Notes
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[1]
Ce recul est cependant limité, car, à l’exception de Chartres (+ 1 %), les autres agglomérations régionales de taille comparable ont connu un recul allant de 2 à 7 %.
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[2]
Selon les termes du technicien de la communauté d’agglomération qui a piloté le projet (entretien mené le 17/01/2018).
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[3]
De septembre 2014 à mars 2015, un des auteurs de l’article a eu accès, par l’observation participante, à une dizaine de réunions préparant la candidature de l’écosystème tourangeau au label French Tech. La démarche était animée par la communauté d’agglomération de Tours sous l’impulsion de son vice-président au développement économique, élu maire de Tours quelques mois plus tôt et ancien président de la chambre de commerce et d’industrie d’Indre-et-Loire. Le gouvernement a incité au regroupement des candidatures d’Orléans et de Tours – à l’origine disjointes. Mais, faute d’écosystème suffisamment dense (à l’égal de Nantes ou de Toulouse, par exemple) ou suffisamment spécialisé (comme à Angers), la « French Tech Loire Valley » n’a pas été labellisée. Par contre, comme le gouvernement l’a autorisé, la communication locale sur le label n’a pas cessé, dans l’objet de renforcer peu à peu l’économie numérique des deux territoires.
Introduction
1La géographie des activités économiques se transforme aujourd’hui de manière inédite, sous l’influence simultanée des changements technologiques et de la profusion digitale, de la crise économique et des nouvelles formes d’emplois, et de la transition énergétique et écologique (Veltz, 2017 ; Talandier et Pecqueur, 2018). Dans ce contexte, des lieux alternatifs de travail apparaissent qui tendent à renouveler les modèles économiques et les schémas de développement urbain (Besson, 2017 ; Liefooghe et Leducq, 2017). Dénommés tiers-lieux, ils prennent des formes très diversifiées : makerspaces, hackerspaces, fablabs, livinglabs et espaces de coworking (Fabbri, 2016 ; Liefooghe, 2018).
2Cet article est centré sur les espaces de coworking (ECW), dont les fonctions apparaissent bien distinctes de celles des autres tiers-lieux (Fabbri, 2016). En première approche, on peut définir les ECW comme des lieux de travail partagés, bénéficiant d’une excellente connexion wifi, utilisés par différents types de professionnels (télétravailleurs, auto-entrepreneurs, etc.) travaillant à divers degrés de spécialisation dans le vaste domaine de l’industrie du savoir (consulting, journalisme, multimédia, etc.) (Gandini, 2015). L’essor du coworking s’inscrit dans un contexte de croissance rapide du nombre de travailleurs indépendants et de créateurs de startups utilisant activement les technologies de l’information et de la communication (Perrin et Aguiléra, 2017). Ceux qui fréquentent un ECW, de manière ponctuelle ou régulière, le font pour faire face aux incertitudes du marché de l’emploi et dans l’espoir de développer un réseau social et professionnel de partenaires (Moriset, 2017). Les valeurs d’ouverture, de communauté et de durabilité sous-tendent la notion du travail collaboratif et les espaces de vie et de détente font partie intégrante de l’offre d’un ECW (Spinuzzi, 2012 ; Capdevila, 2018).
3Les ECW sont divers, mais surtout en croissance très rapide. Deskmag (2017), un site en ligne spécialisé sur le coworking, en a recensé 15 500 dans le monde en 2018 pour 1,7 million de travailleurs. Cette même source affirme que le nombre d’ECW en activité double chaque année depuis dix ans. Il y a une diversité des porteurs de projets d’ECW. L’ouverture par des chaînes spécialisées de locaux franchisés similaires dans les grandes villes de la planète contraste avec la création d’ECW issus d’une dynamique endogène, spontanée et locale, portée par la figure d’un entrepreneur social, d’un community manager ou d’un facilitateur de tiers-lieux. En matière de fonctions, on note, comme l’indique le Rapport de la Mission Coworking (Lévy-Waitz et al., 2018 : 142-164), que les ECW peuvent servir la diversification d’espaces sous-occupés à vocation commerciale (hôtels, commerce de proximité) ou d’espaces ouverts au public (bibliothèque, gare). Certains ECW sont institutionnalisés - au sein d’universités ou de mairies - et d’autres s’articulent aux services de proximité (espace public numérique).
