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Article de revue

Les résultats de la psychothérapie : réexamen d’une vieille question

Pages 225 à 245

Notes

  • [1]
    Extraits d’un article paru initialement dans Psychotherapy 2013, vol 50, n° 1, 52-67 sous le titre « Psychotherapy Outcome : An Issue Worth Re-Revisiting 50 Years Later ».

1Aujourd’hui l’efficacité et l’efficience de la psychothérapie ne sont plus mises en question (Lambert et Ogles, 2004) et les débats houleux entre tenants d’écoles divergentes ont substantiellement décrus. Je pense néanmoins que nous avons encore un « problème de résultat ». Bien qu’on puisse parler positivement de la psychothérapie avec plus de confiance que jamais, il reste important de signaler que si ses effets sont en moyenne positifs, ils masquent de considérables variations dans les résultats (Lambert et Ogles, 2004, p. 181). De plus il est clair que de nombreux clients terminent prématurément (Clarkin et Levy, 2004) tandis qu’un nombre non négligeable d’autres voient leur état se détériorer (Lambert et Ogles, 2004 ; Lilienfeld, 2007). Étant maintenant entendu que la thérapie marche j’affirmerais donc que ses effets peuvent être améliorés. Je suggérerais aussi qu’une stratégie pour perfectionner la psychothérapie consiste à favoriser les rapprochements et à encourager la pluralité épistémologique et méthodologique.

Comment améliorer par la clinique le résultat de la thérapie ?

2Une manière d’accroître notre efficience de praticiens consiste à faire usage du savoir que soixante années de recherche en psychothérapie nous ont procuré.

Traitements efficients, traitements dangereux

3Il serait malavisé de négliger le grand nombre d’essais cliniques randomisés (ECR) qui ont exploré le travail des thérapeutes (la plupart d’entre eux expérimentés, bien entraînés et attentivement supervisés) avec des patients réels souffrant de conditions débilitantes. Ces essais et les traitements soutenus empiriquement (TSE) qu’ils ont validés nous ont procuré les premières lignes d’attaque pour le traitement de nombreux patients ayant des problèmes cliniques spécifiques.

4Pour certains troubles (e.g. trouble obsessionnel compulsif), la littérature suggère des recommandations puissantes mais limitées alors que pour d’autres – en particulier la dépression – la liste est plus large et concerne de nombreuses thérapies : comportementale, cognitive, interpersonnelle, dynamique brève et processuelle-expérientielle (Follette et Greenberg, 2005). Considérant que la dépression est l’un des problèmes les plus fréquemment rencontrés en clinique, cette liste est un clair exemple de la façon dont la recherche sur les résultats peut être envisagée comme une alliée par les cliniciens.

5Cette littérature nous a aussi muni d’un ensemble de traitements potentiellement dangereux pour un certain nombre de problèmes cliniques (Lilienfeld, 2007). Son examen soigneux peut procurer aux praticiens des garde-fous indispensables concernant les interventions qu’il convient d’éviter (ou d’utiliser avec précaution (Castonguay, Boswell, Constantino, Hill et Goldfried, 2010).

6Conformément à la stratégie consistant à améliorer les résultats en utilisant le savoir accumulé, je suggérerais aussi que les cliniciens soient attentifs à d’autres types de recherche pour a) potentiellement améliorer la mise en œuvre et l’impact des TSE, b) les adapter à des clients souffrant de troubles spécifiques et/ou, en l’absence de tels traitements c) trouver des stratégies d’intervention utiles pour des clients particuliers. On trouvera ci-dessous, brièvement décrits, des conseils cliniques issus des principes de changement.

Principes de changement

7Pour tenter de sortir des fausses dichotomies qui émergent régulièrement des discours sur le processus de changement (à savoir : l’impact de la thérapie est essentiellement dû à la technique OU à la relation OU au client) Larry Beutler et moi-même avons créé un groupe de travail pour consolider les découvertes empiriques actuelles sur ce qui fait que la thérapie marche (Castonguay et Beutler, 2005b) et ce, pour quatre types de troubles : dysphoriques, anxieux, de personnalité et d’addiction. De cet effort collectif 61 principes empiriques de changement (communs ou spécifiques) ont émergé qui peuvent servir pour guider l’intervention des thérapeutes de la plupart des obédiences.

