantes, très nombreuses également, voir notamment Diallo (2017).
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[5]
Ce raisonnement s’inscrit également dans l’argumentaire développé par Darbon et Provini qui font le constat d’un « essoufflement » des débats sur l’État en Afrique du fait de la routinisation de l’approche par le bas, et propose de croiser sociologie historique de l’État et sociologie de l’action publique (2018, p. 23).
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[6]
Sur l’histoire de la Fesci, voir notamment Konaté (2003) et Ba (2017).
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[7]
La question de la politisation des fonctionnaires est un sujet très peu abordé par les sciences sociales en Afrique. C’était notamment une des conclusions du panel « African Bureaucrats : Careers, Representations and Politicization » au congrès de l’African Studies Association (ASA) de novembre 2017, organisé par Paul Grassin, Mehdi Labzaé, Camille Popineau et Marianne Saddier.
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[8]
L’hypothèse d’une conversion des ressources guerrières et de la naissance d’une filière d’ascension fesciste a déjà été émise par Richard Banégas dans ses recherches sur les Jeunes Patriotes (Banégas, 2010a et 2010b). Cet article s’inscrit ainsi dans la continuité de ce débat : il confirme et précise certaines analyses par l’apport de données sur les trajectoires post-conflit, en montrant notamment que les reconversions ne sont pas opérantes pour tous les anciens fescistes et que ce sont surtout ceux issus du clan Soro et du RDR qui en bénéficient (par opposition à ceux proches de Charles Blé Goudé et de Gbagbo).
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[9]
Sur un sujet proche, Hellweg et Médevielle montrent qu’il y a une continuité dans les stratégies politiques de positionnement des Dozos en Côte d’Ivoire, et notamment de Koné Zakaria (l’un des commandants de zone durant la rébellion). Ils observent ces pratiques à partir de la période de la rébellion, en les historicisant pour montrer qu’elles s’inscrivent dans une dynamique bien plus longue (voir Hellweg, Médevielle, 2017, notamment p. 43).
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[10]
Je reprends ainsi des questionnements similaires à ceux de Baczko et al. (2016) sur le cas syrien.
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[11]
Le réemploi de la notion de « capital social » (comme capital accumulé durant les années de luttes estudiantines) plutôt que de « capital syndical » par exemple est un choix qui s’inscrit dans l’argumentation d’Érik Neveu (2013) concernant la tendance à la multiplication des formes de capitaux. Son réemploi facilite par ailleurs une analyse comparée des logiques sociales présentes dans des sociétés a priori éloignées.
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[12]
Cette recherche s’appuie sur une enquête réalisée en Côte d’Ivoire, d’abord dans l’ancienne zone rebelle (Bouaké, Korhogo, Katiola) entre mars et mai 2017, où j’ai pu rencontrer d’anciens membres de l’administration rebelle, puis à Abidjan, Bouaké et Abengourou en décembre et janvier 2018, ainsi qu’en avril 2019, où de longs entretiens biographiques ont notamment été menés auprès de 12 membres de l’ancienne Centrale économique rebelle qui sont désormais en poste dans l’administration des douanes, des impôts ou du trésor public. J’ai par ailleurs reconstitué les biographies d’une dizaine d’autres régisseurs par la répétition d’entretiens avec d’anciens membres de la Fesci proches d’eux. Enfin, je m’appuie sur des articles de journaux ivoiriens, sur des données collectées auprès d’acteurs syndiqués dans les douanes ivoiriennes, sur des documents internes au syndicat des douanes ainsi que sur des documents publics liés aux mobilisations et aux actions du syndicat. Cette recherche a bénéficié d’un financement du projet ERC Social Dynamics of Civil Wars (no 669690) soutenu par l’European Research Council (ERC) dans le cadre du programme recherche et innovation de l’Union européenne Horizon 2020.
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[13]
On assiste alors au passage d’un leadership militaire, tenu par IB, à un leadership civilo-politique. Cette transition fut violente et déboucha notamment sur le massacre de Korhogo des 20 et 21 juin 2004.
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[14]
Ce système de prédation a été largement « camouflé » par tout un langage étatique particulièrement rodé et un ensemble de mécanismes bureaucratisés visant à faire apparaître la rébellion comme un mouvement « civilisé ». À ce sujet, voir Popineau (2019).
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[15]
La guerre en Côte d’Ivoire a de nombreuses singularités, et notamment le fait que la violence y ait été relativement faible par rapport à la durée du conflit, essentiellement localisée (dans l’ouest et à Abidjan) et à certaines périodes (au début du conflit en 2002-2003, puis lors de la crise post-électorale de 2010-2011). Ainsi, de nombreux combattants rebelles n’ont pas ou peu combattu et, plus largement, ni les infrastructures, ni l’État, ni l’économie n’ont totalement été détruits durant le conflit. Ces particularités sont centrales en ce qu’elles ont aussi facilité certaines continuités, comme celles observées dans cet article.
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[16]
Si certains n’ont que le BEPC ou le BAC pour les postes peu importants, la plupart des anciens agents des institutions rebelles interrogés lors de mes recherches ont a minima un niveau licence, et très souvent une maîtrise ou des diplômes équivalents.
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[17]
Cette région était par ailleurs l’une des plus lucratives de la zone rebelle, du fait de sa proximité avec la frontière burkinabè et de l’ampleur des transactions commerciales informelles sous la rébellion.
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[18]
Entretien avec un ancien régisseur, Abidjan, 13 janvier 2018.
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[19]
Le choix de ces enquêtés s’explique par leur représentativité par rapport à l’ensemble des anciens fescistesrebelles interrogés. Notons ici que l’absence de femmes est également significative, puisqu’elles étaient peu nombreuses au sein des réseaux actifs de la Fesci, et qu’elles étaient encore moins nombreuses dans les régies financières de la rébellion. Les noms qui figurent dans le tableau ont été anonymisés et respectent les patronymes en fonction de leurs régions d’origine.
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[20]
Si la majorité des anciens fescistes-rebelles ont fait leurs études dans le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, il n’y a pas de réelle homogénéité dans les régions d’origine ni les pratiques religieuses de ce groupe : ils ne forment pas un groupe de musulmans d’origine malinké (nord et nord-ouest). Ils sont catholiques ou musulmans, et appartiennent à la fois aux groupes Mandé, Krou et Voltaïque. Cela montre cependant qu’ils n’appartiennent donc pas aux réseaux, notamment familiaux, du groupe Akan (sud-est), largement favorisés depuis l’indépendance du pays et ce jusqu’au coup d’État de 1999 (date du début de la longue phase d’instabilité et de violence que connaît le pays).
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[21]
La plupart des étudiants originaires du nord de la Côte d’Ivoire était d’abord militants au FPI, mais se sont ensuite ralliés au RDR lors de sa création en 1994, qui, par la présence de cadres originaires du nord du pays comme Alassane Ouattara, constituait de fait un parti largement soutenu par les Ivoiriens du nord.
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[22]
Cette appellation illustre la violence de cette période, notamment sur le campus d’Abidjan où de nombreux étudiants ont trouvé la mort. Pour une description plus précise de cette période, voir Ba (2017, notamment le chapitre 5).
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[23]
L’enquête, menée depuis 2016, soit plus de vingt ans après ces années de militantisme et des années après la rébellion, pose la question de la reconstruction ex-post par les enquêtés de leurs trajectoires de vie. Pour y répondre, je cherche surtout, lors des entretiens, à recueillir des anecdotes et des récits d’épisodes concrets que je peux ensuite recroiser avec d’autres personnes du même groupe, ainsi qu’avec des archives lorsque c’est possible. C’est essentiellement la multiplication des récits de personnes ayant vécu une situation sociale passée similaire qui me permet d’objectiver les données factuelles recueillies sur ces périodes. Toutes les données exposées ici, notamment sur la période d’engagement syndical étudiant, ont été recoupées sur au minimum une vingtaine d’entretiens, effectués avec des personnes ayant vécu les faits, mais aussi avec de « simples » observateurs ou étudiants de l’époque, dont le discours, plus neutre, permet de valider certaines données et d’avoir un regard plus fin sur les potentielles reconstructions ex-post collectives des fescistes.
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[24]
Auquel appartiennent les six enquêtés cités dans le tableau.
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[25]
Les rapports générationnels à la Fesci sont particulièrement centraux dans l’organisation sociale de la Fesci et structurent en grande partie les relations (d’amitié comme de patronage) entre ses membres, ce qui explique aussi que cette interprétation théorique fasse sens dans le contexte ivoirien.
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[26]
Terme émique, employé par les membres de la génération Soro pour parler des fescistes plus jeunes.
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[27]
Si mes recherches montrent que l’engagement à la Fesci est central dans les positionnements de l’administration rebelle, rien ne prouve qu’il soit l’unique déterminant. L’identification d’autres points d’ancrage (locaux, partisans et familiaux) constitue l’une de mes pistes de recherche actuelles.
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[28]
C’est ce qui ressort de nombreux entretiens avec d’anciens agents des institutions rebelles. Sur la construction de la légitimité par les Forces nouvelles, voir Popineau (2019) et Popineau (2016) pour le secteur scolaire.
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[29]
La présence d’anciens fonctionnaires, notamment des impôts, ayant aidé à la restructuration de la zone rebelle après l’arrivée de Soro à la tête de la rébellion est difficile à vérifier, et mes recherches de thèse tentent d’y parvenir. Cependant, cette présence m’a été rapportée par tous les enquêtés ayant directement participé à la réorganisation de la zone à cette période ou ayant fait partie des institutions de la rébellion.
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[30]
Cela fait largement écho aux mécanismes observés par Baczko et al. (2016) sur le capital social révolutionnaire, qui lie à la fois des réseaux anciens et nouveaux, et qui s’objective de la même manière dans certaines institutions de la rébellion.
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[31]
La confection des listes d’intégration mériterait un long développement. Précisons simplement ici qu’elles ont fait l’objet de tractations importantes, dans un contexte de blocage important de l’ascenseur social en Côte d’Ivoire depuis les années 1990. L’ajout de proches et la vente de places ont ainsi été massifs. Concernant l’élaboration des listes d’intégration dans le secteur scolaire, voir Popineau (2016, p. 185-188).
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[32]
Dans le secteur des impôts par exemple, les personnes ayant le BEPC devenaient agents de contrôle, ceux ayant le baccalauréat, contrôleurs, ceux ayant un niveau licence, inspecteurs, et ceux ayant un niveau au-delà, administrateurs.
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[33]
Entretiens avec ces régisseurs, Abidjan, janvier 2018.
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[34]
Entretiens avec d’anciens régisseurs non intégrés, Korhogo, 24 et 25 avril 2017, Abidjan, 12 mai 2017. D’ailleurs, pour expliquer les raisons de sa non-intégration malgré le respect des critères officiels, l’un d’eux m’avait explicitement dit : « Mais, c’est parce que nous, on n’est pas fescistes ! » (Entretien, Korhogo, 25 avril 2017).
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[35]
Entretien avec deux anciens rebelles intégrés aux impôts et au trésor n’ayant pas fait les régies financières rebelles. Abengourou, 23 janvier 2018, Abidjan, 8 janvier 2018.
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[36]
Ces enquêtés sont nés entre 1968 et 1976, et sont donc arrivés à l’université entre 1992 et 1996. Données issues de mes entretiens avec plusieurs membres de cette génération.
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[37]
Dans les douanes, il faut être titulaire du BEPC pour devenir sous-officier, et titulaire du bac pour être officier.
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[38]
Par opposition, ces acteurs sont nés entre 1979 et 1992 et ne sont pas allés à l’université du fait de leur jeune âge au moment de l’éclatement de la guerre. Voir décret no 2014-85 du 10 mars 2014 portant nomination à titre exceptionnel au grade CI dans l’emploi d’agent d’encadrement des douanes.
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[39]
Équivalent du master 2.
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[40]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 11 janvier 2018.
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[41]
Ces questionnements sont d’autant plus légitimes qu’il y a au sein de la Fesci une réelle identité collective commune qui est très puissante et très structurante, et qui amène tout au long des parcours des uns et des autres des solidarités qui se justifient par l’appartenance à la grande famille de la Fesci.
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[42]
On voit que bien que stigmatisés à leur arrivée par les fonctionnaires déjà en place, ces derniers n’ont pas non plus agi radicalement différemment qu’à l’arrivée de fonctionnaires « classiques ». Lors d’un entretien, Zéré Zédou Narcisse m’expliquait ainsi qu’il ne « les condamnait pas » et mettait en avant le fait que les trajectoires des ex-rebelles civils intégrés illustraient une « volonté de devenir quelqu’un », volonté qu’il estimait légitime, dans une société où l’ascenseur social est rouillé et où être reconnu socialement n’est pas donné. Par ailleurs, un point intéressant est que selon lui, le non-ralliement des ex-rebelles au Resafisc s’expliquerait davantage par la conscience des ex-rebelles de ne pas être arrivés à leur poste par une voie légitime, et de, par conséquent, ne pas vouloir faire trop de bruit. À la fin de l’entretien, il m’expliqua finalement que les ex-rebelles avaient également reçu des pressions allant dans ce sens, de la part de leur hiérarchie, et qui serait, selon lui, la raison principale de leur « timidité syndicale ». Entretien, Abidjan, avril 2019.
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[43]
Ce nombre correspond à la première vague d’intégration des anciens rebelles aux douanes ivoiriennes. Notons que cet article se focalise uniquement sur cette vague d’intégration, car la seconde vague de 1 922 ex-combattants intégrés en 2015 s’inscrit dans le cadre du processus de DDR, et intègre ainsi moins d’anciens régisseurs que d’anciens combattants. Elle comprend en outre des acteurs aux trajectoires diverses (dont des démobilisés pro-Gbagbo), ce qui la rend moins pertinente pour interroger le rôle de la Fesci et de la rébellion dans les trajectoires des enquêtés. Voir [www.connectionivoirienne.net/108612/cote-divoire-douanes-2000-ex-combattants-integres].
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[44]
Les douaniers intégrés recevaient par contre les primes que reçoivent les douaniers ivoiriens toutes les deux semaines environ, allant de 100 000 à 120 000 francs CFA. Ils ont donc continué à travailler malgré l’absence de salaire mensuel, avec souvent l’aide financière et matérielle de parents.
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[45]
Globalement, les agents des différentes institutions rebelles étaient traités de « mécaniciens, de cordonniers, de vagabonds » (Entretien avec un ancien enseignant volontaire en zone rebelle, 1er mars 2016), intégrés dans des institutions au rabais.
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[46]
La proximité des noms des deux instances syndicales citées (RSDCI et RESAFISC) n’est pas volontaire. D’ailleurs, les entretiens effectués avec des membres des deux instances montrent que les acteurs n’étaient souvent pas informés de l’existence de l’autre.
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[47]
Statuts du RSDCI, document interne, p. 4-8.
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[48]
Entretien avec un capitaine des douanes intégré, membre fondateur du RSDCI, Abidjan, 13 janvier 2018.
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[49]
Lettre du directeur de cabinet du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative au président du Comité des agents des douanes issus de l’APO, 19 février 2014, document interne.
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[50]
Préavis de grève envoyé par le Comité des agents de douanes issus de l’APO au directeur général des Douanes, 24 septembre 2014, document interne, souligné par l’autrice.
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[51]
Aboubacar Al Syddick, « Bouaké : mouvement de protestation. Les douaniers arrêtent le travail et lancent une mise en garde », L’Intelligent d’Abidjan, non daté.
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[52]
Nom donné à la génération des 1 922 douaniers intégrés en mars 2015.
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[53]
Harry Diallo, « Douanes ivoiriennes. Un syndicat projette une grève illimitée à partir de fin août », Propos recueillis par l’auteur à Yamoussoukro, L’intelligent d’Abidjan, lundi 14 et mardi 15 août 2017, p. 8, souligné par l’autrice.
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[54]
Pétition RSDCI, document interne.
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[55]
Entretien avec le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI, Bouaké, 20 janvier 2018. Ces informations sont également issues de tableaux de répartition de l’argent des heures supplémentaires que l’enquêté m’a montrés pendant l’entretien.
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[56]
Procès-verbal de la rencontre à la Brigade spéciale des douanes, Yopougon-Gesco, 7 octobre 2017, document interne.
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[57]
Par exemple au directeur général des Douanes (26 novembre 2014) et au président du conseil d’administration de la Mutuelle générale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire, MUGEFCI (11 juillet 2016), documents internes.
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[58]
Lettre d’information envoyée par le secrétaire général du RSDCI au DGD, 9 octobre 2017, document interne, souligné par l’autrice.
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[59]
Entretien avec le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI, Bouaké, 20 janvier 2018.
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[60]
Le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI a ainsi été d’abord convoqué par le commissariat de police du port autonome d’Abidjan le 6 novembre 2017, puis par la direction de la police criminelle le 12 décembre pour une audience au tribunal de première instance du plateau. Le secrétaire général du RSDCI a également reçu les mêmes convocations (documents internes).
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[61]
La Fesci est en effet vue comme une école syndicale très violente mais qui de fait parvient souvent à obtenir gain de cause à ses revendications grâce à la présence de militants réellement combatifs, d’où le possible espoir créé par leur arrivée dans les douanes pour certains douaniers déjà en place.
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[62]
La mise en avant d’une identité fesciste est également renforcée par la stigmatisation qu’ils reçoivent à leur arrivée puisque celle-ci justifie la mise en avant d’une autre identité que celle rebelle.
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[63]
Plutôt que de voir une distinction entre un capital social et un capital militant, il aurait également été possible de parler de deux composantes du capital militant : relationnelle (solidarités militantes, réseaux) et technique (savoir-faire de mobilisation). Lue ainsi, la situation interrogerait alors sur la convertibilité différenciée de certains aspects d’un même capital au sein de différents champs. En effet, on pourrait penser que le passage dans le champ étatique post-conflit autorise surtout la reconversion d’une des composantes du capital militant, à savoir celle relationnelle. Le capital militant « technique » serait alors surtout reconvertible dans le champ syndical (désormais professionnel), alors que l’aspect social du capital militant aurait une convertibilité plus large (voir la dernière section de cet article). Cependant, deux éléments nuancent cette réflexion. D’une part, le capital militant tel que défini par Matonti et Poupeau (2004, p. 7) n’a pas de dimension relationnelle (le cas ivoirien est ainsi une invitation à le considérer et à peut-être élargir la définition initiale donnée par les auteurs), et d’autre part, dans le cas des douanes, c’est le capital militant compris dans ses composantes technique et social qui est reconverti dans les douanes ivoiriennes post-conflit, ce qui affaiblit l’hypothèse d’une conversion différenciée de certains aspects d’un même capital en fonction du champ. Enfin, dans notre exemple, le capital social est à distinguer en ce que le réseau et les solidarités qui structurent la mobilisation syndicale dans le champ étatique est à la fois issu de la période fesciste et de celle rebelle, rendant ainsi délicate la centralisation au sein d’un même capital de variations et de dimensions si diverses dans leurs teneur et leurs modes d’accumulation.
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[64]
Entretien avec un inspecteur des impôts, Abidjan, 12 janvier 2018.
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[65]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 11 janvier 2018.
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[66]
Extrait de carnet de terrain. Abidjan, Cocody, 8 janvier 2018. Domicile de Kéagnoun Basile, administrateur du trésor à Abidjan.
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[67]
Sa démission entre dans un contexte de tensions croissantes à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2020, entre les anciens membres de la rébellion et le RDR, parti arrivé au pouvoir en 2011 grâce à la rébellion [www.rfi.fr/afrique/20190208-cote-ivoire-guillaume-soro-demissionne-presidence-assemblee-nationale].
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[68]
Entretien, Abidjan, 11 janvier 2018.
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[69]
Entretien, Abidjan, 8 janvier 2018.
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[70]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 17 septembre 2018.
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[71]
Étaient présents notamment Eugène Djué, membre fondateur de la Fesci et des Jeunesses FPI, Jean Blé
Guirao, ancien leader de la Fesci, ou encore Fulgence Assi, SG de la Fesci à cette date. -
[72]
Comme j’ai pu l’observer lors d’un terrain de septembre à octobre 2018 à Abidjan, Man, Séguéla et Bouaké.
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[73]
Les candidats soutenus étaient pour la plupart des candidats indépendants, non reliés aux partis traditionnels. On voit se multiplier les candidatures indépendantes depuis plusieurs années, et l’organisation parallèle de mouvements favorables à Guillaume Soro, qui est en conflit croissant avec le RDR, n’y est pas pour rien. Cela révèle en effet une baisse d’influence des partis politiques traditionnels et les proches de Soro jouent sur cette tendance, en comparant d’ailleurs souvent Guillaume Soro à Emmanuel Macron (entretiens informels réalisés lors de l’élection présidentielle française en mai 2017 à Abidjan).
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[74]
Source : Archives de Kida Firmin.
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[75]
Cela se voit au regard de l’ensemble des structures se disant apolitiques mais créées par des amis de Soro passés par la rébellion, et visant discrètement à mobiliser les Ivoiriens dans l’attente de la présidentielle de 2020. Le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI) du député Soro Kanigui, ancien chef du cabinet civil de la région de Korhogo pendant la guerre et ami de Guillaume Soro, en est un des exemples les plus parlants.
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[76]
Peu de travaux existent sur le sujet, mais les alliances ayant existé entre le Syndicat agricole africain d’Houphouët-Boigny et le pouvoir colonial dès les années 1950 témoignent du lien important en Côte d’Ivoire entre le champ syndical et politique. Cependant, ce lien s’est progressivement atténué du fait de la répression croissante des mouvements syndicaux à partir des années 1990 (voir Losch, 2000, notamment p. 11, n. 51). Sur les trajectoires d’ascension dans le syndicalisme enseignant, voir également Popineau (2017).
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[77]
Nous utilisons ici des catégories utilisées pour décrire le champ politique français, notamment celles utilisées par Dogan (1967).
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[78]
Banégas et Akindès (2008) ont par ailleurs montré également que la Fesci était une voie d’entrée au concours de l’ENA du fait notamment de son influence sur le monde estudiantin. Ces données sont plus précisément issues des enquêtes menées par Richard Banégas, Alain Toh et Souleymane Kouyaté en février-mars 2008, dont certaines ont été publiées dans Akindès, Banégas (2008, p. 149-151). De ce point de vue, il y a une sorte de continuité dans les modes de recrutement dans l’État en Côte d’Ivoire (Popineau, 2019).
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[79]
La violence exercée par les fescistes durant leurs années étudiantes s’exprimait de manière multiple, allant des affrontements extrêmement violents avec les forces policières sur le campus, aux techniques d’intimidation, de séquestration, ainsi qu’un usage routinier des négociations musclées avec les autorités et une forme d’« ethos guerrier » (Banégas, 2010b) qui s’illustre, entre autres, par les noms de grades militaires donnés aux militants (par exemple, le secrétaire général est appelé « général »). C’est l’ensemble de ces pratiques, mais aussi l’aura et la réputation de « guerriers » qu’ont les fescistes qui sont reconvertis au sein des institutions, en ce qu’elles les rendent légitimes à mener les luttes, qu’elles soient syndicales ou politiques. Si la violence fesciste est souvent condamnée par la population, il est néanmoins admis que les fescistes sont des militants allant au bout de leurs idées, et ce par tous les moyens, y compris violents.
1L’accord politique de Ouagadougou de 2007 annonce l’intégration de milliers d’anciens membres de la rébellion des Forces nouvelles (FN, formée en 2002) dans l’État ivoirien, et notamment l’intégration de centaines de rebelles au sein des douanes, des impôts et du trésor public [1]. Ce processus d’intégration, loin d’être une exception dans les dispositifs institutionnels de sortie de guerre [2], offre un cadre heuristique pour reposer le débat sur l’hypothèse continuiste de la guerre. Cette hypothèse a une double généalogie. D’un côté, la thèse de la brutalisation des sociétés suite aux violences de guerre (Mosse, 1999) a eu un écho auprès d’auteurs comme Kaldor et Kaplan, pour qui les conflits africains auraient connu une évolution radicale dans les années 1990, qu’ils décrivent sous le prisme de l’anarchie, de l’avidité, de la prédation et de la barbarie (Kaplan, 1994 ; Enzensberger, 1994 ; Kaldor, 1999). En réaction, des recherches contemporaines ont insisté sur le caractère non exceptionnel (Richards, 2005) des mécanismes sociaux et politiques observables dans les guerres (Lindhart, Moreau de Bellaing, 2013 ; Buton et al., 2014). Ces chercheurs ont développé une « hypothèse de continuité » en s’appuyant notamment sur l’idée que l’État n’est pas l’acteur central des changements de la société (Migdal, 2001 ; Migdal, Schlichte, 2005), que ce dernier est une force parmi d’autres qui essaie de maintenir un monopole de la violence (Raeymaekers et al., 2008) et qu’il est en perpétuelle négociation avec un ensemble d’acteurs (Lund, 2006 ; Hagmann, Péclard, 2010). La guerre n’est plus qu’un moment où l’État est davantage concurrencé et où émergent des formes de gouvernement plus négociées. D’un autre côté, cette vision de la guerre comme « continuum » a également fait couler de l’encre chez les sociologues et socio-historiens de la Grande guerre. En effet, la notion de culture de guerre (Audoin-Rouzeau, Becker, 2000), qui venait prolonger la notion de brutalisation en présentant la violence comme assumée et non plus simplement subie, a été largement critiquée par des auteurs qui ont montré que la culture ne serait pas un facteur explicatif de la violence, mais que les modes d’engagement et les pratiques durant la guerre étaient déterminés par les socialisations antérieures des combattants (Mariot, 2003, 2013).
