Notes
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[1]
La CEMAC regroupe six pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. Elle se donne comme mission de promouvoir un développement harmonieux des États membres dans le cadre de l’institution d’un véritable marché commun. Pour en connaître davantage, consulter le lien suivant : http://www.cemac.int/apropos.
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[2]
La constitution camerounaise a fait l’objet de trois modifications depuis 1990. La première est intervenue le 23 avril 1991, la deuxième le 18 janvier 1996, et la troisième date du 14 avril 2008.
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[3]
Au terme des élections législatives du 30 septembre 2013, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, avait remporté 148 des 180 sièges de l’Assemblée nationale. Après les élections sénatoriales du 14 avril 2013, le RDPC venait en tête avec 56 sièges sur 70, soit 80 % des sièges, contre 14 pour le Social Democratic Front (SDF), sans compter les 30 autres sénateurs attendus, et qui devraient être nommés par le Chef de l’État, lui-même Président national du RDPC.
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[4]
En français, Organisation internationale des Institutions supérieures de contrôle des finances publiques.
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[5]
Conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs telle que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976 et de l’article 2 alinéa 1 du décret n° 2013/287 du 4 septembre 2013 portant organisation des Services du Contrôle supérieur de l’État.
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[6]
V. alinéa 3 de l’art. 73 de la directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances.
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[7]
V. la Constitution de 1992 créant la Cour des comptes et de discipline budgétaire du Congo et le chapitre II de la loi n° 19-99 du 15 août 1999 portant organisation du pouvoir judiciaire au Congo Brazzaville.
Pour des raisons de conformité des lois internes aux normes communautaires, la transposition des directives de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale du 19 décembre 2011, visant l’harmonisation du cadre juridique de la gestion des finances publiques par les pays membres dans leur ordre juridique, est une exigence.
1Sans aucun doute, le quatrième trimestre de l’année 2011 aura été pour les États membres de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) [1], l’un des plus riches en matière de production des normes communautaires relatives aux finances publiques. Précisément, c’est le 19 décembre 2011 que le Conseil des ministres de l’Union Économique de l’Afrique Centrale (UEAC) a rendu public le nouveau cadre harmonisé de gestion des finances publiques dans la sous-région. La raison de l’adoption de ces directives est que le système des finances publiques en vigueur était inadapté pour répondre au défi de développement auquel étaient confrontés les pays membres.
2En effet, le souci d’aligner la gestion des finances publiques sur les bonnes pratiques et normes internationales, la volonté de renforcer le processus d’intégration régionale et de faciliter l’exercice de la surveillance multilatérale à travers l’harmonisation de la gestion des finances publiques appelaient inéluctablement la reconfiguration de l’arsenal normatif et institutionnel au niveau de la CEMAC. On l’aura compris sur la base de ces précédents propos, la saine gestion des finances publiques et l’efficacité des décisions des autorités nécessitent que chaque État possède une Institution supérieure de contrôle des finances publiques (ISC) dont l’indépendance est expressément garantie par la Constitution.
3Dans les pays où elle existe, la Cour des comptes est érigée au rang d’institution. Dans l’espace CEMAC, l’expérience serait loin de l’inédit, car le Conseil des ministres avait déjà adopté en juin 2008, cinq directives visant l’harmonisation du cadre juridique et les procédures de gestion des finances publiques dans lesdits États. Au Cameroun, la mise en œuvre de ces directives devrait se traduire par le basculement du système administratif de contrôle des gestionnaires publics par le CONSUPE à un contrôle juridictionnel des ordonnateurs par la future Cour des comptes.
4Seulement, la mise en œuvre de ces directives s’inscrit dans une démarche graduelle et séquentielle, les États membres disposant d’un délai de deux ans pour assurer la transposition de ces directives dans leur droit national respectif. Il est alors exigé de tous ces États de mettre en place une structure unique en matière de contrôle juridictionnel des finances publiques, notamment la Cour des comptes. C’est ainsi qu’au cœur de cette réforme, se trouve une disposition clé, la Section VI de la directive n° 06/11-UEAC-190-CM-22 relative au Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques. Sa rédaction est la suivante : « les finances publiques […] sont soumises au contrôle externe de la Cour des comptes, dont la création est obligatoire dans chaque État membre ».
5Le choix de ce thème se justifie tant pour des raisons d’ordre pratique que pédagogique. D’un point de vue pratique, les difficultés à déterminer l’ISC du Cameroun et les nouvelles missions qui lui incombent depuis l’adoption des directives CEMAC appelaient à des réflexions devant aboutir à des solutions. S’agissant de la dimension pédagogique, cette étude permettra d’appréhender la place de la future Cour des comptes dans le paysage institutionnel de contrôle externe des finances publiques au Cameroun.
6Il sera question dans les lignes qui suivent d’envisager une réflexion sur les éléments du système de contrôle externe qui ont subi une influence du droit communautaire depuis l’adoption de ces directives. À l’analyse, une constance se dégage, le système de contrôle des finances publiques a subi l’influence des différentes normes issues des directives CEMAC, tant sur la composante institutionnelle (1) que sur celle matérielle (2).
1 – Une influence marquée par la mutation institutionnelle du système de contrôle des finances publiques
7La Chambre des comptes est une institution qui assiste l’exécutif et le Parlement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances. Ces compétences qui lui viennent à la fois des lois et des directives CEMAC procèdent d’une communautarisation de l’organe juridictionnel (A) et de l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques (B).
A – La communautarisation de l’organe juridictionnel de contrôle
8Dans la réforme constitutionnelle de 1996 [2], la Chambre des comptes, dont l’avènement s’était inscrit dans la marche du Cameroun vers l’État de droit est rattachée à la Cour suprême. Aujourd’hui, s’interroger sur la place de la Chambre des comptes au sein des institutions de l’État semble, a priori, banal. Pourtant, tel ne devrait pas être le cas, parce que la réponse à cette question dépend en général de la tradition et de la culture du pays dans lequel elle se trouve. Ainsi, dans de nombreux pays de tradition anglo-saxonne, cet organisme est rattaché au Parlement. C’est le cas du National Audit Office au Royaume-Uni et du Governement Accounting Office aux États-Unis.
9Dans les pays francophones, la tradition est toute autre, dans la mesure où généralement, la Cour des comptes est placée à équidistance entre le gouvernement et le Parlement et qu’elle ne dépend ni de l’un ni de l’autre. En France, par exemple, le système institutionnel est fondé sur la séparation des pouvoirs : le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
10Au Cameroun, la place de la Chambre des comptes est clairement définie dans différents textes à valeur constitutionnelle et légale. Ainsi, d’après la Constitution du 18 janvier 1996, elle est la plus haute juridiction de l’État en matière de jugement des comptes. Sept années auront été nécessaires au législateur pour la mise en œuvre de la première d’une série de lois organiques relatives aux nouvelles institutions issues de la révision constitutionnelle de 1996.
11Généralement, et comme l’exigent les textes internationaux, les dispositions régissant le rôle et la place de la Cour des comptes au sein du cadre institutionnel de l’État doivent figurer dans un texte juridique de niveau supérieur : la Constitution. Cette dernière présente en effet la meilleure garantie juridique. Au-delà du fait que l’actuelle Chambre soit ancrée dans la Constitution, la création d’une Cour des comptes est indispensable, dans la mesure où elle demeure un outil de qualité dans le système de contrôle des finances publiques.
12C’est pourquoi le paragraphe 3 de la Section VI de la directive relative aux lois des finances fait de la création d’une Cour des comptes une obligation dans les États parties. Cette disposition mentionne que les finances publiques et les politiques qu’elles soutiennent « sont soumises au contrôle externe de la Cour des comptes, dont la création est obligatoire dans chaque État membre ». Il s’agit d’une institution indépendante par rapport au gouvernement et au Parlement et autonome par rapport à toute autre juridiction. Une étude comparative nous enseigne que d’autres communautés d’intégration sous-régionales, à l’instar de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, avaient déjà soumis les États membres à une telle exigence en leur prescrivant la création d’une Cour des comptes.
