Notes
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[1]
Selon la définition classique de Pollitt (1990), on fait ici référence à un ensemble de prescriptions pratiques, de méthodes et de doctrines qui promeuvent la diffusion et l’usage de techniques de management – généralement issues du secteur privé – en faisant de la recherche de l’efficience gestionnaire l’objectif principal de l’évolution des services publics.
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[2]
L’autonomie des universitaires, qui désigne l’exercice d’une indépendance relative des universitaires dans le contrôle de leurs activités face à des membres externes à leur groupe professionnel (avec le primat du jugement par les pairs), doit donc être distinguée de l’autonomie des universités, qui désigne la capacité de chaque établissement à déterminer et à mettre en œuvre une stratégie qui lui est propre.
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[3]
Cette liste n’est pas limitative : on peut y inclure également la gestion des systèmes d’informations, les achats, le patrimoine, etc. De façon plus générale, les fonctions support désignent l’ensemble des agents qui ne participent pas directement à la réalisation ou à la supervision de la production des biens ou des services délivrés par une organisation, mais qui fournissent un appui technico-administratif à ces activités.
-
[4]
C’est-à-dire ceux qui prennent directement en charge la production de services et sont en contact avec les usagers.
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[5]
Les « dispositions administratives les plus ordinaires » peuvent avoir des conséquences décisives sur la capacité d’une organisation à remplir ses missions fondamentales (Selznick, 1957, p. 14).
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[6]
On renvoie ici aux débats autour de la capacité effective des universités à exercer leur autonomie. En effet, face à l’intensification des contraintes budgétaires et la multiplication de nouvelles formes de « pilotage à distance » (développement d’appels d’offre compétitifs, etc.), les marges de manœuvre des universités se sont révélées extrêmement limitées. Dans ce cadre contraint, l’autonomie formelle dévolue aux universités françaises consiste alors, selon certains observateurs, à en faire des « gestionnaires de la pénurie » et à leur transférer des décisions difficiles et impopulaires. Loin d’être propres à la France, des tendances comparables sont à l’œuvre dans d’autres pays européens qui ont engagé des réformes de ce type, avec ce que Christensen (2011) qualifie de « paradoxe de l’autonomie ».
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[7]
Le GVT désigne la variation de la masse salariale liée à l’avancement des personnels dans leur carrière sous l’effet combiné de l’ancienneté et des promotions.
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[8]
Cette diversité renvoie à l’une des spécificités administratives des universités françaises, où des personnels de corps et de statuts différents remplissent fréquemment des fonctions similaires (Mallet et al., 2005). Un poste de directeur des ressources humaines peut, par exemple, être occupé par un ingénieur de recherche, un attaché d’administration, ou encore un agent d’un autre corps de l’administration en détachement.
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[9]
On fait ici spécifiquement référence aux attachés d’administration de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur (ex-attachés d’administration scolaire et universitaire). Ils ont été versés en 2013 dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, tout comme les ex-conseillers d’administration scolaire et universitaire.
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[10]
Nous tenons ici à remercier chaleureusement les étudiants avec qui nous avons mené cette enquête, Sebastian Billows, Élodie Bigand, Arthur Bourgeois, Pascal Braun, Ségolène Dary, Ole Hexel, Haley McAvay et Matias Wulf, ainsi que leurs tuteurs-encadrants, Camille Boubal et Aude Soubiron. Nous remercions également l’École supérieure de l’Éducation nationale, qui a apporté un soutien financier à la réalisation de l’enquête de terrain.
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[11]
Loi organique relative aux lois de finances.
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[12]
Dans les établissements étudiés, plusieurs postes-clés sont ainsi confiés à des personnels nouvellement promus ou recrutés à l’extérieur. En termes de compétences, ces renouvellements valorisent principalement des cadres ayant une expérience dans la mise en œuvre de changements organisationnels et/ou qui maîtrisent des savoir-faire spécifiques (contrôle de gestion par exemple). En l’absence de chiffres détaillés sur l’ensemble des postes concernés, il est difficile de mesurer l’étendue de ces mouvements. On peut en donner un aperçu à partir du cas des DGS, fonction pour laquelle les données chiffrées sont les plus précises (ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 2012, p. 35-41 ; Prussak, 2012). Les corps représentés évoluent à la marge : en 2012, la majorité des DGS restaient issus des corps de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, même si on notait une part croissante d’administrateurs civils ou des cadres de la fonction publique territoriale. En revanche, le renouvellement des personnes semble important : à la même date, 54 % des DGS occupaient leur poste depuis moins de 3 ans. L’attractivité de la fonction s’est accrue après 2007, avec une hausse sensible du nombre de candidatures par offre d’emploi de DGS (il double entre 2007 et 2008).
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[13]
On peut citer l’allocation par le ministère d’un budget spécifique de financement de primes pour les cadres administratifs des universités passant à l’autonomie, le ré-échelonnement indiciaire des agents comptables et des secrétaires généraux d’université, ainsi que la revalorisation du statut de ces derniers en 2010.
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[14]
Certains témoignages suggèrent que, compte tenu de la taille relativement modeste des services administratifs des universités et de la moindre prégnance des normes hiérarchiques par rapport à d’autres administrations, l’université offre à ces cadres une liberté et des responsabilités sans commune mesure avec celles dont ils pourraient bénéficier dans d’autres contextes.
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[15]
L’AMUE a notamment développé un catalogue de formations portant sur les problématiques techniques et gestionnaires du passage au RCE. Elles sont en partie animées par des cadres administratifs d’universités qui, ayant acquis une expertise sur un domaine particulier, endossent le rôle de formateurs pour leurs homologues d’autres établissements.
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[16]
Schématiquement, le taux d’encadrement est un ratio qui met en relation le potentiel d’enseignement (heures d’enseignement qui peuvent être assurées en fonction des effectifs disponibles) et la demande d’enseignement (en fonction du nombre d’étudiants et du format des cours).
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[17]
Les catégorisations opérées par les acteurs varient : la même initiative pourra être présentée comme une simple mesure « administrative » dans un établissement, alors qu’elle sera considérée comme relevant d’une impulsion « politique » dans un autre. En outre, en raison même de son élasticité, la distinction semble parfois simplement mobilisée comme une étiquette permettant de légitimer – ou au contraire de disqualifier – certains comportements.
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[18]
Il est possible que les deux cas étudiés ne reflètent qu’une modalité particulière de l’articulation entre dirigeants universitaires et cadres administratifs dans les universités françaises, dont certaines pourraient avoir des fonctionnements différents. Néanmoins, on peut dire a minima que, même dans des établissements dotés de services centraux relativement forts (comme c’est le cas dans les universités étudiées), les exécutifs universitaires ne s’effacent pas devant les cadres administratifs.
1Présentée par Nicolas Sarkozy comme l’une des mesures phare de son quinquennat, la loi Libertés et responsabilités des universités (LRU) de 2007 a été conçue comme la clef de voûte des réformes de l’enseignement supérieur engagées sous son mandat (Ravinet, 2012). L’ambition de ses promoteurs est de restructurer profondément le fonctionnement et la gouvernance des universités françaises afin d’accroître leur performance et leur rayonnement international. Outre le renforcement des prérogatives des présidents d’universités, appelés à devenir des « managers » de leur établissement (CPU, 2012, p. 15), le cœur de cette réforme réside dans le transfert aux universités d’un bloc de compétences auparavant exercées par l’État. Avec le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE), elles acquièrent la maîtrise de la globalité de leur budget et de leur masse salariale, de nouvelles attributions en matière de gestion des ressources humaines et la possibilité de devenir propriétaires de leur patrimoine immobilier.
2La LRU fait ainsi écho aux réformes d’inspiration managérialiste [1] qui, dans différents pays européens, ont cherché à transformer les services publics en s’appuyant sur la construction d’organisations conçues comme des « acteurs stratégiques » (Brunsson, Sahlin-Andersson, 2000) : il s’agit de mettre en place des structures dotées d’équipes de direction renforcées et bénéficiant d’une liberté de moyens accrue, avec en contrepartie davantage de contrôles a posteriori sur leurs capacités à atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics. À l’instar de ce que l’on observe dans d’autres pays, les universités françaises ont ainsi été incitées à développer une approche plus managériale dans la gestion de leurs ressources et la mise en œuvre de leurs missions. Pour cela, les politiques publiques jouent non seulement sur des mécanismes de mise en concurrence des universités, mais visent aussi à accroître l’intégration organisationnelle des établissements et à les doter de nouveaux outils de pilotage interne (Krücken, Meier, 2006 ; Musselin, 2006 ; Whitley, 2008).
3Si la LRU relève donc d’un ensemble de réformes transversales des services publics, les vives contestations qu’elle a suscitées sont révélatrices d’une série d’enjeux propres aux transformations des « bureaucraties professionnelles » (Mintzberg, 1982). La spécificité de ces organisations – dont les exemples typiques sont les universités, les hôpitaux ou les tribunaux – tient au fait que leurs services sont délivrés par des experts maîtrisant un savoir hautement spécialisé et difficilement standardisable – des professionals dans la terminologie anglo-saxonne (Gorman, Sandefur, 2011). Elles sont traversées par une tension constante entre, d’une part, les normes d’autonomie et de collégialité revendiquées par les professionnels et, d’autre part, une logique de contrôle organisationnel fondée sur la standardisation des pratiques et l’autorité hiérarchique [2]. Dans ce contexte, en affirmant une conception plus managériale du rôle des établissements, la LRU entre inévitablement en tension avec un modèle de régulation dominé par les normes de la profession universitaire (Vinokur, 2008 ; Paradeise, 2011).
4En s’appuyant sur une enquête sur la mise en œuvre de la LRU, cet article propose de revenir sur cette réforme à la lumière des débats actuels sur les reconfigurations des bureaucraties professionnelles du secteur public (Bezes, Demazière, 2011). Il se situe dans le prolongement d’un ensemble de travaux récents qui analysent les tensions entre logiques managériales et professionnelles, en cherchant à dépasser les oppositions trop schématiques pour comprendre comment ces logiques vont coexister, s’articuler et s’hybrider (Noordegraaf, 2007). Cependant, cet article se distingue de ces travaux en se centrant sur une catégorie d’acteurs qu’ils ont peu étudiée : les cadres administratifs des fonctions de support, telles que les ressources humaines, le contrôle de gestion, les finances ou la comptabilité [3]. En amont de la mise en œuvre de la LRU, ces agents chargés de la gestion de « l’infrastructure administrative » des universités ont été désignés comme des maillons essentiels de la transformation des établissements (IGAENR, 2010). Ils ont été chargés d’assurer leur mise en œuvre concrète, en construisant et en déployant un vaste ensemble de nouveaux outils, règles, procédures et indicateurs de gestion.
5L’enjeu est alors de savoir comment – et dans quelle mesure – ils se font les relais actifs de l’introduction de rationalités managériales dans les universités, et de comprendre la façon dont ils négocient leur place face à des professionnels – dans notre cas les universitaires – soucieux de défendre leurs normes et leur autonomie. Ce texte entend donc contribuer aux réflexions de ce dossier sur les cadres intermédiaires de l’administration en s’intéressant à la dimension « constituante » des activités de ces agents (Bezes, Join-Lambert, 2010) dans le contexte, particulier, de la réforme d’une bureaucratie professionnelle.
6Après avoir présenté le cadre analytique et les données qui nourrissent notre questionnement, cet article met en évidence deux grandes séries de résultats. Nous montrerons d’abord que les restructurations découlant de la loi LRU ont amplifié et consacré la montée en puissance des cadres administratifs des services centraux dans les universités françaises. L’ampleur des réorganisations engagées agit comme un appel d’air qui suscite et entretient un « esprit de mission » réformateur chez ces acteurs. Nous montrons ensuite que ces cadres se saisissent de l’opportunité de la réforme pour promouvoir une centralisation administrative accrue des établissements et renforcer leurs circuits de contrôle interne. Cependant, l’affirmation de leur légitimité et de leur place spécifique ne passe pas par une remise en cause des équipes présidentielles à la tête des universités. Au contraire, elle s’appuie sur la réaffirmation d’une distinction entre logiques professionnelles et logiques administratives.
Interroger le rôle des « professionnels de la gestion » dans les universités
Les cadres des services de support, un point aveugle des travaux sur les bureaucraties professionnelles
7Malgré leur diversité d’approches et de résultats, les nombreux travaux portant sur l’introduction de réformes d’inspiration managérialiste dans les bureaucraties professionnelles sont fréquemment marqués par le même tropisme. Qu’ils s’intéressent à la façon dont les professionnels de « première ligne » [4] s’adaptent à ces évolutions (Kitchener et al., 2000), ou à la manière dont leurs collègues qui investissent des positions managériales embrassent une identité hybride de professionnels-managers (Deem et al., 2007), ces travaux restent très focalisés sur les professionnels eux-mêmes. Ils passent ainsi sous silence ce qui est pourtant l’une des caractéristiques constitutives de ces organisations : la coexistence de deux « filières » parallèles, respectivement structurées autour, d’une part, des professionnels et, d’autre part, des agents des services de support, généralement non issus des rangs de la profession (voir l’encadré 1 pour une illustration dans le cas des universités françaises).
Encadré 1. « Politiques » et « administratifs » dans les universités françaises
Les présidents d’universités et leurs équipes de vice-présidents occupent le sommet de la filière « politique », constituée autour d’un emboîtement d’instances représentatives et de structures de coordination (département, laboratoire, etc.) gérées par des universitaires. Organisée selon des principes collégiaux, cette filière fonctionne plutôt de « bas en haut » : les responsables universitaires sont censés agir en qualité de représentants de leurs pairs et non comme leurs supérieurs hiérarchiques. À l’inverse, la filière « administrative » est régie par des principes bureaucratiques plus classiques. Elle est chapeautée par un directeur général des services, qui exerce une autorité formelle sur l’ensemble des agents de support technique et administratif de l’établissement.
8Comme l’ont noté Farrell et Morris (2003, p. 137) ou, plus récemment, Noordegraaf et De Wit (2012), si les professionnels-managers ont été abondamment étudiés, les « administratifs de carrière » qui remplissent des fonctions de support sont quasiment invisibles dans ces travaux. Cette absence est paradoxale et nous semble problématique à plusieurs titres. Elle revient d’abord à considérer que les réformes n’affecteraient que les activités des professionnels, et non celles des agents administratifs. Cela conduit, de fait, à évacuer toute réflexion sur la façon dont ces derniers peuvent s’approprier ou participer activement à ces réformes. Par ailleurs, ce tropisme véhicule une représentation de la « division morale du travail » (Hughes, 1996) implicitement indexée sur la vision dominante des professionnels. Tout se passe comme si ces agents se cantonnaient à de simples tâches secondaires d’exécution des missions qui leur sont déléguées et, par conséquent, ne seraient pas dignes d’intérêt. Cette tendance est déjà critiquable en soi [5]. Elle semble encore plus discutable face aux évolutions visibles en filigrane dans certains travaux, qui suggèrent que les réformes d’orientation managérialiste contribuent à renforcer la position de ces agents. En effet, ces réformes s’accompagnent d’une diversification et d’une spécialisation des tâches de gestion. Cette tendance concourt à accroître la dépendance des professionnels à l’égard de cadres administratifs de plus en plus qualifiés (Whittington et al., 1994), qui peuvent alors chercher à revendiquer un statut et une expertise comparables à ceux des professionnels qu’ils sont censés assister (Noordegraaf, van der Meulen, 2008).
9Ces observations invitent donc à reconsidérer la place des fonctions de support, un enjeu qui se pose avec une acuité particulière dans les universités. Si celles-ci ont longtemps été caractérisées par des infrastructures gestionnaires relativement faibles, des travaux menés dans différents pays soulignent l’accroissement de leurs effectifs administratifs et leur montée en qualification (Rhoades, Sporn, 2002 ; Krücken et al., 2013). Ils notent, par exemple, l’émergence d’agents spécialisés dans des missions à la frontière entre travail gestionnaire et activités académiques (Whitchurch, 2010) : valorisation de la recherche, ingénierie pédagogique, gestion de projets… Certains vont jusqu’à y voir l’amorce d’une transformation des universités en « organisations multi-professionnelles » (Schneijderberg, Merkator, 2013), l’institutionnalisation de nouvelles fonctions « para-académiques » redessinant la morphologie d’établissements traditionnellement dominés par les universitaires (McFarlane, 2011).
10Tout en nous situant dans la lignée de ces travaux, nous proposons ici d’aborder plus frontalement la question du management, en resserrant notre analyse sur un ensemble d’agents dont les profils, les compétences et les missions sont davantage inscrits dans le « noyau dur » de la gestion – comme les finances, le contrôle de gestion ou les ressources humaines. Concrètement, nous nous intéressons à un ensemble de cadres exerçant des fonctions de support au sein des services administratifs centraux des universités françaises. Comme on l’a souligné, avec la mise en œuvre de la LRU, ces derniers ont été appelés à réformer profondément les circuits de gestion des établissements. En touchant à des processus transversaux dans le fonctionnement des universités, ces agents sont alors les promoteurs actifs d’initiatives de rationalisation et de l’introduction de logiques managériales. Il s’agit donc ici de prendre un cas susceptible de mieux mettre en lumière certaines des transformations actuelles des universités, en étudiant une situation où l’articulation entre universitaires et services support est, potentiellement, plus problématique et conflictuelle.
11Notre démarche se situe dans la lignée des analyses développées par Weber sur le pouvoir des bureaucrates et leur propension à la rationalisation des « moyens d’administration ». En effet, pour reprendre la terminologie weberienne (Weber, 1995, notamment p. 346-348), les cadres auxquels nous nous intéressons peuvent être assimilés à la « direction administrative » des universités : ils sont immédiatement situés sous l’autorité des « détenteurs du pouvoir » légitimes que sont les équipes présidentielles à la tête des universités. Mais, en même temps, ces experts de la chose administrative – face auxquels les dirigeants universitaires élus peuvent faire figure de « dilettantes » de l’administration (Weber, 1978, p. 991) – peuvent être porteurs de visions et d’intérêts propres. Dès lors, analyser la façon dont ils prennent en charge et s’approprient des initiatives de restructuration administrative suppose de comprendre comment ils construisent leur place au sein d’organisations où leur expertise peut sembler concurrencer, sinon fragiliser, l’autorité légitime des professionnels.
Les RCE et la restructuration de la machinerie administrative des universités
12En mettant de côté les débats sur la nature et la portée effective de l’autonomie dévolue aux universités avec la LRU [6], cet article propose d’analyser plus spécifiquement les reconfigurations internes liées à la mise en place des responsabilités et compétences élargies (RCE) dans deux universités (présentées infra).
13Sans entrer ici dans le détail des différentes dispositions de la loi LRU, qui ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires (Revue du MAUSS, 2009), les RCE sont celles qui ont eu l’impact le plus immédiat et le plus structurant sur la filière administrative des universités. Le transfert de nouvelles compétences de gestion en matière de budget et de ressources humaines a, en effet, imposé une refonte globale de leurs infrastructures administratives. L’exemple le plus emblématique est le transfert de la gestion de la masse salariale aux établissements. Celle-ci leur donne de nouvelles capacités stratégiques en matière de gestion de leurs emplois. Alors que la création de postes dépendait auparavant de négociations avec le ministère, les universités acquièrent la possibilité d’utiliser leur budget pour créer des emplois dont elles peuvent librement définir le profil (sous réserve du respect d’un « plafond » autorisé par le ministère). Mais l’acquisition de ces compétences a un pendant technico-administratif : pour exercer effectivement ces capacités, les universités ont dû mettre en place, parfois ex nihilo, toute une chaîne de nouvelles opérations administratives. Celles-ci vont de l’établissement d’infrastructures de base, comme la constitution d’un circuit de gestion des fiches de paie, jusqu’au développement d’outils avancés pour estimer l’évolution de la masse salariale et optimiser l’usage de leur budget, comme le calcul du glissement vieillesse technicité (GVT) [7]. La procédure établie par les autorités ministérielles pour accompagner l’application des RCE témoigne bien de l’ampleur des changements attendus, qui nécessitent une forte préparation en amont. Le passage aux RCE a été organisé par vagues successives d’établissements entre 2009 et 2013 ; chaque université devait être auditée au préalable par l’Inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR), chargée d’évaluer son degré de préparation et de la conseiller sur les changements à opérer.
14Si ces évolutions touchent, de près ou de loin, l’ensemble de la filière administrative des universités, les premiers et principaux artisans de la réforme sont les cadres des grandes fonctions support : directeurs généraux des services, responsables de services et agents des services centraux des universités. Ces agents peuvent être rattachés à la catégorie de « cadres intermédiaires » selon la définition proposée en introduction de ce dossier par Julien Barrier, Jean-Marie Pillon et Olivier Quéré. Pour les situer plus précisément, on peut souligner qu’ils appartiennent plutôt au segment supérieur de cette catégorie à la fois en termes de statuts et d’activités. Bien que ces agents relèvent généralement des catégories A de la fonction publique, ils sont rattachés pour la plupart à des corps intermédiaires dans la hiérarchie symbolique de l’administration. Parmi ces personnels aux statuts assez divers [8], on trouve notamment des attachés d’administration [9], qui incarnent typiquement la figure du cadre intermédiaire promue par les Instituts régionaux d’administration (Quéré, 2014). Ils peuvent également être assimilés à cette catégorie de par le contenu de leurs activités. Certes, ils ne sont pas des cadres intermédiaires au sens strictement hiérarchique, mais plutôt des experts fonctionnels au service de la présidence des universités. Cependant, leurs missions les placent, de fait, en position de structurer indirectement les relations entre les équipes présidentielles et les enseignants-chercheurs de première ligne : en développant les outils et les procédures qui vont « équiper » les exécutifs universitaires, ils contribuent à construire les capacités de contrôle et de pilotage de ces derniers sur l’activité de leurs pairs. Ils occupent ainsi une position centrale dans les processus d’opérationnalisation gestionnaire de la réforme des universités, en participant à la traduction de ses objectifs en outils, indicateurs et schémas managériaux.
Données et dispositif d’enquête
15Cet article s’appuie essentiellement sur les résultats d’une enquête qualitative par entretiens, menée en collaboration avec des étudiants du master de sociologie de Sciences Po au printemps 2011 [10]. Nous présenterons ici les résultats transversaux des études de cas réalisées dans deux établissements aux profils contrastés en termes de cultures disciplinaires et de rayonnement. Ils sont désignés par des pseudonymes pour garantir leur anonymat : Lettres Uni, une université de taille moyenne (envrion 15 000 à 20 000 étudiants), jouissant d’une bonne reconnaissance scientifique, spécialisée dans les arts, les lettres et les sciences humaines et sociales, et Sciences Uni, une université considérée comme plus prestigieuse et de plus grande taille (environ 25 000 à 30 000 étudiants) pluridisciplinaire, avec une dominante médicale et sciences expérimentales. Reflétant ces différences, les effectifs des services administratifs centraux de ces établissements se situent autour de 150-200 agents titulaires à Lettres Uni et autour de 200/250 pour Sciences Uni.
16Dans chacune de ces universités, plus d’une trentaine d’entretiens semi-directifs approfondis, d’une durée de 1h à 2h, ont été réalisés auprès d’un échantillon de membres des équipes présidentielles, élus des différents conseils, cadres des services centraux, directeurs de composantes, de laboratoires et de départements et leurs responsables administratifs respectifs. Une analyse de documents (projet d’établissement, comptes rendus des conseils…) a complété l’exploitation des interviews. L’article bénéficie par ailleurs des éclairages d’autres enquêtes, notamment la conduite d’entretiens auprès de responsables administratifs dans le cadre d’une étude sur les fusions d’universités en 2011-2012, qui a été l’occasion de recueillir des matériaux complémentaires sur le thème de cet article. Enfin, les résultats d’une enquête quantitative réalisée en 2011 (2 598 répondants au sein de l’ensemble des universités françaises), conçue comme un pendant de l’enquête qualitative, ont également permis de trianguler et de compléter l’analyse de ces données.
Répartition et nombre des entretiens réalisés
Répartition et nombre des entretiens réalisés
17Enfin, deux éléments doivent être mentionnés pour préciser la portée de nos résultats. Tout d’abord, bien que notre propos soit ici centré sur deux universités, la convergence des observations empiriques réalisées dans ces deux établissements, alors qu’ils présentent des profils contrastés, nous paraissent leur donner une validité plus générale. Il faut toutefois tenir compte de la période de réalisation de l’enquête. Celle-ci correspond à une phase de réorganisation particulièrement intense dans les deux universités étudiées : appartenant aux deux premières vagues d’établissements passés aux RCE, elles sont encore très engagées dans la construction de nouvelles procédures et outils au moment de l’enquête. Notre dispositif ne permet donc pas de saisir l’ensemble des conséquences actuelles de la LRU pour les universités françaises, d’autant plus que la période étudiée précède le resserrement considérable des contraintes budgétaires des années 2012 et 2013. En revanche, il permet d’observer un mouvement de réforme « en train de se faire » et de caractériser les dynamiques à l’œuvre dans les premiers temps de sa mise en place.
La montée en puissance d’une nouvelle strate gestionnaire dans les universités
18Loin de représenter une nouveauté radicale, les nombreuses restructurations administratives enclenchées par la mise en œuvre de la LRU contribuent à accentuer un processus préexistant de renforcement de l’expertise et du rôle des services centraux des universités. Toutefois, si le processus n’est pas nouveau, l’ampleur et le rythme des changements engagés offrent des opportunités inédites aux cadres administratifs. Ceux-ci investissent la réforme comme une expérience intense, propice au déploiement et au développement de leurs savoir-faire professionnels.
La « longue marche » des services administratifs centraux
19À la fin des années 1980, l’introduction d’un nouvel instrument de politique publique, les « contrats quadriennaux de développement », a profondément modifié les relations entre les universités et leurs tutelles, en déclenchant un processus de renforcement de l’autonomie des établissements (Musselin, 2001). Les années 1990, on vu progressivement émerger des équipes présidentielles plus soudées, pesant davantage dans les décisions internes et cherchant à mettre en place une forme régulation collective à l’échelle de l’établissement. Il s’agit de défendre des « politiques d’établissement » qui ne seraient ni le simple reflet des orientations ministérielles, ni la simple addition des intérêts des composantes – comme c’était fréquemment le cas dans les années 1980 (Friedberg, Musselin, 1989). Dans ce cadre, afin d’asseoir leurs capacités de gouvernement et de rééquilibrer à leur avantage leurs relations avec les composantes de leur établissement, les présidents ont cherché à s’appuyer de plus en plus sur leurs services centraux pour préparer et appliquer des décisions d’allocation de moyens (Mignot-Gérard, 2006).
20La montée en puissance des exécutifs universitaires – et de l’autonomie des établissements – est largement liée à l’émergence de services administratifs centraux plus étoffés, davantage spécialisés et plus qualifiés. Par touches successives, un ensemble d’évolutions parallèles se sont combinées pour constituer une strate gestionnaire de plus en plus structurante dans le gouvernement des universités. Cette évolution s’est, entre autres, concrétisée par une rationalisation de la production et du traitement de données de gestion au niveau des services centraux, qui ont pu être de plus en plus mobilisées pour contrôler l’usage des ressources et alimenter des décisions d’allocation de moyens en interne. Dès les années 1990, la collecte de données chiffrées dans le cadre de la préparation des contrats quadriennaux a conduit à la mise en place de cellules dédiées. Initialement fluctuante, leur activité s’est pérennisée avec l’accroissement et la systématisation de l’usage d’indicateurs avec la LOLF [11] dans les années 2000 (Châtelain-Ponroy, Sponem, 2007). Dans le même temps, le besoin de réaliser des gains de productivité administrative face à la massification étudiante des années 1990 a poussé à la mise en place de nouveaux logiciels de gestion et de systèmes d’information centralisés (Gueissaz, 1999). Au niveau national, l’AMUE (Agence de mutualisation des universités et établissements) propose depuis la fin des années 1990 des formations et des logiciels visant à la diffusion de pratiques plus managériales. Tout au long des années 1990 et 2000, ces changements s’accompagnent d’une « montée en technicité » des services centraux. La tendance à la spécialisation et à la hausse du niveau de compétences requis se traduit par le recours accru à des mesures de « repyramidage » dans les services support (Mallet et al., 2005), consistant à remplacer des postes de catégorie C ou B de la fonction publique par des emplois de catégorie A, voire dans certains cas par le recrutement de personnels ad hoc.
21À la veille de la LRU, les universités françaises sont donc déjà engagées depuis presque deux décennies dans un processus de refonte progressive et de renforcement de leurs services centraux. Leurs cadres administratifs, qui se considèrent fréquemment comme les opérateurs d’une « modernisation managériale » des établissements, tendent à être associés de plus en plus au travail des équipes présidentielles (Mignot-Gérard, 2006). Néanmoins, le passage des universités aux RCE va donner une tout autre ampleur à cette dynamique.
Une dynamique amplifiée par le passage aux RCE
22Les changements opérés dans les services centraux entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000 procèdent avant tout d’une logique incrémentale, où des initiatives éparses mais convergentes sont venues se renforcer les unes les autres. Par contraste, les réformes entreprises avec la LRU, et notamment la délégation de la gestion de la masse salariale aux établissements lors du passage au RCE, conduisent à repenser globalement le fonctionnement et l’organisation des services support. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, les restructurations déjà engagées en vue des RCE, à la suite des audits préalables de l’IGAENR, continuent à se poursuivre les années suivantes.
23En effet, au-delà du volume d’opérations qui vont devoir être traitées à l’échelle de l’établissement, ou des nouveaux savoir-faire que ce type de gestion demande, la réforme se caractérise par l’introduction simultanée de toute une série de changements ayant des effets interdépendants. En même temps qu’elles obtiennent la gestion des salaires, les universités sont soumises à une obligation de certification externe de leurs comptes, ce qui les conduit à renforcer la fiabilité de leurs données budgétaires et comptables. La production de ces données est elle-même rendue indispensable pour le pilotage budgétaire de l’établissement (capacité budgétaire à réaliser telle ou telle opération, à ouvrir de nouveaux postes, etc.). Cela conduit de nombreux établissements à adopter SIFAC (Système d’information financier analytique et comptable), un nouveau progiciel destiné à offrir une vision intégrée de l’ensemble des flux de gestion. À son tour, l’introduction de SIFAC n’est pas dénuée d’effets propres, puisque son utilisation requiert un niveau de maîtrise technique jugé plus élevé que celui de son prédécesseur, et qu’il invite à repenser et remanier l’arborescence budgétaire des établissements dans le sens d’une plus grande centralisation, de façon à sécuriser les flux de gestion. De façon plus générale, les interdépendances fonctionnelles entre les agents impliqués dans la gestion administrative des établissements s’intensifient et deviennent plus lourdes de conséquences. Dans un contexte déjà marqué par de fortes contraintes financières, un manque de coordination risque d’entraîner des anticipations budgétaires incorrectes mettant l’établissement en difficulté.
24Nos données mettent également en évidence une recomposition des collectifs de travail. Tant l’enquête quantitative (Chatelain-Ponroy et al., 2012) que les études de cas convergent pour souligner une concentration des processus de décision et un resserrement de l’intégration des équipes administratives et présidentielles au niveau central. En tendance, on observe des relations plus étroites et plus coordonnées entre le directeur général des services (DGS) et ses équipes (notamment la direction financière, la DRH et le contrôle de gestion). La place des DGS et leurs relations avec les présidents évoluent aussi considérablement. Le remplacement du statut de secrétaire général d’université par celui de DGS en 2010 correspond à une revalorisation de la fonction. Il consacre leur autorité hiérarchique sur l’ensemble des services administratifs et, surtout, affirme très clairement leur rôle de conseillers auprès des équipes présidentielles. Dans ce cadre, présidents et DGS sont conduits à fonctionner comme un duo de plus en plus soudé. De façon révélatrice, alors qu’un président ayant exercé son mandat à la fin des années 1990 expliquait que la fréquence bi-hebdomadaire de ses rencontres avec son secrétaire général témoignait d’une collaboration étroite, les entretiens réalisés à Sciences Uni et Lettres Uni indiquent que le rythme de ces rencontres est, au minimum, quotidien. Cette alliance est d’ailleurs devenue si vitale que certains présidents n’hésitent pas à se séparer de leur DGS en cas de désaccord ou de mésentente (Prussak, 2012).
25Enfin, ces restructurations s’accompagnent d’un renouvellement d’une partie des cadres administratifs dans les services centraux, que ce soit par des mobilités internes ou des recrutements externes [12]. Ces mobilités sont de facto encouragées par la réforme, qui accroît l’attractivité des postes en université – longtemps considérés peu prestigieux au sein de la fonction publique – à la fois en termes de rémunération [13] et, surtout, de contenu de travail. En effet, les cadres interviewés, notamment ceux qui sont les plus touchés par les RCE – comme les finances et les RH – témoignent d’un changement profond dans le contenu de leur métier. Outre la mise en place d’indicateurs, d’outils de suivi et de prévision, ceux-ci doivent prendre en charge toute une activité de « conduite de changement » ou de « gestion de projet ». Il faut introduire, développer et stabiliser de nouvelles procédures. Ce renouvellement contribue à amplifier et accélérer la « montée en technicité » des services centraux. Il accroît aussi leur différentiel d’expertise vis-à-vis des composantes. Mais il entretient également une effervescence réformatrice parmi les cadres administratifs des services centraux qui, dans leur majorité, se font les relais enthousiastes des restructurations liées aux RCE.
Des cadres animés par un « esprit de mission » réformateur
26Dans les établissements étudiés, les restructurations liées aux RCE sont principalement portées par un petit cercle de cadres des services centraux. Travaillant en étroite collaboration avec les équipes présidentielles, ils font preuve d’un véritable esprit de mission dans la mise en œuvre de la réforme.
27Pour préciser les modalités d’engagement de ces acteurs dans la réforme, on peut d’abord souligner une tendance lourde qui apparaît dans l’enquête quantitative (Chatelain-Ponroy et al., 2012). Plus on se rapproche du sommet des établissements, plus le soutien à des dispositions centrales de la LRU est important. Les membres des équipes de direction et des services centraux partagent des opinions nettement plus favorables sur la loi que les agents administratifs travaillant en composante et, surtout, les enseignants-chercheurs n’exerçant pas de responsabilités dans les instances centrales. En particulier, le renforcement des équipes dirigeantes, le transfert de la masse salariale et l’autonomie financière des universités font l’objet d’une plus grande adhésion au niveau central. Ces résultats rejoignent ceux des enquêtes quantitatives réalisées dans les années 1990 (Mignot-Gérard, 2006). Celles-ci montraient que les membres des équipes de direction et des services centraux avaient tendance à se percevoir comme des agents de rationalisation et de centralisation organisationnelle, face à des composantes préoccupées par la défense de leur autonomie et de leurs spécificités disciplinaires.
28L’ensemble des cadres des services centraux sont, de par leurs fonctions, impliqués dans la mise en œuvre de la réforme. Toutefois, on observe un cercle plus restreint et cohésif d’agents plus activement engagés dans la promotion de la réforme. Il est difficile de trouver des points communs récurrents ou un profil type entre les personnes qui composent ce cercle. Ce groupe est hétérogène en termes de formation, de socialisation, de trajectoires ainsi que de statuts administratifs : on y retrouve des agents du ministère des Finances, des attachés d’administration de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, des agents de la fonction publique territoriale ou encore des ingénieurs de recherche. Leurs expériences professionnelles et les situations de travail qu’ils ont connues sont très diverses également : la plupart ont travaillé dans le domaine de l’enseignement ou de la recherche (passage dans un ou plusieurs établissements d’enseignement supérieur, rectorat, administration centrale), mais plusieurs sont issus d’autres secteurs de l’administration (collectivités territoriales par exemple), ou ont fait un passage dans le privé. Si certains ont été très mobiles géographiquement mais aussi en termes d’activités, d’autres à l’opposé ont toujours exercé dans l’établissement où ils se trouvent. Enfin, ils n’appartiennent pas à une catégorie d’âge particulière. La diversité est telle qu’il semble difficile, à partir du matériau recueilli, de repérer des lignes de clivage qui seraient basées sur des différences de statut ou d’expérience.
29Nous avons néanmoins été frappés par la convergence des discours et des postures de ces acteurs, qui partagent deux grands dénominateurs communs. Malgré la diversité de leurs trajectoires, ils investissent d’abord le passage aux RCE comme un moment de progression dans leur carrière ou, du moins, comme un enjeu professionnel fort. C’est une expérience intense et passionnante qui, pour certains, s’inscrit dans une série de participations à différents chantiers de restructuration administrative. Par exemple, la mise en place d’une nouvelle direction de la recherche à Sciences Uni est confiée à un agent du ministère des Finances, recruté pour l’occasion ; lors de fonctions antérieures, celui-ci a notamment suivi de près un ensemble de remaniements importants dans l’administration du CNRS. Dans tous les cas, que ce soit par le biais d’une promotion interne dans l’université ou de mobilités externes, tous lient pour un temps leur destin professionnel à celui d’une réforme qu’ils présentent comme un chantier de grande envergure. À bien des égards, c’est moins le contenu de la fonction qui compte que les caractéristiques spécifiques et l’attractivité du travail de réforme en lui-même. Cela apparaît de façon particulièrement nette chez ceux qui sont issus d’autres secteurs et qui ont été attirés vers le monde universitaire en raison de l’ampleur des changements annoncés [14]. On peut citer le cas d’un officier de l’armée de terre, qui voit son poste de DRH en université comme la continuation de la « vie extrêmement prenante » qu’il a connue lors de sa participation au processus de professionnalisation des armées, ou les propos d’un administrateur civil, auparavant en poste dans une collectivité territoriale :
« Je n’aurais pas candidaté à une université qui ne passait pas aux RCE […]. J’ai vécu la LRU comme une véritable loi de décentralisation. C’est quelque chose qui parle pour un territorial comme moi. J’ai imaginé qu’il y avait là pendant les 4, 5, voire 6 ans à venir une administration à construire, une organisation à bâtir ».
31Les entretiens témoignent, plus largement, d’un mode particulier d’engagement dans la mise en œuvre de la réforme. Ces cadres promeuvent avec enthousiasme des changements qui reposent de facto sur des rationalités managériales. Pour autant, ils ne se réfèrent pas – ou ne disent pas adhérer – à des principes ou des croyances relatives aux « vertus du management » dans les réformes du secteur public, tels qu’on peut les retrouver notamment dans le discours de hauts fonctionnaires ou de certains agents ministériels (Bezes, 2005 ; Alam, Godard, 2007). L’esprit de mission qu’ils partagent repose plutôt sur le sentiment de participer à une « aventure », de devoir relever des « défis » et de sortir de la routine administrative. La réforme leur permet de valoriser, de mettre à l’épreuve et d’étendre les différents savoirs et techniques spécialisés (droit, techniques financières, informatique de gestion…), ainsi que des compétences transversales de gestion de projet, qu’ils ont pu acquérir lors de leur formation initiale, par l’expérience, ou au travers de formations spécifiques, comme celles de l’AMUE [15]. De ce point de vue, l’intensité, la complexité et le caractère inédit des changements à mener en font une expérience particulièrement stimulante, qui est la source d’une forme de plaisir et d’accomplissement professionnel. Un contrôleur de gestion ayant commencé sa carrière dans le secteur privé qualifie par exemple l’université de « terrain de jeu phénoménal », car il lui fournit des problèmes très originaux en termes de conception d’indicateurs et de mesure de la performance. L’importance de cette motivation est bien visible, a contrario, chez ceux pour qui l’engouement pour l’action a cédé la place à la lassitude face à un rythme de travail intensif – au point pour certains d’envisager de changer de poste :
« J’ai sans arrêt l’impression d’être dans ce numéro de music-hall où on fait tourner les assiettes sur des bâtons […]. J’ai vécu cette pression comme extrêmement stimulante les deux ou trois premières années. Avec le temps qui passe, je la trouve moins stimulante. Peut-être parce qu’il y a un peu d’usure de ma part aussi, peut-être parce que l’enthousiasme du début s’est un peu refroidi ».
33Le second dénominateur commun de ce « noyau dur » de cadres réformateurs tient à leur situation dans le fonctionnement des établissements. Étroitement associés aux discussions de l’équipe présidentielle sur la politique de l’établissement, ils occupent principalement les fonctions les plus directement touchées par les RCE : directeur général des services, membres de la direction des finances, des ressources humaines, de l’agence comptable ou du contrôle de gestion. Autour de ce « premier cercle », on trouve un ensemble moins cohésif de cadres, qui adhèrent globalement à la réforme sans se montrer aussi investis que les premiers. Ils appartiennent à des fonctions moins directement affectées par les RCE – comme la direction de la scolarité ou de la recherche – et, de fait, leurs activités sont moins interdépendantes que celles des précédents.
34Cependant, tous ceux qui occupent les fonctions les plus affectées par les RCE ne font pas nécessairement partie de ce premier cercle. La composition de celui-ci est modulée par des mécanismes de cooptation. En effet, certains agents occupant ces fonctions sont tenus à l’écart de ce « noyau dur », ou se mettent volontairement en retrait, notamment pour des raisons de compétences techniques. C’est par exemple le cas du responsable des services financiers de Lettres Uni. Proche de la retraite au moment de l’enquête, celui-ci juge le DGS plus à même de conseiller l’équipe présidentielle en matière de finances ; il lui laisse volontiers la main sur ce terrain pour se consacrer davantage à l’encadrement et au suivi quotidien des activités de son service. À l’inverse, d’autres agents occupant des fonctions a priori plus périphériques peuvent être très intégrés au travail de l’équipe présidentielle. Ainsi, à Sciences Uni, le DGS s’appuie sur un directeur de scolarité jugé particulièrement compétent pour lui confier une mission de contrôle des coûts d’enseignement.
35Par ailleurs, ce petit cercle dispose de relais dans les services centraux ou les composantes. Le recrutement de nouveaux agents administratifs permet à ces cadres de coopter ou de sélectionner des personnes qui vont entretenir l’esprit de mission qui les anime. On peut citer le DGS de Lettres Uni, qui cherche à « reprofiler » les postes qui se libèrent en cherchant à favoriser, selon ses termes, le recrutement d’agents « profondément aguerris à des techniques à la fois managériales, financières, juridiques et de projet ». On retrouve la même approche dans les propos d’un directeur de service de Sciences Uni, qui explique le recrutement d’un membre de son équipe :
« Pour ce poste j’ai trouvé quelqu’un par mon réseau. C’est quelqu’un que j’avais recruté à [établissement X] qui est ensuite partie à [l’établissement Y] […]. Elle est très courageuse, très investie, prenant des risques et elle a un relationnel parfait pour mettre tout cela en place. C’était le profil dont on avait besoin ».
37Ces éléments sont importants pour saisir la nature de l’investissement des cadres administratifs dans la réforme, dans la mesure où ils renvoient à une dynamique collective : ce noyau dur est d’autant plus soudé que ses membres se reconnaissent entre eux et se cooptent les uns les autres. Ils occupent ainsi une position nodale dans la coordination et le déploiement des multiples remaniements administratifs liés au passage aux RCE.
Construire, déployer et légitimer de nouvelles logiques gestionnaires
38Le passage aux RCE permet aux services centraux de développer leur activité et d’accroître leur emprise sur le fonctionnement des établissements en accentuant centralisation, normalisation et contrôle sur les activités des universitaires. Cette évolution contribue à renforcer le pouvoir des services centraux, mais aussi à consolider les capacités de gouvernement des équipes présidentielles, qui bornent l’autonomie des cadres administratifs. Dans ce contexte, l’affirmation constante de la distinction entre les registres « politique » et « administratif » apparaît à la fois comme le rappel de l’autorité des exécutifs universitaires, que comme une manière pour ces cadres administratifs de défendre leur légitimité propre et de se construire une place au sein des universités.
Des cadres engagés dans un processus de centralisation des établissements
39Depuis les années 1990, les services centraux des universités sont engagés dans un travail de centralisation des flux d’information et de standardisation des procédures des établissements (Mignot-Gérard, 2006). Ce processus s’accentue encore avec le passage aux RCE. Les multiples chantiers qui les entourent (restructuration des arborescences budgétaires, formalisation ou toilettage des procédures, déploiement de nouveaux outils informatiques…) sont autant d’occasions d’introduire d’autres remaniements, parfois plus discrets ou plus localisés, qui amplifient la tendance.
40On assiste premièrement à une concentration des « moyens d’administration » au sein des services centraux. Le développement de nouveaux outils et procédures de gestion consolidant leur capacité à surveiller et à piloter les activités des composantes. Ils promeuvent également une centralisation par la normalisation des informations et des procédures à l’échelle des établissements. Cette tendance s’inscrit dans des efforts menés de longue date pour uniformiser les règlements, limiter les situations dérogatoires ou encore supprimer des arrangements informels. Mais cela va plus loin, puisqu’il s’agit in fine de mieux contrôler l’usage et l’allocation des ressources, ce qui touche au cœur du travail des universitaires. En effet, les contraintes financières poussent les établissements à développer leurs critères internes d’allocation de ressources, notamment afin de pouvoir argumenter des « décisions difficiles » impliquant des coupes budgétaires sélectives. Par exemple, dans les deux établissements, le souhait de contenir le nombre de « formations à petits effectifs » (par définition plus coûteuses) a conduit à formuler des critères définissant les conditions d’autorisation d’ouverture d’enseignements. Ces mesures s’adossent à tout un travail de production de données homogénéisées, visant à disposer d’une connaissance plus précise des activités conduites au sein de l’établissement et à rendre possible des comparaisons entre différentes entités (composantes, départements, disciplines, etc.). Par exemple, à l’occasion du passage aux RCE, la cellule de contrôle de gestion de Lettres Uni a développé un outil de calcul des « taux d’encadrement » par secteurs disciplinaires [16], qui vise à prendre en compte leurs spécificités tout en les rendant commensurables. C’est un indicateur crucial, puisqu’il est mobilisé dans les arbitrages d’allocations de postes.
41Une autre facette de ce processus correspond à une consolidation du contrôle du centre sur la production et le traitement de données de gestion. Elle est bien illustrée par la mise en place du progiciel SIFAC qui, dans les deux établissements, est un chantier important et entièrement géré par des cadres des services centraux. SIFAC vise à interconnecter l’ensemble des flux d’informations financières et comptables au sein des établissements, dans le double objectif d’accélérer le traitement des actes budgétaires et d’optimiser l’usage des ressources. Mais son introduction induit aussi un renforcement des services centraux. Il rend plus transparentes les activités des composantes et, de plus, la nouveauté et la technicité de l’outil accroissent la dépendance de ces dernières vis-à-vis du centre. En effet, la complexité du maniement de SIFAC est, selon les cadres des services centraux, susceptible d’engendrer davantage d’erreurs du côté des usagers. Ils affirment que les agents des échelons administratifs de base – notamment dans les composantes – l’utilisent de manière trop ponctuelle pour pouvoir le maîtriser correctement. Dans les deux établissements étudiés, cela sert à justifier la remontée d’actes de gestion qui étaient auparavant réalisées dans les composantes. À Lettres Uni, la production de tableaux de suivi budgétaires pour les composantes est confiée aux services centraux, et à Sciences Uni les droits d’accès à SIFAC des gestionnaires de laboratoires sont restreints, ce qui permet aux services centraux de garder la main sur leur budget.
42Deuxièmement, si les cadres des services centraux cherchent à affermir leur autorité sur les administratifs des composantes, ils essaient dans le même temps de ménager leurs réticences afin de les enrôler dans leurs efforts de rationalisation gestionnaire. En effet, ces agents travaillent au plus près des enseignants-chercheurs et sont donc un échelon stratégique pour la mise en œuvre effective de nouvelles procédures. Or, traditionnellement, ces agents s’identifient davantage à leur composante qu’à leur établissement. Ils se sentent plus proches des enseignants-chercheurs qu’ils côtoient au quotidien que de leurs collègues administratifs des services centraux (Mignot-Gérard, 2006). Les responsables administratifs de composante sont particulièrement emblématiques de cette ambiguïté, qui les place au croisement de deux ordres de légitimité. Ils sont formellement placés sous l’autorité hiérarchique du DGS, mais leur travail quotidien consiste à assister et conseiller les enseignants-chercheurs élus à la tête des composantes.
43Pour les cadres des services centraux, tout l’enjeu est alors d’éviter de mettre ces acteurs en porte-à-faux vis-à-vis des enseignants-chercheurs, tout en se faisant les relais d’initiatives qui, in fine, vont contribuer à accroître le contrôle de l’organisation sur ces derniers. Une première option consiste à encadrer davantage les activités des administratifs pour leur faire endosser un rôle de contrôle, comme à Sciences Uni où la direction de la scolarité joue sur les paramètres du logiciel de gestion des heures d’enseignement pour mettre fin à un système informel de « primes » (via le paiement d’heures supplémentaires d’enseignement non réalisées) :
« On leur donne la date du 15 octobre comme limite pour modéliser la structure d’enseignement et la charge d’enseignement. Après on bloque. Parce que ce qui se faisait, ce qu’on savait, c’est que des enseignants venaient vers les correspondants administratifs des scolarités. Ils n’avaient pas trop de difficultés pour faire pression sur un collègue de catégorie C pour lui faire changer un enseignement d’une heure en deux heures, disant qu’au siège on ne s’en apercevrait pas. Maintenant ils peuvent dire que le siège les a bloqués […]. J’ai fait un effort de pédagogie pour expliquer que c’était pour les protéger et qu’il n’y a pas de flicage. Ou si flicage il y a, c’est plutôt pour les enseignants ».
45Une autre tactique passe par une association étroite des responsables administratifs de composantes à la préparation des chantiers de réforme portés par les services centraux. À Lettres Uni, par exemple, le DGS cherche à revaloriser et à faire monter en compétences ces responsables, en s’appuyant sur ceux qu’il estime avoir « une capacité de réflexion un peu stratégique », pour en faire des alliés dans des initiatives qui risquent de susciter l’opposition des directeurs de composantes.
« On se rencontre avec le DRH, le contrôleur de gestion et les responsables administratifs d’UFR. Cette reconnaissance dans mon dispositif fait en sorte que les choses se passent très bien […]. Nous travaillons actuellement avec les responsables administratifs d’UFR sur la mise en place de plates-formes financières et ressources humaines […]. C’est typiquement le rôle des responsables administratifs d’expliquer aux directeurs d’UFR que ce n’est pas une diminution de leurs moyens qui est visée derrière ça. On a besoin de les convaincre car on sait que ce sont nos meilleurs agents auprès des directeurs d’UFR ».
47On assiste à une hiérarchisation plus nette des relations entre les services centraux et les administratifs des composantes. Ceux-ci sont pris dans une dépendance plus étroite vis-à-vis du centre et relaient les initiatives de contrôle et de normalisation des activités des enseignants-chercheurs. Parmi les enseignants-chercheurs interviewés, beaucoup dressent le constat d’une « bureaucratisation » de leur situation de travail et expriment un sentiment de dépossession vis-à-vis des équipes dirigeantes de leur université. Certes, ils continuent à jouir d’une grande autonomie dans le contenu et l’organisation de leurs activités quotidiennes. Cependant, dans un contexte marqué par des pressions budgétaires croissantes – tout particulièrement sur les activités d’enseignement et l’ouverture de postes – la prolifération de nouveaux outils de gestion en interne rend omniprésente la question du contrôle sur l’allocation et l’usage des ressources. La plupart éprouvent des difficultés à saisir la logique des nouvelles procédures administratives qui se sont multipliées et craignent de perdre la main sur certaines prérogatives, notamment en matière budgétaire.
Des compétences gestionnaires qui consolident les capacités d’action des exécutifs universitaires
48En dépit de la montée en puissance des services centraux, on ne peut pas parler d’une « prise de pouvoir » des administratifs. En effet, l’extension des périmètres d’intervention des cadres administratifs reste étroitement subordonnée au contrôle des exécutifs universitaires.
49La mise en œuvre des réformes est allée de pair avec le développement d’un discours extrêmement prégnant, mettant en avant un double impératif : une séparation claire des rôles des « administratifs » et des « politiques », avec pour corollaire une stricte subordination des premiers aux seconds. Ce discours n’a rien de très neuf. Il reprend une des catégories les plus institutionnalisées du monde académique. Mais il est beaucoup plus prégnant que dans les années 1990 (Mignot-Gérard, 2006). Il est massivement diffusé et répété comme un mantra par les acteurs :
« L’administration doit réaliser les objectifs fixés par le politique dans le contrat quadriennal. C’est très borné, cloisonné et c’est bien comme cela […]. On leur a dit toutes les semaines pendant quatre ans […]. Et pour le président, si une personne remet en cause la décision, cette personne doit démissionner. S’il a eu un doute par rapport à quelqu’un, c’est réglé à la hache en 48 heures ».
51Bien que ce discours comporte des dimensions rhétoriques, il est aussi révélateur d’une norme qui s’impose aux acteurs, selon laquelle toutes les initiatives des cadres administratifs doivent être soumises à validation, discutées ou amendées auprès des équipes présidentielles. Largement partagée par les cadres administratifs eux-mêmes, cette norme n’est jamais directement interrogée, ni contestée par des interviewés, alors que ce point était loin de faire consensus à la fin des années 1990 (Mignot-Gérard, 2006).
52Le rôle des cadres administratifs est souvent présenté comme relevant de « l’aide à la décision » des exécutifs universitaires : élaborer des scénarios pour anticiper l’impact d’un choix, identifier les contraintes budgétaires ou réglementaires susceptibles de se présenter dans l’exécution d’une décision, etc. Cependant, une part substantielle de cette activité dépasse « l’aide à la décision » au sens le plus classique du terme. En effet, leur activité ne s’insère pas dans un cadre stable. Elle consiste au contraire à transformer les paramètres du jeu organisationnel, en déployant de nouveaux outils de gestion, en remaniant des structures ou en reconfigurant des routines administratives. De ce point de vue, si leur priorité est d’assurer le « bon fonctionnement » des établissements, il s’agit aussi de produire de nouvelles capacités organisationnelles, qui vont rendre possible des arbitrages « politiques » – bref d’habiliter l’action des exécutifs universitaires, et pas simplement d’opérationnaliser leurs choix ou les conseiller. Dans ce cadre, il est attendu des administratifs de faire preuve d’ingéniosité, afin de gérer au mieux et d’assouplir les contraintes externes. Le leitmotiv qui revient est l’idée de ne pas « subir » passivement les réformes, mais au contraire de les devancer pour éviter de se « faire imposer ce qu’on ne voudrait pas », selon les mots d’un interviewé. Tandis que les cadres administratifs tentent de resserrer le contrôle exercé sur les niveaux organisationnels inférieurs, ils s’efforcent à l’inverse de desserrer les contraintes externes pesant sur l’action de l’équipe présidentielle. Cela est particulièrement visible en matière budgétaire, où il s’agit de trouver des leviers permettant de donner des marges de manœuvre à la présidence.
« On s’occupe surtout de la masse salariale […]. On a un tableau où on modélise et on regarde ce qui restera. Cela a permis de déterminer les primes pour les personnels administratifs et de faire le référentiel des charges d’enseignement pour les enseignants. On donne les chiffres et la direction voit comment ils vont utiliser les marges. En tous les cas ils ne peuvent rien faire sans une vision claire des chiffres. Si on n’a pas les tableaux, il n’y a pas de décision ».
54Enfin, si les savoirs, les techniques et les savoir-faire gestionnaires des cadres administratifs sont fortement valorisés, leur déploiement reste soumis au contrôle des dirigeants universitaires. Ces derniers veillent à ce que les logiques propres des administratifs ne viennent dicter les décisions. Le DRH de Lettres Uni explique par exemple avoir renoncé à une proposition sur la refonte des régimes indemnitaires, qu’il estimait pourtant supérieure en tant que « technicien », pour se conformer aux orientations définies par son président. Si l’on a déjà souligné « l’esprit de mission » qui anime les cadres administratifs les plus entreprenants, leurs discours témoignent aussi d’une certaine prudence vis-à-vis du déploiement de logiques gestionnaires. Cela peut aller jusqu’à l’exercice d’un regard réflexif sur les outils de gestion, comme l’illustre le discours d’un cadre de Lettres Uni, par ailleurs très proactif dans la construction d’indicateurs.
« Si on asseoit une partie de l’allocation des moyens sur la base d’indicateurs chiffrés, on va effectivement stimuler le pilotage par la performance […]. Il faut qu’on y aille avec prudence. […] Depuis que je suis arrivé, il y a eu une progression nette, peut-être lente mais nette, dans l’utilisation d’indicateurs dans la prise de décision. Il y a un moment où il faudra s’arrêter. Le chiffre n’explique pas tout ».
56S’il y a donc bien extension des tâches, des compétences et des responsabilités des cadres administratifs, et si ces derniers étendent les capacités organisationnelles des dirigeants universitaires, ces processus sont tempérés par l’incorporation par ces administratifs de ce qui est acceptable ou non par les élus.
« L’administratif » et « le politique » : cloisonnement des registres d’intervention et coopération entre acteurs
57Pour pleinement comprendre la place qu’occupent les cadres des fonctions support vis-à-vis des exécutifs universitaires, il faut revenir sur les usages de la distinction entre « politique » et « administratif », et sur les pratiques qu’elle sous-tend. Il ne s’agit pas ici de départager ce qui relèverait de l’une ou l’autre catégorie, mais de s’interroger sur ce qu’elle signifie pour les acteurs et, surtout, ce qu’elle leur permet de faire. L’insistance des acteurs sur la distinction des registres d’intervention ne doit pas se comprendre comme une limitation des responsabilités respectives des cadres administratifs et des équipes présidentielles. Au contraire, elle marque un renforcement réciproque de leurs capacités d’action.
58Tout d’abord, bien que la distinction entre « travail administratif » et « travail politique » soit loin d’être univoque [17], elle n’est pas dénuée d’effets. En effet, l’argument du cloisonnement entre « administration » et « politique » fonctionne comme une ressource mobilisable pour emporter l’adhésion d’un interlocuteur, appuyer une option ou légitimer une décision. Ce qui importe le plus ici, ce n’est pas tant le contenu de ce qui serait « administratif » et de ce qui serait « politique », mais le fait que les acteurs jouent – avec profit – sur cette démarcation. On observe des jeux consistant soit à reporter une responsabilité sur une autre « filière » que celle à laquelle on appartient, soit au contraire à revendiquer une pleine séparation pour mieux affirmer son point de vue. À Lettres Uni, le vice-président chargé des finances clame sa faible compétence en matière de procédures budgétaires. Il explique souhaiter minimiser les aspects les plus « techniques » de sa fonction, afin de placer le plus possible ses discussions avec les directeurs de composantes sur le terrain de la négociation, plutôt que de l’échange d’information.
« Je n’y connaissais rien avant de venir et c’était une demande du président. Le président souhaitait que le VP finances soit un VP finances politique, pas technique. Je me refuse de comprendre un certain niveau de technicité. Pour ça, on a un service financier, il y a une agence comptable, il y a la cellule de pilotage […]. La volonté du président, c’était d’avoir quelqu’un qui donne des lignes de direction et qui est capable de faire travailler les autres. Mon prédécesseur [un enseignant-chercheur en sciences de gestion], comme il était de la partie, il s’occupait un peu de tout en même temps ».
60De façon symétrique, le DGS de Sciences Uni développe un projet de restructuration des circuits de gestion financière au sein de l’établissement. Il s’efforce alors d’impliquer son président sur ce dossier, au moins autant pour avoir un arbitrage que pour pouvoir légitimer les propositions techniques qu’il défend auprès de ses interlocuteurs universitaires.
« On avait un comité de pilotage présidé par le président. J’ai tenu à ce que ce soit comme ça, qu’il y ait un portage politique. Il n’était pas très enthousiaste à l’idée de présider cette affaire […]. À l’occasion de SIFAC, on a supprimé les antennes financières des composantes et on a fait des plates-formes financières par site. Là-dessus, le portage politique par le président était très important vis-à-vis des directeurs de composantes ».
62Le souci constant de clarifier et d’expliciter les zones d’intervention de chacun va de pair avec un accroissement de la division du travail et de la coopération entre acteurs : on coopère et on se coordonne d’autant mieux que l’on a défini son territoire d’intervention et que l’on n’empiète pas sur celui de l’autre. Tant les responsables universitaires que les cadres administratifs semblent trouver dans cette division du travail une façon de renforcer leurs capacités d’action, notamment parce qu’elle leur permet d’instruire et de consolider des positions communes et de présenter un front uni dans les négociations difficiles avec les composantes, les laboratoires ou les personnels.
63Par comparaison avec les résultats d’enquêtes antérieures (Friedberg, Musselin, 1989 ; Mignot-Gérard, 2006), il apparaît que l’articulation entre agents administratifs et responsables universitaires tend à se concentrer au plus haut échelon organisationnel, avec un cloisonnement plus net des filières dans les niveaux inférieurs. Ainsi, si les vice-présidents peuvent entretenir des relations de travail assez régulières avec les directeurs de services correspondant à leur secteur d’intervention (par exemple le vice-président des ressources humaines avec la DRH), ils ne se considèrent pas comme leurs responsables hiérarchiques et reconnaissent la pleine autorité du DGS sur les services centraux. En outre, dans la plupart des cas, les responsables de services administratifs ont des relations plus étroites avec leur DGS qu’avec leur homologue « politique ». On voit ainsi s’esquisser une structure de relations correspondant à un V inversé, au sommet duquel on observe une interaction très étroite entre le président et le DGS, qui établissent ensemble des priorités et s’accordent sur les positions qu’ils vont défendre. De ce point de vue, le renforcement de la filière administrative ne se fait pas au détriment des exécutifs universitaires. Bien au contraire, il concourt plutôt à les doter de nouvelles capacités de contrôle et d’action. En même temps, l’affirmation constante de la distinction des rôles semble aussi bénéficier aux cadres administratifs, dans la mesure où elle contribue à affirmer leur légitimité propre et à leur construire une place bien établie au cœur du gouvernement des universités.
Conclusion
64Dans cet article, nous avons cherché à rendre compte des transformations des universités françaises dans le contexte de la mise en œuvre de la loi LRU, envisagée comme une réforme mobilisant des principes et des instruments d’inspiration managériale. À la différence de nombreux travaux sur les bureaucraties professionnelles, nous avons pris ici le parti de nous centrer sur le rôle investi par un ensemble de cadres administratifs dans l’opérationnalisation de cette réforme.
65Dans les établissements étudiés, les nouvelles responsabilités dévolues aux fonctions support ont servi de tremplin à la montée en puissance d’un noyau de cadres intermédiaires. Ils apparaissent ainsi comme des « entrepreneurs du management » dans les bureaucraties professionnelles que sont les universités. En étendant le spectre de leurs activités et en leur confiant le développement de nouveaux outils et procédures, les RCE ouvrent en effet de nouvelles opportunités d’action à ces cadres. Loin de vivre la réforme comme une injonction externe, ils en font un enjeu de développement professionnel – ce qui renforce en retour leurs dispositions à embrasser un esprit de mission volontariste dans la transformation des universités. La rationalisation des fonctions support qu’ils promeuvent s’inscrit clairement dans une logique managériale : l’accent traditionnellement placé sur le respect de la réglementation dans la gestion des ressources cède le pas à un objectif d’optimisation de l’usage des ressources et de mesure de la performance. Les fonctions support constituent ainsi l’un des foyers actifs de la diffusion de logiques managériales au cœur des universités, en contribuant à placer des questions de coûts, d’objectivation des pratiques ou de mesure de la performance dans l’horizon quotidien des universitaires.
66Il serait néanmoins réducteur d’interpréter ces changements comme le triomphe univoque d’un pouvoir managérial sur les universitaires. Dans les établissements étudiés, les initiatives portées par ces cadres restent étroitement contrôlées et bornées par les exécutifs universitaires. Nos résultats étendent la portée des observations de Krücken et al. (2013) en Allemagne et de Whitchurch (2010) au Royaume-Uni, sur les agents qui exercent les nouvelles fonctions créées dans les universités (assurance qualité, transfert technologique, gestion de projet…). Alors même que les cadres administratifs que nous avons étudiés ont un profil beaucoup plus gestionnaire que ces derniers – souvent titulaires d’un doctorat et a priori plus proches des normes académiques – ils tendent eux aussi à rejeter les versions les plus dures du managérialisme (« hard managerialism ») et à adopter des postures relativement prudentes dans l’introduction d’instruments et de principes managériaux. En suivant Noordegraaf et de Wit (2012), on pourrait dire que, de la même façon que l’on assiste à une hybridation des pratiques des professionnels avec des logiques managériales, les services support sont conduits à intégrer les logiques des universitaires dans leur travail gestionnaire. Ils tiennent pour acquis le primat du « politique » et, même s’ils peuvent parfois le regretter, ils sont amenés à réviser des initiatives qui leur paraissent pertinentes sur le plan technique, afin de se conformer aux attentes des équipes présidentielles.
67Dans cette perspective, on a souligné que les processus observés ne devaient pas s’interpréter comme un jeu à somme nulle, où ce qui serait « gagné » par les cadres administratifs serait nécessairement « perdu » par les exécutifs universitaires. Au contraire, on assiste à la fois à un renforcement des services centraux et des exécutifs universitaires [18]. On peut aller au-delà de ce constat, pour préciser la nature des transformations qui touchent les cadres étudiés. La montée en qualification et la technicité croissante des activités de ces agents, qui dépasse l’application de routines bureaucratiques et nécessite la mobilisation de savoir-faire experts, apparaissent comme le soubassement d’une forme de « professionnalisation » des fonctions support, selon un processus comparable à celui analysé par Hodgson (2002) dans le cas des spécialistes de la gestion de projets. En effet, ces agents tendent à se constituer comme un groupe détenteur d’une expertise reconnue et spécifique, qui lui permet de négocier une place stratégique dans le jeu organisationnel – processus qui s’accompagne en externe de l’essor de réseaux professionnels nationaux, comme les associations des secrétaires généraux ou des DRH d’universités. Sans aller jusqu’à annoncer une transformation des universités françaises en organisations « multi-professionnelles » (Schneijderberg, Merkator, 2013), nos données suggèrent une recomposition des relations entre groupes d’acteurs au sein des universités. La différenciation croissante entre les universitaires et les « élites organisationnelles » de la profession académique que sont les dirigeants d’universités (Musselin, 2013) s’accompagne de la montée en puissance d’un groupe d’agents administratifs, qui contribue à consolider les capacités de contrôle des seconds sur les premiers.
68Enfin, au-delà du secteur de l’enseignement supérieur, ces résultats ouvrent des pistes de réflexions sur les caractéristiques du travail d’opérationnalisation des réformes managériales mené par les cadres intermédiaires au sein des services publics. Assimilable à une « activité constituante » (Bezes, Join-Lambert, 2010), le travail des cadres étudiés comporte une forte dimension procédurale : il vise moins à atteindre des objectifs substantifs qu’à conformer une organisation à la poursuite de ces objectifs. Ce faisant, ils contribuent aussi à façonner les organisations dans lesquelles ils travaillent suivant leurs propres intérêts professionnels. En œuvrant individuellement à l’introduction et à la consolidation de nouvelles fonctions dans les universités – comme le contrôle de gestion ou la gestion des ressources humaines – ils contribuent collectivement à l’institutionnalisation de leur position en tant que groupe. Cet aspect de leur travail peut les rapprocher, à certains égards, des hauts fonctionnaires qui injectent leurs préférences dans la construction des nouvelles architectures organisationnelles de l’administration (Bezes, 2005). Toutefois, leur mode d’implication dans le processus de réforme est sensiblement différent. Très éloigné des logiques de politisation typiques de la haute fonction publique (Eymeri-Douzans, 2003), il se construit plutôt comme l’expression d’un ethos professionnel particulier. Celui-ci se définit principalement par une virtuosité technico-administrative, qui va s’épanouir dans l’urgence et la complexité de chantiers de réorganisation managériaux. Leur investissement dans une entreprise de rationalisation gestionnaire ne doit pas se comprendre comme la simple exécution de principes froids et abstraits, ni uniquement comme le résultat de calculs stratégiques, mais comme le produit de dispositions et d’affects professionnels spécifiques.
69De ce point de vue, l’objet de recherches complémentaires pourrait alors être de s’interroger, plus largement, sur l’articulation entre les trajectoires de ces cadres intermédiaires, leur socialisation et leur participation à des réformes. On pourrait faire l’hypothèse qu’ils se caractériseraient par une capacité à construire et à faire valoir des compétences réformatrices transversales, pouvant être transposées d’une organisation à l’autre par le jeu des mobilités entre établissements, voire entre différents secteurs de l’administration.
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Mots-clés éditeurs : gouvernance des universités, managérialisme et nouveau management public, politiques de l’enseignement supérieur, bureaucraties professionnelles, autonomie des universités, fonctions support
Mise en ligne 18/12/2015
https://doi.org/10.3917/gap.154.0127Notes
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[1]
Selon la définition classique de Pollitt (1990), on fait ici référence à un ensemble de prescriptions pratiques, de méthodes et de doctrines qui promeuvent la diffusion et l’usage de techniques de management – généralement issues du secteur privé – en faisant de la recherche de l’efficience gestionnaire l’objectif principal de l’évolution des services publics.
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[2]
L’autonomie des universitaires, qui désigne l’exercice d’une indépendance relative des universitaires dans le contrôle de leurs activités face à des membres externes à leur groupe professionnel (avec le primat du jugement par les pairs), doit donc être distinguée de l’autonomie des universités, qui désigne la capacité de chaque établissement à déterminer et à mettre en œuvre une stratégie qui lui est propre.
-
[3]
Cette liste n’est pas limitative : on peut y inclure également la gestion des systèmes d’informations, les achats, le patrimoine, etc. De façon plus générale, les fonctions support désignent l’ensemble des agents qui ne participent pas directement à la réalisation ou à la supervision de la production des biens ou des services délivrés par une organisation, mais qui fournissent un appui technico-administratif à ces activités.
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[4]
C’est-à-dire ceux qui prennent directement en charge la production de services et sont en contact avec les usagers.
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[5]
Les « dispositions administratives les plus ordinaires » peuvent avoir des conséquences décisives sur la capacité d’une organisation à remplir ses missions fondamentales (Selznick, 1957, p. 14).
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[6]
On renvoie ici aux débats autour de la capacité effective des universités à exercer leur autonomie. En effet, face à l’intensification des contraintes budgétaires et la multiplication de nouvelles formes de « pilotage à distance » (développement d’appels d’offre compétitifs, etc.), les marges de manœuvre des universités se sont révélées extrêmement limitées. Dans ce cadre contraint, l’autonomie formelle dévolue aux universités françaises consiste alors, selon certains observateurs, à en faire des « gestionnaires de la pénurie » et à leur transférer des décisions difficiles et impopulaires. Loin d’être propres à la France, des tendances comparables sont à l’œuvre dans d’autres pays européens qui ont engagé des réformes de ce type, avec ce que Christensen (2011) qualifie de « paradoxe de l’autonomie ».
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[7]
Le GVT désigne la variation de la masse salariale liée à l’avancement des personnels dans leur carrière sous l’effet combiné de l’ancienneté et des promotions.
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[8]
Cette diversité renvoie à l’une des spécificités administratives des universités françaises, où des personnels de corps et de statuts différents remplissent fréquemment des fonctions similaires (Mallet et al., 2005). Un poste de directeur des ressources humaines peut, par exemple, être occupé par un ingénieur de recherche, un attaché d’administration, ou encore un agent d’un autre corps de l’administration en détachement.
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[9]
On fait ici spécifiquement référence aux attachés d’administration de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur (ex-attachés d’administration scolaire et universitaire). Ils ont été versés en 2013 dans le corps interministériel des attachés d’administration de l’État, tout comme les ex-conseillers d’administration scolaire et universitaire.
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[10]
Nous tenons ici à remercier chaleureusement les étudiants avec qui nous avons mené cette enquête, Sebastian Billows, Élodie Bigand, Arthur Bourgeois, Pascal Braun, Ségolène Dary, Ole Hexel, Haley McAvay et Matias Wulf, ainsi que leurs tuteurs-encadrants, Camille Boubal et Aude Soubiron. Nous remercions également l’École supérieure de l’Éducation nationale, qui a apporté un soutien financier à la réalisation de l’enquête de terrain.
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[11]
Loi organique relative aux lois de finances.
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[12]
Dans les établissements étudiés, plusieurs postes-clés sont ainsi confiés à des personnels nouvellement promus ou recrutés à l’extérieur. En termes de compétences, ces renouvellements valorisent principalement des cadres ayant une expérience dans la mise en œuvre de changements organisationnels et/ou qui maîtrisent des savoir-faire spécifiques (contrôle de gestion par exemple). En l’absence de chiffres détaillés sur l’ensemble des postes concernés, il est difficile de mesurer l’étendue de ces mouvements. On peut en donner un aperçu à partir du cas des DGS, fonction pour laquelle les données chiffrées sont les plus précises (ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, 2012, p. 35-41 ; Prussak, 2012). Les corps représentés évoluent à la marge : en 2012, la majorité des DGS restaient issus des corps de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, même si on notait une part croissante d’administrateurs civils ou des cadres de la fonction publique territoriale. En revanche, le renouvellement des personnes semble important : à la même date, 54 % des DGS occupaient leur poste depuis moins de 3 ans. L’attractivité de la fonction s’est accrue après 2007, avec une hausse sensible du nombre de candidatures par offre d’emploi de DGS (il double entre 2007 et 2008).
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[13]
On peut citer l’allocation par le ministère d’un budget spécifique de financement de primes pour les cadres administratifs des universités passant à l’autonomie, le ré-échelonnement indiciaire des agents comptables et des secrétaires généraux d’université, ainsi que la revalorisation du statut de ces derniers en 2010.
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[14]
Certains témoignages suggèrent que, compte tenu de la taille relativement modeste des services administratifs des universités et de la moindre prégnance des normes hiérarchiques par rapport à d’autres administrations, l’université offre à ces cadres une liberté et des responsabilités sans commune mesure avec celles dont ils pourraient bénéficier dans d’autres contextes.
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[15]
L’AMUE a notamment développé un catalogue de formations portant sur les problématiques techniques et gestionnaires du passage au RCE. Elles sont en partie animées par des cadres administratifs d’universités qui, ayant acquis une expertise sur un domaine particulier, endossent le rôle de formateurs pour leurs homologues d’autres établissements.
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[16]
Schématiquement, le taux d’encadrement est un ratio qui met en relation le potentiel d’enseignement (heures d’enseignement qui peuvent être assurées en fonction des effectifs disponibles) et la demande d’enseignement (en fonction du nombre d’étudiants et du format des cours).
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[17]
Les catégorisations opérées par les acteurs varient : la même initiative pourra être présentée comme une simple mesure « administrative » dans un établissement, alors qu’elle sera considérée comme relevant d’une impulsion « politique » dans un autre. En outre, en raison même de son élasticité, la distinction semble parfois simplement mobilisée comme une étiquette permettant de légitimer – ou au contraire de disqualifier – certains comportements.
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[18]
Il est possible que les deux cas étudiés ne reflètent qu’une modalité particulière de l’articulation entre dirigeants universitaires et cadres administratifs dans les universités françaises, dont certaines pourraient avoir des fonctionnements différents. Néanmoins, on peut dire a minima que, même dans des établissements dotés de services centraux relativement forts (comme c’est le cas dans les universités étudiées), les exécutifs universitaires ne s’effacent pas devant les cadres administratifs.