4L’intérêt de l’urbaniste pour les ECW porte sur les conséquences de leur essor sur le tissu urbain. En effet, la multiplication des ECW nourrit la croyance qu’ils seraient le dernier avatar des équipements de développement économique dont les territoires doivent se doter pour être compétitifs et durables (Liefooghe et Leducq, 2017). La fluidité et l’agilité de ce modèle d’espace de travail relativement nouveau n’ont pas facilité la recherche empirique sur ses effets structurants sur le territoire aux échelles régionale, urbaine et locale. Notre article se propose donc de répondre à un faisceau de questions se rapportant à l’articulation entre ECW et territoires afin de mieux comprendre l’ancrage de ce nouvel objet urbain en France : Existe-t-il une propagation spatiale de l’ECW, à partir des zones métropolitaines à d’autres niveaux de la hiérarchie urbaine ? Quels sont les schémas de localisation des ECW dans l’espace urbain ? Y a-t-il des effets transformateurs de l’ECW sur le quartier ou la ville ?
5Notre démonstration s’articulera autour de quatre points. Tout d’abord, l’état de l’art permettra de questionner les ECW et leur rapport à la ville. Il sera suivi de la présentation de la méthodologie mise en œuvre et d’un propos sur le contexte du Centre-Val de Loire, une région non métropolisée. Enfin, la dernière partie de notre article sera consacrée à l’exposé des résultats sur la diffusion, sur les choix de localisation et sur l’insertion urbaine des ECW dans notre cas d’étude et, plus généralement, à la capacité de ces espaces de travail collaboratifs à transformer la ville et les territoires.
1 – Revue de littérature : l’espace compte
6Divya Leducq et Priscilla Ananian (2019) décèlent deux grandes orientations dans la littérature scientifique produite sur les ECW. Dominée par les économistes et les gestionnaires, la première s’inscrit dans la lignée des travaux sur les clusters innovants (Waters-Lynch et Potts, 2016) et questionne les valeurs (économie collaborative, temporalités différentes, crowdfunding, écologie) et la dimension économique de ces nouveaux milieux innovateurs (Katz et Wagner, 2014) ainsi que leur capacité à favoriser la créativité (Hurry, 2012 ; Suire, 2013 ; Scaillerez et Tremblay, 2017). Plus diffuse et émergente, une seconde orientation de la littérature questionne les rapports multiples des ECW à l’espace urbain. Plus particulièrement présente dans des travaux menés en Italie (Di Vita et al., 2015 ; Morandi et al., 2015 ; Pacchi, 2015), cette perspective est également lisible dans quelques études anglo-saxonnes (Petch, 2015 ; Chuah, 2016) et francophones (Moriset, 2014). Dans cette section, nous évoquerons les principaux apports de cette littérature en géographie et études urbaines, afin de dégager un certain nombre de questionnements et d’hypothèses de travail enrichissants pour notre étude empirique.
1.1 – Diffusion spatiale et hiérarchie urbaine
7Bruno Moriset (2014, 2017), Raphaël Besson (2017) et Christine Liefooghe (2018) montrent que l’on assiste à double desserrement progressif des ECW, à la fois mondial et régional, du centre vers la périphérie. En effet, les ECW sont tout d’abord apparus au cœur des métropoles globales, créatives et compétitives et sont maintenant présents dans l’ensemble des grandes aires urbaines. Leur nombre est passé de 600 en 2010 à 15 500 en 2018 (Deskmag, 2017). On trouve des ECW aussi bien à San Francisco où The Hat Factory est né en 2005, qu’à Séoul et Hanoi, en passant par Paris, Berlin, Barcelone ou Londres. Leur nombre décroît en fonction de la loi rang-taille mais, quel que soit le contexte national, les ECW sont aujourd’hui présents dans la plupart des espaces urbains et les auteurs (op. cit.) commencent à constater leur création dans des milieux périurbains ou ruraux.
1.2 – Choix de localisation : densité et diversité des fonctions en hypercentre
8La diffusion spatiale des EWC ne doit pas masquer l’existence de facteurs de localisation qui sont ceux d’une géographie économique métropolitaine (Halbert, 2010), analogues à ceux expliquant l’implantation des industries de pointe et des services hautement qualifiés (Ingallina, 2017). En effet, Ilaria Mariotti et al. (2017) ont montré qu’en Italie 80 % des ECW se trouvent dans les hyper-centres. Cette localisation prioritaire est liée principalement à l’offre de transport, à la desserte et l’accessibilité (Brown, 2017). Arnaud Scaillerez et al. (2017) et Mina Di Marino et al. (2017) ont démontré que la présence de stations de tramway ou de métro est un atout incontestable tout comme l’est la proximité d’une gare ferroviaire ou routière. Selon Bo Wang et Becky P. Y. Loo (2017), les créateurs, gestionnaires et animateurs d’ECW apprécient également la proximité avec les banques, les mairies et les institutions, pour l’accès rapide au capital et aux procédures administratives. Ces deux aspects renforcent l’idée que des lieux bien connectés et intégrés physiquement conservent leur avantage comparatif, y compris à l’heure de la fibre optique et d’Internet, comme l’a démontré Raphaël Suire (2015) à propos de la création de connaissances et d’innovations dans les fablabs. Enfin, les ECW sont liés à l’économie du savoir et mobilisent l’intelligence des travailleurs hautement qualifiés et créatifs qui sont à la recherche des centres urbains dynamiques et qui privilégient la qualité urbaine, autant pour leurs lieux de résidence que pour leurs lieux de travail (Vivant, 2014), correspondant au mantra « Live, Work and Play » popularisé par Richard Florida (2010). Ainsi, l’architecture préservée, la vitalité commerciale ou la présence d’espaces naturels sont des marqueurs forts de l’identité urbaine de certains quartiers, qui suscitent l’implantation d’ECW.
1.3 – Relation au quartier, transformation des lieux et des pratiques
9Le troisième aspect présent dans les études urbaines concerne les liens qu’entretiennent les ECW avec l’espace urbain environnant, engageant des interrogations pour la praxis de l’aménageur-urbaniste. Divya Leducq et Priscilla Ananian (2018, 2019) montrent que ces questionnements ne sont pas formalisés à travers une approche spécifique mais sont observables essentiellement à deux échelles : le quartier (architecture, paysage) et les pratiques. Janet Merkel (2015), Bruno Moriset (2017) et Julian Waters-Lynch et al. (2017) soutiennent que les ECW, qu’ils soient d’initiative publique ou privée, redonnent de l’importance aux quartiers comme échelle pertinente de l’action et du projet urbain. D’une part, ils réinvestissent des bâtiments inoccupés ou transforment des friches industrielles. D’autre part, ils permettent la reterritorialisation de travailleurs considérés comme nomades, et la revitalisation du tissu commercial par de nouveaux usages. Quelle que soit la taille de l’ECW - petit, moyen, grand - et son degré de spécialisation, un espace mixte, diffus, plus ou moins identifiable permet de transiter de l’extérieur vers l’intérieur et inversement. En fonction de son agencement et des fonctions qui lui sont dévolues, cet « entre-deux » spatial permet la transaction, l’échange et la contamination entre l’intérieur et l’extérieur, entre le lieu et le milieu, entre l’ECW et la ville. Carolina Pacchi et al. (2015) soulignent que les interactions directes ou indirectes, ouvertures et fermetures, coupures et coutures, physiques et symboliques, sont autant de relations à observer localement entre l’ECW et son environnement voisin et immédiat. Julie Brown (2017) porte un regard plus critique sur l’intégration architecturale, urbaine et paysagère des ECW en pointant les risques de conflits d’usages ou de déplacement d’activités, de désintérêt et de mise à distance des communautés locales par les coworkers, de renforcement des déséquilibres de développement urbain et d’embourgeoisement de certains quartiers. La littérature fait part de réticences, de la part de citadins, face à des projets innovants incluant la création d’un EWC, comme 22@Barcelona ou Giant Presqu’île à Grenoble, qui ne les avaient pas placés au cœur des réflexions.(Besson, 2017).
1.4 – Implication des décideurs et politiques publiques
10Le modèle économique dominant des ECW est l’initiative privée à but commercial. Les ECW sont aussi parfois directement à vocation communautaire. Dans les deux cas, Julie Brown (2017) et Audrey Jamal (2018) défendent l’idée que les politiques publiques ont un rôle à jouer dans l’accompagnement et la régulation de ces nouveaux espaces de travail, que ce soit pour profiter pleinement des effets bénéfiques qu’ils auraient sur le tissu urbain (régénération, revitalisation) ou, au contraire, pour en prévenir les effets négatifs (gentrification). Cependant, peu d’études portent sur ce rôle et sur le jeu d’acteurs dans la dynamique du coworking. En France, certains ECW peuvent naître sous maîtrise d’ouvrage publique, pour la rénovation de quartiers industriels anciens ou de quartiers d’habitat social. À la question de la viabilité du modèle privé des ECW, dont la bulle de création est encouragée par la crise économique et la dépression de l’immobilier de bureau (Desbois, 2014 ; Moriset, 2017), s’ajoute alors la discussion sur la complémentarité ou la concurrence entre des initiatives privées (marchandes, associatives) et des interventions publiques.
