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Article de revue

La méthode de validation™de Naomi Feil

Une pratique thérapeutique innovante en gérontologie ?

Pages 189 à 204

Notes

  • [1]
    Balmary Marie. Le Moine et la psychanalyste. Albin-Michel, Paris, 2005.
  • [2]
    Erikson Erik. The life cycle completed. Extended version. New York, WW Norton & Co, 1997.
  • [2]
    Cyrulnik Boris. Les nourritures affectives, Paris, Odile Jacob, 1993.
  • [3]
    Freud Sigmund. Cinq leçons sur la psychanalyse, 4e ed. Payot, 1981.
  • [4]
    Verwoert Adrian. Clinical geropsychiatry. Baltimore, Williams & co, 1976.
  • [8]
    Piaget Jean.
  • [9]
    Suzuki S., Esprit zen, esprit neuf, Le Seuil, Paris, 1977.
  • [10]
    Watzlawick Paul : Une logique de la communication, Le Seuil, Paris, 1979.
  • [11]
    Cyrulnik Boris. Le murmure des fantômes, Odile Jacob, Paris, 2003.
  • [12]
    Balmary Marie. Le Moine et la psychanalyste. Albin-Michel, Paris, 2005.
  • [13]
    De Shazer S. Patterns of brief family therapy, Guilford, New York, 1987
  • [14]
    Congruence : un message est dit congruent quand le verbal est en accord avec le non verbal.
  • [15]
    Sauvy Jean. La maladie d’Alzheimer vécue à deux. Elégie. L’Harmattan, Paris, 2007.
  • [16]
    NDLR. Ces constats sont instructifs mais n’ont aucune valeur probante faute d’études versus population témoin et versus autre méthode.
  • [17]
    L’accompagnement en Actions. Vidéo FNG Accompagner la Vie à Domicile. Maintenir la Relation ORRPA CLIC 51100.
  • [18]
    Haley Jay. Thérapies orientées solution (Problem solving therapy). Harper & Stratton, New York, 1976.
  • [19]
    Feil Naomi, Validation, Lamarre, Rueil Malmaison, 2005.
  • [20]
    Sauvy Jean, La maladie d’Alzheimer vécue à deux, L’Harmattan, Paris, 2007.
  • [21]
    Bobin Christian, La présence pure. Le temps qu’il fait, Paris, 1999.

1La Validation ne constitue plus en elle-même une nouveauté, dans la mesure où sa conception remonte à 1963 et son introduction en Europe à 1988. Pourtant, profondément novatrice dans son intention, elle s’inscrit à contre courant des dogmes en vigueur, et du pronostic implacable et aliénant, alors associé à la maladie d’Alzheimer.

2Elle postule qu’il est possible d’entretenir une relation de qualité avec les personnes âgées dites démentes et entreprend de développer une pratique, qui manifeste le droit imprescriptible de tout être humain au respect de sa dignité, de son intégrité et de sa liberté d’expression. Attentive au parcours de vie, elle puise dans les théories du développement, dans les travaux d’Abraham Maslow et dans la psychanalyse, matière à présupposer un sens aux troubles psycho comportementaux des grands vieillards. Afin de nourrir des échanges fonctionnels, elle s’emploie à identifier et à réajuster en fonction des résultats observés, les modes de communication opérant durant les phases successives de la maladie. Considérant la place essentielle de l’affectivité dans la psyché des personnes âgées désorientées, elle s’inspire de l’attitude empathique prônée par Carl Rogers pour instaurer une écoute et maintenir une distance juste, en soutien de la dynamique propre à chaque individu.

3Aujourd’hui, la Validation trouve des applications qui viennent enrichir la pratique des professionnels mis en échec et parfois désabusés, et celle des proches souvent accablés par un fardeau désespérant. Selon nos observations, elles suscitent des « prises en charge » renouvelées par l’expérience essentielle d’une présence authentique à l’Autre ; manière d’« ouvrir la porte comme un voyageur installé pour un temps accueille un autre voyageur, prenant soin de son bien être, sans lui imposer la discipline de son chemin ni les visions de son propre voyage »  [1]. Elle peut ainsi contribuer à révéler les ressources latentes, une créativité partagée, et à (ré) susciter la motivation de chacun des acteurs, en les mobilisant sur des objectifs réalistes dans l’exercice quotidien de leurs fonctions.

ORIGINES ET PRÉSUPPOSÉS FONDATEURS

4Naomi Feil est née en Allemagne en 1932. Immigrée aux États-Unis en 1936, elle a fait ses études de psychologie à New York, obtenu une Maîtrise et un certificat de travail en groupes. Depuis 45 ans, elle s’emploie à trouver des moyens de mieux accompagner les grands vieillards qualifiés de déments séniles. Elle choisit de les aborder en tant que sujets, dont le vieillissement restreint le potentiel physique, sensoriel et psychique, les exposant à être mal (heureusement) orientés, ou désorientés (privés d’orientation), plutôt que les réduire à un statut de malade ou de dément.

5Elle tisse des liens entre théories, observations et mise en œuvre pragmatique de la communication. Chemin faisant, elle optimise ainsi, et structure, une pratique destinée à maintenir des échanges significatifs avec ces personnes disqualifiées et marginalisées. Elle nomme d’abord son approche « Fantasy Therapy », thérapie de ou par l’imaginaire puis, « Validation Therapy ». « Therapy » au sens de prendre soin et « Validation » pour évoquer la reconnaissance d’une spontanéité créative et pertinente, mobilisée par des affects et se déclinant en comportements qui, par delà l’altérité, en appellent à la reconnaissance inconditionnelle de l‘être humain.

6Reconnaître valeur et pertinence à ceux qu’on s’accordait trop souvent à considérer comme privés de raison, voire comme fous, constituait en soi une innovation qui n’allait pas manquer d’ébranler des préjugés bien établis.

CHOIX D’UNE VISION POSITIVE PLUTÔT QUE DÉFICITAIRE

PRÉSUPPOSÉ ONTOLOGIQUE : LA MALADIE N’ALTÈRE PAS LA NATURE ESSENTIELLE DE L’ÊTRE HUMAIN

7En dépit des altérations engendrées par la maladie, la personne conserve son statut et l’identité profonde qu’elle s’est forgée durant son parcours de vie.

8Cela implique le respect de son intégrité, passe par l’usage des codes sociaux tels que l’emploi du nom, le vouvoiement, la poignée de main, et requiert de traiter la personne atteinte avec égard, en tenant compte de sa réalité subjective, de son rythme, de ses affects parfois « décalés » et de ses demandes. Dans cette optique « bisous » et autres gestes familiers doivent rester l’apanage des proches, afin de prémunir les protagonistes envers jeux de projections et fausses reconnaissances.

9Alors, au lieu de cantonner dans sa chambre – pour d’incessants appels « au secours » – cette vieille dame mise au fauteuil roulant dans le but de lui préserver une hypothétique dignité posturale, on pourrait répondre à un probable besoin de présence et « entendre » sa propre perception de sa dignité et de son confort, pour aboutir, par exemple, à lui proposer de l’installer confortablement dans son lit en programmant visites, réévaluations et réajustements réguliers.

PRÉSUPPOSÉ ANTHROPOLOGIQUE : LE VIEILLARD DÉSORIENTÉ DEMEURE ENGAGÉ DANS UN PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT, JUSQU’AU TERME DE SON EXISTENCE

10L’idée qu’une personne évolue sa vie durant est inspirée, au départ, de Jean Piaget ; et l’idée qu’elle aspire à terminer ses jours avec le sentiment du devoir accompli – en paix avec elle-même et autrui – est empruntée à Erik Erikson  [2]. Selon ce dernier, ceux qui, leur vie durant, auraient su affronter avec succès leurs épreuves, pourraient compter atteindre une forme d’accomplissement et de sérénité, les autres étant voués au désespoir, faute d’un bilan acceptable.

11Or, les personnes âgées « démentes » ont aussi été jeunes ; elles ont parcouru avec plus ou moins de bonheur leurs différentes étapes de vie, jalonnées de crises et marquées par les événements singuliers de leur histoire personnelle, familiale et sociale.

12Considérant qu’elles gardent une personnalité pérenne, conservent des capacités et des affects parfois refoulés et que, elles aussi, aspirent à une légitime paix intérieure, Naomi Feil avance une hypothèse audacieuse : au prix d’une altération de leur rapport avec ce qu’il est convenu d’appeler la réalité, une forme de réparation resterait accessible à ceux qu’encombrent d’anciens vestiges émotionnels et qui parfois opèrent sous nos regards incrédules une forme de retour, voire de réinterprétation, de certains épisodes marquants de leur vie.

13Elle ajoute donc aux étapes de vie décrites par Erik Erikson une étape facultative, qu’elle appelle étape de « la Résolution », apanage du très grand âge. Sorte de dernière chance de mettre sa vie en ordre avant de la quitter que s’octroierait le vieillard en proie au désespoir. Boris Cyrulnik  [2] évoque une notion similaire lorsqu’il écrit que « Le réexamen de la vie a été proposé à titre psychothérapeutique pour les âgés. Il s’agit d’un processus mental qui, quelle que soit la culture, se manifeste naturellement par le retour progressif à la conscience des expériences passées, notamment la résurgence des conflits non résolus ».

