Couverture de GES_233

Article de revue

La « vie chère » comme une manifestation de la vulnérabilité structurelle des Départements et Régions d’Outre-Mer français : entre faits stylisés et enseignements de la littérature académique

Pages 303 à 339

Notes

  • [1]
    Ces écarts sont principalement tirés par les prix des produits alimentaires : +33 % pour La Guadeloupe, +38 % pour La Martinique, +34 % pour La Guyane, +28 % pour La Réunion et +19 % pour Mayotte en 2015.
  • [2]
    La vulnérabilité économique globale se définit comme le risque qu’un pays subisse une baisse significative de son taux de croissance moyen à long terme suite à des chocs exogènes imprévus. Elle est constituée de trois éléments, à savoir (i) l’ampleur et la récurrence des chocs, (ii) l’exposition aux chocs, (iii) et le défaut de résilience (capacité à réagir aux chocs) encore appelé « vulnérabilité construite ».
  • [3]
    L’on retrouve les conditions géographiques (petite superficie, éloignement, isolement, exposition à de nombreux chocs exogènes, écosystèmes fragiles), l’histoire (liens politiques particuliers avec l’ancienne puissance coloniale, dépendance par rapport à l’extérieur, reproduction de certaines institutions coloniales), la situation sociale (intensité faible et volatilité du capital humain, instabilité du marché du travail, insécurité), la structure économique (défauts d’économies d’échelle, marchés locaux limités, manque de diversification des activités économiques, accès difficile aux ressources externes, prévalence de monopole naturel et de structures oligopolistiques).
  • [4]
    En 2013, la productivité apparente du travail des DROM représentait en moyenne 80 % du niveau métropolitain : 97 % pour la Guyane, 84,6 % pour la Guadeloupe, 83 % pour le Martinique, 80,7 % pour la Réunion et 55 % pour Mayotte (INSEE, Comptes régionaux, Estimations d’emploi et de population).
  • [5]
    Les spécificités des DROM ont été consacrées par les traités d’Amsterdam de 1997 (article 299 §2) et de Lisbonne de 2007 (articles 349 et 355 §1) modifiant le traité sur l’Union Européenne et le traité instituant la Communauté Européenne.
  • [6]
    La rentabilité d’une entreprise, et donc ses profits, sont déterminés par la différence entre les recettes totales, elles-mêmes obtenues par les ventes en valeur (prix fois quantités), et les coûts totaux. Dans la mesure où par rapport à la métropole, en Outre-Mer, comme nous le verrons plus loin, les quantités vendues sont moindres (défaut d’économie d’échelle et défaut de productivité) et les coûts totaux sont plus importants (coûts fixes élevés et rigidité des salaires), alors maintenir une rentabilité similaire au niveau métropolitain implique nécessairement des prix plus élevés. Aussi, chercher à supprimer ces écarts pourrait même se révéler être dangereux dans la mesure où des prix plus élevés en Outre-Mer permettent de maintenir tant bien que mal, dans un système d’économie de marché, une certaine rentabilité pour des entreprises caractérisées par une forte vulnérabilité structurelle, et donc un certain niveau d’emplois et de revenus.
  • [7]
    À l’image des PEIDs les DROM sont indiscutablement price-takers (plus que toute autre économie), ce qui se traduit par un effet de « pass through » particulièrement puissant sur les prix internes (Briguglio, 1995).
  • [8]
    Précisons ici que les flux d’importation et d’exportation sont généralement fortement asymétriques (les imports sont très supérieurs aux exports), ce qui engendre, pour l’ensemble des compagnies maritimes concernées, des surcoûts liés à la gestion des conteneurs vides qui sont répercutés sur les clients (ADLC, 2019).
  • [9]
    Plus précisément la densité d’emploi, la disponibilité de services aux entreprises, la présence d’une main-d’œuvre spécialisée, l’émergence et la diffusion d’idées nouvelles, l’existence d’infrastructures modernes et performantes, le capital humain.
  • [10]
    Les territoires ultramarins bénéficient, comme l’ensemble du territoire national, du Plan France Très Haut Débit. Dans la plupart d’entre eux, des projets privés et publics de réseau fibre jusqu’à l’abonné sont aujourd’hui lancés, avec une accélération sur la période récente. Néanmoins, à l’exception notable de La Réunion, les DROM restent encore en retrait par rapport à la métropole (ARCEP, 2021). Le taux de locaux ayant accès au très haut débit en 2020 est de 55 %, 42 %, 31 %, 84 %, 18 % et 68 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane, La Réunion, Mayotte et la France métropolitaine respectivement.
  • [11]
    La présence du nucléaire et l’interconnexion des réseaux électriques sur le continent limitent significativement ce problème.
  • [12]
    Il est possible de citer par exemple la nouvelle réglementation « low sulfur », décidée par l’Organisation Maritime Internationale en 2016 pour une entrée en vigueur à compter du 01/01/2020, laquelle contraint les compagnies maritimes à réaliser de lourds investissements afin de modifier le carburant de toute leur flotte pour respecter un taux de soufre maximal de 0,5 % au lieu de 3,5 %. Il est possible également de mentionner le dispositif « Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation » [CORSIA], voté par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale en 2016, et pleinement en vigueur à partir de 2027, lequel prévoit la neutralité carbone des transports aériens internationaux sur la base des émissions de CO2 de 2020.
  • [13]
    Principalement, selon des degrés divers, par les aspects liés aux inondations (hausse du niveau des mers et/ou chocs pluviométriques), aux chocs de température, et au renforcement de l’activité cyclonique.
  • [14]
    En 1840, la population blanche (les colons) ne représentait que 19 %, 9 %, 9 %, et 6 % à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, respectivement. Concernant Mayotte, il n’y a jamais eu véritablement de peuplement français.
  • [15]
    Des contrats de travail entre les « engagés » (africains, chinois et indiens) et les colons dans lequel les travailleurs s’engageaient à rembourser sur une période longue le prix de la traversée, initialement pris en charge par les employeurs, sous la forme d’un reversement d’une partie importante de leurs salaires. La durée de remboursement était conditionnée par la performance et la discipline au travail. Même si sur le plan formel, ce système ne pouvait être assimilé à l’esclavagisme, il n’en était pas très éloigné dans la pratique (Piketty, 2019).
  • [16]
    Le Pacte Colonial s’est construit autour d’une logique d’extraction pure de richesse, c’est-à-dire d’une mise en valeur du territoire colonial pour que celui-ci rapporte rapidement à la métropole plus qu’il ne lui coûte. C’est d’abord le système de la double exclusivité : produire et exporter vers la métropole (et uniquement vers la métropole) les matières premières indispensables au fonctionnement des industries et/ou recherchées par les consommateurs du continent, et servir de débouchés « privilégiés » pour les produits manufacturés métropolitains (interdiction de se fournir ailleurs). C’est aussi le privilège de pavillon, en l’occurrence le monopole français sur le transport maritime.
  • [17]
    Notons la part significative du commerce régional dans les exportations de La Guadeloupe et de La Martinique reposant essentiellement sur le marché unique Antilles-Guyane.
  • [18]
    À l’image des politiques de subventions françaises et européennes bénéficiant pendant longtemps aux cultures spéculatives de la canne et de la banane, et bloquant toutes incitations à la diversification. L’Union Européenne a récemment changé de stratégie concernant ces filières mais l’État français continue à assurer le relais.
  • [19]
    Plus précisément, l’introduction du revenu minimum d’insertion, l’alignement progressif du SMIC et des prestations sociales sur la métropole, la sur rémunération dans la fonction publique, l’alignement des salaires des cadres du secteur privé sur le secteur public.
  • [20]
    Le syndrome hollandais explique notamment pourquoi dans les DROM, le commerce, le BTP, les services, se développent aux dépens des exportations « traditionnelles », du tourisme et de l’industrie concurrente d’importation non protégée.
  • [21]
    Même si les Conseils régionaux disposent de certaines prérogatives dans la fixation des taux et la mise en œuvre du dispositif, ce dernier reste tout de même très encadré par l’Union Européenne de manière à ne pas créer de distorsion de concurrence. Il est de plus soumis à plusieurs conditions préalables, à savoir (i) l’existence d’une production locale, (ii) l’existence d’importations significatives de biens pouvant compromettre le maintien de la production locale et (iii) l’existence de surcoûts renchérissant les prix de revient de la production locale par rapport aux produits provenant de l’extérieur compromettant la compétitivité des produits locaux.
  • [22]
    La petite taille de la population joue aussi un rôle en imposant une quantité de main-d’œuvre disponible réduite (Armstrong et al., 1998).
  • [23]
    Le colonat partiaire correspond à un contrat agricole de type métayage dans lequel le travailleur s’engage à donner au propriétaire une partie (proportionnelle à la récolte totale et souvent importante) des biens agricoles produits. Le propriétaire pouvait également imposer au planteur locataire ses propres choix de culture. Ce système, considéré comme « une relique coloniale », n’a disparu définitivement que très récemment, en 2011.
  • [24]
    Ces populations viennent d’Haïti pour La Guadeloupe, du Suriname et du Brésil pour La Guyane, des Comores pour Mayotte et des Comores et de Mayotte pour La Réunion.
  • [25]
    En 2015, le ministère de l’éducation nationale a mis en place une évaluation de l’acquisition des compétences du socle commun à l’entrée en 6e. Les résultats ont permis de dresser une cartographie de la maîtrise de la langue à la fin du premier degré (compétence 1 du socle : lecture, orthographe, grammaire et vocabulaire) et des inégalités de résultats entre les élèves les plus favorisés et les élèves les moins favorisés socialement au niveau des 31 académies de France métropolitaine et des DROM.
  • [26]
    Le faible niveau de vie des ménages ultramarins limite leur accès à l’acquisition d’une voiture. En effet, l’achat d’un véhicule se finance à la fois par l’épargne des ménages et par le recours à l’emprunt, tous deux déterminés par leurs revenus. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des taux d’équipement automobile plus faibles en Outre-Mer par rapport à la moyenne métropolitaine : 70,2 % pour La Guadeloupe, 74 % pour La Martinique, 57,6 % pour La Guyane, 72,7 % pour La Réunion et 30 % pour Mayotte contre 81,3 % pour la métropole en 2018.
  • [27]
    En 2019, les populations de La Guadeloupe, de La Martinique, de La Guyane, de La Réunion et de Mayotte sont de 394 110, 376 480, 269 352, 852 924 et 270 372, respectivement contre 2 577 866 pour la région Centre-Val de Loire qui est la région la moins peuplée de la France continentale.
  • [28]
    Le rapport de l’excédent brut d’exploitation à la valeur ajoutée appelé taux de marge correspond à ce qui reste à disposition des entreprises, notamment pour rémunérer le capital et investir, une fois déduites les rémunérations salariales. Bien évidemment, le taux de marge est très influencé par l’appartenance d’une entreprise à un secteur économique : généralement plus faible pour la construction et l’hébergement/restauration et plus élevé pour l’immobilier et les technologies de l’information et des communications.
  • [29]
    Néanmoins, l’autorité précise qu’elle ne dispose pas des outils adéquats pour analyser les situations d’intégration verticale, c’est-à-dire lorsque toute la chaîne de valeur est détenue par un seul groupe.
  • [30]
    Globalement, celles-ci peuvent être regroupées en deux catégories, à savoir les soutiens à l’investissement productif (défiscalisation, Fonds Européen de DEveloppement Régional [FEDER], Fonds d‘Investissement de Proximité Outre-Mer) et les aides agissant sur le compte d’exploitation (les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale, les mesures de soutien au transport/fret, la prime à l’emploi et le contrat d’accès à l’emploi, l’aménagement de zones d’activités et de zones stratégiques, la déductibilité de la TVA sur certains produits exonérés, l’octroi de mer).
  • [31]
    Dreyer et Savoye (2013) insistent sur le fait que, même si le dispositif d’exonération partielle des charges sociales était destiné à soutenir la création d’emplois, il a permis de compenser indirectement les surcoûts de production qui grèvent les consommations intermédiaires. Garsaa et al. (2016) trouvent un effet positif de la réduction du coût du travail associée à cette mesure sur la création et/ou la préservation de l’emploi dans les Outre-Mer.
  • [32]
    Les majorations de traitement sont de 53 % pour La Réunion et de 40 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane et Mayotte.
  • [33]
    Elle concerne la fonction publique d’état et territoriale bien évidemment mais également le secteur privé monopolistique et d’économie mixte qui se sont alignés sur les niveaux de rémunération de la fonction publique.
  • [34]
    Dans la tradition française du marché du travail, il s’agit de garantir un maintien de (sur)rémunération à des travailleurs du secteur formel indépendamment des performances du système économique auquel ils contribuent, quitte à accepter en contrepartie un chômage significatif. Cette conception s’oppose au modèle anglo-saxon d’ajustement du marché du travail par les salaires tenant compte de la productivité et des performances économiques et permettant une plus grande facilité de réduction du chômage.
  • [35]
    Le BQP est chargé de modérer le prix des produits de grande consommation. Le représentant de l’État, les distributeurs et les fournisseurs négocient sur le prix global d’une liste de produits génériques. C’est un prix plafond à respecter par chaque magasin, lequel identifie ensuite le produit retenu avec son prix, affiche la liste avec le prix global et détaillé et assure un étiquetage. Des contrôles, assortis de sanctions, un suivi, une évaluation, une négociation annuelle ainsi qu’une révision possible sont prévus. La loi EROM introduit la participation des transporteurs maritimes et des transitaires à la négociation des accords annuels de modération des prix.
  • [36]
    La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique en Outre-Mer, dite loi Lurel, et la loi du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle Outre-Mer.
  • [37]
    La suppression de la TVA non récupérable, la diminution de la subvention au fret, la bascule du CICE en exonérations de charges sociales non intégralement compensée, la réduction du plafond d’abattement DOM pour l’impôt sur le revenu, et les menaces récurrentes sur le dispositif de l’octroi de mer et du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural [FEADER].
  • [38]
    L’on peut citer les phénomènes de collusion ou d’ententes, d’abus de position dominante, de pratiques commerciales restrictives, les conditions d’exclusivité à l’importation, les ventes liées, les comportements de prédation, les marges arrières injustifiées…)
  • [39]
    Les principales mesures portent la régulation des prix de gros dans le cas de monopoles ou oligopoles, l’interdiction des droits exclusifs d’importation, la multiplication des possibilités de saisir l’ADLC ainsi que la création d’un pouvoir d’injonction structurelle pour cette autorité, qui consiste à exiger d’un groupe dominant la revente de certains actifs (Hermet et Rochoux, 2014).
  • [40]
    Une citation tirée de l’étude d’impact du projet de loi (p. 17).
  • [41]
    Faire du commerce extérieur un moteur de croissance nécessitera de revoir la position centrale actuelle des cultures spéculatives dans les exportations locales, et par conséquent des politiques de subvention associées. Sur ce point, force est de constater que le courage politique a toujours fait cruellement défaut.

Introduction

1« La lutte contre la vie chère est au cœur des préoccupations des populations ultra-marines. En effet, nul n’ignore que les écarts de prix entre la Métropole et les Outre-Mer sont importants, parfois astronomiques, et toujours incompris. […] Ce qui est paradoxal lorsque l’on sait qu’environ 40 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté contre 14 % en Métropole ! » (Nathalie Bassire, député de La Réunion, communiqué sur Freedom.fr, octobre 2019). Ce sentiment, largement répandu dans la pensée populaire ultramarine, s’appuie sur un principe de « justice sociale » selon lequel il est difficilement acceptable d’avoir des prix élevés sur des territoires caractérisés par un niveau de pauvreté important. S’il est incontestable que les populations sont plus fragiles en Outre-Mer qu’en métropole du point de vue de la pauvreté et du développement humain (Goujon et Hermet, 2015 ; Hoarau 2017) et que les écarts de prix sont encore défavorables aux régions ultramarines malgré une réduction continue [1] (Jaluzot et al., 2016 ; Rochoux, 2018), la réalité du paradoxe est par contre beaucoup moins évidente.

2Le problème vient d’une certaine confusion au niveau des sources à l’origine de la formation des prix en Outre-Mer. La pensée traditionnelle, celle du paradoxe, part du principe que puisque le pouvoir d’achat des populations ultramarines est plus faible que celui de la population métropolitaine alors les prix devraient être au moins similaires. Cette approche par la demande n’est en réalité pas adaptée à la situation des régions ultramarines, laquelle doit être analysée au contraire du côté offre à travers la notion de vulnérabilité structurelle développée dans le cadre des Petites Économies Insulaires en Développement [PEIDs] (Briguglio, 1995 ; Guillaumont, 2010 ; Blancard et Hoarau, 2016). La vulnérabilité économique structurelle, à ne pas confondre avec la vulnérabilité économique globale [2], résulte de facteurs échappant au contrôle des décideurs politiques du pays considéré, soit le fruit de la combinaison de (i) l’ampleur et la fréquence des chocs exogènes (naturels et commerciaux) et (ii) l’exposition à ces chocs.

3Il existe aujourd’hui un large consensus sur le fait que les PEIDs sont toutes frappées par un certain nombre d’handicaps structurels forts (Blancard et Hoarau, 2016) [3], liés à leur petite taille et à leur condition d’insularité, conduisant à une situation forte d’exposition aux chocs et plus généralement de vulnérabilité économique structurelle. Ce problème est d’autant plus important qu’il peut être à l’origine de troubles évidents en termes de croissance économique, de pauvreté, d’inégalités, d’instabilité politique et de durabilité (Guillaumont, 2009 ; Guillaumont et Wagner, 2012). De plus, cette première forme de vulnérabilité se conjugue à une vulnérabilité physique au changement climatique (Feidouno et al., 2020). Là encore, plusieurs travaux récents convergent vers l’idée que ces territoires sont plus que tout autre concernés par les conséquences du changement climatique, et particulièrement par les chocs liés à la montée du niveau des mers, aux cyclones et à l’instabilité des températures et des précipitations (Goujon et Hoarau, 2020). Au final, cette forte exposition économique et écologique aura tendance à renforcer la nature incertaine et asymétrique des chocs, donnant un caractère puissant et persistant à leurs effets délétères (Guillaumont, 2010).

4« Bien qu’influencé par une métropole éloignée de leur environnement géographique (et ayant) évolué dans un environnement économique et social protecteur » (Debrat, 2007), les Départements et Régions d’Outre-Mer [DROM] (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, Réunion) présentent toutes les caractéristiques d’une PEID et notamment celle de la vulnérabilité économique structurelle (Goujon et Hoarau, 2015). À l’instar des PEIDs, les territoires ultramarins français sont éloignés, isolés, petits, avec des possibilités de productions, d’exportations, et donc d’échanges, de productivité [4] et de revenus limitées. Ils sont de plus, de par leur positionnement géographique, fortement exposés aux aléas environnementaux et aux conséquences du changement climatique en cours (Goujon et Hoarau, 2020). Par ailleurs, plusieurs spécificités des DROM, liées à leur statut politique de départements français, vont davantage accentuer cet état de fragilité initiale en renforçant notamment leur défaut de compétitivité-prix (Dimou et Schaffar, 2015). Les rares travaux appliqués dans ce domaine, basés sur le développement d’indicateurs composites (Bayon, 2007 ; Goavec et Hoarau, 2015 ; Bonnet et al., 2021), confirment cette vulnérabilité forte, tirée essentiellement par la dimension exposition aux chocs, et apportent une légitimité scientifique à une situation depuis longtemps reconnue par l’Union Européenne à travers l’instauration du statut de région ultrapériphérique [5] (Vestris, 2018).

5À l’échelle des firmes, l’exposition structurelle aux chocs se traduit par des coûts cachés qui n’apparaissent pas directement à la lecture de leurs bilans comptables. Ces surcoûts consistent en des frais supplémentaires supportés par une entreprise ultramarine par rapport à une entreprise similaire exerçant en France continentale. Ils affectent fortement la compétitivité des entreprises situées dans les DROM à tous les niveaux de la chaîne de valeur et dégradent la qualité de leurs actifs immatériels fragilisant la création de valeur à plus long terme. Ainsi, entreprendre en contexte ultramarin est un exercice spécialement périlleux dans la mesure où le jeu de la concurrence pour les entreprises domestiques est biaisé dès le départ par un désavantage significatif en termes de compétitivité-coût/prix et hors-prix. C’est donc bien les écarts de compétitivité-coût, et non les écarts de niveaux de vie, qui expliquent principalement les écarts de prix permanents entre ces territoires et la métropole [6].

6Dès lors, pour comprendre l’exposition forte des DROM aux chocs exogènes, il devient crucial d’identifier clairement les facteurs individuels à l’origine de ces surcoûts et d’isoler les mécanismes théoriques conférant à ces facteurs la capacité de maintenir des écarts de prix persistants par rapport à la métropole [7]. Néanmoins, notre objectif n’est pas de proposer un nouvel exercice de modélisation et/ou d’évaluation des facteurs et des politiques publiques en présence. Il s’agit plutôt de montrer, en nous appuyant sur une revue de la littérature académique et sur des faits stylisés récents, que le phénomène de vie chère est essentiellement de nature structurelle et donc « légitime » (au moins en partie) du point de vue de la science économique. L’idéal d’égalité des prix avec la métropole n’est ni réalisable ni même souhaitable dans la mesure où des gains en matière de réduction des prix pourraient être contrebalancés par des pertes en termes de chômage et de revenus plus importantes, avec au final un impact défavorable sur le pouvoir d’achat des individus.

7Les sections qui suivent s’attacheront à mettre en évidence les contraintes structurelles relevant, d’abord, de la géographie et de la localisation (section 1), ensuite, de l’histoire à la fois coloniale et postcoloniale associée à la départementalisation (section 2), et enfin, de l’étroitesse économique et des défauts de structure de marché (section 3). Une section 4 conclut sur des pistes de recommandations de politique économique destinées à contenir ou à combattre la vie chère, ou plus exactement à améliorer le pouvoir d’achat des populations ultramarines.

1 – Entre isolement, éloignement et insularité : un environnement géographique particulièrement handicapant

8Le premier ensemble de contraintes fortes pesant sur les DROM relève d’un aspect purement physique correspondant à leurs géographies handicapantes. En effet, depuis l’avènement de la Nouvelle Économie Géographique (Krugman, 1991), un large consensus existe aujourd’hui sur le fait que la localisation géographique est un facteur crucial dans le processus de développement économique (Prager et Thisse, 2009). Dans le cadre précis des localisations insulaires isolées, la modélisation théorique centre-périphérie aboutit à un résultat déroutant. En faisant l’hypothèse acceptable de l’hétérogénéité des firmes en matière de productivité, celles qui se concentrent dans les régions éloignées sont aussi les moins efficientes, et cette moindre productivité induite aura clairement des effets négatifs sur le bien-être des populations résidentes en termes de prix unitaires relativement plus élevés par rapport à la région centrale (Cerina, 2015). Bien évidemment, la localisation des économies ultramarines dans des espaces tropicaux relativement isolés, éloignés, et de plus en plus sous la pression du changement climatique en cours, donne davantage d’intensité à ce résultat. Il convient ici d’insister sur trois entraves majeures.

1.1 – Éloignement, dépendance aux transports lointains et coûts d’approche

9Le premier handicap porte sur la notion d’éloignement, c’est-à-dire sur l’existence d’une distance conséquente séparant les territoires ultramarins des grands marchés. Pourtant, ceux-ci ont besoin de ces grands marchés « lointains » autant pour leurs débouchés que pour leurs approvisionnements. L’éloignement va peser sur les coûts de transport à l’importation comme à l’exportation dans la mesure où la nature insulaire implique une dépendance structurelle de ces économies aux transports maritimes et aériens, des modes de transports de plus souvent organisés sous la forme de monopoles ou d’oligopoles [8] (Dimou et Rivière, 2015). La combinaison distance/insularité exerce ainsi des effets négatifs importants sur l’efficacité productive des entreprises avec notamment des surcoûts liés à la « distance-accès » et à la forte dépendance de l’activité productive vis-à-vis du secteur des transports maritimes et aériens (coût de transport portuaire et aéroportuaire, fret et assurance).

10À cela, il faut ajouter les aspects liés à la discontinuité de l’espace, à la mise à l’écart des grandes routes commerciales et aux irrégularités d’approvisionnement (Figure 1), des éléments qui ont tendance à augmenter le coût du temps pour transporter les marchandises. Ces contraintes nécessitent, par conséquent, la présence de services annexes de stockage, de logistique, de conditionnement et de distribution des marchandises, et donc de surcoûts supplémentaires (frais de transport interne, frais de déchargement multiples, taxe et douanes éventuelles, coûts de stockage et frais d’amortissement et de maintenance associés).

Figure 1

Le système de transport global (terrestre, maritime et aérien)

Figure 1

Le système de transport global (terrestre, maritime et aérien)

Notes : en vert, le transport routier ; en bleu, les routes maritimes ; en rouge, les réseaux aériens.
Source : AndrewGloe, le 6 décembre 2017.

1.2 – Éloignement, petite taille et absence d’effets d’agglomération

11Le deuxième handicap est également lié à la distance. Même en l’absence de coûts d’approche (essentiellement les coûts de transport), l’éloignement géographique des grands centres internationaux continue de peser fortement sur la compétitivité des entreprises insulaires. En effet, la proximité des grands marchés favorise une plus grande productivité de l’activité économique en donnant naissance à ce que l’on appelle communément des « économies d’agglomération » [9], conformément à la nouvelle économie géographique (Prager et Thisse, 2009). L’éloignement pour les DROM est donc synonyme de faibles retombées en matière d’économies d’agglomération, ce qui réduit la valeur ajoutée des firmes et donc la productivité apparente par travailleur. Ainsi, pour être compétitives, à performance égale, les entreprises domiennes devraient supporter des coûts du travail (salaires) significativement plus faibles que leurs homologues plus proches des grands marchés, ce qui d’un point de vue institutionnel est compliqué comme analysé plus bas.

12L’absence d’effets d’agglomération est également présente au niveau interne avec une impossibilité de dégager un progrès technique « endogène localisé » pour les petits territoires (Armstrong et Read, 2002). L’effet « grandes villes » et ses possibilités d’économies d’agglomération, d’ébullition de connaissances, d’incitation à la création et à l’innovation, sont inaccessibles aux petites économies insulaires isolées. Pour preuve, dans les 50 plus grandes villes françaises, l’on retrouve que deux villes ultramarines, en l’occurrence Saint-Denis (20e avec 150 535 habitants en 2018) et Saint-Paul (42e avec 103 492 habitants en 2018), toutes deux situées sur l’île de La Réunion. Le constat souvent réalisé d’un accès moindre des DROM aux technologies de l’information et de la communication par rapport à la moyenne nationale est symptomatique de cette situation. Bien évidemment, le retard technologique qui en résulte conduit à une perte de productivité et d’attractivité. D’un point de vue factuel, ce retard est perceptible à plusieurs niveaux. D’abord, l’effort de recherche dans les DROM ne relève que du secteur public (université et grands organismes publics de recherche), révélant l’absence des entreprises mal accompagnées par un système financier étroit et peu développé (Figure 2). Ensuite, le poids de l’emploi dans le secteur des nouvelles technologies de l’information et des communications reste faible en Outre-Mer comparé au niveau moyen métropolitain. Cela est particulièrement vrai pour la Guyane et La Réunion (et probablement Mayotte) (Tableau 1). Enfin, même si des progrès considérables ont été réalisés en matière d’équipement [10], l’accès des populations ultramarines aux nouvelles technologies est encore insuffisant (Tableau 2).

Figure 2

Pourcentage du PIB consacré aux dépenses de recherche, année 2017

Figure 2

Pourcentage du PIB consacré aux dépenses de recherche, année 2017

Source : Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ; Insee
Tableau 1

Établissements et emplois dans les Technologies de la Communication et du Secteur de l’Information [TCSI] par région en 2016

Établissements des TCSI en 2015Répartition des établissements des TCSI par régions en 2015 (en %)Emploi total dans les TCSI en 2016Poids des TCSI dans l’emploi total en 2016 (en %)Évolution de l’emploi dans les TCSI entre 2011 et 2016 (en %)
Île-de-France8844,94407,71,1
Auvergne-Rhône-Alpes199,81033,210,4
Provence-Alpes-Côte d’Azur147,6583,17,6
Occitanie137683,18,3
Nouvelle-Aquitaine115,8482,13,6
Grand Est94,6391,9-0,8
Hauts-de-France94,64226,6
Pays de la Loire73,7442,99
Bretagne63,1403,15,9
Normandie42,5201,6-2,7
Centre-Val de Loire42,1222,3-6,9
Bourgogne-Franche-Comté42181,7-8
La Réunion10,741,72,4
Guadeloupe10,622-3,3
Martinique9830,5222,7
Corse7330,411,45,4
Guyane3600,29391,4-0,3
France1971009603,63,3

Établissements et emplois dans les Technologies de la Communication et du Secteur de l’Information [TCSI] par région en 2016

Source : Insee, enquêtes technologies de l’Information et de la Communication 2017.
Tableau 2

Niveau d’équipement Internet (en %) dans les DOM et en France en 2017

GuadeloupeMartiniqueGuyaneLa RéunionFrance métropolitaine
Part des individus disposant d’un ordinateur à leur domicile (ordinateur fixe, portable, netbook ou tablette)7274777583
Part des individus disposant d’internet à leur domicile7778837885
Part des individus s’étant connectés à internet au cours des trois derniers mois6871797281
Part des individus s’étant connectés à internet tous les jours ou presque5152615265

Niveau d’équipement Internet (en %) dans les DOM et en France en 2017

Champ : individus de 15 ans ou plus vivant dans un ménage ordinaire, restreint pour La Guyane aux communes accessibles par la route.
Source : Insee, enquêtes technologies de l’Information et de la Communication 2017.

1.3 – Contraintes physiques, dépendance énergétique et risques naturels

13Le troisième handicap repose sur la présence de contraintes physiques découlant des caractéristiques géographiques de ces espaces, telles que la géologie, le climat tropical et la topographie.

14En premier lieu, la topographie, particulièrement compliquée pour les îles montagneuses comme la Réunion ou les territoires forestiers comme la Guyane, conjuguée à un réseau de transport interne mal adapté, peuvent expliquer plusieurs phénomènes persistants dans les outremers (Armstrong et Read, 2004). Une forte densité de population en zone littorale et des conflits induits sur le foncier avec les activités économiques sont souvent observés. L’on constate, encore, une fragmentation des marchés avec la présence d’une multitude de micromarchés dont les échanges avec l’extérieur et les tailles sont faibles. Cette fragmentation a tendance à créer des marchés captifs renforçant la position dominante des entreprises en situation de monopole, notamment dans la grande distribution.

15En second lieu, la géologie volcanique couplée à la petite surface implique l’absence de ressources naturelles (Briguglio, 1995), dont les précieuses ressources énergétiques. Les économies domiennes sont donc contraintes d’importer massivement des ressources fossiles (pétrole, gaz et charbon), ce qui expose les acteurs économiques (entreprises et ménages) aux chocs de prix sur les marchés internationaux. Selon le rapport 2019 de l’ADEME, les taux de dépendance énergétique étaient respectivement de 93,9 %, 93,3 %, 87,5 %, 82,4 % et 98,6 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Réunion, La Guyane et Mayotte. Et même si les stocks de pétrole sont encore disponibles en relative abondance, la technologie actuelle d’extraction ne permet pas sur la durée d’assurer l’équilibre dynamique entre l’offre et la demande mondiales, ce qui laisse présager un futur caractérisé par des prix de l’énergie fossile en croissance forte [11]. De plus, le nouveau cadre réglementaire international, focalisé sur les politiques d’atténuation du réchauffement climatique, devrait provoquer une augmentation du coût des carburants, notamment dans le domaine des transports [12] (ADLC, 2019 ; Dubois, 2016). Les compagnies maritimes et aériennes ne paraissent pas avoir d’autre choix que de répercuter ces coûts environnementaux dans les prix du transport.

16Enfin, le climat tropical implique un niveau élevé de risques naturels et environnementaux dont la gestion préventive ou corrective peut s’avérer relativement coûteuse pour les entreprises (respect de normes cycloniques et environnementales, frais d’assurance plus élevés). La récurrence, avérée pour les DROM, de certains chocs climatiques extrêmes (Figure 3), comme les cyclones ou les pluies diluviennes, peuvent impacter sévèrement les filières agricoles avec les conséquences que l’on connaît sur la flambée des prix, mais aussi les entreprises en général par les pertes de production et revenu liées à l’arrêt temporaire de l’activité économique. Par ailleurs, l’exposition forte du fret maritime aux aléas météorologiques (et sociaux) introduit la possibilité de ruptures dans la chaîne d’approvisionnement, conduisant les firmes locales à surstocker les produits essentiels à leur production et à se sur équiper afin d’assurer la production en cas de défaillance du capital physique. Bien évidemment, ce comportement engendre des surcoûts grevant davantage la compétitivité des entreprises.

Figure 3

Nombre de cyclones sur la période 1970-2014

Figure 3

Nombre de cyclones sur la période 1970-2014

Source : Feidouno, Goujon et Santoni (2017).

17Le changement global en cours devrait renforcer ces effets. Sur la base d’indicateurs composites, des travaux récents ont démontré que la plupart des territoires ultramarins français, à l’image des PEIDs, font partie des espaces les plus vulnérables au monde aux conséquences physiques du changement climatique (Goujon et Hoarau, 2020 ; Feidouno et al., 2020) (Figure 4) [13]. Des impacts négatifs directs sont attendus pour les acteurs économiques au niveau de l’activité agricole et du tourisme, de la maintenance ou du renforcement des infrastructures économiques, du coût des assurances, des ruptures d’approvisionnement par le fret maritime, du ralentissement de l’activité économique en général. Tout cela est susceptible d’imposer une nouvelle pression supplémentaire sur les coûts de fonctionnement déjà élevés pour les entreprises locales et des freins supplémentaires à la progression de leur productivité.

Figure 4

L’Indice de Vulnérabilité Physique au Changement Climatique pour les territoires ultramarins et La France en 2017

Figure 4

L’Indice de Vulnérabilité Physique au Changement Climatique pour les territoires ultramarins et La France en 2017

Source : Goujon et Hoarau (2020).

2 – Facteurs historiques, dépendance aux importations lointaines et protectionnisme

18Depuis l’avènement des nouvelles théories de la croissance endogène (Guellec et Ralle, 2003) et de l’école néo-institutionnaliste (Acemoglu et Robinson, 2013), un large consensus existe aujourd’hui sur le fait qu’en économie l’histoire compte dans le sens où les écarts contemporains de développement que l’on constate peuvent en partie s’expliquer par des facteurs du passé à travers l’effet des institutions, lequel a tendance à traverser les âges. Pour les PEIDs, y compris les outremers français, ce passé est d’abord celui de la colonisation européenne et des institutions coloniales, dont certains effets seront maintenus voire renforcés par la départementalisation.

19Globalement, à travers l’histoire, la colonisation européenne a revêtu deux visages distincts, à savoir la colonisation de peuplement et la colonisation d’extraction (Acemoglu et al., 2001). Les résultats en matière de développement comparé associés à ces deux modèles sont très différents dans la mesure où les institutions mises en place dans la colonie divergent fortement. Là où les Européens se sont dès l’origine installés massivement et durablement, ils ont amené avec eux les institutions qui ont permis le développement de l’Europe continentale (démocratie, protection de la propriété privée, État de droit, libre entreprise, éducation, etc.). À l’opposé, dans les colonies d’extraction, à l’image des DROM [14], le peuplement a été envisagé uniquement dans une logique d’implantation de main-d’œuvre nécessaire à la structuration et au fonctionnement d’une économie de plantation : les premiers colons européens suivis de l’immigration « forcée » par le biais de l’esclavage et de l’engagisme [15]. Plusieurs institutions extractives seront instaurées, en l’occurrence le Pacte colonial [16], le travail forcé et une école élitiste, dont les stigmates, partiellement gommés par la départementalisation (1946 pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane et La Réunion, et 2011 pour Mayotte), sont encore bien présents au niveau de la structure productive, des inégalités de richesse et de la faiblesse du capital humain des territoires ultramarins.

2.1 – Institutions coloniales et dépendance commerciale et alimentaire

20En premier lieu, le système « extractif » de la double exclusivité, associé au Pacte Colonial, a laissé des traces indélébiles dans la structure productive des économies domiennes (Hoarau, 2018). En effet, le partenaire privilégié est toujours la « lointaine » Europe avec une part écrasante de la France métropolitaine, au détriment du commerce régional [17] (Tableau 3). C’est également le cas pour le commerce de service, lequel se limite principalement à l’activité touristique (Ceron et Dubois, 2012). La structure de production, elle, est encore gouvernée significativement par la logique « exportations de produits agricoles tropicaux contre importations de produits manufacturés », conduisant au sous-développement (voire au blocage) de l’industrie domestique et à l’essor d’un secteur de l’import-distribution puissant et très concentré, à la fois horizontalement et verticalement.

Tableau 3

Décomposition (en %) du commerce extérieur des DROM, année 2018

FranceUE hors FranceRégionFrance+UE
GuadeloupeImports58,313,16,771,4
Exports34,66,245,840,8
Total46,459,6526,2556,1
GuyaneImports51,717,81269,5
Exports49,119,97,969
Total50,418,859,9569,25
MartiniqueImports57,118,85,175,9
Exports42,31,95244,2
Total49,710,3528,5560,05
MayotteImports5412,78,966,7
Exports36,88,732,545,5
Total45,410,720,756,1
RéunionImports5814172
Exports34111745
Total4612,5958,5

Décomposition (en %) du commerce extérieur des DROM, année 2018

21Source : INSEE et IEDOM

22De plus, à l’intérieur même du secteur agricole, le choix politique de la spécialisation sur des cultures de rente à l’exportation (sucre, banane, café, etc.) au détriment des cultures vivrières, caractérisant le modèle colonial d’économie de plantation, a été repris et encouragé par le modèle économique instauré par la départementalisation [18] (Audebert, 2011 ; Barlagne et al., 2015). Ceci va entraîner pour les économies ultramarines une lourde dépendance aux importations de biens alimentaires (Tableau 4) et donc une exposition excessive des entreprises de transformation et de distribution de biens alimentaires aux chocs de prix sur les marchés internationaux (Blancard et al., 2021). Ces derniers seront bien évidemment répercutés sur les prix à la consommation. Ce passé colonial se conjugue avec la contrainte de la petite taille pour maintenir durablement une structure de production et d’exportation très concentrée dans la double dimension sectorielle et géographique (Armstrong et al., 1998).

Tableau 4

Ratio de dépendance alimentaire pour les DOM, année 2014

Tableau 4
Dépendance alimentaire totale Dépendance alimentaire protéines Dépendance alimentaire énergie score rang score rang Score rang Guadeloupe 47,5 48 59,3 34 23,4 81 Guyane 9,8 102 68,7 20 3,2 120 Martinique 76,7 24 76,7 15 76,6 32 Réunion 58,1 38 25,9 64 94,8 19 France 17,2 .. 21,33 .. 14,44 ..

Ratio de dépendance alimentaire pour les DOM, année 2014

Source : Blancard et al. (2021)

23La multiplication des crises alimentaires mondiales au cours des 30 dernières années et l’importance du poste de l’alimentation dans le budget des ménages domiens doivent nous alerter sur le danger bien réel d’un renchérissement probable du coût d’accès à l’alimentation pour ces territoires dans le contexte nouveau du changement climatique. La tendance récente à des prix des biens alimentaires hauts et volatiles devrait se poursuivre durablement sous l’effet de ce phénomène (Figure 5). Les mauvaises récoltes dans les grands pays producteurs de denrées alimentaires pourraient devenir récurrentes à cause de l’intensification des évènements climatiques extrêmes (sécheresse, inondations, etc.), limitant par ailleurs la possibilité de constituer des stocks. Par ailleurs, la hausse des prix de l’énergie devrait participer à la hausse des coûts d’accès aux fertilisants, à l’irrigation et aux transports pour les filières agricoles et agroalimentaires locales. De plus, la nécessité de développer des sources énergétiques alternatives au pétrole détourne une partie importante des cultures pour fabriquer des bio-carburants, ce qui réduit l’offre alimentaire mondiale dans un contexte de demande croissante. Ces différentes évolutions témoignent d’une situation persistante de pénurie sur les marchés mondiaux et donc de prix des denrées alimentaires qui ne peuvent que croître pour les économies dépendantes. Par ailleurs, les marchandises d’origine animale produite localement, tributaires des importations de céréales pour nourrir les animaux, sont également susceptibles de voir leurs prix grimper (GIEC, 2019).

Figure 5

Indice FAO des prix des produits alimentaires, en termes nominaux et réels

Figure 5

Indice FAO des prix des produits alimentaires, en termes nominaux et réels

2.2 – Choix de spécialisation sur la « rente administrative », rattrapage social et syndrome hollandais

24En second lieu, la stratégie du développement par « la rente administrative », mise en œuvre avec la départementalisation (Poirine, 1993), basée sur le rattrapage social [19] et le développement d’un secteur public extraverti, a provoqué une augmentation sans précédent du niveau de vie des populations concernées (Duplouy, 2016). Dans le même temps, elle a stimulé les salaires nominaux à un rythme supérieur à celui de la progression de la productivité apparente du travail et au taux d’évolution de l’indice des prix, renchérissant le coût du travail et dégradant la compétitivité des entreprises locales (Dimou et Schaffar, 2014).

25Ce résultat est conforme aux enseignements de la célèbre littérature sur le « Dutch disease » ou syndrome hollandais (Corden et Neary, 1982 ; Poirine, 2007). Les transferts publics français et européens constituent une « manne » qui s’abat brutalement sur ces territoires, conduisant à des modifications structurellement profondes de leurs secteurs de biens échangeables (exportations, tourisme, productions locales concurrentes d’importation) et non échangeables (services, transports intérieurs, commerce, bâtiment et travaux publics, monopoles locaux, activités agricoles ou industrielles bénéficiant d’une forte protection douanière). Dans le secteur abrité, la forte élévation des revenus et de la demande intérieure pour les produits et les facteurs de production induit une hausse des prix plus rapide que dans le secteur exposé qui doit, lui, aligner ses prix sur celui des produits étrangers concurrents. Ainsi, les prix des produits non échangeables augmentent plus que ceux des produits échangeables. Les salaires du secteur en essor, celui percevant la manne, augmentent rapidement. Ces hausses de salaires finissent par se transmettre au secteur exposé qui voit augmenter le prix de ces intrants fournis par le secteur protégé et le coût de sa main-d’œuvre plus vite qu’il ne peut augmenter ses prix de vente. Par la suite, ses marges se trouvent pincer et son taux de profit diminue, provoquant sa disparition et une réallocation des facteurs de production vers le secteur abrité qui lui est en mesure d’augmenter ses prix pour préserver ses marges et ses profits [20].

26Cette situation de prix internes élevés découlant de l’effet « Dutch disease » n’a rien d’exceptionnel en contexte insulaire et n’est pas spécifique à la stratégie de la rente administrative. En suivant les démonstrations issues de la théorie de la base (Davezies, 2014 ; Poirine, 2015 ; Bertam et Poirine, 2018) et de la « spéciation » (Bertram et Poirine, 2007 ; Baldacchino et Bertram, 2009), étant donné leurs spécificités, le moteur de croissance pour les petites économies insulaires est nécessairement externe au départ, déterminé dans le cadre d’une stratégie de différenciation caractérisée par la recherche d’une rente, qu’elle soit naturelle, administrative, touristique, géopolitique ou encore institutionnelle. Par la suite, cette différenciation, débouchant naturellement sur une situation de forte spécialisation, « involves a conscious or quasi-conscious collective decision by the islander community to embrace the economic phenomenon of crowding-out, with “Dutch Disease” treated as an evolutionary opportunity rather than a threat » (Bertram et Poirine, 2007 : 330). Cette littérature considère ainsi qu’un système de prix a fortiori plus élevés en contexte insulaire (y compris pour les DROM) n’est pas nécessairement alarmant et n’est certainement pas incompatible avec une trajectoire de croissance et de développement soutenable.

2.3 – Stratégie d’import-substitution et coût du protectionnisme

27La combinaison de ces deux premiers effets historiques va conduire à une situation de détérioration forte du taux de couverture des échanges (importations fortes et exportations faibles) et de dépendance structurelle par rapport aux importations venues d’Europe (Figure 6). Pour lutter contre la dégradation de la balance commerciale, symptôme classique du syndrome hollandais, les DROM vont faire le choix de limiter la dépendance aux importations en mettant en place une stratégie industrielle reposant sur l’instauration d’une industrie légère dans une logique d’import-substitution, à la fin des années 1970 pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane et La Réunion, et au début des années 1990 pour Mayotte (Rochoux, 2016). Néanmoins, dans un contexte de vulnérabilité structurelle importante et de défaut de compétitivité-prix évident, il était nécessaire d’accompagner l’émergence et le développement de cette activité par une dose de « protectionnisme » ou plutôt de « compensation » (Gay et Poirine, 2016), à travers la mise en œuvre de l’octroi de mer.

Figure 6

Exportations, importations et balance commerciale (en % du PIB), année 2015

Figure 6

Exportations, importations et balance commerciale (en % du PIB), année 2015

Source : INSEE et Douanes 2015

28Sans revenir sur la description de ce dispositif (Syndex, 2011 ; Hermet, 2015), l’octroi de mer est un impôt composite indirect censé s’appliquer à tous les biens circulant sur les territoires domiens, aux marchandises importés bien sûr (sur la valeur CAF) mais aussi aux livraisons de biens dans le cadre d’activités de production locale (sur le prix hors TVA et hors accises). Ce qui fait la spécificité de l’outil, ce n’est donc pas l’outil en lui-même puisqu’il s’agit d’un impôt indirect classique et non pas d’un droit de douane, mais l’autorisation par la réglementation européenne d’un différentiel de taxation sur des produits similaires en fonction de leur lieu de fabrication (économie domestique versus reste du monde) et d’un système d’exonérations obligatoires et facultatives en faveur de la production locale [21].

29Même si l’octroi de mer n’est pas un droit de douane à proprement parlé, il revient à augmenter davantage encore la distance entre le consommateur et les importations, puisqu’il augmente le prix du produit importé comme le ferait une hausse des tarifs de fret ou une augmentation de la distance (Poirine, 2007). Un nouveau facteur historique de pression sur les prix apparaît donc par le canal de la fiscalité indirecte. Ce dernier est de nature à créer un écart positif supplémentaire entre les prix locaux et métropolitains, même si, comme il a été montré par les rapports de l’ADLC (2009) et Syndex (2011), cet écart reste peu important et surtout compensé par un différentiel de TVA largement en faveur des territoires ultramarins (Hermet, 2016).

2.4 – Inégalités sociales, désorganisation du marché du travail et pénurie de compétences

30Une autre source importante de surcoûts pour les entreprises ultramarines, et dégradant une nouvelle fois la productivité apparente du travail, réside dans les dysfonctionnements du marché du travail et de la mobilité du facteur travail, dont les racines sont bien historiques, ancrées à la fois dans le passé colonial et dans les limites de l’école républicaine à lutter contre les inégalités éducatives [22].

31Deux institutions coloniales sont susceptibles d’entraîner des troubles persistants en matière de disponibilité du capital humain. En premier lieu, le travail forcé (esclavagisme, engagisme, colonat partiaire [23]) comme cadre de détermination des règles sur le marché du travail a constitué un choc initial extrême dans la distribution des dotations au sein de ces territoires provoquant une profonde inégalité (des revenus mais aussi des patrimoines) au profit d’une minorité de la population « essentiellement blanche » (colons, administration coloniale). Piketty (2019) montre, en particulier, que les anciennes sociétés esclavagistes et coloniales ultramarines françaises figurent parmi les plus inégalitaires observées dans l’histoire : les 10 % les plus riches détenaient plus de 80 % des revenus et près de 100 % du patrimoine.

32En second lieu, l’école coloniale était structurée de manière duale et très hiérarchisée (Lucas, 2007) : (i) quand elle existe, une instance d’excellence d’enseignement secondaire et supérieur (avec les écoles de droit), dont l’unique objectif visait à former une élite en cohérence avec l’ordre colonial qu’elle devait faire vivre et reproduire, et (ii) un réseau d’écoles élémentaires, confié d’abord aux Congrégations et ensuite aux laïques, déshérités et contestés par la bourgeoisie locale, dont la vocation était de fournir à la grande partie « pauvre » de la population les rudiments d’instructions et les compétences nécessaires à la pérennité de leur destinée, en l’occurrence les métiers de l’agriculture pour les hommes et les tâches ménagères pour les femmes. En clair, il ne s’agissait pas pour l’école coloniale d’atténuer les différences sociales et raciales mais bien de construire un système éducatif adapté à ces différences voire à les légitimer.

33Malheureusement, en dépit d’un modèle scolaire qui sera fondamentalement réorganisé et amélioré avec la départementalisation, ces profondes disparités de capital humain, héritées de l’époque coloniale, vont persister sur la période récente, une fois encore par le mécanisme des institutions, mais « républicaines » cette fois-ci. Le principe « égalitariste » de l’école de la République n’est pas toujours compatible avec la réduction des inégalités sur des populations marquées par une grande diversité socialement constituée, avant l’entrée dans le cycle d’enseignement obligatoire, mais aussi anthropologiquement construit avec des populations immigrées en difficulté [24] (Lucas, 2017). Le fonctionnement reste néanmoins classique, certes plus intense pour les anciennes sociétés coloniales, reposant sur une combinaison de la transmission intergénérationnelle de la position socio-économique (et surtout des capabilités sociales) et des mécanismes institutionnels « pro riches » bien connus (sélectivité des financements par le système bancaire, les effets de pairs, l’effet « assurantiel » de la richesse héritée des parents, …). Cette intensité se nourrit d’autres problèmes cumulatifs dérivant des défaillances contemporaines de l’école républicaine. En effet, de manière surprenante, l’élitisme en matière d’éducation n’a pas disparu. L’investissement éducatif demeure encore très inégalement réparti au sein des populations françaises et d’Outre-Mer, selon les origines sociales des enfants comme de leur réussite scolaire initiale (Lucas, 2017 ; Piketty, 2019).

34Ces différents éléments permettent d’expliquer en partie l’observation d’un nombre moyen d’années d’études d’éducation plus faible dans les Outre-Mer par rapport à la métropole, ce qui contribue à la persistance d’une distribution plus inégale du capital humain et des revenus. Les faits sont effectivement cruels pour les DROM : les résultats en termes d’illettrisme (Figure 7), de décrochage scolaire (Figure 8), et de diplômés du supérieur (Figure 9) sont particulièrement préoccupants. Une étude récente [25], dirigée par le ministère de l’éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche [MENESR], est particulièrement éclairante sur le lien entre inégalités éducatives et facteurs socio-historiques (MENESR, 2017). Les disparités de réussite scolaire sont particulièrement marquées en fonction de l’origine sociale des élèves dans les Outre-Mer, où le faible niveau global en lecture des élèves s’ajoute à de fortes inégalités entre les élèves les plus favorisés et les plus défavorisés (Figure 10).

Figure 7

Taux d’illettrisme pour les DROM et la métropole, année 2014

Figure 7

Taux d’illettrisme pour les DROM et la métropole, année 2014

Champ : Personnes âgées de 16 à 25 ans scolarisées sur le territoire français.
Source : enquêtes IVQ, INSEE 2011, 2012, 2014.
Figure 8

Décrochage scolaire dans les départements français, année 2014

Figure 8

Décrochage scolaire dans les départements français, année 2014

Source : INSEE-RP, 2014.
Figure 9

Niveau des diplômes des 25-34 ans selon le lieu de naissance et de résidence, année 2017

Figure 9

Niveau des diplômes des 25-34 ans selon le lieu de naissance et de résidence, année 2017

Champ : personnes non inscrites dans un établissement d’enseignement, qui habitent dans leur territoire de naissance.
Source : INSEE-RP, 2017.
Figure 10

Réussite scolaire et équité dans le premier degré pour les académies françaises, année 2014

Figure 10

Réussite scolaire et équité dans le premier degré pour les académies françaises, année 2014

Source : à partir de calculs DEPP, MEN-DEPP, 2015.

35Ces inégalités d’accès à la formation, à l’éducation et à l’emploi sont renforcées par un défaut de mobilité du facteur travail. Cette relative immobilité repose sur une certaine inarticulation spatiale entre des agglomérations et des zones touristiques où se concentre l’essentiel des emplois et services publics, et des bassins de peuplement de plus en plus « ruralisés », en réaction à la congestion, à la surpopulation des villes-centres, et au phénomène de gentrification sociale associé à un coût du foncier difficilement supportable pour des populations socialement précaires (Audebert, 2011). À cela s’ajoutent les défauts d’aménagement du territoire en matière de transport, avec la stratégie délibérée du « tout automobile » et du sous-développement induit des transports collectifs, pénalisant en particulier les populations pauvres forcées d’habiter dans les zones reculées et n’ayant pas toujours accès pour des raisons financières évidentes à la voiture [26].

36On voit alors apparaître un « paradoxe » entre un taux de chômage fort dans les DROM comparativement à la métropole et de grandes difficultés, malgré tout, pour les chefs d’entreprise de satisfaire leur demande de travailleurs. Ce paradoxe témoigne en fait de la présence d’un défaut d’appariement entre l’offre et la demande de travail (Figure 11) à un double niveau (L’Horty, 2014) : (i) une inadéquation entre les qualifications et compétences désirées par les employeurs et celles offertes par les demandeurs d’emploi dues aux défaillances historiques et contemporaines du système éducatif (« skill mismatch »), et (ii) la combinaison d’une distance physique importante entre les lieux de localisation des emplois et de résidence des personnes, et les difficultés de mobilité domicile-travail particulièrement prégnantes dans les DROM résultant de contraintes physiques et géographiques, couplées à un déficit d’infrastructures et à une mauvaise organisation des réseaux de transport (« spatial mismatch »).

Figure 11

Courbe de Beveridge pour les DOM et la France métropolitaine, 1996-2014

Figure 11

Courbe de Beveridge pour les DOM et la France métropolitaine, 1996-2014

Source : L’Horty (2014)

37Cette moindre qualité d’appariement sur les marchés du travail ultramarins va entraîner des surcoûts supplémentaires pour les entreprises locales. Premièrement, la pénurie de main-d’œuvre dans la double dimension quantité et qualité (compétences) est susceptible d’engendrer une durée de vacance des postes plus longue que sur le continent, avec les pertes que cela implique en termes de création de richesses. Deuxièmement, un certain nombre de chefs d’entreprise se voient contraints de recruter sur la base du « savoir-être » plutôt que sur celle du « savoir-faire », ce qui entraîne deux types de coûts : (i) la nécessité d’un investissement conséquent en formation interne pour en plus une perte, temporaire certes, de productivité à la fois du salarié en charge de la formation et du salarié en formation et (ii) le risque d’un recrutement raté et des pertes non récupérables liées à l’investissement initial sur le personnel retenu (coûts d’intégration et de formation, salaires versés, charges sociales, coûts de rupture). Dernièrement, si la compétence recherchée est spécifique et disponible uniquement en dehors du territoire, le déplacement indispensable des personnes visées engendre souvent des frais supplémentaires liés aux conditions et avantages assortis au poste (frais de déplacement, d’hébergement, de vie chère, etc.).

3 – Petite taille économique, absence d’économies d’échelle et défaut de concurrence

38Une autre entrave qui pèse lourdement sur les territoires ultramarins est celle de la petite taille économique, laquelle couplée avec les spécificités géographiques exposées plus haut, devient une limite très sérieuse en matière de compétitivité des entreprises, engendrant naturellement un contexte de prix élevés dans un environnement économique gouverné par des structures monopolistiques ou oligopolistiques. La petite taille se définit ici comme un marché économique restreint, lequel s’apprécie par la combinaison de l’importance de la population et de son pouvoir d’achat. L’étroitesse économique est clairement une réalité pour les territoires ultramarins français, aussi bien en termes de taille physique [27] que de pouvoir d’achat (Figure 12).

Figure 12

PIB par habitant en dollar PPA des DROM et la France métropolitaine, années 2005, 2010, 2014

Figure 12

PIB par habitant en dollar PPA des DROM et la France métropolitaine, années 2005, 2010, 2014

Source : Hoarau (2016).

3.1 – Étroitesse des marchés et fragilité du tissu économique

39Cet aspect a depuis longtemps été formalisé par la science économique à travers le concept de sous-optimalité économique en contexte insulaire (Armstrong et al., 1998), lequel met en lien petite taille, économies d’échelle, indivisibilités, efficience et compétitivité. En clair, il existerait un niveau minimum de production à partir duquel cette production deviendrait faisable. Si la demande domestique se trouve en dessous de ce seuil alors une activité de production à grande échelle n’est pas compétitive dans la mesure où le manque d’économies d’échelle conduit à une sous-utilisation du capital installé et donc à des coûts fixes unitaires plus élevés par rapport à des territoires plus vastes. Cette faiblesse des économies d’échelle ne permet pas aux entreprises de jouer sur une augmentation de leur taille pour diminuer leurs coûts, conduisant à un tissu productif local fragile essentiellement composé de petites et moyennes entreprises [PME]. La pénurie d’entreprises moyennes et grandes, et des services aux entreprises accompagnant souvent les grandes structures, est particulièrement symptomatique de la fragilité du tissu économique des outremers (Figure 13).

Figure 13

Relation entre la taille des entreprises et les services aux entreprises pour les régions françaises, année 2011

Figure 13

Relation entre la taille des entreprises et les services aux entreprises pour les régions françaises, année 2011

Source : INSEE, comptes définitifs.

3.2 – Perspectives de débouchés limitées et structures de marché oligopolistiques

40Par ailleurs, la faiblesse de la demande (et de son pouvoir d’achat) réduit les possibilités de consommation et donc les débouchés, limitant ainsi le nombre d’entreprises capables de desservir de manière efficace le marché local (Briguglio, 1995) : la modestie du marché potentiel et les coûts de commerce associés incitent les acteurs économiques à délaisser ce marché. Ceci implique que, même en présence de PME, la petite taille de marché joue sur sa structure en favorisant les situations de monopoles et d’oligopoles, avec la menace potentielle de la pratique de « marges abusives » gonflant artificiellement les prix.

41Qu’en est-il réellement dans les Outre-Mer ? En fait, un consensus semble se dégager à deux niveaux (Syndex, 2011 ; ADLC, 2019). D’abord, la présence de structures oligopolistiques dans les économies domiennes ne fait plus de doute aujourd’hui. Tous les secteurs de l’économie sont concernés par ce phénomène de concentration et des possibilités induites de « capture de rente » : l’import-substitution (l’industrie de transformation locale), l’import-distribution en général (grande distribution, automobile, biens d’équipement de la maison ou des personnes, etc.) mais aussi les secteurs protégés des services (services bancaires, services immobiliers, services aux entreprises, le transport, etc.). Par ailleurs, cette concentration des entreprises se fait à la fois de manière horizontale et verticale. Certains groupes contrôlent un grand nombre d’enseignes à l’intérieur du même secteur d’activité. D’autres dominent la chaîne de distribution amont/aval (commerce de gros et de détail). D’autres encore sont présents dans plusieurs secteurs d’activités différents. Ensuite, les entreprises ultramarines n’ont rien à envier à leurs homologues métropolitains en termes de profitabilité (INSEE, 2016, 2021). En effet, sur la période récente, elles dégagent des taux de profits bruts d’exploitation ou encore des taux de marge (après incorporation de tous les coûts associés à la distance, à la fiscalité et aux salaires) nettement supérieurs à ceux d’entreprises métropolitaines équivalentes : pour l’année 2018, les taux de marge moyens étaient de 32,7 %, 38,5 %, 32,3 % et 27,6 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane et La Réunion, respectivement, contre 25,7 % pour la métropole [28].

42La présence évidente de marges supérieures pour les firmes ultramarines sont-elles pour autant la traduction d’un comportement abusif de ces dernières à travers la pratique délibérée de marges « excessives ». C’est ce que semble nous dire pour La Réunion le rapport Syndex (2011), montrant des écarts significatifs de profitabilité, parfois supérieurs à plus de 13 points, avec une incidence de plus 17 % sur les prix intérieurs. Le rapport relie ce résultat directement au faible degré de concurrence sur le territoire permettant aux entreprises domestiques d’imposer des prix relativement élevés et de dégager ainsi des taux de profit anormalement hauts, tout en s’abritant derrière les arguments populaires et « populistes » de l’éloignement et de la fiscalité liée à l’octroi de mer. Ce constat n’est toutefois pas partagé par la récente étude de l’ADLC (2009). Le dernier avis de l’ADLC montre bien la présence en Outre-Mer de marges supérieures à ce que l’on peut trouver en métropole à tous les maillons de la chaîne de valeur, mais aucun signe de marges excessives n’est clairement identifié pour chacun des maillons pris individuellement. Toutefois, l’accumulation de ces marges le long de la chaîne de valeur peut expliquer une partie significative des écarts de prix avec la métropole d’autant plus que dans les Outre-Mer, il n’est pas rare qu’une même chaîne de valeur soit détenue en grande partie par un seul groupe [29].

43En fait, plusieurs facteurs peuvent justifier l’existence « légitime » de marges plus élevées dans les Outre-Mer. Premièrement, comme il a déjà été indiqué, les contraintes associées aux handicaps de l’ultra-périphéricité sont reconnues depuis longtemps et ont donné lieu à l’instauration de mesures spécifiques en faveur des entreprises domiennes [30] (ADIR, 2016 ; IEDOM, 2020) qui montrent un effet certain. Notamment, les charges sociales de personnel et les taux d’imposition sur la production (rapportés au chiffre d’affaires) plus faibles compensent en grande partie les écarts constatés sur le poids des consommations intermédiaires dans le chiffre d’affaires et sur le taux de valeur ajoutée dans le chiffre d’affaires (Dreyer et Savoye, 2013) [31]. Toutefois, Dreyer et Savoye (2011) précisent également que ces nombreux dispositifs n’ont pas permis d’atténuer certaines différences inhérentes au contexte ultrapériphérique, telles que l’orientation commerciale plus marquée de l’activité, la plus petite taille des entreprises, et les niveaux d’équipement et de valeur ajoutée par salarié plus faibles. Une étude récente, pilotée par le Ministère de l’Outre-Mer en 2016, vient conforter cette observation, en mettant en lumière que les aides dont bénéficient les entreprises ultramarines ne « surcompensent » pas, loin de là, tous les handicaps qu’elles subissent. Concernant en particulier les aides au fonctionnement, la totalité de celles-ci n’atteint pas le tiers de l’ensemble des surcoûts estimés.

44Deuxièmement, un taux de marge élevé ne signifie pas un bénéfice élevé puisqu’à ce stade l’entreprise n’a toujours pas payé les impôts et taxes d’exploitation (impôts sur les bénéfices, cotisation foncière des entreprises, etc.), n’a pas assuré le remboursement de ses dettes, n’a pas financé ses investissements, n’a pas reversé de dividendes aux propriétaires et n’a toujours pas compté les amortissements de ses investissements passés. Il est particulièrement intéressant de s’attarder sur l’aspect lié à l’investissement. Dans un environnement économique marqué par les structures monopolistiques/oligopolistiques et une incertitude forte sur l’avenir, comme c’est le cas pour les DROM, le caractère largement irréversible de certains investissements conduit à une distribution asymétrique des valeurs futures de la rentabilité marginale du capital car la firme ne pourra pas désinvestir dans le futur si des chocs adverses se produisent. Par conséquent, elle investira moins aujourd’hui pour limiter la fréquence des situations non désirées dans le futur dans lesquelles elles se retrouveraient avec un niveau de capital supérieur au niveau souhaité (Caballero et Pindyck, 1996). Dans ce contexte, le taux d’investissement ne résulte plus uniquement d’une comparaison entre les taux d’intérêt et de rendement interne, mais devient conditionnel à l’importance du taux de marge courant, légitimant la pratique de marges élevées pour maintenir une certaine incitation à investir. C’est d’ailleurs ce que les faits tendent à montrer puisque, dans les cas réunionnais et martiniquais, les derniers travaux de l’INSEE (2016, 2021) mettent en évidence que les secteurs pour lesquels les écarts de taux de marge sont les plus prononcés sont également ceux qui affichent des taux d’investissement similaires ou supérieurs aux niveaux métropolitains.

3.3 – Défaut de concurrence et spécificités locales

45Pour apprécier pleinement l’ampleur de cette dérive des prix intérieurs, il faut analyser le processus à travers le prisme du défaut de concurrence généralisé combiné à un certain nombre de spécificités locales.

46En premier lieu, l’existence de profondes inégalités de répartition des revenus au sein des populations ultramarines fait apparaître deux types distincts de demande, à savoir une demande à revenus élevés et très élevés (chefs d’entreprises, professions libérales, salariés qualifiés du secteur privé, fonctionnaires d’État et territoriaux sur-rémunérés) et une demande à faibles revenus (autres salariés et minima sociaux) (Figure 14). Les entreprises locales, disposant d’un pouvoir de marché, peuvent alors discriminer entre ces types de demandes en pratiquant une politique de prix ciblant directement la partie supérieure du marché (Lagadec et Farvaque, 2015). La baisse potentielle des quantités vendues est compensée par une hausse des prix de manière à garantir des marges fortes au détriment des consommateurs les plus pauvres.

Figure 14

Répartition des revenus par déciles dans les DOM, année 2017

Figure 14

Répartition des revenus par déciles dans les DOM, année 2017

Source : INSEE, Budget de famille 2017.

47Le dispositif, désormais institutionnalisé, de la sur-rémunération pose particulièrement question [32]. D’abord, parce qu’il concerne une part significative des emplois dans les outremers [33]. Ensuite, parce qu’en plus d’élever mécaniquement la courbe de demande globale par rapport à la métropole, il contribue à l’étroitesse même des débouchés localement en alimentant une consommation totalement extravertie, renforçant les mécanismes d’offre associés aux structures de marchés. La « sacralisation » de la sur-rémunération est censée garantir une relative paix sociale dans la pure tradition française d’ajustement social du marché du travail [34]. Toutefois, celle-ci apparaît de plus en plus fragile sur des territoires où la cohésion sociale semble de plus en plus menacée par des soulèvements populaires récurrents dénonçant les niveaux structurellement trop élevés du chômage, des inégalités et des prix. Pour autant, il serait dangereux de revenir brutalement sur le dispositif de sur-rémunération des fonctionnaires. N’oublions pas que le principal moteur de croissance dans les territoires d’Outre-Mer est la consommation des ménages. La sur-rémunération, même si elle participe aux niveaux élevés des prix et aux inégalités de répartition des richesses au sein des populations concernées, exerce aussi un puissant effet revenu lequel, à travers le mécanisme bien connu du multiplicateur keynésien de la dépense, booste la consommation et l’activité économique. Notamment, Mathouraparsad (2016), à partir d’un modèle d’équilibre général calculable couplé à une micro-simulation, met en évidence pour La Guadeloupe que le gain en termes de baisse de prix, suite à la suppression du dispositif, serait plus que compensé par les pertes en termes de hausse du chômage et de pauvreté.

48En second lieu, l’octroi de mer, fonctionnant comme une barrière protectionniste, permet à des entreprises déjà en situation de monopole ou d’oligopole sur les marchés intérieurs de sécuriser leur position par rapport à la concurrence potentielle des importations (Poirine, 2007). Leur pouvoir de marché s’en trouve davantage renforcé ainsi que leur velléité à maintenir leur situation de rente en augmentant les prix. Il n’est d’ailleurs pas surprenant d’observer l’acharnement de certaines organisations locales à défendre coûte que coûte ce dispositif. De manière contre-intuitive, ce système profite également au secteur de l’import-distribution. Dans la mesure où il se trouve lui-même en position d’oligopole, il peut invoquer le prétexte de la cherté des coûts des produits locaux pour les vendre au détail à des prix élevés mais surtout pour aligner au passage les prix des substituts importés sur les prix de ces derniers dans la pure tradition d’un comportement de marge.

49En dernier lieu, conformément à ce qui est habituellement constaté dans les petits territoires insulaires, il existe une certaine proximité ou porosité entre les sphères économiques et politiques (Lagadec et Farvaque, 2015). La combinaison entre la petite taille de l’économie et la petite taille de la population renforce les liens interpersonnels entre les propriétaires du capital et les politiciens. Il est même parfois difficile de faire la distinction entre les deux lorsque certains acteurs économiques se lancent dans la politique. Cette possible collusion entre pouvoirs économique et politique, peu visible pour le citoyen, encourage les comportements de corruption et de recherche de rentes, comme en témoigne l’intervention du député guyanais Gabriel Serville lors la séance du 09/10/2012 relative au projet de loi sur la Régulation Économique Outre-Mer [REOM], déclarant que « rentes de situation, captations de richesses, marges outrageusement abusives et parfois endogamie de certaines élites économiques participent à l’opacité commerciale, la corruption et le cloisonnement de nos marchés ». Le fait que les DROM se situent parmi les régions françaises les plus corrompues semble corroborer cette déclaration (Figure 15).

Figure 15

Niveau de la corruption en Outre-Mer pour 2016

Figure 15

Niveau de la corruption en Outre-Mer pour 2016

Source : Transparency International.

4 – Quelques (pistes de) recommandations de politiques économiques en guise de conclusion

50De cette analyse, il ressort qu’une grande partie des écarts de prix entre les DROM et la France métropolitaine est très probablement de nature structurelle. Ces derniers découlent d’un défaut de compétitivité des entreprises ultramarines, dû à un vaste ensemble de contraintes subies qui entraînent à la fois des surcoûts, imposés par le fait d’entreprendre en outremer, et la perspective de gains de productivité du travail réduits dans un cadre réglementaire imposant pourtant les mêmes conditions de salaires qu’en métropole. Ce contexte expose également ces territoires à un renforcement de la persistance des chocs exogènes internationaux. Pour autant, la nature structurelle de la situation ne signifie pas que rien ne peut être fait. L’on touche ici à la dimension de la politique économique courante, et par conséquent, conformément à la définition du concept de vulnérabilité globale, à la construction de la capacité de résilience des DROM limitant la partie « induite » de la vulnérabilité territoriale. Conformément à une partie de littérature contemporaine (Lee et Smith, 2010 ; Bertram et Poirine, 2018), nous rejetons ainsi le discours traditionnel sur « la victimisation systématique des petites économies insulaires » presque condamnées à ne jamais pouvoir s’en sortir sans le regard bienveillant et protecteur de la communauté internationale.

51Traditionnellement, les politiques économiques de lutte contre la vie chère dans les DROM ont adopté la voie de la réglementation en essayant de contrôler les prix et/ou les marges des produits (Montet et Venayre, 2013 ; Hermet et Rochoux, 2014). En témoigne le dispositif du Bouclier Qualité Prix (BQP) [35], introduit en 2012 par la loi REOM, et renforcé par la loi sur l’Égalité Réelle en Outre-Mer [EROM] [36], désormais présent dans toutes les déclarations de la classe politique ultramarine en dépit de son manque d’efficacité sur la réduction globale des prix alimentaires (ADLC, 2019). Pourtant, la théorie économique a démontré depuis longtemps que le contrôle des prix et/ou des marges est très largement inefficace, le décideur public ignorant les structures de coût des firmes. Il peut même être potentiellement à l’origine de nombreux effets pervers, comme la réduction de l’entrée et de l’investissement à long terme et la détérioration de la qualité des produits (Morton 2011), et même paradoxalement la diminution du surplus du consommateur si la fonction de demande est non linéaire (Bulow et Klemperer, 2011). Aussi, nous pensons qu’une approche plus prometteuse devrait s’attaquer aux vraies causes, plutôt qu’aux conséquences, de la vie chère. Tout en sécurisant le système de compensation des handicaps permanents subis par les entreprises ultramarines, celle-ci ne peut donc être que structurelle, en renforçant l’intensité concurrentielle sur les marchés locaux lorsque cela est possible, d’une part, et en repensant l’organisation des industries locales selon le prisme des exportations et de la coopération régionale, d’autre part.

52Il y a d’abord ce qu’il ne faut surtout pas faire. Comme il a déjà été rappelé, les surcoûts de production en Outre-Mer, résultant des nombreuses contraintes structurelles, sont depuis longtemps reconnus par les décideurs politiques et à l’origine d’un véritable arsenal d’aides publiques (nationales et européennes) en faveur de ces économies. Toutefois, il a aussi été montré que ces aides ne permettent pas de compenser l’intégralité des coûts découlant des handicaps lourds que ces îles subissent. Il paraît donc décisif de maintenir ces « outils de compensation ». Or, sur la période récente, conformément à la logique d’austérité suivie par les autorités nationales et européennes, l’importance de ces aides ont plutôt tendance à diminuer [37], alors que les surcoûts, eux, persistent voire même augmentent (ADIR, 2016). Concernant en particulier l’octroi de mer, même si cette taxe indirecte participe à la cherté de la vie, et est perçue de plus en plus comme injuste par les populations ultramarines, sa suppression aurait des conséquences dramatiques sur leur pouvoir d’achat. En construisant un modèle d’équilibre général calculable pour La Réunion, Croissant et al. (2019) trouvent que la baisse du niveau général des prix consécutive à l’arrêt du dispositif serait plus que compensée par une baisse de la croissance économique et une hausse du chômage réduisant la distribution de revenus localement.

53Il y a ensuite les actions qu’il convient de renforcer. Si l’on considère que l’organisation des marchés dans les outremers, sous la forme de monopoles et d’oligopoles, débouche parfois (voire souvent) sur des situations de marges abusives, ce qui participe de manière significative aux écarts de prix, alors deux initiatives déjà entreprises dans le cadre de la loi REOM doivent être soutenues.

54Premièrement, il est indispensable d’améliorer la qualité d’observation du fonctionnement des marchés et des mécanismes de formation des prix dans les DROM en sécurisant le rôle et les moyens d’action de l’« Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus » [OPMR]. L’exigence d’efficacité des OPMR est un facteur qui peut encourager la transparence et donc inciter les acteurs économiques à une certaine discipline.

55Deuxièmement, l’Autorité de la Concurrence [ADLC] doit rester vigilante et poursuivre ses efforts en matière de surveillance et de réglementation des structures de marchés en Outre-Mer. La concurrence pure et parfaite étant par nature impossible à mettre en place dans ces territoires, il s’agit de garantir un certain degré de « contestabilité » des différents marchés en veillant à la libre entrée et sortie des entreprises et en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles [38]. Depuis le soulèvement populaire aux Antilles contre la vie chère en 2009, un certain nombre de dispositions législatives ont été prises pour asseoir le pouvoir d’intervention de l’ADLC en Outre-Mer dans le cadre de la loi REOM [39]. Sur la période 2009-2019, l’activité de l’ADLC a d’ailleurs été bouillonnante avec l’adoption de décisions fortes en matière de concurrence (ADLC, 2019) même si, comme le précise l’autorité elle-même, les résultats en matière de réduction des prix ne seront visibles qu’à moyen terme. Il est donc encore trop tôt pour tirer des conclusions en matière d’évaluation de ces mesures. Toutefois, cet élan dans la direction de « faciliter le jeu de la concurrence (…) en abaissant les barrières à l’entrée (…) en remettant en cause les comportements des opérateurs susceptibles d’atténuer l’intensité de la concurrence, en améliorant la transparence des prix pour le consommateur et en encourageant la mise en place d’infrastructures logistiques à même de réduire les coûts et de faciliter l’accès des importateurs » [40] doit se poursuivre pour faire oublier notamment la déception du texte final de la loi REOM, lequel continue à accorder une place significative aux règles traditionnelles de contrôle des prix et des marges (Montet et Venayre, 2013).

56Il y a enfin les actions nouvelles à mettre en place. S’il est légitime de considérer que les contraintes structurelles les plus problématiques sont le manque d’économie d’échelle dû à la petite taille et les coûts de transport liés à l’éloignement/isolement, alors la réflexion sur la compétitivité des entreprises ultramarines doit porter en priorité sur le canal du commerce extérieur [41]. Une première piste serait de réduire la dépendance par rapport aux importations alimentaires en provenance de métropole et d’Europe en optant pour la carte de l’approvisionnement régional. Cette réorientation vers le commerce régional aurait le double avantage de faire baisser le coût d’achat des matières premières et le coût des transports en réduisant la distance. Il s’agit donc de construire une vraie stratégie de souveraineté alimentaire régionale, même si les défis de l’harmonisation des normes environnementales et sanitaires, et de la corruption très prononcée dans certains pays de la zone, sont particulièrement difficiles à relever. Une seconde piste consisterait à créer des opportunités d’économies d’échelle en encourageant l’industrie domestique à miser sur les exportations tout en limitant le coût de la distance de ces exportations. Encore une fois l’option de l’intégration régionale doit être interrogée même s’il n’existe pas aujourd’hui d’idées véritablement claires sur quoi exporter et vers où exporter. Le développement d’une industrie agroalimentaire de haute qualité, tournée vers les petits marchés touristiques régionaux « de luxe », pourrait être une piste intéressante pour des territoires comme La Réunion et La Guyane.

57Pour conclure, le problème de la vie chère en Outre-Mer relève plus d’un défaut de distribution de revenus que de dérives des prix. En reprenant les propos de Hermet et Rochoux (2014), « le seul espoir sérieux est lié à l’augmentation du pouvoir d’achat par la croissance de l’emploi. Pour relever ce défi, [le monde ultramarin] doit aujourd’hui réfléchir à une stratégie de développement qui prenne le relais de celles qui l’ont formidablement transformé. En d’autres termes, il est devenu indispensable pour [les DROM] de trouver de nouveaux relais de croissance susceptibles de renforcer ses positions et de lui permettre de conquérir de nouveaux marchés en dehors de ses frontières » (Hermet et Rochoux, 2014 : 97).

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Mots-clés éditeurs : compétitivité, DROM, vulnérabilité structurelle, surcoûts, vie chère

Date de mise en ligne : 04/02/2022

https://doi.org/10.3166/ges. 2021.0020

Notes

  • [1]
    Ces écarts sont principalement tirés par les prix des produits alimentaires : +33 % pour La Guadeloupe, +38 % pour La Martinique, +34 % pour La Guyane, +28 % pour La Réunion et +19 % pour Mayotte en 2015.
  • [2]
    La vulnérabilité économique globale se définit comme le risque qu’un pays subisse une baisse significative de son taux de croissance moyen à long terme suite à des chocs exogènes imprévus. Elle est constituée de trois éléments, à savoir (i) l’ampleur et la récurrence des chocs, (ii) l’exposition aux chocs, (iii) et le défaut de résilience (capacité à réagir aux chocs) encore appelé « vulnérabilité construite ».
  • [3]
    L’on retrouve les conditions géographiques (petite superficie, éloignement, isolement, exposition à de nombreux chocs exogènes, écosystèmes fragiles), l’histoire (liens politiques particuliers avec l’ancienne puissance coloniale, dépendance par rapport à l’extérieur, reproduction de certaines institutions coloniales), la situation sociale (intensité faible et volatilité du capital humain, instabilité du marché du travail, insécurité), la structure économique (défauts d’économies d’échelle, marchés locaux limités, manque de diversification des activités économiques, accès difficile aux ressources externes, prévalence de monopole naturel et de structures oligopolistiques).
  • [4]
    En 2013, la productivité apparente du travail des DROM représentait en moyenne 80 % du niveau métropolitain : 97 % pour la Guyane, 84,6 % pour la Guadeloupe, 83 % pour le Martinique, 80,7 % pour la Réunion et 55 % pour Mayotte (INSEE, Comptes régionaux, Estimations d’emploi et de population).
  • [5]
    Les spécificités des DROM ont été consacrées par les traités d’Amsterdam de 1997 (article 299 §2) et de Lisbonne de 2007 (articles 349 et 355 §1) modifiant le traité sur l’Union Européenne et le traité instituant la Communauté Européenne.
  • [6]
    La rentabilité d’une entreprise, et donc ses profits, sont déterminés par la différence entre les recettes totales, elles-mêmes obtenues par les ventes en valeur (prix fois quantités), et les coûts totaux. Dans la mesure où par rapport à la métropole, en Outre-Mer, comme nous le verrons plus loin, les quantités vendues sont moindres (défaut d’économie d’échelle et défaut de productivité) et les coûts totaux sont plus importants (coûts fixes élevés et rigidité des salaires), alors maintenir une rentabilité similaire au niveau métropolitain implique nécessairement des prix plus élevés. Aussi, chercher à supprimer ces écarts pourrait même se révéler être dangereux dans la mesure où des prix plus élevés en Outre-Mer permettent de maintenir tant bien que mal, dans un système d’économie de marché, une certaine rentabilité pour des entreprises caractérisées par une forte vulnérabilité structurelle, et donc un certain niveau d’emplois et de revenus.
  • [7]
    À l’image des PEIDs les DROM sont indiscutablement price-takers (plus que toute autre économie), ce qui se traduit par un effet de « pass through » particulièrement puissant sur les prix internes (Briguglio, 1995).
  • [8]
    Précisons ici que les flux d’importation et d’exportation sont généralement fortement asymétriques (les imports sont très supérieurs aux exports), ce qui engendre, pour l’ensemble des compagnies maritimes concernées, des surcoûts liés à la gestion des conteneurs vides qui sont répercutés sur les clients (ADLC, 2019).
  • [9]
    Plus précisément la densité d’emploi, la disponibilité de services aux entreprises, la présence d’une main-d’œuvre spécialisée, l’émergence et la diffusion d’idées nouvelles, l’existence d’infrastructures modernes et performantes, le capital humain.
  • [10]
    Les territoires ultramarins bénéficient, comme l’ensemble du territoire national, du Plan France Très Haut Débit. Dans la plupart d’entre eux, des projets privés et publics de réseau fibre jusqu’à l’abonné sont aujourd’hui lancés, avec une accélération sur la période récente. Néanmoins, à l’exception notable de La Réunion, les DROM restent encore en retrait par rapport à la métropole (ARCEP, 2021). Le taux de locaux ayant accès au très haut débit en 2020 est de 55 %, 42 %, 31 %, 84 %, 18 % et 68 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane, La Réunion, Mayotte et la France métropolitaine respectivement.
  • [11]
    La présence du nucléaire et l’interconnexion des réseaux électriques sur le continent limitent significativement ce problème.
  • [12]
    Il est possible de citer par exemple la nouvelle réglementation « low sulfur », décidée par l’Organisation Maritime Internationale en 2016 pour une entrée en vigueur à compter du 01/01/2020, laquelle contraint les compagnies maritimes à réaliser de lourds investissements afin de modifier le carburant de toute leur flotte pour respecter un taux de soufre maximal de 0,5 % au lieu de 3,5 %. Il est possible également de mentionner le dispositif « Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation » [CORSIA], voté par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale en 2016, et pleinement en vigueur à partir de 2027, lequel prévoit la neutralité carbone des transports aériens internationaux sur la base des émissions de CO2 de 2020.
  • [13]
    Principalement, selon des degrés divers, par les aspects liés aux inondations (hausse du niveau des mers et/ou chocs pluviométriques), aux chocs de température, et au renforcement de l’activité cyclonique.
  • [14]
    En 1840, la population blanche (les colons) ne représentait que 19 %, 9 %, 9 %, et 6 % à La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, respectivement. Concernant Mayotte, il n’y a jamais eu véritablement de peuplement français.
  • [15]
    Des contrats de travail entre les « engagés » (africains, chinois et indiens) et les colons dans lequel les travailleurs s’engageaient à rembourser sur une période longue le prix de la traversée, initialement pris en charge par les employeurs, sous la forme d’un reversement d’une partie importante de leurs salaires. La durée de remboursement était conditionnée par la performance et la discipline au travail. Même si sur le plan formel, ce système ne pouvait être assimilé à l’esclavagisme, il n’en était pas très éloigné dans la pratique (Piketty, 2019).
  • [16]
    Le Pacte Colonial s’est construit autour d’une logique d’extraction pure de richesse, c’est-à-dire d’une mise en valeur du territoire colonial pour que celui-ci rapporte rapidement à la métropole plus qu’il ne lui coûte. C’est d’abord le système de la double exclusivité : produire et exporter vers la métropole (et uniquement vers la métropole) les matières premières indispensables au fonctionnement des industries et/ou recherchées par les consommateurs du continent, et servir de débouchés « privilégiés » pour les produits manufacturés métropolitains (interdiction de se fournir ailleurs). C’est aussi le privilège de pavillon, en l’occurrence le monopole français sur le transport maritime.
  • [17]
    Notons la part significative du commerce régional dans les exportations de La Guadeloupe et de La Martinique reposant essentiellement sur le marché unique Antilles-Guyane.
  • [18]
    À l’image des politiques de subventions françaises et européennes bénéficiant pendant longtemps aux cultures spéculatives de la canne et de la banane, et bloquant toutes incitations à la diversification. L’Union Européenne a récemment changé de stratégie concernant ces filières mais l’État français continue à assurer le relais.
  • [19]
    Plus précisément, l’introduction du revenu minimum d’insertion, l’alignement progressif du SMIC et des prestations sociales sur la métropole, la sur rémunération dans la fonction publique, l’alignement des salaires des cadres du secteur privé sur le secteur public.
  • [20]
    Le syndrome hollandais explique notamment pourquoi dans les DROM, le commerce, le BTP, les services, se développent aux dépens des exportations « traditionnelles », du tourisme et de l’industrie concurrente d’importation non protégée.
  • [21]
    Même si les Conseils régionaux disposent de certaines prérogatives dans la fixation des taux et la mise en œuvre du dispositif, ce dernier reste tout de même très encadré par l’Union Européenne de manière à ne pas créer de distorsion de concurrence. Il est de plus soumis à plusieurs conditions préalables, à savoir (i) l’existence d’une production locale, (ii) l’existence d’importations significatives de biens pouvant compromettre le maintien de la production locale et (iii) l’existence de surcoûts renchérissant les prix de revient de la production locale par rapport aux produits provenant de l’extérieur compromettant la compétitivité des produits locaux.
  • [22]
    La petite taille de la population joue aussi un rôle en imposant une quantité de main-d’œuvre disponible réduite (Armstrong et al., 1998).
  • [23]
    Le colonat partiaire correspond à un contrat agricole de type métayage dans lequel le travailleur s’engage à donner au propriétaire une partie (proportionnelle à la récolte totale et souvent importante) des biens agricoles produits. Le propriétaire pouvait également imposer au planteur locataire ses propres choix de culture. Ce système, considéré comme « une relique coloniale », n’a disparu définitivement que très récemment, en 2011.
  • [24]
    Ces populations viennent d’Haïti pour La Guadeloupe, du Suriname et du Brésil pour La Guyane, des Comores pour Mayotte et des Comores et de Mayotte pour La Réunion.
  • [25]
    En 2015, le ministère de l’éducation nationale a mis en place une évaluation de l’acquisition des compétences du socle commun à l’entrée en 6e. Les résultats ont permis de dresser une cartographie de la maîtrise de la langue à la fin du premier degré (compétence 1 du socle : lecture, orthographe, grammaire et vocabulaire) et des inégalités de résultats entre les élèves les plus favorisés et les élèves les moins favorisés socialement au niveau des 31 académies de France métropolitaine et des DROM.
  • [26]
    Le faible niveau de vie des ménages ultramarins limite leur accès à l’acquisition d’une voiture. En effet, l’achat d’un véhicule se finance à la fois par l’épargne des ménages et par le recours à l’emprunt, tous deux déterminés par leurs revenus. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des taux d’équipement automobile plus faibles en Outre-Mer par rapport à la moyenne métropolitaine : 70,2 % pour La Guadeloupe, 74 % pour La Martinique, 57,6 % pour La Guyane, 72,7 % pour La Réunion et 30 % pour Mayotte contre 81,3 % pour la métropole en 2018.
  • [27]
    En 2019, les populations de La Guadeloupe, de La Martinique, de La Guyane, de La Réunion et de Mayotte sont de 394 110, 376 480, 269 352, 852 924 et 270 372, respectivement contre 2 577 866 pour la région Centre-Val de Loire qui est la région la moins peuplée de la France continentale.
  • [28]
    Le rapport de l’excédent brut d’exploitation à la valeur ajoutée appelé taux de marge correspond à ce qui reste à disposition des entreprises, notamment pour rémunérer le capital et investir, une fois déduites les rémunérations salariales. Bien évidemment, le taux de marge est très influencé par l’appartenance d’une entreprise à un secteur économique : généralement plus faible pour la construction et l’hébergement/restauration et plus élevé pour l’immobilier et les technologies de l’information et des communications.
  • [29]
    Néanmoins, l’autorité précise qu’elle ne dispose pas des outils adéquats pour analyser les situations d’intégration verticale, c’est-à-dire lorsque toute la chaîne de valeur est détenue par un seul groupe.
  • [30]
    Globalement, celles-ci peuvent être regroupées en deux catégories, à savoir les soutiens à l’investissement productif (défiscalisation, Fonds Européen de DEveloppement Régional [FEDER], Fonds d‘Investissement de Proximité Outre-Mer) et les aides agissant sur le compte d’exploitation (les exonérations de cotisations patronales de sécurité sociale, les mesures de soutien au transport/fret, la prime à l’emploi et le contrat d’accès à l’emploi, l’aménagement de zones d’activités et de zones stratégiques, la déductibilité de la TVA sur certains produits exonérés, l’octroi de mer).
  • [31]
    Dreyer et Savoye (2013) insistent sur le fait que, même si le dispositif d’exonération partielle des charges sociales était destiné à soutenir la création d’emplois, il a permis de compenser indirectement les surcoûts de production qui grèvent les consommations intermédiaires. Garsaa et al. (2016) trouvent un effet positif de la réduction du coût du travail associée à cette mesure sur la création et/ou la préservation de l’emploi dans les Outre-Mer.
  • [32]
    Les majorations de traitement sont de 53 % pour La Réunion et de 40 % pour La Guadeloupe, La Martinique, La Guyane et Mayotte.
  • [33]
    Elle concerne la fonction publique d’état et territoriale bien évidemment mais également le secteur privé monopolistique et d’économie mixte qui se sont alignés sur les niveaux de rémunération de la fonction publique.
  • [34]
    Dans la tradition française du marché du travail, il s’agit de garantir un maintien de (sur)rémunération à des travailleurs du secteur formel indépendamment des performances du système économique auquel ils contribuent, quitte à accepter en contrepartie un chômage significatif. Cette conception s’oppose au modèle anglo-saxon d’ajustement du marché du travail par les salaires tenant compte de la productivité et des performances économiques et permettant une plus grande facilité de réduction du chômage.
  • [35]
    Le BQP est chargé de modérer le prix des produits de grande consommation. Le représentant de l’État, les distributeurs et les fournisseurs négocient sur le prix global d’une liste de produits génériques. C’est un prix plafond à respecter par chaque magasin, lequel identifie ensuite le produit retenu avec son prix, affiche la liste avec le prix global et détaillé et assure un étiquetage. Des contrôles, assortis de sanctions, un suivi, une évaluation, une négociation annuelle ainsi qu’une révision possible sont prévus. La loi EROM introduit la participation des transporteurs maritimes et des transitaires à la négociation des accords annuels de modération des prix.
  • [36]
    La loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique en Outre-Mer, dite loi Lurel, et la loi du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle Outre-Mer.
  • [37]
    La suppression de la TVA non récupérable, la diminution de la subvention au fret, la bascule du CICE en exonérations de charges sociales non intégralement compensée, la réduction du plafond d’abattement DOM pour l’impôt sur le revenu, et les menaces récurrentes sur le dispositif de l’octroi de mer et du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural [FEADER].
  • [38]
    L’on peut citer les phénomènes de collusion ou d’ententes, d’abus de position dominante, de pratiques commerciales restrictives, les conditions d’exclusivité à l’importation, les ventes liées, les comportements de prédation, les marges arrières injustifiées…)
  • [39]
    Les principales mesures portent la régulation des prix de gros dans le cas de monopoles ou oligopoles, l’interdiction des droits exclusifs d’importation, la multiplication des possibilités de saisir l’ADLC ainsi que la création d’un pouvoir d’injonction structurelle pour cette autorité, qui consiste à exiger d’un groupe dominant la revente de certains actifs (Hermet et Rochoux, 2014).
  • [40]
    Une citation tirée de l’étude d’impact du projet de loi (p. 17).
  • [41]
    Faire du commerce extérieur un moteur de croissance nécessitera de revoir la position centrale actuelle des cultures spéculatives dans les exportations locales, et par conséquent des politiques de subvention associées. Sur ce point, force est de constater que le courage politique a toujours fait cruellement défaut.

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