2En somme, si ces auteurs abordent la continuité sous des perspectives différentes (la trajectoire sociale comme facteur explicatif de la violence interroge essentiellement la continuité entre l’avant-guerre et la guerre, tandis que les africanistes ont mis l’accent sur des dynamiques méso-sociologiques qui questionnent les continuités entre avant, pendant et après la guerre), ces recherches ont contribué à banaliser l’idée que l’ordre social pendant la guerre n’était pas complètement nouveau et que la guerre ne constituait finalement pas nécessairement un moment de rupture des logiques ordinaires (Duclos, 2010, p. 27). On peut cependant supposer que ces travaux fondateurs ont peut-être eu pour effet de trop fermer la question de la nature des transformations sociales liées aux conflits armés. Pour ainsi dire, le retour à l’étude de l’ordinaire de la guerre prend le risque de passer sous silence l’existence de phénomènes et de logiques nouvelles, ou du moins modifiés par l’épisode guerrier. La recherche exposée dans cet article interroge l’hypothèse de continuité en opérant un double décalage, à la fois dans le type d’acteurs étudiés (rebelles civils et non plus combattants [3]) et dans le caractère ordinaire de l’institution et des pratiques post-conflit étudiées (pratiques syndicales et politiques dans les régies financières). Autrement dit, je montre qu’après la guerre, il y a des reconversions de capitaux ainsi que des variations de trajectoires sociales qui sont à la fois façonnées par le passage par la rébellion mais qui s’appuient aussi sur des trajectoires sociales antérieures [4]. Ce décalage dans l’objet étudié est par ailleurs utile en ce qu’il questionne les transformations de l’État et de l’administration par la guerre, et ouvre ainsi le dialogue entre sociologie des guerres civiles et sociologie des institutions [5]. L’analyse des trajectoires des rebelles civils et de leurs pratiques une fois intégrés permet tout d’abord de questionner les carrières administratives en Afrique. De nombreux chercheurs ont étudié les trajectoires des hommes et femmes politiques et les différentes voies permettant de faire une carrière politique en France (Dogan, 1967 ; Gaxie, 1983, 1986 ; Gaïti, 1985 ; Offerlé, 1996 ; Mathiot, Sawicki, 1999a, 1999b ; Boelaert et al., 2017). Un des éléments intéressants de ces études est l’analyse de l’évolution dans le temps des filières d’accès aux postes de politiques (Eymeri-Douzans et al., 2015). Identifier des moments de rupture est alors heuristique pour comprendre comment se compose et se recompose le personnel politique, et à cet égard, il est utile de lire la guerre comme potentiel moment de rupture de certains sentiers d’ascension politique. L’expérience de la guerre peut notamment devenir une ressource politique, comme cela a été montré à propos des résistants de l’après-1945 en France (Abélès, 1997). Le fait que Guillaume Soro et Charles Blé Goudé, les deux patrons du principal syndicat étudiant ivoirien (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, Fesci [6]) entre 1995 et 2000 soient devenus deux des protagonistes centraux de la guerre, l’un prenant la tête de la rébellion, et l’autre celle de la milice pro-Gbagbo des Jeunes Patriotes (Banégas, 2007), témoigne de l’intérêt d’une recherche sur la place du syndicalisme étudiant dans les carrières politiques en Côte d’Ivoire. Assiste-t-on, après la guerre, à une évolution des trajectoires d’accès au politique et aux postes administratifs après la guerre ? Dans quelle mesure la guerre modifie-t-elle le personnel étatique ? Par exemple, l’intégration des rebelles à des postes de fonctionnaire amène-t-elle à une politisation de ces nouveaux administrateurs [7] ? Dans un contexte historique où le syndicalisme a constitué une voie d’ascension sociale importante, l’une de mes hypothèses est le passage par un syndicat étudiant comme nouvelle filière d’accès au champ politico-administratif ivoirien pendant et après la guerre [8]. En effet, la question du syndicalisme comme creuset de l’ascension sociale après la guerre se pose d’autant plus que les liens entre syndicalisme et administration ont été très peu étudiés (Quijoux, Yon, 2018) sur le continent africain, de même que les passerelles entre syndicalisme étudiant et professionnel, relativement ignorées également par la sociologie française (Carboni, 2008). Finalement, cet article propose certaines clés de lecture de la composition et de l’évolution des élites administratives et politiques en Côte d’Ivoire, dans le contexte post-conflit, et des mécanismes de conversion des ressources. Tout en interrogeant les continuités et les ruptures introduites par la guerre [9], je montre que l’intégration des rebelles civils aux régies financières de l’État est un moment de conversion des ressources accumulées avant et pendant la guerre en postes administratifs, mais que la capacité ensuite à reconvertir leurs expériences passées en capital symbolique pour s’investir dans les luttes syndicales et politiques dépend largement du volume de leur capital social (Bourdieu, 2000, p. 237). Considérant l’importance de ce dernier dans la constitution d’un capital politique, symbolique et économique (Cousin, Chauvin, 2010 ; Lenoir, 2016), j’étudie ainsi l’évolution et les modes de conversion de leur capital social avec l’arrivée de la guerre civile [10]. Plus précisément, je m’intéresse à une forme particulière de capital social, celui accumulé par les rebelles civils au sein de la Fesci, par laquelle ils sont passés dans les années 1990 [11]. Je montre dans une première partie que durant les années 1990, un groupe de syndicalistes étudiants a accumulé un capital social important qui va être converti dans des postes au sein des institutions financières de la rébellion à partir de 2004, et que le passage par ces institutions et l’expérience de la rébellion amènent à l’accumulation d’un autre capital social, rebelle, qui est fait à la fois des réseaux de la Fesci et de ceux de la rébellion. C’est en partie ce nouveau capital social qui va permettre aux acteurs d’intégrer en 2011 les régies financières de l’État de Côte d’Ivoire. Ainsi, les institutions rebelles sont à la fois le lieu de conversion et d’accumulation du capital social. Ma seconde partie vise ensuite à montrer que ce nouveau capital social se convertit différemment selon les rebelles intégrés. Certains utilisent ce capital social pour se mobiliser sur le plan syndical dans les institutions étatiques, alors que d’autres reconvertissent ce capital social en capital symbolique qui légitime la mobilisation politique sur le plan local et national. Je montre que ces différences dépendent notamment du volume de capital social accumulé pendant les années estudiantines et rebelles [12].
L’intégration au prisme des réseaux syndicalistes étudiants et rebelles
3Cette partie vise à montrer qu’un groupe de syndicalistes étudiants connaît une double intégration, d’abord en 2002, avec l’éclatement de la guerre, dans les institutions de la rébellion armée dans le nord du pays, puis en 2011, avec le processus de sortie de conflit, dans les institutions de l’État ivoirien. En mobilisant les outils analytiques autour du capital social (accumulation, objectivation, conversion), je montre que l’entrée en guerre et le processus d’intégration propre aux accords de sortie de guerre sont des sites de conversion et que la guerre n’efface donc pas complètement certaines logiques de reproduction sociale.
Le capital social fesciste comme condition d’accès aux institutions rebelles
4La guerre en Côte d’Ivoire éclate le 19 septembre 2002, après qu’un groupe de forces armées rebelles a échoué à prendre le pouvoir par un coup d’État. Cette rébellion, qui prendra ensuite le nom de Forces nouvelles, se territorialise alors sur la partie centre-nord-ouest du pays, scindant le pays en deux, avec, au sud, les forces loyalistes fidèles au président Laurent Gbagbo. Le conflit éclate dans le contexte singulier de montée des discours ivoiritaires (Dozon, 2000 ; Losch, 2000 ; Bayart, Geschiere, 2001 ; Marshall-Fratani, 2006) à partir de l’accession d’Henri Konan Bédié au pouvoir en 1995. La politique de l’ivoirité excluait du pouvoir toute personne n’étant pas née de parents ivoiriens, et a évolué vers une conception de plus en plus restrictive de l’appartenance à la nation où les Ivoiriens originaires du nord de la Côte d’Ivoire étaient exclus des postes de pouvoir. Avec l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir en octobre 2000, l’ivoirité devient la base d’une politique répressive violente d’exclusion et de discrimination des nordistes considérés comme « étrangers ».
5Dans ce contexte, la rébellion des FN a notamment pour revendication la réorganisation des élections présidentielles en réintégrant les candidats exclus du fait de leur origine nordiste, et notamment Alassane Ouattara (actuel président). Si la rébellion est d’abord le fait d’un groupe de militaires exilés au Burkina Faso suite aux répressions subies par le régime de Robert Gueï (Banégas, Otayek, 2003) et formés sous la houlette de Blaise Compaoré, les FN voient émerger en leur sein un groupe d’étudiants mené par Guillaume Soro, ancien secrétaire général de la Fesci, syndicat étudiant aux modes d’action particulièrement violents. Ce dernier parvient à s’imposer face au premier leader de la rébellion, Ibrahim Coulibaly (dit « IB »), en 2004, où il passe alors de porte-parole de la rébellion à secrétaire général des Forces nouvelles [13]. Soro amorce à son arrivée une forte restructuration de la rébellion ainsi qu’une évolution dans le profil des agents recrutés par les administrations civiles de celle-ci. Il entreprend notamment une réorganisation économique de la zone rebelle et la mise en place de dix régies régionales liées à une Centrale économique, sorte de ministère de l’Économie qui fut au cœur du système de prédation de la rébellion [14]. D’une zone rebelle largement contrôlée par la branche militaire, on passe à une cogestion civilo-militaire où les institutions politiques, civiles et économiques se développent [15] et sont gérées par d’anciens syndicalistes étudiants de la Fesci au capital scolaire relativement important [16].
6C’est dans ces institutions créées par Guillaume Soro que s’objective le capital social accumulé par les syndicalistes durant leurs années de militantisme étudiant et de lutte pour l’instauration du multipartisme. Les dix régisseurs régionaux de la rébellion sont en effet d’anciens militants à la Fesci qui ont connu Guillaume Soro en tant que secrétaire général (1995-1998). Plus largement, les régisseurs, y compris les petits régisseurs locaux, sont pour la plupart passés par le syndicat à la fin des années 1990. Une fois nommés, les principaux régisseurs ont ainsi fait jouer les solidarités fescistes dans le recrutement des nombreux agents de taxation et des contrôleurs. La régie de Korhogo par exemple, qui avait à sa tête un ancien fesciste, comptait un nombre significatif d’anciens du syndicat étudiant [17]. L’importance des solidarités fescistes dans le système de recrutement des rebelles s’illustre également par une exception : lors des entretiens, les régisseurs ont mis l’accent sur le fait qu’un des leurs n’avait pas été solidaire envers les fescistes dans le recrutement au sein de sa régie. Selon un enquêté, c’est le seul à ne « pas [avoir] été très solidaire » et qu’il avait même refusé par moments d’embaucher « [leurs] petits », c’est-à-dire les jeunes de la Fesci [18]. D’ailleurs, l’observation des relations amicales actuelles de ces anciens régisseurs montre que ce dernier est relativement exclu du groupe, et cela pourrait être lié à son manque de solidarité, acte particulièrement mal vu à la Fesci où règne l’idée que le nombre fait la force.
7Le capital social fesciste qui a structuré le recrutement des régisseurs de la zone rebelle a été accumulé dans des lieux relativement précis, au sein de l’Université de Bouaké (centre). Le tableau suivant résume ces lieux à travers l’exemple de six enquêtés ainsi que les dates d’entrée à l’université et les postes obtenus dans la rébellion [19].
Lieux de rencontre et d’accumulation du capital social par les anciens régisseurs de la rébellion
Nom | Année de naissance | Entrée à l’université | Section syndicale à la Fesci de Bouaké et poste syndical | Poste dans la rébellion |
---|---|---|---|---|
Traoré Issouf | 1975 | 1996 | Section sciences économiques de Bouaké, secrétaire à l’information. | Régisseur adjoint puis régisseur régional à Man. |
Moussa Ouattara | 1975 | 1995 | Section droit de Bouaké, secrétaire à l’organisation adjoint. Puis Section campus 1, secrétaire à l’organisation et vice-président de la Coordination centre-nord. | Régisseur local dans la région de Korhogo. |
Meité Lassina | 1976 | 1996 | Section sciences économiques de Bouaké, secrétaire financier adjoint. | Régisseur local dans la région de Korhogo. |
Koffi Stéphane | 1975 | 1996 | Section campus 1 de Bouaké, secrétaire général adjoint, sous Kida Firmin. | Régisseur régional de Katiola. |
Kida Firmin | 1971 | 1992 | Section campus 1 de Bouaké, secrétaire général. | Régisseur régional à Bouaké puis secrétaire général chargé des victimes de guerre (à partir de 2008). |
Sanguié Paul | 1971 | 1992 | Secrétaire à l’organisation de la Coordination centre-nord. | Régisseur du corridor sud de Bouaké, puis du corridor de Djébonoua, puis régisseur du port sec de Bouaké. |
Lieux de rencontre et d’accumulation du capital social par les anciens régisseurs de la rébellion
8L’analyse des postes tenus par les anciens régisseurs rebelles que j’ai rencontrés montre qu’ils ont pour beaucoup appartenu à des instances communes lors de leurs années de militantisme à la Fesci, liées aux réseaux fescistes du nord du pays : ils étaient membres du syndicat au sein de l’Université de Bouaké, et ont donc fait partie du réseau de la Coordination centre-nord (CCN) de la Fesci, organe important dans les années 1990 qui rassemblait notamment les responsables de sections universitaires et scolaires des régions centre et nord (deux régions sous contrôle de la rébellion pendant la guerre) et se réunissait très régulièrement [20]. Ils ont ainsi appartenu aux mêmes bureaux syndicaux, et notamment à ceux de la section du campus 1 et de la section sciences économiques de Bouaké, ainsi que celui de la CCN. Par ailleurs, le contexte virulent de la lutte pour le multipartisme leur a également donné l’occasion de militer et de manifester conjointement et de se socialiser ensemble aux partis d’opposition politique (FPI de Gbagbo et RDR de Ouattara) [21]. Enfin, leur année d’entrée montre qu’ils ont pour la plupart connu Guillaume Soro au poste de secrétaire général de la Fesci, et ils ont tous soutenu ce dernier lors du conflit meurtrier qui divisa la Fesci en 2000.
