Notes
-
[1]
Notons ici qu’il est difficile de considérer les normes et valeurs partagées, autrement dit la culture, au niveau individuel, étant donné qu’il s’agit d’une variable collective.
-
[2]
À noter que cette littérature est essentiellement, voire exclusivement, basée sur des travaux provenant de Suisse alémanique. Or il faut souligner le caractère multiculturel de la Suisse, formée des régions alémanique (environ 2/3 du pays) et latine (français et italien), pour environ 1/3 du pays. De nombreuses analyses montrent que la culture, notamment dans l’administration publique, peut être très différente entre ces régions (par ex. Emery/Giauque, 2012). C’est dire que de parler de « culture managériale suisse » est une forme de simplification de la diversité des cultures suisses.
-
[3]
C’est le nom donné au caractère non-carriériste de nombreuses fonctions politiques et notamment législatives.
-
[4]
Grounded theory.
-
[5]
Même si la situation est plus égalitaire que dans le secteur privé, les femmes ne représenteraient que 13 % des fonctions de cadres dans les administrations cantonales en 2016, selon une étude de la Conférence suisse des Chanceliers d’État [URL : http://www.guidoschilling.ch/upload/2/4254/sr%20public%20sector%202016%20-%20Medienmitteilung.pdf].
1 – Introduction
1Depuis les années 1980, l’idée d’innovation s’est progressivement introduite dans l’agenda des politiques et du management public (Borins, 2006 ; Damanpour et Schneider, 2009), et est devenue un sujet de recherche prégnant (Boukamel et Emery, 2017 ; DeVries, Bekkers et Tummers, 2016 ; Osborne et Brown, 2011a). L’innovation serait un moyen à disposition des responsables politiques et administratifs pour s’adapter aux mutations économiques, sociales et technologiques de la société. Parmi les raisons invoquées dans la littérature, l’innovation permettrait de développer un service public de qualité, de produire de la valeur publique (concept de public value (Rivera León, Simmonds, et Roman, 2012)), d’agir intelligemment et de manière efficiente (« work smarter, not harder » (Albury, 2005)) et de rester un employeur attractif aux yeux des employés publics dont le contrat psychologique a parfois été bouleversé (Emery, 2006 ; Emery et Martin, 2010 ; Lemire et Martel, 2007). Cet élan vers l’innovation est aussi stimulé par des contraintes budgétaires, portées généralement par les nouvelles formes de gestion publique, et en particulier la Nouvelle Gestion Publique (NGP) (Pollitt et Bouckaert, 2011), qui obligent parfois les organisations à réallouer leurs ressources existantes, sinon à en chercher de nouvelles.
2Cela étant, l’imaginaire collectif, mais aussi l’essentiel de la littérature scientifique, attribuent le quasi-monopole de l’innovation au secteur privé ; comme si l’unique rôle de l’administration était celui de créer les conditions favorables pour que les entreprises privées, elles, puissent innover. Pourtant, le secteur public est parfois aussi innovant, voire davantage que le privé (Raipa et Giedrayte, 2014 ; Townsend, 2013). Malgré cela, l’innovation est encore appelée à se généraliser dans l’administration (OCDE, 2015 ; Stewart-Weeks et Kastelle, 2015).
3Toutefois plusieurs obstacles contraignent le développement de la capacité d’innovation des organisations publiques (Raipa et Giedrayte, 2014 ; Taylor, 2018). Des éléments structurels, mais aussi culturels, agissent comme des freins sur les processus d’innovation, peuvent les perturber, et parfois même les faire avorter.
4Malgré la littérature grandissante sur ce sujet, aucune étude n’a été menée, à notre connaissance, sur les freins culturels à l’innovation dans l’administration publique suisse. Ce pays revêt pourtant des caractéristiques culturelles intéressantes. En effet, la culture managériale suisse présente des spécificités regroupées sous l’appellation de « Swiss Way of Management ». (Bergmann, 1994 ; Chevrier, 2009 ; Szabo et al., 2002). Le pragmatisme, la prudence et la recherche du consensus, par exemple, sont des particularités susceptibles d’influencer négativement la capacité d’innovation. Dans le secteur public plus spécifiquement, la culture politico-administrative, marquée notamment par la collégialité et le principe de concordance, n’est a priori pas non plus tournée vers l’innovation (Emery et Giauque, 2012 ; Hablützel, 2013).
5Dès lors, quels sont les freins à l’innovation dans l’administration publique helvétique ? Sont-ils les même que ceux relevés dans la littérature internationale ? Y a-t-il des particularités culturelles qui poussent les acteurs publics à appréhender l’innovation d’une autre manière ? Et quelle est la place des cultures publiques suisses, plurielles (Emery et Giauque, 2012), dans l’analyse des freins à l’innovation ? Telles sont les principales questions de recherche que pose le présent article.
6À la suite d’une revue de la littérature sur l’innovation publique et ses freins culturels (partie 2), nous détaillerons notre méthode (3), présenterons (4) et discuterons (5) les résultats de notre analyse. Enfin, nous proposerons de nouvelles pistes de recherche sur les freins culturels à l’innovation publique, de manière plus générale (6).
2 – Revue de littérature
7Cette revue de littérature est organisée en entonnoir, partant du plus général pour aller vers le plus spécifique. En guise d’introduction, nous abordons brièvement le concept d’innovation publique et ses enjeux (partie 2.1). Ensuite, nous nous penchons sur les antécédents des processus d’innovation, c’est-à-dire les facteurs qui agissent positivement ou négativement sur leur lancement et leur déroulé (2.2). La troisième partie de cette revue s’intéresse plus particulièrement aux freins culturels à l’innovation publique, qui constituent des antécédents particuliers (2.3). Enfin, nous présentons une revue des éléments de la culture administrative suisse qui présentent, a priori, un lien avec la capacité d’innovation des organisations publiques (2.4) et qui suggère l’idée à la base de cet article, selon laquelle la Suisse aurait des particularités en matière de freins culturels à l’innovation.
2.1 – L’innovation publique : un concept sibyllin et encore peu exploré
8Même si la conception économique, voire technologique de l’innovation semble primer dans la littérature, il existe de nombreuses autres compréhensions du terme. Et pour cause : le concept est désirable (Berkun, 2010 ; Bouglé, 1922 ; Gaglio, 2011 ; Godin, 2014, 2015), son appréhension en tant que champ d’étude per se est jeune (Fagerberg et Verspagen, 2009), et les disciplines qui s’y intéressent sont légion (Damanpour et Schneider, 2006). L’OCDE défini l’innovation comme : « La mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. » (OECD/ Eurostat, 2005, p. 54). D’autres tentatives de définition de l’innovation ont été proposées. Pour certains auteurs un projet est innovant uniquement s’il se solde par un succès Barnu (2010). Pour d’autres l’innovation est subjective (Godin, 2015 ; Rogers, 2003 ; Zaltman, Duncan, et Holbeck, 1973), et dépend de la perception des adopters. Cette myriade de définitions sert de toile de fond à une large littérature empirique sur l’innovation dans le secteur privé (Perks et Roberts, 2013).
9Pour l’innovation dans le secteur public, la situation est bien différente : plusieurs auteurs déplorent le manque de vision intégrée autour de cet objet d’étude (DeVries et al., 2016 ; Gieske, van Buuren, et Bekkers, 2016). En fait, la connaissance sur l’innovation dans les organisations publiques s’est construite sur les bases de la littérature du privé (Salge et Vera, 2012), et peine à s’émanciper pour devenir une thématique spécifique, et autonome (Kattel, Cepilovs, Kalvet, Lember, et Tonurist, 2016), étudiée en lien avec l’amélioration des services publics (Damanpour et Schneider, 2009). Pour ces raisons notamment, il n’y a toujours pas à ce jour de définition solide de l’innovation publique (Daglio, Gerson, & Kitchen, 2015 ; De Vries et al., 2016). Les définitions couramment utilisées sont très hétérogènes, de la plus large (l’innovation publique est une amélioration continue des politiques et des prestations publiques), à la plus radicale (l’innovation est une rupture avec le passé) (Behn, 2010 ; Osborne et Brown, 2011a). Cette dernière approche insiste sur le caractère nouveau d’une innovation, mais sans toujours pouvoir définir la nouveauté.
10Certaines définitions proposent de considérer un changement comme innovant s’il est nouveau pour l’organisation qui l’adopte, à l’image de la définition du concept général d’innovation (Bhatti, Olsen, et Pedersen, 2010 ; Borins, 2000 ; J. L. Walker, 1969). D’autres auteurs relativisent le caractère objectif de la nouveauté, et proposent de se baser sur la nouveauté perçue par les usagers concernés (Damanpour, 1991 ; Rogers, 2003 ; Salge et Vera, 2012).
11Une multitude de définitions existent donc, de la plus large à la plus restrictive, de l’universelle à la spécifiquement publique, sans s’accorder sur une conceptualisation commune.
12La conduite d’une recherche sur l’innovation publique ne peut négliger les spécificités liées à ce secteur. Les organisations publiques disposent de frontières bien plus poreuses à leur environnement que les entreprises privées. Par ailleurs, elles ne se font pas, a priori tout au moins, concurrence entre elles : l’innovation publique est ainsi une innovation ouverte (open innovation) (Chesbrough, 2003) pour laquelle « le contenu, le déroulement et les résultats du processus d’innovation [sont] le résultat d’interactions complexes entre des antécédents, des ressources et des acteurs intra-organisationnels et des antécédents, des ressources et des acteurs externes. » (De Vries et al., 2016, p. 147).
2.2 – Les antécédents de l’innovation publique
13L’innovation est une construction complexe et multidimensionnelle (Boukamel, 2017 ; Damanpour et Aravind, 2011). C’est pourquoi ses processus sont influencés par de nombreux facteurs environnementaux, par les caractéristiques de l’organisation et celles des individus et des équipes qui la composent (Damanpour et Aravind, 2011 ; Damanpour et Schneider, 2009). Ces antécédents freinent ou catalysent les processus d’innovation, et constituent donc des contraintes ou des atouts pour l’organisation qui souhaite innover.
14Plusieurs familles d’antécédents, autres que les antécédents liés aux caractéristiques même de l’innovation, ressortent de la littérature (Bekkers, Tummers, et Vooberg, 2013 ; DeVries et al., 2016 ; Vigoda-Gadot et Meiri, 2008 ; Vigoda-Gadot, Shoham, Schwabsky, et Ruvio, 2005).
15La première de ces familles concerne l’environnement, le contexte extra-organisationnel, le champ institutionnel. Elle est particulièrement importante entendu que les innovations publiques s’inscrivent dans un espace bien plus large que les frontières organisationnelles (Touati, Denis, Grenier, et Smits, 2016). Le mécanisme par lequel les organisations d’un même champ tendent à converger en termes de cultures, structures et produits, et donc à adopter les mêmes types d’innovations, est nommé isomorphisme institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983, 1991). L’isomorphisme peut être mimétique, coercitif ou normatif selon s’il découle d’une imitation des pratiques et valeurs en vigueur dans les autres organisations du champ, s’il est imposé sous la contrainte par un tiers, ou s’il émane des règles informelles en construction dans le réseau. DeVries et al. (2016) montrent que la plupart des recherches effectuées sur les antécédents environnementaux se rattachent à cette théorie. Sur les 181 papiers retenus dans leur revue de littérature, 29 % retiennent les pressions environnementales (demandes politiques, médiatiques, etc.), 27 % la participation à des réseaux inter-organisationnels, 16 % la réglementation, 10 % le mimétisme d’autres organisations similaires, 6 % la compétition avec d’autres organisations et enfin 12 % mobilisent d’autres types d’antécédents.
16Le deuxième type d’antécédents a trait au niveau organisationnel. Dans 22 % des cas, les recherches sélectionnées par DeVries et al. (2016) soulignent la disponibilité des ressources (budget, temps, outils) ; 21 % le type de leadership, 18 % le couple rapport au risque/climat d’apprentissage, 16 % le système d’incitation, 8 % la présence de conflits, 8 % la structure organisationnelle et 7 % d’autres antécédents organisationnels.
17Enfin, la littérature identifie des antécédents en rapport avec le niveau individuel. Parmi ces études, 20 % soulignent l’importance de l’autonomie de l’employé, 19 % la position dans l’organisation, 11 % la créativité (regroupant ici la capacité de prendre des risques et celle de résoudre les problèmes), alors que seulement 4 % se concentrent sur l’acceptation de l’innovation et 4 % sur les normes et valeurs partagées [1].
