Notes
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Doctorante en Sciences de Gestion, Université Côte d’Azur, GRM, France
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Propos rejoints par les professionnels, notamment Laurent Roturier, DGS de la ville de Bron dans la Lettre du cadre territorial n°408 du 1er octobre 2010
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http://www.cagnes-sur-mer.fr/agenda_21/index.html
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Item : nombres de fois que l’indicateur est utilisé
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Propos de la chargée de mission de développement durable de la métropole
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Propos du responsable de développement durable de la ville de Cagnes-sur-Mer
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Propos du responsable des espaces verts de la mairie de Beaulieu-sur-Mer
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Propos du responsable des espaces verts de la mairie de Beaulieu-sur-Mer
Introduction
1Le service public local et le développement durable entretiennent des liens étroits, notamment depuis les lois Grenelle de l’environnement en 2009-2010. Le développement durable représente un ensemble de contraintes nouvelles. Il modifie la nature même du service public local et fournit un cadre nouveau de réflexion pour les collectivités qui mettent réellement en place des actions de développement durable. Ce dernier intervient en concordance avec l’action publique, et a des conséquences sur les notions d’intérêt général et de missions de service public (Pwc, 2010). Si certains outils du management public territorial sont au service du développement durable, notamment le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT), ces derniers traduisent le manque d’une véritable dimension sociale (Leroux, 2012). Ce sujet est d’actualité d’autant plus que le thème de l’environnement fait l’objet de débats. Il relève d’une subjectivité sociale, avec une prise de conscience généralisée des problèmes qui le caractérisent. La dynamique de développement durable implique des acteurs aux intérêts et conventions différents. Le concept de développement durable prend donc un sens différent suivant les acteurs. En effet, pour chaque individu l’environnement est une construction subjective, faite de représentations, de valeurs, d’attitudes et de comportements qui varient considérablement en fonction des catégories d’acteurs concernés, avec leur socialisation et leurs expériences concrètes, ainsi qu’en fonction des contextes dans lesquels les acteurs agissent (Lascoumes, 1994). Si « la protection de l’environnement est une valeur émergente de la morale consensuelle d’aujourd’hui », elle n’est pas encore complètement construite ni structurée (Draetta, 2003, p.79). Ainsi, cette situation met en évidence un écart entre une conscience environnementale relativement développée et une sensibilité encore en construction. Ce constat observé au niveau de l’individu est également présent au niveau des structures publiques en charge du développement durable. L’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication dans les collectivités est ainsi considérée comme un moyen d’améliorer la communication et de développer des politiques publiques en accord avec les attentes des citoyens (Bertrand, 2001 ; Huron, Spieth, 2009). D’un autre côté le pilotage des actions de développement durable conduit à développer des modèles très différents, notamment dans l’élaboration de tableaux de bord et la définition des critères à prendre en considération (Siebauder, 2009 ; Huron, 2013). Des outils ont été élaborés afin de pouvoir piloter en amont et en aval le développement durable. Ces outils doivent intégrer par ailleurs les spécificités de la collectivité territoriale, allant à l’encontre des principes du New Public Management (Amar, Berthier, 2007 ; Pollitt, Bouckaert, 2004 ; Jansen, 2008). Le New Public Management est un concept élaboré par Hood, en 1991, qui face à une perte de légitimité du secteur public tend à vouloir introduire le culte de la performance dans ce secteur qui ne fonctionnait jusqu’alors que par la prise en compte d’un budget. Face à la prolifération des risques majeurs dans tous les domaines de la vie économique et sociale, « la même crise de légitimité qui semblait devoir conduire à un recul systématique de l’action publique (à travers la crise de l’Etat-Providence), au bénéfice de logiques privées parées de tous les mérites par les « révolutions » Thatchériennes et Reaganiennes ou le New Public Management, conduit, dès que se manifeste le risque majeur, au retour, rapide et massif, de l’Etat et du management public » (Laufer, 2008). De même, la crise amènerait à penser que le contrôle de gestion serait désormais moins un métier d’expertise fondée sur le chiffre qu’un métier d’enquête complexe (Lorino, 2009). Le contrôle focalisé sur le chiffre avant la crise était privilégié puisque plus simple à utiliser. En effet, « n’est-il pas plus simple de contrôler une mesure quantitative et de comparer des chiffres que de trouver les voies et moyens de construire collectivement, parfois dans la controverse et le doute, un jugement en situation, prenant en compte une multiplicité complexe d’objectifs et de contraintes ? (…) Le jugement complexe sur la performance complexe d’organisations complexes peut-il se réduire à l’appréciation d’un chiffre ? » (Lorino, 2009, p.33).
2Le concept de développement durable serait une réponse au problème de l’évaluation de la performance financière. De plus, le concept de développement durable est un « concept dynamique ; les axes économiques, environnementaux et sociaux sont intégrés. Il a, par ailleurs, une dimension éthique » (Moquet, 2005, p168). La mesure de la performance, dite globale, regroupe les trois piliers du développement durable et non une seule perspective, qui est encore aujourd’hui économique. L’intégration du développement durable dans le système de pilotage serait une réponse aux critiques du NPM. En effet, « l’évolution du management public vers une nouvelle approche de la performance permet de créer du lien entre les individus, de s’éloigner d‘un système fondé exclusivement sur des variables issues du fonctionnement du monde marchand, et d’appréhender l’éthique et la performance associées comme un nouveau système de valeurs » (Bartoli et al., 2011, p.638). Par contre, les « concepts de développement durable et d’Agenda 21 local restent plus flous aux yeux des décideurs et élus locaux (et on serait tenté de dire également qu’il est trop souvent « fourre-tout ») et beaucoup d’entre eux ne chercheront pas à développer une approche globale et transversale qui risquerait de remettre en cause un certain nombre d’acquis et d’habitude… Ainsi, on peut estimer qu’il existe une voie intermédiaire entre l’Agenda 21 local et l’absence de plan en favorisant l’intégration de l’environnement et du développement durable le plus en amont possible des décisions des élus » (Charlot-Valdieu, Outrequin, 1999, p.20). Le développement durable deviendrait donc stratégique et son intégration dans le pilotage permettrait d’introduire des outils d’aide à la décision compatibles avec la nouvelle vision de la performance.
3Il convient alors de se poser la question de l’existence d’outils de pilotage, intégrant le développement durable dans les collectivités territoriales. En d’autres termes, existe-t-il un tableau de bord alliant développement durable et spécificités de la collectivité territoriale ?
4De cette problématique découle plusieurs interrogations : le tableau de bord prend-il la forme d’un outil du secteur privé ? Quels indicateurs sont pris en compte et pourquoi ? Comment le tableau de bord est-il élaboré par les agents ? Quel rôle joue le tableau de bord au sein des collectivités territoriales ?
5Pour ce faire, la première métropole mise en place législativement en France, Nice-Côte d’Azur, a été étudiée, notamment parce qu’elle intègre des projets des petites communes au sein de certains axes stratégiques de l’Agenda 21. Il devient dès lors primordial de connaître son système de gestion, en particulier si des outils de pilotage sont mis en place.
1 – Le pilotage : entre théorie du New Public Management et hypocrisie organisationnelle ?
1.1 – Outils de pilotage : quelles particularités et quelles utilisations dans les collectivités territoriales ?
6Les collectivités territoriales considèrent les attentes de toutes les parties prenantes, et particulièrement celles du citoyen pouvant être déclinées en plusieurs dimensions. Celui-ci est à la fois un usager, un contribuable, un électeur et un client (Huron, Spindler, 1998, p.12, Jansen 2008). Le citoyen donne son avis en usant de son droit de vote (l’électeur). Son point de vue peut être défini comme la perception d’une communauté de votants sur la performance des organisations gouvernementales. Cette opinion est traduite dans les résultats des élections, et concerne ainsi les élus. Face à cet électeur, la collectivité cherche à légitimer ses actions. Il existe une condition de légitimité propre à la vie des organisations : « pour qu’une organisation soit reconnue légitime au sein d’une société donnée, il est nécessaire que le système de normes et de procédures qui la caractérise soit tel que, si les membres de l’organisation le respectent, leur intérêt, celui de l’organisation et celui de la société sont globalement compatibles » (Burlaud, Laufer, 1997, p 1758). Ce principe de légitimité est d’ailleurs au centre de la définition du management public : « le management public est ce que devient la gestion de l’organisation publique lorsque celle-ci subit une crise de légitimité, c’est-à-dire lorsque les normes juridiques du critère du service public (et les normes scientifiques positivistes correspondantes) ne suffisent plus à assurer la légitimité du secteur public. Le management public n’est donc pas le management du secteur public (la crise du critère du droit administratif rend une telle définition inopérante) mais le management face à l’opinion publique qui, dans une démocratie, représente l’instance ultime de légitimation » (Burlaud, Laufer, 1997, p 1765). Le système de légitimité n’est pas encore totalement établi, et évolue au fil du temps. L’administration tend de plus en plus à se légitimer par les méthodes utilisées, garanties de l’opinion publique. Les contribuables sont de plus en plus à la recherche d’explications concernant la répartition et la gestion de leur argent, en particulier lorsqu’ils traitent avec les collectivités territoriales, beaucoup plus proches du citoyen.
7La collectivité territoriale a pour objectif de satisfaire l’intérêt général (au contraire des entreprises dont l’objectif est la rentabilité et le profit) pour pouvoir se justifier aux yeux de ses parties prenantes (en référence à la théorie des parties prenantes de Freeman, 1983). Cependant, l’intérêt général « n’est pas aisément chiffrable a priori et il est susceptible d’interprétations différentes, en relation notamment avec les choix politiques » (Barilari, 2007, p.226). Les spécificités des collectivités territoriales impliquent donc une démarche d’adaptation des outils déjà existants. Une adaptation peut également être envisagée : celle de l’intégration du développement durable dans les outils de pilotage, concept restant encore flou et complexe, notamment car la dimension financière est toujours la plus présente des trois piliers. En effet, le développement durable serait une nouvelle approche de la conception de projets et d’aménagement du territoire prenant en considération les dimensions sociales et environnementales. Il s’agit également de modifier les mentalités, qui ne sont tournées que vers le volet financier. Il convient que chaque partie prenante, chaque citoyen, s’implique dans cette démarche pour que celle-ci puisse évoluer et perdurer dans le temps.
8Au sein de la littérature peu de références sont proposées concernant l’intégration du développement durable dans les outils de pilotage, comme le montre le tableau suivant :
Les outils de pilotage intégrant le développement durable
Les outils de pilotage intégrant le développement durable
9Ces études ont été principalement menées au sein du secteur privé (et donc ne sont pas spécifiques au secteur public). Peu d’études ont démontré leur possible application dans le secteur public. L’outil le plus approprié pour permettre de prendre en compte le développement durable dans la stratégie semble être le Sustainability Balanced Scorecard, qui est en fait un tableau de bord construit sur le modèle du Balanced Scorecard de Kaplan et Norton en y ajoutant un axe développement durable aux quatre déjà existants. Certes, il a été montré que ce type de tableau de bord était flexible, mais ce dernier posait problème lors de son application dans le secteur public, notamment à cause de sa méconnaissance et du peu d’études le concernant. Benzerafa (2007) propose la transposition du Balanced Scorecard du privé au public, en transformant l’axe « actionnaire » en axe « société/politique/tutelle » (pour l’efficacité socio-économique) et l’axe « clients » en axe « clients/usagers/bénéficiaires » (pour la qualité du service rendu).
10Tous ces outils provenant du secteur privé, il convient de s’interroger sur leur mise en place ou non dans les collectivités, et notamment au regard de la théorie du New Public Management (Hood, 1995) qui tend à vouloir une sorte de privatisation du secteur public.
1.2 – Le New Public Management face au développement durable
11Le New Public Management (NPM), selon Christopher Hood (1995), prône la mise en place d’outils de gestion, sur le modèle du secteur privé. Les sept composantes doctrinales sont : le découpage du secteur public en unités de type corporatif, organisées par produit/service (en référence à la décentralisation) ; l’augmentation de contrats basés sur des clauses compétitives, avec des marchés internes et des contrats à terme ; l’accent mis sur les pratiques de management issues du secteur privé ; l’accent mis sur la discipline et la frugalité dans l’utilisation des ressources ; l’insistance de la responsabilisation des top-managers ; le format explicite des normes mesurables et les mesures de la performance et du succès ; et enfin l’accent mis sur le contrôle des outputs. Christopher Hood a donc introduit la mesure de la performance et du succès. Le NPM permet de « perfectionner et de moderniser l’action publique, souvent jugée comme contreproductive, en introduisant en son sein des pans de rationalité managériale » (Amar, Berthier, 2007, p.7).
12Cependant de nombreuses contributions amènent à critiquer le NPM. L’argument récurrent porte sur le fait que les outils de gestion sont peu adaptés au secteur public. Il « s’agit d’améliorer l’adaptabilité, des méthodes et des outils, aux problèmes rencontrés. Il convient de glisser du « standardisé » maladroitement adapté au secteur public au « sur mesure » (Amar, Berthier, 2007, p.11) [2]. En effet, l’environnement ainsi que le degré de complexité des secteurs public et privé ne sont pas comparables. Pour d’autres, la « transposition purement et simplement des outils de gestion du privé ne serait pas pertinente et elle serait contreproductive en donnant raison aux opposants au changement. Il est nécessaire d’adapter les outils au secteur public, dont leur application passe le plus souvent par d’autres méthodologies et surtout par une notion du temps fondamentalement différente, car la sphère publique a une conception temporelle beaucoup plus large » (Lachmann, 2011, p.12t). Effectivement, l’administration ne se considère pas comme mortelle, à l’opposé des entreprises (Barilari, 2007). Face au NPM, un courant critique européen est apparu : le Neo-Weberian State (NWS), dont les auteurs principaux sont Pollitt et Bouckaert (2011), et Drechsler (2005). Pour eux, le NPM a échoué dans la réalisation de ses objectifs, et notamment dans celle des organisations publiques plus efficaces et efficientes dans les pays développés du Centre et de l’Est de l’Europe. Le NWS s’est développé en Europe puisque les administrations sont basées sur l’organisation bureaucratique de Max Weber. Les quatre principes sont : la centralisation de l’Etat, la réforme et l’application du droit administratif (garantie de l’égalité pour tous les individus devant la loi), la préservation du service public, et la démocratie représentative. D’autres principes, comme l’orientation externe vers les citoyens, la consultation supplémentaire du public et la participation directe du citoyen, l’orientation vers les résultats et le management professionnel, sont des principes « miroir » du NPM (Dunn, Miller, 2007). NPM et NWS sont similaires par la nature pratiquement identique de leurs principes. Certains principes sont néanmoins distincts, comme, par exemple le rôle directeur de l’Etat, lequel est un élément central du NWS. Beaucoup de perspectives apparaissent comme abstraites, larges et souvent ambigües. Le NPM et le NWS tendent à ignorer les résultats mitigés ou manifestement inefficaces des organisations qui ont été gouvernées historiquement par ces principes. Les deux incarnent une perspective technico-utilitariste et ignorent finalement les autres formes et contextes de rationalité qui sont centrales dans les réformes administratives des démocraties (Dunn, Miller, 2007).
13Pour d’autres auteurs, le NPM adopte une perspective de performance qui diffère de l’approche traditionnelle du secteur public. Traditionnellement, la mesure de la performance dans le secteur public est focalisée sur les inputs : les décisions doivent être prises en fonction des budgets qui sont alloués à certaines tâches et l’évaluation de la performance est portée sur les divergences entre les budgets et les dépenses. Les indicateurs financiers jouaient donc un rôle essentiel. L’accent mis sur l’efficience par le NPM implique une perspective plus interne et explicite de la performance, et l’accent mis sur les outputs et les résultats implique de prendre en compte le point de vue des clients sur la performance (Jansen, 2008). Après avoir mené trois études de cas, ce dernier arrive à la conclusion que les responsables politiques semblent combiner la perspective financière et le point de vue du citoyen sur la performance. Pour lui, le modèle du NPM défini par Christopher Hood ne permet pas de faire une distinction entre la perspective du citoyen et celle du client. La mise en œuvre réussie du NPM exige que le point de vue du citoyen ait un lien évident avec les autres perspectives de la performance. Bien que le NPM ait encouragé l’utilisation des systèmes de management de la performance, il n’en reste pas moins que de nombreuses critiques, notamment en ce qui concerne les outils et la nature de la performance mesurée, se soient fait entendre. En effet, la performance mesurée est à prédominance économique, afin de réduire les déficits publics. Mais la mesure de la performance publique est complexe, du fait de la multiplicité des objectifs (répondre aux attentes des citoyens, tout en respectant la législation et les budgets) et des acteurs (parties prenantes). De plus, la crise économique des subprimes donne un aperçu des systèmes de mesure dans la société. La mesure n’est pas un dispositif neutre, mais un agent actif dans les processus de la société. Et donc, les organisations publiques ont besoin d’un meilleur système de mesure (De Caluwe et al., 2012).
14Par ailleurs, les projets de développement durable ne touchent pas uniquement la performance financière, ce qui va à l’encontre des théories du NPM. Le développement durable est une nouvelle logique qui serait une réponse aux nombreuses crises financières de ce siècle mais également à la crise de légitimité de l’Etat devant répondre à l’intérêt général. Le citoyen ne peut pas être uniquement considéré comme client, ce qui pose problème dans l’élaboration des projets et des outils de suivi. L’outil qui devrait être mis en place dans les collectivités publiques afin de respecter les principes du NPM serait le Sustainable Balanced Scorecard, mais cet outil mesure une performance principalement financière (Mousli, 2010) et les indicateurs sont encore trop complexes (Boulanger, 2004) et peu adaptés aux collectivités. La logique de développement durable intègre les différentes parties prenantes des organisations et permet une vision plus générale que la simple approche financière, élément majeur du NPM qui tend à vouloir une approche client au sein du secteur public. Cependant, il convient de rappeler que le secteur public répond à l’intérêt général, représenté à travers la logique de développement durable. Le développement durable est-il une réponse à la préoccupation des collectivités territoriales qui recherchent l’intérêt général ou n’est-il que le reflet d’une hypocrisie organisationnelle et un simple moyen de communication ?
1.3 – Le développement durable : simple hypocrisie organisationnelle ?
15L’hypocrisie organisationnelle peut être définie comme « le résultat d’une tactique consciente adoptée par des individus, des groupes, des parties, des majorités dominantes, des directions » (Brunsson, 2002, p. 29). Le développement durable peut tout à fait n’être qu’hypocrisie organisationnelle afin de convaincre les parties prenantes du bien-fondé des politiques. Pour Brunsson, l’hypocrisie organisationnelle concerne les contradictions entre les dires, les décisions et les actions mais également un mode de management des contradictions. La direction, plutôt que de les lier, doit les découpler en utilisant l’hypocrisie. Cette pratique permet, du côté de l’organisation d’action, de créer une idéologie mobilisatrice, qui privilégie l’informel et qui contente les intérêts de l’organisation et, du côté de l’organisation politique, de satisfaire les exigences d’ordre moral et éthique. Cependant pour que ce type de management perdure, il ne faut pas que l’hypocrisie soit démasquée, sous peine d’être rejeté de la part de l’environnement. Trois cas de figures peuvent donc apparaître dans une métropole : l’existence d’un outil de gestion issue du secteur privé, un outil de gestion spécifique à la métropole ou l’absence de cet outil alors que le discours est tout autre. Le développement durable ne serait-il pas un rempart des politiques pour apprivoiser le citoyen et gagner des voix pour les élections. Le développement durable pourrait n’être qu’un effet de mode pour contrer l’aspect financier trop présent dans notre société. Il convient alors de s’interroger sur l’existence ou non d’un outil de pilotage permettant d’intégrer le développement durable dans la stratégie de la métropole, ou bien si la métropole mène des actions de développement durable sans pilotage.
16La théorie de l’hypocrisie organisationnelle permet une séparation de l’organisation politique et de l’organisation d’action (Brunsson, Geoffroy, 2012). C’est l’organisation politique qui satisfait à la légitimité envers l’environnement (parties prenantes). Ainsi, les politiques utilisent l’hypocrisie organisationnelle afin de satisfaire les demandes des citoyens. Le secteur public se rapprocherait alors des entreprises socialement responsables qui « n’ont d’autre choix que de répondre de manière symbolique aux aspirations de la société en matière de développement durable et de responsabilité sociale » (Antheaume, 2005, p.1). D’après lui, l’entreprise est forcée de découpler discours et actions. Cela expliquerait que certaines métropoles n’aient pas d’outils de pilotage intégrant le développement durable. « La mise en œuvre d’outils spécialisés de comptabilité environnementale peut correspondre à d’autres finalités qu’un seul besoin technique d’évaluation. Elle peut être un moyen de signaler et de donner à voir, à d’autres acteurs, l’adoption d’un comportement responsable » (Antheaume, 2005, p.16). Un gouffre significatif existe entre les dires et les pratiques de développement durable. (Cho et al. 2015). D’après ces auteurs, les pressions sociales et institutionnelles exigent que les organisations se livrent à l’hypocrisie et développent des façades.
17Il convient alors de déterminer si la métropole Nice Côte d’Azur possède ses propres outils de pilotage, s’ils sont issus du privé ou si le développement durable n’est finalement qu’une simple hypocrisie organisationnelle.
2 – Une méthodologie qualitative : le cas de la métropole Nice Côte d’Azur
18Pour répondre à notre problématique, une étude qualitative est envisagée, notamment car il n’existe que peu de données dans la littérature du secteur public. Afin de comprendre le phénomène, une étude de cas à visée exploratoire (Yin, 2009) a été menée au sein de la métropole Nice Côte d’Azur. [3]
19La métropole est un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI), créé par la loi n°2010-1563 du 16 décembre 2010, sur la réforme des collectivités territoriales. La métropole constitue un territoire d’un seul tenant et sans enclave et doit comporter plus de 500.000 habitants. La métropole Nice Côte d’Azur est la première métropole de France au 1er janvier 2012. Elle est la volonté de l’unification de quatre intercommunalités : Nice Côte d’Azur, la Vésubie, la Tinée et les stations du Mercantour. La métropole est constituée de 49 communes avec près de 550.000 habitants répartis sur 1.4 km2. Cette métropole est la deuxième destination touristique (loisir et d’affaires) de France et la première destination « Jeux » en France. Elle est dotée du deuxième aéroport international de France. La métropole a élaboré un Agenda 21 pour cinq ans (de 2013 à 2018). Il s’agit d’un programme d’actions pour le 21ème siècle, qui prend en compte les trois piliers du développement durable : l’économie, le social et l’environnement. Il est issu d’une réflexion globale et concertée sur les politiques menées sur un territoire, destinée à mettre en place un programme d’actions au service du développement durable. Concrètement, il s’appuie sur un diagnostic et débouche sur une stratégie et un programme d’actions visant à renforcer la prise en compte du développement durable sur le territoire d’une collectivité. Elaboré en collaboration avec les communes, l’Agenda 21 métropolitain permet de doter le territoire, pour la période 2013-2018, d’une stratégie et d’un plan d’actions permettant d’apporter des réponses aux trois dimensions du développement durable (économique, sociale et environnementale) ; de répondre aux enjeux du territoire, aussi bien ceux du Littoral, du Moyen et du Haut-Pays ; de répondre aux compétences de la Métropole ; d’associer les communes membres qui le souhaitent sur des thématiques qui relèvent de leurs compétences et de compléter et d’actualiser les projets et démarches existantes en matière de développement durable présentes sur l’ancienne Communauté urbaine, ainsi que sur les anciennes Communautés de Communes des Stations du Mercantour, de la Tinée et Vésubie-Mercantour et de La-Tour-sur-Tinée. Ce document permet de concrétiser les ambitions de la Métropole, c’est-à-dire être le territoire de référence en matière de développement durable de la Méditerranée et de l’Europe du Sud ; conforter et développer son statut international ; et enfin engager une mutation économique sur des bases innovantes et environnementales.
20L’Agenda 21 a été adopté le 19 avril 2013 et a obtenu la reconnaissance nationale « Agenda 21 local France » le 19 décembre 2013. Il s’agit du schéma directeur des politiques publiques de la métropole, regroupant le Plan Local pour l’Habitat, le Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi, le Plan Climat-Energie Territorial et le Plan de Déplacement Urbain. Il constitue donc un projet global permettant de formaliser et de structurer la stratégie de développement durable de la métropole et de la décliner en un programme d’actions concrètes. C’est un document fédérateur, accessible aux citoyens et aux acteurs du territoire. Il permet de réaliser le suivi et de mesurer les avancées de la politique en matière de développement durable. Celui de la métropole Nice Côte d’Azur constitue une démarche unique en France, puisqu’il est le premier à associer les communes dans son élaboration en leur confiant la réalisation d’actions sur leurs compétences et territoires respectifs. Nous retrouvons ici une forme de responsabilisation des différentes entités de la métropole, relevant des logiques du New Public Management. Cette particularité lui permet de toucher l’ensemble des compétences au service des citoyens sans restrictions administratives. L’Agenda 21 définit 62 actions, suivant cinq axes stratégiques du développement durable : « lutter contre le changement climatique », « préservation de la biodiversité, des ressources et des milieux », « cohésion sociale et solidarité entre les territoires et les générations », « qualité de vie et épanouissement des êtres vivants », « production et consommation responsables ». Sur ces 62 actions : 48 sont portées par la métropole et correspondent à ses compétences ; 6 sont portées par les communes sur leurs territoires respectifs mais bénéficient de la synergie métropolitaine (en particulier le développement de l’accès à la culture, le développement des projets intergénérationnels, la lutte contre les bruits de voisinage, la structuration d’une offre de repas à base de produits bio et locaux dans les restaurants scolaires) ; 10 sont portées conjointement par les communes et la métropole (par exemple améliorer la performance énergétique des bâtiments communaux et métropolitains). Ce portage conjoint renforce le rôle de coordinateur de la métropole et maximise les échanges d’expériences entre les communes membres de l’Agenda 21.
21Pour étudier cette métropole, des entretiens semi-directifs ont été menés à l’aide d’un guide d’entretien, regroupant les questions à poser à l’interviewé. Ces questions reprennent les thèmes pertinents par rapport à la problématique, et peuvent venir de l’intuition et de l’observation. « La flexibilité de l’entretien semi-directif permet, par la relative liberté laissée au répondant, de mieux appréhender sa logique alors que, dans le même temps, la formalisation du guide favorise des stratégies d’analyse comparative et cumulative entre les répondants et se prête mieux à certaines contraintes de terrain » (Gavard-Perret et al., 2011, p.92). Le guide d’entretien comprend une trentaine de questions relatives aux trois parties de la revue de littérature : existence ou non d’outils de pilotage, sont-ils issus de la sphère privée ou sont-ils élaborés par les agents des métropoles, relèvent-ils d’une obligation légale ou de la volonté des politiques. Chaque entretien a duré au minimum une heure. Les entretiens ont été menés au sein de la direction de la métropole mais également au sein de deux communes littorales : Beaulieusur-Mer et Cagnes-sur-Mer. Les communes du littoral sont plus importantes que celles du haut-pays, en termes de superficie mais également, en termes de flux d’habitants car ce sont des destinations fortement touristiques. Aucune commune ne communique sur la mise en place de l’Agenda 21 ou la mise en place d’actions de développement durable, à part celle de Cagnes-sur-Mer [4], en avance sur les autres et qui a mis en place son propre Agenda 21 local. Les personnes interrogées sont regroupées au sein de trois collectivités. Tout d’abord au sein de la métropole avec la participation du Directeur Général Attaché à l’environnement, de la chargée de Mission au Développement durable et à l’Agenda 21 et de la chargée de mission du Plan Climat Energie Territorial de la métropole, qui ont répondu toutes deux à des questions plus techniques. Au sein de la ville de Cagnes-sur-Mer, le responsable du développement durable a pu donner des réponses à des problématiques plus locales. Enfin, au sein de la ville de Beaulieu-sur-Mer, quatre personnes ont contribué aux entretiens : le responsable des espaces verts, le chargé d’urbanisme (et du développement durable), la chargée de la communication et la Directrice Générale des Services.
22A travers ces entretiens et l’analyse de documents tels que l’Agenda 21 de la métropole, le rapport de développement durable, les tableaux de bord, différents résultats peuvent émerger, notamment grâce à une analyse de contenu horizontale, c’est-à-dire transversale à tous les documents. D’après Gavard-Perret et al. (2011), l’analyse de contenu permet de comparer les réponses en termes de centres d’intérêts de groupes différents (en particulier ici les supérieurs hiérarchiques et les subordonnés). L’analyse thématique, permettant le comptage d’items ou de thèmes, permettant de faire ressortir les opinions émises (Bardin, 1977), vient renforcer cette analyse de contenu. L’analyse thématique a été élaborée à l’aide du logiciel NVivo 10. Des grands thèmes reviennent de façon récurrente dans chaque entretien : l’agenda 21 métropolitain, la communication des actions, l’opinion des parties prenantes, le système de contrôle de gestion et les tableaux de bord. Il s’agit ici de codes descriptifs qui « ne suggèrent aucune interprétation, mais simplement l’attribution d’une classe de phénomènes à un segment de texte » (Huberman, Miles, 2003).
3 – Résultats et discussion : les différentes visions du développement durable et les problèmes de gestion rencontrés au sein de la métropole
23Il apparaît tout d’abord que le concept de développement durable fait l’unanimité dans sa définition, c’est-à-dire un concept regroupant trois piliers : l’écologie, l’économie et le social (sept interviewés sur sept). Une vision plus particulière a été mise en évidence : « Le développement durable est beaucoup plus un état d’esprit, de responsabilisation et d’éducation », propos de la Directrice Générale des Services de Beaulieu-sur-Mer. Certains interviewés pensent également ajouter un pilier culturel aux trois précédents : « Mais c’est également le respect du patrimoine. L’entretien du patrimoine, des plages relèvent du développement durable, par la mise en avant », propos du chargé d’urbanisme de la mairie de Beaulieu-sur-Mer. Par ailleurs, la particularité de cet agenda 21 métropolitain est qu’il permet une reconnaissance et un échange des bonnes pratiques lors de réunions puisque chaque commune est libre de mener à bien ses actions de développement durable. La métropole cherche à responsabiliser et valoriser les communes en avance sur d’autres (« Mais une certaine liberté est laissée aux communes. Le but de l’Agenda 21 est d’inciter les gens à changer leurs comportements. La métropole a une mission d’incitation et de valorisation et non de « flicage » », propos de la chargée de mission de développement durable de la métropole). Pour certaines actions, la métropole apporte un soutien financier aux communes. Les résultats sont présentés dans les tableaux ci-dessous élaborés autour de trois postures dans la littérature : application des techniques du privé au public, techniques propres au public et la théorie de l’hypocrisie organisationnelle.
3.1 – L’application des techniques du privé au public
24Le terme même de contrôle de gestion est assez récent dans le secteur public. Il apparaît suite aux demandes de transparence des organisations publiques afin de répondre aux exigences des parties prenantes, en particulier du citoyen. Mais ce contrôle de gestion peut-il être appliqué de la même manière dans le secteur public que dans le secteur privé ? Est-il mis en place à l’heure actuelle ou n’est-ce qu’un moyen de rassurer le citoyen ?
Le système de contrôle de gestion [5]
Le système de contrôle de gestion [5]
25De plus, même si des outils sont élaborés, comme les tableaux de bord, ceux-ci ne sont pas complètement spécifiques à la métropole. Ce sont surtout la construction des indicateurs mais également la méconnaissance des modèles de tableaux de bord qui posent problème.
Tableaux de bord métropolitains
Tableaux de bord métropolitains
26Les agents expriment la difficulté de renseignement des indicateurs de résultat. Les indicateurs sont mal adaptés et il n’y a pas d’indicateurs transversaux comme le préconise les auteurs de la sphère privé concernant le Sustainability Balanced Scorecard. Il en ressort donc la difficulté pour la sphère privée de prendre tel quel les outils du privé. Il faut soit les modifier pour prendre en compte les spécificités de la métropole, soit les inventer. Mais existe-t-il alors des outils de pilotage issus du public, et plus particulièrement de la métropole ?
3.2 – Les techniques propres au public
27Puisque les outils du public ne peuvent pas être directement empruntés du privé par manque de formation des agents, mais surtout à cause des spécificités de la sphère publique et plus particulièrement d’un territoire, il convient de s’interroger sur l’existence même d’outils de pilotage. Au sein de la métropole Nice-Côte d’Azur, un outil ayant la forme d’un tableau de bord a été mis en place. Il s’agit de l’agenda 21 métropolitain.
Agenda 21 métropolitain
Agenda 21 métropolitain
28Ce tableau présente la volonté de la métropole Nice Côte d’Azur de faire participer toutes les communes au sein d’une stratégie de développement durable afin que les citoyens puissent avoir un large choix de services améliorant leur cadre de vie. Mais ce large choix d’actions n’est pas assez communiqué et le citoyen ne semble pas être réceptif aux problématiques du développement durable, comme le montre le tableau suivant.
3.3 – L’hypocrisie organisationnelle
29Malgré la mise en place d’un agenda 21 métropolitain, il convient de s’interroger si cet outil sert réellement dans les prises de décision des politiques ou s’il ne s’agit que d’une façade pour convaincre le citoyen par rapport à l’emploi de l’argent public. La métropole rencontre-t-elle des difficultés dans la réalisation des actions de développement durable ?
Communications des actions
Communications des actions
30Cependant les citoyens ne sont pas les seuls à freiner le développement des projets de développement durable. Certains élus ne sont pas tournés vers cette problématique. Ainsi des projets peuvent être mis en veille parce qu’ils ne sont pas portés par les élus, mais uniquement par les agents territoriaux. Il faudrait donc une mise en relation permanente des élus, des agents territoriaux et des citoyens.
Une opinion des citoyens et des hommes politiques mitigée
Une opinion des citoyens et des hommes politiques mitigée
31A ces difficultés de communication s’ajoutent des difficultés de pilotage des politiques de développement durable, soit par l’absence de système de contrôle de gestion soit par des services disjoints au sein de la métropole.
32D’après cette étude thématique, de nombreux problèmes sont rencontrés dans ces collectivités, notamment dans l’élaboration de tableaux de bord qui ne sont pas globaux. Ici la vision est sur maximum cinq ans (date de fin de l’Agenda 21 actuel) et certaines actions une fois qu’elles sont finies sont retirées du tableau de bord (d’après la chargée de mission de développement durable de la métropole). Les indicateurs posent des difficultés notamment les indicateurs sociaux et de résultats, difficiles à renseigner, soit parce que certains indicateurs ne sont visibles qu’à la fin du projet (par exemple avec le tracé de la deuxième ligne du tramway), ou parce que ce ne sont pas des indicateurs métropolitains. Un manque de formations et de connaissances des outils de pilotage intégrant le développement durable, notamment le Sustainability Balanced Scorecard se fait ressentir (chargée de mission du développement durable et chargée de mission du PCET de la métropole). Cette élaboration d’outils « bricolés » relève des théories de l’appropriation qui devraient apporter de nouvelles pratiques des outils de gestion (De Vaujany, 2006). Ce cas montre également le problème de la mise en place d’outils du privé dans le secteur public, notamment à cause de la méconnaissance des agents, du peu de temps octroyé (« Pour des problèmes de temps on crée une fiche par action sans être transversal. Utilisation d’Excel pour le tableau de bord mais il existe un logiciel crée par une société : le logiciel ViaMP mais il n’est pas utilisé à cause du manque de formation, du manque de temps mais également car l’outil est trop complexe ») [6], et également du problème d’élaboration des indicateurs. Au contraire, le fait de responsabiliser les communes va dans le sens des théories du New Public Management, créant ainsi un paradoxe au sein même de la métropole. Ce cas montre que le New Public Management a ses limites mais qu’il a permis une remise en cause des systèmes de gestion du secteur public. Certains points du New Public Management sont respectés et d’autres, comme les outils de pilotage sont spécifiques à la collectivité territoriale, peut-être du fait du manque de formation des agents.
33Peut-être que le pilotage de la performance globale ne peut pas être mis en place dans l’organisation de la métropole dans sa forme actuelle ? Peut-être que l’élaboration d’indicateurs globaux est trop complexe, ou tout simplement peut-être que le pilotage de la performance globale ne peut se faire au milieu métropolitain, mais sur des niveaux plus restreints, comme les communes. L’exemple de Cagnes-sur-Mer en est un exemple (tableau de bord et agenda 21 propres à la commune), mais le politique a relégué ce souci de pilotage de la performance globale au second rang [7]. Le poids du politique est donc essentiel dans le management du développement durable, mais également le point de vue des citoyens. En effet ceux-ci sont mal informés et mal sensibilisés, du coup certains projets peuvent ne pas intéresser et sont abandonnés (« Prenons l’exemple du traitement du charançon. Il existe trois traitements : le chimique, le mixte (bio nématode) et l’injection (100% bio). L’élu préfère le chimique car il est moins cher mais ce traitement est contraignant puisqu’il faut un périmètre de sécurité de 6h et le marché n’est pas prometteur puisque les fabricants ne veulent pas fournir le produit chimique » [8]).
34Il est donc hors de propos de généraliser ces résultats, notamment parce que les collectivités ont chacune leurs propres spécificités (différences de politiques, de territoires, d’habitants). Cette étude de cas montre qu’il peut exister au sein d’une métropole de taille importante une certaine hypocrisie organisationnelle. Trois choix ont été relevés : l’utilisation d’outils issus du privé, des outils de gestion spécifiques au public et enfin l’utilisation de l’hypocrisie organisationnelle. L’étude de cas unique a une transférabilité des résultats limitée (Yin, 2009). Une étude plus approfondie des métropoles françaises permettrait de savoir s’il en existe une ayant des outils spécifiquement élaborés par les agents, ou si les métropoles ne sont finalement tournées que vers un management prônant l’hypocrisie organisationnelle.
Conclusion
35Le concept de développement durable est en forte expansion depuis quelques années. Les collectivités territoriales doivent à l’heure actuelle pouvoir attester de l’existence de projets de développement durable, mis en avant grâce à l’Agenda 21 et au rapport de développement durable, qui est une obligation légale. Pour remplir ce rapport de développement durable, des indicateurs sont élaborés au sein de l’Agenda 21 pour un certain suivi des actions, notamment savoir si elles ont été menées à bien (indicateurs qualitatifs). Le problème est qu’il ne s’agit pas d’un réel pilotage, d’abord parce que ces indicateurs sont élaborés dans des services différents de ceux du contrôle de gestion, mais également car les indicateurs sont mal adaptés. Au final, ces tableaux de bord servent à informer les citoyens, certains services de la métropole pour prendre des décisions et l’Etat. La métropole cherche à responsabiliser et inciter les parties prenantes (citoyens, communes) sur les bonnes pratiques en matière de développement durable.
36Il s’agit également de sensibiliser les élus (car certains ne sont pas au courant de l’élaboration de l’Agenda 21), de les informer pour pouvoir changer les mentalités (« mais il faut encore faire évoluer les mentalités. Les élus ne sont pas encore tout à fait dans la mouvance développement durable [9] »). Les problématiques de développement durable doivent être insufflées par les politiques et toutes les parties prenantes pour que les actions soient mises en place, et qu’un réel système de pilotage soit fait en interne. Ici, ce qui s’apparente à un système de pilotage n’est autre qu’un outil permettant de communiquer et d’informer. Ceci rejoint la théorie de l’hypocrisie organisationnelle de Brunsson. Pour se légitimer, les métropoles auraient tendance à utiliser l’hypocrisie organisationnelle à travers la notion de développement durable afin de satisfaire la demande des parties prenantes.
37Cette étude de cas pourrait donc être prolongée avec une vision plus organisationnelle qu’instrumentale, permettant d’étudier le phénomène à travers les « lunettes » de la théorie de l’hypocrisie organisationnelle, mais également en étudiant d’autres cas au sein du secteur public, en particulier au sein d’autres métropoles afin de savoir si ce phénomène se généralise ou s’il existe une métropole ayant ses propres outils de gestion intégrant le développement durable.
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Mots-clés éditeurs : développement durable, tableaux de bord, métropoles, outils de pilotage
Date de mise en ligne : 06/09/2017
https://doi.org/10.3917/gmp.053.0027Notes
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[1]
Doctorante en Sciences de Gestion, Université Côte d’Azur, GRM, France
-
[2]
Propos rejoints par les professionnels, notamment Laurent Roturier, DGS de la ville de Bron dans la Lettre du cadre territorial n°408 du 1er octobre 2010
- [3]
-
[4]
http://www.cagnes-sur-mer.fr/agenda_21/index.html
-
[5]
Item : nombres de fois que l’indicateur est utilisé
-
[6]
Propos de la chargée de mission de développement durable de la métropole
-
[7]
Propos du responsable de développement durable de la ville de Cagnes-sur-Mer
-
[8]
Propos du responsable des espaces verts de la mairie de Beaulieu-sur-Mer
-
[9]
Propos du responsable des espaces verts de la mairie de Beaulieu-sur-Mer