9En effet, le mouvement fesciste se fracture suite à une scission violente entre les militants partisans du FPI de Laurent Gbagbo (menés par Charles Blé Goudé) et ceux du RDR d’Alassane Ouattara (appelés « la dissidence », à laquelle appartient Soro), qui s’affrontent sur les campus universitaires lors de ce que l’on appelle la « guerre des machettes [22] » (Ba, 2017). Cette rupture interne se cristallise avec l’éclatement de la crise ivoirienne en septembre 2002 quand une partie des membres et anciens membres de la Fesci s’engagent dans les milices Jeunes Patriotes (pro-Gbagbo), alors que l’autre participe à la rébellion des Forces nouvelles qui prend le pouvoir dans le nord du pays. Ces éléments sont utiles pour comprendre le degré d’investissement et le volume de temps passé à militer, à faire des réunions, à manifester, que ce soit au sein de leurs bureaux syndicaux universitaires à Bouaké, comme dans les mouvements d’opposition politique au pouvoir en place auprès des partis d’opposition, ou encore contre les pro-Blé Goudé pendant la « guerre des machettes ». Ces espaces leur ont ainsi permis d’accumuler un certain capital social « fesciste », c’est-à-dire un large réseau au chevauchement des mondes estudiantin et politique [23].
10Un autre élément montre comment les institutions financières de la rébellion sont le lieu où s’objective le capital social fesciste. En effet, les postes obtenus au sein des régies financières de la rébellion sont corrélés au degré d’investissement dans les luttes estudiantines décrites plus haut. Plus les acteurs se sont investis dans ces luttes, plus leur place dans la hiérarchie des finances rebelles est haute. Il y a donc deux groupes au sein des fescistes ayant intégré la rébellion : les fescistes de la génération de Soro [24], et les fescistes plus jeunes [25]. Les six enquêtés décrits dans le tableau appartiennent ainsi à la génération Soro et ont vécu particulièrement intensément tous les événements cités, dans la seconde moitié des années 1990. À l’inverse, certains enquêtés ont bien été militants à la Fesci mais au lycée, car ils n’avaient pas encore l’âge pour aller à l’université au moment où Soro dirige le syndicat, ni même lorsqu’éclate la guerre. S’ils ont aussi suivi les turbulences des mouvements lancés par la Fesci, ils n’ont de fait pas accumulé autant de capital social que la première génération. C’est en partie ce qui explique que ces « petits [26] » ont accédé à des postes moins prestigieux au sein des régies financières (avec des grades de chefs de postes ou bien de régisseurs locaux mais dans des régies peu lucratives), et ces différences sont intimement liées au fait que ce groupe plus jeune avait moins de capital social fesciste, n’ayant pas réellement milité dans les espaces centraux d’accumulation de ce capital décrits plus haut [27].
11On voit qu’il y a une conversion du capital social fesciste en positions dans les institutions financières, plus ou moins réussie en fonction du volume de capitaux accumulé au préalable. Les régies sont également le lieu de formation d’un nouveau capital social accumulé cette fois-ci dans la rébellion des Forces nouvelles.
La formation d’un capital social rebelle durant la guerre et son influence dans la reconversion en postes étatiques
12À partir de la réorganisation de la zone effectuée par Guillaume Soro en 2004, les institutions et les réunions se sont multipliées pour deux raisons. D’abord, les FN ont cherché à se structurer pour gagner en légitimité et montrer leur capacité à « tenir » leur territoire [28]. D’autre part, cette réorganisation est intimement liée à la formation d’une branche civilo-politique du mouvement, orchestrée par Guillaume Soro et soutenue par un ensemble d’acteurs aux capitaux scolaires importants : à la fois les anciens fescistes de la génération Soro et des acteurs proches des réseaux du RDR d’Alassane Ouattara, souvent anciens fonctionnaires, venus explicitement aider à la structuration de la zone rebelle [29]. Durant les neuf années de conflit (2002-2011), les rebelles civils ont ainsi passé des centaines d’heures au sein de leurs institutions respectives, que ce soit dans les régies régionales et locales (à signer des autorisations, à créer des liens avec les chefs locaux pour légitimer leur présence, mais aussi à négocier parfois âprement leur présence auprès de militaires rebelles réfractaires), dans les postes de douane, mais également dans des instances centralisées comme le secrétariat général des Forces nouvelles ou la Centrale économique, toutes deux situées à Bouaké, la capitale de la rébellion, où se tenaient de nombreuses réunions à partir de 2004 avec des membres des différentes branches civiles et militaires de la rébellion (Popineau, 2019). Les acteurs ont ainsi accumulé un capital social par le contact prolongé avec à la fois les chefs militaires et civils, et ont progressivement développé un esprit de corps lié à l’existence d’une cause commune et d’une lutte contre la stigmatisation dont ils étaient la cible de la part des Ivoiriens vivant en zone gouvernementale. Contrairement au capital social fesciste, le capital social rebelle a la particularité de lier des réseaux de sociabilité à la fois étudiants, militaires et partisans (à travers la présence de certains membres du RDR), et de générations différentes.
13Cependant, il faut voir que ce capital social est intimement lié à des réseaux déjà constitués avant la guerre, et notamment aux réseaux de la Fesci. Ainsi, pour les rebelles civils intégrés aux régies étatiques, il semble plus correct de parler d’un capital social, que l’on peut définir comme un double capital, accumulé d’abord dans le syndicalisme étudiant, puis renforcé par l’expérience commune de la rébellion et de ses institutions [30]. L’existence de ce capital peut s’illustrer par deux dynamiques distinctes. D’abord, les acteurs qui le possèdent réussissent à le convertir en positions administratives à l’intérieur de l’État après la guerre. Les accords politiques de Ouagadougou signés en mars 2007 prévoient l’intégration des anciens membres des régies rebelles dans les institutions des douanes, des impôts et du trésor, et constituent un espace de conversion des capitaux accumulés pendant la guerre [31]. Si la participation aux régies rebelles et le respect des conditions générales d’entrée à la fonction publique ivoirienne (le diplôme et l’âge) sont les critères officiels pour accéder à l’intégration [32], ces éléments ne suffisent pas à expliquer leurs ascensions respectives dans l’État. Certes, les régisseurs que j’ai rencontrés sont largement diplômés : par exemple, les régisseurs régionaux de Katiola, Bouaké, Man et de Korhogo ou encore le régisseur du marché de gros de Bouaké ont une maîtrise de science économique [33], et d’autres ont également des diplômes en marketing, management ou en gestion. Mais cela n’explique qu’en partie leur recyclage dans les institutions étatiques : d’une part tous les acteurs ayant travaillé dans les régies de la rébellion n’ont pas été intégrés (même s’ils répondaient aux critères officiels) [34] et deuxièmement, tous les acteurs intégrés dans les régies étatiques n’ont pas été à proprement parler régisseurs au sein de la rébellion [35]. L’analyse des profils des différents cas montre que, d’une part, tous les enquêtés réunissant les critères mais n’ayant pas été intégrés ne sont pas passés par l’école de la Fesci. À l’inverse, un des points communs aux acteurs intégrés aux régies malgré le fait qu’ils ne respectaient pas les critères est qu’ils sont d’anciens militants particulièrement actifs de la Fesci et membres de la génération de Soro. Ainsi, plus que le seul passage par la rébellion, le passage par la Fesci apparaît central dans la reconversion post-conflit.
14Ensuite, les hiérarchies fescistes, en termes d’âge et d’appartenance générationnelle, se retrouvent quasi automatiquement dans le niveau de grade obtenu au sein de l’État, rappelant l’adéquation entre niveau d’intégration dans la Fesci et grade obtenu dans la rébellion. En effet, les anciens fescistes ayant eu le plus grand investissement dans le syndicat, c’est-à-dire la génération de Soro [36], ont obtenu les postes les plus haut placés d’inspecteurs et d’administrateurs dans les douanes, les impôts et le trésor. À l’inverse, alors qu’une grille officielle existe pour déterminer l’équivalence des grades en fonction des diplômes [37], de nombreuses personnes n’appartenant pas à la génération de Soro ont été déclassées. Par exemple, dans les douanes, nombreux sont titulaires d’un bac et ont pourtant obtenu le grade de sous-officier au lieu d’officier. Or, les anciens fescistes dans cette situation appartiennent au groupe des « petits » encore au lycée lorsqu’ils militaient pour le syndicat, et sont donc ceux les moins pourvus en capital [38]. Dans le cas du trésor public, les liens entre positions sociales dans le syndicat étudiant, dans la rébellion puis dans l’État sont encore plus frappants. Par exemple, Kéagnoun Basile arrive à l’Université de Bouaké en 1995 où il étudie les sciences économiques. Il devient secrétaire général de la section sciences économiques et numéro 2 de la Coordination centre-nord de la Fesci. Titulaire d’un DEA [39], il intègre la rébellion en tant que secrétaire exécutif du cabinet de Soro, à la direction des affaires générales. Après la guerre, il devient administrateur du trésor à Abidjan, le plus haut grade des agents du trésor public. Si Kéagnoun a un diplôme dans une spécialité qui convient au grade qu’il obtient dans l’État, il semble compliqué de ne pas tenir compte de son passage par les lieux d’accumulation du capital social évoqués pour la génération de Soro (le bureau de la section science économique et la Coordination centre-nord) pour expliquer, au moins en partie, son grade de haut fonctionnaire actuel, et ce d’autant que l’intégration au trésor public a été spécifique dans la mesure où seule une poignée de personnes a été intégrée et ce sur nomination par décret signé par le Premier ministre d’alors, Guillaume Soro. Le passage par des postes importants de la Fesci de Bouaké puis par le cabinet de Guillaume Soro au sein des Forces nouvelles montre bien qu’en plus du diplôme, le capital social acquis dans le syndicalisme étudiant puis dans la rébellion facilite l’accès aux postes centraux de l’État.
15Enfin, un dernier élément illustre particulièrement bien l’existence et la force de ce capital social fesciste-rebelle, en en soulignant les effets post-conflit. En effet, ma recherche montre que les solidarités syndicales professionnelles au sein des régies financières que les rebelles ont intégré sont en partie structurées par ces réseaux hérités de la guerre. Dans les impôts et le trésor, les rebelles civils intégrés ne créent pas de syndicat à leur arrivée, ni ne se syndicalisent au sein de structures existantes. Une des raisons qui ressort des entretiens est la méfiance des anciens fescistes rebelles vis-à-vis des anciens fescistes du côté pro-Gbagbo. Les divisions internes à la Fesci en 2000 (la guerre des machettes), cristallisées par la situation de guerre civile, semblent rejaillir dans le contexte du syndicalisme ordinaire post-conflit. On pourrait penser que la présence au sein d’une même institution d’anciens fescistes de la même génération (ayant connu Soro au secrétariat général, puis Blé Goudé, entre 1995 et 2000), ayant des modes d’action communs et ayant reçu une socialisation commune les mobilisations estudiantines violentes, pourrait donner lieu à des alliances sur le plan syndical professionnel.
16Pourtant, malgré l’existence d’un syndicat des impôts mené par d’anciens fescistes (le Renouveau syndical des agents du FISC, Resafisc), les anciens rebelles n’y adhèrent pas en raison de leur orientation passée pro-Gbagbo. Un administrateur des impôts, ancien rebelle, expliquait que s’il ne se syndicalisait pas, c’était parce que « le mouvement syndical aux impôts était du côté de Blé Goudé pour la Fesci [40] ». Alors que je n’avais pas évoqué la Fesci dans ma question, c’est ainsi la première raison que l’enquêté évoque. L’appartenance à un des deux camps fescistes (hérités de la guerre des machettes, puis des années de guerre) apparaît ainsi centrale dans la justification de la mobilisation, ou plutôt de la non-mobilisation. L’administrateur précise ensuite que dans les impôts, « le seul syndicat d’exfescistes » était le Resafisc et qu’il était dirigé par Zéré Zédou Narcisse. Cette formule est intéressante à deux niveaux : d’abord, alors que ma question porte sur le simple fait de se syndiquer et que l’enquêté évoque instantanément le seul syndicat d’ex-fescistes montre que de manière générale, pour les anciens fescistes, l’action syndicale (y compris dans la période post-conflit) doit se penser entre individus passés par la Fesci, ou ne pas se penser. Ensuite, l’enquêté justifie son non-ralliement au Resafisc de par la présence à sa tête de Zéré Zédou Narcisse, qui fait pourtant partie de la même génération étudiante que lui, mais qui est militant FPI et un ancien proche des Jeunes Patriotes pro-Gbagbo.
17On voit donc que malgré une référence automatique à la Fesci, le seul réseau avec lequel l’administrateur conçoit de militer est bien celui des anciens fescistes passés par la rébellion, ou du moins non FPI. L’administrateur expliquait que les agents du Resafisc leur avaient pourtant bien proposé d’intégrer leur syndicat mais qu’ils « restaient méfiants », et préféraient « observer », de peur que l’engagement au Resafisc signifie en réalité un engagement pro-FPI qui ne « l’intéress[ait] pas ». Ainsi, on voit que l’appartenance à une même génération d’âge à la Fesci ne suffit pas à rallier et que c’est davantage la distinction entre les anciens clans de Soro et Blé Goudé qui détermine les alliances. La justification du non-ralliement au Resafisc est ainsi moins liée à l’expérience initiale conjointe à la Fesci qu’à l’engagement politique postérieur, et c’est donc l’affiliation politique qui est déterminante dans le ralliement. La seule identité fesciste commune [41] ne suffit donc pas à créer la mobilisation et le ralliement des anciens fescistes de la fin des années 1990 au sein d’une même structure syndicale. Il y a ainsi un maintien, au sein de l’État, des divisions héritées de la guerre des machettes, puis de la guerre, entre pro-FPI et pro-Blé Goudé d’une part, et rebelles pro-RDR et pro-Soro d’autre part. La guerre apparaît alors comme un moment de consolidation des fractions syndicales d’avant-guerre. Cependant, la méfiance semble surtout valoir pour les anciens fescistes rebelles puisque les membres du Resafisc ont proposé aux rebelles intégrés d’adhérer à leur syndicat pour lutter conjointement [42]. Cela illustre bien la formation et le maintien, pendant les années de guerre, d’une identité fesciste-rebelle construite en opposition avec les fescistes de l’autre bord.
18La seconde section cherche à montrer que si l’existence de ce nouveau réseau permet d’accéder à des postes étatiques durant le processus d’intégration de la rébellion à l’État, il est reconverti de manière différente en fonction des acteurs. L’expérience syndicale et rebelle crée un capital symbolique qui autorise soit la mobilisation syndicale professionnelle, soit celle politique, qui est fonction d’un certain volume et d’un certain type de capital social.
Des conversions différenciées du capital social dans l’après-guerre : mobilisations syndicales et politiques
Du campus à l’État : quand les anciens rebelles lèvent le poing dans les douanes ivoiriennes
19Recrutés par décret présidentiel en avril 2009, les 247 anciens rebelles sont affectés aux douanes en 2011 mais le décret d’intégration final n’est signé que le 10 mars 2014 [43]. Or, ce dernier prend pour date d’entrée en service de leur promotion le mois d’avril 2014. Ainsi, entre 2011 et 2014, les anciens rebelles des douanes n’avaient ni matricule, ni salaire et le décret de 2014 annonce que le gouvernement ne leur doit aucun arriéré de salaire malgré les trois années qu’ils viennent de passer en fonction [44]. Par ailleurs, les anciens rebelles connaissent une période de stigmatisation et de mise à l’écart vis-à-vis des fonctionnaires déjà en place à leur arrivée. Leur promotion était en effet taxée d’être celle de rebelles, non diplômés et arrivés illégitimement à leurs postes par la violence. Dans le contexte post-conflit, l’appartenance à ces réseaux a d’abord une valeur négative. On voit la trace du conflit dans les représentations qu’ont les autres fonctionnaires des anciens rebelles. En effet, la stigmatisation dont sont victimes les anciens rebelles intégrés est fortement liée aux rumeurs et aux représentations véhiculées dans la zone gouvernementale pendant la guerre [45]. Ces stigmatisations étaient par ailleurs liées à une idée largement partagée par les Ivoiriens n’ayant pas pris part à la rébellion, à savoir la non-légitimité d’arriver dans les administrations étatiques grâce à la rébellion, et donc par la violence des armes et non grâce à des critères classiques de capital scolaire et de passage des examens d’entrée à la fonction publique. Ces différences de traitement et ces stigmatisations vont offrir les conditions de leur mobilisation par un effet de renforcement des liens et des solidarités déjà existant entre eux. On assiste à une forme de retournement du stigmate où leur identité collective d’anciens rebelles et d’anciens syndicalistes devient une ressource symbolique qui autorise et justifie la mobilisation syndicale.
20Les anciens rebelles commencent ainsi par se réunir autour du « comité des agents issus de l’Accord politique de Ouagadougou », nom qui illustre bien le fait de se mobiliser dans l’entre-soi rebelle. Ce comité n’avait ni statut officiel, ni règlement intérieur et c’est seulement en avril 2016 que les anciens rebelles transforment le comité en syndicat formel, lors de l’assemblée générale de Yamoussoukro donnant naissance au Renouveau syndical des douanes ivoiriennes de Côte d’Ivoire (RSDCI) [46]. Ce dernier est divisé en un bureau exécutif national (BEN), une coordination nationale, des sections et sous-sections [47]. Le RSDCI compte également deux organes dirigeants (congrès et assemblée générale) ainsi que des organes de contrôle (un comité de contrôle et un commissariat aux comptes). L’influence de l’expérience syndicale fesciste est visible : la division en BEN, coordination, section et sous-section est similaire à l’organigramme de la Fesci et la structure-même de ces organes est également identique avec quinze membres dans chaque organe, dont un secrétaire général, un secrétaire à l’organisation et à la mobilisation, un secrétaire à l’information et à la formation, un secrétaire aux finances et un secrétaire aux affaires sociales et sportives (chacun ayant deux adjoints). Outre les homologies structurelles et même si tous les anciens rebelles intégrés aux douanes n’ont pas été membres de la Fesci, les fondateurs du RSDCI sont passés par le syndicat étudiant et revendiquent d’ailleurs explicitement cette filiation [48]. On constate ainsi une continuité entre les modes d’organisation militants en place à la Fesci et ceux créés une fois intégrés aux douanes ivoiriennes.
21Depuis leur entrée aux douanes, les anciens rebelles ont par ailleurs organisé de nombreuses mobilisations multipliant les modes d’action. Le 20 février 2014, un sit-in est par exemple organisé contre le retard de traitement de leur dossier d’intégration [49]. Suite à la signature du décret annonçant l’entrée en fonction des anciens rebelles douaniers au mois d’avril 2014 (qui fait suite au sit-in mentionné), le comité lance un préavis de grève contre la date de prise de fonction officielle et contre le fait qu’ils n’ont toujours pas reçu leurs salaires ni leurs indemnités de logement en tant que fonctionnaires. Ils annoncent ainsi un arrêt de travail de trois jours. Le vocabulaire utilisé sur le préavis de grève est représentatif de la virulence des discours engagés par les nouveaux douaniers.
[…] Et depuis lors [avril 2009], nous avons exercé pour le compte des douanes ivoiriennes pour ne voir notre décret d’intégration signé que le 10 mars 2014. Et contre toute attente, nous sommes renseignés avec des dates de prise de service d’avril et mai 2014 ne tenant pas compte de nos prises de service dûment signées par nos chefs de service. Pire, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas encore perçu nos premiers salaires, de même que l’indemnité de logement (bail). C’est pourquoi le Comité des Agents des Douanes issus de l’APO décide un arrêt de travail de trois jours du mardi 30 septembre au jeudi 2 octobre 2014. Ce pour : 1. Protester contre le mutisme et l’indifférence révoltante de la direction générale des Douanes (DGD) à qui plusieurs courriers ont été adressés sans suite. 2. Exiger la prise en compte des trois années d’exercice dans notre profil de carrière. 3. Exiger le paiement immédiat de nos salaires et de nos baux. 4. Interpeller l’opinion national e et internationale, avec en prime le chef de l’État, sur ces différentes questions afin qu’une solution définitive soit trouvée [50].
23L’année 2017 a également vu nombre de mobilisations. Le 24 juillet, les portes du service des douanes de Bouaké sont fermées et ses activités paralysées du fait de la cessation de travail de 48 heures décidée par des douaniers, dont le RSDCI. Les revendications sont nombreuses et concernent notamment un « profond réaménagement au sein de la MUDCI (Mutuelle des douaniers de Côte d’Ivoire) ainsi qu’un audit sur la gestion de la structure [51] ». Par ailleurs, ils protestent contre leurs conditions de travail « minables » et ajoutent à leurs doléances le paiement des arriérés de salaire de la promotion 2000 [52]. Le 12 août 2017, une assemblée générale extraordinaire est organisée par le RSDCI pour faire le point sur la grève du 24 juillet et préparer les « perspectives ». Ils projettent alors une « grève illimitée à partir de fin août ». Le secrétaire général du RSDCI explique ainsi avoir adressé un courrier à la direction des douanes pour que celle-ci se penche sur leurs problèmes, et explique que :
Si rien n’est fait, à compter de la fin du mois d’août, le RSDCI entend reprendre le chemin des revendications pour aboutir à une résolution claire et nette de nos différentes revendications […]. Pour joindre l’acte à la parole, nous avons décidé de lancer une pétition pour recueillir les avis et les positions de l’ensemble des agents de douanes sur les différentes préoccupations posées et faire comprendre à cette administration que les préoccupations que nous posons ne sont pas des préoccupations fantaisistes mais l’émulation profonde de l’ensemble des agents des douanes qui ont plus souffert et qui en ont assez d’être soldés par cette mutuelle qui, en réalité, est une arnaque parce qu’on nous fait cotiser actuellement 500 000 francs CFA et avoir un mode d’accès aux soins contraignants. Nous voulons effectivement que cette situation cesse [53].
25Une lettre avait été envoyée concernant le dysfonctionnement dans la gestion du système de la MUDCI depuis le 11 mai 2016, et la non-réponse des autorités suite à la grève de juillet débouche sur la rédaction d’une pétition où l’ensemble des douaniers sont appelés à signer en tant que « camarades [54] ». Le RSDCI a également lancé une campagne de lutte contre le travail extra-légal en février 2017 et a lancé le sujet des heures supplémentaires en indiquant que celles-ci n’étaient pas assez payées, que les tarifs des douaniers étaient les plus bas et que cet argent était avalé par certains dirigeants [55].
26Une autre mobilisation particulièrement symbolique a été celle des 17 et 18 octobre 2017. Ayant annoncé une grève les 10 et 11 octobre 2017, une rencontre a lieu le 7 octobre entre une délégation du RSDCI et des commandants des douanes, où ces derniers promettent de donner une suite favorable aux revendications du RSDCI en contrepartie d’une suspension de la grève jusqu’au 17 octobre [56]. Cette rencontre montre que le RSDCI passe également par la voie des négociations pour obtenir gain de cause, comme l’attestent les nombreuses lettres de demandes d’audience auprès de dirigeants institutionnels [57]. Cependant, les négociations ne suffisent pas selon eux, comme en témoigne une lettre d’information envoyée au directeur général des douanes le 10 octobre expliquant que, suite à la rencontre avec les autorités, le préavis de grève est bel et bien suspendu pour les 10 et 11 octobre, mais que « cependant, le RSDCI conformément à cet accord vous informe que sans aucune forme de procédure, son préavis de grève est reconduit pour les 17 et 18 octobre 2017 sous réserve de la satisfaction de ses préoccupations [58] ». Le 18 octobre 2017, la grève débouche sur le blocage du port autonome d’Abidjan et sur une répression violente. Les grévistes enlèvent alors le commandant subdivisionnaire au port, Soro Amidou, qu’ils accusent d’avoir donné l’ordre aux gendarmes de les « mater [59] ». Après l’avoir enfermé dans une des cellules de l’école des douanes, il est finalement relâché. Suite à cette action, certains membres du RSDCI ont été convoqués par le tribunal et sont encore en instance de jugement [60]. Cette mobilisation est particulièrement parlante lorsque l’on observe les modes d’action des fescistes. Le port d’Abidjan avait ainsi déjà été pris pour cible d’un blocage au début des années 2000, mais cette fois-ci par les Jeunes Patriotes pro-Gbagbo. On voit les similitudes entre les modes d’action des anciens membres de la Fesci, quelle que soit l’époque (2000 ou 2017) et ce par les deux factions pourtant historiquement opposées depuis la « guerre des machettes » puis par la guerre elle-même. Cela permet de penser l’existence d’un socle historique de manières de faire communes qui impliquerait, malgré les conflits qui les ont divisés pendant longtemps, que ces savoirs communs pourraient les réunir au sein de mobilisations.
27Les modes d’action utilisés par le RSDCI font écho aux répertoires utilisés par les fescistes et c’est bien la possession d’un capital militant (Matonti, Poupeau, 2004) par les leaders du syndicat qui rend ces formes d’action possibles. Ces savoir-faire militants sont par ailleurs utilisés dans les douanes afin de mobiliser plus largement et d’étendre la contestation au-delà des réseaux initiaux de la rébellion et de la Fesci, puisqu’ils légitiment la capacité des anciens fescistes à mener la lutte dans le cadre professionnel. Par exemple, lors de la constitution du RSDCI en syndicat, un communiqué avait été placardé dans le bâtiment des douanes de Bouaké le 10 avril 2016, annonçant les postes ouverts à la candidature (poste de secrétaire général, commissaire aux comptes, comité de contrôle) pour constituer le RSDCI. Si de fait les élections du BEN et du comité de contrôle ont donné pour vainqueurs des acteurs qui avaient soit fait la Fesci (6), soit les régies (rebelles civils), soit les Forces armées des FN (combattants rebelles, 9), il y a bien une dynamique d’ouverture à l’ensemble des douaniers et la liste des adhérents actuels montre que de nombreux douaniers les ont effectivement rejoints et qu’en ce sens le capital militant hérité des années fescistes devient un capital symbolique qui permet aux acteurs une ascension dans le domaine syndical professionnel post-conflit. Ces éléments apprennent deux choses : d’une part, le réemploi des savoir-faire accumulés dans les années de militantisme syndical montre des continuités fortes entre l’avant et l’après-guerre, congédiant l’idée que la guerre rebattrait nécessairement toutes les cartes des capitaux mobilisables. Mais surtout, leur passage par la Fesci apparaît comme une ressource à la fois pratique (savoir-faire militant) et symbolique (aura de la Fesci en termes de combat politique [61]) qui justifie le fait de devenir leader de la contestation syndicale au sein des douanes [62]. Leur identité de groupe, leur capital social collectif, offre aux anciens rebelles intégrés une légitimité forte : ils disent connaître le champ syndical, la lutte, les crises, ont acquis des savoir-faire qui les autorisent à devenir leaders de la mobilisation syndicale et ce sentiment de légitimité fesciste permet de rallier plus largement.
