Couverture de GMP_051

Article de revue

Gérer les agents des collèges en situation de double autorité, entre risques et opportunités

Pages 45 à 60

Introduction

1S’il est un principe de management dont les origines sont anciennement ancrées, il s’agit bien du principe d’unité d’autorité. En tant que Directeur général de la compagnie Commentry-Fourchambault-Decazeville, Henri Fayol décrit dès 1916, dans son ouvrage Administration Industrielle et Générale, l’intérêt de ce principe dans le cadre de la fonction administrative : « Pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef » (p.55). Pour Fayol, un subordonné ne doit se référer qu’à un seul supérieur et en recevoir toutes les instructions. Dans cet esprit, il s’agit d’éviter le commandement multiple, source de difficultés de management et de conflits qui entravent l’action et le contrôle. Le pouvoir hiérarchique direct unique est ainsi présenté comme facilitant la clarté de la répartition des tâches.

2Dans le cadre du management des collectivités territoriales, différentes situations ne sont pourtant pas en accord avec ce principe d’unité de commandement. A titre d’exemple, la mise en place de structures de type matricielle avec des correspondants fonctionnels (ex. : chargés du suivi des dossiers de ressources humaines) relevant de l’autorité d’une direction fonctionnelle (ex. : direction des ressources humaines) et également d’un service opérationnel où est affecté le correspondant (ex. : direction des bâtiments) relève d’une dualité d’autorité.

3De même, les structures de type projet mobilisant des compétences issues de différents services au travers de l’intervention d’un chef de projet en situation d’autorité fonctionnelle constitue un autre exemple d’exception au principe d’unité de commandement.

4Ces cas de figure ont cependant, la particularité d’être choisi par la collectivité. Nous faisons le choix d’étudier dans cet article, le management des personnels Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements (ATTEE) affectés dans les collèges (noté agents des collèges dans la suite de l’article). Ces employés contribuent à la qualité de l’accueil et du cadre de vie de l’Etablissement Public Local d’Enseignement (EPLE) en assurant l’accueil, l’entretien des locaux, la sécurité, le service de restauration, la protection sanitaire et sociale et, dans les internats, l’hébergement des élèves.

5Ces personnels sont en situation de double autorité, à la fois hiérarchique provenant du Président du Conseil départemental, et fonctionnelle par l’intermédiaire du Chef d’établissement et de l’Adjoint-gestionnaire du collège. Cette situation duale est la résultante de l’application de l’Acte 2 de la décentralisation relative aux « libertés et responsabilités locales » du 13 août 2004 ayant transféré les agents des collèges aux collectivités (anciennement sous le cadre d’emploi des personnels Techniques, Ouvriers et de Service).

6Le terme « autorité » s’entend comme la capacité d’un acteur à faire respecter ses exigences (Rey, 2005). La notion d’autorité hiérarchique inscrit ainsi la capacité d’action de la collectivité autour d’une relation de subordination liant l’agent à son supérieur hiérarchique (représenté par les personnels d’encadrement du Département). Il inscrit l’autorité dans un cadre légal liée à la position statutaire de l’agent en tant que personnel intégré (ou détaché selon les cas) au sein de la fonction publique territoriale. Dans ce cadre, l’autorité hiérarchique a en charge par exemple le recrutement, la gestion de la carrière, la rémunération et l’évaluation de ces agents.

7La notion d’autorité fonctionnelle inscrit l’action des équipes de direction des collèges autour de la capacité à mobiliser les agents dans l’objectif d’assurer le fonctionnement du service aux élèves et aux familles. La notion d’autorité fonctionnelle inscrit ainsi la capacité d’action des équipes de direction autour d’une logique d’implication et de mobilisation devant être en phase avec les exigences de réalisation du service. A ce titre, l’autorité fonctionnelle a en charge l’encadrement, la répartition des tâches et l’organisation du travail des personnels. Cette autorité étant assurée par des personnels de l’éducation nationale (Adjoint-gestionnaire et Chef d’établissement), il y a donc principe d’une double autorité sur ces agents.

8Notre travail vise à tenter de répondre à la question suivante : Comment sont gérés les agents des collèges dans le cadre de cette situation de double autorité ?

9Notre objectif est de travailler sur la question de la coordination de personnels en situation d’autorité partagée et d’en faire ressortir les capacités d’actions pour les acteurs (qu’elles soient autorité fonctionnelle ou hiérarchique). Ce sujet apparait important tant la double autorité est régulièrement évoquée comme une source de risques de gestion du service. Les difficultés associées à cette situation font en effet régulièrement l’objet d’interventions médiatisées au travers de reportages télévisés, d’articles de journaux, de rapports publics ou de débats parlementaires. A titre d’exemple, un rapport publié par le Centre National de la Fonction Publique Territoriale en 2010 portant sur « le transfert des personnels Techniques, Ouvriers et de Service dans les régions et les départements » évoque les risques associés à la gestion d’une autorité partagée tels que les difficultés de rétention d’information et de « court-circuitage ».

10De même, un article de Julie Krassovsky publié le 23 janvier 2012 dans la Gazette des communes, des Départements et des Régions et intitulé « Agents TOS : La double autorité, un frein à l’intégration » évoque sur la base d’exemples, l’importance des problèmes associés à cette double autorité : « L’un des obstacles à cette construction (de confiance et de sentiment d’appartenance) est l’existence d’une double autorité. (…) Dans la pratique, l’existence de cette double autorité perturbe aussi bien les agents que la gestion des ressources humaines » (p.10).

11De ce fait, une meilleure compréhension des dispositifs de gestion de ces agents en situation de double autorité apparait nécessaire. Dans cette recherche, il s’agit d’étudier plus précisément, les éléments de risques et d’opportunités associés à la double autorité. Pour tenter de répondre à la question posée, nous avons interviewé 24 acteurs ayant des fonctions et positions hiérarchiques différentes. Ces entretiens permettent de disposer d’une description des dispositifs de gestion mis en place et des perceptions des acteurs. Lors de cette recherche, nous avons également collecté des données secondaires, notamment les conventions de partenariat et les dispositifs d’évaluation et de dialogue.

12Ce sujet de la double autorité trouve un ancrage académique à travers des travaux ayant analysés les logiques d’injonctions paradoxales et d’ambiguïtés de rôle. Dans le contexte du secteur public, Bartoli & Blatrix (2015) illustrent par exemple un management public caractérisé par des contradictions organisationnelles et des situations paradoxales et ambiguës. Ce point est également évoqué par Emery & Giauque (2005) qui décrivent dans leur ouvrage, les différents paradoxes de la gestion publique : paradoxes liés au pilotage de l’action, à la culture organisationnelle ou à la dimension légitimationnelle des structures publiques.

