1 Un état des lieux des actions, mises en œuvre en France et au Québec, met en évidence la prédominance des stratégies centrées sur le changement de comportement individuel comme les approches éducatives visant la diffusion d’information, les programmes de dépistage de troubles physiques ou cognitifs ou des sessions d’exercices physiques adaptés. Les modifications de l’environnement social et matériel, pourtant considérées comme des moyens de faciliter les initiatives des aînés, de compenser les limites fonctionnelles des aînés et de protéger leur autonomie, sont moins nombreuses.
2 Depuis au moins deux décennies, cette perspective d’intervention dite écologique, prenant en compte les relations entre les individus et leurs environnements de vie, figure au cœur du discours des chercheurs, des intervenants, des planificateurs et des décideurs. Les impressions glanées sur le terrain et les données de recherche montrent toutefois que son implantation reste encore souvent bien partielle. Il ne semble pas que le domaine de la santé des aînés fasse ici exception. C’est pour contribuer à ce mouvement que le guide franco-québécois est offert aujourd’hui aux décideurs, planificateurs et intervenants.
3 Ce guide d’aide à l’action est le fruit d’un partenariat entre l’université de Montréal, l’université de Sherbrooke, le centre de services de santé et de services sociaux de Cavendish au Québec et l’Inpes en France. Il s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets 2009-2010 de la 62e session de la commission permanente de coopération franco-québécoise, coordonnée par le ministère des Relations internationales (MRI), le consulat général de France à Québec et le ministère des Affaires étrangères et européennes.
4 Le temps du vieillissement dans les pays industrialisés s’étend désormais de 60-65 ans à plus de 85 ans, soit un temps aussi long que celui de la première jeunesse à l’âge mûr. L’enjeu de santé publique pour nos sociétés, est que les personnes âgées aient une espérance de vie en bonne santé la plus longue possible. Compte tenu des nouvelles approches en termes de promotion de la santé, cet enjeu exhorte à un développement et un renouvellement de nos pratiques de santé publique axé sur des approches de milieux de vie au sens large.
5 La perspective du vieillissement comme modification et donc adaptation à l’environnement s’appuie sur l’idée que cette période du développement de l’adulte est profondément influencée par son environnement physique et social. Ainsi, les pertes subies par les personnes âgées (vision, mobilité, cognition, deuil, etc.) les rendent particulièrement vulnérables aux contraintes de l’environnement.
6 Inspirés par le modèle écologique du vieillissement de Lawton et Nahemow, Glass et Balfour (2003) présentent un modèle mettant largement en avant la notion d’interaction entre la personne et son environnement. Ce modèle classe l’environnement proximal des personnes âgées en quatre dimensions : les conditions socioéconomiques, le niveau d’intégration sociale, les caractéristiques physiques de l’environnement et la présence des ressources et des services. Le degré d’adaptation de la personne âgée à l’environnement est ensuite fonction de différents facteurs porteurs de soutien (flexibilité, adaptabilité, disponibilité des ressources, occasions de croissance personnelle, soutien social) ou de pressions (obstacles physiques, inaccessibilité, inadéquation des ressources, stress social) qui facilitent ou entravent le vieillissement en santé et sans incapacité. Un ensemble de facteurs amplifiants (facteurs génétiques, dépression, troubles cognitifs, maladies chroniques) peut exacerber le processus causal en venant modifier l’ajustement entre la personne et l’environnement, ainsi qu’en influençant les réponses comportementales adoptées.
7 Les recherches récentes en santé publique ont mis en avant l’importance d’agir sur une variété de déterminants de la santé incluant différentes dimensions de l’environnement des personnes. En effet, en partant du postulat que l’environnement peut entraver ou faciliter les comportements individuels, l’approche écologique recommande d’intervenir à différents niveaux, depuis les interventions axées sur le renforcement de connaissances, attitudes et habitudes de vie, jusqu’à celles visant une modification de politiques dans divers contextes géographiques (collectivités territoriales, états) en passant par des changements organisationnels. Elle s’offre ainsi en alternative aux approches éducatives traditionnelles (par exemple, les campagnes de sensibilisation, les cours et les formations visant la diffusion d’information), lesquelles sont jugées par certains experts comme ayant finalement un impact modeste sur la santé des populations, voire comme étant susceptibles d’accroître les inégalités sociales en matière de santé (Braveman, Egerter & Mockenhaupt, 2011). D’autre part, en complétant l’action visant le changement des connaissances, des attitudes et habitudes de vie par des actions sur les environnements, l’approche écologique globalise des stratégies d’intervention multiples. Par cette multiplication des sources d’influences, les programmes écologiques misent sur la synergie entre les stratégies d’intervention et entraînent un effet plus durable en permettant une incorporation de l’action de promotion de la santé au sein des structures, systèmes, politiques et normes socioculturelles. Ce faisant, ils permettraient de rejoindre plus facilement les groupes peu atteints par les efforts traditionnels et pourraient présenter des avantages accrus en termes de ratio coût/efficacité (Smedley & Syme, 2000).