8Par exemple le dévoilement du thérapeute peut être aidant dans le traitement de la dépression et nos travaux suggèrent (Castonguay et al., 2005) que ce dévoilement doit être soutenant et rassurant plutôt que confrontant. Un autre principe lié à la relation et valable pour la dépression comme pour les trois autres types de troubles ciblés par le groupe de travail est que les thérapeutes doivent s’efforcer d’établir et de maintenir une bonne alliance de travail. Pour compléter ce principe général, il faut noter qu’une littérature substantielle a contribué à notre connaissance sur l’alliance, y compris la découverte qu’elle peut être prédite par les caractéristiques et les comportements à la fois du client et du thérapeute.

9Un certain nombre de principes de changement liés aux techniques ont aussi été isolés par le groupe de travail. On y trouve le défi cognitif, l’accroissement du renforcement positif, l’amélioration du fonctionnement interpersonnel, de l’environnement marital, familial et social, ainsi que l’amélioration de l’écoute, de l’acceptation et de la régulation des émotions (Follette et Greenberg, 2005). Ces principes empiriques sont suffisamment spécifiques pour suggérer des interventions bien ciblées mais suffisamment généraux pour ne pas assigner les cliniciens à un ensemble limité d’interventions pour atteindre les tâches et les buts qu’ils se donnent. Plusieurs techniques peuvent ainsi être utilisées pour faciliter le changement de croyances du client comme l’interprétation, la reformulation, la restructuration cognitive et chacune peut servir à l’acquisition d’une nouvelle perspective sur soi et les autres (Goldfried, 1980). En d’autres mots les thérapeutes n’ont pas besoin d’abandonner leurs orientations théoriques pour intervenir selon des principes empiriques de changement.

10Cependant ce qui a largement échoué à émerger de ce même groupe de travail sont les principes de changement liés aux caractéristiques des thérapeutes (Castonguay et Beutler, 2005a). C’est d’autant plus intéressant que Strupp (1963) soulignait déjà il y a plus de 50 ans que ces dernières étaient des facteurs qu’il fallait explorer pour mieux comprendre le « problème de résultat ». Il affirmait que le niveau d’expertise des thérapeutes, leur personnalité et leur attitude (ainsi que les techniques communes et spécifiques aux différentes approches) étaient « des problèmes de recherche persistants sur lesquels les données disponibles étaient totalement insuffisantes » (Strupp, 1963, p. 2).

Comment améliorer de façon empirique le résultat de la thérapie ?

11Nous disposons déjà, pour les traitements majeurs, de preuves empiriques (en termes de mécanismes de changement et de leur impact sur une majorité de clients). Et, bien que nous devions raffiner ces modèles traditionnels, nous devons franchir les frontières théoriques qui les séparent pour améliorer l’offre psychothérapeutique. Et cela peut se faire sur les deux niveaux du processus et du résultat.

Recherche sur le processus

12Pour améliorer nos résultats il paraît nécessaire de mieux comprendre la façon dont la thérapie marche, aussi bien que ce qui peut l’entraver. Un axe de recherche important consiste à explorer les interventions et mécanismes de changement qui sont au cœur de formes spécifiques de thérapies. Actuellement, plusieurs composants que l’on suppose responsables du changement dans certaines approches ont reçu un soutien empirique. Par exemple, en cohérence avec le modèle cognitivo-comportemental, l’usage de techniques spécifiques comme l’auto-examen (self-monitoring) (DeRubeis et Feeley, 1990 ; Feeley, DeRubeis et Gelfand, 1999), le travail personnel (homework) (Burns et Nolen-Hoeksema, 1991) et l’exposition (Foa, Huppert et Cahill, 2006) est, dans cette orientation, associé positivement avec le résultat. Plusieurs études sur le processus de changement en thérapie psychodynamique ont aussi mis en évidence une relation significative entre l’usage de techniques cohérentes avec la théorie (comme les interventions conçues pour enrichir l’expérience émotionnelle, travailler sur les défenses, explorer le passé ou faire des liens entre différentes relations de la vie du client, y compris celle avec le thérapeute) et le changement (e.g., Ablon et Jones, 1998 ; Connolly Gibbons et al., 2012 ; Gaston, Thompson, Gallagher, Cournoyer et Gagon, 1998 ; Hillsenroth, Ackerman, Blagys, Baity et Mooney, 2003 ; Ulvenes et al., 2012). De façon similaire certains des processus centraux des thérapies humanistes et expérientielles comme l’empathie du thérapeute, l’approfondissement et la prise en compte des émotions par le client ont été associés avec des résultats positifs dans ces approches (voir Elliott, Greenberg et Lietaer [2004] et Greenberg et Pascual-Leone [2006] pour une revue de la littérature)

13Curieusement cependant, une récente méta-analyse n’a pu réussir à établir que l’adhérence et la compétence du thérapeute à intervenir selon les préconisations théoriques étaient liées significativement aux résultats (Webb, DeRubeis et Barber, 2010). Au contraire, certaines études ont montré que des éléments centraux aussi bien des TCC que des thérapies psychodynamiques était corrélés négativement avec l’amélioration (e.g., Castonguay, Goldfried, Wiser, Raue et Hayes, 1996 ; Hayes, Castonguay et Goldfried, 1996 ; Schut et al., 2005). Plutôt que laisser penser que des interventions essentielles à certaines orientations puissent avoir un effet nul ou détériorant, ces résultats suggèrent que ces techniques – aussi bien que les modèles théoriques desquels elles découlent – ne suffisent pas à rendre compte du changement.

14Nous devons donc examiner la façon dont les différentes variables (liées à la technique, la relation et les caractéristiques des protagonistes) interagissent pour favoriser ou nuire au processus de changement. Heureusement certaines études ont commencé à le faire. Ainsi des études descriptives (e.g., Castonguay et al., 1996 ; Piper et al., 1999) et quantitatives (e.g., Owen et Hilsenroth, 2011 ; Owen, Hilsenroth et Rodolfa, sous presse ; Ryum, Stiles, Svartberg et McCullough, 2010) ont suggéré que la relation thérapeutique (sous la forme, par exemple, de la qualité de l’alliance) au sein de laquelle les interventions préconisées étaient menées avait une importance critique pour comprendre leur impact au niveau des résultats. Bien plus, d’autres études ont suggéré que l’usage fréquent d’interventions spécifiques (comme l’interprétation) pouvaient être particulièrement efficaces pour certains clients mais potentiellement négatives pour d’autres (Crits-Christoph et Connolly Gibbons, 2002). De telles études peuvent nous offrir de nouvelles façons d’observer le processus thérapeutique et des règles innovantes et discriminantes (que faire, quand et avec qui) pour améliorer notre efficacité.

15Une autre manière de dépasser nos modèles actuels de changement (sans les répudier comme inadéquats) est de pleinement reconnaître le rôle et l’importance de facteurs communs à de nombreuses approches. Par exemple Goldfried (1980 ; Goldfried et Padawer, 1982) a identifié cinq principes de changement communs à différentes orientations. De façon intéressante, deux des principes identifiés par Goldfried, l’acquisition d’un nouveau regard sur soi (ou insight) et la facilitation d’expériences correctrices ont été au centre de longues collaborations entre universitaires influents et chercheurs experts de différentes orientations. Hayes, Feldman et Goldfried (2005) ont découvert que l’insight (l’exploration de thématiques conduisant à de la nouveauté en termes de lien, de sens ou de déplacement de perspective) était associé à une montée d’affect et d’espoir, l’expression de regards sur soi positifs et négatifs et une amélioration. D’autres travaux ont étudié la façon dont l’expression narrative du client favorise (et se nourrit de) ce nouveau regard sur soi (Angus et Hardtke, 2005) et dont ce dernier (ou insight) peut se développer au travers du travail des rêves (Hill et al., 2005). Les expériences correctrices ont aussi fait l’objet de travaux sur la manière dont elles sont appréhendées par les clients (Heatherington, Constantino, Friedlander, Angus et Messer, 2012 ; Knox, Hess, Hill, Crook-Lyon et Burkhard, 2012) et la façon dont elles s’insèrent dans différentes formes de thérapie et en supervision (Anderson, Ogles, Heckman et MacFarlane, 2012 ; Berman et al., 2012 ; Castonguay et al., 2012 ; Holtforth et Flückiger, 2012 ; Ladany et al., 2012). Récemment McAleavey et Castonguay (2012) ont exploré l’importante question des interventions qui peuvent faciliter l’insight. Étonnamment ils ont trouvé que l’usage des techniques psychodynamiques était négativement corrélé avec l’acquisition de nouvelles perspectives sur soi et sur autrui.

16À nouveau, ce que ces résultats suggèrent, c’est que nos modèles actuels du changement sont insuffisants et qu’une recherche sur le processus qui ne serait pas liée aux concepts d’une seule modalité psychothérapeutique pourrait nous aider à les étendre.

Recherche sur les résultats

17Il ne fait aucun doute pour moi que les essais cliniques randomisés (ECR) ont donné un crédit scientifique à quelques formes de thérapie dans le champ de la santé mentale – un champ qui est constamment menacé d’être envahi par le modèle médical et le médicament. Et je suis convaincu qu’il faut continuer d’en faire. Il y a de nombreuses situations dans lesquelles des ECR comparatifs sont pertinents pour traiter de problématiques importantes concernant les résultats de la psychothérapie. L’une d’elle est la crédibilité scientifique et politique. Dans l’état actuel de notre domaine, on n’accorderait par exemple que peu de crédit à une approche des troubles obsessionnels et compulsifs qui n’aurait été comparée avec un protocole TCC reconnu. Selon moi un ECR récent a accru la crédibilité de la thérapie psychodynamique pour la dépression en montrant son équivalence avec la médication (Barber, Barrett, Gallop, Rynn et Rickels, 2012).

18Cependant je crois que pour maximiser l’impact clinique de ces essais sur les résultats nous devrions investir plus d’énergie pour accroître l’efficacité et l’efficience des traitements dont nous savons qu’ils marchent plutôt que de les comparer.

19Le programme dédié à développer la thérapie cognitive pour la dépression en est un exemple. Comme mentionné précédemment, mes collègues et moi-même avons découvert que l’insistance du thérapeute sur le modèle et les techniques cognitifs était corrélée négativement avec les résultats (Castonguay et al., 1996). Nos analyses ont révélé que lorsqu’ils étaient confrontés à des ruptures d’alliance les thérapeutes tendent à se centrer davantage sur des aspects ou des interventions prescrites par la thérapie cognitive dans lesquelles les clients résistent à s’engager. Cette stratégie (observée aussi dans la thérapie psychodynamique pour tenter de résoudre un problème semblable, voir Piper et al., 1999) ne semble pas conduire à réparer les ruptures d’alliance mais peut même les exacerber. Sur ce constat nous avons développé une thérapie cognitive intégrative dans laquelle les thérapeutes utilisent le modèle traditionnel cognitif et ses interventions sauf en cas de rupture d’alliance. Dans ce cas ils suivent alors des recommandations spécifiées à la fois par Burns (cf. Burns et Auerbach, 1996) et Safran (cf. Safran et Segal, 1990) et utilisent des interventions en cohérence avec les modèles humaniste, psychodynamique et interpersonnel, à savoir l’exploration de la contribution du thérapeute aux difficultés relationnelles.

20Des efforts supplémentaires pour développer les TCC ont aussi conduit à des avancées prometteuses. Parmi elles je soulignerais :

  • l’intégration de techniques dans le traitement de la dépression qui accroissent l’espérance des clients dans l’issue de la thérapie (cet espoir étant une variable de processus qui a reçu une confirmation empirique et qui avait été identifiée par Goldfried [1980] comme un principe général pour le changement) (Constantino, Klein, Smith-Hansen et Greenberg, 2009) ;
  • l’ajout d’interventions d’entretien de motivation (basées substantiellement sur des notions centrées sur le client qui ont aussi reçu un soutien empirique) dans le traitement des troubles anxieux généralisés (Westra, Arkowitz et Dozois, 2009) ;
  • ainsi que l’intégration d’interventions destinées à favoriser la stabilité fonctionnelle et la gestion émotionnelle dans le traitement de la dépression (Grosse Holtforth et al., 2011 ; Hayes et al., 2007).

21De tels efforts pour développer des traitements efficaces ne sont aucunement réservés aux TCC. Bien que préliminaire, Nelson et Castonguay (2012) ont conduit une étude montrant qu’il est à la fois possible (en termes de processus) et prometteur (en termes de résultats) pour des thérapeutes pyschodynamiques-interpersonnels d’intégrer systématiquement des exercices hors séance (une activité thérapeutique associée au changement et qui le prédit bien en TCC) dans leur traitement de la dépression.

Comment améliorer de façon clinique et empirique le résultat de la thérapie ?

22Pour la plupart, les suggestions cliniques et empiriques présentées ci-dessus reflètent l’intégration de différentes sources de connaissance et plusieurs d’entre elles ont émergé d’actives coopérations entre chercheurs aux visions du monde différentes. Je proposerais qu’elles soient complétées par une autre forme de collaboration, celle entre cliniciens et chercheurs. Dénommé « recherche orientée par la pratique » (ROP, Castonguay, Barkham, Lutz et McAleavey, sous presse), ce type de partenariat collaboratif a déjà conduit à un très grand nombre d’études qui ont la capacité de fournir des contributions innovantes concernant le problème de résultat (Barkham et Margison, 2007 ; Barkham, Stiles, Lambert et Mellor-Clark, 2010).

23Bien que traitant d’un large éventail de sujets et impliquant diverses méthodes de recherche, les ROP partagent deux traits importants : elles sont naturalistes et basées sur des systèmes de mesure normalisés utilisés en routine dans la clinique. De plus, dans leur ensemble, les ROP sont guidées par l’objectif unificateur de procurer aux cliniciens des opportunités pour a) être des participants actifs de la recherche, b) utiliser dans leur pratique les données recueillies avec eux, c) examiner les questions qu’ils considèrent cliniquement pertinentes et d) contribuer au progrès du savoir scientifique. Ayant récemment fait l’objet d’une revue sous trois rubriques principales (recherche basée sur la pratique, recherche centrée sur le client et réseaux de pratique et de recherche, Castonguay et al., sous presse) quelques exemples de ROP sont décrits ci-dessous.

24Les mieux connues des recherches centrées sur le client, sont centrées sur le feedback. Initiée par le travail précurseur de Michael Lambert, cette recherche est particulièrement remarquable dans la mesure où elle rejoint notre responsabilité clinique la plus essentielle qui est « d’abord de ne pas nuire ». Bien que les thérapeutes aient été depuis longtemps alertés sur le fait qu’un nombre significatif de patients voyaient leur état se dégrader durant la thérapie (Bergin, 1966), la recherche de Lambert a démontré que les cliniciens tendaient à sous-estimer le nombre de leurs propres clients qui étaient concernés et qu’ils avaient des difficultés à les détecter en début de thérapie. La recherche a aussi montré, cependant, qu’un feedback informant les thérapeutes des clients qui ne progressaient pas comme attendu pouvait réduire cette dégradation. En outre, en procurant des outils cliniques incluant une information basée sur la recherche à propos des ruptures et réparations d’alliance, les thérapeutes pouvaient par la suite réduire les effets négatifs (Lambert, 2010 pour une revue). L’implication clinique évidente d’une telle combinaison de découvertes sur le processus et le résultat est que, quelle que soit leur orientation théorique, les thérapeutes devraient considérer l’utilisation de mesures d’alliance (et de résultat) avec sérieux et s’efforcer d’améliorer celle-ci lorsque c’est nécessaire et/ou d’ajuster leurs interventions en fonction de la qualité et de la robustesse de la relation thérapeutique.

25En termes de recherche basée sur la pratique, les études qui ont le plus retenu l’attention sont celles qui concernent l’effet du thérapeute. Faisant pleinement écho à la contribution majeure de Bruce Wampold (2001), nous avons une preuve claire de ce dont sont persuadés nombre de formateurs et de superviseurs (praticiens mis à part) : certains thérapeutes sont meilleurs que d’autres. Comme l’ont noté Lambert et Ogles (2004), le « facteur thérapeute, se profile comme contribuant largement au résultat. Certains thérapeutes apparaissent exceptionnellement efficaces tandis que d’autres n’aident pas même la moitié des patients qui recherchent leurs services » (p. 181). Il est intéressant de noter que les résultats d’une récente étude suggère que l’effet thérapeute pourrait, en fait, être spécifique. Sur la base de 696 thérapeutes et de 6960 clients Kraus, Castonguay, Boswell, and Nordberg (2011) ont trouvé que lorsqu’on évaluait les résultats de leurs clients avec un instrument mesurant plusieurs problèmes cliniques et dimensions de fonctionnement, un seul thérapeute apparaissait efficace sur tous les domaines (de façon intéressante très peu de thérapeutes ressortaient comme incompétents sur tous les domaines mesurés). Cette étude suggérait qu’en moyenne les thérapeutes étaient efficaces dans le traitement de cinq ou six domaines de problématiques cliniques. Les résultats ont aussi révélé que, concernant l’efficacité du thérapeute, il n’y avait pas de forte corrélation entre les domaines. En contraste avec l’idée que quelques thérapeutes étaient meilleurs que la plupart pour l’ensemble des clients, ces résultats suggèrent que la majorité des thérapeutes sont efficaces (96 % des thérapeutes pouvaient être dits efficaces dans le traitement d’au moins un domaine clinique), mais que les compétences des praticiens individuels pouvaient être spécifiques à des domaines particuliers. Si ces résultats venaient à être reproduits, un tel retour individuel sur leur pratique ne requerrait pas de changements drastiques pour la plupart des cliniciens mais pourrait utilement confirmer aussi bien que mettre au défi leur perception et leur expertise.

26Une ROP conduite dans le contexte des réseaux de pratique et de recherche implique l’active collaboration de praticiens et de chercheur dans tous les aspects de l’investigation – depuis le choix du sujet d’étude, la conception et la mise en place du protocole de recherche jusqu’à l’analyse et la diffusion des résultats.

27Un nombre relativement important de ces réseaux a été développé dans le contexte de plusieurs organisations professionnelles pour adresser des problèmes cliniques spécifiques ou pour conduire de façon scientifiquement rigoureuse des recherches d’importance dans une variété d’environnements. Par exemple, dans une étude conduite au sein du Pennsylvannia Psychological Association Practice Research Network (PPA PRN) parmi une série d’autres, des thérapeutes expérimentés ont conçu et mis en place, avec leurs propres clients privés, un protocole dont le but était d’identifier ce que les clients trouvaient de plus aidant ou de plus gênant au sein de chacune des sessions de leur thérapie (Castonguay, Boswell, Zack et al., 2010). Ainsi qu’il est décrit dans Castonguay, Nelson, Boutselis et al., (2010), les thérapeutes-enquêteurs ont utilisé le protocole pour collecter des données qui servaient continûment et simultanément des objectifs empiriques et cliniques, leur permettant ainsi de conjoindre science et pratique.

28En plus de notre revue des études passées et actuelles conduites dans le paradigme des ROP, mes collègues et moi avons proposé, pour alimenter les futures collaborations cliniciens-chercheurs, un certain nombre de recommandations visant à améliorer notre compréhension et l’impact de la thérapie (Castonguay et al., sous presse). Parmi elles : « demander et dire ». Ceci peut être fait en invitant les cliniciens à présenter ce qui, sur la base de leur pratique, reste des problèmes, en termes de processus ou de résultat, qui ont largement été ignorés des chercheurs (e.g., Castonguay, Adam-Term, Cavanagh et al., 2010) et en enquêtant auprès des praticiens sur les facteurs limitant l’efficacité des traitements soutenus empiriquement (TSE) dans leur pratique quotidienne (Goldfried et al., 2012).

29Une façon de faciliter un usage élargi et plus efficient des résultats de la recherche dans la psychothérapie au quotidien consiste à effacer la distinction entre activités scientifiques et activités pratiques. Ceci peut être réalisé, de façon plus ou moins complète, en construisant des études « syntones cliniquement », des études qui impliquent des tâches qui soient intrinsèquement et immédiatement pertinentes pour le travail clinique (Castonguay, Nelson, Boutselis et al., 2010). Je crois que les cliniciens seraient particulièrement intéressés pour participer et utiliser la recherche si, dans le protocole de l’étude, ils pouvaient ne plus voir de différences entre les aspects cliniques et les aspects scientifiques. C’est ce qui s’était passé dans l’étude du PPA PRN décrite plus haut lorsque les cliniciens lisaient la description faite par leur client des événements aidant ou gênants qui avaient pris place dans la séance qui venait de finir – à ce moment précis les cliniciens étaient incapables de dire s’ils collectaient des données ou s’ils se préparaient à la prochaine séance. Ils faisaient, bien sûr, les deux. Comme on l’a dit depuis une perspective plus globale, « plutôt que d’essayer de relier science et pratique comme si elles se tenaient sur deux rives opposées, nous devrions nous efforcer de conjoindre les deux activités afin de créer un terrain de connaissance et d’action nouveau et unifié » (Castonguay et al., sous presse).

Conclusion

30Bien que 50 ans se soient écoulés depuis la parution des premiers articles dans Psychotherapy, de nombreux thérapeutes et cliniciens s’accorderaient sur le fait que nous avons encore un « problème de résultat » – et qu’il vaut de le revisiter. Aux plans cliniques et empiriques nous savons qu’un nombre important de clients ne commencent ni ne complètent ni ne bénéficient (pleinement ou partiellement) des traitements psychosociaux qui leur sont proposés. Peu seraient encore en désaccord sur le fait qu’un travail considérable peut être fait pour accroître notre compréhension du processus de changement aussi bien que pour améliorer, ajuster et délivrer des traitements de façon à mieux rencontrer les besoins de nos clients. Au vu de la complexité et de l’importance de ces tâches, je crois fortement que nous devrions construire sur nos fondements empiriques, conceptuels et cliniques et que nous pouvons et devons le faire en nouant des liens entre différents domaines de savoir et de pratique.

31En dépit de ce que la recherche peut apporter à la pratique concrète, il est clair qu’elle ne guide pas encore substantiellement le travail de nombre de cliniciens. Cependant une enquête réalisée à la fois sur des cliniciens et des chercheurs a montré que les praticiens donnaient plus d’importance à la recherche que les chercheurs n’en donnaient à la littérature clinique (Beutler, Williams, Wakefield et Entwistle, 1995). Il n’est donc peut-être pas surprenant que certains cliniciens « se sentent niés par les chercheurs, considérant que la recherche méprise leur réalité et invalide leur expérience de professionnels » (Garland et al., 2006, p. 32). De façon semblable à la dénonciation par Kazdin (2008) d’une coûteuse perte de savoir clinique, Beutler et al. (1995) mettent en garde les scientifiques sur le fait « qu’il se pourrait bien qu’ils ratent d’importantes pistes pour identifier des domaines de recherche cruciaux. Ils feraient un bien meilleur travail scientifique s’ils étaient plus attentifs aux écrits et aux idées de leurs collègues cliniciens » (p. 989-990). Je suis convaincu que nombre de mes collègues et moi-même sommes devenus meilleurs chercheurs en ayant demandé aux cliniciens ce qu’ils avaient besoin de connaître pour éviter et mieux résoudre les impasses dans lesquelles ils se débattaient et les manières qu’ils imaginaient d’améliorer les traitements (y compris les TSE) ainsi qu’en ayant collaboré avec eux sur le protocole, la mise en place et la diffusion d’une recherche pertinente au plan clinique et scientifiquement rigoureuse.

32Nul besoin de souligner qu’une telle alliance pourrait être bien plus difficile à construire du fait que les partenaires potentiels vivent dans des univers différents – nous nous confrontons à des pressions différentes, sommes engagés dans des tâches différentes et avec des motivations largement différentes. Pourtant, comme nous le rappellent de nombreuses chansons, de nombreux romans et – si nous sommes assez chanceux – de nombreuses expériences personnelles, les unions improbables peuvent conduire à de belles et gratifiantes relations. Il vaut le coup de créer de telles unions, de les cultiver et, comme pour le problème de résultat, de les revisiter. C’est en ayant cela à l’esprit que, recontactant ma culture française ancestrale, je paraphrase pour finir Jacques Brel en disant aux cliniciens et aux chercheurs « ne nous quittons pas ».

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Notes

  • [1]
    Extraits d’un article paru initialement dans Psychotherapy 2013, vol 50, n° 1, 52-67 sous le titre « Psychotherapy Outcome : An Issue Worth Re-Revisiting 50 Years Later ».
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