Couverture de GS_121

Article de revue

Pour de bonnes pratiques de l'admission en institution gériatrique

Pages 227 à 249

1Décider ou non d’entrer en institution pour y finir ses jours est une des décisions les plus importantes qu’une personne ait à prendre durant son existence. Cette décision survient en des circonstances où la vieille personne est vulnérable, parfois incapable de recevoir l’information ou de la retenir. Le consentement « éclairé » devient une parodie pseudo légale, qui ne protège plus la personne. Ce choix n’apporte pas de garanties sur l’adéquation de l’établissement à l’état de santé, aux handicaps et aux souhaits de la personne. L’EHPAD est en principe le lieu de vie et de soin où un vieillard malade et handicapé doit trouver une vie sociale, malgré ses incapacités, et une prise en soin efficace et respectueuse. Hélas, tous les établissements n’ont pas la même vision de leurs objectifs.

2L’imprécision du vocabulaire accroît la confusion. Nombre de décideurs, directeurs ou soignants s’imaginent encore que ces établissements accueillent la vieillesse. C’est la maladie invalidante, non pas l’âge, qui met en situation de dépendance. On n’entre pas en institution parce qu’on est âgé, mais parce qu’on ne veut plus ou surtout qu’on ne peut plus demeurer chez soi. La peur de l’isolement peut conduire une personne valide à rechercher un logement collectif de type résidence ou logement-foyer. La maladie chronique invalidante peut obliger au recours à un accueil assisté. La terrible confusion entre âge et maladie continue d’entraîner des erreurs de programmation, un ostracisme vis-à-vis des vieux considérés comme des malades handicapés, un déni de la maladie et un refus de soins pour ces personnes malades vues comme des vieux dépendants.

3L’entrée en institution, souvent indispensable et bénéfique, exige de renoncer au logement personnel, de prendre conscience du caractère définitif et évolutif du handicap, voire de l’incurabilité de la maladie. Celui qui a à proposer une entrée en institution doit être conscient que la décision demandée à la personne est terrible à prendre. Cette proposition doit être réfléchie avec la personne, les siens, les personnels qui l’aident, la soignent et la connaissent. L’information doit être loyale et compréhensible.

4Comment apporter des garanties sur la pertinence de la décision de quitter son domicile, sur l’adéquation du lieu d’accueil choisi ? Plus la personne est vulnérable et ne dispose pas de la plénitude de ses facultés, plus ces garanties sont à vérifier. Il faut prévoir les difficultés liées au douloureux deuil du domicile et y faire face.

UNE DÉCISION QUI MARQUE UNE ÉTAPE DE LA VIE

5Décider de ne plus vivre à son domicile, voire avec son conjoint, de façon probablement définitive, n’est pas facile. Faire le deuil de sa vie indépendante, de son lieu de vie personnel, chargé de son histoire, est lourd à porter. S’adapter à une vie collective, parfois souhaitée, souvent crainte, demande de disposer de capacités d’adaptation. Il peut être plus difficile de revenir sur cette décision que sur un contrat de mariage…

6La décision concerne aussi la vie des proches :

  • Celle du conjoint : doit-il désormais vivre seul ou accompagner son épouse, ou époux, dans un lieu de vie assistée dont il n’a pas besoin ?
  • Celle des enfants : on les culpabilise d’abandonner leur parent à des mains mercenaires et on les taxe sur la maladie de leur parent : double peine légale.

7La décision concerne la collectivité :

  • L’Assurance Maladie paye une facture bien plus forte qu’à domicile. Elle ne vérifie ni la pertinence de la décision, ni la compétence du lieu d’accueil. Comment une décision, qui lui coûte si cher, n’est-elle entourée ni de garanties sur la pertinence de la demande, ni de contrôle sur le service rendu.
  • Le département a la charge de l’APA. Pour lui l’entrée en institution est une bonne affaire, puisqu’il paie moins d’APA qu’au domicile pour une personne plus lourdement dépendante. La qualité des aides de compensation des handicaps est de sa responsabilité. Comment les conseils généraux acceptent-ils d’être responsables de la maltraitance des résidents qu’entraîne une dotation ne permettant de recruter le personnel ni en qualité ni en quantité nécessaires. Quand à l’Aide sociale, vérifie-t-elle les critères de qualité et de compétence aussi bien que ceux de coûts ?
  • La CNSA, prenant la responsabilité du financement de l’APA et de la compensation des handicaps, vérifiera-t-elle la pertinence de l’utilisation de l’argent des citoyens ? L’Etat est responsable de la sécurité du citoyen sur tout le territoire. C’est à lui de s’assurer que les décisions d’entrer en institution correspondent bien à la volonté et aux besoins des personnes, en particulier des plus vulnérables, celles incapables de décider par elles-mêmes.

8Proposition : Pourquoi pas une accréditation comme pour les hôpitaux ?

SUR QUELS ÉLÉMENTS DÉCIDER D’ENTRER EN INSTITUTION ?

9Il ne peut y avoir de réponse unique à des besoins différents.

10? La vieille personne isolée, valide, lucide, qui a peur de vivre et mourir seule, ne relève pas de la même réponse que la personne incapable de vivre seule en raison d’un syndrome démentiel débutant ou que la personne malade et handicapée dont la charge en soins et aides dépasse les possibilités du soutien à domicile. Tous les tableaux intermédiaires existent.

11? Ces décisions sont prises avec légèreté : médecin hospitalier ordonnant une sortie immédiate de ce « cas social qui encombre ses lits »; urgentiste évacuant le vieillard, arrivé pour un problème de maintien à domicile non résolu, vers l’établissement qui a une place (rarement le meilleur); assistante sociale ou CLIC à l’écoute d’une famille épuisée adressant la personne malade vers un établissement avec la complicité du médecin, en l’absence de diagnostic documenté. La décision est souvent prise dans une atmosphère de crise.

12? Faute de place la personne attend. Elle passe d’hospitalisation aiguë en soins de suite (moindre mal) ou en maison de repos – sans soins – ou en soins de longue durée. Après s’être enracinée en ce lieu, la place arrive enfin… Au prix d’un nouveau déchirement, la personne est à nouveau transférée, sans comprendre la raison si elle est atteinte d’un trouble cognitif.

13? Toute entrée en institution devrait être décidée à la suite d’une évaluation gérontologique globale, pluri-disciplinaire (Comprehensive Geriatric Assessment). Cela inclut d’évaluer les capacités de la personne, d’identifier les diagnostics expliquant les déficits, de connaître l’environnement du patient : familial, social, matériel (logement, confort, installations, accessibilité, possibilités d’aides), médical (possibilités de soins, médecin faisant des visites à domicile), les ressources, et surtout, les souhaits de la personne, des siens, les capacités de l’aidant familial. Cette évaluation répond aux questions suivantes : la personne désire-t-elle entrer en institution ? Par peur de l’isolement et de l’ennui ? Par conscience de déficits altérant ses possibilités de vivre au domicile, malgré les aides ? La personne ne désire pas réellement entrer en institution, mais l’accepte parce qu’elle est consciente que c’est la seule solution ou la meilleure solution ? La personne se résigne-t-elle sous la pression de l’entourage ? La personne ne veut pas entrer en institution et n’en a pas besoin ? La personne est inconsciente de ses déficits, ne veut pas d’institution, mais est incapable de vivre chez elle, même avec les aides disponibles ?

14Cette évaluation a un coût. Il est faible en comparaison du coût du séjour en institution ou de celui des hospitalisations évitées. La non-qualité dans une décision d’une telle importance n’est pas seulement plus onéreuse, elle est inacceptable. Chacune de ces situations appelle des réponses différentes. De plus, il ne suffit pas de décider en commun d’une entrée en institution, il faut décider dans laquelle.

LE CHOIX DE L’INSTITUTION

15La réforme de la tarification a été une étape. Les « maisons de retraite » n’accueillent plus des vieilles personnes poussées à cette vie collective par l’absence de ressources, comme au XIXe siècle, mais surtout des personnes devenues dépendantes. Les EHPAD disposent d’une équipe de soins et d’un médecin coordonnateur qualifié, progrès considérables. Le choix de tout type d’institution reste difficile. Tous les établissements n’ont pas les mêmes missions.

LES LOGEMENTS-FOYERS ET RÉSIDENCES SONT L’OBJET D’UNE MOINDRE DEMANDE

16Ils sont conçus pour des personnes physiquement et mentalement valides. Celles-ci préfèrent rester chez elles. Dans ces institutions l’ennui peut être pire qu’au domicile. Les raisons qui ont fait quitter le domicile ne sont pas analysées, sous le prétexte qu’il s’agit d’une démarche volontaire. Si le départ du domicile est la conséquence d’une maladie handicapante débutante, celle-ci évolue. Le logement-foyer ou résidence doit-il continuer à accueillir une personne pour laquelle il ne dispose ni des moyens ni des compétences nécessaires ? Doit-il envoyer ailleurs une personne désormais vulnérable, qui croyait y finir ses jours ? Doit-il se transformer automatiquement en EHPAD, en fonction d’un taux moyen de « dépendance » des résidents. Ce système est-il légal ? Il change le régime et la nature des résidents accueillis aux dépens de ceux qui croyaient entrer dans un logement collectif de personnes valides ?

17Il persistera toujours, de la part des personnes isolées, une demande pour ces lieux d’accueil. Faut-il les transformer en EHPAD, parce qu’on n’a pas su reconnaître la maladie évolutive chez ceux qui y sont entrés avec un handicap mineur ? L’absence de médicalisation de ces établissements rend l’évaluation de la demande nécessaire avant l’entrée. Beaucoup de demandes se font parce que la personne est consciente de l’apparition d’un handicap. D’autres font suite à une psychologie démissionnaire conséquence d’un épisode dépressif majeur non reconnu. Ce « placement volontaire » est-il la bonne solution ? Une évaluation gérontologique permet d’offrir l’alternative de traiter la maladie éventuelle et de vérifier la solidité du souhait de la personne valide : une bien utile garantie.

LES EHPAD REÇOIVENT PLUSIEURS CATÉGORIES DE DEMANDES

18? Tout d’abord, les personnes qui ne peuvent vivre seules chez elles en raison d’un handicap mental. Sur la plus grande partie du territoire un handicap moteur ou sensoriel même important reste compatible avec une vie au domicile, même pour une personne isolée. Le développement des services d’aides et de soins a permis ce progrès. C’est surtout pour des personnes atteintes de syndrome démentiel débutant que la famille et les services sociaux municipaux ou hospitaliers demandent l’admission. L’anosognosie de ces malades ne leur permet souvent pas de comprendre la nécessité d’un tel accueil, puisqu’ils ignorent leurs déficiences. La plupart de ces admissions sont en fait imposées, situation à la fois nécessaire dans les faits et illégale dans le Droit. Ces diagnostics difficiles ne sont souvent même pas faits avant l’admission, que la personne vienne du domicile ou de l’hôpital. Il n’est pas rare que ce soit le médecin coordonateur de l’EHPAD qui fasse le diagnostic… ou qui découvre une pathologie curable, telle une dépression ou une surcharge iatrogène en sédatifs. Il est alors trop tard si un « droit au regret » n’a pas été prévu…

19Ces pathologies évolutives incurables s’aggravent avec le temps quelle que soit la qualité des soins. Ce que ni les familles, ni le personnel ne peuvent accepter quand la maladie a été niée sous le vocable de « personne âgée dépendante ». Les établissements n’ont souvent pas les moyens matériels, voire les compétences pour prendre soin des aggravations inéluctables : troubles du comportement, apraxies faisant perdre progressivement les capacités de marche, de déglutition, de station debout. Les besoins d’aide au handicap se transforment en besoin de soins spécialisés auxquels seules des équipes éduquées et entraînées peuvent faire face. Ces personnes malades vont mourir dans l’établissement. Dispose-t-il des compétences et des moyens pour assurer, le moment venu, des soins palliatifs dignes et respectueux ? Considérer ses résidents comme des « personnes âgées dépendantes » sans tenir compte de la maladie conduit à l’échec et à la démotivation. Avec les principes sirupeux et pharisiens de « bientraitance », l’établissement se réduit à une garderie maternante de déments obéissants, inactifs, ou maintenus en une somnolence iatrogène.

20L’EHPAD vers qui diriger de telles personnes malades doit avoir conscience de sa mission. Le but est d’assurer une vie de qualité malgré les handicaps. A ce stade, peu de soins sont nécessaires. Mais l’ennui peut y devenir mortel, au sens propre du terme. L’objectif de qualité de vie ne peut être acquis que grâce à des projets de vie et de soins individualisés qui préservent le plus d’espace de libertés et de choix à ces personnes malades, qui recréent une vie sociale, respectueuse et sans infantilisation. La présence d’un psychologue et d’un animateur font espérer que la vie dans l’établissement ne s’arrête pas quand la personne est levée, lavée, vêtue, nourrie, hydratée, médicamentée, pansée. C’est à ce moment que la vie peut commencer et que chaque membre de l’équipe – et les familles – y participent.

21? Les demandes d’admission sont faites à des stades avancés pour les malades qui ont pu être longuement soignés au domicile grâce à la présence d’un aidant familial. Ces demandes sont parfois refusées par les EHPAD. Les EHPAD n’ont pas toujours les moyens de faire face à l’évolution inéluctable de leurs propres malades. Ils refusent, alors, de s’occuper des personnes déjà atteintes de plusieurs des complications de la maladie, pour lesquelles ils n’ont pas les moyens de la prise en soin. Alourdir leur « GIR moyen pondéré » ne crée ni compétence, ni moyens.

22Prendre soin de ces personnes malades à des stades avancés, demande de disposer de soignants préparés à faire face aux troubles du comportement, aux troubles de déglutition, de nutrition, d’hydratation, de décubitus, de mettre en œuvre des soins palliatifs terminaux, de disposer de médecins formés à ces tâches et prêts à se déplacer. Tous les EHPAD disposent-ils d’une équipe formée à assurer ces soins difficiles dans le respect de la dignité de la personne qui ne sait plus s’exprimer ? On ne peut adresser à l’aveugle.

23On a tant seriné aux EHPAD qu’ils étaient un lieu de vie de « résidents » âgés que certains – de moins en moins – s’imaginent encore s’occuper de la vieillesse normale, ne voient pas que les personnes ne résident là que parce que malades, le plus souvent sans consentement réel. Les décideurs politiques locaux ou nationaux, mal informés, participent à cette grande illusion. Elle arrange le clientélisme des politiques locaux qui voient dans l’EHPAD le lieu où placer les chômeurs invétérés et la vieillesse inavouable. Pour ne plus les voir ?

24? Une nouvelle demande se fait jour : celle des très grands vieillards. Certains des plus de 90 ans ou 100 ans sont frappés de syndromes démentiels. La majorité d’entre eux peut accumuler des déficits sensoriels et surtout des troubles de la motricité, liés à la perte de la musculature. Leur motif principal d’entrée est l’isolement qu’entraîne cette perte de la mobilité, jointe au veuvage habituel et à la perte ou au vieillissement des enfants. Relèvent-ils pour autant de l’EHPAD où la cohabitation avec les personnes démentes ne sera pas facile ? C’est à chaque établissement de trouver sa voie. Encore faut-il que chacun ait conscience des missions différentes que sont celles de prendre soin de la personne atteinte dans son esprit et son physique (démence) et de celle atteinte dans sa motricité, sa vue ou son ouie.

SOINS DE LONGUE DURÉE (SLD)

25Les SLD restent indispensables à la prise en soin des malades chroniques handicapés ayant besoin d’une densité de soins médicaux et infirmiers de type hospitalier. Ces malades sont nombreux : déments apraxiques et/ou poly-pathologiques; AVC emboliques sans récupération; Parkinsons échappant au traitement; diabétiques instables aux multiples complications; insuffisances cardiaques sévères; poly-artériels ou poly-handicapés; grabataires dénutris, confus, infectés, porteurs d’escarres, etc.

26La suppression des SLD aurait dû être compensée par la création de Lits de Soins Hospitaliers Prolongés destinés à ce type de malades chroniques. La suppression de l’activité SLD par de nombreux établissements a été une violence pour les personnes qui y résidaient et en furent expulsées sans considération sur leurs réels besoins … expulsées vers où ?

27Un moratoire a été décidé sur les fermetures de lits de SLD. Tout hôpital de proximité devrait disposer d’un quota de lits SLD, de façon à ne pas expatrier ces grands malades chroniques ailleurs, en fait n’importe où. Chaque hôpital local devrait se doter d’une unité de SLD et des compétences médicales et infirmières exigibles pour ces soins... Progressivement ce devrait devenir leur principale activité.

ET LES ACCUEILS FAMILIAUX ?

28Le soin du malade gériatrique chronique ne s’improvise pas. Le résident n’est pas un cas social, ni une personne âgée banale ayant besoin d’une médecine de famille banale. Il est une personne malade chronique incurable et gravement handicapée ayant besoin d’un soin compétent donné en équipe. Remettre ce soin à un couple sans qualification particulière, sans contrôle possible fait courir un risque intolérable de maltraitance.

UNE DEMANDE IRRATIONNELLE

29C’est celle qui a consisté à transférer vers un EHPAD une personne en situation de handicap, qui a vécu dans une structure adaptée à sa déficience, parce qu’elle a 60 ans. Comme si son anniversaire allait subitement changer ses besoins. Celui qui doit quitter son CAT par exemple ne comprend ni pourquoi il doit partir, ni pourquoi il ne peut plus travailler et gagner un peu d’argent, ni pourquoi désormais il doit payer, ni pourquoi il se retrouve entouré d’octogénaires qu’il ne connaît pas ! Belle illustration de l’inanité des réglementations par l’âge théoriquement devenues illégales.

CHOISIR LE MOMENT DE L’ENTRÉE EN INSTITUTION

30Une admission en institution se prépare avec la personne, sa famille et l’institution choisie. Elle ne doit jamais se faire dans l’improvisation.

31La décision prise et le lieu choisi en fonction des critères de compétence, de proximité, de vie sociale et de solvabilisation, il reste à déterminer la meilleure date. Pour l’acclimatation de la personne à sa nouvelle résidence, mieux vaut que les déficiences ne soient pas trop avancées, que la personne ait la capacité de se créer des repères matériels et humains. Trop tôt, on brisera un soutien au domicile efficace, trop tard on aura laissé s’installer une situation de crise, ou un circuit maltraitant : hospitalisation en urgence, malade hospitalisé n’importe où, banni loin des siens, « placé » dans la première place disponible, sans souci de compétence, de proximité, d’identification de la pathologie responsable des troubles : est-elle réellement non améliorable ? Ce circuit maltraitant, illégal, inadmissible s’accompagne d’une aggravation des symptômes, donc des coûts.

32Choisir la date avec la personne, sa famille et l’établissement est un moment important de l’évaluation. La constitution de listes d’attente est une « malpractice ». L’état du malade ne sera plus adapté un an après. Les listes d’attente font admettre des personnes trop tôt, quand elles auraient pu rester chez elles, ou inutilement : elles n’en auraient jamais eu besoin. Ces listes font admettre des personnes trop tard, à un stade où elles ne pourront plus trouver de repères dans l’institution, voire à un stade si avancé que l’établissement en refusera l’admission, n’en ayant pas les moyens. L’inscription sur une liste d’attente supérieure à un mois n’a aucune rationalité. Elle entraîne surcoûts et exclusions. Les listes d’attente pour des personnes malades sont des maltraitances. S’il n’existe pas de réponse possible à un besoin évident de soin et de compensation de handicap en EHPAD ou SLD selon le cas, la responsabilité du pouvoir local est directement engagée. Il devrait y avoir là une première application au droit opposable au logement…

33Une difficulté psychologique pour faire accepter l’entrée en institution est qu’elle soit vue comme définitive. L’utilisation d’accueils temporaires reste marginale. En EHPAD, il est fréquent qu’après une période d’adaptation, l’état de la personne s’améliore. En l’absence d’évaluation gériatrique le diagnostic n’avait pas été porté, donc le malade n’avait pas été traité, ou le diagnostic était erroné : par exemple dépression prise pour une démence. En institution, anxiété, dénutrition, confinement au fauteuil, confusion iatrogène ont pu régresser grâce à un soin compétent. Le malade peut revenir à un état permettant la vie à domicile. Ce retour devient impossible si le contrat est devenu définitif malgré la clause de « droit au regret » ou parce que le loyer a été abandonné ou le logement vendu. En résidence ou logement-foyer, au bout de plusieurs semaines ou mois, la personne s’aperçoit qu’elle s’y ennuie et qu’elle reste capable de vivre à son domicile.

34Pourquoi l’admission en institution est-elle considérée comme définitive ? Pourquoi ne serait-ce pas l’inverse : toute entrée serait a priori transitoire et ne deviendrait définitive qu’après une période probatoire et avec le consentement réaffirmé de l’intéressé. Cela demande une gestion administrative plus complexe. Il faudrait conserver une part des ressources de la personne pour payer le loyer ou entretenir le logement. A l’inverse le consentement serait plus facile à obtenir, le retour à domicile devenant la règle en cas d’échec du séjour ou d’amélioration significative.

COMMENT ENTRER EN INSTITUTION MÉDICO-SOCIALE ?

LE CONSTAT

35Le constat est catastrophique : combien de personnes adressées à la première place libre, même si l’établissement ne dispose ni des compétences, ni des moyens de prise en soin, ni de la proximité ? Combien de couples arbitrairement séparés. Les efforts des assistantes sociales sont rendus vains par la pression des directeurs d’hôpitaux et des chefs de service (la durée de séjour prime tout), par le manque de places adaptées aux personnes malades et situées à proximité des familles (et non par un manque général de places !). Souvent les familles doivent mentir à leur parent malade : « c’est juste pour des vacances ».

36Le consentement est signé sur un coin de lit sans vraie information. L’avis médical reste souvent limité à déterminer si la personne est « valide », « semi-valide » ou « invalide », ce qui n’a pas grand sens ! On ne peut plus accepter cette routine illégale, inhumaine, coûteuse et sans sens : la personne est dirigée sur une institution non en raison de ses besoins, mais de ceux du service hospitalier ou de soins à domicile. Où est le sens ?

37Comment admettre une personne en institution ? Cette question implique trois groupes de réponses pour que cette admission soit entourée de garanties suffisantes pour la personne : Comment évaluer le besoin ? Comment préparer la personne ? Comment préparer l’établissement ? Comment entourer la décision de garanties adaptées à la vulnérabilité de la personne ?

ÉVALUER LE BESOIN ?

38Ce n’est pas simple de savoir ce que désire ou refuse une personne, même apparemment lucide par rapport à ce changement de domicile. Une acceptation du principe, une simple demande peuvent cacher un syndrome dépressif sévère. Un refus peut être un appel au secours pour obtenir un peu d’intérêt de la part d’un système qui l’ignore. Seule une évaluation globale permet une décision aussi complexe, aussi dure, aux implications émotionnelles, affectives, familiales, médicales, financières, si lourdes. Aucune décision de cette importance n’est aussi peu encadrée de garanties pour le citoyen vulnérable.

39Cette évaluation identifie les déficiences et leurs causes médicales. Elle doit déterminer si l’établissement est capable d’une prise en soin adéquate, s’il peut faire face à l’évolution prévisible. L’évaluation apprécie l’environnement actuel, ses capacités de prise en soin, sa tolérance prévisible vis-à-vis de l’évolution, ses possibilités de renforcement. Cette évaluation de l’environnement inclut le facteur humain : aidant principal, sa santé et son propre soutien familial; services au domicile avec leur efficience (vacances, week-end, compétence); voisinage, hostile ou coopérant. L’environnement comprend aussi le logement : dimensions, confort, accessibilité, possibilités d’aménagement (avis de l’ergothérapeute). L’évaluation est psychologique : quelle est la puissance des motivations, quelle sera la tolérance aux difficultés prévisibles. L’évaluation envisage la solvabilisation des coûts. Une telle évaluation « globale », pluridisciplinaire permet de consolider le soutien à domicile et de préparer une entrée en institution – si elle parait la meilleure, ou la seule solution – de façon plus sereine pour le malade et pour son aidant, déculpabilisé. Une telle évaluation intègre cette admission dans le projet de soin, et permet de choisir l’institution adaptée à la personne malade et aux siens. Si la personne n’est plus capable d’émettre un consentement ou un refus « éclairé », une telle évaluation entoure l’admission de garanties légitimes.

40Un contrat d’admission reste nécessaire, y compris dans les institutions publiques. Ce contrat n’offre, à lui seul, aucune des garanties de l’évaluation pluri-disciplinaire. Le coût, élevé, l’est moins que ceux induits par la malpractice et la non-qualité. Les études médico-économiques confirment l’intérêt coût-efficacité de cette pratique.

UNE ENTRÉE EN INSTITUTION SE PRÉPARE

41Une entrée en institution ne s’improvise pas. Il faut y préparer la personne, future « résidente ». Il faut aussi y préparer la personne aidante. Plus sa charge de travail est lourde, plus la rupture sera brutale et mal supportée. Il faut préparer l’institution à l’accueil de cette nouvelle personne.

42? La personne candidate est à informer, même si elle semble ne pas comprendre ou oublier. Elle doit visiter l’établissement, y rester quelques heures, participer à des animations, voire y résider quelques jours si c’est possible. Des agents de l’institution connaissent son dossier et viennent se faire connaître d’elle avant son entrée.

43? Pour la personne aidante, il importe de lui prouver que le lien affectif ne sera pas rompu : d’ou la nécessité d’un établissement proche du domicile de l’aidant (et non du résident), et d’un établissement où la coopération avec les familles soit la règle, où les familles soient impliquées. La meilleure vie sociale, la sécurité par la permanence d’une équipe compétente et cette préservation du lien affectif évitent la culpabilisation de l‘aidant; cette douloureuse culpabilisation qui transforme un aidant dévoué en un redoutable harceleur d’institution.

CONSENTEMENT ET REFUS

44Le consentement est une obligation légale. Plus qu’un consentement subi, c’est une coopération active à la décision qui doit être recherchée. L’entrée en institution est une décision trop importante pour être bâclée avec des informations erronées ou trompeuses.

45Différentes situations sont à envisager :

LA PERSONNE EST LUCIDE, AUTONOME ET DEMANDE ELLE-MÊME SON ADMISSION

46C’est une personne isolée, mentalement autonome, mais ayant des handicaps physiques qui limitent ses activités de la vie quotidienne. L’environnement ne lui fournit pas les aides dont elle a un besoin impératif.

47Il peut s’agir d’une personne, ou d’un couple, isolé, sans handicap majeur, désireux de ne plus s’occuper du quotidien. Il importe de vérifier si la demande ne cache pas un déficit masqué, syndrome dépressif plutôt que démence débutante, « régression psychomotrice », psychologie de démission.

48Ce peut être une personne valide désireuse de se rapprocher de ses enfants.

49Ces demandes appellent quelques questions :

50? La nature réfléchie de la demande est à vérifier :
Est-ce une démarche volontaire ? S’agit-il de la pression de la famille, que ce soit par excès de précaution ou par désir de récu-pérer le logement ? De la pression de professionnels : infirmier, assistante sociale (certaines voudraient placer tous les vieux !), médecins (parfois manipulés par la famille)? De la pression de voisins; de la municipalité ? Combien de fois une pression bien- ou mal-veillante conduit-elle une personne à demander un « placement » qui n’est ni nécessaire ni souhaité !

51? N’y a-t-il pas une réponse au domicile ?

52Améliorer la situation au domicile est à envisager en premier. Il ne s’agit pas de dissuader toute personne désireuse d’entrer en institution, choix respectable. Il s’agit de vérifier si la demande ne provient pas d’une trop grande difficulté à vivre au domicile, et si lever ces difficultés ne changerait pas l’attitude de la personne.

53? Dispose-t-on d’une réponse institutionnelle adaptée ?

54Désirer entrer en institution ne signifie pas trouver l’institution de ses rêves. A priori il s’agit de résidence ou de logement-foyer, encore moins contrôlés que les EHPAD. Il faut connaître les désirs réels de la personne et disposer des informations utiles pour la guider dans ses choix. Les personnes et les conseilleurs connaissent-ils vraiment les établissements choisis ?

55? La personne peut changer d’avis, comment ne pas rendre le choix irréversible ?

56Les contrats doivent impliquer un « droit au regret » prolongé pour éviter le drame de ces personnes coincées jusqu’à leur mort dans un établissement où elles s’ennuient et se déplaisent. La donne est à inverser. Toute admission doit être temporaire et ne devenir définitive qu’après une période d’essai pour que la personne puisse décider en connaissance de cause d’y demeurer, ou si elle n’est pas capable de l’exprimer verbalement ou par écrit, de le démontrer par son comportement. Droit au regret ou admission temporaire impliquent que la personne garde son logement le temps d’être sûre de la pérennité de son souhait.

57? Si la demande provient d’une démarche volontaire et réfléchie de la personne, il convient de la respecter en aidant la personne à choisir l’établissement qui lui conviendrait le mieux.

LA PERSONNE SEMBLE LUCIDE ET AUTONOME, SA FAMILLE DEMANDE SON ADMISSION EN INSTITUTION

58Nul ne peut décider pour autrui. C’est à la personne de décider. Il faut vérifier si la personne a les capacités de vivre chez elle seule ou avec l’aide de professionnels. Avant d’éconduire la famille, il faut s’intéresser aux facteurs explicatifs : crainte injustifiée et abus de précaution; déficits masqués par la personne; conflit familial; refus des enfants de s’impliquer dans le maintien au domicile. Ce n’est pas la même chose de rester chez soi, de rester chez sa fille (donc chez son gendre), de faire venir sa fille à son domicile. La charge imposée à un des enfants peut être abusive, intolérable pour lui. L’échec culpabilise et empoisonne les relations familiales. C’est la cause de bien des situations de crise.

59On ne doit ni imposer la décision des enfants au parent; ni imposer la décision du parent aux enfants. On ne doit jamais forcer un enfant à garder un parent contre son gré.

60D’autres facteurs peuvent mener à une institutionnalisation non désirée :

  • disparition du domicile : vétusté, catastrophe, expulsion;
  • incompatibilités entre la personne et son entourage : époux, compagnon, enfant, voisinage. La promiscuité avec une personne atteinte de syndrome frontal (sans grand déficit cognitif) peut devenir intolérable.

LA PERSONNE EST OU SEMBLE INCAPABLE DE DÉCIDER POUR ELLE-MÊME

61Une majorité de cas est concernée. Demander une tutelle qui met des mois à être décidée et place la personne sous l’autorité d’un tuteur responsable en fait des seules finances ne résout le problème ni du point de vue légal – placer contre le gré reste une séquestration illégale –, ni du point de vue éthique – laisser la personne chez elle si elle ne peut y être aidée et soignée lui est préjudiciable, l’admettre sans consentement réel est une atteinte à sa liberté et entraîne un risque (fugue, épisode dépressif, réactions hostiles, aggravation des troubles).

Une évaluation et un diagnostic sont nécessaires.

62Le premier devoir est de disposer de la totalité des éléments de décision. Ce ne peut être une décision bâclée, prise dans l’urgence – ou aux urgences – sans connaître le malade, sa maladie, son histoire de vie, son entourage, le lieu où l’on va l’adresser. Plus que toute autre décision, celle-ci doit être prise en concertation avec tous ceux qui sont impliqués dans son soin. Si les éléments de décision sont réunis, il y a le plus souvent consensus, et on arrive à faire participer la personne malade à ce consensus, qui conclut ou non à l’admission.

63Eléments du choix : L’affection responsable de l’état mental, l’importance des déficience, la santé de l’aidant familial, les possibilités de l’aider avec efficience… La personne aidante ne doit jamais être sacrifiée à son malade, sous prétexte que la personne malade est incapable de donner un consentement « éclairé » au « placement ». L’impossibilité financière reste la cause majeure d’un maintien à domicile abusif, aussi délétère pour l’aidant que pour le malade.

64Que dire au patient « dément »? Il comprend plus qu’il ne peut le montrer. Il doit être informé, toujours. L’accord doit être sollicité sans mentir (éviter le : « c’est pour des vacances »). On peut lui proposer un essai : maintien à domicile renforcé pour tenter une dernière chance d’éviter l’institution, ou, admission temporaire (qui devrait être la règle !). Il est bien rare que l’on n’obtienne pas un accord réel de la personne. Les troubles de la mémoire doivent faire répéter la proposition choisie et les conditions de l’accord.

Nécessité d’un suivi

65Si la personne n’a pu être persuadée et reste au domicile, si l’institution semble la meilleure solution, le dialogue devra reprendre à l’incident suivant.

66Si la personne a accepté l’entrée, s’il s’agit d’une démente, elle aura oublié l’information reçue. Il convient de répondre à ses questions et de reprendre des explications simples, pour qu’elle ne se sente pas enfermée dans l’institution.

67Ces admissions où le consentement n’a pu être parfaitement éclairé, faute d’une pleine compréhension, ou a été oublié, sont celles qui doivent être entourées du plus de garanties : évaluation gériatrique qui pèse soigneusement toutes les solutions, choix de l’établissement pour ses compétences dans la prise en soin et le respect de telles personnes, maintien d’un lien fort avec l’aidant familial malgré l’admission, suivi après l’admission : tolérance de ce changement de domicile, écoute de la personne déplacée, recherche de ses souhaits…

68Il est vain de se fixer sur l’illégalité théorique de cette admission ni réellement consentie ni refusée de façon éclairée. Donner un aspect plus formaliste grâce à une mise sous tutelle où le tuteur n’a pas à tenir compte de l’avis de la personne est pire. C’est ne s’intéresser qu’à la forme de l’admission : suit-elle les règles ? Et non au fond : est-ce la meilleure solution pour la qualité de vie de la personne incapable d’exprimer ni consentement ni refus ? L’admission d’une personne sous tutelle peut se faire – et se fait souvent – sans se préoccuper du consentement, voire de la simple compréhension par la personne de ce qui lui arrive : situation source de déstabilisation, de confusion, même chez la personne la plus lucide !

LA PERSONNE PARAÎT INCAPABLE DE DÉCIDER MAIS REFUSE L’ADMISSION

69Le refus peut s’exprimer de façon claire, ou par une attitude chez une personne ayant perdu ses capacités d’expression verbale. En principe toute admission est impossible, ce serait une séquestration. La mise sous tutelle permet une telle admission forcée. Elle sera ressentie comme un emprisonnement et le résultat a des chances de devenir catastrophique : fugues, agressivité, glissement, etc. Il peut n’y avoir pas d’autre solution.

70Pour proposer la moins mauvaise attitude, il faut recueillir des informations supplémentaires.

Dangerosité pour autrui

71Sauf les rares cas psychiatriques de vieux paranoïaques délirants, les pathologies gériatriques ne relèvent pas de la législation du placement à la demande d’un tiers. Ni les EHPAD, ni les SLD ne sont des unités fermées régies par cette législation qui n’a pas lieu d’y être appliquée.

72Cependant la dangerosité à l’égard d’autrui sera un élément important de décision. Cette dangerosité peut venir du risque d’accident domestique. Si le risque de traumatisme au domicile du malade est bien réel, le risque pour le voisinage est très surévalué. Seul l’aidant familial court des risques réels : épuisement lorsque le maintien à domicile dépasse ses capacités physiques, coup de chaleur en été, coups et blessures lorsque le malade est un dément frontal à l’agressivité illogique et incontrôlable. Une violence psychologique courante peut rendre impossible le maintien au domicile : le délire de préjudice le plus souvent dirigé contre l’aidant principal.

Dangerosité pour soi-même

73Les personnes atteintes de syndromes démentiels sont dangereuses pour elles-mêmes. L’inconscience de leurs propres déficits peut les mener à de graves états d’incurie avec les risques de dénutrition, d’infection (aliments avariés), de déshydratation, d’accidents toxiques ou médicamenteux. Les chutes sont une des complications majeures des démences. Certains cas s’accompagnent d’un refus agressif de toute aide ou soin. Ce refus ne peut être vu comme le choix « éclairé » de la personne. C’est un symptôme de la maladie.

74La mise sous tutelle est la moins mauvaise solution, mais c’est une solution insuffisante en l’absence d’une prise en soin médicale visant à diminuer ces troubles douloureux pour le malade et son entourage. La tutelle autorise légalement le « placement », elle ne le rend pas pour autant tolérable pour le malade. Toute admission en institution décidée contre le gré de la personne, voire sans information, reste une maltraitance mal vécue. Parfois il n’y a guère d’autre possibilité. Seul le choix d’un établissement particulièrement compétent où une prise en soin de qualité est possible permet d’améliorer les symptômes et le confort de vie du malade. Un consentement apparent se produit dans ces cas.

Maintien à domicile surveillé

75Le renforcement temporaire des aides et soins à domicile permet de passer un cap en cas de maintien à domicile difficile, en attendant la place dans l’établissement choisi. Cette solution ne peut être durable, sauf si elle permet une amélioration. Sinon, les services d’aide et de soins refusent de poursuivre un soin impossible.

Nécessité d’une authentique période d’essai

76Toute institutionnalisation devrait débuter par une période d’essai. Une admission mal préparée d’une personne malade mentale dans une institution qui croit accueillir des personnes âgées sera un échec. Par contre il n’est pas rare qu’une fois le choc du transfert passé, les personnes admises après préparation s’améliorent, soit que le diagnostic soit rectifié et le traitement mieux adapté, soit que l’institution permette un environnement moins anxiogène qu’au domicile, soit, surtout, qu’une vie sociale plus active participe à cette amélioration. Il n’est pas rare de voir un malade en situation de refus agressif s’adapter à l’institution et y vivre heureux.

Les cas sans bonne solution

77On ne peut tout résoudre. Un cas difficile demeure celui des déments frontaux peu déficitaires au point de vue cognitif. Psychiatres d’adultes non habitués à ces malades et juges des tutelles trouvent inutile toute protection juridique. Leurs troubles du comportement et leurs refus rendent impossibles les aides et soins que leur incurie rend nécessaires. Il y a là une dangereuse impasse qui dure jusqu’à l’arrivée à un stade plus avancé ou jusqu’à l’accident.

LA PERSONNE EST INCAPABLE DE DÉCIDER, SON ÉTAT NÉCESSITE UNE INSTITUTION MÉDICALISÉE, LA FAMILLE REFUSE L’ADMISSION

78Il existe plus de maintiens au domicile abusifs que d’admissions abusives en institution. Il est fréquent qu’une famille s’oppose à l’entrée en institution de son parent pour des raisons financières. Le système de financement met la principale dépense, l’hébergement, à la charge du résident malade ou à défaut de sa famille. Beaucoup de familles préfèrent éviter d’être taxées, préserver leur héritage, voire utiliser pour elles-mêmes les ressources de leur parent et refusent l’admission dans l’établissement proposé.

79Soit le malade invalide est maintenu au domicile dans des conditions de soins et d’aides insuffisantes, soit le malade est adressé par la famille dans un établissement moins onéreux mais n’offrant pas les soins exigés par l’état de la personne. Parfois s’établit un circuit infernal coûteux et pathogène. Le malade maintenu au domicile sans recevoir les soins nécessaires, s’y aggrave. Il est hospitalisé aux Urgences, adressé au premier lit de court-séjour libre (non gériatrique), de là en soins de suite. Quand la demande d’institution a été faite et la place trouvée, le malade est retiré de l’hôpital, repris au domicile, d’où il repartira pour les urgences et ainsi de suite jusqu’à ce que mort s’ensuive, dans quelles conditions et quel coût ! Il s’agit d’une véritable maltraitance, la personne n’est pas soignée et ses ressources sont détournées. C’est une maltraitance légale : il n’existe pas de vol à l’intérieur des familles !

80Il est logique que le financement puisse utiliser les ressources de la personne, voire son patrimoine. Quand les enfants ont 60 ans, l’héritage n’a plus le même sens que lorsqu’on mourait à 40 ans ou avant ! Beaucoup de pays d’Europe ont supprimé l’obligation alimentaire des enfants dans la loi, ou dans les faits. Pourquoi ne pas prévoir un financement plus équitable, mais inégalitaire dans lequel la maladie chronique du parent serait financièrement neutre. Elle ne coûterait pas aux enfants ni pour les frais de santé, ni pour ceux du handicap, par contre elle ne rapporterait pas aux enfants, les ressources de la personne servant à ses propres soins et aides. Ce système de neutralité financière existe dans certains pays.

LA PERSONNE EST CAPABLE OU NON DE DÉCIDER. SON ÉTAT NÉCESSITE UN ACCUEIL EN INSTITUTION MÉDICALISÉE MAIS AUCUNE ADMISSION N’EST POSSIBLE EN TEMPS UTILE

81Une fois résolu le difficile choix de la meilleure solution pour la santé du patient et pour celle de l’aidant familial, quand cette solution est l’entrée en institution, celle-ci ne peut être réalisée, parce qu’il n’y a pas de place dans l’établissement compétent. Ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui sont le plus refusés : les malades chroniques âgés les plus évolués, les plus handicapés, ceux qui relèvent d’une densité de soins de type hospitalier. Ils se trouvent coincés au domicile, ou dans un lit hospitalier aigu, ou en soins de suite. En dehors de ce dernier cas, ils n’y reçoivent pas de soins et aides donnés avec une compétence gériatrique. Le système est ruineux et il est maltraitant.

82Une maltraitance quotidienne. Ces malades en attente n’ont pas accès aux soins nécessaires :

  • Au domicile ils sont laissés à la charge d’une famille dépassée qui réalise elle-même des actes de soins et d’aides. L’aidant est transformé en soignant – sans la compétence ni le salaire. Cette transformation de la famille et des professionnels de l’aide en soignants se fait avec l’incroyable bénédiction de la « démarche de soins infirmiers » qui officialise cette sortie de la maladie chronique du domaine des soins.
  • Ils sont coincés à l’hôpital, reçus aux urgences comme des « cas sociaux » (sic), y stagnent quelques jours dans un lit, tous les services les refusant. Ils en sont renvoyés chez eux – ou n’importe où – pour désencombrer. C’est un abus vis-à-vis des personnes malades et des aidants. C’est un scandale quotidien qu’ignore le public, mais que ne peuvent plus ignorer les décideurs de santé. Cette situation dramatique qui a lieu sous nos yeux ne dérange guère les prétendues associations de défense des droits de l’homme…

83Annoncer, ou simplement avoir à proposer une admission en institution n’est pas facile. La situation est maltraitante par elle-même. Que la personne soit consciente de ses handicaps ou qu’elle soit anosognosique, le message est pénible à faire passer. De la qualité de l’annonce et de la préparation à cette admission dépend la tolérance à ce changement total de mode de vie et le succès de l’institutionnalisation.

84Seule une décision personnalisée est admissible. Personnalisée selon les besoins précis de la personne malade : santé, handicaps, évolutivité, goûts, souhaits et culture. Personnalisée selon les capacités de l’établissement d’accueil : compétences, densités de personnel, proximité de l’aidant principal.

85Seule une évaluation gérontologique multidisciplinaire peut garantir cette adéquation, parfois impossible. L’entrée en institution ne peut rester la décision d’un homme seul, qu’il soit médecin, travailleur social, directeur. Ce ne peut pas être une décision purement sociale ou purement médicale.

86C’est probablement la décision la plus importante qu’une personne ait à prendre dans son existence, puisqu’elle sera plus irréversible que le mariage ! Or il est banal que cette décision ne soit ni réellement consentie, ni même préparée.

87Les garanties à apporter doivent être d’autant plus rigoureuses que la personne est plus vulnérable. C’est généralement le contraire qui a lieu. S’il est habituel et normal que l’on vérifie les motivations de « placement » d’une personne apparemment lucide, la personne ayant des troubles de l’expression verbale est exposée à se retrouver en institution sans même avoir été informée, ou à recevoir une information fausse, à se voir refuser l’institution qui lui serait nécessaire (« trop lourde » dira le directeur), à être dirigée n’importe où par un servie hospitalier se jugeant encombré par ce cas social, etc.

88C’est pour cette personne, la plus vulnérable, la plus exclue du système aujourd’hui, qu’il faut s’entourer du plus de garanties, du plus de compétences. Ce n’est pas sa mise sous tutelle qui règle le problème, bien au contraire, puisque la décision peut lui être imposée sans même l’informer. C’est l’évaluation par une équipe indépendante et compétente, connaissant ou capable d’évaluer les capacités de l’établissement d’accueil choisi.

89Une admission réfléchie et préparée fait du séjour en institution un succès pour la qualité de vie de la personne malade et pour ses proches. Offrir ces garanties à ces personnes ferait diminuer la peur de la « maison de retraite ». Cela coûtera moins cher que les interminables hospitalisations inutiles dans des services incompétents, voire hostiles. Cela limiterait les entrées en institution à ceux qui en ont besoin et que le système actuel a tendance à rejeter. Pourquoi s’en priver. Sans attendre les lois toujours en retard d’une ou plusieurs batailles pourquoi ne pas introduire par une rapide émulation des bonnes pratiques de l’entrée en institution ? Etablir ces bonnes pratiques : une mission pour la FNG ?


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/gs.121.0227

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.170

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions