Notes
-
[1]
Tendance critiquée notamment par Luc Rouban (2002, p. 659).
-
[2]
Assemblée nationale, Compte rendu intégral des séances, Journal Officiel de l’Assemblée nationale, 10 novembre 1960, p. 3579.
-
[3]
Il faut aussi souligner ici le développement de travaux d’histoire de l’administration sur ces acteurs (Rousso, 1987).
-
[4]
Sur le recours aux économistes à des périodes ultérieures dans les domaines de l’agriculture et de l’environnement voir les travaux d’Ève Fouilleux (2003) et de Yannick Rumpala (2003).
-
[5]
C’est essentiellement à travers la collecte d’un matériau de première main que nous avons essayé de saisir ces luttes. Néanmoins, les travaux sur l’histoire de la mobilité nous ont également guidé (Flonneau, Guigeno, 2009).
-
[6]
Il s’agit surtout des archives du SAEI conservées aux Archives nationales à Fontainebleau (ANF). Nous avons aussi dépouillé les sources imprimées détenues aujourd’hui dans un centre de documentation du ministère de l’Écologie, le CRDD. Ce dernier est l’héritier d’un service créé à l’intérieur du SAEI et a conservé un grand nombre de documents d’époque produits par le SAEI mais également par les autres services économiques du ministère. Nous avons également consulté les débats parlementaires relatifs aux projets de budget du ministère des Transports pour la période 1958-1966.
-
[7]
Nous avons souhaité signaler au lecteur quand notre démonstration s’appuyait sur la mobilisation de sources de première main et quand notre réflexion nous amenait à faire référence à des travaux de seconde main. Ainsi, les sources utilisées, même si elles prennent la forme d’articles ou ouvrages, seront indiquées dans les notes de bas de page.
-
[8]
Nous avons essentiellement cherché à interroger des acteurs effectuant des études économiques au sein de l’administration du ministère des Travaux Publics et des Transports et se qualifiant et/ou étant qualifiés d’« économiste » ou d’« ingénieur-économiste » par leurs pairs au cours de la période considérée. Ce type de désignation n’apparaît pas systématiquement dans les documents d’époque. Il est donc difficile d’évaluer avec précision le nombre d’acteurs composant ce groupe. Ce dernier contient au minimum dix-sept personnes et, probablement, vingt à vingt-cinq membres.
-
[9]
La plupart des sources en question ont été recueillies dans le cadre d’une thèse de science politique (Mazoyer, 2011). L’enquête a pu être complétée grâce à une recherche collective financée par l’ANR (09-SSOC-036), projet Resendem « Les grands réseaux techniques en démocratie : innovation, usages et groupes impliqués dans la longue durée ».
-
[10]
Décret n° 60-891 du 12 août 1960, Journal officiel de la République française du 24 août 1960, p. 7866.
-
[11]
Il désigne ainsi, en s’inspirant de Norbert Elias, les entités qui, au sein de l’État, « peuvent légitimement revendiquer “le statut d’organe de coordination et de régulation de l’ensemble des processus issus de la division des fonctions” » (Bezes, 2009, p. 29).
-
[12]
Arrêté du 21 novembre 1960, Journal officiel de la République française du 20 décembre 1960, p. 11467-11468.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Traité instituant une Communauté économique européenne, 25 mars 1957, Titre IV.
-
[15]
Archives historiques de l’Union européenne, Conseil des ministres CEE/CEEA, année 1960, Florence, octobre 2004.
-
[16]
Arrêté du 21 novembre 1960, op. cit.
-
[17]
Assemblée nationale, Compte rendu intégral des séances, Journal Officiel de l’Assemblée nationale, 7 novembre 1961, p. 3941.
-
[18]
Ibid., 20 novembre 1959, p. 2679.
-
[19]
Ibid., 10 novembre 1960, p. 3555. Les attributions du SAEI l’invitent, au final, à manipuler nombre de dossiers considérés aujourd’hui comme « évidemment politiques » par les responsables politiques et administratifs peuplant les sommets de l’État (coordination interministérielle, financement des projets, affaires internationales et européennes…) (Eymeri, 2003, p. 50-53).
-
[20]
Il s’agit d’une prise de note effectuée par un ingénieur des Ponts (qui s’apprête à intégrer le SAEI) lors d’une conversation téléphonique avec Philippe Lacarrière (en passe d’être nommé Chef de ce service). Service central d’études économiques, 1960, archives privées.
-
[21]
Le nom de Roger Coquand ne figure pas dans la liste officielle des membres du cabinet du ministre. Mais plusieurs témoignages concordants attestent pourtant sa présence.
-
[22]
Entretien avec un membre du cabinet de Robert Buron, 11 mai 2009.
-
[23]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 24 février 2011.
-
[24]
Entretien avec l’un des deux IPC en question, 7 octobre 2009.
-
[25]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
-
[26]
Entretien avec un membre du cabinet de Robert Buron, 11 mai 2009.
-
[27]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 5 octobre 2009.
-
[28]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[29]
Ceux de la « division des études » du SAEI, où l’on trouve la plupart des fonctionnaires « économistes », passent de trois à seize agents. Le SAEI comprendra jusqu’à près de deux cents membres en 1974.
-
[30]
Entretien avec un ingénieur-économiste chef du SAEI, 18 décembre 2008.
-
[31]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 24 février 2011. Ces prises de position peuvent surprendre si l’on envisage le parcours ultérieur des acteurs en question et si l’on considère comme un indicateur de la « politisation » des hauts fonctionnaires le passage dans un cabinet ministériel (Rouban, 2002, p. 659). Les acteurs étudiés semblent alors fortement « politisés ». En effet, parmi les quatorze « économistes » du ministère des Transports dont on a pu reconstituer l’intégralité de la trajectoire professionnelle, neuf ont été membres d’un cabinet. Symptomatiquement, c’est le cas des trois premiers ingénieurs-économistes du SAEI. En outre, parmi les cinq acteurs restants, trois ont été par la suite nommés directeur d’administration centrale ou directeur départemental de l’Équipement, soit à des postes qui impliquent des interactions très fréquentes avec les élus.
-
[32]
Voir par exemple le numéro spécial de la revue Politix qui envisage les « politiques d’économisation » comme des configurations « dans lesquelles des logiques économiques se voient promues comme une alternative à des logiques politiques » (Linhardt, Muniesa, 2011, p. 10).
-
[33]
Nous nous efforcerons ici de saisir le « politique » à partir des usages indigènes du terme. Si l’on s’appuyait sur une approche a priori et plus extensive de la notion de « politique », de longs développements pourraient être proposés sur la manière dont les ingénieurs-économistes considérés cherchent, notamment, à représenter différents collectifs sociaux dans leurs études, tels l’« État », la « collectivité », les « usagers », etc. (Mazoyer, 2011).
-
[34]
SAEI, « Note », 1960, ANF 19820034 ART 3.
-
[35]
Notamment des publications spécialisées sur les transports (comme la Revue générale des chemins de fer), des périodiques « économiques » de vulgarisation (Entreprise,…) et des revues dont l’ambition scientifique est plus affirmée (Cahiers du séminaire d’économie du CNRS, La Revue d’économie politique, Économetrica…).
-
[36]
ANF 19820034 ART 3.
-
[37]
SAEI, « Contribution à une théorie de la politique des transports », 1964, ANF 19820034 ART 4.
-
[38]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », Annales des Ponts et Chaussées, 6, novembre 1959, ACRDD 85.
-
[39]
Courrier d’un membre du SAEI au chef du service, 12 avril 1960, archives privées.
-
[40]
SAEI, « Programme d’étude du SAEI », 1964, ANF 19820034 ART 7. Les liens que les ingénieurs-économistes tissent alors avec des économistes universitaires, même s’ils ne sont pas détaillés dans cet article, participent de manière décisive au processus de légitimation d’une « économie des transports » au sein de l’univers académique (Mazoyer, 2011).
-
[41]
Âge moyen des quinze acteurs pour lesquels nous disposons des informations adéquates lorsqu’ils sont recrutés à un poste invitant à se spécialiser dans les « études économiques ».
-
[42]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 7 octobre 2009.
-
[43]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[44]
Prise de notes par un pionnier du SAEI d’une conversation avec Philippe Lacarrière, 1960, archives privées.
-
[45]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
-
[46]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement dans la croissance économique, thèse pour le doctorat ès sciences économiques, Université de Paris, décembre 1967, ACRDD 3502.
-
[47]
Direction des Routes, Cycles d’études sur la rentabilité des travaux routiers, 1962, ACRDD 5125.
-
[48]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[49]
C. Abraham, « L’étude économique des investissements routiers », Revue économique, 12 (5), 1961, p. 755-780.
-
[50]
« Séminaire d’économie du professeur M. Allais », novembre 1965, ACRDD 43.
-
[51]
Éléments d’économie des transports, Paris, CGPC, janvier 1966, ACRDD 2782.
-
[52]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[53]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[54]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[55]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », art. cité, ACRDD 85.
-
[56]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[57]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[58]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », art. cité, ACRDD 85.
-
[59]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[60]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[61]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[62]
Paul Bourrières, L’Économie des transports dans les programmes de développement, Paris, PUF, 1961.
-
[63]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[64]
Ibid.
-
[65]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[66]
C. Abraham, « L’étude économique des investissements routiers », art. cité.
-
[67]
Une « hiérarchie de la fonction solidement établie » est selon, Max Weber, une des caractéristiques majeures du type pur de la « direction administrative bureaucratique » (Weber, 1995, p. 294).
-
[68]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[69]
Le calcul économique est utilisé pour évaluer la « rentabilité » d’une décision ou d’un programme d’action publique en comparant des « coûts » et des « avantages ». Par extension, le choix entre différentes alternatives se fait en fonction des « taux de rentabilité immédiate » des projets. Sa manipulation suppose notamment la quantification ou la monétarisation des coûts et avantages et le recours à la technique de l’« actualisation » pour estimer la valeur actuelle de résultats futurs.
-
[70]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
-
[71]
Par exemple, le SAEI réalise alors des études économiques sur les projets de canal Rhin-Rhône, de tunnel sous la Manche, de métro lyonnais, de l’électrification des lignes SNCF, du RER parisien, de la modernisation du parc de chemins de fer,…
-
[72]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la Direction des Routes (DR), 7 décembre 2009.
-
[73]
Direction des Routes, « Instruction provisoire », 1964, ACRDD 5125.
-
[74]
Voir par exemple : ministère des Travaux Publics et des Transports, Rapport du groupe central de confrontation des coûts de transports par fer et par voie d’eau, 1964, ANF 19820034 ART 7.
-
[75]
Courrier électronique d’un ingénieur-économiste de la DR, reçu le 23 avril 2011.
-
[76]
Rapport de la Commission des transports du Ve Plan, 1966, Archives CRDD 775. Cette commission est pilotée par un ingénieur-économiste pionnier (et futur chef) du SAEI.
-
[77]
Le ministère des Transports est souvent présenté comme l’un des premiers à avoir généralisé l’usage du calcul économique. Cette technique se répand plus tardivement au ministère des Finances (Bezes, 2009, p. 73-77) et dans nombre de ministères « dépensiers », tel celui de la Santé (Benamouzig, 2005, p. 63).
-
[78]
Parmi les dix-sept acteurs dont nous avons pu reconstituer la trajectoire scolaire, dix-sept ont obtenu un diplôme à l’École polytechnique et seize sont également titulaires d’un diplôme de l’ENPC.
-
[79]
Cet énarque, avant de devenir Chef du SAEI en 1960, s’efforce dès les années 1950 de valoriser une approche plus « économique » des problèmes de transports urbains (Mazoyer, 2011).
-
[80]
P. Lacarrière, « L’équilibre budgétaire », Transports, 102, juin 1965, p. 215-226, ACRDD.
-
[81]
Séminaire d’économie du professeur M. Allais, 18 février 1965, ACRDD 44.
-
[82]
SAEI et DTT, « Note sur les mesures de coordination des transports », 1963, ACRDD 8906.
-
[83]
SAEI, « Note relative à la politique générale des transports », 1963, ANF 19820034 ART 4.
-
[84]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, puis du SAEI, 7 décembre 2009. Un des membres du SAEI se souvient : « [un collègue ingénieur] m’avait dit à l’époque “tu es un anarchiste capitaliste” parce que […] je croyais vraiment aux vertus du marché. J’étais pour la liberté des gens à un point qui lui paraissait anarchisant. » Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 8 décembre 2009.
-
[85]
Un économiste (universitaire) se définissant clairement comme « libéral » est embauché par la SNCF à la fin des années 1950. Il se souvient d’ailleurs que son responsable, l’économiste en chef de l’entreprise publique Roger Hutter, « ne pouvait pas l’exprimer de manière trop catégorique […] mais était tout à fait acquis aux mêmes idées que moi ». Entretien avec un économiste de la SNCF, Paris 29 septembre 2009. Roger Hutter l’admet à demi-mots en expliquant qu’au sein de la SNCF il « étai[t] un défenseur de l’économie de marché, face aux bloqueurs de quantités de l’après-guerre et aussi face aux bloqueurs de prix. » Hutter R., « Forces et faiblesses de l’économie de marché dans les transports », Transports, mai 1965, p. 178. ACRDD.
-
[86]
Communication d’un ingénieur-économiste du SAEI, « Politique des transports inter-régionaux. Rôle de l’ingénieur des Ponts et Chaussées », journée d’études PCM, janvier 1962, archives privées.
-
[87]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
-
[88]
Les quatre responsables du SAEI entre 1964 et 1978 ont occupé un poste d’ingénieur outre-mer avant d’intégrer un service « économique ». Six des treize ingénieurs-économistes dont nous avons pu reconstituer intégralement la trajectoire professionnelle ont connu un parcours de ce type.
-
[89]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
-
[90]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[91]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 16 mars 2010.
-
[92]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[93]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 17 décembre 2008.
-
[94]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[95]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 7 octobre 2009.
-
[96]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009. Soulignons que l’on retrouve ici une autre source de l’opposition des ingénieurs-économistes à l’approche « comptable » ou « financière ».
-
[97]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
-
[98]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 8 décembre 2009.
-
[99]
Entretien avec un IPC (responsable du SERC) à la DR, 4 juin 2009.
-
[100]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 17 décembre 2008.
-
[101]
SAEI, « Présentation du SAEI », 1968, ANF 19820034 ART 164.
1Malgré la tendance récente qui invite à poser a priori le principe d’une confusion des deux univers [1], certains auteurs s’efforcent de penser les processus qui participent à la définition et la démarcation des sphères et rôles « politiques » et « administratifs » (Eymeri, 2003). Aux sommets de l’État, cette différenciation s’observerait principalement dans les interactions entre, d’une part, le ministre et les membres de son Cabinet et, d’autre part, les Directions d’administration centrale (Suleiman, 1976). C’est précisément dans cet espace intermédiaire qu’apparaît en 1960 au ministère des Travaux Publics et des Transports un « Service des Affaires Économiques et Internationales » (SAEI). Il est officiellement chargé de produire des « études économiques » pour « conseiller le ministre » mais aussi pour « conseiller les différents Directeurs du ministère » [2]. Parallèlement, des services économiques fleurissent également à l’intérieur des Directions d’administration centrale. Ce sont surtout des ingénieurs des Ponts et Chaussées, qualifiés à l’époque d’« ingénieurs-économistes », qui investissent alors ces institutions. En l’espace de quelques années, le recours aux économistes et leurs savoirs se banalise au sein de ce ministère.
2Cette dynamique doit être resituée dans le contexte singulier des premières années d’un nouveau régime. Des travaux de science administrative et de sociologie politique soulignent « l’ampleur de l’interpénétration survenue, sous la Ve République, entre la politique et l’administration » (Quermonne, 1981, p. 329). Un double mouvement de politisation de l’administration et de fonctionnarisation de la politique participe au « renforcement du poids des hauts fonctionnaires dans la fabrique des politiques publiques » (François, 2011, p. 19). Connaissent alors le succès, « la figure de l’expert bureaucratique appuyé sur la science pour la conduite de l’action publique » (Gaïti, 1998, p. 278) et, plus particulièrement, les hauts fonctionnaires organisant la promotion de la compétence économique. Ces derniers, parfois désignés comme des « technocrates », contribuent à la redéfinition des critères de l’« excellence politique » (Dulong, 1997). La sociologie de l’action publique nous montre également comment ces acteurs tentent, avec une certaine réussite, d’inscrire leurs savoirs dans des dispositifs d’évaluation des politiques publiques (Spenlehauer, 1998) ou de réforme de l’administration (Bezes, 2009) [3]. Le rapport de ces hauts fonctionnaires « économistes » à la politique (au sens de politics) ou aux politiques (au sens de policy) a surtout été appréhendé en portant le regard sur les entreprises publiques ou sur les « institutions centralistes » (Bezes, 2009, p. 29) tels le Commissariat Général au Plan ou le ministère des Finances. Dès lors, en dépit d’une exception notable pour le secteur de la santé (Benamouzig, 2005), leurs activités dans les ministères dits « dépensiers » restent méconnues [4].
3Réinterroger le rapport au politique de ces acteurs singuliers pourrait, en outre, bénéficier des nouveaux apports de la sociologie de l’administration sur le sujet. En effet, dans le cas envisagé ici, des ingénieurs, alors relativement marginaux dans leur corps d’origine, prétendent, grâce au savoir économique, s’intercaler durablement dans le dialogue politico-administratif. Or, aujourd’hui ce sont surtout les énarques qui prennent en charge les opérations de transaction entre les deux univers, et ce, en restant des généralistes de la chose publique (Eymeri, 2003). Ainsi, on pourrait mettre au jour une forme originale et historiquement datée du travail à et sur la frontière entre politique et administration, appuyée sur la revendication d’une compétence spécifique. Plus généralement, l’enquête invite à ouvrir le regard sur les luttes multiformes nouées autour de la promotion d’une nouvelle figure de l’action publique. Il s’agit tout d’abord de comprendre comment des acteurs souvent perçus comme des « technocrates », et appréhendés à l’aune de leur opposition aux professionnels de la politique, vont pouvoir s’imposer dans un univers bureaucratique avant tout légitimé par sa subordination au politique. Mais l’investigation d’un ministère singulier invite aussi à considérer l’ensemble des conflits intra-bureaucratiques alors activés et notamment ceux susceptibles d’opposer les économistes aux autres hauts fonctionnaires qui prétendent également participer au gouvernement des transports. Les sources récoltées sur le terrain conduisent, enfin, à être attentif aux propriétés sociales des acteurs qui leur permettent d’être désignés comme « économistes ». En effet, nous souhaitons suivre ici les préconisations de la sociologie des économistes (Coats, 1993) qui attirent l’attention sur les luttes entre « entrepreneurs de professionnalisation » à travers lesquelles se stabilisent des définitions concurrentes de l’« économiste » (Lebaron, 2000, p. 27-38) et de son rapport au politique.
4C’est donc en étudiant le processus d’institutionnalisation d’une expertise économique au sein du ministère des Transports au cours des huit premières années de la Ve République, que nous chercherons à comprendre comment des « économistes » et leurs savoirs s’inscrivent durablement dans le gouvernement des affaires publiques et, ce faisant, participent au dialogue entre les univers « politique » et « administratif ».
5L’analyse des processus en cours s’appuiera sur deux approches complémentaires. Elle s’inspirera tout d’abord de la socio-histoire des sciences et savoirs de gouvernement (Ihl, Kaluszynski, Pollet, 2003). Cette dernière invite à saisir la consécration politique et administrative de certains savoirs, d’une part, à travers une analyse des groupes sociaux qui tentent de les légitimer et, d’autre part, en resituant les revendications de ces derniers dans des configurations d’actions plus générales. L’attention est ainsi portée notamment sur la variété des supports matériels mobilisés par les acteurs pour accréditer leurs savoirs et les inscrire dans le fonctionnement des institutions publiques. En outre, l’objectif est d’appréhender ces militantismes scientifiques en considérant les luttes « autour de [la] prétention à définir et à contrôler la “bonne” forme » d’une science de gouvernement (Payre, Vanneuville, 2003, p. 199). On est ainsi conduit à resituer l’intervention progressive des économistes et de leurs savoirs dans les processus de décision en essayant notamment de saisir les conflits qui ont pu les opposer à d’autres spécialistes [5]. En outre, l’analyse s’appuiera également sur la « sociologie des institutions » (Lagroye, Offerlé, 2010) ou « sociologie des rôles » institutionnels (Nay, 1997, p. 41 ; Lefèvre, 2010, p. 230). Ce programme de recherche permet de saisir comment des acteurs confrontés à des groupes hétérogènes tels les « économistes » ici considérés , peuvent mobiliser différents registres de légitimation en fonction des publics auxquels ils sont confrontés (Briquet, 1994, p. 25). À partir d’une perspective diachronique, il est possible d’étudier les processus de « construction sociale des rôles » (Lagroye, 1994, p. 6) de l’économiste des transports. L’ambition est, plus généralement, de comprendre comment les dispositions des acteurs et les attentes qui pèsent sur eux participent à la stabilisation progressive des critères de l’excellence au sein du groupe d’« économistes », critères impliquant une place singulière dans le processus de décision, des formes de relations avec d’autres types d’acteurs, voire une « fonction » particulière dans le gouvernement des affaires publiques.
6L’enquête s’est essentiellement appuyée sur des archives publiques [6] et privées, ainsi que sur des ouvrages et des revues [7]. Tout en restant conscient des biais inhérents aux entretiens semi-directifs sur des événements très éloignés dans le temps, nous avons également réalisé vingt-et-une interviews auprès d’anciens membres du ministère des Transports, dont dix-neuf auprès de douze anciens « ingénieurs-économistes [8] ». Ces sources orales apportent de nombreuses informations sur leurs représentations, et sur l’exercice concret du « métier » d’économiste des transports à cette époque [9].
7Pour saisir cette dynamique d’institutionnalisation du recours à l’économiste et à ses savoirs dans le gouvernement des transports, nous reviendrons tout d’abord sur les processus qui participent à donner naissance au principal service d’expertise économique du ministère et à l’attribution de ses missions singulières. L’analyse de la construction du rôle des « économistes » des transports nous conduira également à ouvrir le regard sur les supports et registres de justification qu’ils mobilisent pour légitimer leur présence dans les processus de décision publique et, plus particulièrement, sur la manière dont ils donnent à voir leurs relations avec l’univers politique. Néanmoins, pour saisir les ressorts du processus d’institutionnalisation considéré, il importe aussi de comprendre comment leurs savoirs s’imposent progressivement comme des outils normaux du fonctionnement de l’État.
La création d’un service d’études économiques : l’appropriation du « souci de soi de l’État » au prisme de conflits intra-ministériels
8En 1960, apparaît dans l’organigramme du ministère des Travaux publics et des Transports, un service chargé de réaliser des « études économiques » pour le compte, principalement, du ministre et de son cabinet [10]. En démêlant les processus enchevêtrés qui conduisent à la création du SAEI et à l’attribution de ses missions particulières, l’analyse pourra faire apparaître une partie des attentes, explicites ou implicites, de ses pères fondateurs. Deux dynamiques jouent ici de concert et participent à l’institutionnalisation d’une expertise économique d’État sur les transports : les transformations du contexte politico-institutionnel et les rapports de force à l’intérieur de ce département ministériel.
Le ministère des Travaux publics et des Transports et le « souci de soi » de l’État
9Selon Philippe Bezes, au tournant des années 1950, trois macro-processus, viennent tourmenter les élites politico-administratives des « institutions centralistes » [11]. Les transformations du processus de planification, la dynamique de construction européenne et la requalification des modèles de compétence politique nourrissent progressivement les inquiétudes du ministère des Finances et du Commissariat général du plan. Ainsi prend naissance le « souci de soi de l’État », c’est-à-dire le « souci de se gouverner soi-même en développant et en affichant des savoirs, des pratiques et des programmes destinés à gouverner l’administration » (Bezes, 2002, p. 309). Ces trois processus affectent également le ministère des Transports et s’expriment dans les attributions du SAEI.
10L’arrêté du 21 novembre 1960 fixant les missions du service l’invite à « coordonne[r] au sein du ministère des Travaux publics et des transports, les travaux d’établissement des plans de modernisation et d’équipement [12] ». Il est attendu du SAEI qu’il renforce la position du ministère dans une arène de négociation de l’action publique qui s’affirme au début de la Ve République. En effet, la volonté du Général de Gaulle de renforcer le pouvoir exécutif au détriment du pôle parlementaire « a comme pendant nécessaire la constitution d’un système politique non-électif parallèle dont le CGP [Commissariat Général du Plan] et ses commissions constituent le sommet » (Spenlehauer, 1998, p. 49). Il s’agit donc de prendre acte de l’intervention croissante du Plan dans l’élaboration de la politique des transports. En instituant le SAEI comme un « coordinateur » de la procédure de planification, le ministère entend rapatrier en son sein les arbitrages effectués dans ce cadre. De plus, en 1959, la responsabilité du CGP est confiée à Pierre Massé, l’un des plus célèbres « ingénieurs-économistes » de l’époque, ce qui laisse envisager que les savoirs économiques joueront un rôle renforcé dans la procédure d’élaboration des Plans.
11Les responsables du ministère entendent, en outre, s’appuyer sur le SAEI pour faire face à l’ouverture de l’économie française à la compétition internationale et, plus particulièrement, à l’émergence d’une politique européenne des transports. En effet, l’article quatre de l’arrêté du 21 novembre 1960 signale qu’il « conduit les études générales relatives à la définition de la politique à mener en matière de transport sur le plan international [et] participe à la préparation des négociations […] se déroulant dans le cadre des organismes européens [13] ». L’ambition de bâtir une « politique commune des transports » s’affirme en effet avec la signature du Traité de Rome en 1957 [14]. Et le nouveau pouvoir européen montre rapidement qu’il entend s’appuyer sur des études « statistiques » et « économiques » [15]. On comprend donc mieux pourquoi, dans ce contexte, le ministère des Transports souhaite se doter d’une forte capacité d’expertise dans ce domaine.
12La création du SAEI doit, enfin, être envisagée au regard de la dynamique de transformation des critères de l’« excellence politique » au profit de la « compétence économique » (Dulong, 1996, p. 122). En créant un tel service, les responsables du ministère des Transports entendent signifier que leurs décisions seront « éclairées » par le savoir économique. Les articles un et trois de l’arrêté du 21 novembre 1960 indiquent bien que le SAEI « est chargé des études économiques relatives à la définition d’une politique d’ensemble dans le domaine des transports » et qu’il « est associé aux décisions de principes relatives à la politique de coordination des transports [16] ». Grâce au savoir économique qu’ils sont censés maîtriser, les membres du SAEI sont appelés à faire partie de cette catégorie de hauts fonctionnaires qui participe étroitement à la production des politiques publiques. Pour les responsables du ministère, il s’agit d’afficher publiquement leur recours aux savoirs économiques. Le ministre, Robert Buron, présente même le SAEI à la tribune de l’Assemblée nationale comme « un outil économique […] indispensable au ministre » [17]. Cette valorisation du savoir économique, et la dynamique plus générale de transformation des qualités requises pour exercer le métier politique, doivent être reliées à l’apparition d’un nouveau registre de légitimation des élites politico-administratives insistant sur leur capacité à gouverner l’administration (Bezes, 2009, p. 65). La naissance du SAEI peut être lue à travers ce prisme puisqu’elle s’inscrit dans un vaste programme destiné, selon le ministre, à « moderniser une administration [18] ». Symptomatiquement, il annonce en 1960 aux Députés que la réforme administrative sera l’un des trois objectifs majeurs de son action [19].
13L’étude des transformations de l’environnement politique et institutionnel du ministère des Travaux publics et des Transports éclaire une partie des processus qui conduisent à la création d’un service d’expertise économique. Néanmoins, l’analyse doit également prendre en compte les luttes internes à cette administration.
Le contrôle de l’action des Directions d’administration centrale
14Le SAEI ne naît pas dans un univers vierge. Et, pour s’imposer, une nouvelle institution publique doit parfois « s’approprier le territoire des autres » (Charvolin, 2003, p. 13). On pourrait même se demander s’il ne s’agit pas d’un objectif central pour ses créateurs. Est-il avant tout envisagé comme une ressource dans des conflits domestiques ou comme un levier pour transformer les équilibres politico-administratifs du ministère des Travaux publics et des Transports ?
15L’enjeu semble suffisamment important pour que différentes élites et/ou institutions prennent position. Dans un document antérieur à la création du service [20], apparaît nettement la diversité des opinions exprimées.
Les prises de position sur le SAEI avant sa création
- Ministre [ministre des Travaux publics et des Transports],
- Spinetta [directeur du personnel],
- Gruson [responsable du service des éudes économiques et financières (SEEF) au ministère des Finances],
- Closon [directeur de l’INSEE],
- Coquand [directeur des Routes (et membre du cabinet du ministre [21])],
- Finances [ministère des Finances],
- Plan [commissariat général du plan].
- Laval [directeur des Ports maritimes et des Voies navigables],
- Grandval [secrétaire général de la Marine marchande],
- Aviation civile [Secrétariat général à l’Aviation civile].
- Doumenc [directeur des Chemins de fer et des Transports],
- Moussa [directeur des Transports aériens] ».
16Le principal responsable politique du ministère (« ministre ») ainsi que toutes les institutions extérieures consultées sont donc favorables à la création du SAEI. Cependant, les Directeurs d’administration centrale et les Secrétaires généraux disposant d’attributions exclusivement sectorielles se montrent réticents. En effet, l’apparition d’un tel service semble remettre en cause plusieurs principes de fonctionnement du ministère des Travaux Publics stabilisés depuis le xixe siècle. Tout d’abord, une règle non écrite impose « la présence d’un ingénieur des Ponts à la tête des postes principaux » (Thoenig, 1987, p. 72). Pourtant, il est déjà prévu que le SAEI soit dirigé par un énarque (Inspecteur des Finances). En outre, la création du SAEI vient bousculer la stricte sectorialisation des activités des services centraux qui permet aux différents Directeurs de devenir les interlocuteurs directs du ministre. Ainsi, ce dernier « ne dispose d’aucun état-major qui lui permettrait d’assurer des arbitrages entre les divers secteurs de transports et d’exercer un contrôle plus serré sur la façon dont chaque direction gère ses tâches » (Thoenig, 1987, p. 73). Or, le SAEI est bien envisagé comme un service susceptible de remettre en cause le pouvoir des administrations sectorielles : « L’idée était que le ministre et ses collaborateurs ne souhaitaient pas être prisonniers des Directeurs [22]. » L’un des premiers ingénieurs-économistes du service perçoit dès lors ainsi les attentes qui pèsent sur ses membres : « Il s’agissait aussi de contrer les Directions, pour faire l’équilibre [23]. »
17Pour ce faire, d’autres ressources cognitives auraient pu être mobilisées. Cependant, des enjeux internes participent aussi à la création d’un service appelé à mobiliser ce savoir particulier. Il s’agit également de contrôler le développement polycentrique d’une expertise économique au sein du ministère. En effet, les outils de la science économique avaient déjà commencé à se diffuser à l’intérieur de l’appareil administratif et dans les entreprises publiques. Dès la fin des années 1940, la SNCF développe des calculs de rentabilité des investissements. Au sein du ministère proprement dit, c’est la Direction des routes (DR) qui inaugure un mouvement d’internalisation de l’expertise économique. En 1957, deux ingénieurs des Ponts et Chaussées (IPC) sont appelés à s’intéresser « à la question de la planification des transports routiers et notamment aux études de rentabilité [24] ». L’année suivante, le directeur des Ports maritimes et Voies navigables (DPMVN), demande également à un ingénieur des Ponts d’effectuer des études économiques « en copiant » la Direction des Routes [25].
18L’émergence d’une capacité d’expertise économique à l’intérieur des segments verticaux de l’administration inquiète les plus hauts responsables du ministère. Cette dynamique est perçue comme un renforcement de leur pouvoir. Lorsque l’on fait remarquer à un ancien membre du cabinet que les grandes Directions du ministère sont très puissantes, ce dernier répond : « Oui, surtout qu’ils avaient chacun leur petite… c’était la mode à l’époque, chaque Direction créait sa petite cellule économique [26] » (nous soulignons).
19Parmi les pionniers du SAEI, beaucoup considèrent que le service est créé pour contrebalancer le développement déjà sensible des études économiques sectorielles. Selon l’un d’entre eux : « L’idée du ministre c’était sûrement de faire un contrepoids intellectuel aux différentes Directions du ministère [27]. » D’ailleurs, la naissance du SAEI n’enchante pas les économistes des DAC : « J’ai pas dû aimer. Comme tout un chacun qui a son pré carré, bon… Je crois pas que je me sois battu contre. J’ai dû le renier un peu [28]. »
20La création du SAEI fait l’objet d’un conflit au sein du ministère des Transports entre les élites que l’on qualifie communément de « politiques » et « administratives ». L’enjeu de cette lutte est bien le contrôle de la production d’un savoir « économique », savoir perçu comme susceptible d’augmenter le pouvoir de chacun de ces partenaires-adversaires dans les négociations inter et intra-ministérielles.
21Les deux processus considérés participent à l’instillation du savoir économique au ministère des Transports à partir de la fin des années 1950. Entre 1960 et 1966, cette dynamique s’affirme nettement. Les services économiques des DAC se multiplient, se renforcent et se structurent progressivement. En outre, en l’espace de cinq ans, les effectifs du SAEI sont pratiquement multipliés par trois [29]. À partir de 1964, ce sont des « ingénieurs-économistes » qui commencent à diriger le service. Enfin, en 1966, le nouveau ministre de l’Équipement manifeste ostensiblement son désir de s’appuyer sur les « économistes » de son administration. Le SAEI est même alors chargé de préparer l’ensemble du budget d’investissement du ministère [30]. Reste donc à comprendre comment se consolide progressivement le rôle de l’économiste au cours de cette période. Avant de considérer ce processus à partir des usages du savoir économique, l’analyse pourra se nourrir de l’étude des supports et registres de légitimation de leur présence dans les processus de décision publique.
La légitimation du savoir économique contre le politique ?
22Les ingénieurs-économistes présentent parfois dans les entretiens leur lien avec les professionnels de la politique comme éminemment conflictuel : « Les études économiques ne sont pas très aimées des élus. Vous limitez leur pouvoir de décision [31]. » De nombreux travaux de science politique viennent aujourd’hui objectiver, et confirmer, cette opposition entre différents modes ou registres d’action qualifiés d’« économique » et de « politique [32] ». Les hauts fonctionnaires « modernisateurs » de la IVe et du début de la Ve République ont largement participé à légitimer cette représentation agonistique. Sous leur houlette, « la science économique tend à neutraliser la politique en la réduisant à une simple technique de gestion rationnelle » (Dulong, 1997, p. 28). Il est assez facile de saisir comment des argumentaires valorisant la compétence « économique », et dévalorisant les qualités singulières des professionnels de la politique, vont pouvoir trouver un écho auprès de différents groupes sociaux ou segments professionnels et participer au succès des « économistes » dans certains espaces du monde social. Reste pourtant à comprendre comment les ingénieurs-économistes, et plus largement les économistes d’administration, vont parvenir à s’imposer au sein d’un univers bureaucratique légitimé notamment par sa subordination au pouvoir politique. Peuvent-ils se montrer aux autres comme ayant abandonné toute fidélité au politique ?
23Étudier les discours et outils de légitimation que les économistes (du SAEI et des DAC) produisent ou mobilisent pour justifier leur présence dans l’univers administratif nous permettra de mieux saisir leur rapport au politique. Comment tentent-ils de rendre sensible(s) aux autres le(s) rôle(s) qu’ils doivent jouer dans les processus de décision publique ? Comment présentent-ils leur position vis-à-vis du pouvoir ou des décisions qu’ils labellisent comme « politiques » ? Comment désignent-ils ce qui relève du « politique [33] » et, ainsi, justifient-ils une délimitation particulière du domaine qui lui est réservé ?
Pour une théorie (économique) de l’action publique
24L’enquêteur ne peut être que frappé par l’ampleur des efforts déployés par les ingénieurs-économistes pour signaler et justifier leur nouvelle présence dans l’univers bureaucratique. Le SAEI, qui doit assurer une mission de « formation du personnel » et d’« information économique et statistique des directions », a particulièrement œuvré à la promotion du savoir économique dans cette administration. Six jours après sa création officielle, il commence à abreuver de « notes rapides d’information » le ministre, les membres de son Cabinet, les Directeurs et les Secrétaires Généraux. Le service sélectionne certains événements ou enjeux, les qualifie d’« économiques », et, de facto, les transforme en problèmes politico-administratifs en signalant aux principaux responsables du ministère leur influence probable sur « leur action quotidienne [34] ». Cette mission d’« information économique » prend rapidement un aspect pédagogique plus marqué. Les membres du service lisant un grand nombre de revues [35], il est vite envisagé de valoriser cette activité en publiant « une courte notice bibliographique comportant des analyses d’articles à caractère économique général [36]. » Le choix d’ouvrir les « notices » par des comptes rendus sur la « théorie économique » est révélateur de la manière dont l’ensemble des ingénieurs-économistes étudiés souhaite se présenter aux autres. Ils se signalent comme les porte-parole de la « théorie économique » dans nombre de publications internes au ministère. Progressivement, cette prétention se transforme en désir d’incarner la théorie. Ainsi, dans un document publié par le SAEI, la recherche d’une « définition d’une théorie des transports » est justifiée comme suit : « Le but recherché consiste à assurer, pour le moindre coût collectif, la prestation des services de transports nécessaires à l’activité du pays, ou, plus précisément, à assurer un fonctionnement de l’activité transport qui permette à l’économie générale d’évoluer de façon aussi proche que possible de l’optimum [37]. » L’adjectif n’étant jamais employé pour la qualifier, tout se passe comme si la théorie était économique par nature. Ainsi, des catégories à connotation plus juridique comme l’« obligation de service public » sont rejetées en dehors de cet ensemble.
25Si les textes sont les vecteurs privilégiés de la promotion du savoir économique, les ingénieurs-économistes vont également s’efforcer de valoriser leur compétence singulière en investissant les écoles du pouvoir. C’est surtout à l’École nationale des ponts et chaussées qu’ils essaient de convertir de futurs hauts fonctionnaires. En outre, leurs « militantismes scientifiques » (Ihl, 2006, p. 15) vont fortement s’exprimer dans l’univers académique via la rédaction de manuels ou d’articles dans des revues économiques, à travers des interventions dans des Congrès (tel celui de la société d’économétrie) ou des séminaires parrainés par le CNRS (comme celui organisé par Maurice Allais) et même, pour deux d’entre eux, en rédigeant des thèses de science économique. Ceux que l’on aurait pu appréhender comme des économistes « praticiens » signalent aux autres qu’ils effectuent des « recherches [38] » et se présentent comme des « chercheurs [39] ». Les agents du SAEI importent même à l’intérieur de l’administration les formes traditionnelles de l’échange savant en organisant un « séminaire de théorie économique [40] ».
26L’ampleur de ces efforts doit être envisagée au regard de la fragilité de leur position à l’intérieur du ministère des Travaux publics et des Transports et de l’impossibilité, pour la plupart d’entre eux, de recourir à des incitations réglementaires à mobiliser le savoir économique. En effet, l’arrivée de jeunes ingénieurs (vingt-sept ans et demi en moyenne [41]) à des postes de « conseiller du Prince » suscite parfois la méfiance de la part des personnels en place [42]. En outre, les « services » dans lesquels ils travaillent quotidiennement sont peu institutionnalisés et/ou défient l’entendement bureaucratique. « C’était une absence totale de structure. […] Nous n’étions même pas dans l’organigramme » se souvient un ingénieur-économiste de la Direction des Routes [43]. Le SAEI, lui, se situe dans une position ambiguë vis-à-vis des autres services centraux : « en dehors de la hiérarchie » mais « sur le même plan que les Directions et les Secrétariats généraux [44] ». Il ne s’impose pas comme une « Direction », cependant son chef bénéficie des mêmes avantages que les directeurs. Faute de pouvoir contraindre, les ingénieurs-économistes doivent convaincre des bienfaits de la théorie économique.
Repousser le politique… ou ses frontières ?
27Ces économistes d’administration présentent souvent le rôle que doivent jouer les porte-parole de la « théorie économique » au regard de ce qui les unit, mais aussi les sépare, de l’univers « politique ». En restant attentif aux usages discursifs de ce dernier terme, nous pouvons saisir comment ils en viennent à délimiter ce qui, dans le processus de décision publique, appartient, d’une part, au « politique » et, d’autre part, à l’« économiste ».
28Certaines prises de position mettent en lumière une opposition nette entre deux modes de résolution des problèmes publics. Un ancien ingénieur-économiste du SAEI explique comme suit les ressorts de leur succès passé : « Les décisions en matière d’infrastructure de transport se sont beaucoup politisées. Je crois qu’à notre époque c’était essentiellement une affaire technique, économique [45]. » Un autre n’hésite pas à critiquer, dans sa thèse, les procédures décisionnelles susceptibles de « faire une place trop belle au pouvoir politique et à son arbitraire possible » et disserte sur les « infirmations graves infligées par la politique à la théorie [46] ». Aux sources de cette contradiction, on retrouve notamment, selon l’un d’entre eux, le mode de détermination du « meilleur choix collectif [47] ». En effet, la « théorie » (économique) serait susceptible de constituer le « cadre de choix rationnels de l’État » mais « des solutions empiriques sont apportées chaque jour au problème, [elles] sont contenues implicitement dans les règles constitutives de la collectivité : modes d’élection, pouvoirs des élus, référendum, […] » (nous soulignons). Dès lors, ils s’efforcent parfois de se défaire de l’image d’un « technocrate [48] » que les professionnels de la politique, notamment, dépeignent alors comme dépourvu d’« humanité » (Dulong, 1997, p. 168). Par exemple, un ingénieur-économiste se demandant s’il est possible de déterminer la « valeur monétaire » de la « vie humaine » tente de convaincre ceux qui pourraient « penser qu’une telle question est inhumaine et qu’elle n’a pu être formulée que par des théoriciens sans scrupules et dénués de cœur [49] ». Les propos de Maurice Allais lors du séminaire qu’ils fréquentent régulièrement montrent bien comment certains économistes tentent de neutraliser la politique en retraduisant les termes du débat politique en langage économique : « J’estime personnellement que ce terme “égalité de traitement” [entre modes de transport] a une très grande force politique et je me demande s’il n’est pas dangereux, […] s’il n’est pas mieux de dire : “Essayons de mettre en œuvre une politique qui assure les conditions d’efficacité maxima”. [50] »
29Pourtant, la plupart du temps, les phénomènes ou décisions « politique(s) » ne sont pas niés, neutralisés ou dénoncés comme l’envers négatif de leur « théorie ». Ils s’imposent naturellement, selon eux, lors de la présentation des conclusions d’une expertise au « décideur [51] ». Ils interviennent également dans le choix des objectifs à atteindre et dans la répartition des crédits entre secteurs d’action publique : « Les options politiques jouent [un] rôle prépondérant ceci en affirmant la nécessité d’un traitement privilégié de certains secteurs [52] ». Il est souvent rappelé que les « objectifs politiques se manifestent au niveau […] de la fixation de la masse de crédits [53]. » La sphère de la décision « politique » est ainsi repoussée à l’échelon des négociations intersectorielles ou interministérielles. À ce stade, « les grandes options de celle-ci [I.e. de « la politique »] échappent à l’économiste [54] ». Par contre, ils décrivent les différents secteurs d’action publique comme relativement autonomes une fois ces grandes orientations et enveloppes fixées : « Chaque secteur reçoit des crédits annuels ; à lui d’en faire le meilleur usage possible [55]. » Dans cet univers devenu vierge de « politique », les fonctionnaires peuvent manier leur « théorie » et ainsi devenir, selon les ingénieurs-économistes, de véritables « décideurs ». En effet, le savoir économique est présenté comme un guide précieux pour les « fonctionnaires chargés de prendre des décisions [56] ».
30Le « politique » est ainsi éloigné avant d’être « neutralisé », voire nié. Si le royaume du « politique » et l’univers de la « théorie économique » apparaissent ainsi comme clairement délimités, quelle est cependant la nature du lien qui doit unir les individus qui œuvrent dans ces différents espaces ?
Montrer son allégeance avant de démontrer sa compétence
31Peut-on en conclure que les ingénieurs-économistes affichent un rejet de toute subordination envers le pouvoir politique ? Comment présentent-ils le lien qu’ils entretiennent avec le « politique » alors que le pouvoir gaulliste exige des hauts fonctionnaires une « loyauté absolue et plus exigeante que sous le régime précédent » (Valence, 2010, p. 3) ?
32Les ingénieurs-économistes manifestent souvent leur volonté d’écarter tout risque de confusion entre l’« économiste » et le « pouvoir politique » : « à aucun moment, il [l’“économiste”] ne se substitue à lui [57] ». Ils affichent même une soumission aux décisions « politiques » qui viennent définir les objectifs souhaitables de l’action publique. Ainsi, pour connaître les aspirations premières de la population et, ensuite, définir un programme d’investissement optimal, il faut « passer par l’intermédiaire du gouvernement [58] ». La légitimité d’arrêter les « objectifs politiques » de la Nation « appartient plutôt à la politique pure qu’à l’économie politique [59] ». Si le propos est ici particulièrement nuancé, le rapport d’allégeance au « politique » apparaît presque constamment. Pour bien manipuler le savoir économique, comme le calcul économique par exemple, l’économiste doit « faire en sorte qu’il traduise les inflexions décidées à des niveaux supérieurs de décision » [60]. Cette publicisation d’un rapport de subordination, étroitement articulé avec l’affichage d’une nécessaire « neutralité », a vocation à signaler que la décision « politique » doit être première dans leur travail.
33Par contre, ils déclarent très fréquemment regretter l’absence d’instructions claires et précises. Selon l’un d’eux, il s’agit même d’une situation normale pour l’économiste [61]. Pourtant, « c’est le pouvoir politique qui, seul, est capable de traduire les aspirations de la population et éventuellement de les orienter [62] ». Les économistes se présentent comme disposés à l’allégeance mais insuffisamment informés sur les buts à atteindre et les décisions à « optimiser ». Ils se donnent à voir comme des acteurs forcés de composer avec l’« implicite » politique : « il faut subordonner les modalités d’exécution du calcul économique aux indications données explicitement ou implicitement par le pouvoir politique » (nous soulignons) [63]. Le rôle de l’économiste est alors de déchiffrer puis, d’ailleurs, de chiffrer des desiderata tacites : « L’économiste doit tenir compte de l’enveloppe qui lui est notifiée et interpréter au mieux cette décision [64]. » Des règles sont mêmes édictées pour déterminer les comportements acceptables dans cette situation, banale, d’incertitude [65]. Les ingénieurs-économistes se disent contraints d’avoir recours à la formalisation économique pour objectiver a posteriori des préférences sociales que le « politique » ne leur signale pas. Ce n’est pas tant sauf cas rares la supériorité de la « théorie économique » qui justifie leur prétention à représenter les « préférences collectives » que le mutisme du « politique ». Le recours au savoir économique est présenté comme un expédient, certes efficace, à l’absence de prises de position explicites et précises : « Force a bien été à la Direction des Routes, à laquelle se posent tous les jours des problèmes de cet ordre, de chercher à déterminer quel pourrait être ce prix de la vie humaine [66]. »
34Au final, si la critique de la politique et de « son arbitraire possible » affleure parfois dans certains discours, les ingénieurs-économistes se montrent néanmoins enclins à la fidélité. Pour saisir les ressorts de ces prises de position, il est nécessaire de revenir sur leurs trajectoires singulières et les différentes attentes qui viennent progressivement travailler le rôle d’ingénieur-économiste des transports à cette époque. Leur méfiance envers la « politique » (et leur désir de repousser ses frontières) peut être rapportée à celle des hauts fonctionnaires économistes de la IVe République (François Bloch-Lainé, Alfred Sauvy, Claude Gruson, Jean Fourastié,…) (Dulong, 1997). En effet, nombre d’ingénieurs-économistes ont été formés à l’ENPC mais aussi, bien souvent dans des écoles du pouvoir investies par ces grandes figures qui valorisent fréquemment les qualités de l’économiste et dévalorisent celles des professionnels de la politique. Parmi les quatorze acteurs dont nous avons pu reconstituer l’intégralité de la trajectoire scolaire, douze ont suivi un cursus complémentaire ou parallèle à leur formation d’ingénieur, notamment à l’IEP de Paris ou au CEPE. Par contre, les économistes des transports semblent également avoir intégré ou en tout cas souhaitent montrer qu’ils respectent le principe hiérarchique qui gouverne les relations entre les élus et les hauts fonctionnaires mais aussi les relations intra-bureaucratiques [67]. L’évaluation des impératifs de l’action publique suit une logique en cascade respectant la distribution verticale des pouvoirs : « La valeur [des objectifs] devra en être fixée à l’échelon le plus élevé possible. Chaque échelon peut ainsi être appelé à définir certaines valeurs, mais seulement celles que l’échelon supérieur n’a pas définies [68]. »
35Ainsi, le savoir économique n’apparaît pas, ou plutôt pas uniquement, comme un langage neutralisant le politique. Une frontière est tracée pour délimiter le territoire, ou la jurisdiction (Abbott, 1988, p. 20), de l’« économiste » au regard de l’univers « politique ». Ce dernier est cantonné à l’ordre des décisions intersectorielles. Néanmoins, les ingénieurs-économistes se présentent aux autres comme disposés à la loyauté et potentiellement soumis aux décisions émanant du pouvoir « politique ».
Les usages du savoir économique et le territoire de l’économiste
36Pour saisir comment s’institutionnalise le recours aux économistes dans le gouvernement des affaires publiques, il est également nécessaire de comprendre comment leurs savoirs deviennent des outils routinisés du fonctionnement de l’État. Il convient donc de s’éloigner des seuls discours que les acteurs tiennent sur eux-mêmes et de se pencher sur les usages des technologies promues par les économistes et, plus largement, sur la manière dont les responsables de leur ministère entendent les mobiliser dans les processus de décision publique. Dès lors, il apparaît que les professionnels de la politique ne constituent pas le seul groupe avec lequel les économistes sont en lutte pour définir et délimiter leur territoire d’intervention. Et c’est d’ailleurs un autre rapport aux décisions qu’ils qualifient alors de « politiques » qui se révèle à l’analyse. C’est donc en focalisant le regard sur les activités des ingénieurs-économistes, et en les resituant dans leur environnement professionnel quotidien, que nous envisagerons dorénavant le processus de légitimation de leurs rôles.
37Il est ainsi possible de mieux comprendre comment les dispositions des acteurs et les attentes multiformes des principaux responsables du ministère participent à définir ce qu’il convient de faire lorsque l’on prétend exercer le métier d’« économiste » dans ce cadre. Trois principales activités règlent les usages politico-administratifs des savoirs économiques. Les « hommes de l’art » doivent « arbitrer » entre des projets concurrents, « réformer » l’action publique et « justifier » les investissements.
Arbitrer ! L’économiste contre le comptable
38La boîte à outils de l’ingénieur-économiste contient des techniques variées, mais à cette époque, c’est le calcul économique [69] qui s’impose comme un véritable standard professionnel. Cet outil cognitif connaît alors un véritable succès dans les processus de décision. Au ministère des Transports, commence « l’époque du calcul économique triomphant [70] ». De nombreux projets portés à l’agenda politique sont passés au crible de cette technique [71]. Bien évidemment, son usage n’entraîne pas automatiquement une décision conforme à ses préconisations. Lorsque c’est le cas, les ingénieurs-économistes en sont même surpris : « Dans une commission du Plan on est venu avec des sections d’autoroutes qualifiées par le taux de rentabilité immédiate. Et le gars des Finances a dit : “OK, on les prend selon leur taux de rentabilité”. Ça s’est fait comme ça ! […] Là, c’était vraiment la procédure technocratique pure et dure [72] ! » Les ingénieurs-économistes vont néanmoins s’appliquer à généraliser l’emploi de cet outil, notamment à travers les enseignements qu’ils prodiguent à l’ENPC. Ceux évoluant à la Direction des Routes vont même pouvoir mobiliser des incitations à caractère réglementaire. Ils rédigent en 1964 un document cadre incitant à l’usage du calcul économique qui « doit servir de manuel de base » aux fonctionnaires [73]. Munis de cette technique, les ingénieurs-économistes apparaissent comme particulièrement qualifiés pour réaliser des « arbitrages » entre projets concurrents. Ainsi, ils investissent progressivement les commissions ou groupes de travail mis en place pour comparer l’efficacité de différentes décisions ou de divers modes de transports [74]. Au tournant des années 1960, le calcul économique constitue « davantage un instrument de communication qu’un instrument de planification [75] ». Cependant, cinq ans plus tard, c’est essentiellement cette technique qui est mobilisée par la Commission des transports du Ve Plan pour effectuer le « recensement et [la] sélection des opérations [76] ».
39Le constat d’une généralisation des usages du calcul économique invite à mettre en lumière la manière dont les dispositions singulières des acteurs considérés participent à circonscrire étroitement l’éventail des individus susceptibles d’endosser ce rôle au sein de leur ministère. En effet, si de nombreux hauts fonctionnaires, notamment, organisent à cette époque la promotion de la « compétence économique », c’est essentiellement l’approche macro-économique et le langage de la comptabilité nationale qui connaissent alors le succès (Armatte, Desrosières, 2000, p. 459 ; Fourquet, 1980) [77]. Les propriétés sociales et les trajectoires scolaires antérieures des « économistes » du ministère des Transports les invitent à valoriser une approche micro-économique et une « forme mathématique de capital scientifique » (Lebaron, 2000, p. 24). En effet, la quasi-totalité de ces acteurs ont été formés dans des écoles ingénieurs : Polytechnique et l’ENPC [78]. Ainsi le premier Chef du SAEI, un Inspecteur des Finances partageant pourtant de nombreux traits communs avec les hauts fonctionnaires modernisateurs [79] et n’hésitant pas à se faire le porte-parole de la « logique économique », ne s’autorise pas à se présenter comme un « économiste » : « Je ne peux mériter cette qualification […]. Je suis, vous le savez, inapte au maniement de l’instrument mathématique [80]. » C’est même largement contre l’approche des « comptables [81] » ou des « financiers » que les ingénieurs-économistes s’efforcent de définir et de légitimer leurs rôles. Ils militent pour que les expertises publiques « ne soient pas entrepris[es] dans une optique exclusivement comptable et souhaitent obtenir qu’[elles] se prêtent également à une interprétation plus conforme à la rationalité économique [82] ». Même si les ingénieurs-économistes du ministère des Transports sont très intégrés aux réseaux de la planification française à cette époque, on constate que le groupe des hauts fonctionnaires modernisateurs valorisant la « compétence économique » est également traversé d’oppositions structurantes et de définitions alternatives du métier d’« économiste ». Au ministère des Transports, ils s’imposent comme disposant des qualités requises pour effectuer des « arbitrages » et, ainsi comme des concurrents sérieux pour les énarques qui jouent traditionnellement un rôle d’intermédiaire généraliste entre les sphères « politique » et « administrative » (Eymeri, 2003, p. 62).
Réformer ! L’économiste contre le technicien
40Les ingénieurs-économistes n’entendent pas intervenir ponctuellement dans les processus de décision, au rythme des grands projets d’aménagement et des plans de modernisation. Ils tentent de promouvoir une réorientation plus générale de l’action publique.
41Le projet « réformateur » des ingénieurs-économistes apparaît même dans de véritables programmes d’action proposant de transformer radicalement la politique française des transports, tel celui rédigé par le SAEI en 1963 [83]. L’étude de ce document, que l’on aurait pu a priori envisager comme inspiré par le référentiel modernisateur keynesien (Muller, 2000, p. 197), montre cependant que les ingénieurs-économistes recommandent alors à l’État de borner « son action à ce “dirigisme des sommets” où il regrette le plus souvent de n’avoir pu la cantonner. » On sait que dès le milieu des années 1960 « des postures “libérales” s’immiscent au sein de l’interventionnisme étatique encore dominant » (Bezes, 2009, p. 71), notamment au ministère des Finances, soucieux de l’équilibre budgétaire. Le constater dans une administration « dépensière » à l’heure où triomphent les idées keynesiennes en France peut étonner. La méfiance envers l’interventionnisme étatique est pourtant particulièrement forte au SAEI où « il y avait de vrais libéraux [84] ». Elle est aussi sensible chez les économistes des DAC et même de la SNCF [85].
42Ces prises de position invitant le ministère des Transports à s’auto-discipliner, doivent être envisagées au regard d’une nouvelle opposition à travers laquelle se construit alors le ou les rôle(s) de l’ingénieur-économiste. La plupart des acteurs étudiés s’efforcent de promouvoir une « rationalisation » de l’action publique synonyme d’une transformation des standards professionnels au sein du corps des Ponts et Chaussées. Ainsi, le rôle de l’ingénieur « économiste » se définit largement en réaction à celui de l’ingénieur « technicien ». Les économistes d’administration tentent d’incarner et de légitimer une nouvelle définition de l’« excellence administrative » (Gaïti, 1998, p. 269) : « Il est rare que la compétence de notre Corps soit discutée dans ce domaine [“de l’aménagement d’infrastructure”] où le technicien prend souvent le pas sur l’économiste. Il est malheureusement beaucoup trop fréquent que la compétence de l’ingénieur ne soit pas reconnue en dehors de ce domaine limité et de cette optique fragmentaire. Mais pourquoi ne pas la reconnaître également au stade des études économiques [86] ? » Les économistes valorisent des critères de réussite professionnelle différents, sinon opposés, à ceux de la plupart de leurs camarades. Ces derniers privilégient la compétence « technique » axée sur le génie civil et se flattent d’avoir participé à la construction d’une infrastructure (Thoenig, 1987, p. 307). Pour les économistes, il s’agit d’être intervenu de manière décisive dans le processus de décision susceptible de déboucher sur une réalisation de ce type. Cependant, à cette époque, réorienter l’action publique dans un sens plus conforme à l’« intérêt de la collectivité » suppose aussi de réussir à faire échouer un projet « irrationnel » (tel le canal Rhin-Rhône), de résister aux pressions des « lobbies » et même de savoir réfréner les pulsions équipementières des ingénieurs locaux. Ce sont, en effet, essentiellement les fonctionnaires des services extérieurs qui se trouvent dans leur viseur : « Il y a toujours une lutte entre les [ingénieurs] locaux qui s’appuyaient sur le Conseil Général pour avoir des crédits et Paris qui donnait les crédits d’État où il y avait quand même un contrôle. Les économistes étaient un des bras plus ou moins armés des directeurs centraux [87]. » (nous soulignons)
43Plus généralement, ces ambitions réformatrices peuvent être rapportées, encore une fois, à leurs trajectoires. Nombre d’entre eux ont débuté leur carrière par un premier poste outre-mer [88]. Or, ce type de parcours est caractéristique des fonctionnaires dits « hors machine » dont « le propre est de remettre en cause le langage et le système d’action de sa maison de rattachement » (Grémion, 1979, p. 394). Cependant, leurs ardeurs réformatrices semblent surtout devoir être rapportées aux attentes des responsables politico-administratifs du ministère qui les introduisent dans l’administration. Les ingénieurs-économistes doivent remettre en cause les routines cognitives : « Laval [Le directeur des Ports maritimes et des Voies navigables] avait besoin que des jeunes posent des questions impertinentes et nouvelles [89]. » Il est attendu qu’ils portent un regard critique sur les idées établies : « Un jour Coquand [le directeur des Routes] me consulte pour je sais plus quoi et je lui dis “excusez-moi Monsieur le Directeur, je ne suis pas d’accord avec ça.” Et Coquand m’a répondu très sèchement “je ne vous paie pas pour être d’accord !” [90] ». Les Directeurs d’administration centrale, comme les responsables les plus « politiques » du ministère, exigent des économistes qu’ils deviennent experts en nouvelles recettes d’action publique : « C’est évident que si ce service [le SAEI] a été créé par Buron et son entourage, c’était pour faire de la réforme, c’est sûr [91] ! »
Justifier ! L’économiste contre… l’économiste
44Les ingénieurs-économistes ne sont pas dupes des usages politico-administratifs de leurs études. L’un d’entre eux explique à propos du Directeur des routes auquel il est rattaché : « Il m’a exploité intelligemment. J’ai trouvé ça très agréable [92]. » Des travaux de science politique montrent bien que la science économique s’impose en France comme une science d’État pour servir certains intérêts institutionnels et notamment ceux du CGP et du ministère des Finances (Bezes, 2002, p. 317). Ainsi, de la même manière, il est attendu des ingénieurs-économistes qu’ils défendent ou expriment les intérêts de leurs institutions dans le cadre des luttes inter-bureaucratiques pour le contrôle de l’action étatique.
45Les ingénieurs-économistes qui interviennent au sein des différentes Directions (DAC) admettent rétrospectivement avoir manipulé le calcul économique pour faire du « lobbying » en faveur des programmes d’action portés par leur institution [93]. L’un d’entre eux explique, par exemple, avoir produit des études en vue de « plaider pour le développement du programme autoroutier » [94]. Là encore, les attentes des responsables du ministère sont régulièrement rappelées dans les entretiens. Une équipe d’ingénieurs-économistes permettait au Directeur des routes « vis-à-vis de l’administration des Finances, d’avoir davantage de poids, de pouvoir mieux justifier ses positions [95] ». Leurs homologues de la DPMVN le confirment : « On réunissait des éléments économiques pour que Laval [le Directeur] défende tel projet d’aménagement. […] Les études économiques ont été utilisées par les ingénieurs que nous étions pour tâcher de justifier les demandes de crédits auprès de la Direction du budget. Et, c’est vrai, les ingénieurs se sont un peu battus pour éviter que cela soit les inspecteurs des finances du Budget qui leur dictent quels étaient les investissements qu’ils feraient [96]. »
46Les ingénieurs-économistes du SAEI sont directement rattachés au ministre et son Cabinet. Ils sont également mobilisés pour défendre les intérêts de leur institution ici le ministère des Travaux Publics et des Transports dans les négociations interministérielles. Ainsi, l’un d’entre eux se souvient de « passe d’armes avec le ministère des Finances sur tous les gros dossiers [97] ». Cependant, le ministre et son Cabinet entendent aussi utiliser le savoir économique pour contrôler l’action des DAC et des grandes entreprises publiques. Le SAEI continue de répondre aux attentes implicites qui ont participé à lui donner naissance (cf. supra). Les relations avec la Direction des Routes (DR) deviennent donc conflictuelles : « On les agaçait un peu à la Direction des Routes parce qu’on avait l’accès direct au Cabinet, qui nous posait des questions, et parfois on remettait en cause des idées de la Direction des Routes [98]. » Un proche collaborateur du Directeur des Routes confirme que ce dernier « n’appréciait pas du tout [99] »… C’est cependant surtout la SNCF qui est la cible des études économiques du SAEI. Ce dernier critique, notamment, le programme d’électrification des lignes ferroviaires et établit même un projet de réseau simplifié limitant singulièrement l’existant. Le SAEI occupant une position clef dans les arbitrages budgétaires (internes au ministère et de par son rôle dans la procédure de planification), une relation complexe de concurrence-coopération se noue avec les économistes des Directions sectorielles : « À la Direction des Routes on était prêt à travailler avec le SAEI dans la mesure où il pouvait nous être utile, notamment pour défendre notre budget. C’était un peu ça quand même [100]. » Progressivement, les grands dossiers qui mettent en jeu la répartition ou l’attribution des crédits du ministère sont l’objet de luttes entre économistes. Ce phénomène exprime bien le succès de cette figure au sein de ce département ministériel. Les études économiques se développent comme une forme normale de l’expression des intérêts, de la justification des positions des différentes unités qui le composent. Les conflits noués à ces occasions reflètent la rivalité traditionnelle au sein des départements ministériels entre les Cabinets des ministres et les DAC. Si les économistes des Directions sectorielles sont très proches des responsables de ces institutions, le SAEI pense devoir « exerce[r] un certain “pouvoir de contestation” des politiques et programmes proposés par les Directions verticales [101] ».
47Le groupe formé par l’ensemble des économistes du ministère des Travaux publics et des Transports apparaît comme relativement homogène et uni autour de valeurs plutôt libérales, de la défense de la compétence économique et du projet de rationalisation de la décision. Néanmoins, puisqu’ils acceptent de jouer, notamment, le rôle d’avocat scientifique de leurs institutions, ils sont aussi conduits à s’affronter. L’opposition qui les anime alors reflète bien ce « conflit au sommet du système politico-administratif » entre, d’une part, le Cabinet du ministre et, d’autre part, les Directions d’administration centrale (Suleiman, 1976, p. 110).
Conclusion
48Au cours des premières années de la Ve République, le recours aux « économistes » et à leurs savoirs s’institutionnalise progressivement au sein du ministère des Transports. Alors que le succès des savoirs, discours ou acteurs « économiques » est souvent appréhendé à l’aune de leur opposition au « politique », les acteurs étudiés se distinguent par des prises de position plus ambiguës. L’univers des décisions « politiques » est repoussé, et parfois neutralisé, mais les ingénieurs-économistes n’en cherchent pas moins à publiciser un potentiel rapport d’allégeance à son endroit. Le recours au savoir économique n’est pas tant justifié par les « défauts » du personnel politique professionnalisé que par le défaut d’instructions explicites en provenance de leur sphère. On pourrait considérer que ces discours ne visent qu’à légitimer la marge de manœuvre qu’ils s’octroient in fine dans la détermination des préférences sociales ou de l’« intérêt de la collectivité ». Néanmoins, cette publicisation de leur soumission au politique vient aussi accréditer une croyance fondamentale qui participe à la différenciation des univers « politique » et « administratif » : « politics do matter » (Eymeri, 2003, p. 64). C’est cependant en portant le regard sur les usages du savoir économique qu’apparaît plus nettement la relation singulière qui les unit au politique. En effet, devenir l’avocat scientifique de leur institution de rattachement s’impose alors comme une véritable contrainte de rôle et les conduit à participer aux négociations intersectorielles. Ils sont ainsi, de facto, amenés à participer aux luttes qui se déroulent dans l’univers qu’ils qualifient eux-mêmes de… « politique ».
49Pour bien saisir les processus qui participent à l’institutionnalisation de leur présence à l’articulation des sphères politique et administrative, il convient néanmoins d’ouvrir le regard sur les relations qu’ils entretiennent avec l’ensemble des acteurs qui souhaitent concourir au gouvernement des affaires publiques. On cesse ainsi de saisir leurs activités uniquement à travers le double mouvement de fonctionnarisation de la politique ou de politisation de l’administration. L’approche socio-historique de la construction des rôles de ces économistes d’administration montre ainsi que ces acteurs ne se contentent pas, ou pas uniquement, de tracer une frontière les séparant du « politique ». Ils sont également amenés à présenter et définir leurs rôles, et ainsi à délimiter leur territoire d’intervention, en le distinguant des formes d’expertise et domaines appropriés par les autres spécialistes qui prétendent détenir les savoirs du bon gouvernement : les « comptables », les « techniciens », mais également d’autres « économistes ». Le travail à la frontière entre administration et politique apparaît aussi comme un travail sur la frontière à travers lequel ils tentent de légitimer leur « fonction » autant que leur présence.
50Pour conclure, le processus d’institutionnalisation considéré n’apparaît pas comme la simple déclinaison d’un projet de gouvernement rationnel de l’action publique par le savoir économique porté par des élites ou institutions centralistes. Les dispositions des acteurs et les attentes des responsables politiques et administratifs du ministère des Transports retravaillent le rôle de l’économiste d’administration tel qu’il a été promu, antérieurement et parallèlement, par les hauts fonctionnaires modernisateurs du Commissariat général au plan. Si le savoir économique se légitime en partie contre le politique, il est surtout mobilisé dans des luttes intra-bureaucratiques qui opposent un ministère « dépensier » au ministère des Finances, mais aussi le ministre et son Cabinet aux grands Directeurs et, enfin, les administrations centrales aux services locaux. Placé dans une position de « conseiller du prince », l’économiste doit, avant tout, participer au gouvernement de l’administration.
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Mots-clés éditeurs : institutionnalisation, socio-histoire, ingénieurs, expertise, savoirs de gouvernement, économistes, processus de décision, réforme, sociologie de l’administration
Date de mise en ligne : 29/11/2012.
https://doi.org/10.3917/gap.124.0021Notes
-
[1]
Tendance critiquée notamment par Luc Rouban (2002, p. 659).
-
[2]
Assemblée nationale, Compte rendu intégral des séances, Journal Officiel de l’Assemblée nationale, 10 novembre 1960, p. 3579.
-
[3]
Il faut aussi souligner ici le développement de travaux d’histoire de l’administration sur ces acteurs (Rousso, 1987).
-
[4]
Sur le recours aux économistes à des périodes ultérieures dans les domaines de l’agriculture et de l’environnement voir les travaux d’Ève Fouilleux (2003) et de Yannick Rumpala (2003).
-
[5]
C’est essentiellement à travers la collecte d’un matériau de première main que nous avons essayé de saisir ces luttes. Néanmoins, les travaux sur l’histoire de la mobilité nous ont également guidé (Flonneau, Guigeno, 2009).
-
[6]
Il s’agit surtout des archives du SAEI conservées aux Archives nationales à Fontainebleau (ANF). Nous avons aussi dépouillé les sources imprimées détenues aujourd’hui dans un centre de documentation du ministère de l’Écologie, le CRDD. Ce dernier est l’héritier d’un service créé à l’intérieur du SAEI et a conservé un grand nombre de documents d’époque produits par le SAEI mais également par les autres services économiques du ministère. Nous avons également consulté les débats parlementaires relatifs aux projets de budget du ministère des Transports pour la période 1958-1966.
-
[7]
Nous avons souhaité signaler au lecteur quand notre démonstration s’appuyait sur la mobilisation de sources de première main et quand notre réflexion nous amenait à faire référence à des travaux de seconde main. Ainsi, les sources utilisées, même si elles prennent la forme d’articles ou ouvrages, seront indiquées dans les notes de bas de page.
-
[8]
Nous avons essentiellement cherché à interroger des acteurs effectuant des études économiques au sein de l’administration du ministère des Travaux Publics et des Transports et se qualifiant et/ou étant qualifiés d’« économiste » ou d’« ingénieur-économiste » par leurs pairs au cours de la période considérée. Ce type de désignation n’apparaît pas systématiquement dans les documents d’époque. Il est donc difficile d’évaluer avec précision le nombre d’acteurs composant ce groupe. Ce dernier contient au minimum dix-sept personnes et, probablement, vingt à vingt-cinq membres.
-
[9]
La plupart des sources en question ont été recueillies dans le cadre d’une thèse de science politique (Mazoyer, 2011). L’enquête a pu être complétée grâce à une recherche collective financée par l’ANR (09-SSOC-036), projet Resendem « Les grands réseaux techniques en démocratie : innovation, usages et groupes impliqués dans la longue durée ».
-
[10]
Décret n° 60-891 du 12 août 1960, Journal officiel de la République française du 24 août 1960, p. 7866.
-
[11]
Il désigne ainsi, en s’inspirant de Norbert Elias, les entités qui, au sein de l’État, « peuvent légitimement revendiquer “le statut d’organe de coordination et de régulation de l’ensemble des processus issus de la division des fonctions” » (Bezes, 2009, p. 29).
-
[12]
Arrêté du 21 novembre 1960, Journal officiel de la République française du 20 décembre 1960, p. 11467-11468.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Traité instituant une Communauté économique européenne, 25 mars 1957, Titre IV.
-
[15]
Archives historiques de l’Union européenne, Conseil des ministres CEE/CEEA, année 1960, Florence, octobre 2004.
-
[16]
Arrêté du 21 novembre 1960, op. cit.
-
[17]
Assemblée nationale, Compte rendu intégral des séances, Journal Officiel de l’Assemblée nationale, 7 novembre 1961, p. 3941.
-
[18]
Ibid., 20 novembre 1959, p. 2679.
-
[19]
Ibid., 10 novembre 1960, p. 3555. Les attributions du SAEI l’invitent, au final, à manipuler nombre de dossiers considérés aujourd’hui comme « évidemment politiques » par les responsables politiques et administratifs peuplant les sommets de l’État (coordination interministérielle, financement des projets, affaires internationales et européennes…) (Eymeri, 2003, p. 50-53).
-
[20]
Il s’agit d’une prise de note effectuée par un ingénieur des Ponts (qui s’apprête à intégrer le SAEI) lors d’une conversation téléphonique avec Philippe Lacarrière (en passe d’être nommé Chef de ce service). Service central d’études économiques, 1960, archives privées.
-
[21]
Le nom de Roger Coquand ne figure pas dans la liste officielle des membres du cabinet du ministre. Mais plusieurs témoignages concordants attestent pourtant sa présence.
-
[22]
Entretien avec un membre du cabinet de Robert Buron, 11 mai 2009.
-
[23]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 24 février 2011.
-
[24]
Entretien avec l’un des deux IPC en question, 7 octobre 2009.
-
[25]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
-
[26]
Entretien avec un membre du cabinet de Robert Buron, 11 mai 2009.
-
[27]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 5 octobre 2009.
-
[28]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
-
[29]
Ceux de la « division des études » du SAEI, où l’on trouve la plupart des fonctionnaires « économistes », passent de trois à seize agents. Le SAEI comprendra jusqu’à près de deux cents membres en 1974.
-
[30]
Entretien avec un ingénieur-économiste chef du SAEI, 18 décembre 2008.
-
[31]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 24 février 2011. Ces prises de position peuvent surprendre si l’on envisage le parcours ultérieur des acteurs en question et si l’on considère comme un indicateur de la « politisation » des hauts fonctionnaires le passage dans un cabinet ministériel (Rouban, 2002, p. 659). Les acteurs étudiés semblent alors fortement « politisés ». En effet, parmi les quatorze « économistes » du ministère des Transports dont on a pu reconstituer l’intégralité de la trajectoire professionnelle, neuf ont été membres d’un cabinet. Symptomatiquement, c’est le cas des trois premiers ingénieurs-économistes du SAEI. En outre, parmi les cinq acteurs restants, trois ont été par la suite nommés directeur d’administration centrale ou directeur départemental de l’Équipement, soit à des postes qui impliquent des interactions très fréquentes avec les élus.
-
[32]
Voir par exemple le numéro spécial de la revue Politix qui envisage les « politiques d’économisation » comme des configurations « dans lesquelles des logiques économiques se voient promues comme une alternative à des logiques politiques » (Linhardt, Muniesa, 2011, p. 10).
-
[33]
Nous nous efforcerons ici de saisir le « politique » à partir des usages indigènes du terme. Si l’on s’appuyait sur une approche a priori et plus extensive de la notion de « politique », de longs développements pourraient être proposés sur la manière dont les ingénieurs-économistes considérés cherchent, notamment, à représenter différents collectifs sociaux dans leurs études, tels l’« État », la « collectivité », les « usagers », etc. (Mazoyer, 2011).
-
[34]
SAEI, « Note », 1960, ANF 19820034 ART 3.
-
[35]
Notamment des publications spécialisées sur les transports (comme la Revue générale des chemins de fer), des périodiques « économiques » de vulgarisation (Entreprise,…) et des revues dont l’ambition scientifique est plus affirmée (Cahiers du séminaire d’économie du CNRS, La Revue d’économie politique, Économetrica…).
-
[36]
ANF 19820034 ART 3.
-
[37]
SAEI, « Contribution à une théorie de la politique des transports », 1964, ANF 19820034 ART 4.
-
[38]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », Annales des Ponts et Chaussées, 6, novembre 1959, ACRDD 85.
-
[39]
Courrier d’un membre du SAEI au chef du service, 12 avril 1960, archives privées.
-
[40]
SAEI, « Programme d’étude du SAEI », 1964, ANF 19820034 ART 7. Les liens que les ingénieurs-économistes tissent alors avec des économistes universitaires, même s’ils ne sont pas détaillés dans cet article, participent de manière décisive au processus de légitimation d’une « économie des transports » au sein de l’univers académique (Mazoyer, 2011).
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[41]
Âge moyen des quinze acteurs pour lesquels nous disposons des informations adéquates lorsqu’ils sont recrutés à un poste invitant à se spécialiser dans les « études économiques ».
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[42]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 7 octobre 2009.
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[43]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
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[44]
Prise de notes par un pionnier du SAEI d’une conversation avec Philippe Lacarrière, 1960, archives privées.
-
[45]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
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[46]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement dans la croissance économique, thèse pour le doctorat ès sciences économiques, Université de Paris, décembre 1967, ACRDD 3502.
-
[47]
Direction des Routes, Cycles d’études sur la rentabilité des travaux routiers, 1962, ACRDD 5125.
-
[48]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[49]
C. Abraham, « L’étude économique des investissements routiers », Revue économique, 12 (5), 1961, p. 755-780.
-
[50]
« Séminaire d’économie du professeur M. Allais », novembre 1965, ACRDD 43.
-
[51]
Éléments d’économie des transports, Paris, CGPC, janvier 1966, ACRDD 2782.
-
[52]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[53]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[54]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[55]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », art. cité, ACRDD 85.
-
[56]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[57]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[58]
C. Abraham et A. Laure, « Étude des programmes d’investissements routiers », art. cité, ACRDD 85.
-
[59]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[60]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[61]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[62]
Paul Bourrières, L’Économie des transports dans les programmes de développement, Paris, PUF, 1961.
-
[63]
C. Charmeil, Essai sur le rôle de l’investissement…, op. cit., ACRDD 3502.
-
[64]
Ibid.
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[65]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[66]
C. Abraham, « L’étude économique des investissements routiers », art. cité.
-
[67]
Une « hiérarchie de la fonction solidement établie » est selon, Max Weber, une des caractéristiques majeures du type pur de la « direction administrative bureaucratique » (Weber, 1995, p. 294).
-
[68]
DR, Cycles d’études…, op. cit., ACRDD 5125.
-
[69]
Le calcul économique est utilisé pour évaluer la « rentabilité » d’une décision ou d’un programme d’action publique en comparant des « coûts » et des « avantages ». Par extension, le choix entre différentes alternatives se fait en fonction des « taux de rentabilité immédiate » des projets. Sa manipulation suppose notamment la quantification ou la monétarisation des coûts et avantages et le recours à la technique de l’« actualisation » pour estimer la valeur actuelle de résultats futurs.
-
[70]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
-
[71]
Par exemple, le SAEI réalise alors des études économiques sur les projets de canal Rhin-Rhône, de tunnel sous la Manche, de métro lyonnais, de l’électrification des lignes SNCF, du RER parisien, de la modernisation du parc de chemins de fer,…
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[72]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la Direction des Routes (DR), 7 décembre 2009.
-
[73]
Direction des Routes, « Instruction provisoire », 1964, ACRDD 5125.
-
[74]
Voir par exemple : ministère des Travaux Publics et des Transports, Rapport du groupe central de confrontation des coûts de transports par fer et par voie d’eau, 1964, ANF 19820034 ART 7.
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[75]
Courrier électronique d’un ingénieur-économiste de la DR, reçu le 23 avril 2011.
-
[76]
Rapport de la Commission des transports du Ve Plan, 1966, Archives CRDD 775. Cette commission est pilotée par un ingénieur-économiste pionnier (et futur chef) du SAEI.
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[77]
Le ministère des Transports est souvent présenté comme l’un des premiers à avoir généralisé l’usage du calcul économique. Cette technique se répand plus tardivement au ministère des Finances (Bezes, 2009, p. 73-77) et dans nombre de ministères « dépensiers », tel celui de la Santé (Benamouzig, 2005, p. 63).
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[78]
Parmi les dix-sept acteurs dont nous avons pu reconstituer la trajectoire scolaire, dix-sept ont obtenu un diplôme à l’École polytechnique et seize sont également titulaires d’un diplôme de l’ENPC.
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[79]
Cet énarque, avant de devenir Chef du SAEI en 1960, s’efforce dès les années 1950 de valoriser une approche plus « économique » des problèmes de transports urbains (Mazoyer, 2011).
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[80]
P. Lacarrière, « L’équilibre budgétaire », Transports, 102, juin 1965, p. 215-226, ACRDD.
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[81]
Séminaire d’économie du professeur M. Allais, 18 février 1965, ACRDD 44.
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[82]
SAEI et DTT, « Note sur les mesures de coordination des transports », 1963, ACRDD 8906.
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[83]
SAEI, « Note relative à la politique générale des transports », 1963, ANF 19820034 ART 4.
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[84]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, puis du SAEI, 7 décembre 2009. Un des membres du SAEI se souvient : « [un collègue ingénieur] m’avait dit à l’époque “tu es un anarchiste capitaliste” parce que […] je croyais vraiment aux vertus du marché. J’étais pour la liberté des gens à un point qui lui paraissait anarchisant. » Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 8 décembre 2009.
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[85]
Un économiste (universitaire) se définissant clairement comme « libéral » est embauché par la SNCF à la fin des années 1950. Il se souvient d’ailleurs que son responsable, l’économiste en chef de l’entreprise publique Roger Hutter, « ne pouvait pas l’exprimer de manière trop catégorique […] mais était tout à fait acquis aux mêmes idées que moi ». Entretien avec un économiste de la SNCF, Paris 29 septembre 2009. Roger Hutter l’admet à demi-mots en expliquant qu’au sein de la SNCF il « étai[t] un défenseur de l’économie de marché, face aux bloqueurs de quantités de l’après-guerre et aussi face aux bloqueurs de prix. » Hutter R., « Forces et faiblesses de l’économie de marché dans les transports », Transports, mai 1965, p. 178. ACRDD.
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[86]
Communication d’un ingénieur-économiste du SAEI, « Politique des transports inter-régionaux. Rôle de l’ingénieur des Ponts et Chaussées », journée d’études PCM, janvier 1962, archives privées.
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[87]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
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[88]
Les quatre responsables du SAEI entre 1964 et 1978 ont occupé un poste d’ingénieur outre-mer avant d’intégrer un service « économique ». Six des treize ingénieurs-économistes dont nous avons pu reconstituer intégralement la trajectoire professionnelle ont connu un parcours de ce type.
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[89]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009.
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[90]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
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[91]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 16 mars 2010.
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[92]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
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[93]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 17 décembre 2008.
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[94]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 29 octobre 2009.
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[95]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 7 octobre 2009.
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[96]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DPMVN, 18 novembre 2009. Soulignons que l’on retrouve ici une autre source de l’opposition des ingénieurs-économistes à l’approche « comptable » ou « financière ».
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[97]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 12 mai 2009.
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[98]
Entretien avec un ingénieur-économiste du SAEI, 8 décembre 2009.
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[99]
Entretien avec un IPC (responsable du SERC) à la DR, 4 juin 2009.
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[100]
Entretien avec un ingénieur-économiste de la DR, 17 décembre 2008.
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[101]
SAEI, « Présentation du SAEI », 1968, ANF 19820034 ART 164.