- La cessation de traitement correspond au fait, pour un médecin ou pour une équipe médicale, d’arrêter de chercher à guérir un malade en raison de son état. Cette étape est généralement suivie d’une seconde qui consiste en des soins palliatifs c’est-à-dire en un transfert de soins actifs cherchant à soulager la souffrance et à accompagner la personne en fin de vie.
- L’euthanasie passives’entend d’une pratique médicale qui consiste à ne plus soigner sans, pour autant, relayer par des soins palliatifs.
- L’euthanasie active consiste à mettre volontairement et immédiatement fin aux jours du patient par un moyen quelconque.
- La sédation correspond à des soins qui visent à placer temporairement le malade dans un état inconscient pour l’aider à moins souffrir.
2Tous ces mots, à l’exception, peut-être, de la sédationet de l’euthanasie active dans certains cas, se rattachent à la mort et, plus précisément, à la période ante mortem c’est-à-dire à ces moments qui précèdent le décès, lorsque la personne n’est pas encore morte et que l’on va provoquer ou hâter un peu ce qui doit, de toute manière, arriver.
3Ces termes sont particulièrement forts car ils touchent à l’essentiel de la personne et, de ce fait, ils présentent plusieurs caractéristiques juridiques.
4Avec la vie, tout est possible. Avec la mort, tout est terminé, même juridiquement. Le Droit, cependant, reconnaît la protection de la dépouille (le corps détaché de l’esprit, mais qui a été une personne juridique lorsque la vie l’habitait) et celle de la mémoire du défunt (ce qui survit de la personne juridique disparue, dans la mémoire des vivants).
5Dans tous ces termes, il y a un acte volontaire, conscient de la part de l’équipe médicale dont la mission première est de guérir, mais aussi d’accompagner les derniers moments comme ils doivent accompagner toutes les autres périodes de la vie de leurs patients.
6Ces mots de fin de vie mettent en exergue des conflits (apparents) de Droit, entre :
- Le droit au respect de la vie prôné par l’article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » et le droit de ne pas souffrir affirmé par la loi n°99-477 du 9 juin 1999 sur les soins palliatifs. L’article L 1110-9 du Code de la Santé publique (dans lequel cette loi est codifiée) énonce que « Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Cet article fait écho à l’article L 1110-5 du même code (alinéas 5 et 6) qui souligne que « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être, en toute circonstance, prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort ». Les soins palliatifs, comme ces textes l’indiquent, ne sont pas forcément rattachés à une période de fin de vie. Ils peuvent intervenir à tout moment, lorsque l’état de la personne les requiert. C’est pourquoi, aujourd’hui, lorsque l’on fait allusion aux soins de fin de vie, il est d’usage d’évoquer les « soins palliatifs terminaux ». La lutte contre la douleur est un droit pour tout patient. Sa mise en pratique est un peu plus complexe parce qu’il est toujours très difficile de mesurer l’intensité de cette souffrance et que les médicaments antidouleur peuvent, parfois, être en contradiction avec le traitement en cours. Il est bien évident que cette dernière remarque n’est plus de mise lorsque l’on se trouve dans l’hypothèse de soins palliatifs terminaux. Il semble que ces derniers se soient plus facilement développés dans les établissements de santé qu’à domicile, sous le contrôle des médecins libéraux. Mais il faut également noter la mise en place « d’équipes volantes » de spécialistes de ces soins qui peuvent aller soulager des personnes hébergées, par exemple, dans des maisons de retraite ou dans des établissements accueillant des personnes gravement dépendantes, mais également au domicile des particuliers par le biais d’une hospitalisation à domicile;
- le droit de se suicider puisque ce n’est plus une infraction, et l’interdiction de porter atteinte à la vie d’autrui même sous forme d’aide au suicide.
- enfin, ces termes posent le double problème des limites juridiques de la vie et de la mort, ainsi que du pouvoir d’intervention sur ces limites.
LES LIMITES DE LA VIE ET DE LA MORT
7Il n’existe pas de définition de la mort en Droit, tout comme il n’existe pas de définition de la vie.
8Notre Droit ne définit pas la vie en tant que telle, mais attribue un régime juridique différent à deux formes de vie en fonction d’une hiérarchie : celle des personnes humaines qui prime sur celle contenue dans les choses, à savoir les animaux ou les végétaux.
9En ce qui concerne les humains, si le Droit ne donne pas de définition de la mort, il en fixe le constat, que ce soit dans le code des communes (nécessité d’un certificat médical pour la fermeture du cercueil) ou dans le décret de décembre 1996 (pour le constat de la mort en vue de prélèvement d’organes).
10Dans les cas qui nous occupent, le passage de la vie à la mort n’est pas instantané, mais se prolonge dans le temps et l’action des tiers peut en modifier la durée.
11Schématiquement, dans cette phase préalable à la mort, les juristes distinguent deux étapes possibles : l’état de moribond et l’état de mourant.
12Dans l’état de moribond, le malade est dans une situation irréversible, mais dont on ne peut fixer la durée. Il est généralement conscient et, dans la plupart des cas, cette personne est juridiquement capable. N’étant placée ni sous tutelle ni sous curatelle, elle conserve tous ses droits : droit de se marier, de faire un testament, de gérer ses biens, d’accepter ou de refuser un traitement. Éventuellement, ses actes pourraient être remis en cause en raison de l’état de fragilité ou de vulnérabilité dans lequel se trouve cette personne. Cet état de dépendance a conduit le législateur à protéger ce malade contre d’éventuelles captations d’héritage. C’est pourquoi il est interdit de léguer des biens au médecin qui a soigné la dernière maladie ou au ministre du culte qui a accompagné le mourant.
13Mais le problème peut aussi venir de la famille qui veut intervenir dans le choix ou l’arrêt du traitement.
14Tant que la personne est consciente, elle conserve un droit absolu sur le choix ou l’arrêt de son traitement. Ce droit se décline sous trois aspects dans la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 sur la qualité du système de soins et les droits des malades :
- « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » (début de art. L 1111-2 du Code de la Santé Publique)… Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent en dispenser (le professionnel de santé) (art. L 1111-2 , 2e alinéa CSP);
- La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission (art. L 1111-2,4e alinéa CSP);
- Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment » (art. L 1111-4,2e et 3e alinéas CSP).
15Le droit au refus de soins est la contrepartie naturelle et légale du droit aux soins. Nul ne peut me forcer à me soigner, sauf si la vie des autres peut être mise en danger par mon refus. C’est tout le problème de la contrainte liée, par exemple, aux vaccinations obligatoires, en raison d’un problème de santé publique. Mais lorsque la vie d’une seule personne est concernée, il appartient à cette dernière de décider si elle veut se faire soigner ou non. Tout comme le suicide, le refus de soins relève d’une liberté strictement individuelle.
16Toutefois, une personne peut être consciente mais tellement affaiblie qu’elle n’a plus les moyens intellectuels ou même la force d’exprimer une volonté quelconque. C’est dans ces situations que les équipes médicales doivent être tout à la fois très à l’écoute des familles ou des proches, mais également très protectrices du malade. Ces équipes médicales savent combien il est parfois courant que des familles demandent (ou exigent) « que l’on mette fin aux souffrances » de leur proche, soit parce qu’elles ne peuvent plus supporter une agonie qu’elles jugent trop longue, soit parce que des contingences financières sont en jeu.
17Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté (comas, anesthésie…), « aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance, prévue à l’article L 1111-6, ou la famille, ou, à défaut, un de ses proches, ait été consulté » (art. L 1111-4,3e alinéa CSP). Mais il ne s’agit que d’une consultation, d’un avis, d’un éclairage sur ce que le patient aurait pu exprimer, lorsqu’il le pouvait encore. La décision ne relève que du patient lui-même et de son praticien.
18En revanche, lorsque la difficulté ou l’impossibilité à émettre un avis tient à l’âge (mineur de 18 ans) ou à une incapacité psychique (aliénés, par exemple, c’est-à-dire personnes placées sous tutelle des majeurs), leurs droits sont exercés « par les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur… Les intéressés (enfants ou majeurs sous tutelle) ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée soit à leur degré de maturité s’agissant des mineurs, soit à leurs facultés de discernement s’agissant des majeurs sous tutelle » (art. L 1111-2,5e alinéa CSP). Leur consentement doit être systématiquement recherché et, « dans les cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables » (art. L 1111-4,5e alinéa CSP). Ce texte vise, en particulier, la protection des enfants dont les parents font partie de certaines sectes qui refusent le secours médical et dont la vie peut être gravement menacée en cas de maladie.
19Je voudrais simplement insister sur le fait que, parfois, le malade n’est plus consulté, soit par une bonté peut-être mal comprise, soit parce que cela est tellement plus simple. Et je pense, en particulier, aux personnes âgées, qu’elles soient ou non dans des maisons de retraite. Il faut une prise de conscience énergique de notre part à tous pour ne pas considérer un peu comme des « fantômes » juridiques ou humains des personnes qui sont toujours en vie et qui peuvent parfaitement entendre et comprendre ce qui se passe autour d’elles.
20Enfin, dans l’état de mourant, la personne n’est pas encore morte, mais elle se trouve dans la phase ultime : son corps respire encore, mais son esprit ne peut plus s’exprimer. C’est dans cette hypothèse que les pouvoirs d’intervention des tiers sont les plus forts.
LES POUVOIRS D’INTERVENTION SUR LES PÉRIMÈTRES DE LA MORT
21La loi du 4 mars 2002 a prévu une exception au secret médical lorsqu’une personne est en danger de mort. « En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L 1111-6, reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part » (art. L 1110-46e alinéa CSP). Là encore, le mourant aura pu interdire aux praticiens de divulguer son état, même à ses proches et cette demande doit être respectée par l’équipe médicale.
22Mais la question la plus délicate est celle de l’euthanasie. Il reste encore interdit, en France et dans la plupart des pays du monde, de mettre fin, médicalement et volontairement à la vie d’autrui.
23L’euthanasie, qu’elle soit active ou passive, conduit à la mort. La différence entre les deux, c’est que la seconde relève d’une non-assistance à personne en danger (laisser mourir une personne sans soins, même palliatifs) alors que la première relève du meurtre (faire ce qu’il faut pour qu’une personne décède).
24Parmi tous les arguments avancés pour légaliser l’euthanasie en France, il est souvent fait référence à l’illogisme qui proviendrait du fait que l’on peut se suicider alors qu’il est interdit d’aider autrui à se suicider. Cette différence relève d’une sage prudence. La nature humaine est la plus merveilleuse chose qui existe dans l’univers, mais elle peut, dans certaines circonstances, comporter quelques perversités. Combien de crimes ont été et seront déguisés en suicide et combien cela deviendra encore plus tentant si l’euthanasie est autorisée.
25Pour réfuter cet argument, les tenants de l’euthanasie s’appuient sur les conditions draconiennes qui sont énoncées dans les pays qui autorisent cette aide à la mort. C’est vrai, mais ce qu’il faut savoir, c’est que les « demandes spontanées d’euthanasie » semblent se multiplier dans ces pays alors que les médecins sont de plus en plus dubitatifs sur la liberté de ces demandes. Des pressions familiales très fortes peuvent conduire des patients à préférer demander la mort pour ne plus subir les violences familiales qui n’ont pour finalité que d’obtenir cette « demande spontanée ».
26Il est vrai que des affaires particulièrement douloureuses remettent en cause ce refus, telles les affaires Diane Pretty en Grande-Bretagne ou Humbert en France.
27Actuellement, aux Pays-Bas, « l’euthanasie et l’aide au suicide sont possibles sans poursuites judiciaires, sous certaines conditions ». Cette loi est le résultat d’un compromis, mais les divergences d’opinion sur cette question sont tellement fortes, dans notre Pays, que le vote d’un texte sur cette question est aléatoire.
28Certains pays, telle la Suisse, ont organisé une aide au suicide, officielle et payante, sous « contrôle de la police ».
29Il n’est pas dans notre propos d’affirmer ce qui est le mieux car je ne possède pas cette vérité, si tant est qu’elle existe dans l’absolu. Le système français actuel repose sur un contrôle judiciaire a posteriori de l’acte ayant conduit au décès d’une personne avec l’aide d’un tiers. Et notre Droit reconnaît toujours la possibilité, pour des magistrats, de ne pas condamner en faisant état, en particulier, de l’équité. D’autres pays ont choisi de mettre en place un contrôle administratif ou éthique a priori. Mais, quelle que soit la solution retenue, il est indispensable qu’un contrôle soit effectué sur l’acte qui consiste à donner la mort volontairement à autrui.
30Tout ce que je peux affirmer, c’est que notre Droit vise, toujours et dans toutes les situations, à protéger la vie jusqu’à ses extrêmes limites et à rechercher la dignité de la personne jusque dans sa mort. C’est peut-être pour cela que le Droit est si passionnant.