13En vue de marquer leur engagement à cette intégration et à l’harmonisation des finances publiques, certains pays membres de la CEMAC ont procédé à la réforme de leur système de contrôle juridictionnel des finances publiques, laquelle réforme a abouti à l’érection de la Chambre des comptes en une Cour des comptes. C’est le cas du Tchad, qui, à travers une loi organique adoptée au cours du premier trimestre 2014, a mis en place une Cour des comptes. Il n’est pas inutile de rappeler qu’avant la directive susdite, d’autres États de la CEMAC disposaient déjà d’une Cour des comptes. Au Gabon par exemple, la Constitution de 1962 avait instauré une Chambre des comptes au sein de la Cour suprême, alors qu’au Congo Brazzaville, la Constitution de 1992 crée une Cour des comptes et de discipline budgétaire.
14En dépit de l’intérêt que présentent ces normes communautaires, il faut relever qu’au Cameroun, l’érection de la Chambre des comptes en Cour des comptes reste conditionnée à la révision constitutionnelle. On sait que la procédure et les modalités de cette révision sont prévues à l’article 63 de la Constitution du 18 janvier 1996. Cette révision n’est effective qu’après avoir été approuvée soit par une majorité relative des membres du Parlement si l’initiative émane de ce dernier, soit par une majorité simple des suffrages exprimés si c’est la voie du référendum qui a été choisie par le Président de la République. En l’état actuel des choses, l’initiative émanant du Parlement paraît la voie à privilégier pour le gouvernement, d’autant qu’il dispose d’une majorité confortable au sein du Parlement [3].
15À l’analyse, il est loisible de penser que le projet ou la proposition de révision qui serait initié par voie référendaire ou par voie parlementaire pourra consacrer, soit la suppression de la Cour suprême actuelle et la création en ses lieu et place de trois hautes juridictions que seront le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Cour des comptes, soit le maintien de la Cour suprême dans sa version actuelle, mais composée des seules Sections judiciaire et administrative et l’érection de la Chambre des comptes en Cour des comptes autonome. Cette seconde proposition correspond d’ailleurs à la lettre et à l’esprit de l’article 72 de la directive relative aux lois de finances. Dans l’un et l’autre cas, le Cameroun ne sera pas en contradiction avec les textes communautaires, parce qu’il faut rappeler que, si la directive lie les États destinataires quant à l’objectif à atteindre, elle leur laisse, toutefois, le choix des moyens et de la forme pour atteindre l’objectif dans les délais fixés par elle.
16Telle qu’elle figure dans la directive CEMAC, la nouvelle Cour des comptes agira en tant qu’ISC, et pourra représenter le Cameroun au sein des instances internationales en matière d’audit et de contrôle des finances publiques en lieu et place du CONSUPE.
B – L’influence des normes communautaires sur la détermination des ISC
17Aux termes de l’article 2 des Statuts de l’INTOSAI [4], on entend par Institution supérieure de contrôle des finances publiques, toute institution publique d’un État ou organisation supranationale qui exerce, en vertu de la loi ou autre acte formel de l’État ou de l’organisation supranationale, le contrôle supérieur des finances publiques de cet État ou de cette organisation supranationale, et ce de façon indépendante, avec ou sans compétence juridictionnelle. En l’état actuel de la législation camerounaise, c’est un organe de l’ordre administratif exerçant un contrôle externe des finances publiques qui officie en qualité d’ISC. Dès l’entrée en vigueur des normes CEMAC, et pour des raisons que nous évoquerons plus loin, c’est la future Cour des comptes qui devrait être érigée en ISC.
18La reconnaissance expresse du CONSUPE comme ISC est contenue dans l’alinéa 1 de l’article 2 du décret n° 2013/287 du 4 septembre 2013 portant organisation de cette entité. Aux termes de ce texte, les Services du CONSUPE « constituent l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques du Cameroun ». À ce titre, ils ont notamment pour missions la « vérification des services publics, des établissements publics, des collectivités territoriales décentralisées et leurs établissements, des entreprises publiques et parapubliques […] ».
19Par ailleurs, la Chambre des comptes n’est pas une ISC au sens de la loi n° 2003/005 du 21 avril 2003 fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement de la Chambre des comptes. Cette loi a elle-même reconnu de façon implicite comme ISC, les Services du CONSUPE, lorsqu’elle dispose que les comptabilités de fait sont découvertes, soit par l’administration, soit par une mission d’audit de l’Institution supérieure de contrôle des finances publiques. Aujourd’hui, nul ne peut nier le statut d’ISC reconnu au CONSUPE par les textes législatifs et réglementaires. Sauf volonté politique contraire – ce qui serait d’ailleurs une grave violation du droit communautaire, l’actuelle Chambre des comptes sera érigée en Cour des comptes et bénéficierait alors du statut d’ISC dès l’entrée en vigueur des directives CEMAC.
20D’après la directive relative aux lois de finances, « les législations et réglementations nationales devront être mises en conformité avec les dispositions de la présente directive dans les vingt-quatre mois de son adoption par la CEMAC ». À l’issue de ce délai, les États membres devraient avoir transposé dans leur dispositif législatif et réglementaire l’ensemble des six directives. Comme signalé plus haut, le Conseil des ministres de l’UEAC a, en décembre 2014, pris la décision de reporter au 31 décembre 2017 la transposition de ces directives dans les droits nationaux. Cela signifie qu’après cette date, le rôle d’ISC sera dévolu à la future Cour des comptes.
21La question qui mérite d’être posée est celle de savoir ce que deviendra le CONSUPE après l’internalisation effective des directives CEMAC. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à ce jour, il a compétence pour contrôler et sanctionner les gestionnaires des crédits publics [5], missions dévolues par les textes communautaires à la future Cour des comptes [6]. Tout en restant dans l’esprit et la lettre des directives CEMAC, nous pensons que la meilleure solution serait la fusion de la Chambre des comptes actuelle et du CONSUPE ; ce qui aboutirait à la création par le législateur camerounais d’une Cour des comptes et de discipline budgétaire, comme c’est le cas au Congo Brazzaville [7].
22La dimension institutionnelle du système de contrôle des finances publiques n’est pas la seule composante où le droit communautaire exerce une influence, ce droit étend aussi son impact sur le domaine de compétence de la future Cour des comptes.
2 – Une influence marquée par l’élargissement du champ de compétence de la Cour des comptes
23Les autorités communautaires, tout en confirmant les missions traditionnelles jadis reconnues aux Chambres des comptes (A), ont étendu l’office de ces juridictions (B).
A – La confirmation des missions traditionnelles jadis dévolues à la Chambre des comptes
24Très souvent, le législateur a donné compétence à la Chambre des comptes pour contrôler et statuer, entre autres, sur les comptes publics et ceux des entreprises publiques et parapubliques. En lui conférant ces missions, le législateur a voulu ainsi donner compétence à la Chambre sur l’ensemble des comptes publics.
25Au titre de sa compétence non contentieuse, la Chambre des comptes a, aux termes de l’article 10 de la loi n° 2003/005 du 21 avril 2003 suscitée, compétence pour donner son avis sur toute question relative au contrôle et au jugement des comptes, de même qu’elle joue le rôle de conseil et d’assistance aux pouvoirs publics.
26Il faut relever que, depuis le 19 décembre 2011, la compétence non contentieuse de la future Cour des comptes est davantage fondée sur l’article 92 de ladite directive. D’après ces dispositions, « la Cour des comptes adresse au Parlement les avis, constats et rapports contenant les analyses et recommandations qu’elle fait ». Toujours au titre de la compétence non contentieuse de la Cour, le texte communautaire mentionne que : « […] la Cour des comptes peut émettre des avis et recommandations sur la gestion des ministères ainsi que, le cas échéant, sur leurs programmes ». De façon générale, comme dans la loi du 21 avril 2003, la compétence non contentieuse de la future Cour des comptes, à côté de la compétence contentieuse, représente « peu de choses » dans les directives CEMAC.
27Dans le cadre de sa compétence contentieuse, la Chambre est chargée de contrôler et de juger les comptes ou documents en tenant lieu des comptables publics patents ou de fait de l’État et de ses établissements publics, des collectivités territoriales décentralisées et de leurs établissements publics, des entreprises du secteur public et parapublic. À l’analyse, il ressort de ce qui précède que la compétence de la Chambre est fondée sur le critère matériel, pris dans la tenue des comptes et documents comptables en rapport avec les deniers publics.
28La Chambre connaît de la comptabilité, aussi bien des comptables patents que des comptables de fait. En réalité, la dévolution des compétences de ladite Chambre sur les comptables patents s’étend au contrôle et au jugement des comptes et documents annexes, quel que soit leur statut juridique, dans lesquels l’État et d’autres personnes morales détiennent ensemble un pouvoir de décision. Ces compétences juridictionnelles de la Chambre, à défaut d’être reprises, in extenso, par les autorités communautaires, se rapprochent de l’esprit desdites directives, en l’occurrence la directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances. Aux termes de ce texte, les missions de la Cour sont :
- la certification de la régularité, la sincérité et la fidélité du compte général de l’État ;
- le jugement des ordonnateurs, des contrôleurs financiers et des comptables publics ;
- le contrôle de la légalité financière et de la conformité budgétaire de toutes les opérations de dépenses et recettes de l’État.
29Ainsi cerné, l’examen combiné des textes susmentionnés permet de réaliser que la compétence contentieuse de la Cour s’est élargie depuis l’adoption des directives.
B – L’élargissement du champ de compétence de la future Cour des comptes
30En l’état actuel de la législation, la Chambre des comptes du Cameroun n’exerce plus seulement les attributions qui lui ont été confiées par la loi de 2003, mais davantage celles de contrôle de l’efficacité de la dépense publique.
31En effet, depuis l’adoption des textes communautaires, le contrôle de gestion exercé par la Cour des comptes est régi par la directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances. D’après cette directive, la Cour des comptes a, non seulement pour missions le jugement des ordonnateurs et des comptables publics, mais davantage, la constatation des irrégularités et fautes de gestion commises par les agents publics. Dans le même ordre d’idées, la norme communautaire ajoute que tous les ordonnateurs, y compris les membres du gouvernement ainsi que les hautes autorités responsables des institutions constitutionnelles, encourent les responsabilités qu’énonce la Constitution. Ce texte prévoit, qu’en cas de faute de gestion, tous les ordonnateurs peuvent voir engager, en raison de l’exercice de leurs attributions, les responsabilités que prévoit la Constitution de chaque État.
32Désormais, toute personne appartenant au cabinet d’un membre du gouvernement, tout fonctionnaire ou agent d’un organisme public, tout administrateur ou agent d’organismes soumis à un titre quelconque au contrôle de la Cour des comptes, peut être sanctionné pour faute de gestion. Au fond, l’enrichissement de la compétence de la Cour bien qu’amorcé et affiné n’est pas exempt de toute ambiguïté. En effet, l’article74 de la directive relative aux lois de finances ne cite pas explicitement les ministres et les Hautes autorités responsables d’institutions constitutionnelles au rang des justiciables de la Cour des comptes.
33Cette ambigüité est levée à la lecture de la directive n° 02/11-UEAC-190-CM-22 qui fait des ministres et des Hautes autorités responsables des institutions constitutionnelles, ordonnateurs principaux des budgets de leurs structures, des justiciables de la Cour des comptes. Plus concrètement, ces catégories de gestionnaires sont susceptibles d’être sanctionnées pour faute de gestion par la Cour des comptes. La responsabilité pour faute de gestion ne concerne pas seulement les ordonnateurs et les comptables qui participent directement à l’exécution budgétaire, mais tous les gestionnaires du secteur public, dont tous les responsables d’organismes qui sont contrôlés, ou qui peuvent l’être, par la Cour des comptes, et ce, quel que soit leur statut juridique.
34Depuis la loi française du 26 décembre 1890, qui posa le principe du contrôle préalable rendu effectif par la loi du 10 août 1922, le contrôleur financier constitue un maillon important dans la chaîne de contrôle et d’assainissement de la dépense publique. Au Cameroun et ce depuis le 19 décembre 2011, c’est l’alinéa 3 de l’article 73 de la directive relative aux lois de finances qui constitue le fondement de la compétence de la Cour sur les contrôleurs financiers. Désormais, la Cour des comptes a pour missions le jugement des contrôleurs financiers. Le texte communautaire consacre le contrôleur financier comme acteur budgétaire aux pouvoirs élargis. Le rôle de ce dernier a été rénové pour tenir compte des exigences de résultats et de performance. L’article 61 de la directive relative aux lois de finances dispose que le ministre chargé des finances nomme auprès de chaque ministre sectoriel un contrôleur financier chargé de veiller à la conformité budgétaire et à la régularité des projets d’engagement.
35Quant à la responsabilité de ces contrôleurs financiers, l’article 74 de la directive susmentionnée dispose qu’ils peuvent être poursuivis et sanctionnés si les infractions, commises par l’ordonnateur auprès duquel ils sont placés, ont été rendues possibles par une défaillance des contrôles dont ils ont la charge. Généralement, lorsque le contrôleur financier agit, il participe à la décision d’engagement de la dépense, et lorsqu’il donne son visa à une proposition de dépense irrégulière, il participe directement à la commission de l’infraction. À ce titre, il pourrait être justiciable devant la Cour des comptes avec les autres personnes incriminées.
36Sur un autre plan, il faut relever que, dès l’entrée en vigueur de ces textes communautaires, la Cour procèdera à l’évaluation de l’emploi des fonds publics au regard des objectifs fixés, des moyens utilisés et des résultats obtenus ainsi que de la pertinence et de la fiabilité des méthodes utilisées. Concrètement, il s’agit d’apprécier les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés, l’efficacité et l’efficience de la politique mise en œuvre au regard du coût des moyens utilisés.
37* * *
38En définitive, on attend que la future Cour des comptes aide à lever l’opacité qui entoure encore des pans entiers du système de contrôle juridictionnel des finances publiques au Cameroun. Quoi qu’il en soit, la réussite de la réforme repose très largement sur l’impulsion qui sera donnée par les plus hautes autorités de l’État, parce que, en réalité, il ne sert à rien d’adopter des textes si ceux-ci ne sont pas appliqués par les États membres, leurs destinataires.
Bibliographie
- Ouoba A.-R., La primauté du droit communautaire de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) sur le droit des États membres, mémoire de Maîtrise en droit public, Université St-Thomas d’Aquin, Ouagadougou, Burkina-Faso, 2012.
- Olinga A., « Réflexions sur le droit international, la hiérarchie des normes et l’office du juge camerounais », Juridis périodique, n° 63, juillet-août-septembre 2005.
- Makolle E., Droit supranational et ordre juridique interne, regards sur l’expérience camerounaise en matière d’intégration juridique (CEMAC, OHADA, COBAC, CIMA), mémoire en vue de l’obtention du DESS en relations internationales, IRIC, 2002.
Notes
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[1]
La CEMAC regroupe six pays, à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République de Centrafrique et le Tchad. Elle se donne comme mission de promouvoir un développement harmonieux des États membres dans le cadre de l’institution d’un véritable marché commun. Pour en connaître davantage, consulter le lien suivant : http://www.cemac.int/apropos.
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[2]
La constitution camerounaise a fait l’objet de trois modifications depuis 1990. La première est intervenue le 23 avril 1991, la deuxième le 18 janvier 1996, et la troisième date du 14 avril 2008.
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[3]
Au terme des élections législatives du 30 septembre 2013, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), parti au pouvoir, avait remporté 148 des 180 sièges de l’Assemblée nationale. Après les élections sénatoriales du 14 avril 2013, le RDPC venait en tête avec 56 sièges sur 70, soit 80 % des sièges, contre 14 pour le Social Democratic Front (SDF), sans compter les 30 autres sénateurs attendus, et qui devraient être nommés par le Chef de l’État, lui-même Président national du RDPC.
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[4]
En français, Organisation internationale des Institutions supérieures de contrôle des finances publiques.
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[5]
Conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n° 74/18 du 5 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs telle que modifiée par la loi n° 76/4 du 8 juillet 1976 et de l’article 2 alinéa 1 du décret n° 2013/287 du 4 septembre 2013 portant organisation des Services du Contrôle supérieur de l’État.
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[6]
V. alinéa 3 de l’art. 73 de la directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances.
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[7]
V. la Constitution de 1992 créant la Cour des comptes et de discipline budgétaire du Congo et le chapitre II de la loi n° 19-99 du 15 août 1999 portant organisation du pouvoir judiciaire au Congo Brazzaville.