Couverture de GAP_153

Article de revue

Bringing the state elites back in ?

Les gardiens des politiques de l’État en Europe et aux États-Unis

Pages 57 à 80

Notes

  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier pour leurs commentaires et suggestions leurs collègues Pierre Birnbaum, Larry Brown, Saïd Darviche, Guy Hermet, John Higley, Marc Smyrl, Hendrick Spruyt. Nous remercions également Patrick Hassenteufel et Philippe Zitoun d’avoir accepté dans leur section thématique du dernier congrès de l’AFSP d’Aix-en-Provence (2015) la discussion d’une version évolutive de cet article. Enfin, un grand merci aux évaluateurs anonymes de la revue pour avoir, par leur lecture critique, permis de l’améliorer.
  • [2]
    Pour étayer historiquement et empiriquement la question traitée, nous nous appuierons sur nos publications qui, prenant appui sur le cas français, ont analysé les rôles de l’élite des politiques dans les réformes des secteurs de l’assurance maladie et de la défense nationale depuis les années 1980 (Genieys, 2008 ; Genieys, Hassenteufel, 2015). Pour le cas étas-unien, nous mobiliserons les résultats d’une étude empirique de première main sur les sommets de l’État américain dans les secteurs Santé et Défense effectuée dans le cadre du programme de recherche : Operationalizing Programmatic Elites Research in America 1988-2010 (OPERA : ANR-08-BLAN-0032).
  • [3]
    Thoenes impute ce changement à : « an elite of scientifically trained officials, in government department, in semi-official department, serving with big firms, with trade unions and with professional organizations. Many clashes of interest keep them divided, but the task of scientific oversight of the national economy is a unifying one, and it gives them a common stamp » (1966, p. 129) et précise plus loin leur rôle déterminant : « The functionaries elites is that official section of the community which claims, by virtue of its special skill, to have the task of undestanding, bringing about and safegurading the requirements which shall determine the structure and function of the nation’s controlled society » (p. 183).
  • [4]
    Pour eux, les Chicago boys sont formés aux États-Unis et adhèrent aux thèses économiques de l’école dite « de Chicago ». Ils s’opposent « aux gentlemen-politiciens du droit », juristes formés en Europe et imprégnés d’une conception de la puissance publique et de l’intérêt général propres au droit public continental (2002, p. 51sq.).
  • [5]
    Les secteurs des politiques publiques où nous avons pu observer empiriquement depuis la fin des années 1980 ce phénomène sont l’assurance maladie et la défense nationale (Genieys, 2008, 2010 ; Genieys, Hassenteufel, 2015).
  • [6]
    Philip Selznick avait évoqué l’apparition de Custodians of Policy dans les organisations publiques ou privées, dont l’attachement à l’intégrité institutionnelle d’une organisation passait par l’identification à des valeurs communes à travers la production et la défense de politiques publiques (Selznick, 1957, p. 120).
  • [7]
    L’enquête OPERA se focalisait sur la transformation des sommets de l’État américain dans deux secteurs d’action publique, la défense et la santé, à partir de la réalisation d’une base de données sociographiques de 299 cas et de 200 entretiens. Les données empiriques sont consultables sur le site web du CEPEL [http//cepel.edu.umontpellier.fr/banques-de-donnees-opera-2/].
  • [8]
    Dans le cas des États-Unis, cette transformation de la filière des élites qui s’orientent vers le service de l’État correspond au mouvement de création des Schools of Public Policy, initié par un programme de la Fondation Ford (1972). Inspiré par l’approche en terme de Policy Science chère à Harold Lasswell, et centré sur la formation à l’évaluation des politiques publiques 12 écoles de niveau master ont été créées (Allison, 2006). Le cas le plus significatif est la transformation de la School of Administration d’Harvard en John F. Kennedy School of Government.
  • [9]
    L’enseignement et la formation proposée diffèrent profondément de ceux des Schools of Administration avec des matières telles que : policy analysis, policy studies, public policy, political economy, urban planning, public administration, public affairs and public management [https://en.wikipedia.org/wiki/Public_policy_school].
  • [10]
    Précisons ici, que l’OMB (réorganisé sous l’Administration Nixon, 1970) ou encore CBO (1974) sont des institutions de création récente qui participent au développement d’un contrôle et d’une évaluation accrus des politiques publiques au sein des deux branches du pouvoir exécutif et législatif américain. Dans le cadre des réformes que nous avons étudiées, nous avons pu mesurer le rôle prépondérant, notamment pour la préparation de l’Obamacare, d’Alice Rivlin ou encore de Peter Orzag qui ont dirigé ces deux institutions (Joyce, 2011).

1Depuis une trentaine d’années, la question de la libéralisation des politiques publiques est devenue un des thèmes dominants de la science politique (Thelen, 2014). Dans cette perspective, de nombreux travaux ont évoqué le démantèlement de l’État qui en découlerait (Suleiman, 2005 ; Bonelli, Pelletier, 2010). On a ainsi mis l’accent sur le succès rencontré par les thèses néo-libérales auprès des élites politiques et administratives européennes ou nord-américaines, la remise en cause du paradigme néokeynesien (Hall, 1986 ; Jobert, Théret, 1994) et les politiques de la contrainte budgétaire (Bezes, Siné, 2011) qui en ont résulté. On a par ailleurs insisté sur les effets de la globalisation économique qui, en favorisant une expansion des relations de marché à l’intérieur ou en dehors des systèmes politiques nationaux (Streeck, Thelen, 2005), remettraient en cause les capacités d’action de ces États. Plus récemment, Pierre Muller a évoqué le passage de « l’État-entreprise » à celui de la gouvernance durable comme réponse à une recomposition de l’État (2015).

2Dans cette perspective, l’idée d’un démantèlement de l’État mérite néanmoins d’être nuancée. En analysant l’évolution des politiques publiques comme une simple réponse fonctionnelle à l’évolution du contexte idéologique, financier ou international dans lequel elles se déploient, on tend à méconnaître le rôle que jouent les élites étatiques qui sont effectivement associées à leur élaboration. En croisant la sociologie des élites et l’analyse des politiques cet article propose de resituer ce processus de libéralisation des politiques publiques dans le continuum des rapports que ces élites entretiennent à l’action publique depuis 1945. À partir d’une analyse comparée des transformations subies par deux secteurs stratégiques de l’action de l’État, la défense et la santé publique, en Europe et aux États-Unis, il met en évidence l’émergence depuis la fin des années 1980 d’un nouveau type d’élites étatiques, qualifiées de gardiens des politiques de l’État (Genieys, 2010). Comme on le verra, l’élément distinctif de ces nouvelles élites ne tient pas seulement à leur engagement en faveur du maintien de ces politiques, mais dans leurs trajectoires, caractérisées par une identification à la capacité d’action de l’État dans des secteurs de politiques en pleine recomposition. La prise en compte du rôle joué par ces gardiens des politiques de l’État permet de revenir sur le débat sur la transformation des États démocratiques contemporains et la pertinence de la distinction entre État fort et État faible (King, Le Galès, 2011).

3M. Mann nous a montré qu’au xixe siècle, le pouvoir despotique de l’État est progressivement supplanté par un pouvoir infrastructurel fondé sur une pénétration réciproque de la société civile et de la puissance publique autour des décisions politiques (Mann, 1984, p. 113). Dans le prolongement de ces réflexions, notre article souligne qu’après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants politiques de la plupart des démocraties pluralistes négocient l’adhésion massive des élites de l’État aux vertus de la démocratie pluraliste en leur rétrocédant la mise en œuvre des politiques de planification (1945-1980). Durant cette période, dans la plupart des grandes démocraties occidentales les élites de l’État, souvent formées par ce dernier, imposent leur pouvoir technocratique sur les politiques publiques. Dès la fin des années 1970, avec le début de la longue crise du modèle néokeynesien, deux fractions de la classe politique (« les néo-libéraux » et « les populistes ») se rejoignent pour remettre en question le fondement bureaucratique du pouvoir des technocrates, ouvrant la voie « au cycle de l’État-entreprise » (Muller, 2015, p. 418). Partant de ce constat, nous émettons l’hypothèse que, loin de s’effacer totalement, le pouvoir des élites de l’État s’est recomposé durant cette période de crise autour de la figure des custodians of state policies observables dans certains secteurs stratégiques de l’activité régalienne [2].

Un ralliement stratégique à la démocratie pluraliste autour des politiques de planification (1945-1980)

4La sociologie comparée de l’État a mis l’accent sur les réticences que les élites étatiques ont éprouvé à l’égard de l’entrée des masses dans le jeu politique. H. Daalder souligne par exemple que dans la majorité des pays européens, les hauts fonctionnaires s’érigent en « gardiens de l’État » et s’opposent à la mise en place de la démocratie qui leur apparaît comme une menace pour leur pouvoir, mais aussi pour la stabilité de l’ordre politique (Daalder, 1995). Barrington Moore Jr. (1969) en fait une des variables explicatives du développement de la dictature ou de la démocratie en Europe. Dans cette perspective, l’adhésion précoce de certaines de ces élites d’État, dans les pays scandinaves, en Grande-Bretagne, et en France de manière moins évidente, est présentée comme une exception (Hermet, 1983 ; Higley, Burton, 2006). À partir de 1945 néanmoins, on assiste à un mouvement d’adhésion plus général des élites étatiques à démocratie pluraliste (Linz, Stepan, 1996). Dans le contexte de la guerre froide naissante et sous la pression de l’aide économique des États-Unis, le processus de démocratisation se structure autour de la mise en place des politiques de planification. De plus, les deux conflits mondiaux ont largement contribué au développement interdépendant des politiques de Welfare et de Warfare (Titmuss, 1976). Dans ce nouveau contexte, les élites politiques négocient la loyauté politique des élites d’État à la démocratie en leur rétrocédant la prise en charge des politiques du Welfare State (Field, Higley, 1980). Tout se passe ainsi comme l’avait anticipé Mannheim (1940) dans son modèle de démocratie planifiée où des planning elites, en assurant la mise en œuvre des politiques de planification keynesiennes permettant de pallier les défauts de l’État libéral, serviraient d’antidote au communisme et au fascisme. Néanmoins, comme nous allons le voir, une fois passé le temps du triomphe des politiques keynesiennes, les élites de l’État ont été confrontées à des mises en cause croissantes.

Une loyauté politique échangée contre le monopole sur les politiques de Welfare

5Dans la plupart des pays de l’Europe de l’ouest, le Plan Marshall et la mise en œuvre du « welfare statism » conduit à une transformation profonde du rôle et du comportement politique des élites bureaucratiques. Leur ralliement politique à la démocratie s’exprime dans des stratégies de prise en charge corporatiste de l’implémentation des politiques keynesiennes qui ont caractérisé les différentes configurations de l’État-providence (Shonfield, 1965 ; Heclo, 1974 ; Suleiman, 1976 ; Jobert, Muller, 1987 ; Baldwin, 1990).

6Le sociologue hollandais Piet Thoenes dans son important ouvrage, The Elite in the Welfare State, définit le Welfare State Regime comme un mode de gouvernement singulier mis en place à partir de la fin du second conflit mondial (1966). Ce type de régime innove en raison du rôle monopolistique des élites de l’État dans le processus d’élaboration et d’implémentation des politiques publiques [3]. Dans cette perspective, l’État et ses élites redéfinissent les relations entre l’économie et la structure sociale à partir de la mise en œuvre d’une politique industrielle (nationalisations, planification) poursuivant le plein emploi tout en mettant en place des systèmes de protection sociale performant comme le National Health Insurance en Grande-Bretagne ou encore la Sécurité Sociale en France (Derthick, 1979 ; Hacker, Skocpol, 1997 ; Palier, 2002). De plus, en tant qu’architectes de la planification (plan-fulfilling elite), les élites de l’État se trouvent à l’interface du gouvernement des industries nationalisées et des corps administratifs même si les styles de planification peuvent varier entre les pays européens (Thoenes, 1966, p. 198). Aux États-Unis, en raison de la forte autonomie sectorielle de l’activité étatique, le phénomène intervient plus tardivement, au tournant des années 1960 sous les administrations Kennedy et Johnson, et se limite à certains secteurs, comme les politiques urbaines, les politiques sociales et la défense nationale (Shonfield, 1965).

7Keynesianisme pour les économistes, démocratie sociale ou social-démocratie pour les politologues, tous s’entendent pour constater que ces nouvelles politiques caractérisées par une augmentation de la pression fiscale et une redistribution vers des classes sociales plus démunies sont portées et mises en œuvre par des élites qui s’identifient fortement à la démocratie capitaliste (Dahrendorf, 1959 ; Giddens, 1972). Dans la pratique, ces élites sont majoritairement issues de l’administration, dotées d’une forte expertise généraliste et juridique, et elles contournent souvent la machine gouvernementale lors de la prise de décision dans le but de définir et de mettre en œuvre les politiques de Welfare State (Heclo, 1974 ; Suleiman, 1979 ; Putnam, 1977). Leur capacité à porter le nouveau programme politique est facilitée par le transfert du centre de gravité du pouvoir du Parlement aux ministères (Birnbaum, 1977).

8Enfin, les travaux de recherches sur les caractéristiques sociales de ces nouvelles élites de l’État montrent que leur structure sociale change. Durant la période d’après-guerre, l’ouverture sur les classes moyennes et moyennes supérieures devient une réalité dans la plupart des démocraties occidentales (Kelsall, 1974 ; Dogan, 1975), à l’exception des États-Unis où certaines minorités sociales ou ethniques en sont exclues (Stanley, Mann, Doig, 1967). L’élévation générale du niveau d’études est également une caractéristique marquante de ces nouvelles élites de l’État (Dogan, 1975). Les filières juridiques jouent ainsi un rôle central dans l’apprentissage des savoir-faire nécessaires à l’exercice des techniques de gouvernement (Page, Wright, 1999). Pour souligner les liens qui attachent ces élites à l’État, Dogan qualifie de « mandarins occidentaux » les hauts fonctionnaires recrutés par concours au terme d’une formation spécialisée dominée par les cursus juridiques et destinée à l’occupation de postes de pouvoir importants dans l’administration de l’État (Dogan, 2003).

Le Warfare entre planification militaire et complexe militaro-industriel

9La défense est parmi les premiers secteurs de l’État concernés par l’essor de la planification des politiques. W. McNeil a montré comment la révolution industrielle avait favorisé dès le xixe siècle l’essor de « systèmes de technique dirigée » visant à préparer la guerre (MacNeill, 1982). Aux États-Unis où les pratiques interventionnistes du New Deal sont importées dans le secteur de la Défense lors de la Seconde Guerre mondiale (Hooks, 1991). L’après-Seconde Guerre mondiale correspond néanmoins à un développement sans précédent de ces pratiques de planification militaire qui fait apparaître la menace du gouvernement des politiques par un complexe militaro-industriel. Cet essor de la planification renvoie d’abord selon John K. Galbraith aux intérêts de la technostructure qui se développe au sein des sociétés capitalistes dans le contexte de la guerre froide notamment dans le secteur de l’armement (1967). Cet essor de la planification contribue en outre à modifier les critères de l’excellence professionnelle dans les forces armées, notamment après la Seconde Guerre mondiale, où l’essor des politiques de planification a favorisé l’essor des « officiers managers » dont les savoir-faire sont peu éloignés de ceux qui sont mobilisés par les cadres des grandes organisations civiles, publiques ou privées (Janowitz, 1960).

10Cette transformation de la structure des élites militaires américaines a été contestée par la sociologie critique qui, à l’instar de C. Wrigth Mills (Mills, 2000 [1956]), a dénoncé la formation d’un complexe militaro-industriel au cœur d’une démocratie pluraliste. La planification politique devient alors l’instrument d’action publique permettant de servir les intérêts de l’industrie d’armement et de l’élite du pouvoir. Dans un même sens, certains chercheurs ont montré en raison de la prise de pouvoir du « big business » dans les différentes instances de planification des politiques publiques que l’État américain n’était pas autonome (Domhoff, 1990), alors que d’autres avancent que la politique étrangère et de défense américaine est avant tout l’expression des intérêts du capitalisme américain (Baran, Sweezy, 1966). Toutefois, l’homogénéité du complexe militaro-industriel a été remis en question à travers la réaffirmation de l’autonomie des élites étatiques par rapport aux autres acteurs du secteur de la défense (Slater, Nardin, 1973). C’est notamment le cas dans les années 1960, avec les réformes managériales telles que le Planning Programming and Budgeting System introduites par R. McNamara et ses Whiz Kids qui donnent naissance au Pentagon Capitalism (Melman, 1970). Ce projet de réforme profonde de la politique de défense contribue à réaffirmer le rôle de l’État dans le secteur de l’armement.

11On retrouve des logiques comparables d’affirmation des élites étatiques en charge de la planification des politiques de défense dans les pays européens. À partir de 1945, la Grande-Bretagne se caractérise par un modèle d’État fortement interventionniste en matière d’armement. David Edgerton qualifie de « militarisme libéral » la combinaison entre libéralisme politique et économique et intervention forte de la puissance publique (1985, 2005). La planification et la nationalisation d’entreprises de secteurs stratégiques civils caractérisent cet interventionnisme (Dillon, 1988). Jusqu’au début des années 1970, via ces ingénieurs, l’État met l’accent sur la recherche de l’excellence technologique (Hoeffler, 2011, p. 128). En France dès les premières années de la Quatrième République, les politiques de défense sont marquées par une tension entre la volonté de reconstituer rapidement les capacités des forces armées et celle de la reconstruction des capacités industrielles (CEHD, 1996). La création de la Délégation ministérielle à l’armement en 1961, qui deviendra la Délégation générale pour l’armement (DGA) à partir de 1977, marque néanmoins une volonté de modernisation de l’appareil de défense français autour de la constitution de la force de frappe nucléaire (Vaïsse, 2002). L’influence acquise par le corps des ingénieurs de l’armement, unifié en 1968, est ainsi symbolisé par la présence de ses membres non seulement dans les structures en charge de la recherche et développement des équipements, mais aussi aux principaux postes à responsabilité au sein du ministère de la Défense ou de l’Industrie (Kolodziej, 1987). Samy Cohen a montré comment le pouvoir ainsi acquis par la DGA au sein du secteur de la défense français tranchait avec la défaite politique des élites militaires caractérisant la Cinquième République (Cohen, 1994).

Au-delà de la démocratie représentative le gouvernement technocratique des politiques

12L’exercice d’un fort pouvoir technocratique par les élites de l’État sur la mise en œuvre des politiques planificatrices fut également critiqué en tant que possible facteur d’altération du fonctionnement de la démocratie représentative (Meynaud, 1964 ; Galbraith, 1967 ; Putnam, 1977). Suzanne Keller a tout d’abord dévoilé le rôle des groupes d’élites au comportement stratégique comme une caractéristique commune aux États démocratiques (1963). En s’appuyant sur l’exemple de « l’État fort » à la française, Meynaud observe que les technocrates, après avoir pénétré la plupart des secteurs d’activité de l’État, imposent progressivement leur pouvoir face au personnel politique et sur la société civile (1964). Aux États-Unis, le débat oppose ceux qui montrent que les situations de « planning » conduisent à la formation de système de contrôle polyarchique (Dahl, Lindblom, 1953) à ceux qui dénoncent la montée en puissance d’une technocratie entrepreneuriale (Galbraith, 1967).

13Dans une analyse comparée portant sur les démocraties occidentales, Mattéi Dogan pointe une série de facteurs structurels comme la centralisation administrative, l’instabilité ministérielle ou l’accroissement du poids des staffs ministériels, qui confirment le poids du pouvoir des « mandarins modernes » sur la vie politique (1975). Partant de là, la question de l’autonomisation politique des élites de l’État ou à l’inverse celle de leur fusion avec les élites politiques n’a pas cessé de susciter des controverses. Ce fut le cas en France où les hauts fonctionnaires sont partis à la conquête des sommets de l’État fort (Birnbaum, 1977). L’acquisition d’un savoir-faire sur le gouvernement des politiques publiques par les élites de l’État est au cœur de ce processus (Aberbach, Putnam, Rokman, 1981). En étudiant les croyances et les comportements des technocrates (conventionall y official s versus technical officials) en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, Robert Putnam montre que la maîtrise d’un même savoir-faire technique sur les politiques, génère une « identité technique » à partir de laquelle se forme un fort esprit de groupe qui leur permet, lors de luttes avec les « politicians », d’imposer souvent leur point de vue sur les programmes d’action publique (1977, p. 407sq.).

14Les spécialistes de l’analyse des politiques publiques ont étudié en profondeur et sous un angle nouveau, le rôle des élites de l’État dans la modernisation de l’économie dans certains pays de l’Europe occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale. Hugh Heclo a analysé comment en Suède et au Royaume-Uni, ces élites ont façonné les contours du système du Welfare State avant d’orienter sa diffusion vers les élites politiques (1974). Le cas de la maîtrise de la politique budgétaire par la haute administration britannique confirme leur capacité à gouverner technocratiquement les politiques (Heclo, Wildawsky, 1974). En s’appuyant sur les exemples du Royaume-Uni et de la France, Peter Hall a montré que malgré des trajectoires différentes les politiques de planification, considérées à l’origine comme de simples techniques administratives, ont été transformées par les élites qui les portent en véritables instruments de gouvernement permettant de s’émanciper du jeu traditionnel des groupes d’intérêts (Hall, 1986).

15L’étude des politiques de planification de « l’âge d’or » de l’État en France montre que les élites de l’État ont construit leur savoir-faire à partir d’un accès à la documentation interne de la machine administrative, leur permettant d’interpréter les faits et de se doter d’un propre langage (Jobert, Muller, 1987). Fort de ces ressources, les technocrates français ont élaboré le référentiel « global-sectoriel » sur la base duquel durant les Trente Glorieuses, ils forgeaient les politiques de modernisation (Thoenig, 1987 [1973]) et les grands programmes industriels tels que le TGV, le Concorde, le Minitel ou Airbus (Suleiman, Courty, 1997).

La transformation du pouvoir des élites de l’État au tournant des années 1970

16Au tournant des années 1970-1980, à la suite de la crise liée au choc pétrolier, la remise en question des frontières entre l’État et le marché ouvre la voie à une contestation des politiques de planification liées au régime du Welfare et du Warfare (Muller, 2015, p. 419). Le pouvoir des élites de l’État se trouve alors contesté sur plusieurs terrains. Du côté des politiques publiques leur monopole est progressivement mis en concurrence avec l’émergence de la figure politique hybride de l’« élu-technicien », ou encore avec le développement du « gouvernement des étrangers » exacerbant l’opposition entre les fonctionnaires de carrière et les political apointees au sein du pouvoir exécutif américain (Heclo, 1977, 1987). Du côté sociétal, on leur reproche le développement de stratégies de fermeture et de reproduction sociale remettant en cause les vertus méritocratiques qu’elles incarnaient peu ou prou depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au sein des démocraties occidentales. La conjugaison des crises économiques et l’émergence des discours populistes anti-élites conduisent alors à une remise en cause profonde, bien que différenciée selon les contextes culturels (État fort vs État faible), de la capacité des élites étatiques à faire face à la nouvelle situation politique.

La dénonciation d’un pouvoir politique grandissant : « Power Elite » vs « Noblesse d’État »

17En marge de l’extension de leur pouvoir concret sur les politiques, les élites de l’État ont progressivement développé des stratégies de reproduction et de fermeture sociale qui les ont fait sortir de leur rôle historique d’appui au développement des démocraties occidentales pour s’affirmer potentiellement comme les ennemis du pluralisme politique.

18Aux États-Unis tout d’abord, l’argument est développé de façon contrefactuelle par C. Wright Mills qui voit dans la faiblesse des structures étatiques et l’absence de technocratie autonome un élément facilitant la constitution d’une « Power Elite » omnipotente (Mills, 2000 [1956] ; Genieys, 2015). William Domhoff confirme que le pouvoir de la Ruling Elite empêche la constitution de groupes de policy elites servant les intérêts d’un État autonome (1967). Élargissant le spectre du raisonnement aux sociétés capitalistes de la vieille Europe où l’héritage institutionnel de l’État est plus fort, Ralph Miliband dénonce les transformations du système de formation, initialement ouvert, en système de reproduction fermé des élites d’État entraînant ensuite une collusion des intérêts entre les élites de l’État et la classe dirigeante (Miliband, 1973). Ainsi au Royaume-Uni, le système Oxbridge est accusé d’être devenu le creuset d’une élite homogène au sein de laquelle la frontière entre les notions d’intérêt général et d’intérêts privés s’estompe (Glennerster, Pryke, 1973). Les travaux empiriques de Roger Kelsall sur les origines sociales et le recrutement et des Higher Civil Servants britanniques de 1870 à 1950 montrent qu’après une période d’ouverture sociale relative, le système tend à se refermer progressivement (Kelsall, 1954).

19En France en revanche, pays où l’État est fort, on assiste progressivement à la formation d’une « élite d’État » (Suleiman, 1979) ou encore « noblesse d’État » (Bourdieu, 1989) qui vise à former un « ensemble clos » avec la classe dirigeante (Birnbaum, 1978). En effet, l’État en jouant un rôle central dans la formation de ses élites permet de pointer de façon quasi paradigmatique les logiques de fermeture sociale progressivement mises en œuvre. Ezra Suleiman montre que la circulation intra-élitaire entre la formation par l’État (passage par une grande école) et l’ascension au sein de l’État (l’intégration d’un « grand corps ») y est « quasi mécanique » (Suleiman, 1976, p. 40). Le lien entre l’éducation de l’élite par l’État et le service de l’État, consolidé depuis la création de l’ENA en 1945, conduit à la formation d’une élite dotée du « sens de l’État » (Suleiman, 1979). Pierre Bourdieu élargit le spectre de la formation d’une nouvelle caste, la « noblesse d’État », tant les logiques de reproduction propres aux classes préparatoires et aux grandes écoles, favorisent la formation d’un groupe clos à l’instar des castes et des lignages nobiliaires (1989).

20Dans un même temps, de façon assez paradoxale, la vision du rôle central des élites d’État dans la mise en place des systèmes de Welfare d’après-guerre s’efface auprès de l’opinion publique. En effet, dans la plupart des démocraties occidentales, les différents gouvernements qui ont mis en place les systèmes de Welfare ont donné l’illusion que les compromis et les négociations obtenus au sein de l’État le sont par l’État lui-même, et non par le jeu établi entre les différents groupes d’élites (Field, Higley, 1980, p. 13-17). Au tournant des années 1970, incapables de se prévaloir de la paternité de ce système et d’exploiter les bienfaits des réformes keynesiennes de l’après-Seconde Guerre mondiale, les élites de l’État vont au contraire être désignées par une fraction de la classe politique convertie à l’idéologie néo-libérale comme responsable de la crise économique et de la bureaucratisation des sociétés occidentales (Pierson, 1994 ; Dezalay, Garth, 2002 ; Fourcade, 2009 ; Wolf, 2014). Dans un même temps, les élites politiques de certaines démocraties européennes, où le Welfare State était ancré dans une histoire longue, développent un discours populiste consistant désigner les élites étatiques comme responsable de la crise (Blyth, 2001, 2013 ; Hassenteufel, 1991 ; Palier, 2002). Ainsi, la congruence entre deux discours critiques, celui de la gauche radicale mettant à l’index une forte capacité à l’autoreproduction, et celui de la droite conservatrice dénonçant le coût des politiques et de l’État (« the government is the problem not the solution ») ont conduit une partie des élites technocratiques à renouveler les fondements de leur légitimité.

Un recentrage forcé sur des domaines de politiques régaliens

21Depuis la fin des années 1970, le substrat keynesien des politiques publiques a fait l’objet d’une attaque en règle qui s’est progressivement généralisée à l’ensemble des démocraties occidentales (Prasad, 2006 ; Fourcade, 2009). Ainsi, aux États-Unis et au Royaume-Uni les gouvernements Reagan et Thatcher ont lancé, certes de façons différentes, des politiques de réduction des dépenses dans le but de démanteler leurs régimes de Welfare State (Pierson, 1994). Dans un même mouvement, le modèle social-démocrate suédois, initialement porté par ces élites administratives, est remis en question par les gouvernements conservateurs (Blyth, 2001). Au contraire, dans le cas de la France, dès les années 1970, les technocrates ont converti lentement leur « interventionnisme étatique » dans un néolibéralisme pragmatique (Prasad, 2006). Pour Jobert et Théret, sous la présidence socialiste de François Mitterrand, une fraction de l’élite de l’État qui conquiert et occupe les postes stratégiques dans les puissants ministères financiers se transforme en « économistes d’État » en imposant une politique de rigueur budgétaire tout en poursuivant l’internationalisation de l’économie française (1994, p. 80). Si pour certains, ce changement de paradigme dans les politiques budgétaires conduit à l’effacement de la rhétorique keynesienne au profit du discours néo-libéral (Lembruch, 2003 ; Siné, 2006), pour d’autres, il a invité certains technocrates keynesiens à repenser les cadres de leur action autour de politiques intégrant la rationalisation des choix budgétaires (Benamouzig, 2005 ; Genieys, 2010). C’est sur la base de ce constat que le choix de l’orientation dans les politiques budgétaires devient un enjeu-clé dans la redéfinition du pouvoir des élites de l’État où s’opposent les tenants de l’austérité (austerians) et les partisans d’un « re-régulationisme » (Bezes, Siné, 2011 ; Blyth, 2013).

22Pourtant certains secteurs stratégiques de l’action de l’État, comme les Affaires étrangères, avaient permis de voir notamment comment des élites sectorielles, en se montrant capables de définir l’intérêt général et l’intérêt national, résistaient aux « pressions » des groupes d’intérêts (Krasner, 1978). Néanmoins, la montée en puissance des groupes d’intérêts ou des lobbys organisés, d’une part, et la professionnalisation des élites partisanes, d’autre part, ont renforcé le mouvement de remise en question du monopole de l’expertise sur les politiques jusqu’alors exercé par les technocrates (Page, Wright, 1999). Dans un même temps, les gouvernements conservateurs des démocraties occidentales se sont attaqués à l’identité des élites de l’État en instaurant des politiques de New Public Management (NPM) remettant en question leur savoir-faire professionnel (Suleiman, 2005 ; Bezes, 2009) et accentuant leur politisation (Mayntz, Derlien, 1989). Face à cette remise en question généralisée, les hauts fonctionnaires et les technocrates ont été obligés de jouer habilement sur la distinction entre la prise de décision (Giddens, 1972, p. 366), dévolue aux professionnels de la politique (Page, 2003), et la préparation des politiques et de leur contenu (decision-taking vs decision-making), tout en produisant de nouvelles idées et des instruments d’action publique (Lascoumes, Le Galès, 2004).

23Ce phénomène a impacté certaines jeunes démocraties du sous-continent américain où l’application du cadre politique du « consensus de Washington » entraînant de véritables « guerres de palais » au sein des entourages des chefs de gouvernement opposant les élites de l’État « traditionnelles », les notables du droit formés dans les universités européennes, aux Chicago boys[4] convertis à la doxa néo-libérale (Dezalay, Garth, 2002). Dans ces pays, le pouvoir des élites d’État, souvent lié à des régimes autoritaires, est oblitéré par de nouvelles élites qui, drapées dans leur vertu démocratique dénoncent l’arbitraire de leur clientélisme et leur bureaucratisme afin d’imposer des politiques ultra libérales (ibid., p. 65). Dans une même logique, d’autres auteurs affirment que le pouvoir technocratique des élites de l’État s’est dissous face à la puissance des réseaux transnationaux d’une élite économique et financière mondialisée (Murray, Scott, 2012).

24Toutefois, les travaux analysant la « victoire » des politiques libérales sur les différents types d’États keynesiens ont en commun une tendance hâtive à reléguer les élites de l’État au cimetière de l’histoire. Si ces élites ont en apparence abandonné le keynesianisme en tant que discours hégémonique (Lembruch, 2003), c’est pour mieux en délimiter le périmètre notamment en ciblant un nombre limité de secteurs stratégiques tels que l’assurance maladie ou encore la défense nationale (Genieys, 2008). Les travaux sur l’apparition de nouveaux instruments de régulation pour l’action publique plaident dans ce sens (Lascoumes, Le Galès, 2004 ; Hood, Margetts, 2007). Dans cette perspective, la recomposition de la capacité d’action de l’État en Europe s’est effectuée de façon asynchrone et différenciée dans les politiques intérieures ou extérieures (King, Le Galès, 2011). Or, nous allons montrer que si le contrôle de la dérive budgétaire et de l’équilibre des comptes publics constitue un nouvel enjeu de luttes au cœur des États démocratiques en raison de la crise économique et la crise de la dépense publique (Schmidt, Thatcher, 2013 ; Streeck, Schäfer, 2013), il constitue également un argumentaire à partir duquel le pouvoir des élites de l’État a pu se redéployer sur certains domaines de politiques publiques.

L’émergence des gardiens des politiques de l’État en réponse aux politiques néo-libérales (1980-2020) : une comparaison France/États-Unis

25L’émergence des gardiens des politiques de l’État ne constitue pas une création ex nihilo. Elle correspond à une mutation du profil sociologique des élites de l’État liée à la remise en cause du mode d’action des technocrates keynesiens par les révolutions conservatrices et/ou néo-libérales. Elle peut s’interpréter également comme une réponse à la stratégie de démantèlement des fondements bureaucratiques de l’État démocratique (Suleiman, 2005). Contrairement aux travaux qui ont vu dans la crise économique mondiale de 2008 et la généralisation des politiques d’austérité (Blyth, 2013 ; Stuckler, Basu, 2013) l’air d’un requiem annonçant la disparition des élites de l’État, nous allons montrer que tel le phénix, cher à la mythologie grecque, elles renaissent sur les cendres du néo-libéralisme à travers le rôle de gardiens des politiques de l’État.

26Prenant au sérieux l’invitation de Pierre Muller sur le possible passage du cycle de l’Étatentreprise à celui de la gouvernance durable (2015), nos travaux empiriques sur les grandes réformes des domaines d’action publique régaliens (Welfare and Warfare) en France et aux États-Unis permettent de discuter l’hypothèse de la reformulation du pouvoir des élites de l’État [5]. Toutefois, il s’agira de voir si tout ou seulement une fraction de ces élites a opéré cette reconversion lors de cette période de profond bouleversement de l’ordre politique mondial. En s’inspirant du concept de custodians of policy (« gardiens de politiques ») avancé par Philip Selznick [6], nous montrerons comment de petits groupes d’élites, en développant de longues carrières professionnelles dans certains secteurs d’action publique précis, comme l’assurance maladie ou la défense nationale, tout en faisant du contrôle raisonné des coûts de l’action publique leur cheval de bataille, ont réussi à réaffirmer leur pouvoir au sein de l’État en luttant collectivement contre le démantèlement de l’autorité de la puissance publique.

Un ancrage stratégique dans des secteurs fortement dépensiers : l’assurance maladie et la défense nationale

27Jean Leca soulignait encore récemment que depuis les deux dernières décennies les élites de gouvernement « ne sont plus condamnées à choisir entre le « beurre » (le Welfare) et les « canons » (les dépenses militaires) puisqu’elles doivent diminuer les deux ensemble, afin de limiter les déficits publics… sans augmenter la pression fiscale et en assurant la justice sociale » (2012, p. 71). Or, c’est en regardant au plus près ce qu’il s’est passé depuis les années 1990, notamment comment les gouvernants ont engagé des réformes « stratégiques » de la défense nationale et de l’assurance maladie, que l’on est à même de percevoir le rôle d’aiguilleurs présumés joué par les gardiens des politiques de l’État lors des différents processus de decision-making. Nos différents travaux sur les terrains européens et étas-uniens ont mis en évidence que l’assurance maladie et la défense nationale constituaient deux secteurs au sein desquels depuis les années 1990 la capacité d’action de l’État, un temps affaiblie, a été réaffirmée via des politiques « néorégulationnistes » (Genieys, Hassenteufel, 2015 ; Joana, 2012). Dans le cas de la France, la réforme des armées, les politiques d’armements, d’un côté, les réformes institutionnelles de la gouvernance de l’assurance maladie (Palier, 2002 ; Hassenteufel, 2011) de l’autre, permettent d’observer comment l’autorité de l’État est reformulée face au secteur privé. Dans le cas des États-Unis, les travaux sur le changement des politiques avancent des résultats contrastés. Alors que le courant de l’American Political Development annonce la fin du mythe de l’État faible en arguant de l’existence de « strong policies » dans certains secteurs (Lieberman, 2002 ; King, 2005 ; King, Lieberman, 2009a et 2009b), les promoteurs de la path dependency affirment alors que la montée des valeurs (néo)conservatrices a affaibli les structures mêmes de la puissance publique au profit des intérêts privés (Pierson, Skocpol, 2007 ; Hacker, Pierson, 2010). Pourtant, de façon paradoxale, ce sont ces attaques relayées par une forte pression sur la disponibilité des budgets publics qui ont favorisé la conversion de certaines élites en gardiens des politiques de l’État.

28En France, c’est d’abord en matière de politiques sociales que les nouvelles logiques de l’économie internationale et les contraintes budgétaires découlant de l’adoption par les États membres de l’Union européenne du traité de Maastricht imposent de limiter le volume des dépenses qui y sont consacrées. Paradoxalement, ces nouvelles contraintes se sont traduites par une « étatisation » accrue du système d’assurance maladie avec l’adoption en 1995 du « plan Juppé » qui, tout en confiant au Parlement l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale, renforce les prérogatives des ministres et de l’administration aux dépens des partenaires sociaux (Hassenteufel, Palier, 2005). Cette inflexion particulière de la politique d’assurance maladie révèle l’action d’un groupe d’élites fortement ancré dans le secteur depuis les années 1980, qui ont élaboré de nouveaux instruments d’action publique permettant une meilleure maîtrise des dépenses publiques dans le but de rendre le modèle de la sécurité sociale « durable » (Genieys, 2010). Des recherches comparatives portant sur les réformes des politiques de santé en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne ont mis en évidence le rôle de groupes d’acteurs programmatiques cherchant également à réaffirmer la capacité régulatrice de l’État aux détriments d’une convergence néo-libérale de ces politiques (Hassenteufel et al., 2010).

29L’autre secteur stratégique d’action de l’État français où l’on observe des recompositions du jeu élitaire autour de gardiens des politiques de l’État est celui de la défense nationale (Joana, 2012). Si les années 1990 coïncident avec la fin de « l’âge d’or » de la programmation militaire initiée au début de la Cinquième République, les conditions dans lesquelles le programme du « char Leclerc » a été mené à son terme malgré son obsolescence stratégique et son coût financier excessif constituent un bon exemple de l’affirmation du rôle de gardiens des politiques (Genieys, Michel, 2005). La politique de la professionnalisation des forces armées françaises décidée en 1996 s’inscrit dans une registre comparable dans la mesure où ce changement du format et de la gestion des forces armées a été imposé par le président

30J. Chirac, et le « clan des diplomates » relayé par les élites civiles de ministère de la Défense (Irondelle, 2011). Toutefois, l’aboutissement de cette réforme s’explique à travers le rôle charnière d’un petit groupe d’élites civiles du ministère de la Défense qui a réussi à canaliser dans un même temps l’adversité des élites militaires, l’hégémonisme de celles des affaires étrangères, et le scepticisme de celle du ministère des Finances, en maîtrisant l’argument de la réduction de son coût budgétaire (Genieys, 2008).

31Sur le plan de la politique intérieure américaine, le cas des projets de réforme du système d’assurance maladie allant de l’échec « clintonien » au succès relatif de « l’Obamacare » est très significatif [7]. Sur les causes multiples de l’échec du plan Clinton, nous retiendrons que certains observateurs ont insisté sur le développement d’un conflit entre certains conseillers du président dotés d’une faible légitimité sectorielle (I. Magaziner, D. Shalala), avec l’administration du ministère de la Santé (Hacker, 1997). Dans le prolongement des premiers travaux attestant du déclin du pouvoir des élites bureaucratiques du ministère de la Santé (Brown, 1983, 1985), nos recherches empiriques sur la transformation des sommets élitaires de l’assurance maladie entre 1988 et 2010 montrent justement que ces luttes reflètent un processus plus profond de recomposition de la structure sectorielle de l’élite (Darviche et al., 2013). En effet, si lors du projet de réforme Clinton on assiste à l’émergence d’un groupe de policy elites fortement ancrées dans le secteur, celles-ci sont relativement divisées quant au degré nécessaire d’étatisation du système d’assurance maladie. L’impossible alignement de leurs différents points de vue, exacerbé par l’agitation du coût immodéré d’une option « tout public », a été un facteur-clé de l’échec (Hacker, 1997). A contrario, la « réussite » de la réforme Patient Protection and Affordable Care Act (PP et ACA, 2010) doit beaucoup aux stratégies de recomposition d’un groupe d’élites à partir d’un noyau dur d’« ex » de l’administration Clinton qui, tout en circulant sous les présidences Bush dans les think tanks, les fondations ou encore dans des organisations privées non lucratives, et en intégrant des nouveaux venus, a développé un projet bipartisan intégrant l’idée de marché (Lepont, 2014). En mêlant habilement le public et le privé autour d’une logique de contrôle des coûts susceptible d’obtenir l’assentiment du Congrès, il a neutralisé le rôle de veto de certains groupes d’intérêts (Beaussier, 2012 ; Smyrl, 2014).

32En matière de politique de défense, la réforme des forces armées américaines portées par le secrétaire à la défense D. Rumsfeld à partir de l’élection de G. W. Bush en 2000 constitue un autre exemple des effets de la transformation des sommets élitaires de l’État américain. Les travaux consacrés à cette réforme ont laissé de côté cet aspect pour souligner les aspects techniques et l’importance accordée au développement de nouveaux équipements militaires (Adamsky, 2010 ; Lacquement, 2003 ; Sapolsky et al., 2009). La réforme de D. Rumsfeld témoigne pourtant de l’influence acquise au cours des années 1990 par une partie des élites civiles du secteur de la défense pour laquelle la bureaucratie du Pentagone et des forces armées est devenue un facteur d’affaiblissement des capacités militaires de l’État américain. L’échec de « Révolution dans les affaires militaires » voulue par le secrétaire à la défense de G. W. Bush s’explique alors par l’opposition des élites militaires et des états-majors qui défendent un modèle alternatif d’adaptation à la contrainte financière.

33Ainsi, les contraintes inédites auxquelles l’action publique est soumise à partir des années 1980, de plus en plus liées à la rigueur budgétaire des États, n’entraînent pas systématiquement une perte du pouvoir sur les politiques des élites qui défendent la puissance publique. L’apparition de longues trajectoires professionnelles fortement attachées au devenir de ces réformes sectorielles confirme le rôle de gardiens des politiques de l’État.

Des trajectoires professionnelles durables finalisées par l’accumulation d’un fort savoir sur les politiques

34Après la Seconde Guerre mondiale, la sociologie des trajectoires professionnelles des élites de l’État a été dominée par l’opposition bâtie par la science politique entre État fort et État faible (Birnbaum, 1982). Dans le premier cas, les trajectoires professionnelles étaient essentiellement caractérisées par celles des hauts fonctionnaires généralistes assurant la mise en cohérence des politiques keynesiennes de façon mimétique dans chaque secteur d’intervention de l’État, indépendamment des agencements que pouvait susciter leur négociation avec les représentants de la société civile et les groupes d’intérêts (Jobert, Muller, 1987 ; Hall, 1986). Dans le deuxième cas, les trajectoires professionnelles d’élites de courte durée issues majoritairement de la société civile (« birds of passage ») ont généré une forme de « gouvernement des étrangers » donnant une forte influence aux groupes d’intérêts (Heclo, 1977, 1987). Le développement de nouvelles trajectoires professionnelles liées aux recompositions subies par l’action publique à partir des années 1980-1990, visible des deux côtés de l’Atlantique, amène à revisiter cette distinction (Genieys, Smyrl, 2008).

35Les gardiens des politiques de l’État ont en commun d’avoir suivi une formation universitaire de haut niveau. Si, dans le cas français, ils sont toujours issus de la filière classique « Sciences Po-ENA », dans le cas étasunien, ils semblent avoir été formés dans la filière des Schools of Public Policy[8]. En effet, ces écoles qui dispensent un enseignement pluridisciplinaire [9] permettant de saisir les enjeux de l’évaluation des politiques publiques fournissent les pré-requis et les diplômes universitaires (MPA, MPH ou encore Ph. D.), favorisant ensuite la spécialisation sur les politiques publiques des carrières qui se développent dans les deux branches du pouvoir. Ainsi aux États-Unis, depuis les années 1980, il existe une jeune génération d’élites « progressistes » (Wildavsky, 2001 [1979]), socialisée de façon précoce à une critique de l’approche « coût-avantage » des politiques publiques liées au développement du PPBS (Planning Programing and Budgeting System), qui prône l’évaluation financière de l’action publique et le renforcement du rôle de la puissance publique (Allison, 2006, p. 65). Fort de la maîtrise de l’art de la persuasion et de l’argumentation, et maîtrisant les techniques de la policy analysis et de la micro-économie, ces élites sont dotées de savoir-faire pratiques leur permettant d’élaborer des politiques constituant une alternative à celles défendues par les néo-libéraux. Ce sont des élites dotées de ce profil sociologique que nous avons identifiées en tant que « long timers » les staffers du Congrès ou des political appointees de la branche exécutive qui composent les sommets de l’État américain pour les secteurs de l’assurance maladie et de la défense nationale (Darviche et al., 2013).

36Il est intéressant de noter que dans le cas français, où le mode de formation des élites administratives reste encore attaché au mythe du « technocrate généraliste » lié au modèle de fabrication des énarques (Eymeri, 2001), l’enseignement de l’analyse des politiques publiques reste marginal. L’acquisition du savoir-faire sur les politiques intervient plus tard à l’occasion d’une spécialisation sectorielle lors d’un passage dans un cabinet ministériel comme chargé de mission. Partant de là, même si l’apprentissage du savoir-faire sur les politiques s’effectue toujours au sein de l’État, ce n’est plus dans ses prestigieuses écoles d’administration mais après leur sortie, dans l’action et par le passage dans des corps de contrôle ou d’inspection tels que la Cour de comptes ou l’Inspection générale des affaires sociales (Genieys, Hassenteufel, 2015, p. 283).

37L’autre caractéristique sociologique des gardiens des politiques de l’État est le développement d’une trajectoire professionnelle exclusivement centrée sur un domaine d’action publique singulier (Laumann, Knoke, 1987). En effet, nos travaux sur les cas français et étasunien montrent bien que les élites « qui pèsent » sur les réformes et le processus de décision dans les réformes relevant de l’assurance maladie et la défense nationale sont essentiellement celles qui y sont ancrées professionnellement sur la longue durée. La durée moyenne de leur carrière professionnelle dans le secteur dépasse largement les vingt ans (Genieys, 2008 ; Darviche et al., 2013). Cette « longue durée » est souvent accompagnée, en raison du jeu des alternances politiques, d’une forte mobilité entre les emplois professionnels occupés au sein d’un même secteur. En France, cela se traduit par l’occupation de postes au sein de l’État, dans des institutions de contrôle des politiques, alors qu’aux États-Unis la mobilité s’effectue aux frontières de l’État dans les think tanks ou autres organismes à finalité non lucrative.

38Ainsi, la spécialisation sur un domaine singulier de politiques publiques de ces élites atteste d’une rupture avec le modèle du haut fonctionnaire généraliste qui, notamment au sein d’un État fort, pouvait construire une carrière professionnelle à cheval sur plusieurs secteurs d’action publique. De fait, le social background des gardiens des politiques de l’État ne correspond plus à celui où dominait la culture de l’administration et de son service exclusif, mais à celui d’élites qui, dès leur formation universitaire (ou professionnelle) ont acquis un savoir-faire très pointu sur des politiques publiques sectorielles qui favorise ensuite le développement de carrières professionnelles durables dans un domaine d’action publique singulier n’excluant pas de possible va et vient entre le public et le privé.

Une circulation élitaire autour de l’État centrée sur la domestication de la contrainte budgétaire

39Le dernier élément permettant de spécifier sociologiquement les gardiens des politiques de l’État est lié à l’apparition d’une circulation spécifique au sein de la structure du pouvoir. Si l’opposition entre type d’État et type de circulation élitaire est encore perceptible (Birnbaum, 1984), les allers et retours public-privé étant plus prégnants aux États-Unis, ses effets s’atténuent dans le cas des longues carrières sectorielles observées. Le « détour » par le secteur privé dans le cas des « long timers US » s’effectue majoritairement pour le secteur de l’assurance maladie dans le domaine des activités non profit. Dans le cas français, la circulation s’effectue majoritairement à l’intérieur du périmètre sectoriel choisi de l’État, le passage dans le privé intervenant plus généralement en fin de carrière. Toutefois, ils ont en commun une logique de circulation qui les conduit à réinvestir la structure décisionnelle du pouvoir en vue de réformer les politiques en accentuant la capacité de régulation de l’État.

40Dans le cas de l’assurance maladie en France, nous avons pu montrer précisément comment, depuis les années 1980, trois générations d’élites partageant cette nouvelle logique de circulation se sont succédé dans les sommets du pouvoir (Genieys, Hassenteufel, 2015). Dans les pas des « Grands Anciens », et de ceux de la « Génération 81 », on assiste à l’émergence de « gestionnaires du social ». Empruntant le même type de parcours au cœur du secteur en alternant durant plus de vingt ans entre l’occupation de position décisionnaire sur les politiques de santé ou d’assurance maladie au sein des cabinets ministériels, et un repli stratégique au sein des institutions de contrôle et d’inspections des politiques durant les périodes de changement de majorité politique, ces élites ont lutté pour rétablir la capacité de régulation de l’État sur les politiques face à une contrainte financière plus forte et un retrait progressif des partenaires sociaux de la gouvernance du système d’assurance maladie (Palier, 2002). Dans un premier mouvement, les deux premières générations ont formaté les outils et les instruments d’action publique dans le but de rationaliser la dérive des coûts de la protection sociale. Fortement sensibilisés à cette question et souvent passés, via une mobilité professionnelle, par le ministère du Budget (bureau 6b2), ces « gestionnaires du social » ont tout d’abord élaboré les grandes orientations de la réforme constitutionnelle de financiarisation des comptes de l’assurance maladie de 1997, avant d’en borner le périmètre définitif en 2004. Ainsi, ces élites, en réaffirmant le rôle central de la puissance publique à travers le nouveau cadre institutionnel d’élaboration des politiques de santé, inventent le rôle de gardiens des politiques de l’État.

41L’analyse de loi de professionnalisation des armées françaises de 1996 permet de repérer le développement d’un type de circulation élitaire dans le secteur de la défense (Genieys, 2008). Ainsi, si l’origine de la réforme se trouve incontestablement dans la volonté politique du président J. Chirac, certes influencé par ses conseillers des affaires étrangères (« le clan des diplomates »), elle ne fut rendue possible et acceptable au sein du secteur qu’en raison de la mobilisation d’un groupe d’élites civiles du ministère de la Défense. En effet, il s’agit également d’élites issues des filières de la haute fonction publique circulant depuis les années 1990 entre les cabinets ministériels de la défense, la direction des services financiers du Secrétariat général de la Défense et les corps de contrôle et d’inspection (Cour de comptes et Contrôle général des armées) et qui ont réussi à annihiler l’argumentaire d’une réforme « trop onéreuse » avancé par leurs adversaires du ministère de la Défense et repris par certaines élites militaires (ibid., p. 124). Dans un même temps, ces élites réactivent le Comité stratégique pour rallier certaines des élites militaires à la cause de la réforme, en mobilisant l’argument de la lutte contre un « gouvernement des étrangers » des politiques sectorielles.

42Dans le cas américain, la circulation élitaire sectorielle, fortement structurée par le système du « revolving door », se traduit par de nombreux allers-retours entre le privé et le public. Fort de ce constat, certains auteurs voient dans la fréquence de ces passages dans le secteur privé la mise en place d’un système singulier qui permet à certaines élites agissant à l’ombre de l’État (shadow elites), d’orienter les politiques au profit des groupes d’intérêts (Wedel, 2009 ; Brill, 2015). Certes, il est peu contestable que la réflexion sur l’orientation à donner aux réformes de l’action publique se joue en règle générale en dehors du périmètre traditionnel de l’État (Lepont, 2014). Toutefois, nos recherches empiriques montrent que le passage dans le privé renvoie à des logiques de circulation dont les finalités peuvent être multiples. En effet, pour les « long timers » de sensiblité démocrate, notamment dans le secteur du Welfare, un appointement dans un think tanks, une fondation, ou encore dans une organisation à finalité non lucrative (non profit organization) n’aura pas les mêmes effets sur la carrière que l’engagement dans un cabinet d’avocats ou de lobbying (Darviche et al., 2013).

43Dans le cas des réformes récentes du système de protection sociale ou encore du choix du format des forces armées américaines, nous avons montré que, au sein du petit groupe d’élites qui développe de longues carrières sectorielles, le détour par le privé n’altère pas, loin de là, leur volonté de renforcer le pouvoir de la puissance publique sur les politiques. Dans ce sens, l’argumentaire univoque consistant à déduire de la circulation dans le secteur privé un simple asservissement à la notion de marché se traduisant forcément lors du retour au gouvernement d’une inclination à l’austérité ne tient pas (Blyth, 2013 ; Stuckler, Basu, 2013).

44En affinant l’analyse des trajectoires individuelles des « long timers », non pas sur leurs allers et retours entre public et privé, mais sur leur possible circulation entre les branches exécutive et législative du pouvoir ou à l’intérieur d’une seule d’entre elles, nous avons pointé la dimension institutionnelle de leur carrières jusqu’alors minorée. À cette fin, nous avons identifié trois types de trajectoires washingtoniennes construites au sein du back office de la Maison Blanche, du Congrès et des ministères de la Santé et de la Défense : celle des « migrants institutionnels », des « technocrates facilitateurs », des « bureaucrates des politiques ».

45Dans le cas de l’assurance maladie, nous avons appréhendé ces trajectoires au travers du prisme de leur continuité/discontinuité entre les deux tentatives de réforme de l’assurance maladie portées par les présidents B. Clinton (1992-1994) et B. Obama (2008-2010). Nous avons alors pu observer comment certains « vétérans » du moment Clinton ont réussi à intégrer dans leur sillon un petit nombre de « new comers » tout en opérant une redéfinition du projet de réforme dans une optique bipartisane. La trajectoire des migrants institutionnels permet de souligner le rôle charnière d’un petit groupe de policy elites qui ont circulé de façon stratégique entre les deux branches du pouvoir dans le but de réduire le poids de groupes de véto au Congrès. Elle permet de voir également, comme dans le cas des « gestionnaires du social » français, que les trajectoires des nouveaux entrants s’inscrivent dans les pas de leur prédécesseurs, comme en atteste leur passage au sein des mêmes organisations de contrôle des coûts des politiques publiques à l’Office of Management and Budget ou au Congressional Budget Office [10]. De leur côté, les « technocrates facilitateurs » correspondent à celles de ceux qui, bien que ne circulant qu’a l’intérieur d’une seule des branches du pouvoir, se dotent d’un savoir spécialisé dans la formulation de « policy issues ». Leur passage lors de l’alternance politique dans les organisations para-étatiques bipartisanes comme l’Alliance for Health Care Reform ou le Center on Budget and Policy Priority leur a permis de jouer un rôle important dans la reformulation d’un projet de réforme orienté vers la maîtrise des coûts de l’assurance maladie. Enfin, la trajectoire des bureaucrates des politiques correspond à celles des staffers de carrière du Congrès ou encore des hauts fonctionnaires de carrière ayant fait l’objet d’une nomination politique à un moment de leur carrière qui, faisant partie des corps d’inspections sectoriels ou encore de l’Office des Actuaires, se sont spécialisés dans la lutte contre la dérive budgétaire des réformes d’action publique. La convergence de ces trajectoires permet de comprendre comment un groupe de policy elites s’est structuré dans le but de faire passer une réforme telle que Patient Protection and Affordable Care Act (2010), renforçant le rôle de la puissance publique sur le système d’assurance maladie étasunien.

46Dans le secteur de la défense, nous nous sommes intéressés aux débats suscités par la Révolution dans les affaires militaires à partir de 1992, qui débouchent sur la tentative de réforme initiée par G. W. Bush et son secrétaire à la Défense D. Rumsfeld à partir de 2001. On y retrouve le rôle exercé dans la promotion de ces idées par des policy elites formées sous les administrations républicaines de R. Reagan et G. H. Bush, qui vont bien au-delà des cercles des « vulcans » décrits par J. Mann (2004). L’Office of Net Assessment, structure de prospective interne placée directement sous l’autorité du secrétaire à la défense à partir des années 1970 (Pickett et al., 1991) sert ainsi de point de ralliement à des acteurs qui défendent la pérennité de l’appareil militaire américain en mettant l’accent sur la nécessaire préservation de ses capacités technologiques, à un moment, la fin de la guerre froide, où la recherche des dividendes de la paix est devenue d’actualité. La conformation particulière de ce groupe d’élites des politiques s’exprime néanmoins dans l’incapacité de ses membres à agréger des technocrates facilitateurs, susceptibles de formuler en termes acceptables pour l’ensemble des sommets du secteur de la défense américain les objectifs et les mesures que recouvrent la réforme. L’échec de la tentative menée par D. Rumsfeld à partir de 2001 témoigne ainsi de leur incapacité à surmonter les groupes vétos présents au sein des états-majors et du congrès, alors même que la relance des dépenses militaires initiées par G. W. Bush a rendu moins drastique la maîtrise des coûts budgétaires dans le secteur (Sapolsky et al., 2009).

47Au total, l’analyse de la circulation élitaire montre qu’en développant un savoir-faire spécifique sur l’orientation des politiques et sur la maîtrise de la dérive de leurs coûts budgétaires, les élites des politiques américaines malgré leur passage plus fréquent dans le secteur privé, s’investissent comme en France dans un rôle des gardiens des politiques l’État.

Conclusion

48L’apparition de gardiens des politiques de l’État témoigne donc d’une logique inédite d’attachement à la puissance publique. Celle-ci se caractérise moins par la défense des institutions politiques et administratives appréhendées dans leur globalité que par une mobilisation autour du renforcement ciblé des capacités d’action de l’État via certaines de ses politiques publiques. Ce qui distingue ces gardiens des politiques, c’est avant tout leur attachement au rôle de la puissance publique plus que de l’État lui-même, notamment dans les pays où il est considéré comme faible.

49Récemment, l’économiste Martin Wolf (2014) dénonçait l’incapacité des élites financières, politiques et intellectuelles à formuler des politiques susceptibles de juguler la crise économique de ce début de xxie siècle. Pour Wolf et ses collègues économistes, la concentration du pouvoir décisionnel dans les pays de la zone euro manifeste une dérive ploutocratique de ces démocraties qui consacre la victoire des « austerians » sur les politiques keynesiennes (Blyth, 2013 ; Stuckler, Basu, 2013). Ces différents constats ne rendent pas compte de la diversité des politiques qui ont été mises en œuvre dans les différents pays occidentaux pour faire face à cette crise (Berméo, Pontusson, 2012 ; Thelen, 2014 ; Streeck, Schäfer, 2013 ; Schmidt, Thatcher, 2013). Mais surtout, en considérant comme acquise la défaite des élites qui ont porté les politiques de welfare statism depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Thoenes, 1966), il nous semble que ces auteurs minimisent le fait que les crises font également prospérer les bureaucraties (Fukuyama, 2004). S’il est incontestable qu’un processus de « démantèlement » des États démocratiques a été engagé par les néolibéraux dans les années 1980 (Suleiman, 2005 ; Dezalay, Garth, 2002), il ne faut pas pour autant sous-estimer le rôle qu’ont joué certains groupes d’élites programmatiques en initiant des réformes visant à réhabiliter la capacité de régulation de la puissance publique (Genieys, Smyrl, 2008).

50De manière plus générale, l’apparition de ces gardiens des politiques de l’État éclaire aussi les modalités par lesquelles les États contemporains se transforment dans le cadre du processus de libéralisation économique auquel ils sont soumis depuis une trentaine d’années (Fourcade, 2009 ; King, Le Galès, 2011). W. Streeck et K. Thelen ont fait de cette libéralisation, qu’ils définissent de manière très large comme « le processus d’expansion de relations de marché l’intérieur et au-delà des frontières des systèmes politiques nationaux » (Streeck, Thelen, 2005, p. 2), le principal facteur de changement institutionnel au sein des économies développées au cours des années 1980-1990. Elle est à l’origine selon eux des transformations, incrémentales mais réelles, auxquelles sont soumises un certain nombre de politiques économiques et sociales dans ces différents pays. Le rôle que jouent les gardiens des politiques dans la domestication de la doxa néo-libérale ouvre ainsi de nouvelles perspectives dans l’analyse des modalités de ces transformations (Prasad, 2006).

51Ce rôle montre d’abord que cette libéralisation ne se résume pas à un jeu à somme nulle entre plus ou moins d’État. La manière dont les gardiens veillent à maintenir un rôle de la puissance publique dans un certain nombre de secteurs d’interventions étatiques, tout en se pliant aux logiques de réduction et de rationalisation des dépenses publiques, en est une première illustration. Elle confirme également les résultats d’autres travaux qui ont souligné que l’État ne disparaît pas dans le cadre de ces transformations et que ces capacités d’intervention sont même susceptibles de croître dans certains secteurs d’activités (Jacobs, King, 2009 ; King, Le Galès, 2011). Le deuxième enseignement qui peut en être tiré est de nature plus comparatiste. Les critiques récentes dont a fait l’objet la sociologie de l’État ont mis en cause son intérêt excessif pour ses dimensions administratives et institutionnelles. À ce titre, elles défendent volontiers une plus grande attention pour les capacités de l’État à produire des politiques et à ce qu’elle qualifie de policy-state (ibid., p. 467). L’émergence de la figure du gardien des politiques de l’État, dans des contextes politiques aussi différents que les États européens et les États-Unis, confirme en partie le bien-fondé de cette réorientation de la sociologie de l’État.

52La défense du rôle de la puissance publique à laquelle ces élites se montrent attachées transcende le clivage entre des États définis comme forts ou faibles et montre tout l’intérêt d’une approche pour ce que l’État fait au concret via ces politiques plutôt que pour ce qu’il est réputé être. Néanmoins, l’analyse de la façon dont leurs longues trajectoires professionnelles se construisent, notamment au travers des allers et retours public-privé, montre bien que ce type de structuration produit encore des effets. Elle influe notamment sur la nature des positions qu’elles occupent au sein de ces différents secteurs et sur leur caractère plus – dans le cas de la France – ou moins – aux États-Unis notamment – étatique.

53Enfin, ce nouveau rôle de gardiens des politiques de l’État apporte un éclairage supplémentaire sur l’essor de modes de régulation publique au niveau supranational. Dans le cadre d’études consacrées à l’Union européenne, des recherches ont déjà mis en évidence comment l’essor des compétences de l’Union dans un certain nombre de secteurs répondait aux stratégies d’une partie des élites étatiques des États-membres soucieuses de prolonger au sein de celles-ci le rôle d’encadrement de l’action publique qu’ils jouaient jusque-là au niveau national (Mérand, 2008 ; Ellinas, Suleiman, 2012 ; Georgakakis, Delasalle, 2012). Les logiques inédites de défense de la puissance publique, dont témoigne l’essor des gardiens des politiques de l’État, permettent d’expliciter les mécanismes nationaux qui en sous-tendent l’émergence.

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Mots-clés éditeurs : défense, États-Unis, libéralisation, État, élites, Europe/France, politiques publiques, santé

Date de mise en ligne : 19/11/2015.

https://doi.org/10.3917/gap.153.0057

Notes

  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier pour leurs commentaires et suggestions leurs collègues Pierre Birnbaum, Larry Brown, Saïd Darviche, Guy Hermet, John Higley, Marc Smyrl, Hendrick Spruyt. Nous remercions également Patrick Hassenteufel et Philippe Zitoun d’avoir accepté dans leur section thématique du dernier congrès de l’AFSP d’Aix-en-Provence (2015) la discussion d’une version évolutive de cet article. Enfin, un grand merci aux évaluateurs anonymes de la revue pour avoir, par leur lecture critique, permis de l’améliorer.
  • [2]
    Pour étayer historiquement et empiriquement la question traitée, nous nous appuierons sur nos publications qui, prenant appui sur le cas français, ont analysé les rôles de l’élite des politiques dans les réformes des secteurs de l’assurance maladie et de la défense nationale depuis les années 1980 (Genieys, 2008 ; Genieys, Hassenteufel, 2015). Pour le cas étas-unien, nous mobiliserons les résultats d’une étude empirique de première main sur les sommets de l’État américain dans les secteurs Santé et Défense effectuée dans le cadre du programme de recherche : Operationalizing Programmatic Elites Research in America 1988-2010 (OPERA : ANR-08-BLAN-0032).
  • [3]
    Thoenes impute ce changement à : « an elite of scientifically trained officials, in government department, in semi-official department, serving with big firms, with trade unions and with professional organizations. Many clashes of interest keep them divided, but the task of scientific oversight of the national economy is a unifying one, and it gives them a common stamp » (1966, p. 129) et précise plus loin leur rôle déterminant : « The functionaries elites is that official section of the community which claims, by virtue of its special skill, to have the task of undestanding, bringing about and safegurading the requirements which shall determine the structure and function of the nation’s controlled society » (p. 183).
  • [4]
    Pour eux, les Chicago boys sont formés aux États-Unis et adhèrent aux thèses économiques de l’école dite « de Chicago ». Ils s’opposent « aux gentlemen-politiciens du droit », juristes formés en Europe et imprégnés d’une conception de la puissance publique et de l’intérêt général propres au droit public continental (2002, p. 51sq.).
  • [5]
    Les secteurs des politiques publiques où nous avons pu observer empiriquement depuis la fin des années 1980 ce phénomène sont l’assurance maladie et la défense nationale (Genieys, 2008, 2010 ; Genieys, Hassenteufel, 2015).
  • [6]
    Philip Selznick avait évoqué l’apparition de Custodians of Policy dans les organisations publiques ou privées, dont l’attachement à l’intégrité institutionnelle d’une organisation passait par l’identification à des valeurs communes à travers la production et la défense de politiques publiques (Selznick, 1957, p. 120).
  • [7]
    L’enquête OPERA se focalisait sur la transformation des sommets de l’État américain dans deux secteurs d’action publique, la défense et la santé, à partir de la réalisation d’une base de données sociographiques de 299 cas et de 200 entretiens. Les données empiriques sont consultables sur le site web du CEPEL [http//cepel.edu.umontpellier.fr/banques-de-donnees-opera-2/].
  • [8]
    Dans le cas des États-Unis, cette transformation de la filière des élites qui s’orientent vers le service de l’État correspond au mouvement de création des Schools of Public Policy, initié par un programme de la Fondation Ford (1972). Inspiré par l’approche en terme de Policy Science chère à Harold Lasswell, et centré sur la formation à l’évaluation des politiques publiques 12 écoles de niveau master ont été créées (Allison, 2006). Le cas le plus significatif est la transformation de la School of Administration d’Harvard en John F. Kennedy School of Government.
  • [9]
    L’enseignement et la formation proposée diffèrent profondément de ceux des Schools of Administration avec des matières telles que : policy analysis, policy studies, public policy, political economy, urban planning, public administration, public affairs and public management [https://en.wikipedia.org/wiki/Public_policy_school].
  • [10]
    Précisons ici, que l’OMB (réorganisé sous l’Administration Nixon, 1970) ou encore CBO (1974) sont des institutions de création récente qui participent au développement d’un contrôle et d’une évaluation accrus des politiques publiques au sein des deux branches du pouvoir exécutif et législatif américain. Dans le cadre des réformes que nous avons étudiées, nous avons pu mesurer le rôle prépondérant, notamment pour la préparation de l’Obamacare, d’Alice Rivlin ou encore de Peter Orzag qui ont dirigé ces deux institutions (Joyce, 2011).
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