13Nous faisons le choix dans cette recherche, de centrer notre propos sur les travaux portant sur la double contrainte (double bind développé par Grégory Bateson en 1956) et les tensions de rôles imposées aux acteurs (théorie de Robert L Kahn & al publiée en 1964). Ces travaux mettent en évidence une gestion sous l’angle des difficultés inhérentes à ces situations d’injonctions paradoxales et d’ambiguïtés de rôle. Ces théories évoquent cependant la nécessité de dépasser ces aspects dysfonctionnels. Nous complétons donc notre étude par le concept d’ « espace de discussion » présenté par Mathieu Detchessahar permettant d’analyser les temps de discussion et de reconnaissance mutuelle développés par les acteurs.

14Le présent article est structuré de la manière suivante. Nous présentons tout d’abord le cadre conceptuel de cette recherche (section 1) ainsi que la méthodologie de la recherche (section 2). Nous analysons ensuite nos données empiriques (section 3) avant une partie discussion confrontant les données collectées au cadre conceptuel (section 4).

1 – La gestion en situation de double autorité : présentation du cadre conceptuel de la recherche

15Le sujet de la gestion des agents des collèges en situation de double autorité trouve un ancrage académique au travers de théories ayant appréhendé la gestion des injonctions paradoxales imposées aux acteurs et des tensions de rôle. Nous complétons cette littérature à partir du concept d’ « espace de discussion ».

1.1 – Une gestion sous l’angle des injonctions paradoxales et des logiques de tensions de rôle

16La gestion d’une situation de double autorité touche aux problèmes des prescriptions et des contraintes imposées aux acteurs. Ce sujet trouve une lecture académique au travers de la théorie de la double contrainte, théorie de la double bind développée par Grégory Bateson en 1956 dans un article intitulé « Vers une théorie de la schizophrénie ». Bateson analyse dans cet article, les interactions des comportements des schizophrènes dans son environnement familial. En s’intéressant à la façon dont les membres de la famille communiquent entre eux, Bateson décrit alors les situations d’injonctions paradoxales imposées où deux individus (ou plus) mettent une autre personne dans une expérience répétée d’injonctions contradictoires sans que cette dernière puisse échapper à la situation. La double contrainte désigne alors une situation de paradoxe imposée où deux injonctions contradictoires sont reçues. Ces injonctions qui s’interdisent mutuellement, induisent une impossibilité de les exécuter sans contrevenir à l’une des deux.

17Ce travail a constitué les fondements de base de l’Ecole de Palo Alto dont une synthèse figure dans un ouvrage publié par Bateson & Wittezaele en 2008. Ces travaux ont notamment permis une meilleure compréhension des processus de communication (Watzlawick, Helmick Beavin & Jackson, 1972).

18Dans le cadre de ces travaux, la gestion des paradoxes apparait comme un enjeu central au management des organisations. Des travaux en sciences de gestion ont utilisé ces concepts et ont mis en évidence l’impact des injonctions paradoxales sur les managers. En guise d’illustration, Bourguignon (2003) utilise cette théorie pour montrer comment le « nouveau » contrôle de gestion s’inscrit dans le cadre d’une double contrainte marquée par les exigences de conformité et d’autonomie (ou comment prendre des initiatives sans enfreindre les règles de l’organisation ?).

19Dans le prolongement de ces travaux, nous trouvons également ces situations de logiques contradictoires dans le cadre de la théorie sur les tensions de rôle développée par Robert L Kahn & al (1964). Ces auteurs décrivent une gestion marquée par des conflits et des ambiguïtés de rôles imposés aux acteurs. Kahn & al (1964) définissent les conflits de rôle comme des demandes reçues par un individu dans le cadre de son travail quotidien, ces exigences étant marquées par des attentes simultanées mais incompatibles l’une de l’autre. Dans ces situations de conflits naissent alors des tensions de rôle rendant difficile la capacité de l’acteur à répondre à ces multiples attentes.

20Kahn & al (1964) évoquent également les situations d’ambiguïté de rôle liées à l’incertitude ressentie par une personne par rapport à l’insuffisance d’information reçue en vue de l’exercice du rôle. En synthèse de leurs propos, Kahn & al (1964), soulignent alors les impacts générés par ces situations en termes de « stress organisationnel ». Ces études ont été prolongés par Katz & Kahn (1966) et Rizzo, House & Lirtzman (1970).

21Les travaux sur les tensions de rôle ont alors cherché à appréhender l’impact de ces tensions (Perrot, 2009). A titre d’exemple, Commeiras, Loubès & Fournier (2009) analysent les incidences des tensions de rôle vécues par les managers de rayon de deux enseignes nationales de « Grandes Surfaces Alimentaires ». Leur conclusion évoque l’impact dysfonctionnel des tensions de rôle sur l’implication affective des chefs de rayon dans l’exercice de leur métier.

22Dans le cadre de ces travaux, la gestion des injonctions paradoxales et des tensions de rôle est présentée plutôt comme ayant une logique dysfonctionnelle, poussant l’étude des situations de double autorité sous l’angle des risques. Cependant, ces analyses évoquent également le fait que les organisations doivent s’efforcer de faire émerger le « potentiel positif » des situations paradoxales. Watzlawick (1991) explique par exemple qu’on ne sort d’une boucle paradoxale (double contrainte) que par un recadrage, permettant une lecture de la situation à un niveau différent. Nous proposons donc de compléter ces travaux à partir du concept d’ « espace de discussion » développé par Mathieu Destchessahar. Cette réflexion est l’objet de la sous-section suivante.

1.2 – Un prolongement de la réflexion à l’aide du concept d’ « espace de discussion » développé par Mathieu Destchessahar

23Inscrivant son propos dans la problématique des travaux de Jean-Daniel Reynaud et d’Armand Hatchuel sur l’incomplétude des prescriptions imposées aux acteurs, Mathieu Destchessahar a mené différentes recherches sur la question de la discussion dans les organisations. Les espaces permettant la discussion peuvent en effet prendre des formes multiples dans les organisations que ce soit à partir d’espaces structurés via la mise en place de salles d’exploitation d’entreprises, de systèmes de gestion des connaissances ou de groupes projets, ou être plus ouverts à partir d’équipes autonomes ou de réunions d’échanges de pratiques.

24Ces espaces visent la recherche d’un dépassement des prescriptions à partir de la discussion des représentations cognitives des acteurs, ces espaces devant permettre aux acteurs de mettre en débat le travail prescrit, de lever les éventuelles contradictions entre injonctions et d’interagir en vue de la construction d’un compromis.

