Notes
-
[1]
Le caractère ambitieux de l’entrepreneur est apprécié à travers, notamment, deux dimensions de la PE : la croissance du chiffre d’affaires et des effectifs salariés. Dès 2013, Hermans et ses collègues ont recensé 21 travaux empiriques impliquant l’effet de l’âge de l’entreprise. Hermans, J., Vanderstrasten, J., Dejardin, M., Ramdani, D. (2013). L’entrepreneur ambitieux : état des lieux et perspectives, Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 12, n°1-2, p. 43-70.
-
[2]
ASEA (2017). « °Annual Report – For a sustainable future° », African Securities Exchanges Association, 49 pages.
-
[3]
Année d’indépendance : Botswana (1966), Ghana (1957), Zambie (1964) et Zimbabwe (1980).
-
[4]
Une valeur logarithmique négative signifie que la taille des actifs de l’entreprise est inférieure au million de dollars.
Introduction
1La relation entre l’âge de l’entreprise et la performance économique (PE) a fait l’objet d’une littérature abondante qui a donné lieu à diverses approches théoriques (Coad, 2018). L’approche de « l’apprentissage par la pratique » postule qu’accroître le niveau de connaissance peut améliorer la performance d’une entreprise (Garnsey, 1998). Cette approche est contestée par les tenants du « handicap de la sénescence », lesquels prétendent que les inefficacités organisationnelles augmentent avec l’âge (Hannan, 1998) et par ceux du « handicap de l’obsolescence », qui affirment qu’il y a un décalage entre les objectifs de l’entreprise et son environnement (Barron et al., 1994). La théorie de l’inertie structurelle postule qu’à mesure qu’une entreprise grandit, elle peut souffrir d’« ossification bureaucratique » induisant une résistance à tout changement organisationnel (Barron et al., 1994).
2A notre connaissance, il existe peu d’études consacrées à la relation entre l’âge de l’entreprise et sa performance économique et financière, en particulier en Afrique. Dans notre revue de littérature, nous n’avons trouvé que 4 études empiriques publiés dans des revues scientifiques, hormis des travaux relatifs à l’entrepreneur ambitieux [1]. Par conséquent, il existe de nombreuses pistes de recherche sur cette thématique.
3L’objectif principal de cet article vise à apporter un éclairage sur la relation entre l’âge d’une entreprise et sa performance économique et financière. Pour ce faire, nous considérons un échantillon d’entreprises cotées sur 4 marchés financiers africains (le Botswana, le Ghana, la Zambie et le Zimbabwe) sur la période 2008-2017.
4A l’instar de Coad et al. (2018), notre étude cherche à renforcer notre connaissance théorique et empirique sur le lien entre l’âge d’une entreprise et sa performance économique et financière. Notre travail permet de clarifier certaines zones d’ombre antérieures et attire l’attention sur cet objet de recherche prometteur. À notre connaissance, il s’agit de la première étude examinant l’impact de l’âge de l’entreprise sur la performance, en utilisant un échantillon d’entreprises africaines en provenance de ces 4 pays. Il convient également de souligner que nos données sont uniques : elles sont issues de la base de données Bloomberg et complétées par nos soins (car nous avons constaté de nombreuses erreurs ou des lacunes que nous avons minutieusement comblées).
5Dans une première partie, nous présentons les fondements théoriques, ce qui nous permettra de formuler des hypothèses de recherche. La section 2 présente les pays de l’échantillon. Ensuite nous proposons notre méthodologie (section 3). La section 4 analyse les résultats obtenus. Enfin la section 5 fait office de conclusion.
1 – Revue de la littérature
1.1 – Cadre théorique
6Selon Stinchcombe (1965), les jeunes entreprises souffrent du « handicap de la nouveauté » (liability of newness), c.-à-d. que leur taux de mortalité est significativement plus élevé que celui des entreprises plus matures, en raison de leur manque de capacités vitales et d’avantages positionnels (Le Mens et al., 2011). Les entreprises plus anciennes sont plus routinières et ont plus de processus formalisés, ainsi qu’un accès plus facile aux ressources financières (Sørensen et Stuart, 2000) leur octroyant une meilleure performance économique que celle des jeunes entreprises (Coad, 2018).
7Les entreprises ayant réussi à survivre les premières années font face au « handicap de l’adolescence » (liability of adolescence) (Brüderl et Schüssler, 1990). Plus précisément, elles sont confrontées au problème de la transformation stratégique, c’est-à-dire que leur routine peut devenir un handicap lorsque l’environnement concurrentiel évolue (Aldrich et Auster, 1986). On présume alors une relation en forme de U inversé entre la PE et son âge (Brüderl et Schüssler, 1990).
8Enfin, le « handicap d’obsolescence » (liability of obsolescence) prend pour postulat que certaines entreprises sont plus sujettes à l’inertie et à « l’ossification bureaucratique » à mesure qu’elles vieillissent, et ce en raison de leur manque d’adaptation à leur environnement en mouvement (Barron et al., 1994). Par conséquent, la PE est supposée décroître avec l’âge de l’entreprise (Barron et al., 1994)
1.2 – Relation théorique entre âge et performance économique
9Coad et al. (2013) ont regroupé ces handicaps en fonction de trois dimensions. Premièrement, selon la perspective fondée sur la sélection (p. ex. Jovanovic, 1982), « l’effet de sélection » fait que les entreprises les plus faibles sont éliminées au profit des entreprises plus solides. Par conséquent, le nombre d’entreprises diminuant au cours du processus de sélection, les entreprises pérennes jouissent d’une meilleure rentabilité à mesure qu’elles avancent en âge, même si le niveau de productivité des activités reste constant (Coad et al., 2013).
10Ensuite, au fil du temps, la performance des entreprises tend à s’améliorer grâce : (a) au perfectionnement des pratiques (par ex. commerciales) ; (b) à la réduction des coûts ; et (c) à l’optimisation des processus (notamment industriels). Par conséquent, selon Arrow (1962), les entreprises deviennent de plus en plus agiles et efficaces dans leur processus de production, ce qui a pour effet d’accroître leur rentabilité. En revanche, les entreprises plus jeunes peuvent souffrir du handicap de la nouveauté. Garnsey (1998) considère que ces entreprises sont en quête de nouveaux processus ou mécanismes pour résoudre les problèmes qu’elles rencontrent à mesure que le processus d’apprentissage évolue au fil du temps. Pour pallier les difficultés auxquelles elles sont confrontées, il faut du temps et de la main-d’œuvre ce qui, in fine, grève la performance des jeunes entreprises.
11Enfin, l’âge peut avoir un effet négatif sur la PE en raison de l’effet « d’inertie ». En substance, l’inertie correspond à la capacité de l’organisation à changer aussi rapidement que son environnement. Avec l’âge, les entreprises plus matures voient leur immobilisme s’accentuer : elles deviennent alors inertes et inflexibles. Barron et al. (1994) affirment que ces dernières sont touchées par les handicaps de l’adolescence (c’est-à-dire qu’elles ne sont plus en phase avec l’évolution de leur environnement) et de la sénescence (liability of senescence) ou, autrement dit, de l’« ossification bureaucratique » (lourdeurs bureaucratiques). À l’inverse, les entreprises plus jeunes ont la capacité de mettre en œuvre de nouvelles stratégies, d’innover ou de pénétrer de nouveaux segments de marché. Par conséquent, l’inertie a un effet négatif sur la performance des entreprises plus matures.
1.3 – Résultats empiriques existants
12Les études empiriques examinant la relation entre l’âge de l’entreprise et sa performance sont peu nombreuses. Ceci est quelque peu surprenant compte tenu de l’importance du sujet (Coad, 2018).
13À partir d’un échantillon d’entreprises indiennes, Majumdar (1997) fait valoir que la performance d’une entreprise est significativement influencée par son âge, notamment pour les plus grandes. Toutefois, ce lien ne peut être examiné sans prendre en compte le contexte institutionnel dans lequel opère une entreprise.
14À partir d’un vaste échantillon d’entreprises américaines, Loderer et Waelchli (2010) constatent une relation négative et significative entre l’âge de l’entreprise et sa rentabilité. Plus précisément, les entreprises cotées depuis 15 ans, ou plus, sont incapables de maintenir une bonne rentabilité, contrairement aux entreprises plus jeunes.
15À partir d’un échantillon d’entreprises espagnoles, Coad et al. (2013) observent des effets, à la fois positifs et négatifs, de l’âge de l’entreprise sur sa performance. D’une part, ils relèvent que les entreprises les plus matures et les plus grandes connaissent des niveaux de performance élevés. D’autre part, ils constatent que cette relation positive se détériore avec le temps. La relation entre l’âge d’une entreprise et sa performance est donc duale au fil du temps.
16Enfin, sur la base d’un échantillon d’établissements viticoles italiens, Capasso et al. (2015) constatent que les établissements les plus anciens bénéficient d’une meilleure rentabilité que les entreprises plus jeunes. Ils affirment que l’âge des établissements viticoles (ou leur longévité) explique, de manière significative, les différences de performance observées.
1.4 – Hypothèse
17Comme le souligne Coad (2018), la littérature théorique et empirique montre que la relation entre l’âge d’une entreprise et la performance économique et financière est relativement ambiguë. Cependant, certaines tendances se dégagent : (a) il semble que les entreprises matures expérimentent une baisse significative de leur rentabilité au fil du temps, en raison de l’inertie et de l’ossification bureaucratique (Coad et al., 2013) ; (b) les jeunes entreprises semblent plus flexibles et agiles pour faire face aux changements de l’environnement, ce qui induit de meilleures performances ; (c) Majumdar (1997) a souligné que ces tendances doivent être contextualisées, dans la mesure où des facteurs institutionnels influent, de manière significative, sur la relation entre l’âge de l’entreprise et sa performance.
18Comme nous le montrerons dans les prochaines sections, les entreprises de notre échantillon et leur marché boursier sont relativement jeunes et hétérogènes. Par conséquent, nous proposons l’hypothèse selon laquelle la relation entre l’âge de l’entreprise et la performance économique et financière suit une courbe en U, c’est-à-dire qu’elle montre un effet négatif de l’âge de l’entreprise sur les PE avant que les effets positifs de l’âge de l’entreprise ne se ressentent, soit :
19Hypothèse : il existe une relation en forme de U entre l’âge et la performance économique et financière de l’entreprise.
2 – Présentation générale des pays étudiés
20Le tableau 1 présente les principales données macroéconomiques des pays étudiés sur la période de 2015 à 2017. Nous constatons que les quatre économies sont très proches en termes de structure, dans la mesure où elles sont essentiellement dépendantes des ressources naturelles et de l’agriculture. Par ex., le Botswana est très dépendant du secteur minier (diamant), représentant 20% de son PIB et 80% des exportations. La Zambie, 3ème économie d’Afrique australe, détient de nombreuses industries extractives (> 80% des recettes des exportations ; par ex., le cuivre, 2ème producteur africain et 10ème producteur mondial). De même, le Zimbabwe a fondé son économie sur l’exploitation des ressources minières (2ème réserve de platine du monde) et sur l’activité agricole (> 50% du PIB). Le Ghana est un pays riche en matières premières et son économie est principalement agricole (44% des emplois).
Données économiques
Données économiques
1 En millions (M).2 En dollars ($). 3 En milliards de $ (MM$). 4 En %, variation annuelle du PIB. 5 En %. 6 En % du PIB.21Le tableau 2 présente quelques statistiques de ces 4 places financières. Nous constatons qu’elles sont relativement jeunes (1989, 1993 et 2004). Le nombre d’entreprises cotées ainsi que la capitalisation boursière demeurent relativement faibles. À titre de comparaison, en 2017, la bourse d’Afrique du Sud (créée en 1887 et plus grande bourse d’Afrique) compte 377 entreprises cotées, avec une capitalisation boursière d’environ 1 249 milliards de dollars (ASEA, 2017 [2]).
Statistiques sommaires
Statistiques sommaires
1 En MM$. 2 En M$.a. ASEA (2015). « °Annual Report° », African Securities Exchanges Association, 82 pages.
ASEA (2016). « °Annual Report° », African Securities Exchanges Association, 108 pages.
3 – Méthodologie
22Nous présentons tout d’abord l’échantillon, puis les variables de l’étude, et enfin notre modèle empirique.
3.1 – Échantillon
23Il est constitué des entreprises cotées sur les 4 marchés boursiers sur la période 2008-2017 : 118 entreprises et 965 observations annuelles. Les différentes données proviennent de Bloomberg, de rapports annuels ou de sites institutionnels.
3.2 – Variables
24Dépendante (PERF). Nous utilisons le Q de Tobin de Chung et Pruitt (1994) et la rentabilité des actifs (return on assets) (= résultat net / total de l’actif d’une entreprise).
25Indépendante (ÂGE). L’âge d’une entreprise (= année analysée – date de création de l’entreprise) est exprimé en valeur logarithme (Coad et al., 2013).
26De contrôle (CONTRÔLE) (Coad et al., 2013) : (a) la taille de l’entreprise (mesurée par le logarithme naturel des ventes) : Cooley et Quadrini (2001) montrent qu’elle est négativement corrélée avec la PE, en raison des coûts de surveillance et de la complexité de l’entreprise ; (b) l’endettement (= dette totale / total des actifs) : Jensen (1993) affirme qu’il permet de réduire les coûts d’agence provenant des free cash flows ; (c) la croissance de l’entreprise (différence entre le chiffre d’affaires t et t – 1) : Green et Jame (2013) estiment que celle-ci est un vecteur significatif de sa performance.
27Les variables Pays englobent (Boubakri et al., 2013) : la liberté économique et le développement économique (logarithme du PIB par habitant) provenant respectivement de l’Institut Fraser et de la banque mondiale.
3.3 – Modèle empirique
28Notre modèle est opérationnalisé comme suit :
30où ANNÉE, INDUSTRIES et PAYS (variables muettes) contrôlent les effets, respectivement, annuels, industriels (Fama et French, 1997) et pays ; et ε est le terme d’erreur.
31L’éq. [1] est estimée par la méthode des moindres carrés ordinaires avec les erreurs-types robustes et agrégés (cluster) au niveau du pays et de l’entreprise (Boubakri et al., 2013)
4 – Résultats
4.1 – Description de l’échantillon et statistiques descriptives
32Le tableau 3 présente les statistiques descriptives de nos différentes variables. L’âge moyen (médian) des entreprises de notre échantillon est d’environ 45,7 (40) ans. Elles sont relativement jeunes, si l’on considère les dates d’indépendance de ces pays [3] et les dates de création des places boursières. Le Q de Tobin et le ROA sont respectivement de 2,47 et 4,77, nous notons des variations significatives dans ces mesures de performance, ainsi que pour certaines variables de contrôle.
Statistiques descriptives
Statistiques descriptives
33Non reportées dans le tableau 3, les 5 industries les plus représentées dans notre échantillon en nous basant sur la classification de Fama et French (1997) sont, respectivement, les banques (18,4%), les produits alimentaires (9,7%), les activités commerciales (8,8%), l’immobilier (5,8%) et les assurances (5,6%), soit environ 48% de notre échantillon. A l’inverse, les 3 secteurs industriels les moins représentés sont respectivement : bonbons et boissons gazeuses, produits du tabac, extraction de métaux non métalliques et industriels (? 1,1% de l’échantillon). Cela suggère l’importance que revêt le fait de contrôler le secteur industriel dans notre analyse empirique.
4.2 – Matrice de corrélation
34En général, une corrélation égale ou supérieure à 0,70 en valeur absolue peut indiquer un problème de multicolinéarité. En l’espèce, la corrélation la plus élevée en valeur absolue est celle que l’on observe entre le ROA et l’endettement (0,60 ; en gras dans le tableau 4). Ce chiffre est inférieur à la valeur absolue de 0,70. La multicolinéarité ne semble donc pas être un problème. Pour confirmer ce résultat, nous avons généré les VIF (Variance Inflation Factors). Comme le montre le tableau 4, aucune valeur n’excède 2, une valeur significativement inférieure à la valeur communément admise de 10 indiquant des problèmes de multicolinéarité (Wooldridge, 2014). Par conséquent, nous concluons que la multicolinéarité n’a aucun impact sur nos analyses futures.
Matrice de corrélation
Matrice de corrélation
Les symboles ***, ** et * désignent respectivement les seuils de signification de 99%, 95% et 90%.4.3 – Principaux résultats
35Les résultats de l’éq. [1] sont reportés dans le tableau 5. Notre hypothèse générale présume que l’âge d’une entreprise et la performance économique et financière suivent une relation en forme de U. Le modèle 1 du tableau 5 montre que l’âge de l’entreprise est négativement et significativement corrélé avec le Q de Tobin (βÂge = -1,97 ; t = -5,21). Par ailleurs, l’effet du carré de l’âge de l’entreprise est positif et significatif (βÂge = 0,18 ; t = 3,33) sur le Q de Tobin. Examinons à présent le modèle 2 (avec le ROA comme variable dépendante), nous constatons les mêmes résultats que précédemment, c’est-à-dire que l’âge de l’entreprise est négativement et significativement corrélé avec le ROA (βÂge = -1,35 ; t = -3,89) et que l’effet du carré de l’âge de l’entreprise est positivement et significativement corrélé avec le ROA (βÂge = 0,24 ; t = -2,90). Par conséquent, notre hypothèse est confirmée.
Résultats
Résultats
Les symboles ***, ** et * désignent respectivement les seuils de signification de 99%, 95% et 90%.36Concernant les variables de contrôle, nous observons des similitudes avec des études telles que celles de Majumdar (1997) ou de Capasso et al. (2015), mais également des différences significatives. Nous constatons une relation positive et significative entre la taille de l’entreprise et sa performance (βTaille = -0,19 et t = -2,89 et βTaille = -0,11 et t = -3,22 pour les modèles 1 et 2, respectivement). Dans la mesure où de nombreuses entreprises de notre échantillon sont relativement petites (comme l’indiquent les valeurs négatives du tableau 3 [4]), les grandes entreprises ont vraisemblablement plus de chances d’avoir une meilleure rentabilité que les plus petites. En outre, l’endettement est négativement et significativement corrélé avec la performance économique et financière (modèles 1 et 2). Selon Lamont et al. (2001), l’incapacité de certaines entreprises à obtenir un financement adéquat (incapacité à emprunter ou contraintes de crédit) fait que l’endettement réduit les performances de l’entreprise. Nos résultats sont conformes avec l’étude de Fowowe (2017), qui montre que, de manière générale, les entreprises africaines sont financièrement contraintes et que ceci pèse négativement sur leur performance. Enfin, contrairement à nos attentes, la croissance de l’entreprise n’a pas d’effet sur la performance économique et financière. Ce résultat s’explique vraisemblablement par le fait que les économies africaines sont caractérisées par une certaine instabilité politique et économique (Mobarak, 2005), rendant la trajectoire de croissance des entreprises aléatoire. Soulignons qu’aucune de nos variables Pays n’est significativement corrélée avec la performance économique et financière de l’entreprise
4.4 – Tests de sensibilité
37Comme le suggère le tableau 3, nos différentes variables contiennent a priori des variables aberrantes et extrêmes ; la moyenne est différente de la médiane pour 4 variables : Q de Tobin, la taille de l’entreprise, endettement et croissance de l’entreprise. Ceci suggère que ces variables ne suivent pas une forme de cloche. Par conséquent, ces observations pourraient fausser les résultats précédents, affecter les erreurs-types d’estimation ou les deux à la fois (Wooldridge, 2014). Il existe différents moyens de gérer ces valeurs aberrantes : on pourrait les exclure de l’éq. [1] (technique du trimmed) ou procéder à une « winsorization ». Le but est d’atténuer autant que faire se peut le poids de ces variables aberrantes et extrêmes. A la suite de Black et Khanna (2007), nous appliquons ces deux méthodes.
38Le tableau 6 ne montre que les principaux résultats associés entre l’âge de l’entreprise et la performance économique et financière, avec les 2 techniques et différentes fenêtres. Nous constatons que quelle que soit la technique pour prendre en compte les variables aberrantes et extrêmes, nos résultats précédents demeurent identiques. L’âge de l’entreprise et sa performance économique et financière suivent une courbe en U. Nos résultats ne sont pas biaisés par des variables aberrantes et extrêmes.
Tests de sensibilité
Tests de sensibilité
Les symboles ***, ** et * désignent respectivement les seuils de signification de 99%, 95% et 90%.Conclusion
39De manière générale, avec l’âge les performances cognitives d’un individu diminuent au fil du temps. Dans ce cadre, nous nous demandons si les entreprises subissent le même sort et deviennent inefficaces avec le temps. Cet article a donc pour objectif d’examiner la relation entre l’âge de l’entreprise et sa performance économique et financière à partir d’un échantillon d’entreprises africaines cotées sur 4 marchés financiers sur la période 2008-2017.
40Nous constatons une relation en forme de U entre l’âge de l’entreprise et sa performance économique et financière, suggérant un effet initial de l’âge de l’entreprise sur la performance qui précède la réalisation pleine des effets positifs de l’âge. Dans l’ensemble, nos résultats sont conformes avec ceux obtenus par Majumdar (1997), Loderer et Waelchli (2010) et Coad et al. (2013). Nos résultats sont robustes quelle que soit la mesure de performance utilisée (Q de Tobin et ROA) et ce même en présence d’observations aberrantes et extrêmes.
41Nos résultats sont cohérents avec l’hypothèse de l’apprentissage par la pratique, qui présume que les entreprises augmentent leur productivité à mesure qu’elles apprennent davantage sur les techniques de production et qu’elles intègrent les connaissances à leur système de production (Arrow, 1962° ; Garnsey, 1998). Nous soutenons qu’en début de vie de l’entreprise, il existe des coûts initiaux d’apprentissage qui engendrent des handicaps liés à la jeunesse de l’entreprise. Comme une cellule du corps, toute organisation apprend. Lorsque les fruits de l’apprentissage sont pleinement intégrés dans l’organisation, des retours positifs sont alors réalisés qui in fine engendrent une meilleure rentabilité de l’organisation.
42Dans le contexte des pays africains, marqués par la jeunesse de leurs industries, et de leurs marchés financiers, nos résultats suggèrent, comme dans le cas de l’industrie viticole italienne (Capasso et al., 2015), que l’âge d’une entreprise représente un vecteur de création de valeur. Les entreprises les plus matures et les plus grandes (en termes de chiffre d’affaires) affichent une meilleure performance économique et financière. En d’autres termes, comme le bon vin, la maturité financière d’une entreprise devrait intervenir à l’apogée de son évolution. Cependant, tout comme le vin, en fonction de l’environnement politique et économique, de l’apprentissage et de l’inertie organisationnelle, les entreprises parviennent à cette maturité financière à des âges très différents (Coad et al., 2013).
43Notre étude a de nombreuses implications pour la recherche académique, les décideurs politiques, ainsi que les investisseurs. Premièrement, notre étude montre que la relation entre l’âge d’une entreprise et sa performance économique et financière n’est ni linéaire ni monotone, notamment dans le cas de l’Afrique. Par conséquent, des travaux tels que ceux de Majumdar (1997) ou de Capasso et al. (2015) peuvent présenter des résultats quelque peu biaisés, dans la mesure où ils considèrent cette relation à la moyenne. Ils ne prennent pas en compte le côté dynamique de cette relation et ni de sa courbe en U. A notre avis, toute étude portant sur cette problématique devrait prendre en compte l’environnement dans lequel évolue leur échantillon. En l’espèce, nos 4 pays sont marqués par leur jeunesse, par la date de création des marchés financiers et a fortiori, par celle des entreprises. Aussi, comme le souligne Majumdar (1997), toute étude examinant le lien entre l’âge de l’entreprise et sa performance économique et financière ne peut se prévaloir de prendre en compte le cadre institutionnel du pays.
44D’après nos recherches, l’âge d’une entreprise dans les marchés financiers africains semble être un atout en termes de performance économique et financière. En effet, il est intéressant de noter que si les entreprises les plus matures bénéficient d’une meilleure performance, elles demeurent relativement petites (en termes de chiffre d’affaires). Toutefois, comme le montrent nos spécifications, la taille de l’entreprise semble être un atout supplémentaire. Les entreprises africaines de notre échantillon doivent donc à la fois jongler à la fois avec la jeunesse de leur organisation et atteindre une taille critique suffisante sur les marchés financiers pour créer de la valeur. En ce sens, les entreprises africaines diffèrent de leurs homologues notamment les entreprises américaines, qui sont déjà matures et ont atteint une taille plus que critique. L’Afrique représente donc un laboratoire vivant permettant d’examiner la relation entre l’âge de l’entreprise et sa performance.
45Notre étude peut être utile aux décideurs africains car nous leur proposons de créer un environnement approprié pour les entreprises nouvellement cotées. Nos résultats suggèrent que ces 4 marchés boursiers devraient intégrer des entreprises ayant une certaine maturité. En effet, un indice boursier composé d’entreprises financièrement saines attirera vraisemblablement les investisseurs notamment étrangers, ce qui renforcera le poids de cette bourse de valeurs.
46L’Afrique semble être le prochain marché émergent dans lequel investir. En 2018, l’Allemagne a décidé la création d’un fonds d’un milliard d’euros (pour favoriser les petites et moyennes entreprises africaines – PMEs). De même, il existe des fonds d’investissement destinés à l’Afrique, par exemple le fonds « Time for Africa » (investi en actions africaines). Nous pensons également que notre étude est utile pour des porteurs d’affaires qui veulent investir à travers l’Afrique. En effet, outre les outils de finance traditionnels, nous pensons que l’âge d’une entreprise peut être un critère de sélection et d’investissement. Dans le contexte africain, les entreprises les plus matures sont celles qui sont le plus enclines à créer de la valeur pour les actionnaires. Nos résultats devraient donc intéresser ces investisseurs.
47Bien évidemment, notre étude comporte des limites qu’il convient de souligner. Premièrement, l’âge n’est pas qu’une simple question temporelle. Derrière l’âge se cache l’évolution de l’entreprise au fil du temps, que nous n’avons pas pu parfaitement mesurer. Par exemple, la gouvernance de l’entreprise évolue de manière significative dans le temps, celle-ci influence significativement la performance de l’entreprise. Dans nos spécifications, nous n’avons pas pu prendre en compte cette dimension en raison du manque de données. Toutefois, les prochaines études pourraient intégrer ce facteur. Deuxièmement, se pose la question de la généralisation de nos résultats, notamment aux autres pays africains. A l’instar de Coad et al. (2018), nous pensons que cela est fortement probable, dans la mesure où nos résultats et ceux de (Coad et al., 2013), sur le marché espagnol, sont similaires. Toutefois, étant donné que nous avons choisi les entreprises cotées de ces 4 marchés financiers, nos résultats sont vraisemblablement sensibles aux biais, c’est-à-dire qu’en l’espèce nous ne considérons que les plus grandes entreprises de ces pays et pas, par exemple, les PMEs. Par conséquent, nous souhaiterions engager d’autres études similaires sur les autres marchés financiers africains.
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Mots-clés éditeurs : bourse, Afrique, age, performance économique et financière
Mise en ligne 16/07/2020
https://doi.org/10.3917/g2000.371.0061Notes
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[1]
Le caractère ambitieux de l’entrepreneur est apprécié à travers, notamment, deux dimensions de la PE : la croissance du chiffre d’affaires et des effectifs salariés. Dès 2013, Hermans et ses collègues ont recensé 21 travaux empiriques impliquant l’effet de l’âge de l’entreprise. Hermans, J., Vanderstrasten, J., Dejardin, M., Ramdani, D. (2013). L’entrepreneur ambitieux : état des lieux et perspectives, Revue de l’Entrepreneuriat, vol. 12, n°1-2, p. 43-70.
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[2]
ASEA (2017). « °Annual Report – For a sustainable future° », African Securities Exchanges Association, 49 pages.
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[3]
Année d’indépendance : Botswana (1966), Ghana (1957), Zambie (1964) et Zimbabwe (1980).
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[4]
Une valeur logarithmique négative signifie que la taille des actifs de l’entreprise est inférieure au million de dollars.