28Dans le cas des douanes, le capital social acquis à l’université puis pendant la rébellion se reconvertit en ce que les liens créés entre eux facilitent la structuration du syndicat, mais ce capital social apparaît moins central que le capital militant, au sens de savoir-faire de mobilisation, contrairement au cas des autres régies des impôts et du trésor [63].
« On a fait le syndicat le plus puissant de Côte d’Ivoire » : quand l’engagement syndical étudiant légitime l’entrée en politique
29L’expérience passée à la Fesci produit une fierté et une légitimité. En effet, tous mettent en avant la gloire du syndicat étudiant et leurs discours font l’éloge de leurs luttes passées : « on fait le syndicat le plus puissant de Côte d’Ivoire [64] », « on a su gérer les crises » ou encore « on a eu l’homme de l’année [65] » (Guillaume Soro, en 1997). Si la légitimité fesciste permet aux douaniers de devenir leaders de la mobilisation syndicale, la mise en avant de cette légitimité n’a pas les mêmes effets chez les rebelles civils intégrés aux impôts et au trésor : le fait d’avoir appartenu à la Fesci légitime davantage la mobilisation politique. En effet, les anciens rebelles des impôts et du trésor se mobilisent sur le plan politique national, comme l’illustre cet extrait de carnet de terrain :
Je demande à l’administrateur s’il n’aurait pas des contacts d’autres régisseurs, et celui-ci me répond qu’il peut m’en donner plein. Je cite des noms dont j’ai entendu parler, et il me dit à chaque fois qu’il les connaît et qu’il a leurs numéros de téléphone, mais que c’est sur un document qu’il a à l’intérieur, dans la maison. Comme j’insiste, il finit par rentrer pour chercher le document en question, et revient avec un grand classeur. En haut des feuilles est inscrit « levée de fonds », et il y a ensuite un tableau avec des noms, des statuts, des sommes et des numéros de téléphone. Il relève ainsi les numéros que je lui avais demandés. Tous les anciens régisseurs intégrés aux impôts et au trésor dont je cherchais les contacts étaient sur la liste, qui comportait de nombreuses pages. Je lui demande alors pour quoi est la levée de fonds, et il me répond que c’est pour soutenir la candidature de Guillaume Soro à l’élection présidentielle de 2020 [66].
31La mobilisation politique autour de Soro, ancien président de l’Assemblée nationale ayant démissionné le 8 février 2019 [67], est présente chez les anciens rebelles intégrés et, au vu de ce document de levée de fonds, cet administrateur du trésor public est un des personnages importants de cette mobilisation. De même, un administrateur des impôts me racontait qu’ils avaient de plus en plus de réunions politiques et que comme tout se passait à Abidjan, il avait demandé une mutation de San Pedro vers la capitale [68]. Cette mobilisation politique semble être guidée par un sentiment de pouvoir lié à leur ancrage dans les institutions de l’État. « Nous, maintenant, on est l’administration. Si on claque des doigts, c’est fini [69] » : cette citation d’un administrateur du trésor illustre bien ce sentiment, et le « nous » exclusif désigne ici un groupe d’acteurs aux contours flous, mais qui incluent a minima les régisseurs intégrés dans l’administration de l’État et les anciens fescistes de la génération Soro à laquelle il appartient.
32La formation en novembre 2018 de l’Union nationale des anciens de la Fesci (UNA-Fesci) est par ailleurs l’indice de la mobilisation croissante des anciens fescistes pour la candidature de Soro, comme l’expliquent les enquêtés eux-mêmes [70]. L’UNA-Fesci réunit par ailleurs des anciens de la Fesci de tous bords, et l’élection de Martial Ahipeaud, fondateur et premier secrétaire général de la Fesci, au poste de secrétaire général de l’UNA-Fesci, illustre cette volonté de dépasser les clivages internes hérités de la guerre des machettes puis de la guerre entre le FPI et le RDR. La présence de Guillaume Soro à l’assemblée constitutive de l’UNA-Fesci ainsi que son souhait renouvelé [71], exprimé lors de son discours, de voir Charles Blé Goudé sortir de la Cour pénale internationale, en sont également des indices. Le dépassement de ces clivages est énoncé explicitement par certains enquêtés comme l’unique stratégie possible pour concurrencer la force et l’ancrage historique des partis politiques ivoiriens, et notamment le RDR d’Alassane Ouattara et le PDCI de Henri Konan Bédié. Ici, c’est davantage l’identité collective fesciste qui est mise en avant par les acteurs et moins l’identité rebelle.
33Enfin, la mobilisation politique des rebelles civils intégrés a été particulièrement visible durant les différentes élections intermédiaires, et notamment durant les régionales et municipales d’octobre 2018 [72]. La plupart de mes enquêtés ont ainsi été en campagne, soit pour soutenir un candidat, soit pour leur propre candidature. Dans tous les cas, leur mobilisation a été importante, comme l’atteste d’ailleurs le report de l’assemblée constitutive de l’UNA-Fesci du fait de l’absence physique des anciens fescistes d’Abidjan, partis battre la campagne sur le plan local à l’intérieur du pays, ou encore l’élection de certains d’entre eux ou de leurs candidats [73]. Ces éléments sont d’une part l’indice de la mobilisation politique des anciens rebelles intégrés dans l’administration étatique, comme l’atteste une photo réunissant un de mes enquêtés, administrateur du trésor, et Martial Ahipeaud [74], mais aussi d’un rapprochement des deux anciens camps de la Fesci et de la guerre. On assisterait donc à une baisse du référent rebelle et de la différenciation entre fescistes du nord et fescistes du sud, avec en filigrane la mise en avant d’une nouvelle mémoire, à savoir l’expérience de la Fesci et de la lutte (qu’elle se soit faite au sein des Jeunes Patriotes comme des Forces nouvelles). Si l’identité fesciste divise sur le plan syndical – comme le montre la non-mobilisation des anciens rebelles aux impôts –, elle paraît au contraire rallier sur le plan politique. L’identité fesciste n’a ainsi pas les mêmes effets et les anciens rebelles n’en font pas le même usage, en fonction des régies étatiques et des agents intégrés.
34Ainsi, la mobilisation d’un discours de légitimité du fait de l’expérience des luttes passées amène les différentes générations de rebelles civils intégrés à des résultats différents. Pour les premiers, cette légitimité se convertit en légitimité à mener la lutte syndicale, tandis que pour les seconds (la génération de Soro), elle se reconvertit en légitimité à mener la lutte politique au plan national. Ce qui explique ces différences est moins la possession d’un capital militant plus ou moins grand en fonction des générations de syndicalistes (plus jeunes ou plus âgés), mais bien la capacité à mobiliser un réseau puissant ancien et à le réactiver malgré les divisions de la guerre. C’est donc bien ici le capital social de la génération de Soro qui autorise l’entrée en politique. Par ailleurs, cela montre bien que si le capital social fesciste-rebelle a été central dans l’intégration des anciens fescistes rebelles à l’État, ce réseau ne reste pas structurant sur le plan politique. S’il semble jouer dans la non-mobilisation syndicale des agents des impôts intégrés (comme vu plus haut), ce capital est mis de côté au profit du capital social fesciste unifié des années 1990, sur le plan politique actuel.
35Si les continuités en termes de réseaux mobilisés et mobilisables sont très claires dans le cas ivoirien, dire que la période de la rébellion n’a rien changé serait également erroné. En effet, la rébellion a permis d’accentuer les liens déjà existants entre fescistes pro-Soro et ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont initié l’ensemble des mobilisations autour de la présidence potentielle de Soro en 2020, ainsi que l’idée même d’une union des anciens de la Fesci [75]. Par ailleurs, la rébellion a indéniablement offert une visibilité et une aura à ce groupe de syndicalistes qui est vu par beaucoup d’Ivoiriens originaires du nord comme ayant contribué à la fin des discriminations envers les nordistes grâce à la rébellion. Ensuite, la rébellion a sans aucun doute contribué à élargir le réseau de la génération de Soro à d’autres groupes : ils ont créé des liens à la fois avec les plus jeunes générations fescistes, mais aussi avec les militaires à l’origine de la rébellion, avec certains hommes politiques influents de la sous-région comme Blaise Compaoré, ainsi qu’avec certains chefs traditionnels et certains notables et cadres politiques originaires des régions du nord de la Côte d’Ivoire. Enfin, il est évident que les capitaux économiques accumulés grâce au système de prédation mis en place par la rébellion jouent un rôle dans leur capacité à rassembler et à mobiliser sur le plan politique, et que le fait que les rebelles fescistes aient eu la main sur une partie importante des recettes issues de l’immense racket organisé par les Forces nouvelles pendant plusieurs années, n’est évidemment pas sans effet.
36Il apparaît en filigrane certaines clés de compréhension d’une nouvelle génération qui entre doucement dans le champ politique ivoirien. Il s’agit essentiellement d’hommes, ayant fait leurs armes à la Fesci et dans les luttes violentes auprès des partis d’opposition pour l’instauration du multipartisme dans les années 1990. Ils sont par ailleurs diplômés, avec la plupart du temps une maîtrise. Ce sont des personnes qui ont fait l’expérience d’une rébellion violente et territorialisée, et qui ont ainsi eu à gérer en partie un territoire détaché de l’État pendant plusieurs années. Enfin, il s’agit d’un groupe social embourgeoisé dans la rébellion, par l’accumulation de capitaux économiques durant ces années et du fait de leur reconversion en fonctionnaires, et même souvent en hauts fonctionnaires. Ces éléments permettent de dresser un certain nombre de conclusions quant à l’évolution des carrières d’entrée en politique dans le cas ivoirien. Si le syndicalisme en Côte d’Ivoire a toujours été une voie d’ascension importante en politique [76], comme l’attestent les parcours de deux anciens présidents de la République, F. Houphouët-Boigny (syndicalisme agricole) et L. Gbagbo (syndicalisme enseignant), la filière syndicale étudiante semble désormais être un des ascenseurs politiques centraux de la vie politique ivoirienne [77]. Plus qu’un simple syndicat étudiant, on peut parler d’une « filière fesciste » comme voie d’accès centrale aux carrières administratives et politiques dans la Côte d’Ivoire contemporaine. Si l’ENA et les grandes écoles constituent par exemple en France le lieu d’accumulation par excellence des capitaux selon Bourdieu, on peut supposer que ces lieux d’accumulation diffèrent en Côte d’Ivoire, ou du moins qu’ils évoluent. Cela renseigne par ailleurs sur l’évolution du champ politique ivoirien, où les notables issus des partis politiques historiques se voient rejoints et peut-être désormais concurrencés par une nouvelle génération formée dans le creuset de la lutte syndicale étudiante (Banégas, 2010b, p. 162) [78].
Conclusion
37Regarder des secteurs qui ne sont pas liés directement au processus de sortie de crise permet de comprendre un certain nombre de choses sur l’évolution de la société ivoirienne post-conflit. En tant que secteurs centraux du « ventre » de l’État (Bayart, 1989), l’analyse des acteurs pénétrant les régies financières de Côte d’Ivoire permet d’apprendre sur l’évolution du personnel étatique à la suite des conflits armés et donc plus largement sur l’évolution des administrations étatiques. Comme nous l’avons vu, certains sentiers de carrières étatiques semblent émerger, tout en étant moins le fruit de la guerre civile elle-même que d’une dynamique plus longue d’ascension sociale par les luttes violentes dans les syndicats étudiants [79].
38Plusieurs pistes de conclusion peuvent alors être dressées, qu’il conviendrait de questionner sur d’autres terrains. Tout d’abord, en période de « sortie de guerre » et dans le cadre d’accords d’intégration d’un groupe rebelle à l’État, le comportement et les actions des intégrés ne doivent pas être envisagés uniquement sous le prisme de leur casquette d’ex-rebelles. Il est nécessaire d’historiciser leurs pratiques post-conflit pour comprendre de quoi celles-ci sont vraiment le fruit puisque, comme le montre le cas ivoirien, ce n’est pas seulement le passage par la rébellion qui explique l’ascension au sein de l’appareil étatique et du champ politique. Par conséquent, ce n’est pas uniquement sur les réseaux de la période rebelle que les acteurs s’appuient effectivement dans leurs stratégies, leurs pratiques et leurs potentielles luttes post-conflit. Autrement dit, le cas ivoirien montre que l’engagement post-conflit des anciens rebelles, qu’il soit politique ou syndical, est a minima autant déterminé par leurs trajectoires d’avant-guerre que par la longue période de rébellion. La guerre a néanmoins des effets importants en termes de politisation des rebelles intégrés. En tant que moment de polarisation des débats politiques, elle marque les esprits de certaines représentations et de certains discours qui ont des effets sur le temps long. Ainsi, une partie des rebelles civils intégrés aux régies financières, notamment les plus dotés, entrent après la guerre sur le champ des luttes politiques et les anciens clivages entre le RDR d’Alassane Ouattara et le FPI de Laurent Gbagbo restent structurants dans la formation des solidarités syndicales professionnelles (comme le montre la non-mobilisation syndicale des agents des impôts). Ainsi, la période de guerre apparaît comme un moment de maintien, sinon de renforcement, des clivages idéologiques initiaux, au sein des institutions étatiques.
39Enfin, le cas ivoirien pose la question des liens entre espace partisan et espace militant. La force et le maintien des réseaux syndicalistes étudiants se révèlent être une ressource centrale dans la constitution d’un nouveau capital symbolique et politique pour les acteurs, et les capitaux accumulés durant la période de guerre sont finalement moins facilement convertibles dans la période post-conflit, à partir du moment où les acteurs s’engagent dans le champ politique. En effet, le champ politique ivoirien est encore aujourd’hui empreint d’une rhétorique post-conflit, où l’enjeu de faire la « paix » et la « réconciliation » est au cœur des stratégies électorales. Partant, les réseaux et ressources hérités directement de la guerre apparaissent comme inconvertibles politiquement, et ce d’autant plus dans un contexte où le gouvernement ivoirien est dans la course à l’« émergence » économique et dans un jeu de séduction vis-à-vis des bailleurs internationaux. On peut ainsi faire l’hypothèse que la possession de capitaux issus uniquement de la guerre rend difficile, voire impossible, la conversion post-conflit. Pour ainsi dire, ce qui est socialement et politiquement valorisé en période post-conflit n’est pas le passage par la rébellion armée, et les pratiques des anciens fescistes rebelles montrent qu’ils en ont finement conscience : leur présence dans les différentes institutions étatiques et leurs compétences militantes héritées du syndicalisme étudiant sont pensées comme une ressource centrale dans leurs luttes respectives, en ce que ces ressources sont considérées comme légitimes et mobilisables dans le champ politique. Ce sont ces ressources et ces réseaux, plus que ceux hérités de la guerre, qui pourraient ainsi se révéler essentiels dans les futures mobilisations des anciens fescistes-rebelles autour de la candidature de Guillaume Soro à l’élection présidentielle de 2020.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : entrée en politique, carrières administratives, capital social, état, post-conflit, Côte d’Ivoire, rébellion, syndicalisme, régies financières, mobilisation
Mise en ligne 18/02/2020
https://doi.org/10.3917/gap.194.0119Notes
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[*]
Une erreur s'est glissée dans le titre de l'article paru dans la version papier de la revue : « De racketteur à fonctionnaire. Capital social, mobilisations et reconversions post-conflit dans les régies financières de Côte d'Ivoire ». Le titre a donc été modifié en conséquence dans la version numérique : « De rebelle à fonctionnaire. Capital social, mobilisations et reconversions post-conflit dans les régies financières de Côte d'Ivoire ».
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[1]
Je tiens à remercier très sincèrement les coordinateurs du dossier ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue, dont les remarques sur les précédentes versions de ce texte étaient particulièrement fines et fécondes.
-
[2]
Pour prendre un exemple récent, l’accord de paix d’Alger de 2015 entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad prévoyait par exemple l’intégration d’une partie des ex-combattants à l’armée malienne.
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[3]
La question de la démobilisation des anciens combattants et de leur intégration dans l’armée régulière est bien plus documentée par la littérature sur les sorties de guerre (voir Muggah, 2005, 2009 ; Spear, 2007 ; Fofana, 2014).
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[4]
Nous nous focalisons ici sur les trajectoires ascendantes des anciens rebelles. À l’inverse, pour un éclairage sur les trajectoires descendantes, très nombreuses également, voir notamment Diallo (2017).
-
[5]
Ce raisonnement s’inscrit également dans l’argumentaire développé par Darbon et Provini qui font le constat d’un « essoufflement » des débats sur l’État en Afrique du fait de la routinisation de l’approche par le bas, et propose de croiser sociologie historique de l’État et sociologie de l’action publique (2018, p. 23).
-
[6]
Sur l’histoire de la Fesci, voir notamment Konaté (2003) et Ba (2017).
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[7]
La question de la politisation des fonctionnaires est un sujet très peu abordé par les sciences sociales en Afrique. C’était notamment une des conclusions du panel « African Bureaucrats : Careers, Representations and Politicization » au congrès de l’African Studies Association (ASA) de novembre 2017, organisé par Paul Grassin, Mehdi Labzaé, Camille Popineau et Marianne Saddier.
-
[8]
L’hypothèse d’une conversion des ressources guerrières et de la naissance d’une filière d’ascension fesciste a déjà été émise par Richard Banégas dans ses recherches sur les Jeunes Patriotes (Banégas, 2010a et 2010b). Cet article s’inscrit ainsi dans la continuité de ce débat : il confirme et précise certaines analyses par l’apport de données sur les trajectoires post-conflit, en montrant notamment que les reconversions ne sont pas opérantes pour tous les anciens fescistes et que ce sont surtout ceux issus du clan Soro et du RDR qui en bénéficient (par opposition à ceux proches de Charles Blé Goudé et de Gbagbo).
-
[9]
Sur un sujet proche, Hellweg et Médevielle montrent qu’il y a une continuité dans les stratégies politiques de positionnement des Dozos en Côte d’Ivoire, et notamment de Koné Zakaria (l’un des commandants de zone durant la rébellion). Ils observent ces pratiques à partir de la période de la rébellion, en les historicisant pour montrer qu’elles s’inscrivent dans une dynamique bien plus longue (voir Hellweg, Médevielle, 2017, notamment p. 43).
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[10]
Je reprends ainsi des questionnements similaires à ceux de Baczko et al. (2016) sur le cas syrien.
-
[11]
Le réemploi de la notion de « capital social » (comme capital accumulé durant les années de luttes estudiantines) plutôt que de « capital syndical » par exemple est un choix qui s’inscrit dans l’argumentation d’Érik Neveu (2013) concernant la tendance à la multiplication des formes de capitaux. Son réemploi facilite par ailleurs une analyse comparée des logiques sociales présentes dans des sociétés a priori éloignées.
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[12]
Cette recherche s’appuie sur une enquête réalisée en Côte d’Ivoire, d’abord dans l’ancienne zone rebelle (Bouaké, Korhogo, Katiola) entre mars et mai 2017, où j’ai pu rencontrer d’anciens membres de l’administration rebelle, puis à Abidjan, Bouaké et Abengourou en décembre et janvier 2018, ainsi qu’en avril 2019, où de longs entretiens biographiques ont notamment été menés auprès de 12 membres de l’ancienne Centrale économique rebelle qui sont désormais en poste dans l’administration des douanes, des impôts ou du trésor public. J’ai par ailleurs reconstitué les biographies d’une dizaine d’autres régisseurs par la répétition d’entretiens avec d’anciens membres de la Fesci proches d’eux. Enfin, je m’appuie sur des articles de journaux ivoiriens, sur des données collectées auprès d’acteurs syndiqués dans les douanes ivoiriennes, sur des documents internes au syndicat des douanes ainsi que sur des documents publics liés aux mobilisations et aux actions du syndicat. Cette recherche a bénéficié d’un financement du projet ERC Social Dynamics of Civil Wars (no 669690) soutenu par l’European Research Council (ERC) dans le cadre du programme recherche et innovation de l’Union européenne Horizon 2020.
-
[13]
On assiste alors au passage d’un leadership militaire, tenu par IB, à un leadership civilo-politique. Cette transition fut violente et déboucha notamment sur le massacre de Korhogo des 20 et 21 juin 2004.
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[14]
Ce système de prédation a été largement « camouflé » par tout un langage étatique particulièrement rodé et un ensemble de mécanismes bureaucratisés visant à faire apparaître la rébellion comme un mouvement « civilisé ». À ce sujet, voir Popineau (2019).
-
[15]
La guerre en Côte d’Ivoire a de nombreuses singularités, et notamment le fait que la violence y ait été relativement faible par rapport à la durée du conflit, essentiellement localisée (dans l’ouest et à Abidjan) et à certaines périodes (au début du conflit en 2002-2003, puis lors de la crise post-électorale de 2010-2011). Ainsi, de nombreux combattants rebelles n’ont pas ou peu combattu et, plus largement, ni les infrastructures, ni l’État, ni l’économie n’ont totalement été détruits durant le conflit. Ces particularités sont centrales en ce qu’elles ont aussi facilité certaines continuités, comme celles observées dans cet article.
-
[16]
Si certains n’ont que le BEPC ou le BAC pour les postes peu importants, la plupart des anciens agents des institutions rebelles interrogés lors de mes recherches ont a minima un niveau licence, et très souvent une maîtrise ou des diplômes équivalents.
-
[17]
Cette région était par ailleurs l’une des plus lucratives de la zone rebelle, du fait de sa proximité avec la frontière burkinabè et de l’ampleur des transactions commerciales informelles sous la rébellion.
-
[18]
Entretien avec un ancien régisseur, Abidjan, 13 janvier 2018.
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[19]
Le choix de ces enquêtés s’explique par leur représentativité par rapport à l’ensemble des anciens fescistesrebelles interrogés. Notons ici que l’absence de femmes est également significative, puisqu’elles étaient peu nombreuses au sein des réseaux actifs de la Fesci, et qu’elles étaient encore moins nombreuses dans les régies financières de la rébellion. Les noms qui figurent dans le tableau ont été anonymisés et respectent les patronymes en fonction de leurs régions d’origine.
-
[20]
Si la majorité des anciens fescistes-rebelles ont fait leurs études dans le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, il n’y a pas de réelle homogénéité dans les régions d’origine ni les pratiques religieuses de ce groupe : ils ne forment pas un groupe de musulmans d’origine malinké (nord et nord-ouest). Ils sont catholiques ou musulmans, et appartiennent à la fois aux groupes Mandé, Krou et Voltaïque. Cela montre cependant qu’ils n’appartiennent donc pas aux réseaux, notamment familiaux, du groupe Akan (sud-est), largement favorisés depuis l’indépendance du pays et ce jusqu’au coup d’État de 1999 (date du début de la longue phase d’instabilité et de violence que connaît le pays).
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[21]
La plupart des étudiants originaires du nord de la Côte d’Ivoire était d’abord militants au FPI, mais se sont ensuite ralliés au RDR lors de sa création en 1994, qui, par la présence de cadres originaires du nord du pays comme Alassane Ouattara, constituait de fait un parti largement soutenu par les Ivoiriens du nord.
-
[22]
Cette appellation illustre la violence de cette période, notamment sur le campus d’Abidjan où de nombreux étudiants ont trouvé la mort. Pour une description plus précise de cette période, voir Ba (2017, notamment le chapitre 5).
-
[23]
L’enquête, menée depuis 2016, soit plus de vingt ans après ces années de militantisme et des années après la rébellion, pose la question de la reconstruction ex-post par les enquêtés de leurs trajectoires de vie. Pour y répondre, je cherche surtout, lors des entretiens, à recueillir des anecdotes et des récits d’épisodes concrets que je peux ensuite recroiser avec d’autres personnes du même groupe, ainsi qu’avec des archives lorsque c’est possible. C’est essentiellement la multiplication des récits de personnes ayant vécu une situation sociale passée similaire qui me permet d’objectiver les données factuelles recueillies sur ces périodes. Toutes les données exposées ici, notamment sur la période d’engagement syndical étudiant, ont été recoupées sur au minimum une vingtaine d’entretiens, effectués avec des personnes ayant vécu les faits, mais aussi avec de « simples » observateurs ou étudiants de l’époque, dont le discours, plus neutre, permet de valider certaines données et d’avoir un regard plus fin sur les potentielles reconstructions ex-post collectives des fescistes.
-
[24]
Auquel appartiennent les six enquêtés cités dans le tableau.
-
[25]
Les rapports générationnels à la Fesci sont particulièrement centraux dans l’organisation sociale de la Fesci et structurent en grande partie les relations (d’amitié comme de patronage) entre ses membres, ce qui explique aussi que cette interprétation théorique fasse sens dans le contexte ivoirien.
-
[26]
Terme émique, employé par les membres de la génération Soro pour parler des fescistes plus jeunes.
-
[27]
Si mes recherches montrent que l’engagement à la Fesci est central dans les positionnements de l’administration rebelle, rien ne prouve qu’il soit l’unique déterminant. L’identification d’autres points d’ancrage (locaux, partisans et familiaux) constitue l’une de mes pistes de recherche actuelles.
-
[28]
C’est ce qui ressort de nombreux entretiens avec d’anciens agents des institutions rebelles. Sur la construction de la légitimité par les Forces nouvelles, voir Popineau (2019) et Popineau (2016) pour le secteur scolaire.
-
[29]
La présence d’anciens fonctionnaires, notamment des impôts, ayant aidé à la restructuration de la zone rebelle après l’arrivée de Soro à la tête de la rébellion est difficile à vérifier, et mes recherches de thèse tentent d’y parvenir. Cependant, cette présence m’a été rapportée par tous les enquêtés ayant directement participé à la réorganisation de la zone à cette période ou ayant fait partie des institutions de la rébellion.
-
[30]
Cela fait largement écho aux mécanismes observés par Baczko et al. (2016) sur le capital social révolutionnaire, qui lie à la fois des réseaux anciens et nouveaux, et qui s’objective de la même manière dans certaines institutions de la rébellion.
-
[31]
La confection des listes d’intégration mériterait un long développement. Précisons simplement ici qu’elles ont fait l’objet de tractations importantes, dans un contexte de blocage important de l’ascenseur social en Côte d’Ivoire depuis les années 1990. L’ajout de proches et la vente de places ont ainsi été massifs. Concernant l’élaboration des listes d’intégration dans le secteur scolaire, voir Popineau (2016, p. 185-188).
-
[32]
Dans le secteur des impôts par exemple, les personnes ayant le BEPC devenaient agents de contrôle, ceux ayant le baccalauréat, contrôleurs, ceux ayant un niveau licence, inspecteurs, et ceux ayant un niveau au-delà, administrateurs.
-
[33]
Entretiens avec ces régisseurs, Abidjan, janvier 2018.
-
[34]
Entretiens avec d’anciens régisseurs non intégrés, Korhogo, 24 et 25 avril 2017, Abidjan, 12 mai 2017. D’ailleurs, pour expliquer les raisons de sa non-intégration malgré le respect des critères officiels, l’un d’eux m’avait explicitement dit : « Mais, c’est parce que nous, on n’est pas fescistes ! » (Entretien, Korhogo, 25 avril 2017).
-
[35]
Entretien avec deux anciens rebelles intégrés aux impôts et au trésor n’ayant pas fait les régies financières rebelles. Abengourou, 23 janvier 2018, Abidjan, 8 janvier 2018.
-
[36]
Ces enquêtés sont nés entre 1968 et 1976, et sont donc arrivés à l’université entre 1992 et 1996. Données issues de mes entretiens avec plusieurs membres de cette génération.
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[37]
Dans les douanes, il faut être titulaire du BEPC pour devenir sous-officier, et titulaire du bac pour être officier.
-
[38]
Par opposition, ces acteurs sont nés entre 1979 et 1992 et ne sont pas allés à l’université du fait de leur jeune âge au moment de l’éclatement de la guerre. Voir décret no 2014-85 du 10 mars 2014 portant nomination à titre exceptionnel au grade CI dans l’emploi d’agent d’encadrement des douanes.
-
[39]
Équivalent du master 2.
-
[40]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 11 janvier 2018.
-
[41]
Ces questionnements sont d’autant plus légitimes qu’il y a au sein de la Fesci une réelle identité collective commune qui est très puissante et très structurante, et qui amène tout au long des parcours des uns et des autres des solidarités qui se justifient par l’appartenance à la grande famille de la Fesci.
-
[42]
On voit que bien que stigmatisés à leur arrivée par les fonctionnaires déjà en place, ces derniers n’ont pas non plus agi radicalement différemment qu’à l’arrivée de fonctionnaires « classiques ». Lors d’un entretien, Zéré Zédou Narcisse m’expliquait ainsi qu’il ne « les condamnait pas » et mettait en avant le fait que les trajectoires des ex-rebelles civils intégrés illustraient une « volonté de devenir quelqu’un », volonté qu’il estimait légitime, dans une société où l’ascenseur social est rouillé et où être reconnu socialement n’est pas donné. Par ailleurs, un point intéressant est que selon lui, le non-ralliement des ex-rebelles au Resafisc s’expliquerait davantage par la conscience des ex-rebelles de ne pas être arrivés à leur poste par une voie légitime, et de, par conséquent, ne pas vouloir faire trop de bruit. À la fin de l’entretien, il m’expliqua finalement que les ex-rebelles avaient également reçu des pressions allant dans ce sens, de la part de leur hiérarchie, et qui serait, selon lui, la raison principale de leur « timidité syndicale ». Entretien, Abidjan, avril 2019.
-
[43]
Ce nombre correspond à la première vague d’intégration des anciens rebelles aux douanes ivoiriennes. Notons que cet article se focalise uniquement sur cette vague d’intégration, car la seconde vague de 1 922 ex-combattants intégrés en 2015 s’inscrit dans le cadre du processus de DDR, et intègre ainsi moins d’anciens régisseurs que d’anciens combattants. Elle comprend en outre des acteurs aux trajectoires diverses (dont des démobilisés pro-Gbagbo), ce qui la rend moins pertinente pour interroger le rôle de la Fesci et de la rébellion dans les trajectoires des enquêtés. Voir [www.connectionivoirienne.net/108612/cote-divoire-douanes-2000-ex-combattants-integres].
-
[44]
Les douaniers intégrés recevaient par contre les primes que reçoivent les douaniers ivoiriens toutes les deux semaines environ, allant de 100 000 à 120 000 francs CFA. Ils ont donc continué à travailler malgré l’absence de salaire mensuel, avec souvent l’aide financière et matérielle de parents.
-
[45]
Globalement, les agents des différentes institutions rebelles étaient traités de « mécaniciens, de cordonniers, de vagabonds » (Entretien avec un ancien enseignant volontaire en zone rebelle, 1er mars 2016), intégrés dans des institutions au rabais.
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[46]
La proximité des noms des deux instances syndicales citées (RSDCI et RESAFISC) n’est pas volontaire. D’ailleurs, les entretiens effectués avec des membres des deux instances montrent que les acteurs n’étaient souvent pas informés de l’existence de l’autre.
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[47]
Statuts du RSDCI, document interne, p. 4-8.
-
[48]
Entretien avec un capitaine des douanes intégré, membre fondateur du RSDCI, Abidjan, 13 janvier 2018.
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[49]
Lettre du directeur de cabinet du ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative au président du Comité des agents des douanes issus de l’APO, 19 février 2014, document interne.
-
[50]
Préavis de grève envoyé par le Comité des agents de douanes issus de l’APO au directeur général des Douanes, 24 septembre 2014, document interne, souligné par l’autrice.
-
[51]
Aboubacar Al Syddick, « Bouaké : mouvement de protestation. Les douaniers arrêtent le travail et lancent une mise en garde », L’Intelligent d’Abidjan, non daté.
-
[52]
Nom donné à la génération des 1 922 douaniers intégrés en mars 2015.
-
[53]
Harry Diallo, « Douanes ivoiriennes. Un syndicat projette une grève illimitée à partir de fin août », Propos recueillis par l’auteur à Yamoussoukro, L’intelligent d’Abidjan, lundi 14 et mardi 15 août 2017, p. 8, souligné par l’autrice.
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[54]
Pétition RSDCI, document interne.
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[55]
Entretien avec le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI, Bouaké, 20 janvier 2018. Ces informations sont également issues de tableaux de répartition de l’argent des heures supplémentaires que l’enquêté m’a montrés pendant l’entretien.
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[56]
Procès-verbal de la rencontre à la Brigade spéciale des douanes, Yopougon-Gesco, 7 octobre 2017, document interne.
-
[57]
Par exemple au directeur général des Douanes (26 novembre 2014) et au président du conseil d’administration de la Mutuelle générale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire, MUGEFCI (11 juillet 2016), documents internes.
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[58]
Lettre d’information envoyée par le secrétaire général du RSDCI au DGD, 9 octobre 2017, document interne, souligné par l’autrice.
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[59]
Entretien avec le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI, Bouaké, 20 janvier 2018.
-
[60]
Le secrétaire à l’organisation et à l’information du RSDCI a ainsi été d’abord convoqué par le commissariat de police du port autonome d’Abidjan le 6 novembre 2017, puis par la direction de la police criminelle le 12 décembre pour une audience au tribunal de première instance du plateau. Le secrétaire général du RSDCI a également reçu les mêmes convocations (documents internes).
-
[61]
La Fesci est en effet vue comme une école syndicale très violente mais qui de fait parvient souvent à obtenir gain de cause à ses revendications grâce à la présence de militants réellement combatifs, d’où le possible espoir créé par leur arrivée dans les douanes pour certains douaniers déjà en place.
-
[62]
La mise en avant d’une identité fesciste est également renforcée par la stigmatisation qu’ils reçoivent à leur arrivée puisque celle-ci justifie la mise en avant d’une autre identité que celle rebelle.
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[63]
Plutôt que de voir une distinction entre un capital social et un capital militant, il aurait également été possible de parler de deux composantes du capital militant : relationnelle (solidarités militantes, réseaux) et technique (savoir-faire de mobilisation). Lue ainsi, la situation interrogerait alors sur la convertibilité différenciée de certains aspects d’un même capital au sein de différents champs. En effet, on pourrait penser que le passage dans le champ étatique post-conflit autorise surtout la reconversion d’une des composantes du capital militant, à savoir celle relationnelle. Le capital militant « technique » serait alors surtout reconvertible dans le champ syndical (désormais professionnel), alors que l’aspect social du capital militant aurait une convertibilité plus large (voir la dernière section de cet article). Cependant, deux éléments nuancent cette réflexion. D’une part, le capital militant tel que défini par Matonti et Poupeau (2004, p. 7) n’a pas de dimension relationnelle (le cas ivoirien est ainsi une invitation à le considérer et à peut-être élargir la définition initiale donnée par les auteurs), et d’autre part, dans le cas des douanes, c’est le capital militant compris dans ses composantes technique et social qui est reconverti dans les douanes ivoiriennes post-conflit, ce qui affaiblit l’hypothèse d’une conversion différenciée de certains aspects d’un même capital en fonction du champ. Enfin, dans notre exemple, le capital social est à distinguer en ce que le réseau et les solidarités qui structurent la mobilisation syndicale dans le champ étatique est à la fois issu de la période fesciste et de celle rebelle, rendant ainsi délicate la centralisation au sein d’un même capital de variations et de dimensions si diverses dans leurs teneur et leurs modes d’accumulation.
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[64]
Entretien avec un inspecteur des impôts, Abidjan, 12 janvier 2018.
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[65]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 11 janvier 2018.
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[66]
Extrait de carnet de terrain. Abidjan, Cocody, 8 janvier 2018. Domicile de Kéagnoun Basile, administrateur du trésor à Abidjan.
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[67]
Sa démission entre dans un contexte de tensions croissantes à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2020, entre les anciens membres de la rébellion et le RDR, parti arrivé au pouvoir en 2011 grâce à la rébellion [www.rfi.fr/afrique/20190208-cote-ivoire-guillaume-soro-demissionne-presidence-assemblee-nationale].
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[68]
Entretien, Abidjan, 11 janvier 2018.
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[69]
Entretien, Abidjan, 8 janvier 2018.
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[70]
Entretien avec un administrateur des impôts, Abidjan, 17 septembre 2018.
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[71]
Étaient présents notamment Eugène Djué, membre fondateur de la Fesci et des Jeunesses FPI, Jean Blé
Guirao, ancien leader de la Fesci, ou encore Fulgence Assi, SG de la Fesci à cette date. -
[72]
Comme j’ai pu l’observer lors d’un terrain de septembre à octobre 2018 à Abidjan, Man, Séguéla et Bouaké.
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[73]
Les candidats soutenus étaient pour la plupart des candidats indépendants, non reliés aux partis traditionnels. On voit se multiplier les candidatures indépendantes depuis plusieurs années, et l’organisation parallèle de mouvements favorables à Guillaume Soro, qui est en conflit croissant avec le RDR, n’y est pas pour rien. Cela révèle en effet une baisse d’influence des partis politiques traditionnels et les proches de Soro jouent sur cette tendance, en comparant d’ailleurs souvent Guillaume Soro à Emmanuel Macron (entretiens informels réalisés lors de l’élection présidentielle française en mai 2017 à Abidjan).
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[74]
Source : Archives de Kida Firmin.
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[75]
Cela se voit au regard de l’ensemble des structures se disant apolitiques mais créées par des amis de Soro passés par la rébellion, et visant discrètement à mobiliser les Ivoiriens dans l’attente de la présidentielle de 2020. Le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI) du député Soro Kanigui, ancien chef du cabinet civil de la région de Korhogo pendant la guerre et ami de Guillaume Soro, en est un des exemples les plus parlants.
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[76]
Peu de travaux existent sur le sujet, mais les alliances ayant existé entre le Syndicat agricole africain d’Houphouët-Boigny et le pouvoir colonial dès les années 1950 témoignent du lien important en Côte d’Ivoire entre le champ syndical et politique. Cependant, ce lien s’est progressivement atténué du fait de la répression croissante des mouvements syndicaux à partir des années 1990 (voir Losch, 2000, notamment p. 11, n. 51). Sur les trajectoires d’ascension dans le syndicalisme enseignant, voir également Popineau (2017).
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[77]
Nous utilisons ici des catégories utilisées pour décrire le champ politique français, notamment celles utilisées par Dogan (1967).
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Banégas et Akindès (2008) ont par ailleurs montré également que la Fesci était une voie d’entrée au concours de l’ENA du fait notamment de son influence sur le monde estudiantin. Ces données sont plus précisément issues des enquêtes menées par Richard Banégas, Alain Toh et Souleymane Kouyaté en février-mars 2008, dont certaines ont été publiées dans Akindès, Banégas (2008, p. 149-151). De ce point de vue, il y a une sorte de continuité dans les modes de recrutement dans l’État en Côte d’Ivoire (Popineau, 2019).
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[79]
La violence exercée par les fescistes durant leurs années étudiantes s’exprimait de manière multiple, allant des affrontements extrêmement violents avec les forces policières sur le campus, aux techniques d’intimidation, de séquestration, ainsi qu’un usage routinier des négociations musclées avec les autorités et une forme d’« ethos guerrier » (Banégas, 2010b) qui s’illustre, entre autres, par les noms de grades militaires donnés aux militants (par exemple, le secrétaire général est appelé « général »). C’est l’ensemble de ces pratiques, mais aussi l’aura et la réputation de « guerriers » qu’ont les fescistes qui sont reconvertis au sein des institutions, en ce qu’elles les rendent légitimes à mener les luttes, qu’elles soient syndicales ou politiques. Si la violence fesciste est souvent condamnée par la population, il est néanmoins admis que les fescistes sont des militants allant au bout de leurs idées, et ce par tous les moyens, y compris violents.