25Décrivant des acteurs devant faire face à l’incomplétude des prescriptions, Detchessahar (2013) caractérise les principes d’un management par la discussion à travers « l’ensemble des arrangements, compromis et bricolages » (p.59). Pour Detchessahar (2013), cette définition montre que ces espaces sont à la fois, structurants et structurés pour l’organisation et les acteurs qui la compose. Il s’agit à la fois d’un processus qui permet la fabrique du compromis à travers la mise en débat du travail prescrit tout en permettant l’élaboration de solutions produites sur la base de cet arbitrage.

26D’après Detchessahar & Journé (2007), ces espaces de discussion sont d’autant plus nécessaires quand les transformations des organisations font évoluer les rôles et les positions des acteurs et demandent un accord autour de nouvelles règles du jeu. Detchessahar (1999) présente par exemple, l’élaboration de normes d’assurance qualité dans le domaine logistique. Il évoque le contexte d’une structure de transport marquée par une forte culture familiale, régionale et artisanale éloignée de « l’univers symbolique de la grande entreprise industrielle » (p.30). Dans ce contexte, la mise en place d’espaces d’échanges d’information et de confrontation des opinions est présentée comme facilitant la coordination des acteurs de la chaine logistique.

27De même, à l’occasion d’une recherche sur les équipes autonomes développées au sein des Chantiers de l’Atlantique, Detchessahar (2002) évoque les apports de ces espaces de discussion entre les compagnons d’un atelier de soudure. Detchessahar (2002) décrit alors le contexte de socialisation ouvrière comme point d’appui à l’émergence de nouvelles représentations du métier.

28L’articulation du concept d’espace de discussion proposé par Detchessahar avec les travaux que nous avons rappelés dans la première sous-section nous semble de nature à enrichir la compréhension d’une gestion des situations d’injonctions paradoxales et des tensions de rôles. Notre démarche permet ainsi d’ouvrir plus clairement la réflexion vers les usages d’une gestion structurée autour du dialogue, et pas uniquement des ambiguïtés et des contradictions des rôles.

2 – La méthodologie de la recherche

29Nous faisons le choix d’étudier dans cet article, la gestion des agents des collèges en situation de double autorité. Nous précisons ci-après le cadre légal et réglementaire portant sur la gestion de ces personnels puis nous présentons notre démarche méthodologique.

2.1 – Le cadre de la gestion des agents des collèges : quelques repères légaux et réglementaires

30En application de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux « libertés et responsabilités locales », environ 90 000 agents de l’Education nationale ont été transférés vers les collectivités locales à partir du 1er janvier 2006. Ce transfert s’est effectué en plusieurs phases, et depuis le 1er janvier 2009, les Conseils généraux (devenus récemment Conseils départementaux) sont les employeurs de ces personnels devant exercer leurs missions dans les établissements. Les collectivités ont ainsi reçues par cette loi, les missions d’accueil, de restauration, d’hébergement ainsi que d’entretien et de sécurité des établissements d’enseignement.

31Afin de faciliter la coordination des activités entre EPLE et Conseil départemental, des décrets d’application sont venus préciser le cadre d’intervention des autorités dont quelques extraits figurent ci-après (tableau 1).

Tableau 1

Le cadre règlementaire relatif aux compétences des autorités (extrait)

Décret n°2005-1631 du 26 décembre 2005
« Le gestionnaire est chargé sous l’autorité du chef d’établissement, des relations avec les collectivités territoriales pour les questions techniques et il organise le travail des personnels » (Article 19). « Les Départements ou les Régions assurent également : le recrutement, la rémunération et la gestion des personnels exerçant leurs missions dans les établissements » (Article 82).
Décret n°2007-913 du 15 mai 2007
Les ATTEE sont chargés des tâches nécessaires au fonctionnement des services matériels des établissements d’enseignement, principalement dans les domaines de l’accueil, de l’entretien des espaces verts, de l’hébergement, de l’hygiène, de la maintenance mobilière et immobilière, de la restauration et des transports » (Article 3).

Le cadre règlementaire relatif aux compétences des autorités (extrait)

32Concernant le champ de compétences de chaque autorité, le Décret n°2005-1631 du 26 décembre 2005 fixant les modalités du transfert définitif aux départements précise que le Chef d’établissement et l’Adjoint-gestionnaire ont pour rôle d’encadrer et d’organiser le travail des personnels (organisation des plannings, répartition des tâches, …). Ce principe est rappelé dans le code de l’Education à l’article R.421-13.

33A contrario, le Conseil départemental assure le recrutement et la gestion des personnels en tant qu’employeur de ces agents. Afin de permettre la coordination des établissements avec le Conseil départemental, une convention entre l’EPLE et le Conseil départemental est prévue à l’article 82-10 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004. Le décret n°2007-913 du 15 mai 2007 est ensuite venu préciser le cadre d’emploi des agents des collèges (Adjoints Techniques Territoriaux des Etablissements d’Enseignements).

34Les Chefs d’établissement et les Adjoints-gestionnaires étant personnels de l’éducation nationale, il y a principe d’une double autorité sur ces agents, tant fonctionnelle (via l’intervention des personnels de direction des collèges) que hiérarchique (via le Président du Conseil départemental et par délégation le Directeur général des services).

35Or, ces deux autorités disposent également d’une autonomie de gestion. Le principe d’autonomie des collectivités locales est en effet reconnu à l’article L 1111-1 du Code Général des Collectivités Territoriales pour les Conseils départementaux, principe consacré par la loi du 02 mars 1982 portant « droits et libertés des communes, des départements et des régions ». La personnalité civile et l’autonomie financière des EPLE sont précisées dans le cadre de l’article L 421-2 du Code de l’éducation. Nous nous proposons donc d’étudier cette situation d’autorité partagée en faisant ressortir les capacités d’action des autorités à partir d’une méthodologie qualitative.

2.2 – La démarche méthodologique

36Nous faisons le choix dans cette recherche, de centrer notre analyse sur la gestion des agents affectés dans les collèges. Nous avons écarté de cette analyse la relation entre les établissements et les Conseils Régionaux concernant les personnels affectés dans les lycées. Il nous apparait en effet, que cette relation relève d’une organisation différente du fait de la présence d’agents chargés de coordonner l’action de la collectivité dans chaque établissement (communément appelés « Agent-chef »). Ces agents de coordination disposent d’un rôle de management des activités. Or, les Conseils départementaux étudiés ne disposent pas de ces agents de coordination, d’où l’absence de présence d’un représentant de la collectivité sur le terrain de l’EPLE.