2.3 – L’importance des freins culturels
18Les antécédents sont appelés freins ou leviers lorsque ceux-ci agissent sur l’innovation, respectivement en contraignant ou en facilitant ses processus. La revue de littérature permet de distinguer deux types de freins et leviers « universels » (autrement dit non spécifiques à une aire culturelle particulière) : les freins et leviers liés à la structure des organisations publiques et de leur écosystème administratif (par ex. les réseaux d’acteurs (Lewis et Ricard, 2014), la réglementation, ou la rigidité hiérarchique) et ceux qui sont liés à leur culture (Büschgens, Bausch, et Balkin, 2013). C’est le cas par exemple du rapport à la prise de risque ou de l’ouverture d’esprit envers la nouveauté et l’incertitude (Flemig, Osborne, et Kinder, 2016 ; Osborne et Brown, 2011b).
19Les liens entre la culture et les processus d’innovation ont fait l’objet de nombreuses recherches ces dernières décennies, notamment au sein d’une littérature managériale majoritairement focalisée sur le secteur privé (Schedler et Proeller, 2007). Dans cette littérature, la culture est, à de nombreux égards, considérée comme une variable déterminante pour la capacité d’innovation d’une organisation (Büschgens et al., 2013). Après avoir esquissé les contours conceptuels de la culture, nous développons dans cette sous-partie les principaux freins culturels identifiés dans la littérature, et plus particulièrement dans la littérature sur le secteur public.
20La culture est souvent définie comme l’ensemble des valeurs, normes, comportements, règles et symboles que partagent un groupe social spécifique (Jann, 2000 cité par Schedller & Proeller, 2007). Étant donné que les membres d’une organisation appartiennent à plusieurs groupes et sous-groupes sociaux, l’organisation est traversée par une myriade de cultures (ou sous-cultures) d’intensité variable et ancrés à plusieurs niveaux (Schein, 2004). Bouckaert (2007) propose de distinguer quatre niveaux de culture, illustrés dans la Figure 1 :
- La culture Macro (qui comprend selon Bouckaert (2007) les contextes de civilisation, de nations, de temps, de lieu et de structure).
- La culture Méso (incluant la profession ou la corporation et l’administration en tant qu’institution).
- La culture Micro (c’est-à-dire la culture d’une organisation, ou « culture organisationnelle »).
- La culture Nano (qui désigne les sous-cultures présentes aux niveaux du bureau, du couloir, ou de l’équipe).
Représentation de l’imbrication des cultures
Représentation de l’imbrication des cultures
21Comme nous explorons, dans la présente étude, les freins culturels à l’innovation dans l’administration publique suisse, les niveaux de cultures qui sont analysés sont d’ordre macro- (Suisse / Suisse romande) et méso- (administration publique) (voir Figure 1). Les niveaux micro- et nano- ne sont concernés.
22Dans leur méta-revue, Büschgens et al. (2013) tentent de cartographier les « valeurs » (autrement dit les traits culturels) qui ont un lien avec les processus d’innovation. Ils montrent que la littérature est extrêmement hétérogène dans sa manière d’aborder ce lien. Tandis que certains auteurs parlent de « culture de l’innovation » de manière globale, d’autres s’arrêtent sur des traits culturels bien spécifiques (comme par exemple la tendance à favoriser des prises de décision participatives) (Büschgens et al., 2013).
23Parmi tous ces traits culturels, certains contraignent les processus d’innovation. C’est cela que nous nommons les freins culturels.
24Un corpus de plus d’une vingtaine d’articles empiriques, théoriques, et d’ouvrages « clés » (cf. Tableau 1) rédigés durant les quinze dernières années et sélectionnés dans la littérature internationale traitant de la culture dans les organisations publiques, nous a permis de lister les freins culturels « universels » à l’innovation dans l’administration publique. Ce tableau (1) différencie la littérature générique ou basée sur le secteur privé d’une part, et la littérature spécifiquement focalisée sur les organisations publiques d’autre part. Cette liste de freins a été synthétisée en grandes familles qui peuvent être résumées ainsi :
- Une aversion au risque. L’aversion au risque est beaucoup développée dans la littérature internationale. Elle désigne une perception négative et une peur du risque, de manière générale. Elle peut toucher tous les niveaux, à l’intérieur de l’organisation publique, comme en dehors, comme ses usagers, qui peuvent s’opposer à ce que leur administration prenne des risques.
- Un faible engagement pour l’apprentissage. Ce frein contraint l’innovation quand les acteurs ne sont pas tournés vers l’expérimentation et « l’envie » d’apprendre.
- Une faible ouverture aux nouvelles idées, accompagnée d’une rigidité dans la recherche de solutions. Lorsqu’ils sont soumis à ce trait culturel, les acteurs puisent presque exclusivement dans le répertoire de solutions existantes au moment de prendre des décisions. Ce comportement rappelle le concept de dépendance au sentier.
- Des traits culturels qui entretiennent une rigidité horizontale (entre fonctions et institutions de même niveau). Ce trait regroupe un faible esprit de coopération entre entités ou fonctions de même niveau, une faible fluidité de l’information, un faible esprit d’équipe, un fonctionnement en silo et un cloisonnement institutionnel.
- Des traits culturels qui entretiennent une rigidité verticale (entre les différents niveaux hiérarchiques). La littérature décrit ce trait culturel par la présence d’une grande distance de pouvoir (power distance), d’une tradition légaliste, bureaucratique, ou de contrôle ; souvent accompagné d’une faible autonomie des employés. Cette caractéristique freine le passage des idées et de l’information entre les niveaux hiérarchiques.
- Une faible valorisation du succès et une sanction négative de l’échec. Ce frein est lié à l’aversion au risque, comme nous allons le voir. Il est principalement incarné dans la présence de sanctions formelles ou informelles (des usagers, des instances de contrôle, des politiques, ou encore des directions administratives) pour les acteurs qui échouent. Le coût individuel de l’échec n’est pas compensé par le potentiel bénéfice (formel ou informel) de la réussite, ce qui peut empêcher les acteurs de s’associer aux processus d’innovation.
- Une orientation performance et une vision à courtterme. Certaines pratiques managériales orientées performance traduisent une « culture du chiffre » et une vision à court-terme peu propice à l’innovation qui requiert de libérer du temps et de lâcher du lest (organizational slack).
Revue des freins culturels à l’innovation dans la littérature internationale (freins universels)
FAMILLE DE FREINS CULTURELS | LITTÉRATURE SECTEUR PRIVÉ | LITTÉRATURE SECTEUR PUBLIC |
---|---|---|
1. Risque | Caldwell et O’Reilly, 2003 ; Cooper, Edgett et Kleinschmidt, 2004 ; McDonald, 2002 | Albury, 2005 ; Brown et Osborne, 2013 ; Flemig et al., 2016 ; Glor, 2003 ; Koch et Hauknes, 2005 ; Moussa, McMurray et Muenjohn, 2018 ; Osborne et Brown, 2011 ; Raipa et Giedrayte, 2014 ; Taylor, 2018 ; Townsend, 2013 ; Wynen, Verhoest, Ongaro, van Thiel et COBRA-network., 2014 |
2. Apprentissage | Calantone, Cavusgil et Zhao, 2002 ; Giniunienea et Jurksieneb, 2015 ; McLaughlin, Osborne et Ferlie, 2002 | Choi et Chandler, 2015 ; Cinar et Eren, 2015 ; Hansson, Norn et Vad, 2014 ; Kinder, 2012 ; Salge et Vera, 2012 ; R. M. Walker, 2014 ; Wynen et al., 2014 |
3. Ouverture et flexibilité | Hogan et Coote, 2013 | Wynen et al., 2014 |
4. Rigidité horizontale | Brettel et Cleven, 2011 ; Caldwell et O’Reilly, 2003 | Damanpour et Schneider, 2009 ; Lewis et Ricard, 2014 ; Moussa et al., 2018 ; Taylor, 2018 |
5. Rigidité verticale | Peretz, Levi et Fried, 2015 | Bekkers et al., 2013 ; Demircioglu et Audretsch, 2017 ; Koch et Hauknes, 2005 ; Moussa et al., 2018 ; Raipa et Giedrayte, 2014 ; Rivera León et al., 2012 ; Taylor, 2018 ; Townsend, 2013 |
6. Succès et échecs | Gumusluoglu et Ilsev, 2009 | Albury, 2005 ; Demircioglu et Audretsch, 2017 ; Koch et Hauknes, 2005 ; Moussa et al., 2018 ; Townsend, 2013 |
7. Orientation court- terme et performance | Bekkers et al., 2013 ; Rosenblatt, 2011 |
Revue des freins culturels à l’innovation dans la littérature internationale (freins universels)
25Cette revue de littérature met en exergue deux éléments importants. Tout d’abord, les traits culturels qui freinent l’innovation publique sont difficilement dissociables les uns des autres et ils peuvent désigner des comportements connexes. C’est le cas, par exemple, de l’aversion au risque et de la propension à sanctionner négativement les échecs. Deuxièmement, il est intéressant de relever que la littérature sur les freins culturels à l’innovation est très majoritairement anglo-saxonne, ou tout du moins anglophone. Or, la culture est par définition idiosyncrasique et propre à chaque contexte. Cet argument renforce la pertinence de notre recherche, dont l’originalité se situe dans la cartographie des traits culturels à un endroit précis, la Suisse romande ; permettant de relativiser la transposabilité de ces freins culturels à l’innovation publique.
2.4 – Les cultures managériale et administrative suisses et l’innovation
2.4.1 – La culture managériale suisse
26La culture managériale suisse présente des singularités intéressantes regroupées sous l’appellation de « Swiss Way of Management ». (Bergmann, 1994 ; Chevrier, 2009 ; Szabo et al., 2002) [2]. En tant que traits culturels, et à la lumière des idées de la section précédente, ces spécificités sont susceptibles d’influencer la capacité des organisations publiques à innover. Dans le secteur public plus spécifiquement, la culture politico-administrative entre autres, ne semble a priori pas tournée vers l’innovation (Emery et Giauque, 2012 ; Hablützel, 2013). Quelles sont les caractéristiques culturelles suisses et publiques, susceptibles d’influencer la capacité d’innovation ? À l’instar du Tableau 1 qui regroupe les freins culturels « universels » ou « internationaux », le Tableau 2 synthétise les singularités suisses issues des principaux ouvrages ou articles ayant traité de la culture managériale suisse et qui seraient susceptibles d’influencer les processus d’innovation. En substance, plusieurs traits culturels susceptibles d’influencer la capacité d’innovation des organisations (voir partie 2.3) ressortent de ces études :
- Une distance de pouvoir (power distance) relativement forte (cette idée revient dans tous les travaux sauf dans ceux de Hostfede (1984)).
- Une prudence marquée et une grande aversion à l’incertitude.
- Un individualisme relativement fort (sauf pour Szabo et al. (2002)).
- Une forte « masculinité » au sens de Hostfede (1984), c’est-à-dire une propension à valoriser des valeurs de compétition, d’ambition et de domination, au détriment de valeurs traditionnellement associées au « féminin », telles que les relations interpersonnelles et la qualité de vie.
- Un sens du consensus et du compromis.
Synthèse des éléments culturels suisses relevés dans la littérature et ayant un lien potentiel avec la capacité d’innovation
Synthèse des éléments culturels suisses relevés dans la littérature et ayant un lien potentiel avec la capacité d’innovation
27D’autres éléments tels que le sens de la mesure, le perfectionnisme, le pragmatisme ou encore l’orientation vers la performance ressortent plus isolément de quelques études.
28Ces études présentent bien sûr quelques limites. Elles se heurtent, entre autres, aux difficultés de « mesurer » la culture, mais également à la pluralité des cultures présentes en Suisse (Emery et Giauque, 2012). De plus, elles se concentrent sur le management des entreprises privées et négligent, par conséquent, les spécificités culturelles méso de l’administration publique.
2.4.2 – La culture administrative
29Pourtant, la culture politico-administrative suisse présente des caractéristiques marquées. En voulant expliquer la mutation des rôles dans l’administration publique suisse, Hablützel (2013, p. 83) rappelle que « le système politique suisse se distingue de celui d’autres pays par son fédéralisme affirmé, la démocratie directe, la concordance, la collégialité et son système de milice [3] ». Ces caractéristiques institutionnelles et légales sont liées aux cultures présentes en Suisse (Emery et Giauque, 2012) et jouent un rôle important sur la manière dont l’administration perçoit son environnement et se perçoit elle-même (Hablützel, 2013). Le lien entre ces caractéristiques culturelles et institutionnelles, et la capacité d’innovation des administrations est tout à fait envisageable, même s’il semble qu’aucune étude sur cette relation n’existe à ce jour.
3 – Méthode et données
30Pour cette étude, nous avons mobilisé la méthodologie de la théorie enracinée [4] (Glaser et Strauss, 1967 ; Strauss et Corbin, 1997, 1998, 2004), approche qualitative et inductive adaptée à l’analyse des phénomènes pour lesquels la connaissance est encore peu développée. En tant qu’approche inductive, la théorie enracinée prescrit « d’oublier » la théorie lors des phases d’observation et de restitution des résultats, afin de ne pas induire l’interprétation des résultats vers la théorie préexistante. Ce n’est qu’après cette restitution brute que les résultats peuvent être discutés à la lumière de la littérature.
31Une série d’entretiens exploratoires semi-structurés (quinze) avec des cadres de la fonction publique suisse romande, ainsi qu’avec des chefs de projet, a été réalisée. L’objectif était de mettre en lumière les freins culturels à l’innovation qu’ils ont rencontrés dans leurs expériences d’innovation respectives.
32Nous ne souhaitions pas induire les interviewés vers les aspects culturels, mais plutôt extraire ces aspects de leur discours. C’est pourquoi nous n’avons pas explicitement introduit cette notion lors des entretiens ni lors de la prise de contact, où nous présentions simplement notre démarche comme une « exploration des mécanismes de l’innovation publique ». Une autre précaution consistait à déconstruire avec les interviewés le concept particulièrement désirable d’innovation (Berkun, 2010) avant d’entamer la discussion. Pour ce faire, le guide d’entretien commençait par explorer la définition que donnent les interviewés de l’innovation publique (« Pour vous, qu’est-ce que l’innovation publique ? »). Nous nous concentrions ensuite sur les expériences personnelles des interviewés (« avez-vous participé à des projets d’innovation ? ») et sur les écueils qu’ils ont rencontrés (par ex. : « A quelles difficultés avez-vous été confronté ? »), pour pro gres si vement monter en généralité sur les freins à l’innovation (par ex. : « De manière générale, quels sont les freins à l’innovation ? »). Pour chacun des freins cités par nos interviewés, nous demandions si, selon eux, ce frein était particulièrement présent en Suisse, puis dans le secteur public. Par ce biais, nous nous concentrions sur les freins de type macro- et méso- (objectif de la recherche), laissant de côté les freins micro- et nano-, c’est-à-dire ceux liés à l’organisation et à l’équipe de l’interviewé.
33Afin d’éviter le biais d’une variable omise, nous avons maximisé la diversité des profils des répondants. Nos interviewés sont donc des cadres supérieurs et intermédiaires, ou des chefs de projet, d’organisations publiques et parapubliques de taille variable (de 4 à 30’000 collaborateurs), basées dans les cantons de Genève et de Vaud, ayant des missions différentes et évoluant dans des secteurs distincts (voir Tableau 3). Les entretiens, d’une durée d’une heure environ (de 45 minutes à 1h15), ont été conduits selon une approche inductive et n’ont pris fin qu’à saturation des arguments rencontrés (Strauss et Corbin, 1997, 1998). Les entretiens ont ensuite été retranscrits et codés à l’aide du logiciel Nvivo® afin d’analyser les discours des personnes rencontrées.
Profils et organisations d’appartenance des répondants
Profils et organisations d’appartenance des répondants
34Le codage s’est effectué en trois temps. Une première phase a consisté à créer des nœuds libres regroupant les extraits d’entretiens par thèmes (avec un nœud libre regroupant tous les arguments énonçant des freins à l’innovation, mais également d’autres nœuds libres complémentaires portant sur la genèse d’une innovation, les spécificités publiques, les spécificités suisses, etc.). Dans une seconde phase, le contenu de ces nœuds libres a été catégorisé en sous-nœuds cohérents. Par exemple, le nœud « freins à l’innovation », qui nous intéresse particulièrement, a été codé en six sous-nœuds : les freins culturels, structurels, politiques, les freins liés au manque de ressources, ceux associés à la sur-personnification des projets, et les freins liés à la complexité technique. Dans un troisième temps, nous avons procédé à un codage plus fin encore, catégorisant le contenu de ce qui apparaissait dans le sous-nœud « freins culturels ». Le contenu de ce dernier sous-nœud, puisqu’il cartographie les freins culturels à l’innovation publique en Suisse romande, est le résultat de cette recherche (partie 4).
4 – Résultats
35De nombreux freins à l’innovation ressortent explicitement des entretiens. Certains freins ont été clairement identifiés comme tels par les répondants, alors que d’autres, plus implicites, ressortent en filigrane des discours. Sur les vingt-huit freins à l’innovation relevés (nombre d’arguments différents contenus dans le nœud libre « freins à l’innovation publique »), quatorze sont directement d’ordre culturel, six d’ordre politique, six structurels et deux sont liés au manque de ressource. La culture semble donc primordiale.
36Ce chapitre présente nos principaux résultats en suivant la logique suivante : tout d’abord, nous présenterons l’ensemble des freins culturels relevés à travers ces entretiens, regroupés en grandes familles (section 4.1) à la suite du troisième codage décrit dans la partie méthode. Ensuite, nous restituerons la perception des répondants sur les spécificités en termes de freins à l’innovation publique en Suisses (section 4.2) puis dans le secteur public suisse (section 4.3).
4.1 – Aperçu de l’ensemble des freins
37Cette partie regroupe tous les freins culturels à l’innovation publique observés à travers les entretiens et rassemblés en cinq grandes familles (sous-nœuds).
4.1.1 – L’aversion au risque et le coût individuel de l’échec
38Le frein culturel le plus fréquemment relevé est celui de l’aversion au risque. Les changements apportés par une innovation sont accompagnés d’une incertitude quant au futur. Innover c’est prendre un risque pour l’organisation mais aussi pour l’individu. En effet, il ressort de nos résultats une forme d’individualisation dans la prise de risque : « parce que c’est une prise de risque pour soi-même. Donc on ne le fait pas. ». Le risque ne serait pas celui d’un éventuel préjudice pour l’organisation mais plutôt de voir l’innovateur individuellement sanctionné en cas d’échec : « aujourd’hui vous tentez quelque chose, si vous échouez, vous êtes sanctionné ». Cette « sanction » mentionnée se traduit souvent par une marginalisation de l’individu. En parallèle, la réussite ne serait que rarement récompensée : « Le risque n’est jamais récompensé par contre il sera toujours sanctionné s’il s’avère être une prise de risque contre-productive. On sanctionne mais on ne récompense jamais. » En résumé, l’organisation sanctionne mais ne récompense pas les individus qui prennent des risques, c’est pourquoi le coût (perçu et anticipé) de l’échec est trop élevé et l’innovation subit ainsi un blocage, souvent dès le départ.
4.1.2 – La perception de la légitimité du changement : « puisqu’on a toujours fait comme ça »
39La deuxième famille de freins à l’innovation est liée au sentiment d’illégitimité de l’innovation par les membres d’une organisation. Cette illégitimité s’explique pour trois raisons : la (non-)perception du besoin d’innover, la (non-)perception de la teneur en nouveauté d’une innovation et la (non-)perception de l’utilité de cette nouveauté. La première raison, la (non-)perception du besoin d’innover, soulève l’idée que le besoin d’innover pour une organisation n’est pas perçu de la même manière par tout le monde. Certains répondants expliquent que : « […] on a besoin d’innover si on sent qu’on rencontre des difficultés dans l’avancement des projets, dans le développement. Mais moi je pense qu’aujourd’hui on ne rencontre pas trop [de difficultés]. » Le deuxième élément, la (non-)perception de la nouveauté se rapporte à « la mécompréhension de ce que c’est », du contenu de l’innovation. Le troisième, la (non-) perception de l’utilité, souligne la perception que les acteurs ont du progrès que cette innovation apporte, par rapport au statu quo : « on a toujours fait comme ça parce que, bah voilà, on n’est pas dans une [organisation] soumise à des rythmes de changements importants ». Cette idée que l’innovation est illégitime ou inutile peut entraîner des stratégies de résistance dans l’organisation et agir, subséquemment, comme un frein éventuellement maquillé derrière d’autres raisons. Un interviewé explique qu’« On va passer des heures à vous expliquer pourquoi du point de vue budgétaire ça marche pas. Alors que dans le fond on n’a juste pas envie. »
4.1.3 – La hiérarchie et l’autonomie limitée
40Une troisième famille de freins culturels, – dont les frontières avec les freins structurels sont poreuses – ressort : c’est celui des contraintes que la hiérarchie et le management exercent sur l’autonomie et la prise d’initiative des collaborateurs. Les collaborateurs « sont souvent bloqués par ceux qui de toute façon à chaque fois qu’il y en a un qui a une idée qui pourrait être un petit peu intéressante la [mettent de côté] ». Cela a notamment un effet négatif sur la « marge de manœuvre » et la « créativité », qui sont des conditions à l’émergence d’idées innovantes : « un management moins orienté sur le développement, plus orienté sur le cadrage, sur les procédures, qui va être moins propice, je pense, à l’innovation parce qu’on va mettre la personne un peu plus dans un schéma standardisé qui ne va pas stimuler sa créativité ».
4.1.4 – Recherche du consensus et évitement du conflit
41La tendance à chercher le consensus, décrit comme « une culture plus consensuelle, plus de recherche de consensus, de stabilité », peut freiner les processus d’innovation. Il semble que cette tendance à chercher le consensus, énoncée par tous types d’acteurs, agisse comme un modérateur vidant l’innovation de sa substance polémique tout au long de son processus, et donc potentiellement de sa teneur en nouveauté : « il y a une auto censure, parce qu’on veut que le projet il passe, on veut que le projet avance. Donc finalement on va modérer. » L’innovation est donc petit à petit « bridée mais de manière volontaire et de manière pragmatique. ». La recherche du consensus est un frein à proprement parler : elle n’agit pas sur l’impulsion mais sur l’élan des innovations.
4.1.5 – Discrétion et anonymat
42Plusieurs répondants partagent l’idée selon laquelle une innovation devrait être portée par une personne providentielle, un « fou génial ». Le rôle de cette personne est double : remettre en question les pratiques établies (« mais pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas faire ça comme ça ? ») et impulser le changement : « à un moment je pense qu’il y a une personne qui doit déclencher l’innovation ». Or il semble que la personnification et « l’audace » soient mal vues et sanctionnées : « s’il y a une tête qui dépasse, on la coupe ». Un autre répondant développe : « pour pas prêter le flanc à la critique il ne faut pas sortir du bois, il ne faut pas faire des choses brillantes ». Il semble donc que la culture de la discrétion et de la non personnification des projets, l’anonymat, soient des freins à l’innovation.
4.2 – Les spécificités suisses selon les répondants
43Parmi les freins relevés dans la partie précédente, un seul a été identifié par les répondants comme étant particulièrement présent dans la « culture suisse », c’est celui de l’aversion au risque. Le fait que le risque soit sanctionné est souvent présenté comme un phénomène culturel plus prégnant en Suisse que dans d’autres cultures, et notamment en comparaison au monde anglo-saxon. Un répondant explique qu’« en Suisse on a tellement ancré ça chez nous que les gens respectables sont les gens sérieux, les gens sérieux ils pensent à trois fois avant d’entreprendre quelque chose et puis ils ne peuvent que réussir après y avoir pensé trois fois. Donc les gens qui échouent c’est des gens pas sérieux, qui n’ont pas réfléchi et puis qui ont pris des risques inconsidérés. ». À part ce point, la Suisse ne présente pas de frein particulièrement actif, selon nos répondants. L’administration publique à l’inverse, montre plus de spécificités.
4.3 – Les spécificités publiques suisses selon les répondants
44Les répondants insistent sur l’importance dans le secteur public, de quatre types de freins identifiés dans la section 4.1 : l’aversion au risque, la mauvaise perception du changement, la recherche de consensus et la discrétion. En plus d’être identifiée comme une étant particulièrement forte dans la culture nationale, l’aversion au risque est également soulignée dans la culture administrative : « Dans le secteur public, la prise de risque elle est toujours sanctionnée. À la limite vous êtes audacieux : vous êtes dangereux ». La mauvaise perception ou l’illégitimité du changement est également un frein qui serait fort dans la culture administrative suisse. Selon un répondant, « une administration c’est fait pour fonctionner quoi ce n’est pas pour faire… [silence, sous-entendu : n’importe quoi] ». La recherche du consensus est le troisième frein associé à la culture administrative suisse, bien que cette caractéristique soit davantage associée aux politiciens : « dans le canton il y a une autocensure pour rendre le projet politiquement acceptable ». Enfin, la volonté de discrétion et la non-personnification des projets revêtiraient surtout un caractère public selon nos répondants.
45Pour conclure, nous avons observé quatorze freins culturels à travers nos entretiens que nous avons rassemblés en cinq grandes familles. La perception des répondants nous a permis de pondérer ces freins en fonction de leur importance dans les cultures suisse et administrative. La partie suivante permet de discuter ces observations à la lumière de la littérature mobilisée.
5 – Discussion
5.1 – Prolongements et ruptures avec la littérature sur les freins
46Plusieurs éléments soulevés par la littérature sur les freins culturels à l’innovation (résumés dans le Tableau 1) se retrouvent dans notre analyse (partie 4). Le Tableau 4 résume graphiquement les trois types de situations possibles : les freins culturels qui se retrouvent à la fois dans la littérature et dans nos observations, les freins soulevés dans la littérature et non observés ici, et les freins nouveaux, inexistants dans la littérature mais pourtant bien observés dans nos résultats.
Similitudes et différences des freins relevés par notre recherche, avec la littérature couverte
Similitudes et différences des freins relevés par notre recherche, avec la littérature couverte
47Les similitudes avec la littérature sont claires, notamment en ce qui concerne l’aversion au risque (Brown et Osborne, 2013 ; Flemig et al., 2016 ; Osborne et Brown, 2011b ; Townsend, 2013 ; Wynen et al., 2014). Notre analyse montre par ailleurs que ce frein est fortement associé à la peur du risque et la sanction de l’échec. On peut entendre par exemple : « ils ont échoué et puis ça on ne pardonne pas » ou encore, « Parce qu’on n’a pas le temps, parce qu’on n’a pas les moyens, parce que c’est une prise de risque pour soi-même. Donc on ne le fait pas. ». Comme nous l’avons vu, il semblerait que la peur du risque soit en partie expliquée par la peur de la sanction (formelle ou informelle) négative de l’échec pour les individus. Ce constat va dans le sens de Klein, Mahoney, McGahan, et Pitelis (2010) et plus tard d’Osborne et Brown (2011b) qui développent l’idée selon laquelle la prise de risque est plus compliquée dans le secteur public, car si les succès engendrent des bénéfices pour toute la collectivité, les échecs endommagent surtout les intérêts individuels de l’entrepreneur.
48D’autres similitudes entre la littérature et nos résultats apparaissent, notamment dans le phénomène du « puisqu’on a toujours fait comme ça » qui s’apparente au concept de dépendance au sentier (Sydow, Schreyögg, et Koch, 2009). Cette dépendance au sentier cantonne toutes les actions et interactions de l’organisation à un répertoire limité, et elle est, ou sera progressivement, défavorable à l’apprentissage et à l’ouverture vers les idées nouvelles et donc un frein à l’innovation comme le montrent Wynen et al. (2014).
49Enfin, notre analyse confirme la littérature sur les traits culturels alimentant une certaine rigidité verticale, et notamment via le poids de la hiérarchie et la faible autonomie des employés (Rivera Leçon et al., 2012).
50Le Tableau 4 montre également que certains freins évoqués dans la littérature sont absents de nos observations. C’est le cas notamment des traits culturels qui entretiennent une rigidité horizontale (faible esprit de coopération, faible fluidité de l’information, faible esprit d’équipe, fonctionnement en silos) et ceux qui maintiennent une orientation performance et une vision à court-terme. L’absence d’argument sur la rigidité horizontale est intéressante car elle va dans le sens des analyses de Bergmann (1994), de Chevrier (2009) et dans une certaine mesure celles de Szabo et al. (2002) qui attribuent à la Suisse une propension à la coopération et à l’autonomie des collaborateurs. En revanche, l’absence du frein lié à la culture de la performance, ne permet pas de confirmer les observations de Szabo et al. (2002) sur ce point.
51Le troisième élément mis en exergue par le Tableau 4, c’est l’apparition de deux nouveaux freins culturels à l’innovation : la recherche du consensus et la volonté de discrétion et d’anonymat. Le premier freine le processus d’innovation alors que le second contraint l’impulsion. Il semble que ces deux freins, décrits dans la partie 4.1, n’ont jamais été soulevés par la littérature sur l’innovation, ce qui constitue un apport intéressant de cette recherche. La raison de ce manque est probablement explicable par le niveau de culture auquel ces freins appartiennent. En revanche, un concept similaire à la recherche du consensus et l’évitement du conflit, a déjà fait l’objet d’une attention particulière notamment dans la recherche en sciences-politiques, sous le nom de « blame-avoidance » (Weaver, 1986). En constatant que les électeurs pouvaient avoir tendance à surestimer les échecs politiques de leurs dirigeants et sous-estimer leurs réussites, les politiciens seraient susceptibles de déployer des stratégies d’évitement du blâme afin de ne pas s’exposer aux critiques. Ce phénomène a été décrit comme étant un facteur d’inertie politique (Caune, 2010 ; Hood, 2007), et donc potentiellement d’inertie au sein même des organisations publiques.
5.2 – Discussion sur le niveau de culture de ces freins
52L’autre aspect intéressant se trouve dans la localisation que font les répondants des freins, entre les différents espaces culturels (Bouckaert, 2007). Ceci nous permet de pondérer la relative importance de ces freins au sein des cultures suisses (macro-), et administratives ou managériales suisses (méso). Le Tableau 5 synthétise les niveaux de culture identifiés par les répondants pour chaque frein culturel.
Niveau culturel des freins selon les répondants
FAMILLE DE FREINS | FREINS IMPORTANTS DANS LA CULTURE SUISSE (MACRO) | FREINS IMPORTANTS DANS LA CULTURE ADMINISTRATIVE (MÉSO) |
---|---|---|
Aversion au risque | ||
Dépendance au sentier | ||
Autonomie limitée | ||
Recherche du consensus | ||
Discrétion |
Niveau culturel des freins selon les répondants
53Comme nous l’avons vu à la partie 4.2., l’aversion au risque est le seul frein qui serait particulièrement vigoureux à la fois aux niveaux des cultures macro et méso. Ceci suggère que ce frein est singulièrement important, en comparaison des autres. La dépendance au sentier, la recherche du consensus et de la discrétion, freins auxquels nos répondants ont été confrontés dans leurs projets respectifs, sont davantage imputables à la culture administrative qu’à la culture suisse. Nous remarquons également que l’autonomie limitée n’a jamais été attribuée ni à la culture suisse, ni à la culture administrative lorsqu’elle a été citée comme frein. Nous pouvons vraisemblablement émettre l’hypothèse que ce frein relèverait surtout d’une particularité micro, c’est-à-dire un trait de culture organisationnelle.
5.3 – Les « vraies innovations »
54Un point intéressant, mais pas directement au cœur de notre analyse, ressort de nos entretiens : c’est la récurrence de l’opposition entre les « vraies » innovations et les autres. En effet, ce qui est qualifié de vraie innovation recouvre des réalités diamétralement différentes. Pour certains répondants, c’est l’originalité voire la rupture qui fait l’innovation « il faut complètement repenser l’activité, c’est un vrai changement », en dénigrant les changements par imitation : « Vous allez être dans une logique de recréer ce qui existe, on n’est pas dans des logiques d’innovation ». Pour d’autres, l’innovation désigne surtout l’innovation de produits et prestations (« on développe des prestations, on innove quoi »). À l’inverse, ce sont parfois les innovations de processus qui sont qualifiées de vraies innovations : « Là vous êtes dans un vrai projet d’innovation […], vous révolutionnez en fait les processus […]. ».
55En résumé, un flou persiste sur la conception de ce qui est ou non une innovation auprès des praticiens. On pourrait citer au moins deux raisons à cela : il n’existe pas de définition universelle de l’innovation publique (Daglio, Gerson, et Kitchen, 2015) et ce qui est perçu comme nouveau varie d’un individu à un autre (Lowe et Alpert, 2015 ; Rogers, 2003 ; Shams, Alpert, et Brown, 2015).
6 – Conclusion, limites et recherches futures
56Si la méthode choisie ne permet pas de généraliser nos résultats à l’ensemble des processus d’innovation et des contextes, force est de constater que lors des entretiens — et malgré les questions très ouvertement formulées — nos interlocuteurs ont souvent insisté sur la dimension culturelle des processus d’innovation. La principale valeur ajoutée de cette recherche réside donc dans sa capacité à souligner l’importance de la culture, et plus globalement d’éléments soft-, dans les processus d’innovation.
57Que peuvent faire les managers publics face aux freins identifiés ? À l’analyse, deux catégories de freins apparaissent :
- Les freins a priori actionnables, comme l’aversion au risque ou l’autonomie accordée dans la réalisation du travail. Même si les systèmes de gestion RH dans le public ne permettent souvent pas de « récompenser » la contribution à l’innovation (Bellanger et Roy, 2013), de nombreuses autres formes de reconnaissance, plus symboliques mais peut-être aussi plus profondes, peuvent être actionnées. Il en va souvent de la créativité (pour ne pas dire de la capacité d’innovation) des managers publics.
- De l’autre côté, les freins plus difficilement actionnables : dépendance au sentier, recherche de consensus et discrétion s’ancrent dans des cultures plus « profondes », inscrites dans le paysage des organisations suisses, et plus particulièrement encore des organisations publiques.
58Les limites principales à la présente recherche, de caractère heuristique, sont les suivantes. Tout d’abord le matériau empirique est limité (quinze entretiens). Par ailleurs, nous avons interrogé plus d’hommes que de femmes, ce qui peut nuancer l’argument de la diversité de l’échantillon. Il faut toutefois souligner que les femmes sont sous-représentées dans les fonctions managériales de l’administration publique suisse [5], ce qui rend difficile un équilibrage de l’échantillon, qui serait somme toute, peu représentatif. Une autre limite réside dans la désirabilité sociale de l’innovation, à laquelle les acteurs rencontrés ont pu être sensibles en étant interrogés sur un thème positivement connoté, tel que l’innovation. Leur discours pourrait être artificiellement « pro-innovation ». Toutes ces limites convergent pour dire que les présents résultats ne sauraient en aucun cas être généralisés, déjà au niveau Suisse, et a plus forte raison dans d’autres contextes nationaux.
59Il serait intéressant, dans des recherches futures, d’élargir cette étude en conduisant plus d’entretiens, avec des répondants occupant des rôles et fonctions différentes, et situés dans d’autres cantons ; chaque canton reflétant également une ou des macro-cultures spécifiques. L’exploration de la nature et de l’effet des deux nouveaux freins découverts constitue également une voie pour des recherches complémentaires. Aussi, les concepts de risk aversion et de blame avoidance (Weaver, 1986), et leur importance en tant que frein à l’innovation publique, méritent d’être davantage étudiés. Par ailleurs, mener une étude comparative à l’international permettrait de savoir s’il existe ou non un véritable « Swiss way of public innovation ». De toute évidence, de nombreux apports théoriques et empiriques doivent encore être produits afin de réduire le flou qui règne autour de la définition de l’innovation publique. Enfin les recherches futures ne doivent pas se limiter aux perceptions des acteurs mais devraient également observer les micro-pratiques et les routines qui traduisent concrètement la capacité des organisations publiques à innover.
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Mots-clés éditeurs : Suisse, freins culturels, administration publique, innovation, aversion au risque
Date de mise en ligne : 26/02/2019.
https://doi.org/10.3917/gmp.064.0025Notes
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[1]
Notons ici qu’il est difficile de considérer les normes et valeurs partagées, autrement dit la culture, au niveau individuel, étant donné qu’il s’agit d’une variable collective.
-
[2]
À noter que cette littérature est essentiellement, voire exclusivement, basée sur des travaux provenant de Suisse alémanique. Or il faut souligner le caractère multiculturel de la Suisse, formée des régions alémanique (environ 2/3 du pays) et latine (français et italien), pour environ 1/3 du pays. De nombreuses analyses montrent que la culture, notamment dans l’administration publique, peut être très différente entre ces régions (par ex. Emery/Giauque, 2012). C’est dire que de parler de « culture managériale suisse » est une forme de simplification de la diversité des cultures suisses.
-
[3]
C’est le nom donné au caractère non-carriériste de nombreuses fonctions politiques et notamment législatives.
-
[4]
Grounded theory.
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[5]
Même si la situation est plus égalitaire que dans le secteur privé, les femmes ne représenteraient que 13 % des fonctions de cadres dans les administrations cantonales en 2016, selon une étude de la Conférence suisse des Chanceliers d’État [URL : http://www.guidoschilling.ch/upload/2/4254/sr%20public%20sector%202016%20-%20Medienmitteilung.pdf].