8 Le modèle de Richard & al. (1996) prend comme point d’intérêt les actions posées par les professionnels au sein des écosystèmes, désignées comme interventions, en vue d’agir sur la santé des populations et des groupes d’individus. La figure 1 offre une première représentation de l’étendue des milieux et des cibles qui peuvent faire partie d’une intervention dite écologique.
9 Les interventions de promotion de santé se situent sur un continuum allant de l’intervention dispensée dans un microenvironnement (ex. : une organisation) jusqu’à celles offertes dans des contextes environnementaux plus larges que sont les grands ensembles géographiques (ex. : société, niveau supranational), en passant par les communautés.
Modèle de l’approche écologique dans les programmes de promotion / prévention de santé (Richard & al., 1996)
Modèle de l’approche écologique dans les programmes de promotion / prévention de santé (Richard & al., 1996)
10 Chacun de ces niveaux sont autant de lieux où implanter des stratégies visant à la fois la personne et l’environnement. Un programme écologique inclut des actions visant plusieurs cibles (individus et différentes facettes de l’environnement) et ce, dans des multiples sites d’intervention. Milieux et cibles constituent ainsi les dimensions-clés de l’intégration de l’approche écologique dans les programmes de promotion de la santé.
11 Pour chacune des cinq stratégies, une identification d’actions est présentée, illustrée d’exemples français.
12 Les stratégies individuelles empruntent le plus souvent la forme de programmes d’amélioration des compétences, des connaissances ou de modification des attitudes de la personne. Dans le domaine de la santé des aînés, ce type de stratégie se traduit par des programmes de dépistage de troubles physiques ou cognitifs, des initiatives de vaccination systématique des aînés, des séances d’information et d’éducation sur des thèmes particuliers destinées aux personnes âgées, des sessions d’exercices physique adaptés, des campagnes médiatiques dans le but de promouvoir certains comportements ou attitudes.
13 Trois activités de l’Inpes illustrent cette stratégie. La campagne Inpes 2007-2008, La santé à tout âge, aborde en 28 spots d’une minute toutes les questions auxquelles peuvent être confrontées les personnes âgées de 60 ans ainsi que les saines habitudes de vie. Le guide des sessions de préparation à la retraite prévu dans le cadre du plan national Bien vieillir 2007-2009, en cohérence avec l’année européenne pour le vieillissement actif et la solidarité entre les générations de 2012, a pour objectif de promouvoir les sessions de préparation à la retraite comme l’un des moyens pour le futur retraité de se projeter et d’organiser des projets de vie pour sa retraite. Les brochures d’information sur la nutrition et l’activité physique après 55 ans, sur l’aménagement du logement, sur les risques liés à la canicule et sur la malvoyance diffusées à grande échelle sont également téléchargeables sur le site de l’Inpes et peuvent être commandées directement auprès de l’organisme.
14 En complément de cette stratégie individuelle, quatre stratégies socio-environnementales agissent à d’autres niveaux.
- Les stratégies d’intervention centrées sur le changement de l’environnement interpersonnel sont axées sur le réseau familial et amical, les voisins (ex. : actions d’information pour les proches aidants). Ces interventions consistent à susciter une modification de l’environnement interpersonnel de sorte à le rendre davantage en mesure d’exercer une influence favorable. Trois exemples français peuvent illustrer cette stratégie : le guide Nutrition pour les aidants proches des personnes âgées qui a pour objectif d’informer les aidants sur les bienfaits d’une alimentation saine et de l’activité physique pour maintenir la qualité de vie des personnes âgées, la formation pour les aidants familiaux proposée par des associations d’aidants familiaux destinées aux proches de personnes âgées fragiles ou malades et le café des aidants, lieu de rencontre convivial et neutre pour échanger, partager et parler des difficultés à soutenir un aidant proche.
- Les stratégies centrées sur les organisations se déclinent principalement en programmes visant à modifier les aspects d’une organisation et en activités de formation visant à accroître les compétences relatives à la prévention et la promotion de la santé chez des acteurs de l’organisation. La formation pour les aides à domicile en protection de l’autonomie des personnes âgées, formation expérimentée dans toutes les régions de France par l’Inpes avec le soutien de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), a pour objectif de développer les compétences des professionnels dans quatre thématiques : vieillissements normal et pathologique, mobilité et activités spontanées, alimentation et repas, communication et lien social. Depuis 2007, le prix d’architecture des maisons de retraite récompense la conception novatrice et le réaménagement des lieux de vie collectifs pour personnes âgées et aînés en perte d’autonomie, en lien avec le développement urbain et en tenant compte de la diversité des besoins sociaux des aînés.
- La communauté territoriale constitue le meilleur endroit pour établir des priorités collectives et mobiliser les personnes âgées, parce qu’elle rejoint les foyers et les milieux de travail. Les interventions empruntent plusieurs formes. Il peut s’agir de mobiliser la communauté autour d’un enjeu de santé concernant les aînés, d’augmenter l’accessibilité de certains services pour les personnes âgées dans la communauté, de modifier les normes sociales relatives au vieillissement ou aux aînés, ou de créer des infrastructures communautaires adaptées à ceux-ci. Une ville amie des aînés adapte ses structures et ses services en fonction des différents besoins et capacités des personnes âgées. Les communautés appelées à se joindre au projet doivent donc miser sur l’adaptation de leurs espaces extérieurs, bâtiments, transports, logements, et favoriser la participation sociale ainsi que le soutien communautaire. Ces stratégies centrées sur les collectivités territoriales, sont explicitées dans les labels Villes amies des aînés et villes labellisées Bien vieillir–Vivre ensemble.
- La stratégie politique se conçoit le plus souvent comme un programme visant à influencer des représentants politiques dans le but de les amener à légiférer sur un dossier en lien avec la santé. Il s’agit donc d’influencer les processus politiques, la formulation de lois et de politiques publiques, ce qui implique le plus souvent des efforts de lobbyisme et des plaidoyers auprès des pouvoirs politiques de tous niveaux. Au Québec, la Fédération de l’âge d’or du Québec (Fadoq) a mis en place un programme d’activités visant à influencer favorablement les politiques de santé destinées aux aînés. En France, la publication chaque année par la Fondation Abbé Pierre du rapport annuel du mal-logement vise à faire pression sur les politiques en lien avec le logement et les personnes âgées. Cet état des lieux du mal-logement concerne toutes les personnes vulnérables, notamment les personnes vieillissantes sans abri.
16 Une approche écologique nécessite d’agencer ces différentes stratégies tant auprès des aînés eux-mêmes qu’auprès de leur environnement interpersonnel, organisationnel, communautaire ou politique, de façon à offrir un éventail d’actions complémentaires en articulant les différents niveaux d’intervention. L’intérêt de cette approche est de contribuer à faire mieux connaître les programmes de promotion de la santé et susciter l’utilisation avec les populations d’aînés.
17 Cette approche globale de santé est utile pour réaliser un état des lieux d’une programmation en santé des aînés, identifier les forces et points d’amélioration de stratégies d’un programme et permettre aux planificateurs et aux acteurs d’articuler les activités tant sur le plan national que local dans une vision globale, positive de la santé, prenant en compte les déterminants individuels et socio-environnementaux.
18 « L’approche écologique en action en France et au Québec : Exemples d’intervention de prévention et promotion de la santé pour les aînés » a été réalisé avec le soutien du service de coopération et d’action culturelle du consulat de France à Québec, dans le cadre de la 62e commission franco-québécoise, un partenariat entre l’université de Montréal, l’université de Sherbrooke, le centre de services de santé et des services sociaux de Cavendish pour le Québec et en France l’Inpes.
19 Sous la direction de L. Richard, L. Barthélémy, L. Gauvin, S. Pin & M.C. Tremblay, disponible fin 2012 sur le site de l’Inpes : www.inpes.sante.fr
20 Coauteurs :
- Stéphanie Pin, sociologue, responsable du pôle « Populations et cycle de vie », Inpes ;
- Lucie Richard, professeure titulaire, Faculté des sciences infirmières ; directrice adjointe et chercheure, Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal ; chercheure associée, Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal ; chercheure, Centre de recherche Léa-Roback sur les inégalités sociales de santé de Montréal ;
- Lise Gauvin, professeure titulaire, Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal ; chercheure, Centre de recherche du centre hospitalier de l’Université de Montréal ; chercheure, Centre de recherche Léa-Roback sur les inégalités sociales de santé de Montréal ;
- Marie-Claude Tremblay, candidate au doctorat, santé publique (promotion de la santé), Université de Montréal.
Bibliographie
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
- BRAVEMAN P.A., EGERTER S.A. & MOCKENHAUPT R. (2011). Broadening the focus : The need to address the social determinants of health. American Journal of Preventive Medicine, 40 (1S1) : S4-S18.
- GLASS T.A. & BALFOUR J.L. (2003). Neighborhoods, aging, and functional limitations. In : Kawachi I., Berkman L.F. (dir.), Neighborhoods and health. New York : Oxford University Press : 303-334.
- RICHARD L. & al. (1996). Assessment of the integration of the ecological approach in health promotion programs. American Journal of Health Promotion, 10 (4) : 318-328.
- SMEDLEY B.D. & SYME S.L. eds (2000). Promoting health. Intervention strategies from social and behavioral research. A report of the institute of medicine. National Academy Press : Washington.