14A défaut de se sentir accompagnée, acceptée ou pour le moins entendue la personne, engagée dans cette étape de « Résolution », est susceptible de régresser de manière variable, selon quatre phases correspondant à des profils psycho comportementaux distincts, décrits par Naomi Feil : la mal-orientation où la personne demeure orientée dans le temps et l’espace, utilise correctement le langage, mais aurait tendance à nier ses pertes, au prix d’interprétations plus ou moins fantaisistes, par exemple : « mon lit est tout mouillé, car il y a des fuites au plafond » ; la confusion temporelle où la personne présenterait une désorientation temporo-spatiale et interpersonnelle, mais utiliserait encore correctement le langage parlé ; la phase des mouvements répétitifs où elle remplacerait le langage parlé par des mouvements ou des sons ; et enfin la phase d’état végétatif, où la personne garderait le plus souvent les yeux fermés et bougerait à peine, mais, malgré ce repli sur elle-même, resterait sensible aux sons, aux odeurs, au toucher.

PRÉSUPPOSÉ PSYCHOSOCIOLOGIQUE : LE RAPPORT AU RÉEL EST PERSONNEL, SUBJECTIF ET SOUMIS À L’AFFECTIVITÉ

15La « réalité » est une construction dépendant de nos perceptions sensorielles, sous influence du langage, des interactions, de la culture et des conceptions du monde que nous partageons.

16La notion selon laquelle les émotions « voyagent dans le temps » — une émotion actuelle pouvant réactiver la mémoire d’événements passés — est héritée du champ psychanalytique. Les émotions mobilisent la pensée et la conduisent à revisiter les épisodes significatifs auxquels elles sont attachées ; si bien que les exprimer permet parfois de soulager des tensions anciennes  [3].

17La désorientation des vieillards peut ainsi être envisagée, non comme la simple manifestation d’une déficience  [4] mais, comme une capacité à réactualiser des séquences passées avec lesquelles — elles et leur entourage — gardent des liens intemporels de nature affective.

PRÉSUPPOSÉ PSYCHOCOMPORTEMENTAL : TOUT COMPORTEMENT A UNE FONCTION, MÊME SI NOUS NE SOMMES PAS EN MESURE DE LUI ATTRIBUER UN SENS

18Au cours du développement de l’homme le mouvement précède le langage  [8] ; il manifesterait une intention, serait l’expression d’un désir et le porteur d’un sens implicite. Tout comportement, tout geste prendrait donc valeur de message potentiel et aurait vocation à être un vecteur de communication.

19Considérant que le comportement d’une personne âgée, mal ou désorientée, ne peut être déterminé par les seules lésions cérébrales, Naomi Feil propose d’éviter de la détourner du projet qui l’anime, pour lui permettre de s’exprimer et d’en reconnaître, « d’en valider », la légitimité.

PROJET DE COMMUNIQUER POUR ENTRETENIR UNE DYNAMIQUE DE LA RELATION

20Un tel projet procède d’une intention modeste et d’initiatives concrètes, suivies d’une observation attentive des effets induits et d’autant de réajustements que nécessaires. « Dans l’esprit du débutant il y a de nombreuses possibilités, dans l’esprit du spécialiste il y en a peu »  [9].

« ON NE PEUT PAS NE PAS COMMUNIQUER » : AXIOME ISSU DE LA LOGIQUE DE LA COMMUNICATION  [10]

21Dans la mesure où la parole fonde notre humanité, il convient de considérer la parole disqualifiée du sujet déclaré « dément » en tenant compte de ses capacités de communication sur un mode élargi au non verbal, c’est-à-dire prenant en compte sa posture, sa gestuelle, ses mimiques, mais aussi ses conduites et leurs dimensions symboliques, afin que son statut soit restauré et entretenu dans l’échange.

OBSTACLES COUTUMIERS

22Hormis les résistances liées à la peur d’une « impensable » communication avec celui encore trop perçu comme tout autre, les entraves communes sont les interprétations : « Vous dites ça, parce que vous êtes fâché » ; les généralisations : « Vous voulez toujours avoir raison ! », et toutes formes de rationalisations, affirmations, jugements et conseils. Il existe aussi un autre excellent moyen de rompre la relation et de « casser » la confiance avec le vieillard Alzheimer : c’est de ne pas lui prêter attention et de ne tenir aucun compte de ses réactions, verbales et non verbales.

INITIER UNE COMMUNICATION FONCTIONNELLE

23Parmi une vingtaine d’outils usuels proposés par Naomi Feil, la reformulation utilisée avec mesure et discernement confirme à l’interlocuteur qu’il a été entendu. Faisant écho aux mots, au ton, à la gestuelle, elle contribue à engager une prise de contact, une alliance, pour initier une relation propice à l’accompagnement. On invite ainsi le vieillard désorienté à s’exprimer selon sa vision du monde, en s’accordant à lui pour cheminer de conserve.

24Boris Cyrulnik  [11] rappelle que : « Le cheminement le plus sain et le moins coûteux est constitué par la narrativité. La compétence au récit de soi est nécessaire pour se faire une image de sa propre personnalité. Ce travail provoque un étrange plaisir ». Plus encore : « la narrativité permet de se constituer en sujet intime et la narration invite à prendre sa place dans le monde humain en partageant son histoire ».

ATTITUDE ATTENTIVE À MANIFESTER UNE PRÉSENCE

OBSERVATION ET REGARD

25Observation et quête du regard sont déterminantes pour solliciter l’autre à entrer en relation et le rejoindre sans s’imposer. Ces deux attitudes contribuent au recueil d’informations sur son état émotionnel et autorisent les ajustements indispensables pour entretenir la relation et pour que l’Autre ait l’opportunité de se sentir reconnu, validé. « Le plus important pour moi, ce qui m’a le plus fondé, ce qui m’a donné de l’appui, ce n’est pas ce que cet homme m’a donné à croire c’est qu’il m’a cru »  [12].

DISTANCE ET FRONTIÈRES

26Nous avons tous besoin de « cartes » pour nous orienter, mais nous devons aussi savoir reconsidérer nos idées préconçues pour nous adapter au « terrain », au fil des événements. « Si cela ne marche pas, n’en restez pas là, faites autre chose »  [13].

27Le réajustement de la distance en fonction des réactions non verbales requiert une attention constante à autrui et témoigne de la valeur qu’on lui accorde. Une telle disponibilité suppose une présence authentique et demande une vigilance tendue simultanément vers l’autre et vers soi. Celle-ci peut s’exercer avec une pratique du « centrage », consistant à prendre le temps de « se rassembler », de prendre conscience de ce que l’on apporte avec soi, pour se préparer à la rencontre et parvenir à différencier son propre état émotionnel de celui de l’autre.

EMPATHIE

28Carl Rogers défini l’empathie comme « la faculté » que doit développer tout thérapeute pour se rendre disponible et affranchi de ses préoccupations personnelles, à l’instar d’une « caisse de résonance ». Considérant le client comme seul détenteur de la solution à son problème, il précise qu’il faut veiller à n’être pas perçu comme une menace. Ces dispositions essentielles à la pratique de la Validation demandent flexibilité et congruence  [14] pour accompagner l’expression des émotions qui se manifestent.

29L’empathie requiert de l’intervenant la capacité de faire confiance à l’autre, même dément, afin de cerner son mode de résolution. Naomi Feil souligne la nécessité, pour s’y familiariser, de s’entraîner et de cadrer le temps. Sans limite de temps, ni conscience de ses propres limites, l’intervenant s’exposerait à la confusion et au risque de substituer son vécu à celui de l’autre.

30Certaines pratiques en usage, telles la réorientation dans la réalité, le mensonge thérapeutique pour enjoliver une réalité perçue par l’aidant comme trop douloureuse, ou la diversion pour distraire la personne de ce qui la préoccupe et l’amener à penser à autre chose, tentent à leur manière de combler l’immense désarroi des aidants face à ces « personnes d’un “commerce ” parfois difficile, tant elles sont différentes du “commun des mortels” mais qui peuvent se révéler très attachantes à l’usage[15] ».

31Mais, pour sa part, Naomi Feil prône d’éviter de telles attitudes de « patronage » ou de maternage et propose de s’accorder au rythme du vieillard désorienté, de mettre ses « pas dans ses pas », pour tenter d’entrer en « résonance » avec lui. Il s’agit de n’être ni devant, ni derrière, mais « avec » lui, à ses côtés, de le rejoindre dans sa réalité du moment et de l’explorer ensemble, sans la remettre en question, afin qu’il puisse se sentir en compagnie.

32En résumé, cette approche ne tolère ni pieux mensonges, ni diversions charitables, ni réconfort illusoire. Elle exige authenticité et honnêteté dans l’exercice d’une responsabilité consciente de ses propres limites.

APPLICATIONS ACTUELLES

FORMATIONS INTERDISCIPLINAIRES

33Suscitant un sentiment d’impuissance propre à malmener leur identité professionnelle, la formation initiale laisse trop souvent les professionnels démunis face aux vieux « Alzheime r », capables à la fois de solliciter et de rejeter, de flatter et de harceler. Faute d’une relation authentique, comment ne pas s’épuiser à faire « pour » ou « sur », à « faire » marcher, « faire » manger, « faire » la toilette ou, pire, à « faire Mme Untel » !!...

34Naomi Feil rappelle qu’un soignant a besoin d’échanges pour pouvoir « s’alléger », se sentir entendu et parvenir à assumer sereinement son exercice professionnel. Avec ses collaborateurs américains et européens, elle a donc élaboré des formations destinées à transmettre le fruit de l’expérience acquise. Il s’agit d’aboutir à des applications, qui contribuent à enrichir la pratique des professionnels en gérontologie et à entretenir leur motivation à prendre soin, en perpétuant la « relation d’aide » – qui donne sens au rôle de soignant – cette part confisquée par l’étiquette démentielle. Considérant la relation soignant-soigné comme le préalable indispensable à toute démarche de soin, la formation s’emploie à développer les capacités des professionnels à utiliser des modes de communication fonctionnels pour entretenir le lien avec les vieux dits déments, tout en veillant à leur propre intégrité et au respect de l’écologie relationnelle au sein des institutions. Cela requiert un cadre rigoureux, garant de la sécurité de chacun, basé sur la confidentialité, le non jugement, le droit de dire, de savoir et ne pas savoir, l’invitation à une créativité partagée. A la lumière des théories qui sous-tendent la pratique de la Validation, il est question de découvrir des manières différentes et plus ouvertes de voir, d’être et de faire, dans l’exploration de cette singulière relation soignant soigné.

35Le projet est de proposer un soin acceptable dont l’exécution engage une coopération et un partenariat avec la personne au lieu d’un soin subit. Il intègrera certes des actes techniques et d’aide à la vie quotidienne, mais dans un échange fondé sur la présence, ouvert à l’imaginaire, à la transmission et en lien avec l’ensemble des acteurs engagés dans l’accompagnement de la personne âgée désorientée et de ses proches.

TÉMOIGNAGES DE PROFESSIONNELS

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« Cette pratique me permet de porter sur le vieillard un autre regard, et de remettre du sens dans le travail que je fais. »
Patricia, infirmière « Je retrouve ma motivation de départ à être soignant. »
Stéphane, aide soignant « La formation m’a permis de reprendre confiance en moi, de ne plus appréhender de devoir m’occuper d’une personne Alzheimer. Maintenant j’ai envie de la rencontrer... »
Sybille, aide soignante « A nous soignants, accompagnants, il est demandé de les rejoindre, en quelque sorte d’entrer dans leur univers le temps d’un soin [...] d’entrer en communication avec eux, même si nous ne connaissons par leur histoire. Cette formation nous aide à maintenir la communication avec eux, à les reconnaître comme personnes, à valoriser leurs propos et leur permettre de cheminer par eux-mêmes dans leur histoire, en étant pleinement reconnus [...] cela redonne sens et humanité à l’être à qui nous nous adressons, [...] Mais c’est nous qui sommes gagnants de mieux comprendre ce qu’il vit, d’accompagner [...] de rester prévenants, attentifs à ses gestes, à son visage, pour tenter de lire ce qui l’habite, et d’agir au mieux à ses côtés. »
Annie, aide soignante « Cette approche est facilement applicable [...] basée sur du vécu, elle est humaine et fondamentale pour notre travail et se situe dans le monde réel du soignant. »
Carmen, aide soignante

EFFETS CONSTATÉS EN INSTITUTION

37Dans le cadre de la certification du CHU de Reims, le pôle EHPAD a consacré une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), à la prise en charge non médicamenteuse des personnes âgées atteintes de maladie d’Alzheimer ou de troubles apparentés. Débutée en 2007 au sein d’une unité de 60 lits, elle inclut la formation de l’équipe à la pratique des Bases de la Validation, sur le principe d’un volontariat.

38En 18 mois, dans cette unité, l’usage des neuroleptiques s’est fortement réduit et les prescriptions au long cours ont disparu  [16]. Les soignants déclarent se sentir moins démunis face aux comportements agressifs, plus capables de comprendre demandes et besoins des personnes atteintes, plus satisfaits des relations avec les résidents et entre collègues. Ils se disent fédérés par un projet commun et dépositaires de compétences que les services voisins viennent solliciter.

39L’encadrement confirme le regain de motivation, associé à une chute des deux tiers de l’absentéisme et une amélioration de l’image de l’unité auprès des proches, attestée par une diminution des plaintes de familles qui se disent mieux accueillies. L’ensemble du pôle enregistre une progression du nombre de postulants pour travailler dans les petites unités de vie, l’accueil de jour et l’accueil temporaire pour patients Alzheimer.

40Déjà, la création d’une première unité de vie Alzheimer en 2006 avait renforcé les échanges avec les personnes atteintes, la participation des proches et suscité des rencontres, jusqu’à inspirer la création d’un spectacle : « 007A, voyage au pays de l’oubli » ; un « conte » qui porte leurs paroles vers le public, à travers l’histoire imaginée de « Mémé Nui », la gardienne des rêves, qui réintroduit la part du mystère, dans ce qu’il advient de nous… Comme une invitation à s’affranchir d’une position de victime, pour redevenir acteur de « quelques contes à régler », ou d’une destinée à créer ensemble.

FORMATION DES AIDANTS NATURELS ET BÉNÉVOLES

41Initiée à la demande des aidants en quête de moyens concrets pour maintenir des échanges significatifs, ces actions ont eu pour simple objectif de développer leur capacité à prendre soin d’eux même, à prendre du recul, à se repositionner et à communiquer autrement  [17] mais avec authenticité, plutôt que de s’enfermer dans une relation de co-dépendance. En complément des groupes de parole, ce travail semble contribuer à aider l’aidant à dire à l’autre sa réalité propre et ses limites, à surmonter le sentiment de culpabilité et à engager un processus de deuil, non de l’autre, mais de ce dont on avait rêvé ensemble, pour pouvoir peut-être envisager un avenir nouveau et différent.

42

« J’ai pris la décision la plus difficile de ma vie : dire à Ginette que je ne viendrai pas la rechercher, mais que je continuerai à m’occuper d’elle. Sa réponse m’a ému aux larmes : “ Je ne m’étais pas aperçue que tu étais si fatigué… alors, j’ai la maladie d’Alzheimer. Heureusement que tu es là”. Je devenais impatient avec elle, mais aujourd’hui, je vais mieux. Elle est contente de me voir et nous partageons encore de bons moments ».
Jean, époux, 2008.

COMMENTAIRES

INTENTION

43De l’océan de la psychologie, de la médecine et de la philosophie, nous émergeons sur la terre plus ferme de l’intervention, où il n’y a ni bon, ni mauvais diagnostic, pas de théorie juste ou fausse, mais des données relatives à ce qui agit ou est utile.

44Sur la base d’une vision humaniste inspirée des théories du développement, Naomi Feil, propose une approche profondément gérontologique des grands vieillards dits déments, mettant en valeur leurs capacités et leurs aptitudes naturelles, pour leur offrir un accompagnement plus digne. Adopter cette approche, c’est accepter de découvrir en permanence des choses nouvelles et apprendre d’eux comment travailler avec eux.

45Nous n’avons pas découvert de formule qui cerne la diversité des êtres humains, et restons bien conscients de ne pas posséder « la réponse » à toutes les situations. Comme J. Haley  [18], nous pensons qu’il vaut mieux « considérer les gens comme normaux, car lorsqu’on les traite comme des gens normaux ils tendent à agir plus normalement. Alors que leur mettre une étiquette implique que l’on participe à la création d’un problème d’une manière telle que toute évolution est rendue difficile ». Nous nous intéressons donc aux aspects qui semblent propices à favoriser des changements positifs, modestes mais susceptibles d’induire des effets plus vastes et inattendus dans divers domaines de la vie personnelle ou socio familiale.

46Guérir une maladie d’Alzheimer dépasse nos compétences. Mais, communiquer sur un mode verbal et non verbal, accompagner l’expression des affects et tenir compte de la subjectivité de la réalité, reconnaître à autrui valeur et dignité et soutenir ses efforts pour légitimer son existence à ses propres yeux et à ceux de son entourage, constituent a priori des objectifs réalistes et valorisant pour des soignants déterminés à entretenir une relation vraie. Nous croyons que cette démarche peut contribuer à aider certaines personnes à conserver, voire à retrouver, chaque matin le goût de vivre un jour de plus.

47Forte de l’héritage des anciens, Naomi Feil apporte une pierre à l’édifice commun et s’emploie désormais à transmettre cette envie de perpétuer la pratique d’une relation d’aide en continuel renouvellement.

48Quant aux aspects innovants de sa méthode, ils se matérialisent désormais surtout dans l’enrichissement humain et professionnel qui découle de ses applications.

RÉSISTANCES ET MISES EN GARDE

49En affrontant les préjugés la Validation heurte des résistances, suscite des inquiétudes, génère des maladresses, un manque de naturel, parfois des interprétations abusives : par exemple, « Ça fait pleurer », « On est indiscret », « On les force à parler ». Parmi les objections « Ça prend du temps » revient assez fréquemment dans la bouche des professionnels qui dissocient le temps de la relation, de celui du soin, alors que ce dernier se trouve souvent facilité, avec une moindre fréquence des troubles du comportement, lorsque les deux sont conjugués. « Ça demande de l’énergie et de l’attention » met par contre en relief la nécessité d’acquérir de l’aisance par l’apprentissage d’une pratique personnelle.

50La confrontation véritable au vieillard « mal ou désorienté » peut cependant conduire à des remises en question inconfortables tant sur le plan professionnel que personnel, et nous renvoyer à notre propre « finitude ». D’ailleurs, certaines hypothèses retenues par Naomi Feil concernant la psyché, la place et le rôle de la conscience, le processus de développement, les capacités des patients... semblent contraires à celles que partagent beaucoup de thérapies contemporaines.

51Enfin, il convient de savoir qu’aucune pratique n’est à l’abri d’un mésusage susceptible d’en pervertir la mise en application. On peut ainsi rencontrer, sous prétexte de valider ce que dit la personne, des interprétations abusives : « C’est elle qui réclame les bisous, elle en a besoin, elle aime ça ». Il y a là confusion entre une demande et le besoin de se sentir aimée ou simplement en sécurité. Mésusage aussi que des reformulations sans réelle empathie, à l’instar d’un perroquet ; l’application sans âme d’outils de communication telle une recette stéréotypée ; des dérives vers des analyses sauvages, destinées à satisfaire quelque irrépressible besoin de comprendre, là où il suffit de se contenter d’accueillir.

52Une déontologie et un fort sens éthique se trouvent donc requis. Sans oublier que tout trouble psycho comportemental – pour ne pas risquer de méconnaître des états confusionnels ou d’authentiques troubles psychiatriques – nécessite une démarche clinique préalable, afin que soit établi un diagnostic étiologique et assuré le traitement d’une éventuelle cause curable.

INDICATIONS ET LIMITES

53La Validation convient donc aux personnes dont la pensée logique est altérée, aux alentours de 75 ans, en âge d’entreprendre le bilan d’une vie « normale » et supposées, pour diverses raisons, n’avoir pas sû faire face à certaines épreuves traversées durant leur existence. Il s’agit de personnes qui, au terme d’une vie plus ou moins satisfaisante, se portaient bien jusqu’au moment où elles ont opéré un repli sur elles-mêmes, dépassées par une accumulation de pertes.

54Elle n’a pas été conçue pour des handicapés mentaux, ni des gens orientés souffrant d’affections psychiatriques, ou organiques, tels qu’un accident vasculaire cérébral, ni pour ceux qui ne sont pas encore de grands vieillards.

55Toutefois, la plupart des principes de la Validation – l’empathie, une attitude respectueuse, une connaissance de la biographie du sujet, la compréhension de ses motivations et l’usage des outils de communication – pourront s’appliquer avec profit  [19] dans nombre de structures pour personnes âgées.

RECHERCHES ET PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT

56L’attention est ici centrée sur ce qui est réalisable et susceptible d’évoluer, plutôt que sur ce qui est inaccessible et ne peut pas être modifié, un petit changement étant suffisant pour engager un processus.

57Il convient de rester bien conscients de plusieurs faits : ce sont des patients animés par une intention déterminante, et il n’y a pas une façon « juste » de voir les choses. Des points de vue différents peuvent être tout aussi valables.

58Les observations expérimentales demandent à être confirmées par des travaux de recherche, pour objectiver les effets bénéfiques et l’impact sur des paramètres aussi divers que la durée du temps de communication quotidien, la consommation des psychotropes, la fréquence et l’intensité des troubles du comportement, le fardeau des aidants, la motivation des soignants, l’acquisition de compétences nouvelles, la valorisation professionnelle, ainsi que l’absentéisme et la stabilité des améliorations à travers le temps.

59Nous escomptons des applications personnalisées, capables de rendre à la relation toute sa valeur créative et innovante ; c’est-à- dire de lui permettre de demeurer le lieu d’expression de notre humanité mutuellement reconnue et sans cesse réactualisée.

60Au-delà de l’intérêt immédiat de ces pratiques pour mobiliser les ressources individuelles dans l’accompagnement, il serait intéressant d’estimer leur incidence sur la production collective de sens et la reconnaissance de la fonction du vieillard, par l’entourage et la collectivité. Sans compter qu’une telle démarche participe de fait d’un effort collectif de solidarité dans la lutte contre la marginalisation et l’exclusion.

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« L’idéal serait que chaque « Alzheimérien » soit suivi par un tuteur qui s’entoure d’un groupe convivial d’accompagnement [...], mini-société qui serait à son écoute, attentive et chaleureuse. Ainsi la personne déboussolée trouverait-elle un milieu adapté à son état singulier, connaîtrait-elle un mode de vie qui serait parsemé de moments de bonheur, retrouverait-elle des raisons de vivre »  [20].

62En se fondant sur une vision de présupposés et de théories, Naomi Feil a acquis une expérience, établi des principes et structuré des techniques, qui débouchent sur une pratique en continuel renouvellement. Il semble qu’elle aboutisse aujourd’hui à des applications mobilisatrices, qui ouvrent pour les soignants, les proches et la collectivité sociale, la perspective de s’inscrire dans une dynamique relationnelle gratifiante et porteuse de sens.

63Un sens singulier inscrit dans la rencontre de l’Autre, qui s’élabore dans les échanges infimes d’un quotidien en lutte contre la déshumanisation, voire le rejet et l’exclusion, capable de révéler et de réorienter nos engagements réciproques.

64Un sens collectif, dédié au respect des libertés, à la solidarité et à la défense des droits fondamentaux, sensés fonder le lien social au sein de nos sociétés supposées évoluées Un sens enfin, qui viendrait côtoyer les questions existentielles auxquelles nos vieux se confrontent peut-être, nous précédant tels des explorateurs des confins, pour délivrer quelque ultime témoignage à celles et ceux qui accepteraient de les entendre ...

65Par ses présupposés, sa mise en œuvre et ses effets, la Validation pourrait ainsi participer d’une vision anthropologique, dont les conséquences se révèleraient dans la pratique de l’accompagnement, rappelant le prima de la relation sur toute action de soin.

66En témoignent les observations des professionnels et des proches, qui en ont ressenti les effets, mutuellement bénéfiques, et parfois générateurs de représentations moins utilitaristes et plus apaisées de la Condition Humaine. Ainsi, « Parler » aux personnes âgées désorientées contribue-t-il peut-être à garder vivant, au sein de notre monde consumériste, le lien ancestral avec nos pairs ; leur présence et leur parole animées témoignant de nos luttes, héroïques et dérisoires, là où la vie et la raison nous échappent et viennent interpeller notre appartenance à une lignée, à une histoire, à une destinée...

67Ou peut-être, ne s’agit-il plus simplement que de prêter attention à nos vieux, de les respecter et d’en prendre soin grâce à ce qui fonde notre Humanité, en nous employant à les aider à transmettre ce lien ancestral.

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«Soigner c’est aussi dévisager, parler et reconnaître par le regard et la parole, la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu »  [21].


Mise en ligne 01/02/2009

https://doi.org/10.3917/gs.126.0189

Notes

  • [1]
    Balmary Marie. Le Moine et la psychanalyste. Albin-Michel, Paris, 2005.
  • [2]
    Erikson Erik. The life cycle completed. Extended version. New York, WW Norton & Co, 1997.
  • [2]
    Cyrulnik Boris. Les nourritures affectives, Paris, Odile Jacob, 1993.
  • [3]
    Freud Sigmund. Cinq leçons sur la psychanalyse, 4e ed. Payot, 1981.
  • [4]
    Verwoert Adrian. Clinical geropsychiatry. Baltimore, Williams & co, 1976.
  • [8]
    Piaget Jean.
  • [9]
    Suzuki S., Esprit zen, esprit neuf, Le Seuil, Paris, 1977.
  • [10]
    Watzlawick Paul : Une logique de la communication, Le Seuil, Paris, 1979.
  • [11]
    Cyrulnik Boris. Le murmure des fantômes, Odile Jacob, Paris, 2003.
  • [12]
    Balmary Marie. Le Moine et la psychanalyste. Albin-Michel, Paris, 2005.
  • [13]
    De Shazer S. Patterns of brief family therapy, Guilford, New York, 1987
  • [14]
    Congruence : un message est dit congruent quand le verbal est en accord avec le non verbal.
  • [15]
    Sauvy Jean. La maladie d’Alzheimer vécue à deux. Elégie. L’Harmattan, Paris, 2007.
  • [16]
    NDLR. Ces constats sont instructifs mais n’ont aucune valeur probante faute d’études versus population témoin et versus autre méthode.
  • [17]
    L’accompagnement en Actions. Vidéo FNG Accompagner la Vie à Domicile. Maintenir la Relation ORRPA CLIC 51100.
  • [18]
    Haley Jay. Thérapies orientées solution (Problem solving therapy). Harper & Stratton, New York, 1976.
  • [19]
    Feil Naomi, Validation, Lamarre, Rueil Malmaison, 2005.
  • [20]
    Sauvy Jean, La maladie d’Alzheimer vécue à deux, L’Harmattan, Paris, 2007.
  • [21]
    Bobin Christian, La présence pure. Le temps qu’il fait, Paris, 1999.
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