37L’Annexe 1 synthétise le cadre méthodologique de cette recherche (objectifs, méthode …), cette fiche signalétique servant à présenter l’étude auprès des personnes interrogées. Afin de mieux situer le positionnement de chaque acteur, la figure 1 ci-après présente les principaux acteurs de ce management.

Figure 1

Les acteurs en charge de la gestion des agents des collèges

Figure 1

Les acteurs en charge de la gestion des agents des collèges

38Cette représentation des acteurs n’est pas limitative. D’autres acteurs interviennent dans la chaine d’autorité comme par exemple, les responsables académiques ou les représentants syndicaux qui accompagnent les agents lors de rencontres avec l’autorité fonctionnelle par exemple.

39Il convient également de souligner la diversité d’organisation dans la répartition des tâches de chaque acteur, notamment au niveau des Conseils départementaux. A titre d’exemple, un gestionnaire chargé des agents ATTEE dans un Département peut avoir pour rôle de mettre en place les procédures de gestion et d’assurer le suivi des dossiers de recrutement, de formation, d’évaluation, de notation, d’avancement par exemple en tant qu’agent de proximité de l’autorité fonctionnelle. Dans une autre collectivité, son rôle peut être plus limité notamment compte tenu de l’emprise de l’action de la direction en charge des ressources humaines qui peut prendre en charge les activités de recrutement ou de formation par exemple. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect des configurations organisationnelles en constituant un point de commentaire de nos données empiriques.

40Il nous a semblé important d’effectuer des entretiens semi-directifs auprès d’acteurs ayant des positions différentes. Nous avons ainsi réalisé des entretiens semi-directifs en interaction permettant d’accéder au sens que les acteurs donnent à leurs pratiques (Gavard- Perret & al., 2008). Vingt-quatre entretiens semi-directifs ont ainsi été effectués. Le tableau 2 ci-après synthétise les entretiens effectués en quatre catégories de personnel.

Tableau 2

La liste des entretiens effectués

Types d’acteursNombre d’entretiens
Conseil DépartementalResponsables de service et Chargés de mission8
Directeurs (DGA et DGS)4
Agents ATTEE3
EPLEAdjoints-gestionnaires et Chefs d’établissement9

La liste des entretiens effectués

41Ont été effectués des entretiens auprès de Chefs d’établissement, de personnels ATTEE, d’Adjoints-gestionnaires et de responsables de services de structures départementales (principalement service Ressources Humaines et Education). L’objectif de ces entretiens est ainsi de trianguler les données en croisant les informations entre les différents acteurs (par exemple confronter les dispositifs évoqués par l’Adjoint-gestionnaire et ceux présentés par les services des collectivités). Les agents interrogés sont chargés des espaces verts et de la gestion batimentaire ainsi que de l’entretien et du nettoyage et des services de restauration. D’autres acteurs ont également été interviewés tels que des Directeurs au sein de Rectorat (ex. : Directeur des ressources humaines, Directeur en charge de la gestion des personnels d’encadrement, Chargés de mission formation).

42Les entretiens visent à accéder à une description des dispositifs de gestion mis en place ainsi qu’à la perception des acteurs par rapport à ces dispositifs. L’Annexe 2 synthétise les items du guide d’entretien structurés en trois temps.

43Un premier temps questionne l’adaptation locale des configurations organisationnelles. Afin de comprendre la répartition des tâches entre les acteurs (EPLE, Conseils départementaux), cette première étape de l’entretien est centrée sur la compréhension des éléments de contexte et les activités réalisées par les différents services.

44Le second temps étudie les dispositifs de gestion mis en place. Il s’agit d’interroger les acteurs sur les items en liens avec la gestion des agents (recrutement, évaluation, mobilité …). Cette étape permet de questionner les risques et les opportunités associés à la double autorité.

45Enfin, un troisième temps est consacré à la présentation des modalités d’interaction entre structures, centrées principalement autour des dispositifs de contractualisation et de dialogue.

46Chaque entretien est retranscrit intégralement et constitue des données primaires pour cette recherche. A l’occasion de ces entretiens, des données secondaires comme par exemple, les conventions de partenariat, les plans de formation ou les dispositifs d’évaluation ont été collectées. Ces données constituent des sources complémentaires d’informations en vue de la compréhension des dispositifs de gestion mis en place.

47Nous avons ensuite procédé à une analyse par codage des données (Mucchielli, 2010, Paillé & Mucchielli, 2012). Le codage consiste à transformer les données brutes (paroles recueillies) en une formulation signifiante à travers une liste de thème. Ce choix du codage résulte de la complexité des données collectées (chaque entretien durant environ 1 à 2 heures et comprenant environ 10 à 15 pages de retranscription) et du caractère semi-directif des entretiens (les acteurs ayant à disposition la fiche signalétique et ayant une relative liberté pour évoquer les thèmes du guide d’entretien).

48Un premier niveau de codage a été utilisé pour résumer des parties importantes des entretiens concernant chaque item (présentation des services, des dispositifs mis en place pour gérer les agents …). Nous avons ensuite codé les verbatims autour de deux thèmes, à savoir les éléments associés aux risques de la double autorité et les extraits abordant le volet opportunité. La fonction de ces codes thématiques est de rassembler les verbatims dans des unités d’analyse plus significative. La présentation ci-après des données résulte de ce codage thématique

3 – La gestion des agents des collèges : une dualité d’autorité caractérisée par des risques et des opportunités

49Les données collectées sont présentées en deux temps. Dans une première sous-section, nous évoquons les risques associés à la dualité d’autorité. Le second temps est consacré au développement des éléments d’opportunités.

3.1 – De réels risques associés à cette dualité d’autorité …

50Le premier constat à poser porte sur la complexité même des organisations mises en place pour la gestion de ces personnels. La difficulté porte ainsi sur la gestion d’une multitude d’acteurs notamment au niveau du Conseil départemental. En effet, l’organisation des collectivités en charge des agents des collèges apparaît complexe, notamment dans la répartition et le partage des fonctions respectivement assumées par les services Education et Ressources Humaines en charge de ces agents. Il convient de préciser qu’il n’y a pas une homogénéité d’organisation entre départements, certains faisant le choix d’une gestion centralisée à la Direction des Ressources Humaines, d’autres d’une fonction déléguée ressources humaines en étant déconcentrée au sein de la direction éducation, d’autres encore partageant ces missions entre services Ressources Humaines et Education avec des degrés variables de formalisme. Cette diversité apparait notamment au niveau de la ligne hiérarchique, ce lien variant entre une ligne directe du Responsable Education ou du Directeur des Ressources Humaines, d’un Directeur Adjoint, voire d’une combinaison de ces responsables selon les enjeux des items concernés (ex : répartition d’un premier niveau d’autorité au niveau du service Education puis d’un second niveau lors d’un besoin de rappel aux règles par le Directeur des Ressources Humaines).

51De cette complexité, il en ressort tout d’abord, des risques dans la compréhension des rôles de chacun qui se manifestent par exemple dans les discours des Adjoints-gestionnaires par une perte de repères : « Je sais jamais trop qui appeler » (Mme MG, Adjoint-gestionnaire). Ce point de la multiplicité des interlocuteurs est évoqué à l’occasion notamment de la gestion de remplacements de longue durée assurés par des contrats temporaires impliquant l’intervention successive de plusieurs équipes du service Ressources Humaines (via différents sous-services tels que paye, remplacement et gestion des emplois) et du service Education. Les agents et les autorités fonctionnelles se retrouvent alors dans des situations complexes à la problématique de gestion des interlocuteurs multiples dont la coordination parfois hésitante peut être source de difficultés pour la gestion du service aux élèves et aux familles. Dans ce cas, le mode de résolution de ces difficultés porte sur l’action de l’Adjoint-gestionnaire chargé d’assurer la coordination des services départementaux à partir d’activités informelles ne faisant pas l’objet d’un processus administratif préétabli (à partir de contacts et de relances téléphoniques par exemple).

52De la multiplication des acteurs et du partage de l’autorité, il en ressort également un problème de « court-circuitage ». Ce point apparait au travers du manque d’informations des autorités fonctionnelles par rapport aux informations à disposition des agents départementaux : « Le problème c’est la communication. Les agents ont des informations (du Conseil départemental) que nous n’avons pas, nous ne sommes pas destinataires directement, cela pose problème. Certains agents appellent directement et disent, « on m’a dit que ». On se retrouve en difficulté. (…) Il faudrait l’information en même temps. Certaines personnes en tirent profit. Il faut téléphoner. J’appelle la référente du service des collèges » (M GB, Adjoint-gestionnaire).

53Pour pallier ce problème, le mode de gestion apparait organisé à partir d’une coordination d’action entre les services du Conseil départemental et l’EPLE. Les cas de court-circuitage apparaissent cependant plus problématiques en cas de conflits internes entre l’agent et le Chef d’établissement et/ou l’Adjoint-gestionnaire. La difficulté porte alors sur l’action d’un acteur cherchant à tirer parti de la situation d’absence d’information de son interlocuteur. Suite à un conflit avec deux agents, un Adjoint-gestionnaire évoque par exemple ce point de difficulté : « J’aurais dû être sollicité avec les agents en direct mais cela n’a pas été le cas. Il y en a une qui m’a sollicité et une autre qui est allé voir la référente territoriale » (Mme AM, Adjoint-gestionnaire).

54Cette gestion d’une double autorité apparait donc source de difficultés de gestion du fait d’une multitude d’acteurs. Si l’autorité hiérarchique du département est bien unique, ses composantes sont en réalité multiples selon les moments de la vie professionnelle de l’agent en poste. Or, selon les degrés de transversalité et de coordination interne à la collectivité, cette multiplicité d’interlocuteurs peut ainsi devenir un facteur d’instabilité. Les acteurs sont alors amenés à développer un système chaotique d’ajustement faisant intervenir des espaces non formalisés d’échanges et de discussions. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect de discussion qui apparait à de nombreuses reprises dans les discours des acteurs comme un moyen de gérer cette situation de double autorité.

55Au-delà de la multitude des interlocuteurs, le partage de l’autorité est également marqué par l’absence de hiérarchie entre les autorités, situation qui se caractérise par une autonomie de gestion et l’indépendance des EPLE vis-à-vis des départements. Cette organisation génère en effet des modes de fonctionnement plus complexes que celui fondé sur la simple transmission hiérarchique de consignes visant à décliner de manière homogène le cadre fonctionnel devant s’appliquer sur l’ensemble d’un service. Ce point est notamment développé en ce qui concerne les pratiques de correspondance de la Direction de Ressources Humaines vis-à-vis des autorités fonctionnelles. Ces derniers évoquent des pratiques d’envoi de documents et de courriers reçus par les Adjoints-gestionnaires, perçus comme des « notes de service », envoyés à tous les services départementaux sans prise en compte de la spécificité du rôle de l’autorité fonctionnelle. Face à ces difficultés de correspondance, les services Education des Conseils départementaux sont ainsi amenés à ajuster leurs actions par une activité de proximité auprès des EPLE. Les systèmes d’échanges et d’ajustements entre les EPLE et le service Education viennent alors pallier les difficultés de service : « On rattrape encore des coups qui partent de la DRH en oubliant que pour les personnels des Collèges, la règle édictée ne s’applique pas. On s’adapte au quotidien » (Mme MC, Responsable de service éducation).

56L’autre exemple pouvant être évoqué concerne les risques associés à l’autonomie de gestion des autorités lors du recrutement de personnels titulaires par exemple. Dans ces situations, les responsables interrogés évoquent des cas de confrontation de logiques contradictoires et de conflits entre autorités avec par exemple, une collectivité souhaitant privilégier des problèmes de reclassement et une autorité fonctionnelle souhaitant faire primer le recrutement d’un contractuel déjà affecté dans l’établissement et qui donne satisfaction. Dans ce cas, le mode de résolution de la situation porte sur la recherche d’un compromis privilégiant une solution plutôt qu’une autre. Il s’agit par exemple, de trouver un arbitrage pour l’avenir concernant la définition d’une période d’essai.

57De ce fait, la gestion de cette dualité d’autorité est caractérisée par des risques de gestion liés à une multitude d’interlocuteurs posant des difficultés de coordination pour les acteurs. Ces risques sont d’autant plus importants que la multiplicité des acteurs s’accompagne d’une autonomie de gestion des autorités. Sur ce plan, la présentation de ces difficultés apparait connectée au cadre des théories sollicitées (théorie de la double contrainte et des tensions de rôle). Appliquée à la gestion des agents des collèges, ces théories permettent d’analyser ces situations de paradoxes imposées aux acteurs. Cette présentation met également en lumière les situations d’ambiguïtés de rôle comme par exemple, avec un Adjoint-gestionnaire amené à effectuer une partie des activités de l’autorité hiérarchique en tant qu’acteur en interface avec l’agent, mais sous les contraintes imposées par l’autorité hiérarchique. Cependant, cette description des risques montre que les acteurs trouvent également des modes de dépassement de ces situations paradoxales à partir de dispositifs interactifs de dialogue

3.2 – … mais une double autorité également source d’opportunités pour les acteurs

58Les collectivités départementales ont en effet dans le premier temps du transfert des personnels mis en place des réunions plénières auxquelles ont participé les Chefs d’établissement et les Adjoints-gestionnaires. Ces dispositifs de discussion constituent toujours le mode privilégié de dialogue entre autorités. Pour la collectivité, ces moments de discussion permettent d’inciter à une vision « macro » et pas seulement centrée sur les demandes des équipes de direction de leurs propres établissements. Même si ces réunions posent le principe d’une participation, elles restent cependant plutôt perçues dans une logique descendante et formelle. Cela apparait à travers les thèmes évoqués dans les comptes rendus des réunions plénières concernant les « questions diverses » posées par les équipes de direction.

59Ce modèle de dialogue n’est pas exclusif d’autres approches d’initiatives locales aux appellations multiples (groupes de travail, comités de gestion, …). Ces différents espaces permettent de définir le cadre d’intervention de l’autorité fonctionnelle en facilitant la discussion sur les problèmes rencontrés. Ces espaces peuvent également être centrés sur les agents. Un Conseil départemental a par exemple mis en place des clubs métiers tels que des clubs de cuisiniers concernant la mission restauration : « Ce club (de cuisinier) a défini les matériels performant pouvant éviter des difficultés sur le travail notamment sur la grosse plonge où on essaye d’acheter des laves-batteries qui évitent aux agents d’être plier en deux » (Mme AS, Responsable du service Education).

60Ces groupes de travail sont animés par un agent de la collectivité à partir de petits groupes d’agents volontaires. Il s’agit le plus souvent de groupes d’échanges de pratiques portant sur des thèmes précis à discuter mais sans que la collectivité définisse de solutions a priori : « L’idée, c’est qu’ils échangent, nous avons travaillé sur la mutualisation pour se prêter des choses, se donner des coups de mains ponctuels et cela marche. Cela permet aux gens d’échanger sur des pratiques, de voir que l’on peut faire autrement, s’organiser différemment » (Mme CB, Responsable du service Education). Ce point portant sur les apports en terme de pratiques de travail est relayé par les perceptions des agents des collèges participant à ces groupes : « Je trouve que ces clubs permettent de voir ce que font les autres collègues. Je suis habilité électrique, mais je suis le seul dans mon collège. Cela nous donne des informations utiles » (M CL, Agent d’entretien).

61La double contrainte étant une situation insoluble directement, sa résolution passe donc par le développement d’ « espace de discussion » tels que des réunions plénières ou des groupes locaux de travail pouvant porter sur des thèmes spécifiques. Ces logiques de discussion permettent de sensibiliser les autorités fonctionnelles par exemple, lors de l’organisation de réunions sur les avancements où ces moments incitent en même temps, les Adjoints-gestionnaires à être plus attentifs dans le remplissage des fiches d’évaluation.

62De plus, comme évoqué dans la sous-section précédente, des espaces informels de discussion existent également en permettant des échanges entre acteurs (ex. : contact direct de l’Adjoint-gestionnaire avec le référent ressources humaines du service éducation). Les acteurs mettent ainsi en avant la nécessaire concertation qu’impose cette configuration en double autorité.

63La situation des interlocuteurs multiples constitue une source d’opportunités pour la gestion du service en favorisant des apports mutuels. L’activité des Chefs d’établissement et des Adjoints-gestionnaires apparait essentielle à l’action territoriale en permettant une proximité avec les agents selon la logique « nous sommes sur le terrain ». Par l’ajustement et le dialogue, l’autorité fonctionnelle facilite la transformation d’une situation pouvant apparaitre comme dysfonctionnelle en une relation d’opportunité pour les acteurs (par exemple à partir d’une coordination plus informelle de l’action départementale par l’Adjoint-gestionnaire).

64Réciproquement, l’action du Conseil départemental apparait également importante pour l’EPLE en tant que tiers-expert, via l’action d’interlocuteurs spécialisés sur un champ de compétence. C’est le cas notamment dans des situations de conflits internes où l’action des services départementaux apparait comme un organe d’écoute et de recadrage des agents en tant que « premier niveau de médiation », voire en tant que structure de conseil : « Ils savent qu’ils peuvent aussi s’appuyer sur l’autorité du (Conseil départemental) quand ils sont en difficulté, via médiation et autorité. On peut venir arrondir les angles » (Mme AS, Directeur général adjoint en charge des politiques éducatives).

65Ces éléments d’opportunité apparaissent précisément parce qu’il y a une autonomie de gestion entre l’EPLE et le Conseil départemental. La situation d’absence de hiérarchie entre les autorités est en effet perçue comme une source d’opportunité. Les discours des équipes de direction des établissements évoquent notamment les relations de confiance instaurées au fil du temps avec les services départementaux : « Ma gestionnaire, je la vois souvent satisfaite après un coup de fil avec la collectivité. Déjà avec le correspondant, elle n’a pas peur d’appeler » (M EM, Chef d’établissement).

66De ce fait, quelles qu’en soient les formes, ces espaces de discussion traduisent le nécessaire dialogue (formel et informel) qu’induit cette organisation de double autorité qui finalement plus qu’un frein à l’action est dépassée pour être une ressource à celle-ci. Ces espaces impliquant une « ingénierie de la discussion » pour reprendre le terme de Detchessahar & Journé (2007), ont pour fonction de clarifier les positions respectives autant que de rassurer les acteurs sur leurs intentions.

4 – Discussion

67La présentation de ces données empiriques permet de rendre compte d’une gestion de la double autorité au travers de ces aspects de risques et d’opportunités. Sur ce point, ces données apparaissent en effet connectées aux théories sollicitées en illustrant des situations d’injonctions paradoxales et d’ambiguïtés de rôle comme sources de dysfonctionnements. En même temps, les espaces de discussion facilitent la réalisation d’apports mutuels entre autorités. Ces aspects apparaissent liés à des contextes soutenant la configuration organisationnelle duale.

4.1 – Une double autorité appréhendée sous l’angle des risques et des opportunités

68La confrontation des données empiriques et des éléments académiques permet de mettre en évidence un management caractérisé par des injonctions paradoxales comportant des risques bloquants pour les acteurs. La confrontation de ces données permet donc de mieux identifier et d’illustrer ces difficultés à partir d’exemples formulés par les acteurs (ex. : attente d’une gestion de proximité et exigence d’une régulation globale des ressources humaines par la collectivité). Nous nous trouvons également face à des situations d’ambiguïtés de rôle. Complémentaire à la théorie de la double contrainte, la théorie sur les tensions de rôle permet donc de mieux identifier les situations de rôles imprécis et les risques liés à l’exigence de rôles multiples demandés aux acteurs.

69Loin d’être limité à une organisation marquée par des logiques contradictoires et d’ambiguïtés de rôles, les dispositifs de dialogue (formels et informels) apparaissent en même temps, sources d’opportunités pour les acteurs en permettant des apports mutuels ; ces éléments étant d’autant plus favorables qu’ils s’accompagnent d’une autonomie de gestion entre autorités. En effet, dans cette configuration se croise à la fois une logique de proximité (via l’intervention des équipes de direction des collèges) et en même temps un « tiers-expert » spécialisé (à partir de l’action des services départementaux).

70Comme l’évoque Watzlawick (1991), au-delà du constat de la présence simultanée de deux éléments exclusifs, le mode principal de gestion de ces paradoxes consiste à créer une nouvelle perspective qui parvienne à englober les deux éléments exclusifs. Cela apparait dans le cadre de la gestion des agents des collèges au travers de la mise en place de dispositifs de dialogue permettant l’explicitation des divergences et la clarification des positions respectives des acteurs (ex : dépasser l’incompatibilité des points de vue à partir d’une logique de compromis).

71Le concept d’ « espace de discussion » nous semble donc précisément de nature à éclairer une dimension « plus positive » de la double autorité dans la mesure où ces espaces apparaissent comme des lieux d’expression, de confrontation et de dépassement des logiques propres à chaque partie-prenante permettant de lever les éventuelles contradictions entre les injonctions (Detchessahar, 2013).

4.2 – Une gestion des agents des collèges adaptée à chaque contexte local

72La gestion de ces aspects apparait adaptée à chaque contexte local. D’après Detchessahar & Journé (2007), les espaces de discussion sont d’autant plus nécessaires quand les transformations des organisations font évoluer les rôles et les positions des acteurs et demandent un accord autour de nouvelles règles du jeu. Ce point d’une évolution des rôles apparait dans le contexte de la gestion des agents des collèges. Le transfert de ces agents a en effet nécessité une évolution des rôles de chaque autorité par rapport à la situation antérieure où ces personnels étaient rattachés hiérarchiquement et fonctionnellement à la direction de l’EPLE.

73En ce qui concerne l’autorité fonctionnelle, les compétences mobilisées portaient précédemment sur des compétences principalement juridiques visant la gestion administrative et logistique du collège. Concernant la gestion des ressources humaines, l’Adjoint-gestionnaire et le Chef d’établissement disposaient d’une capacité d’action fondée sur la transmission d’instructions directement liée à leur maitrise des mécanismes d’évaluation et de sanction (du fait du rattachement hiérarchique à l’équipe de direction). Avec la double autorité, leurs rôles ont évolué. En l’absence du volet hiérarchique, ces acteurs évoquent aujourd’hui la nécessité d’une gestion plus basée sur l’incitation, la mobilisation et la participation des agents.

74Loin d’être limité à l’Adjoint-gestionnaire, ce changement de rôle est également présent au niveau de l’autorité hiérarchique. Avant l’acte 2 de la décentralisation, les services Education des Conseils départementaux ne géraient que les aspects batimentaires des collèges au travers d’une gestion des interventions et de la construction des collèges. D’une logique de pilotage d’une politique d’investissement, ces services sont passés à la gestion de problématiques opérationnelles de gestion d’agents (activités de formation, de mobilité, de remplacement …). Une phase de compréhension des organisations des règles de fonctionnement respectives de chaque autorité et des problématiques de gestion de ressources humaines a alors été nécessaire.

75Pour les directions des Ressources Humaines, il ne s’agit pas non plus d’un simple changement lié au transfert de personnel complémentaire. Ces services de ressources humaines des Conseils départementaux se sont retrouvés confrontés à la problématique de la gestion d’une autorité partagée qu’ils n’avaient pas l’habitude de gérer. Cette situation de partage était peu présente dans la situation des agents gérés par les Conseils départementaux. Les services ressources humaines géraient ainsi dans la configuration d’une maitrise complète de l’autorité à la fois fonctionnelle et hiérarchique. Ces services ont dû apprendre à intégrer la spécificité des équipes de direction des collèges et à intégrer la notion de partage de l’autorité. De ce fait, ces éléments de contexte sur l’évolution de rôle expliquent ainsi l’intérêt au déploiement du dispositif de dialogue permettant l’interaction et la construction de compromis entre autorités.

Conclusion

76Nous avons centré le propos de cet article sur les logiques de risques et d’opportunités. De notre point de vue, ces situations à la fois d’apports et de difficultés trouvent leurs résolutions au travers du déploiement d’espaces d’ajustement et de dialogue. Nous envisageons de poursuivre l’analyse en étudiant plus spécifiquement, les politiques de gestion des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité. Cette politique touche des problèmes de dualité ; par exemple comment gérer les exigences d’un document unique à partir d’une gestion de personnels appartenant au statut de la Fonction Publique d’Etat et de la Fonction Publique Territoriale ? Ce prolongement nous apparait en effet comme en phase avec le cadre proposé par Mathieu Detchessahar sur la prise en compte de la problématique de la santé au travail à partir de dispositifs de dialogue.

77Plus que la contestation de cette double autorité ou la fixation sur les seuls aspects de risque, cet article permet de mieux comprendre cette relation duale entre autorité fonctionnelle et hiérarchique. Ces logiques de gestion d’une autorité partagée apparaissent finalement dans l’ère du temps du management public notamment des collectivités territoriales avec de nombreuses configurations de groupe projet ou de contrats multipartites imposés par les regroupements, les mutualisations ou les associations qui obligent à travailler ensemble et à se confronter. Dans ce contexte, le manager n’est alors pas celui qui sait tout, mais qui accepte la mise en débat, y compris avec d’autres échelons organisationnels au prix d’une complexité. Nous nous trouvons alors devant des managers tiraillés dans des contradictions dont il apparait nécessaire d’analyser et d’expliquer les caractéristiques.


Annexe 1

La fiche signalétique de la recherche

Titre de la recherche : MANAGEMENT DES PERSONNELS ATTEE EN SITUATION DE DOUBLE AUTORITE
Laboratoire organisateur : CEREGE, Université de Poitiers
Pilote de projet : Aurélien RAGAIGNE, Maître de conférences en sciences de gestion
Objectifs du projet :
- Présenter les impacts de la hiérarchie duale dans les différentes composantes du management des personnels ATTEE (recrutement, formation …) ;
- Identifier les moments où cette double autorité impacte les structures (EPLE et collectivités) en termes de transfert de connaissance, de travail collaboratif, de problème de dialogue et/ou de coordination … ;
- Comprendre les modes de participation entre structures (groupes de travail, conventions de partenariat …).
Intérêts académiques de la recherche :
Management avec des collectivités territoriales en situation d’éloignement géographique par rapport à un chef d’établissement/gestionnaire en interface direct avec ces personnels
Méthodologie de la recherche :
Entretiens auprès des chefs d’établissement, des personnels ATTEE des collèges et des lycées, des Adjointsgestionnaires, des services des structures territoriales (principalement RH et éducation)
Structure du guide d’entretien :
Les entretiens durent environ 1 heure et sont articulés autour de trois temps :
- Compréhension des éléments de contexte (EPLE, Conseil départemental par exemple service RH ; éducation) ;
- Interrogation sur les items en liens avec la vie des personnels (recrutement, évaluation, mobilité …) ;
- Identification des modes de participation entre structures (EPLE, collectivités) et des relations avec les Rectorats (ex. : dispositifs de contractualisation, de dialogue …).
Annexe 2

Les items du guide d’entretien

1. CONTEXTE (EPLE ET CONSEIL DEPARTEMENTAL)
- Présentation des interlocuteurs et services, notamment rôles par rapport aux personnels ATTEE ; Modes de répartition des activités entre services ;
- Quelques données chiffrées : effectifs, nombre de sites d’affectation, budget ;
- Présentation du pôle en charge de la gestion des personnels : personnels dédiés, organisation de la ligne d’autorité ; modes de fonctionnement du service ;
- Existence de dispositifs spécifiques pour les personnels ATTEE (formations ; accueil)
2. PRATIQUES DE MANAGEMENT
- Gestion des effectifs : procédure de recrutement spécifique ; gestion des horaires, des absences, des congés, gestion du présentéisme et de l’absentéisme, mode de gestion des remplacements ;
- Gestion des activités et contrôle : management des équipes et répartition des tâches, contrôle de la qualité de services, visites sur place pour vérification du respect des consignes ;
- Dispositif d’évaluation : modalités d’organisation des entretiens d’évaluation, acteurs chargés de l’entretien, décisions lors de l’entretien ;
- Formation : gestion du temps de formation, choix des types de formation, contrôle du cumul de nouvelles compétences ;
- Dialogue social : dispositifs de prise en compte des conditions de travail et risques psycho-sociaux, problématiques d’hygiène et de sécurité.
3. DISPOSITIFS DE DIALOGUE
- Existence de dispositifs de dialogue : Réunions plénières, réunions métier, groupes de travail avec services académiques ; Espaces d’échanges type intranet, réunions informelles, espaces de codécision ;
- Présentation du dispositif de contractualisation : contrats/conventions de partenariats, convention-cadre.

Bibliographie

Bibliographie

  • BARTOLI A., BLATRIX C., 2015, Management dans les organisations publiques, Dunod, 4ème edition.
  • BATESON G., JACKSON D., HALEY J., WEAKLAND J., “Toward a Theory of Schizophrenia”, in BATESON, G., 1972, Steps to an Ecology of Mind : a Revolutionary Approach to Man’s Understanding of Himself, New York : Ballantine Books, 251-254.
  • BATESON M., WITTEZAELE A., 2008, La double contrainte : l’influence des paradoxes de Bateson en sciences humaines, Bruxelles, De Boeck, 1 vol. (XI).
  • BATESON G., 1980, Vers une écologie de l’esprit, Paris, Seuil.
  • BOURGUIGNON A., 2003, Conformité-autonomie : la double contrainte du « nouveau » contrôle de gestion ?, in PERRET V., JOSSERAND E., Le paradoxe : penser et gérer autrement les organisations, Éd. Ellipses, Paris, 191-221.
  • CNFPT, 2010, Les transferts des agents TOS dans les régions et les départements, Observatoire de l’emploi, des métiers et des compétences de la fonction publique territoriale, avril.
  • COMMEIRAS N., LOUBES A., FOURNIER C., 2009, « Les effets des tensions de rôle sur l’implication au travail : une étude auprès des managers de rayon », Management International, 13, 4, 73-89.
  • DETCHESSAHAR M., 1999, « Pluralité des modes de coordination des échanges sur le marché de la prestation logistique », Gérer et comprendre, 57, 23-34.
  • DETCHESSAHAR M., 2013, « Faire face aux risques psychosociaux : quelques éléments d’un management par la discussion », Revue Négociations, 19, 57-80.
  • DETCHESSAHAR M., HONORE L., 2002, « Fonctionnement et performance des équipes autonomes : le cas d’un atelier de soudure des Chantiers de l’Atlantique », Finance Contrôle Stratégie, 5, 1, 43-75
  • DETCHESSAHAR M., JOURNE B., 2007, « Une approche narrative des outils de gestion », Revue Française de Gestion, 174, 77-92.
  • EMERY Y., GIAUQUE D., 2005, Paradoxes de la gestion publique, L’Harmattan.
  • FAYOL H., 1966, Administration industrielle et générale : Dunod.
  • GAVARD-PERRET M.L., GOTTELAND D., HAON C., JOLIBERT A., 2008, Méthodologie de la recherche : Réussir son mémoire ou sa thèse en Sciences de gestion, Pearson Education.
  • KAHN R. L., WOLFE D. M., QUINN R. P., SNOEK J. D., 1964, Organizational stress : studies in rôle conflict and ambiguity, Wiley & Sons.
  • KATZ D., KAHN R.L., 1966, The social psychology of organizations, Wiley
  • KRASSOVSKY J., 2012, « Agents TOS La double autorité, un frein à l’intégration », Gazette des communes, des départements et des régions, 23 janvier, 12-15.
  • MUCCHIELLI A., 2014, Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines, Armand Colin, 3ème édition.
  • PAILLE P., MUCCHIELLI A., 2012, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin.
  • PERROT S., 2009, « Échelles de mesure de la socialisation organisationnelle : état de l’art et perspectives », Management International, 13, 4, 115-127
  • REY A., 2005, Dictionnaire de la langue française, Le Robert
  • RIZZO J., HOUSE R., LIRTZMAN S., 1970, “Role conflict and ambiguity in complex organizations”, Administrative Science Quarterly, 15, 150-163.
  • WATZLAWICK P, HEMICK-BEAVIN J., JACKSON D. 1972, Une logique de la communication, Paris, Seuil.
  • WATZLAWICK P., 1991, Changements : paradoxes et psychothérapie, Paris : Éd. du Seuil.

Mots-clés éditeurs : autorité, espace de discussion, dialogue, collège, hiérarchie

Mise en ligne 21/03/2017

https://doi.org/10.3917/gmp.051.0045

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.90

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions