Couverture de GAP_161

Article de revue

Action publique et fabrique du consensus

La « lutte contre le gaspillage alimentaire » en France et aux États-Unis

Pages 63 à 90

Notes

  • [1]
    La National Resources and Defense Council, association de protection des ressources naturelles, et la North California Recycling Association, axée sur le recyclage et la prévention des déchets, co-organisent l’événement.
  • [2]
    Le « gaspillage », traduit en anglais par « waste », est une notion normative. Nous utilisons des guillemets pour toutes les expressions relevant du vocabulaire indigène.
  • [3]
    Environmental Protection Agency.
  • [4]
    Le « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire » est tout au long de l’article désigné par le terme Pacte, et le Zero Food Waste Forum par le terme Forum.
  • [5]
    G. Garot occupe ce poste qui n’existe qu’à partir de juin 2012 sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et disparaît en mars 2014 à la suite d’un remaniement ministériel. Ce député reprend alors ses fonctions initiales et rédige un rapport parlementaire sur le « gaspillage alimentaire » en avril 2015. Les dénominations des institutions gouvernementales (Agriculture, Environnement) sont simplifiées par souci de lisibilité.
  • [6]
    La fin de notre analyse est fixée chronologiquement à cette date.
  • [7]
    De manière concomitante, dès la fin des années 1980 aux États-Unis puis en France, l’industrialisation des systèmes alimentaires fait naître des préoccupations liées à la qualité des produits et à leurs impacts sur la santé. L’« épidémie d’obésité », ainsi mise en avant par les institutions sanitaires des deux pays, reste néanmoins une question distincte, voire concurrente, du « gaspillage alimentaire » dans la mesure où certains comportements prescrits incitent par exemple à finir son assiette. Cette disjonction s’explique par le fait que la notion de qualité et les modalités de production alimentaires demeurent des angles morts de ces deux problèmes publics, jusqu’alors centrés principalement sur des pratiques individuelles de consommation excessive.
  • [8]
    Les références croissantes au terme témoignent de ce processus. À titre indicatif, une recherche sur la base de données Europresse regroupant 441 journaux français montre que l’expression « gaspillage alimentaire » n’est utilisée que 7 fois en 2007, puis 25 fois en 2009, 676 en 2012 et 2 173 en 2014.
  • [9]
    Selon une analyse issue de V. Smil (2004), la production de produits animaux « convertit » l’équivalent de 1 700 calories en 500 calories.
  • [10]
    Food and Agricultural Organization.
  • [11]
    « Gâchis : comment les États-Unis perdent jusqu’à 40 % de leur alimentation » (nous traduisons).
  • [12]
    « Une quantité énorme de ressources dépérissant dans des décharges – coûteuses pour les consommateurs, les entreprises et l’environnement – dont on n’a tout simplement plus les moyens ».
  • [13]
    Il n’est d’ailleurs pas anodin que la Food and Drug Administration, par ailleurs mobilisée sur les aspects sanitaires et nutritionnels de l’alimentation, ne soit pas présente.
  • [14]
    Les villes, counties et États disposent d’une plus grande autonomie législative qu’en France concernant le traitement des déchets (obligation de tri à la source, taxation) et ils peuvent directement inciter aux dons alimentaires (crédits et réduction d’impôts).
  • [15]
    « Nous sommes les mieux placés, dans le secteur privé, pour gérer notre propre impact ; on préfèrerait s’occuper de ça nous-mêmes plutôt que l’État vienne nous dire ce qu’on doit faire ! »
  • [16]
    « Diminutions de la masse de nourriture comestible tout au long de la chaîne alimentaire ».
  • [17]
    « Retourne à la terre ».
  • [18]
    Cette pyramide n’est d’ailleurs pas sans rappeler les outils de la politique de lutte contre l’obésité. La constitution d’une « pyramide » ou d’un « camembert » présentant les proportions de nutriments à consommer permet de n’écarter aucun aliment – et ainsi de ne pas entrer en conflit avec leurs promoteurs – au motif qu’il suffit d’en consommer dans une proportion limitée.
  • [19]
    « Un pas dans la bonne direction. »
  • [20]
    « L’argent serait une meilleure solution [pour aider les gens], mettre fin à la pauvreté. […] En attendant, on résout le problème de la faim pour beaucoup de monde. Ce n’est pas la solution mais c’est une amélioration de la situation. »

1Le buffet du premier Zero Food Waste Forum américain, tenu en octobre 2014 en Californie, propose à ses deux cents participants une sélection originale de mets récupérés la veille dans les poubelles d’un supermarché local. Alors que des organisateurs militant dans des organisations environnementales [1] présentent ces produits encore comestibles pour dénoncer le « gaspillage alimentaire » ou « food waste[2] », l’ironie de la situation veut que des représentants de ce même supermarché se retrouvent à leurs côtés, consommant ce qu’ils jetaient quelques heures plus tôt, lors de ce Forum annuel. Celui-ci réunit à la fois des représentants d’industries agroalimentaires et de la grande distribution, de start-ups, d’organisations non gouvernementales et d’entités publiques, avec le soutien de l’Agence fédérale de l’environnement EPA [3]. En France, un « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire [4] » mené par le ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire [5] rassemble quant à lui depuis 2013 des représentants d’organisations professionnelles du secteur agroalimentaire, d’associations caritatives et environnementales, ou encore de collectivités locales et associations de consommateurs. À travers des groupes de travail thématiques bimensuels, se retrouvent autour d’une même table des militants écologistes, des responsables de restaurants scolaires, ou encore des représentants de la grande distribution. Succédant partiellement aux travaux de ce Pacte, l’Assemblée nationale et le Sénat approuvent à l’unanimité des mesures relatives au gaspillage alimentaire en 2015, définitivement votées en février 2016 [6]. Quand bien même les enjeux d’accès à l’alimentation, de prévention des déchets et de gestion de la production alimentaire sont des considérations politiques depuis les années 1980, à la fois en France et aux États-Unis, il faut attendre la fin des années 2000 pour que le « gaspillage alimentaire » fasse l’objet de préoccupations collectives. Le sujet est progressivement identifié et construit en tant que problème public, à travers la production symbolique de cadres interprétatifs particuliers (Gusfield, 1984 ; Neveu, 1999). Sa prise en charge passe par des instances comme le Pacte ou le Forum, qualifiées de dispositifs participatifs dans la mesure où elles associent l’État et des organisations représentant des intérêts sociaux et économiques selon une démarche de concertation et de négociation.

2À travers les dispositifs participatifs examinés dans cet article, les différentes parties prenantes qui s’investissent parviennent à s’accorder sur une vision commune et une prise en charge collective du « gaspillage alimentaire ». Cette convergence est d’autant plus inattendue que les acteurs concernés présentent généralement des intérêts concurrents. En effet, des acteurs publics, des mouvements militant pour des causes sociales et environnementales et des organisations et groupes d’intérêts privés entretiennent les uns avec les autres des relations distendues ou conflictuelles (Grossman, Saurugger, 2012 ; King, Pearce, 2010 ; Schurman, Munro, 2010). De plus, les opérateurs privés de la transformation et de la distribution alimentaires sont régulièrement en désaccord au cours de négociations commerciales. La forte concentration de certains secteurs – plus particulièrement la grande distribution en France et l’industrie agroalimentaire aux États-Unis – déséquilibre les rapports de force vis-à-vis des producteurs, intermédiaires, et consommateurs finaux (Allain, Chambolle, 2003 ; Burch, Lawrence, 2007). Mettant en jeu leurs propres pratiques de production, l’engagement de nombreuses firmes dans la réduction du « gaspillage alimentaire » contredit leurs intérêts commerciaux immédiats.

3Grâce à l’exploration des coulisses de l’action publique au moment même de l’entrée en politique du « gaspillage alimentaire » et à la réalisation de plus de cent vingt entretiens dans deux pays auprès d’acteurs directement ou indirectement impliqués dans la production, distribution et consommation alimentaires, nous répondons à la question suivante : dans quelle mesure la publicisation du « gaspillage alimentaire », à travers des dispositifs d’action publique participatifs, entraîne-t-elle la mise en retrait progressive d’intérêts contradictoires et la fabrique d’un consensus apparent, support d’une prise en charge marchande, gestionnaire et dépolitisée ?

4Contrastant avec la théorie des pratiques dominante dans la littérature dédiée au sujet (Le Borgne, Sirieix, 2013 ; Evans, 2014), notre inscription dans la sociologie politique constitue un angle d’approche original du « gaspillage alimentaire » vu comme domaine politique et secteur économique en construction. La temporalité de l’analyse concorde d’autant plus avec l’actualité politique que des propositions législatives sont discutées en France et aux États-Unis en 2015 et 2016, respectivement. Précisons par ailleurs que nous ne nous situons ni dans l’analyse de la représentation des déchets et des restes en sociologie culturelle, ni dans la littérature de gestion commerciale et environnementale, ni dans une perspective de sociologie des mouvements sociaux. Sans s’attarder sur l’historique et les causes de la mise sur agenda du « gaspillage alimentaire » comme problème public en France et aux États-Unis, notre article prend pour point de départ l’action publique mise en place à ce sujet et en analyse tout particulièrement les conditions sociales et les modalités. Celles-ci sont doublement éclairées par les travaux dédiés aux mécanismes de consolidation du consensus (Dobry, 1986 ; Urfalino, 2007) et par la littérature sur les dispositifs et instruments d’action publique vus à travers leurs composantes techniques et sociales (Lascoumes, Le Galès, 2009, p. 104).

5Utilisées dans le cadre d’un nombre croissant de politiques publiques depuis les années 2000, les procédures participatives se sont professionnalisées et ont largement dépassé leur caractère expérimental (Nonjon, 2012 ; Sintomer, Blondiaux, 2002). Les instances étudiées ici, qualifiées de dispositifs participatifs, s’appuient dans les deux pays sur l’engagement volontaire d’acteurs organisés, souvent de façon sectorielle, et se distinguent de ce fait des conférences de citoyens ou débats publics s’inscrivant dans des démarches dites de démocratie participative. Malgré leur volonté d’ouverture et d’inclusion, bien qu’elles n’attribuent pas de monopole de la représentation, elles tendent à produire des agencements similaires à ceux d’un modèle de type néo-corporatiste, reposant sur des relations codifiées d’échanges réciproques entre l’État et certains groupes stabilisés (Grossman, Saurruger, 2012 ; Schmitter, 1974). Nous montrons que les instances participatives analysées soutiennent une politique en grande partie symbolique, où la communication constitue elle-même un instrument d’action publique (Edelman, 1977 ; Utard et al., 2014). Les principales actions retenues dans la prise en charge du « gaspillage alimentaire » reposent également sur la diffusion de l’idée selon laquelle des logiques marchandes et des techniques de gestion, notamment issues du secteur privé, sont les plus à même de résoudre des problèmes publics (Bezes, 2009 ; Hartley et al., 2008 ; Ogien, 2007).

6Dans les deux cas analysés, certains cadrages et modes de prise en charge sont initialement ou progressivement écartés et des situations de non décision perdurent du fait de l’investissement récurrent de certains acteurs (Bachrach, Baratz, 1963). De surcroît, quand une décision est prise, la quête du compromis nuit à l’expression ouverte de désaccords (Urfalino, 2007). Le consensus, manifeste mais fragile, est alors apparent dans les deux sens du terme. Nous avançons ainsi l’argument que les dispositifs participatifs étudiés, même s’ils rassemblent de multiples parties prenantes, entraînent une prise en compte à géométrie variable et une convergence limitée des intérêts relatifs à l’organisation de la filière alimentaire. C’est sur une problématisation sans adversaire (Juhem, 2001) que s’appuie cette convergence apparente, ni conflictuelle ni partisane, proposant davantage d’adaptations marginales du système de production alimentaire que de changements structurels. S’inscrivant dans un modèle de prise en charge sectorielle et technicienne, la « lutte contre le gaspillage alimentaire » s’appuie principalement sur l’innovation logistique et managériale et l’ouverture de nouvelles niches marchandes, par opposition à des mesures prescriptives. La construction d’une cause consensuelle permet en effet l’émergence de circuits de commerce pour des denrées jusque-là non consommées et l’action publique tend à institutionnaliser un marché de la « lutte contre le gaspillage » à travers l’adoption de normes et incitations de type fiscal (Fligstein, 2001). Aussi les dispositifs participatifs contribuent-ils à un processus de dépolitisation, corollaire d’un changement à la fois incrémental et marginal des politiques sectorielles, tous deux favorables aux intérêts les plus structurés.

7Plus largement, cette étude permet d’interroger la régulation conjointe des systèmes productifs par des acteurs publics et privés, sur laquelle il existe une littérature pluridisciplinaire florissante (Ansell, Gash, 2008 ; Berstein, 2011 ; Ogien, 2007 ; Salamon, 2002), en particulier sur les thématiques d’environnement, alimentation et durabilité (Bartley, 2003 ; Fouilleux, 2013 ; Glasbergen et al., 2007). Nous avançons l’argument que la mise en politique adoptée dans les deux pays contribue à pérenniser des logiques de marché et d’industrialisation des systèmes alimentaires, alors que des opérateurs économiques s’adaptent aux critiques sociales et environnementales dont ils font directement et indirectement l’objet (Boltanski, Chiapello, 1999). En cohérence avec les évolutions contemporaines de l’action publique vers une logique gestionnaire peu politisée, le cas du « gaspillage alimentaire » en France et aux États-Unis offre, en outre, une perspective sur les modalités du changement institutionnel et sur le rôle différencié de l’État dans la prise en charge de problèmes publics (Muller, 2013 ; Palier, Surel, 2010).

Encadré 1. Une démarche d’enquête comparative centrée sur des dispositifs participatifs

Afin d’analyser les rôles et les mécanismes à l’œuvre au sein de dispositifs d’action publique, au-delà des particularismes des acteurs publics ou privés qui en sont à l’initiative ou y participent, nous nous appuyons sur des cas empiriques inscrits dans deux contextes nationaux : la France et les États-Unis. L’analyse comparée de la prise en charge d’un même sujet permet non seulement d’en comprendre les rouages internes, mais aussi d’observer des processus de diffusion, transfert et convergence à l’œuvre au niveau international (Bennett, 1991 ; Hassenteufel, Maillard, 2013). Alors que les modèles d’organisation politique français et américain sont traditionnellement opposés, l’intérêt de l’approche comparée provient ici d’une forte proximité, développée par la suite, entre les deux cas nationaux. Cette évolution conjointe est particulièrement inattendue sur un sujet lié à l’alimentation, domaine où les deux pays se veulent souvent le contre-modèle l’un de l’autre. Les dispositifs participatifs étudiés ici présentent des similarités en termes de calendrier, de modes de participation, ou encore de choix de thématiques pour la mise en place de groupes de travail. Par la vision du « gaspillage » et les actions auxquelles ils aboutissent, ils offrent un exemple de convergence principalement cognitive et instrumentale – l’analyse des causes de cette convergence dépassant toutefois le cadre de notre étude. Si l’initiative provient davantage d’acteurs privés aux États-Unis et au contraire du gouvernement national en France (qui abritent les réunions dans leurs locaux respectifs), et si le dispositif français fait l’objet de rencontres plus régulières sur une période plus longue, ce sont les mêmes inégalités de représentation que l’on retrouve. Certains acteurs, à l’instar de firmes agroalimentaires ou de la grande distribution, disposent des multiples ressources nécessaires pour participer activement, alors que d’autres, tels que les consommateurs, ne sont représentés qu’indirectement par des organisations aux moyens limités. L’ancienneté des liens entre certains acteurs publics et des organisations privées tend à renforcer des logiques de type néo-corporatistes. Les capacités de contribution différenciées des acteurs infléchissent d’autant plus les décisions collectives que celles-ci ne sont pas arrêtées par un vote, mais par l’absence de désaccord – distincte d’un accord unanime – entre les acteurs présents (Urfalino, 2007). Dans les deux pays, les modes de fonctionnement des dispositifs participatifs entraînent la construction d’un consensus autour d’une définition limitée du gaspillage et d’actions finalement marginales.
Au plan méthodologique, cet article s’appuie sur plus de cent vingt entretiens semidirectifs menés séparément ou en binôme dans les deux pays, complétés par des observations ethnographiques pendant pratiquement un an des réunions régulières du Pacte en France et du Forum et de l’Alliance aux États-Unis, et de la consultation de la littérature grise sur « le gaspillage alimentaire ». Des données comparables ont été collectées dans les deux pays en portant attention à la représentativité de chaque type d’acteurs incluant des entités publiques (ministères et agences, collectivités locales), des entreprises de différentes tailles et de différents secteurs (notamment agroalimentaire, restauration, distribution), des associations d’aide alimentaire et des mouvements militants (protection de l’environnement, défense des consommateurs ou anti-consumérisme, par exemple), à différentes échelles et localisations variées. La comparabilité tient compte de limitations structurelles liées aux cas étudiés, telles que des périmètres d’action pouvant être différents pour des entités aux missions similaires aux échelles fédérale ou européenne, nationale ou locale, ainsi que des décalages hiérarchiques pour des individus aux fonctions similaires (Vigour, 2005).

8Après un bref historique de la thématique et la présentation de la construction et formulation du « gaspillage alimentaire » comme problème public consensuel, l’article traite plus précisément des dispositifs d’action publique adoptés, à la fois en France et aux États-Unis, et de la manière dont ils renforcent ou atténuent les intérêts singuliers des acteurs. Finalement, il s’agit d’interroger la stabilisation de « solutions » apportées au problème et leur implication dans la régulation des systèmes alimentaires français et étatsuniens.

De conceptions divergentes vers une formulation consensuelle du problème

Genèse d’une thématique rassemblant enjeux économiques, sociaux et environnementaux

9Afin d’interroger la nature fédérative du « gaspillage alimentaire », de brefs éléments de contexte et de cadrage politique permettent d’inscrire sa construction sociale dans un temps long et dans un espace où coexistent plusieurs discours, problèmes potentiels et opportunités de publicisation (Henry, 2009 ; Kingdon, 1984). Le sujet s’inscrit en effet à la croisée de préoccupations plus anciennes, détaillées infra, sur l’économie de ressources, la production agricole, l’alimentation et aide alimentaire, et la réduction des déchets. Offrant l’opportunité d’une valorisation complémentaire sur les registres environnemental, social et économique, le « gaspillage alimentaire », ou « food waste », prend le pas sur d’autres problèmes potentiels dans des arènes institutionnelles (Hilgartner, Bosk, 1988). Le choix d’une focale resserrée sur ce problème public spécifique ne doit pas occulter que l’investissement de certains acteurs dans sa publicisation contribue à maintenir d’autres préoccupations à l’état de non-decisions et d’unpolitics (Bachrach, Baratz, 1963 ; Crenson, 1971).

10En toile de fond, l’effort de limitation des pertes et d’utilisation parcimonieuse de ressources, traduit en anglais par l’idée de thrift ou « sens de l’économie », suscite l’adhésion de nombreux acteurs individuellement et collectivement. Les traditions familiales ou religieuses condamnant le « gaspillage » s’adossent à une conscience collective de l’expérience du manque, parfois symbolique, que ce soit par des références fréquentes des enquêtés aux populations sous-alimentées ou par la mémoire de la guerre, de la Grande Dépression aux États-Unis, ou du mode de vie modeste de générations passées (Bruegel, 2009).

11En France comme aux États-Unis, les modes de production alimentaire génèrent des denrées non consommées, en lien avec une capitalisation et industrialisation croissante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Malassis, 1977). Alors que la massification de la production, stimulée par des objectifs d’autosuffisance alimentaire, permet d’assurer la disponibilité accrue d’une large gamme d’aliments, elle génère des excédents et pertes structurellement liés à la complexité des marchés et des chaînes de distribution. Dans les deux pays étudiés, les questions d’hygiène et de contamination, renforcées par les crises alimentaires des années 1990, incitent à l’instauration de précautions sanitaires et d’obligations de traçabilité d’autant plus strictes que les denrées sont périssables. Les surplus font ainsi partie intégrante d’un système visant à se protéger des risques (Gille, 2012) [7].

12Aux États-Unis, ces surplus ont suscité l’attention des autorités publiques dès les années 1960 : le système de food stamps (bons alimentaires) est alors inscrit dans la politique agricole pour redistribuer des surplus alimentaires aux personnes considérées comme temporairement dans le besoin. Parallèlement, le Plan européen d’aide aux plus démunis, adossé à la politique agricole commune, est instauré en 1987, problématisant la redistribution sous l’angle agricole et social. Les inégalités persistantes d’accès à l’alimentation confèrent progressivement aux systèmes de redistribution publics et associatifs un caractère pérenne. Constituées comme réponse à des situations d’urgence dans les années 1980, les banques alimentaires voient leur nombre de bénéficiaires comme les volumes de produits augmenter, et font désormais partie intégrante d’un système institutionnel de redistribution concernant des millions de personnes (structuration en réseau, procédures d’habilitation pour que des associations bénéficient de fonds européens). Les réseaux d’associations d’aide alimentaire s’intéressent donc de plus en plus à des « gisements » de produits consommables qui seraient jetés.

13Par ailleurs, les déchets suscitent non seulement des préoccupations pour leurs gestionnaires, en termes d’hygiène et de santé publique, mais aussi relativement à la pollution de l’environnement depuis les années 1970. Une directive européenne sur les déchets en 1975 introduit la notion de « pollueur payeur » et fait des déchets un enjeu écologique et économique. Des plans de prévention des déchets – dont les déchets alimentaires – sont déclinés dans une logique descendante au niveau national et dans les collectivités locales. Aux États-Unis, le Resource Conservation and Recovery Act de 1976 stipule également que chaque État et municipalité doit avoir un plan de gestion des déchets. Dans les deux pays, ces plans mettent en place des obligations de tri à la source et de traitements spécifiques des bio-déchets – par compostage, notamment – pour les « gros » producteurs de déchets organiques, au-dessus de seuils définis réglementairement.

14Ainsi, qu’il soit question de « ressources », de « gisements » à redistribuer et valoriser ou de « déchets » dont se débarrasser à moindre coût tout en limitant leur impact sur l’environnement, sans être nommé comme tel le « gaspillage alimentaire » fait déjà partie intégrante de politiques sociales, de prévention des déchets et de protection de l’environnement. Cela étant, ce n’est que de manière récente que la situation de surplus corollaire à une production alimentaire industrialisée, l’accès inégal à l’alimentation et la tension sur des ressources naturelles limitées sont formulés conjointement comme problématiques à travers la terminologie de « gaspillage alimentaire ». Rapprochant plusieurs espaces de circulation des discours (Henry, 2009), des catégories d’action publique jusque-là disjointes sont alors réunies sous une même appellation.

Le « gaspillage alimentaire », nouvelle terminologie pour un « nouveau » problème public

15C’est à la fin des années 2000 que le « gaspillage alimentaire » est formulé en tant que problème public singulier [8]. L’idée d’une juste attribution des ressources, dans une dynamique de rationalisation et d’amélioration de l’efficience au sein d’organisations tant privées que publiques (Bezes, 2009 ; Ogien, 2010), est renforcée par un contexte de pression sur les ressources naturelles et économiques, lié aux crises alimentaires de 2008, à une récession économique dès 2007 aux États-Unis et persistant aujourd’hui encore en France, et à une « crise » environnementale au niveau mondial. Ainsi, des institutions scientifiques du domaine de l’environnement s’intéressent au « gaspillage alimentaire » sous l’angle du gaspillage de ressources – l’eau, en particulier – dès 2007-2008. Tandis que ces études soulignent par exemple un « gaspillage » de ressources lié à la production de produits carnés par rapport à des produits végétaux [9], celles qui sont ensuite menées par des organisations internationales portent principalement sur la production alimentaire telle qu’elle est, sans en remettre en question la nature et les modalités.

16Un rapport très souvent cité, produit par l’organisation onusienne de l’agriculture et l’alimentation FAO [10] en 2011, fournit pour la première fois des estimations quantitatives des « pertes et gaspillage » à chaque étape de la « chaîne » de production, distribution et consommation alimentaires – qui s’élèveraient au total à plus du tiers de la production alimentaire mondiale (voir Gustavsson et al., 2011). Dès 2009, le Royaume-Uni est le premier pays à mettre en place une agence ad hoc dédiée au sujet. En parallèle, des initiatives privées, entrepreneuriales et militantes intègrent le « gaspillage alimentaire » ou « food waste » dans leurs activités et revendications, par exemple en l’inscrivant dans des objectifs de responsabilité sociale d’entreprise ou en y dédiant des ressources humaines (nouveaux postes). Des entités créées ad hoc en font même leur mission principale, à l’instar de dizaines de start-ups et entreprises sociales dans les deux pays.

17Dans une logique de labellisation – ou naming (Felstiner et al., 1980), le fait que la notion de « gaspillage alimentaire » ou « food waste » soit retenue par les acteurs amenés à le prendre en charge reflète une conception singulière du problème. L’adoption de ces termes, au détriment d’autres, ne se fait pas sans certains heurts. Des groupes de travail sont d’ailleurs entièrement dédiés à l’élaboration d’une définition lors du Forum tout comme aux réunions du Pacte, ainsi que dans des instances européennes ou internationales. Le « gaspillage » se distingue d’abord des « déchets », même si la polysémie anglaise du mot « waste » limite les discussions à ce propos. Une distinction ensuite est généralement opérée – et continuellement débattue – entre la notion de « gaspillage » – usage désordonné, utilisation incomplète ou inutile de ressources – et celle de « perte » considérée comme « inévitable ». Par ailleurs, le terme « gaspillage » écarte la notion d’excédent, de surplus ou surproduction, sous-entendant que résoudre le problème impliquerait de diminuer dès l’amont les quantités de nourriture produites. Comme le « gaspillage » rend implicitement l’usager, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une organisation, responsable d’un emploi non optimal des ressources dont il dispose, de nombreux acteurs associent la diminution du gaspillage à l’optimisation de processus industriels ou commerciaux, ainsi qu’à la « sensibilisation » de tous à des emplois plus parcimonieux : par exemple, plusieurs agences et collectivités publiques françaises comme américaines diffusent des informations sur les différents types de date de péremption et donnent des conseils pour mieux conserver les aliments. Enfin la notion de « gaspillage alimentaire », insistant sur l’aliment, écarte la question du gaspillage de ressources, par exemple la quantité d’eau nécessaire pour produire certaines denrées. Alors que parler de « choses trop environnementales », selon un membre du cabinet du ministère de l’Agriculture, aurait repoussé des participants issus du secteur agroalimentaire souvent « attaqués » sur ces thèmes, l’alimentation est perçue comme un « sujet concret et fédérateur » (entretien, Paris, juin 2015). À condition que l’on ne remette pas en question publiquement ce que chacun mange : certains enquêtés dénoncent que l’alimentation excessive ou « overeat » ne soit jamais considérée comme du gaspillage, malgré des impacts qui pourraient être significatifs (Blair, Sobal, 2006).

Encadré 2. Construction d’un problème, construction d’un chiffre : « 20 kg par Français et par an, dont 7 kg encore emballés »

Si ce chiffre apparaît dans la communication institutionnelle française, il est repris non seulement par des médias généralistes et spécialisés mais aussi par des organisations militantes, par des entreprises sociales se proposant de réduire le gaspillage et dans la communication de la grande distribution. Il s’impose également comme référence pour des études scientifiques d’organisations internationales et européennes.
Ce « 20 kg par Français et par an » est issu d’une étude menée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie en 2007-2008 pour peser les quantités d’ordures ménagères et mesurer leur taux de recyclage. Selon cette étude, les ordures ménagères – mélangées d’ailleurs à des déchets collectés auprès de commerces comme des détaillants et supermarchés urbains, ce qui trouble les résultats – représenteraient 79 kg par habitant et par an, dont 7 kg de produits encore emballés. Quant aux 20 kg, il s’agit d’une estimation de ce que serait un « gaspillage » de produits encore comestibles, entre les 7 kg encore emballés et les 79 kg d’ordures (intégrant donc des emballages, des épluchures, et toutes autres sortes de déchets). Un membre de l’agence ayant participé à la réalisation de l’enquête se souvient : « ça a été fait par une personne sur un coin de table, dans un bureau, elle s’est dit 13 + 7 = 20. Et 20, ça sonne bien ! » (Entretien informel, Paris, juin 2014.)
Depuis, malgré sa fondation fragile, le chiffre s’est institutionnalisé et le déconstruire pose problème. Suite aux résultats différents d’une enquête complémentaire, le même enquêté précise plus tard : « on n’a pas pu le mettre [le nouveau chiffre]. On a tellement établi les 20 kg, ça discrédite » (entretien, Paris, juin 2015).

18Coupant court à la polyphonie, la dénomination figée qui s’impose dans chacun des deux pays est reprise et amplifiée par les médias, légitimée par l’intervention d’agents politiques et administratifs et adoptée par les pouvoirs publics. La construction du problème du « gaspillage alimentaire » ou « food waste » s’appuie aussi sur des données mesurables, des nombres et statistiques, qui contribuent à faire exister le sujet (Desrosières, 2008 ; Ogien, 2010). Une tension existe dans les deux pays entre, d’un côté, la volonté de construire des chiffres et indicateurs qui fédèrent les acteurs autour d’objectifs concrets de diminution des pertes et, de l’autre côté, des freins techniques pour accéder aux données existantes ou procéder à de nouvelles mesures. Aux États-Unis, le pourcentage de l’étude Wasted : How America is Losing up to 40 percent of its Food [11] (Gunders, 2012) s’impose et suscite une forte mobilisation. Il est régulièrement repris par des médias et documents de communication institutionnelle, alors même que les auteurs du rapport – membres d’une organisation environnementale – le disent incertain, issu d’estimations et données disparates.

19À travers l’attribution d’une part du « gaspillage » par secteur ou filière, les chiffres construisent une certaine conception du problème et contribuent à fonder un consensus sur la base de références partagées.

Une cause « sans adversaire »

20Une certaine conception du problème, chiffres à l’appui, construit le « gaspillage alimentaire » ou « food waste » comme un problème public et comme une cause qui apparaît sans adversaire. Il se rapproche en ce sens des politiques majoritaires ou valence issues, objets non-clivants au plan électoral. À l’instar du discours humanitaire, il « appartient à la catégorie des « discours sans opposants », […] c’est-à-dire des causes généreuses qui suscitent a priori la sympathie et qu’aucun acteur n’a intérêt à mettre en cause » (Juhem, 2001, p. 10). S’il existe des pratiques générant du gaspillage, aucun acteur organisé – aucun parti, aucun expert, aucune organisation professionnelle ou militante – ne s’oppose ouvertement, nommément, à la « lutte » contre le « gaspillage alimentaire ». Alors que des représentants d’entreprises de l’Alliance américaine adhèrent à des lobbies qui nient la réalité des changements climatiques au motif du manque de connaissances scientifiques (Oreskes, 2004), ils ne contestent pas les fondements du « problème » du gaspillage alimentaire, dont l’étude est pourtant moins développée. Si l’ampleur des enjeux n’est pas la même, la compatibilité du « gaspillage alimentaire » avec des intérêts variés, notamment économiques, contribue grandement à l’absence d’opposants manifestes. Engendrant un rapport de force défavorable à l’État, des acteurs habituellement concurrents, au sein d’un même secteur ou dans des secteurs différents, à l’instar des fournisseurs et distributeurs, semblent s’allier sur ce sujet à travers le jeu du consensus (Dobry, 1986). En pratique pourtant, ces derniers s’opposent régulièrement et y compris sur des éléments liés au gaspillage comme des clauses dans les contrats d’approvisionnement qui peuvent entraîner le rejet de produits.

21L’aspect fédérateur de la cause ne va néanmoins pas de soi. La remise en cause du « gaspillage » touche en effet à des aspects fondamentaux de pratiques personnelles et professionnelles quotidiennes. C’est donc à travers des opérations successives de définition, parfois conflictuelles, que les acteurs convergent autour d’un discours faisant du gaspillage une cause « positive » et transversale, à la croisée de causes environnementalistes, sociales et économiques. Une étude de l’organisation environnementale américaine co-organisant le Forum (Gunders, 2012) évoque à cet égard une « triple bottom-line » (triple performance), cause perçue et décrite par de nombreux acteurs publics et privés comme un « win win win », gagnante sur tous les tableaux. Cette convergence résulte de l’agrégation de plusieurs visions et de reformulations successives du « problème » et de ses « solutions », indissociables d’une reconfiguration des acteurs en présence – et de la mise à l’écart de certains. Aux États-Unis, les travaux du Forum, menés par des organisations environnementales, privilégient les dimensions écologiques et économiques. La charte et le plan d’action proposés aux participants en octobre 2014 précisent que le gaspillage américain, est « an enormous amount of resources wasting away in landfills – costing consumers, businesses, and the environment – which we just can’t afford anymore[12] ». Les organisations d’aide alimentaire ou militant pour la « food justice » insistent lors du Forum pour mettre davantage l’accent sur des enjeux sociaux liés à l’inégal accès à l’alimentation. En France également, alors que la formulation établie initialement par le ministère de l’Environnement porte principalement sur l’enjeu environnemental des déchets, le ministère délégué chargé de l’Agroalimentaire prend en charge le « gaspillage alimentaire » en ajoutant des aspects éthiques. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’interroger des aspects sanitaires et nutritionnels traités par des acteurs du domaine de la santé, ni les modes de production et l’organisation des filières, gérées par d’autres départements au sein même du Département d’Agriculture américain ou du ministère français de l’Agriculture.

22Le sujet suscite en outre une mobilisation particulière à travers la mise en avant de la dimension sectorielle du problème. Tout en refusant de « stigmatiser » un secteur au détriment d’un autre, dans les deux cas étudiés, les parties prenantes des dispositifs participatifs insistent sur la « responsabilisation » de chaque acteur tout au long de la chaîne de production, distribution et consommation alimentaire. En attribuant un pourcentage du problème à chacun, secteur par secteur, parfois filière par filière, comme autant de tronçons d’une responsabilité partagée, la présentation des mesures à entreprendre sectorise les causes du problème. C’est ainsi que, selon un rapport largement diffusé de la FAO, pour la filière « fruits et légumes », par exemple, le secteur « consommation » génèrerait 19 % de gaspillage en Europe et 28 % en Amérique du Nord, alors que l’étape « processing et packaging » se voit attribuer 2 % de gaspillage dans les deux zones (Gustavsson et al., 2011). Cela peut donner lieu à des processus de blame shifting (Weaver, 1986) d’un maillon de la chaîne à l’autre, lorsque des acteurs de l’industrie, par exemple, se targuent du faible pourcentage dont ils sont « responsables » par rapport aux « consommateurs ». Les logiques d’appartenance à un secteur, tel que la « grande distribution » ou le « food service », dépassent généralement la concurrence, parfois féroce, qui y règne. De surcroît, alors que les études sur le sujet commanditées par des agences publiques ou des firmes s’accordent sur l’attribution de la moitié du gaspillage aux « consommateurs » ou « citoyens », dans une logique d’individualisation du problème (Comby, 2009), les opérateurs économiques acceptent plus facilement leur part de responsabilité réduite à une fraction de la moitié restante. Ainsi, le « gaspillage » devient d’autant plus consensuel qu’il agrège une à une des conceptions sociales, économiques et environnementales, et d’autant moins contestable qu’il répartit la responsabilité à chaque secteur et chaque acteur.

23Malgré tout, même si la construction d’une cause agrégative et les définitions qui se stabilisent rassemblent une large gamme d’acteurs, certains aspects – et autant de potentiels adversaires à la cause telle qu’admise publiquement – sont écartés. D’un côté, certains acteurs n’adhèrent pas à l’idée de « gaspillage ». Un représentant du principal syndicat français de producteurs de légumes considère tout à fait « normal » qu’une partie des denrées alimentaires finissent à la poubelle au cours de leur transformation, en raison de leur nature périssable, chose contre laquelle on ne peut agir sauf à user de procédés chimiques ou de transgénèse (observation, salon international de l’agriculture, Paris, mars 2014). De l’autre côté, tout en reconnaissant l’existence du problème, certains n’adhèrent pas au périmètre de définition choisi, le trouvant trop faible, trop restrictif. C’est le cas de mouvements radicaux qui prônent une réorganisation – et non des aménagements marginaux – du modèle de production et consommation alimentaires (Holt Giménez, Shattuck, 2011). Le mouvement américain Food Not Bombs, dont on compte mondialement plus de 500 antennes et qui distribue depuis plus de trente ans des repas cuisinés à partir de nourriture récupérée notamment dans des poubelles de supermarché, s’oppose à l’organisation marchande des systèmes alimentaires et promeut l’accès de tous à l’alimentation comme un « droit » fondamental considéré comme antithétique à l’idée de « charité ». En France, le Centre national d’information indépendante sur les déchets, qui participe pourtant au Conseil national des déchets, refuse de se rendre au Pacte considérant que la focalisation sur l’aspect « alimentaire » est contraire à leurs objectifs de prévention globale de production de tous types de déchets. Les revendications de ces groupes demeurent hors du périmètre des discussions publiques, des définitions du problème et des « solutions » proposées. Comme le montre P. Juhem (2001) dans son analyse des causes humanitaires, les dimensions politiques les plus virulentes sont ainsi écartées de la mobilisation pour qu’elle soit – et demeure – sans adversaire.

Jeux d’acteurs et (co-)construction de l’action publique

L’adhésion des acteurs à des dispositifs participatifs

24À l’initiative du ministre délégué chargé de l’Agroalimentaire d’un côté, et de deux organisations environnementales (de protection des ressources naturelles et de promotion du recyclage) de l’autre, le Pacte et le Forum sont les premiers dispositifs d’action publique visant exclusivement à la réduction du « gaspillage alimentaire » dans les deux pays. Les groupes de travail thématiques du Pacte portent sur les « relations entre les partenaires », la « mesure du gaspillage » et la « communication et sensibilisation ». À partir des propositions des participants et des discussions attenantes, ils aboutissent à la signature d’un engagement volontaire, le « pacte », en juin 2013. Organisé sur deux journées en Californie autour de groupes de travail thématiques similaires à ceux organisés en France, le Forum regroupe environ 250 participants provenant de plusieurs États américains, incluant notamment des représentants fédéraux de l’Agence fédérale de l’environnement EPA et du Département d’Agriculture [13] ainsi que des membres de la Food Waste Reduction Alliance. Créée en 2011 à l’initiative de trois organisations professionnelles représentant la majorité des industries agroalimentaires, de la distribution alimentaire et de la restauration, en coopération avec le principal réseau national de banques alimentaires, Feeding America, cette Alliance réunit elle-même des parties prenantes multiples à travers des rencontres annuelles. Le Forum rassemble également des représentants de gouvernements locaux, de start-ups et de mouvements militants. À partir d’une feuille de route proposée par les organisateurs puis amendée collectivement, les discussions et groupes de travail se poursuivent via email et une deuxième rencontre annuelle est organisée en juin 2015 au Texas. Le leadership est assuré cette fois par une coalition d’entreprises privées en plus des associations environnementales.

25Au-delà des politiques publiques gouvernementales, en particulier aux États-Unis, la mise en politique du « gaspillage alimentaire » est ainsi en partie assurée par des acteurs privés, des associations caritatives et environnementales. Même en France où l’initiative du Pacte revient au gouvernement (qui invite les premiers participants), une autonomie relative est laissée aux invités qui peuvent présider et animer certains groupes de travail (et également coopter d’autres participants). Contrairement à la distinction opérée dans la littérature entre l’étatisme français caractérisé par un lobbying informel et une tradition américaine pluraliste où les lobbies sont davantage professionnalisés, notamment dans le domaine de l’environnement (Lascoumes, 2012), on observe dans le cas étudié une forte similarité dans le statut et l’implication des acteurs non étatiques. Les dispositifs participatifs ne se limitent pas aux représentants d’intérêts disposant du monopole de la représentation de leur secteur : des outsiders parviennent à s’insérer et se maintenir dans ces instances, à l’instar de membres d’associations environnementales ou de fondateurs de start-ups à la recherche d’opportunités marchandes.

26Si le « gaspillage alimentaire » est pris en charge par une diversité d’acteurs au niveau national, ces derniers s’en saisissent également à des échelles infranationales. Un « Réseau pour éviter le gaspillage alimentaire » s’organise par exemple en Aquitaine à l’initiative d’une association environnementale. Rassemblant des acteurs publics et privés, il se propose de « décliner concrètement le Pacte au niveau local ». Aux États-Unis, les États, les counties et les villes mènent des programmes comparables [14]. Les Pacte, Forum, Alliance, ou réseaux locaux qui en découlent sont autant de dispositifs participatifs, souples et incitatifs, suscitant la mobilisation et l’engagement volontaire ; ils s’apparentent à des instruments d’action publique de type informatif et communicationnel (Lascoumes, Le Galès, 2009, p. 106). Proches des tables rondes ou assises thématiques, ils se distinguent des consensus conferences ou conférences de citoyens par le fait qu’ils rassemblent principalement des porteurs d’intérêts organisés, souvent de façon sectorielle, avec un objectif de prise de décision politique. Fondés sur l’idée qu’un problème public peut être résolu par une plus grande coordination entre les acteurs, ils contribuent généralement à l’adoption de démarches communicationnelles symboliques (Salamon, 2002, p. 217-254 ; Utard et al., 2014). Même le vote d’une loi en France début 2016 n’a pas pour objectif, selon ses promoteurs, d’entrer dans une logique prescriptive ou coercitive, mais davantage de faire évoluer de manière symbolique ce qui est socialement acceptable ou non – en statuant par exemple que détruire des produits comestibles ne l’est pas. Plus qu’à des obligations et interdictions, les dispositifs participatifs encouragent au partage et à la diffusion de « bonnes pratiques ».

27Dans le but de concilier un système de relations hybrides, entre concurrence et collaboration, ou coopétition, il s’agit de mettre en regard les progrès de chaque type d’acteurs vers les objectifs fixés collectivement, de susciter une émulation propice à la réduction des différentiels de performance et, par-là, de tendre vers ces objectifs (Bruno, 2010). Les « meilleurs » sont généralement récompensés par des trophées ou des distinctions, systèmes mis en œuvre dès les années 1950 aux États-Unis et désormais utilisés dans de nombreux domaines. Ainsi, l’Agence fédérale de l’environnement EPA développe dans le cadre d’un Food Recovery Challenge, lancé en 2011, une campagne de sensibilisation appuyée sur le message « Food : too good to waste » qui se veut « positif ». S’y ajoutent des instruments symboliques comme une « Journée nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire » dès 2013 en France, une « Année européenne de lutte contre le gaspillage alimentaire » en 2014 et la volonté du Forum de faire de 2015 l’« Année de lutte contre le gaspillage alimentaire » aux États-Unis. À travers des critères de performance développés collectivement, les participants valorisent ensuite leurs initiatives dans ce qui ressemble, selon certains, à une « course aux kilos de nourriture sauvée ». De plus, il émane des discussions et groupes de travail des dispositifs participatifs des outils de régulation non contraignants, tels que des mécanismes de certification dans les deux pays ou la promotion de démarches de responsabilité sociale d’entreprise prévue dans la loi française de 2016. Ces instruments d’action publique complètent des instruments existants, également peu contraignants même quand ils sont de nature réglementaire ou fiscale (Lascoumes, Le Galès, 2009, p. 106), comme des seuils d’obligation de recyclage ou la taxation au poids pour la prévention des déchets.

28Cette approche de l’action publique est fortement liée à des processus de diffusion, trahissant l’influence du Royaume-Uni, particulièrement cité comme « modèle » que ce soit par des acteurs publics ou militants, pour les actions menées par son agence publique-privée dédiée aux « waste and resources » et reposant sur des mécanismes collaboratifs et incitatifs. Ils encouragent la concertation pour développer des nouveaux outils, selon un fonctionnement supposé horizontal typique des politiques constitutives, où l’État définit les procédures ou règles organisationnelles servant de cadre à l’action sans en édicter le contenu (Duran, Thoenig, 1996). Que ce soit à l’échelle nationale ou locale, les promoteurs de ces dispositifs de construction collective considèrent généralement que le secteur public seul n’est pas à même de gérer les conflits d’intérêts ou d’agir de manière efficace, et partagent une croyance en l’efficacité des méthodes managériales pour innover et progresser (Fouilleux, 2013 ; Ogien, 2010). Les initiatives mises en place aux États-Unis, où l’idée de dispositif d’action publique participatif est plus ancienne (Halpern et al., 2014, p. 331), sont souvent directement menées par des acteurs privés. Dans le cas français, c’est l’État qui est perçu et construit comme un espace neutre de discussion, investi par des acteurs non gouvernementaux qui apportent leurs idées, sans objectifs préétablis par les administrations publiques. Comme le résume ainsi un membre du ministère de l’Agriculture auparavant responsable de la tenue des groupes de travail du Pacte, l’administration est amenée à jouer un « rôle de secrétariat » (entretien, Paris, juin 2015).

29Les firmes qui s’investissent dans les discussions le font souvent dans le cadre de leur responsabilité sociale et environnementale (Aguilera et al., 2007 ; Porter, Kramer, 2011 ; Vogel, 2006). Il ressort d’entretiens réalisés que les actions sur le « gaspillage alimentaire » peuvent être valorisées simultanément dans des registres économique, social et environnemental, ce qui n’est pas le cas d’autres sujets, l’éco-conception par exemple, aux retombées moins profitables. S’engager sur ce sujet leur permet à moindres frais d’éviter des risques réglementaires. L’Alliance américaine de trois secteurs agroalimentaires se présente comme une manière de préempter l’action du gouvernement et la législation. L’un des fondateurs de l’Alliance explique : « We are in the best position in the private sector to manage our own impact, we would prefer to do that ourselves than having the government telling us what to do[15] » (entretien téléphonique, Miami, avril 2015). Jouer le jeu du consensus permet par ailleurs de maintenir des relations de partenariat et d’engagement réciproque avec les pouvoirs publics, dont les acteurs économiques sont structurellement dépendants en France comme aux États-Unis.

30Les démarches dites responsables participent également de la concurrence entre firmes. Pour celles d’entre elles qui disposent de capacités suffisantes, créer une structure organisationnelle dédiée au « gaspillage alimentaire » offre un symbole fort de prise en charge, façonnant en retour les attentes sociales sur le sujet ; comme ce fut le cas dans l’Amérique des années 1960 avec l’institutionnalisation de structures dédiées à l’affirmative action dans la plupart des entreprises (Edelman, 1992). Souvent, les entreprises qui participent activement aux dispositifs fondés sur l’engagement volontaire s’adaptent – ex-ante ou ex-post – à des critiques sociales et environnementales menaçant leur réputation et leurs pratiques. Une responsable du don alimentaire pour une enseigne de supermarché français compare les reportages montrant des poubelles avec des produits « javellisés » – volontairement détruits pour en éviter la récupération – aux campagnes très médiatisées de Greenpeace contre l’huile de palme, évoquant « ce fameux buzz dont tout le monde a peur » (Entretien et observation en magasin, Paris, février 2014). En fin de compte, les firmes s’assurent ainsi de la pérennité de leur activité, dans une logique capitaliste et souvent productiviste (Boltanski, Chiapello, 1999 ; Fouilleux, Goulet, 2013).

Participation et représentation inégales

31Les dispositifs participatifs qui se mettent en place en France et aux États-Unis construisent leur légitimité sur l’idée d’exhaustivité et de représentativité de la « chaîne alimentaire », c’est-à-dire des acteurs impliqués dans la production, la distribution et la consommation alimentaires. Les organisateurs du Pacte ou du Forum font part d’une volonté d’identifier puis d’inviter et de réunir « toute la chaîne », voire « toutes les parties prenantes », publiques et privées. Néanmoins, les organisateurs de ces instances collaboratives tendent à inviter les représentants traditionnels de dispositifs néo-corporatistes sectoriels (notamment les organisations professionnelles majeures). Non seulement ils ne s’adressent pas directement à des citoyens, à l’exception de quelques créateurs d’associations ou de start-ups, mais ils témoignent aussi de difficultés à mobiliser certains acteurs organisés. D’une part, certains ne sont pas conviés : en France, les associations de défense de l’environnement sont ainsi « oubliées » au début du Pacte. Si le Forum américain est, quant à lui, mené par des associations environnementales, il laisse une place moindre aux collectivités locales, qui se plaignent d’avoir la parole en dernier, lorsque les participants sont « fatigués ». D’autre part, non seulement tous les acteurs ne sont pas invités ou inclus dans les dispositifs, mais même ceux qui le sont ne participent pas tous aussi régulièrement, ni équitablement. Certains ne se rendent pas aux réunions, à l’instar des agriculteurs et éleveurs, en amont, et des consommateurs, en aval. L’animatrice du réseau local contre le gaspillage en Aquitaine explique l’absence d’agriculteurs : « avec le mot “gaspillage alimentaire” et la présence d’associations [écologistes], ils [les agriculteurs] répondent “on va nous accuser” […]. Et c’est pas forcément évident d’intégrer ça à une semaine de 45 heures. […] Les producteurs c’est vraiment le plus difficile. Ils font les marchés, y en a quasiment tous les jours de la semaine » (entretien téléphonique, Bègles, janvier 2014).

32Ainsi à un niveau individuel, les acteurs associés aux dispositifs ne disposent pas tous – et toutes – des mêmes capacités à s’exprimer et à faire entendre leurs intérêts dans les discussions (Urfalino, 2007, p. 66). Les représentants d’organisations professionnelles, mais aussi de grandes associations type banques alimentaires, sont généralement rompus aux relations publiques et à la communication institutionnelle, notamment du fait de leur expérience fréquente dans les secteurs de l’industrie ou de la distribution agroalimentaires. Les inégalités de contribution, entre des acteurs aux capitaux économiques, culturels et sociaux variés, sont redoublées par les capacités différenciées de représentation des acteurs. Les intérêts économiques dominants sont plus structurés, à travers des organisations ou des réseaux professionnels avec des ressources matérielles et humaines dédiées à leur représentation (Offerlé, 2013). C’est le cas aux États-Unis des organisations professionnelles de l’industrie, de la grande distribution et de la restauration qui créent l’Alliance. En France, les producteurs, l’industrie agroalimentaire et la grande distribution sont représentés par des syndicats majoritaires. Le nombre de participants par type d’acteurs doit aussi à la manière dont sont structurés les intérêts au sein de chaque filière. Parfois, certaines organisations bénéficient de double, voire de multiples représentations. Par exemple, une multinationale française de l’agroalimentaire est représentée quatre fois (seulement trois physiquement) lors des réunions du Pacte, en son nom propre et de par ses adhésions à des syndicats professionnels dont les représentants se déplacent systématiquement. Il serait pourtant réducteur de corréler l’influence de chacun des types d’acteurs au nombre de ses représentants : tous les points de vue mis en avant ne sont pas comparables, certains participant au nom de plus de 40 000 entreprises (organisation américaine de la grande distribution) et d’autres au nom de leur start-up de deux salariés. Dans l’un comme l’autre des pays, les « consommateurs » constituent un ensemble hétérogène et, en l’absence d’associations de consommateurs, ce sont souvent des organisations environnementales ou d’aide alimentaire qui jouent un rôle de représentation de la « société civile » ou community. Les arènes de politiques publiques étudiées tendent ainsi à devenir un espace supplémentaire où s’exercent des relations de secteur.

Instauration de références partagées, consensus arraché ?

33En fin de compte, les Pacte, Alliance, Forum de co-construction de l’action publique donnent lieu à l’instauration de certaines formes de domestication des manières de faire. Il n’est pas rare que l’établissement de pratiques et références partagées passe par des débats et luttes définitionnelles, dans des espaces à la fois publics et discrets (Gilbert, Henry, 2012).

Encadré 3. Une définition fluctuante, au service des uns et à la défaveur des autres

Au fil des réunions observées, en France comme aux États-Unis, chacun des mots est pesé, explicité, négocié, et la définition s’adapte progressivement aux intérêts des acteurs présents. Les travaux du Pacte aboutissent à la stabilisation de la définition suivante : « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à un endroit de la chaîne alimentaire, est perdue, dégradée, constitue le gaspillage alimentaire. » Il s’agit d’une formulation très consensuelle dans la mesure où « elle inclut bien tout le monde sans accuser personne directement, elle est courte, tournée vers l’action [de réduction du gaspillage] et elle est bien compréhensible […] par les gens des groupes de travail mais aussi par le grand public » détaille une responsable de l’organisation du Pacte au ministère de l’Agriculture (entretien, Paris, février 2014). De même, l’Agence fédérale de l’environnement EPA s’appuie sur une définition inclusive : « reductions in edible food mass anywhere along the food chain[16] ». L’Alliance partage cette définition à un mot près : il ne s’agit pas uniquement d’aliments « comestibles ». Contrairement au cas français où le « gaspillage alimentaire » concerne uniquement ce qui est destiné à la consommation humaine, les organisations américaines incluent au « food waste » des parties non comestibles (épluchures, peaux, etc.) et destinées aux activités de recyclage. Le degré de précision est tel qu’il peut susciter des débats houleux, sur des éléments aussi pointilleux que le caractère comestible des pelures de pommes de terre ou de certains abats (d’ailleurs inégalement consommés dans les pays étudiés). Si cela peut paraître anecdotique, ce qui est en jeu en filigrane c’est la proportion de la responsabilité du gaspillage revenant à chacune des étapes de la chaîne de production, distribution et consommation alimentaire. Dans un sens, plus la définition est restrictive – ne gardant que les produits finis et excluant les co-produits, les noyaux, les peaux de certains fruits – plus elle épargne les industriels, repoussant alors la faute sur la fin de la chaîne, vers les consommateurs. Une autre approche, également favorable aux industriels, consiste au contraire à porter l’attention sur les coproduits et résidus pour faire valoir des pratiques de recyclage sans soulever la question d’aliments encore comestibles et produits en excès. À cet égard, aux États-Unis, un mot change dans la définition de l’Alliance entre avril et novembre 2014, de telle sorte que food waste « inclut » – au lieu de « est » – les résidus organiques générés par la transformation, transport, stockage, vente, préparation, cuisine et service des aliments. Jusqu’alors, il n’était pas question d’autre chose que des déchets organiques. De manière ténue, ces subtilités sont aussi le reflet de différentes conceptions : dans le cas français, l’accent est souvent mis sur les aspects éthiques liés à « nourrir le plus d’humains possible », alors qu’aux États-Unis, il porte davantage sur une valorisation des ressources de manière cyclique selon l’idée que la matière organique « goes back to the soil » [17].

34De la fréquentation régulière d’instances collaboratives naît un capital d’informations et de savoirs partagés, en particulier des connaissances techniques et des précisions juridiques régulièrement apportées par des experts aux non-spécialistes de leur discipline. Cette forme de nivellement crée les outils d’une coopération et peut permettre d’atténuer des relations de domination entre acteurs.

35La mise à niveau des acteurs assure par ailleurs une conformation progressive des points de vue même les plus marginaux. Dès lors que l’ensemble des participants rattrape le niveau de connaissance de militants, entrepreneurs ou experts spécialisés sur la thématique, les lieux de discussion deviennent des espaces où se rejouent des relations de secteur, renforçant des rapports de force existants (Cloteau, 2014). Malgré des désaccords latents, puisque l’objectif de toutes ces rencontres est bien de parvenir à un consensus dans un temps limité, chacun se modère – souvent de manière asymétrique – et contribue à l’instauration de règles favorisant la prise de décision collective et l’apparition visible d’un consensus (Urfalino, 2007). Si la mise en place de tours de parole où chacun s’exprime l’un après l’autre contribue à limiter la formation de fronts d’opposition ou de lignes de clivage stable, il est plus surprenant de constater que l’abandon de certains sujets et la décision d’arrêt de certaines discussions puisse aussi avoir lieu de manière concertée. Au cours d’une réunion du Pacte sur la « mise en cohérence des actions et relations entre les partenaires », certains sujets revenant de manière récurrente sans pour autant aboutir, le conseiller du ministre suggère alors : « On peut décider qu’on ne parle plus de certaines choses, que c’est trop difficile, que vous n’y arriverez pas mais il faut le dire et se mettre d’accord […] on doit définir collectivement nos tabous » (observation ethnographique, Paris, mars 2014).

36Certains acteurs tels que des militants écologistes ou défenseurs de la food justice, n’adhérant pas aux définitions qui s’instaurent, décident de ne pas ou plus participer aux instances. À la différence d’autres domaines d’action publique, ce n’est pas leur manque d’expertise qui les disqualifie mais la portée trop politique de leurs discours. Peu à peu, selon un système de cooptation des intérêts, les acteurs dissidents sont de fait remplacés par des représentants d’organisations aux opinions moins hétérodoxes. Ainsi, au Pacte de 2012 à 2014, la proportion de transformateurs et de distributeurs ne cesse d’augmenter alors même que celle des associations environnementales et des producteurs décroît. De manière symbolique, un activiste largement médiatisé réalisant un tour du monde en récupérant de la nourriture dans des poubelles fait le déplacement pour le Forum à Berkeley, mais plus l’année suivante quand des entreprises de l’Alliance co-organisent l’événement dans un hôtel quatre étoiles à Austin (Texas). L’(auto-)disqualification de certains acteurs assure le maintien d’une définition du problème et d’une conception des « solutions ». Bien qu’atteignant leur objectif de représenter une forte proportion des parties prenantes des filières alimentaires, les dispositifs d’action publique étudiés ne permettent pas une équitable participation et représentation de tous. Le consensus vient davantage refléter des formes de domination préexistantes, et est construit de façon à écarter des positions dissidentes.

La stabilisation de « solutions » convenues

Une « hiérarchie » des bonnes pratiques

37La manière dont le problème du « gaspillage alimentaire » est identifié et défini détermine la façon de le traiter, c’est-à-dire les objectifs poursuivis et les mesures nécessaires pour les atteindre. Au fil des rencontres et des réunions sur la thématique, certaines solutions s’institutionnalisent, disqualifiant ou marginalisant alors des solutions alternatives et les groupes d’acteurs qui les prônent. Au sein des dispositifs participatifs d’action publique, une « pyramide des solutions » se stabilise progressivement. Consistant en une « hiérarchie » des usages, il s’agit d’instaurer un ordre de priorité dans la prise en charge des denrées non consommées. Ainsi, la première chose serait de réduire le gaspillage à la source par la prévention, la deuxième de redistribuer les produits pour l’alimentation humaine, la troisième de les utiliser cette fois dans l’alimentation animale ou dans l’industrie, et enfin de les recycler par des procédés de méthanisation – création d’énergie – ou de compost. Incinérer des déchets alimentaires ou les mettre en décharge est au bas de la pyramide, c’est « ce qu’il ne faut pas faire » ou « the last thing to do ».

Figure 1

Hiérarchie des mesures de réduction et de gestion du gaspillage alimentaire

Figure 1

Hiérarchie des mesures de réduction et de gestion du gaspillage alimentaire

38Cette vision normative des « bons » et « mauvais » usages trouve son origine dès les années 1970 dans le domaine de la prévention des déchets et de la protection des ressources, dans une perspective environnementale. Visant une gestion pragmatique et efficace de l’existant, elle s’inscrit dans une logique managériale. Peu à peu, cette hiérarchie est adaptée pour la prise en charge du gaspillage et en particulier alimentaire, par des précisions sur les usages propres à l’alimentation (réutiliser pour l’animal par exemple, chose qui n’est pas possible pour des déchets textiles ou électroniques). Si elle fait initialement l’objet de campagnes de sensibilisation importantes par des institutions et agences environnementales, en particulier l’EPA aux États-Unis, cette pyramide est reprise par des organisations militantes notamment dans le domaine de la justice sociale. En France, une hiérarchie des usages spécifiques aux produits alimentaires entre même dans le cadre de la loi votée en février 2016.

39Malgré une dimension normative, le fait de proposer une hiérarchie qui inclut toutes les actions possibles, au lieu d’en promouvoir une seule et unique, participe du caractère consensuel de la prise en charge du « gaspillage alimentaire ». Même certains industriels ou collectivités, investissant dans des infrastructures de compostage, situé en bas de la hiérarchie, peuvent se rattacher à cette classification dominante en argumentant que si les usages prioritaires ne sont pas possibles, le compost est tout de même recommandé. Chaque acteur peut interpréter la « pyramide » de manière à la rendre compatible avec son action [18]. Néanmoins, certaines actions de recyclage (alimentation animale, création d’énergie) restent souvent qualifiées de « gaspillage », ce qui n’est pas sans susciter des tensions notamment au sein de membres de l’industrie agroalimentaire dont les modèles économiques intègrent une méthanisation des déchets. Contrairement à la France, la méthanisation est positionnée au-dessus du compost aux États-Unis, soulignant le caractère non absolu de la « pyramide » en fonction des critères retenus (impact environnemental, financier, etc.). La priorisation entre l’optimisation de la production et le don d’excédents constitue quant à elle une polémique récurrente. La mise en place d’incitations fiscales, dans les deux pays, vise à faire monter le don dans une hiérarchie fondée sur des critères économiques, aux dépens de la qualité des dons effectués. Le président d’une association d’aide alimentaire s’indigne d’une comptabilité « en kilo par pauvres » qui pousse à maximiser les quantités d’aliments données au détriment de la dignité des bénéficiaires (Entretien, Paris, février 2014).

40Le caractère convenu des solutions adoptées est donc double, tant dans le sens de leur adoption collective que par leur conformité à l’ordre existant. Malgré son caractère inclusif, la « hiérarchie » d’actions établie demeure pourtant circonscrite à un nombre fini de « solutions de gestion » possibles. Ce type d’outil symbolique, assorti de mesures fiscales complémentaires, contribue finalement à mettre en place et stabiliser des formes d’échange – généralement marchand – qui se répercutent sur la destinée des aliments non consommés. Par exemple, dans les deux pays étudiés, le don d’« invendus » – haut dans la « pyramide » – s’intensifie et se formalise jusqu’à faire l’objet d’avantages fiscaux, tandis que des déchets organiques destinés à l’incinération ou au stockage – au plus bas de la hiérarchie – font l’objet de taxes.

41Peu à peu, la « pyramide » suscite des opportunités marchandes et par-là même l’adhésion d’un nombre croissant d’acteurs. Les surplus et restes alimentaires, jusqu’alors ni marchandisés ni consommés, s’intègrent à des circuits de commerce préexistants ou créent en marge de nouveaux circuits d’échange. Ainsi, un marché se structure progressivement autour du « gaspillage », ce qui pérennise certaines modalités de prise en charge des aliments tout en générant des formes de concurrence dans la récupération des denrées. Des entrepreneurs créent des start-ups et « entreprises sociales innovantes » pour faciliter ces échanges : l’une d’elle développe par exemple des applications mobiles pour des produits proches de leur date de péremption à prix réduit, et une autre instaure une plate-forme numérique mettant en lien des donateurs potentiels avec des associations caritatives en quête de nourriture. Les groupes d’intérêt dominants encouragent l’innovation et l’émergence de formes d’échange marchand autour des excédents alimentaires, préférables aux actions visant à limiter leur production.

42Certaines innovations sont ensuite reprises par des structures plus grandes. La généralisation à grande échelle et la formalisation des initiatives – comme la généralisation à l’ensemble du réseau Feeding America, par un investissement financier conséquent, d’une application optimisant les dons alimentaires initialement développée par une start-up – met en péril des initiatives locales plus informelles menées par des acteurs qui n’ont par exemple pas les ressources pour faire face à certaines procédures administratives. Au fur et à mesure que ce qui était auparavant considéré comme un déchet acquiert de la valeur, des systèmes marchands, formalisés et à grande échelle, prennent le pas sur des arrangements non marchands, informels et locaux. Non sans heurt, un marché se stabilise à travers l’établissement de normes et de conventions favorisant les transactions (Fligstein, 2001, p. 34), comme des contrats type formalisant les modalités du don alimentaire et inscrits dans la loi en France depuis 2016. Ces évolutions ne font parfois que renforcer des pratiques courantes pour les entreprises du domaine agroalimentaire, comme l’optimisation de leurs chaînes de production et l’obtention de déductions fiscales pour les dons. En fin de compte, ce sont des actions intégrées au fonctionnement existant des marchés qui sont le plus souvent promues comme « solutions » au gaspillage, dans une approche plus réformiste que radicale, visant à faire évoluer et améliorer le système existant sans remettre en question les rapports de force sous-jacents (Holt Giménez, Shattuck, 2011). Les conséquences de l’intégration de nouveaux biens, jusqu’alors écartés, à des circuits existants ne sont pas sans susciter l’inquiétude de certains acteurs : par exemple, des producteurs de fruits et légumes, à la fois en France et aux États-Unis, craignent que la vente à bas prix de produits non calibrés auparavant jetés se répercute négativement sur leurs revenus et activité, alors que des membres d’associations caritatives alertent sur les risques d’une redistribution excessive (Mourad, 2015).

Des solutions mises à l’écart

43Les formes de prise en charge qui se stabilisent mettent à l’écart d’autres solutions potentielles, notamment celles qui réinterrogent les logiques productives existantes. La « pyramide » de prévention et gestion du « gaspillage alimentaire » exclut des considérations liées aux modalités de production agricole, à la nature des produits et à la qualité des aliments. Certains éléments sont régulièrement évoqués dans le cadre d’entretiens individuels comme des moyens de réduire le « gaspillage », mais ils ne sont pas considérés comme discutables collectivement. C’est le cas de la relocalisation et de la saisonnalité de l’alimentation (permettant de réduire les pertes liées au transport et au stockage), des changements de régime alimentaire (économie de ressources par une consommation moins carnée ou tout simplement moins abondante), du choix de produits offerts aux consommateurs (des pertes importantes étant liées au maintien d’étagères pleines, aux gammes de produits sans cesse renouvelées, et aux démarches promotionnelles), ou encore des normes d’hygiène et du niveau de risque accepté (les normes françaises faisant partie des plus strictes au monde).

44Certains points de discussion sont progressivement écartés, d’autres pas même évoqués. Par exemple, si le cas des offres promotionnelles générant du « gaspillage alimentaire » (Le Borgne, Sirieix, 2013) est régulièrement évoqué sans aboutir à une remise en question de ce modèle économique, l’idée de réduire la consommation semble proscrite. Soulignant que les marges de manœuvre sont limitées dans un système agroalimentaire industrialisé et mondialisé, l’un des conseillers du ministre de l’Agriculture auparavant impliqué dans le Pacte confie : « Je suis radical dans mon positionnement personnel. Dans le travail faut être pragmatique. Moi je serais FNE [France Nature Environnement – association écologiste] ! Pour moi, en politique, c’est une utopie. Moi je suis au milieu et cherche des consensus » (entretien, Paris, juin 2015). Aussi, dans une forme d’autocensure, apparaît-il délicat de s’opposer à ce qui fait déjà publiquement l’objet d’un accord ou de promouvoir des valeurs jugées trop extrêmes dans la conception d’une politique publique.

45Un glissement s’opère au sein même de mouvements militants qui abandonnent leurs discours et pratiques les plus radicales – relatives à la racine, du latin radix, du problème du « gaspillage » – pour s’inscrire dans l’action publique. Une participante de Disco Soupe, mouvement investissant l’espace public pour redistribuer des fruits et légumes destinés au rebut, explique la difficulté à maintenir l’équilibre du mouvement entre des événements « plus militants » et ceux qu’elle qualifie péjorativement de « super institutionnels » en lien avec le Pacte (Entretien, Paris, décembre 2013). Ce n’est pas le cas de l’organisation américaine Food Not Bombs qui refuse tout bonnement de coopérer avec les organisations publiques et privées dominantes. Les organisations militantes aux revendications les plus radicales agissent ainsi dans d’autres espaces et ne se rendent pas aux instances participatives étudiées, n’intégrant généralement pas le « gaspillage alimentaire » en tant que tel à leurs revendications.

Une approche réformiste d’amélioration progressive

46La façon dont les études comme les chiffres sont construits, et dont le problème est sectorisé et individualisé au sein des dispositifs d’action publique, limite une approche systémique et contribue à promouvoir la concertation, sensibilisation et communication comme moyens de lutte contre le « gaspillage alimentaire ». L’approche générale peut être qualifiée de réformiste et participe d’un changement institutionnel de type incrémental (Lindblom, 1959 ; Streeck, Thelen, 2005). D’une part, il s’agit de remonter une hiérarchie, étape par étape, alors que de nombreux acteurs décrivent leurs actions comme une « première étape » ou « a step in the right direction » [19]. Une membre de start-up assurant la redistribution de produits issus de camions d’approvisionnement rejetés des supermarchés conçoit son action comme un pis-aller. Il serait préférable selon elle de résorber les inégalités sociales pour améliorer l’accès à alimentation en premier lieu : « Money would be a better solution [to help people], ending poverty. […] In the meantime, we solve hunger for many. It’s not the solution but it’s an improvement of the situation[20] » (entretien, Chicago, avril 2015).

47D’autre part, l’action individuelle et entrepreneuriale – de personnes ou d’organisations – est très souvent considérée comme ressort d’une action collective ou généralisée par un effet de mimétisme et d’incitation, de pression d’un groupe de pairs ou peer pressure, notamment lorsque ces derniers se retrouvent autour d’une même table. Une « bonne pratique anti-gaspillage » d’un commerce devient alors un avantage concurrentiel convoité par les autres qui lui emboîtent vite le pas. Il s’agit ainsi de « changer les choses de l’intérieur » selon l’idée que si chaque acteur adopte individuellement un comportement plus vertueux, cela peut non seulement entraîner son entourage, mais aussi contribuer à réduire le problème au global. Aussi cette vision repose-t-elle sur l’idée que les structures dominantes peuvent progressivement évoluer et que l’on peut compter sur des acteurs traditionnels pour s’adapter, dans une logique de changement incrémental. Le changement à accomplir ne remet en question ni la structure, ni la nature des acteurs et organisations, mais porte sur l’amélioration progressive de leurs pratiques.

48Ce faisant, les organisations de la production et de la distribution alimentaires s’adaptent aux critiques sociales et environnementales émises à leur égard, tout en maintenant un système fondé sur une industrialisation, une technicisation et une massification de la production (Boltanski, Chiapello, 1999 ; Fouilleux, Goulet, 2013). Comme sur d’autres sujets, l’adaptation des entreprises est de nature formelle et ne remet en question que de façon minimale le statu quo (Edelman, 1992). Alors même que la standardisation et le nombre croissant d’intermédiaires dans les chaînes d’approvisionnement et de distribution sont identifiés dans des études comme des causes du « gaspillage alimentaire », les solutions proposées renforcent ces éléments caractéristiques d’une production à grande échelle. Contraintes par un contexte économique de diminution des ressources, les entreprises adoptent un discours de promotion de leur propre transformation – par l’optimisation logistique et des solutions technologiques – tout en soulevant la responsabilité des « consommateurs » dont ce serait le tour de modifier les pratiques. La responsable du service environnement du plus gros syndicat français des industries agroalimentaires indique : « C’est quand même le cœur de notre métier donc bien évidemment, on a déjà réduit tout ce qui était les pertes matières et les choses comme ça […] On peut jouer plus sur le consommateur du coup. » Et d’ajouter que les actions envisagées consisteraient à proposer des conditionnements de gâteaux plus petits pour « ne pas jeter quand il en reste dans le paquet » ou à élaborer des contenus éducatifs, manière de pénétrer dans les cours d’école interdites aux marques (entretien, Paris, avril 2014).

49Des militants pour la protection de l’environnement dénoncent des formes de « green washing », et des professionnels ou bénévoles de l’aide alimentaire évoquent un « social washing », que ce soit en France ou aux États-Unis. Alors que le « gaspillage alimentaire » prend une importance grandissante à l’agenda de diverses organisations, les fondateurs de ces politiques en viennent eux-mêmes à dénoncer des formes d’opportunisme, à l’instar du député G. Garot auteur du rapport parlementaire en 2015 : « Le gaspillage est parfois un paravent, ou une façon habile pour certains de faire avancer leurs propres arguments. Faudrait pas que, comme y a eu du green-washing, y ait du gaspillage-washing, de l’antigaspillage-washing [rires]. Je vois bien, c’est un sujet tellement fédérateur que chacun veut faire passer sa propre vision à travers la lutte contre le gaspillage, mais sans rien remettre en cause » (entretien, Paris, juillet 2015).

Conclusion

50Le « gaspillage alimentaire » offre l’opportunité d’analyser des dispositifs d’action publique en train de se faire, les premiers en l’espèce sur la thématique dans les deux cadres nationaux étudiés. La mise sur agenda d’un nouveau problème public est construite comme une politique publique en soi. Au-delà des idiosyncrasies locales, les deux cas convergent vers une formulation du problème public du « gaspillage alimentaire » comme cause sans adversaire, bâtie de la sorte au prix de vives luttes de définition. Les dispositifs participatifs, a priori ouverts mais tendant à reproduire des arrangements néo-corporatistes, regroupent des groupes et individus aux intérêts divergents autour d’une même table, tout en écartant progressivement les positions dissidentes, afin de créer un consensus apparent, a minima. L’ordre symbolique qui s’impose ainsi disqualifie durablement les modes de résolution alternatifs du problème. Il repose sur la compatibilité des « solutions » retenues avec les logiques de marché établies, pour lesquelles l’État joue le rôle de médiateur favorisant l’autorégulation des opérateurs économiques secteur par secteur. Si des firmes trouvent un intérêt à s’investir sur ce problème tel qu’il est construit et dont la responsabilité est partagée par de multiples acteurs, c’est notamment car il peut être traité à moindres frais et moyennant une forte visibilité, par rapport à d’autres sujets tels que l’obésité ou le changement climatique. La mise en circulation de denrées jusque-là écartées donne alors lieu à l’émergence d’un « marché du gaspillage », lui aussi sans adversaire, tant que ne sont pas envisagées les conséquences à terme de l’intégration des surplus aux circuits de commerce préexistants (accroissement de l’offre, effet sur les prix). Si les mobilisations d’ordre éthique et environnemental interviennent comme ingrédients de la marchandisation, ce sont les espaces de discussion créés par les dispositifs participatifs qui stabilisent ce marché conformément aux intérêts des acteurs dominants.

51L’approche réformiste et incrémentale, où la généralisation de pratiques vertueuses d’organisations ou individus singuliers aboutirait à résoudre le problème, se heurte aux limites de l’engagement volontaire. L’action publique française semble changer de ton, dès 2015, par le vote d’une loi à l’énoncé coercitif : « interdiction de jeter » des denrées comestibles et « obligation de donner » ses invendus. Pourtant, les dispositions adoptées demeurent de type symbolique, reposant sur des incitations financières plus que sur des contrôles et sanctions. Derrière l’apparente rupture – l’éventuelle nouvelle étape dans la carrière du problème public – les instruments réglementaires se montrent davantage en continuité et complémentaires aux mesures initiales. S’il n’existe pas de réglementation au niveau fédéral américain, certains États expérimentent des dispositions contraignantes comme le Massachusetts qui a instauré un « food waste ban » en 2014. Cette loi interdit aux distributeurs de jeter de la nourriture dans les poubelles n’allant pas vers une filière de recyclage, mais se révèle également une mesure principalement symbolique appuyée sur des mécanismes fiscaux incitatifs. Rejoignant les questionnements d’É. Neveu sur la fin de la « culture des problèmes publics », on peut se demander : « Que ce passe-t-il si l’effet le plus saillant de ces lois est d’occuper l’agenda des médias, de mettre en scène un engagement autant surjoué qu’efficace ? Que deviennent les lois dont nul ne songe à produire les décrets d’application, parfois parce qu’elles sont inapplicables ? » (Neveu, 2015, p. 229.)

52Finalement, à l’instar d’un nombre croissant de domaines d’action publique, au nombre desquels les politiques de la Ville et de l’Environnement, la « lutte contre le gaspillage alimentaire » apparaît comme un modèle de prise en charge technicienne et managériale, écartant les mesures les plus prescriptives et se refusant à la politisation de l’enjeu au profit de logiques marchandes. On peut se demander si ce modèle gestionnaire et collaboratif de l’exercice du pouvoir, au-delà de l’ouverture démocratique défendue, ne sert et n’amplifie pas davantage les inégalités de secteur préexistantes. Plus que de pallier les dysfonctionnements du système de production alimentaire à dominante productiviste, il en assurerait même la pérennisation. Le consensus obtenu autour de la prise en charge du problème reflète l’investissement hétérogène des parties prenantes et s’avère être au bénéfice des groupes d’intérêts dominants, qui en profitent pour valoriser leur « engagement » dans une lutte institutionnalisée contre le « gaspillage alimentaire ». Les dispositifs participatifs de type Pacte, Forum ou Alliance deviennent ainsi des outils permettant aux systèmes économiques de s’adapter aux critiques sociales et environnementales dont ils font l’objet, avec le concours des agents administratifs et politiques.

53Au fur et à mesure que les discours dits « consensuels » délégitiment la remise en cause des systèmes productifs et survalorisent les déterminismes technologiques, l’action publique se réduit progressivement à des arrangements sectoriels marginaux, dans un processus de dépolitisation. Dans les deux cas empiriques étudiés, l’enjeu semble relever tant d’une course aux armements symboliques entre acteurs étatiques et économiques que, pour ces derniers, de préempter l’action publique afin d’éviter une potentielle régulation désavantageant leurs activités économiques existantes. L’évolution conjointe de la France et des États-Unis sur le « gaspillage alimentaire » ou « food waste », de nature incrémentale, semble liée à des standards d’actions qui se diffusent depuis d’autres pays ou organisations internationales, s’ajoutant au fait que ce sont souvent les mêmes – entreprises multinationales ou réseaux d’associations, etc. – qui participent à des dispositifs participatifs au-delà des frontières. La convergence inattendue des prises en charge politiques étudiées dans deux pays souvent mis dos à dos ouvre ainsi des hypothèses sur les dynamiques de changement institutionnel au niveau global.

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Mots-clés éditeurs : États-Unis, dépolitisation, régulation publique-privée, comparaison, dispositif participatif, systèmes alimentaires, gaspillage alimentaire, France, problème public

Date de mise en ligne : 23/03/2016

https://doi.org/10.3917/gap.161.0063

Notes

  • [1]
    La National Resources and Defense Council, association de protection des ressources naturelles, et la North California Recycling Association, axée sur le recyclage et la prévention des déchets, co-organisent l’événement.
  • [2]
    Le « gaspillage », traduit en anglais par « waste », est une notion normative. Nous utilisons des guillemets pour toutes les expressions relevant du vocabulaire indigène.
  • [3]
    Environmental Protection Agency.
  • [4]
    Le « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire » est tout au long de l’article désigné par le terme Pacte, et le Zero Food Waste Forum par le terme Forum.
  • [5]
    G. Garot occupe ce poste qui n’existe qu’à partir de juin 2012 sous la tutelle du ministère de l’Agriculture et disparaît en mars 2014 à la suite d’un remaniement ministériel. Ce député reprend alors ses fonctions initiales et rédige un rapport parlementaire sur le « gaspillage alimentaire » en avril 2015. Les dénominations des institutions gouvernementales (Agriculture, Environnement) sont simplifiées par souci de lisibilité.
  • [6]
    La fin de notre analyse est fixée chronologiquement à cette date.
  • [7]
    De manière concomitante, dès la fin des années 1980 aux États-Unis puis en France, l’industrialisation des systèmes alimentaires fait naître des préoccupations liées à la qualité des produits et à leurs impacts sur la santé. L’« épidémie d’obésité », ainsi mise en avant par les institutions sanitaires des deux pays, reste néanmoins une question distincte, voire concurrente, du « gaspillage alimentaire » dans la mesure où certains comportements prescrits incitent par exemple à finir son assiette. Cette disjonction s’explique par le fait que la notion de qualité et les modalités de production alimentaires demeurent des angles morts de ces deux problèmes publics, jusqu’alors centrés principalement sur des pratiques individuelles de consommation excessive.
  • [8]
    Les références croissantes au terme témoignent de ce processus. À titre indicatif, une recherche sur la base de données Europresse regroupant 441 journaux français montre que l’expression « gaspillage alimentaire » n’est utilisée que 7 fois en 2007, puis 25 fois en 2009, 676 en 2012 et 2 173 en 2014.
  • [9]
    Selon une analyse issue de V. Smil (2004), la production de produits animaux « convertit » l’équivalent de 1 700 calories en 500 calories.
  • [10]
    Food and Agricultural Organization.
  • [11]
    « Gâchis : comment les États-Unis perdent jusqu’à 40 % de leur alimentation » (nous traduisons).
  • [12]
    « Une quantité énorme de ressources dépérissant dans des décharges – coûteuses pour les consommateurs, les entreprises et l’environnement – dont on n’a tout simplement plus les moyens ».
  • [13]
    Il n’est d’ailleurs pas anodin que la Food and Drug Administration, par ailleurs mobilisée sur les aspects sanitaires et nutritionnels de l’alimentation, ne soit pas présente.
  • [14]
    Les villes, counties et États disposent d’une plus grande autonomie législative qu’en France concernant le traitement des déchets (obligation de tri à la source, taxation) et ils peuvent directement inciter aux dons alimentaires (crédits et réduction d’impôts).
  • [15]
    « Nous sommes les mieux placés, dans le secteur privé, pour gérer notre propre impact ; on préfèrerait s’occuper de ça nous-mêmes plutôt que l’État vienne nous dire ce qu’on doit faire ! »
  • [16]
    « Diminutions de la masse de nourriture comestible tout au long de la chaîne alimentaire ».
  • [17]
    « Retourne à la terre ».
  • [18]
    Cette pyramide n’est d’ailleurs pas sans rappeler les outils de la politique de lutte contre l’obésité. La constitution d’une « pyramide » ou d’un « camembert » présentant les proportions de nutriments à consommer permet de n’écarter aucun aliment – et ainsi de ne pas entrer en conflit avec leurs promoteurs – au motif qu’il suffit d’en consommer dans une proportion limitée.
  • [19]
    « Un pas dans la bonne direction. »
  • [20]
    « L’argent serait une meilleure solution [pour aider les gens], mettre fin à la pauvreté. […] En attendant, on résout le problème de la faim pour beaucoup de monde. Ce n’est pas la solution mais c’est une amélioration de la situation. »

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