1.5 – Les ECW dans les villes moyennes et intermédiaires
11Audrey Jamal (2018) s’est intéressée aux ECW dans les villes moyennes en Ontario. En France, Guy Baudelle et al. (2018) ont également travaillé sur le coworking dans les villes intermédiaires de Bretagne. Ils en arrivent à des conclusions assez similaires à celles dressées pour les ECW localisés dans les très grandes villes. Dans les deux cas, des individus apparentés à la « classe créative », des « bohemians » ou des cadres supérieurs en rupture avec le monde du travail des grandes entreprises, sont souvent à l’origine de projets d’ECW, dans lesquels ils mobilisent leurs réseaux professionnels antérieurs. Ces projets privés privilégient souvent des bâtiments libérés par des activités manufacturières ou commerciales (entrepôts, etc.) dans des quartiers non centraux en transition ou dans des quartiers centraux consolidés qui bénéficient déjà du prestige de l’adresse (Jamal, 2018). Plusieurs effets de l’ECW sur le quartier sont alors décrits : fréquentation de ces espaces et circulation - en modes doux - dans les rues adjacentes, favorisant la sociabilité avec les habitants ; phénomènes d’imitation par le montage d’autres projets d’ECW et mise en réseau à l’échelle de l’agglomération ; essaimage d’activités qui vont occuper d’autres friches ; ouverture de l’ECW à des organisations déjà implantées, comme des associations sportives ou culturelles ; fréquentation par les coworkers des commerces de proximité ; revalorisation graduelle des prix de l’immobilier de bureaux puis résidentiel. On assisterait ici à une régénération urbaine impulsée par l’ECW.
12En conclusion de cette première section, l’état de l’art a révélé l’absence d’auteur qui ait conjointement étudié la diffusion et les spécificités du coworking dans les villes intermédiaires françaises, les facteurs de localisation à cet échelon, le pouvoir de transformation des ECW aux échelles urbaine et locale du quartier et la façon dont les pouvoirs publics encouragent, sur le terrain, la création ou l’ancrage des ECW. L’ambition de notre article est donc de compléter les recherches existantes, à partir d’une méthodologie qualitative et d’un cas d’étude original et inédit.
2 – Une méthodologie de recherche originale et reproductible
13Dans l’étude des ECW, l’innovation et l’originalité méthodologiques se sont avérées nécessaires pour deux raisons. D’une part, les ECW sont des espaces relativement nouveaux et la diversité des modèles les rend difficilement appréhendables (Ambrosino et al., 2018). D’autre part, peu d’études urbaines portent sur la question des ECW, et il n’existe pas de méthode directement reproductible. Le corpus théorique issu des études en économie, gestion, géographie, sciences politiques ou information-communication révèle toutefois l’importance de saisir les ECW à travers leur créateur-manager, les coworkers, le voisinage, les structures publiques, les entreprises, les élus et fonctionnaires de la ville et les architectes-urbanistes. Une des spécificités de la recherche en urbanisme est de réussir à assembler des outils différents pour permettre l’étude d’un modèle qui circule et s’ancre dans des espaces aussi divers que variés : revue de presse, analyse des sites internet, visite de terrain (bâtiment, aménagement intérieur et environnement urbain), questionnaires et entretiens.
14Le programme de recherche Samuel de Champlain « Urbanisme et (mi)lieux de l’innovation : étude des enjeux et défis d’intégration urbanistique des espaces de coworking au Québec et en France » financé par le CFCQU (2017-2019), porté en France par l’Université de Tours et au Canada par l’Université de Québec à Montréal, a été l’opportunité de construire une méthodologie permettant d’interroger les dimensions physiques, sociales et symboliques de l’insertion urbaine et des interactions entre ville, quartier et ECW. Quatre axes de recherche ont pu être articulés en Centre-Val de Loire : la permanence des facteurs de localisation et donc la clustérisation des ECW au sein des centres-villes ; les modalités d’insertion physique dans l’environnement construit ; les conditions d’accessibilité aux espaces, aux communautés de pratiques et aux réseaux d’informations ; et enfin, le rôle des politiques publiques et de la programmation urbaine dans l’accompagnement de la dynamique des ECW.
15Afin d’appréhender une réalité relativement récente et méconnue, cette étude a été menée sur 12 mois de juin 2017 à juin 2018 (Demazière et Leducq, 2018). Trois outils de recherche complémentaires ont été mobilisés : cartographie, observation directe et entretien semi-directif. La méthode est résolument qualitative pour deux raisons : la difficulté à obtenir et produire de la donnée exploitable et la nécessité de ne pas enfermer une dynamique récente dans des modèles théoriques préconçus de relations ECW-ville.
2.1 – Cartographier pour spatialiser, quantifier et établir des relations de proxémie
16Réaliser un atlas cartographique portant sur les échelles régionales, urbaines et locales du quartier comportait un certain nombre de difficultés. La première a été d’identifier les ECW. En effet, il n’existe pas de code NAF ou de plateforme recensant l’ensemble des ECW. Les bases de données existantes sont déclaratives ou liées à des plateformes commerciales de l’économie collaborative. Elles ne sont donc pas un gage d’exhaustivité eu égard à la dynamique d’apparition-disparition des ECW. De fait, les données ont tout d’abord été produites à partir des sites Internet et des renseignements fournis sur sollicitation de chaque ECW repéré, puis par une méthode de proche en proche grâce à l’interconnaissance de la sphère des coworkers et enfin par le croisement avec les données dont dispose une agence régionale du développement numérique. 25 ECW ont ainsi été recensés et cartographiés pour 55 cartes produites. L’objectif était de constituer un atlas multi-échelle et multithématique des ECW en Centre-Val de Loire (adresse, date d’ouverture, dimension, coût, etc.) puis de descendre aux échelles inférieures des agglomérations, des communes et des quartiers afin de caractériser au mieux leur environnement, en les croisant avec des données statistiques socio-spatiales (revenu médian, taux de travailleurs indépendants d’un quartier, etc.). À l’échelle infra-régionale, nous avons dirigé volontairement notre étude sur les villes-centres des trois agglomérations les plus dynamiques : Blois, Orléans et Tours. Enfin, le croisement avec des données géoréférencées, à collecter (Tours) ou à créer (Blois, Orléans), sur les services, commerces ou industries présentes dans un rayon de 500 mètres (soit 10 minutes de marche à pied) permet une confrontation de la localisation de l’ECW au gradient d’urbanité du quartier.
2.2 – Une approche sensible des dimensions architecturale, urbaine et paysagère
17Cette localisation cartographique et cette quantification de la densité et de la diversité des aménités productives et non-productives en coprésence ont été complétées par des observations directes permettant d’aborder les questions d’environnement urbain immédiat, d’accessibilité, de marchabilité et d’esthétique du lieu et des paysages (bien-être, espace agréable, nature, etc.). Ainsi, la deuxième phase a consisté à confronter au terrain une grille d’observation créée spécifiquement pour analyser l’intégration urbaine d’un ECW à partir de trois aspects : (i) visibilité physique de l’ECW par l’architecture du bâtiment, par son espace d’accueil ou encore par la signalisation extérieure (fléchage) ; (ii) accessibilité du lieu en voiture, transports en commun ou modes doux et proximité avec des pôles d’échanges ; (iii) présence d’aménités comme des commerces, espaces de détente, loisirs et services ou au contraire présence de nuisances provoquant un inconfort sonore, visuel, olfactif ou une insécurité dans le milieu environnant l’ECW. Les visites de terrain ont été menées dans les trois villes intermédiaires de Tours, Orléans et Blois autour de 8 ECW à la fois différents et complémentaires pour leur localisation et leur origine (action publique ou initiative privée).
2.3 – Entretiens : saisir le projet par les acteurs et leurs stratégies
18Les visites d’ECW ont permis de mener des entretiens semi-dirigés avec 28 coworkers. Ces coworkers, au statut principalement d’indépendants ou de télétravailleurs occasionnels, s’inscrivaient dans les domaines d’activités suivants : informatique et télécommunications, conseil, graphisme et média et métiers de l’écrit (journalisme et traduction). Menés sur le lieu de travail, ces entretiens cherchaient à comprendre la relation que les travailleurs entretiennent avec le milieu urbain (modes de déplacement et trajet domicile-travail, habitude de consommation et de loisirs, regards sur la ville et le quartier) en fonction du profil personnel (statut personnel et familial) et d’une journée-type de travail dans l’ECW. Parallèlement, 8 entretiens avec les gestionnaires ont été organisés autour de deux grands items : le premier sur le choix de localisation de l’ECW (historique, déménagement éventuel, stratégie future, importance des aménités et de l’accessibilité du quartier, satisfaction, etc.), et le second sur le lien au quartier (activités et actions mises en place pour favoriser les liens avec les habitants du quartier ou avec les personnes extérieures à l’ECW, partenariats existants en relation avec des commerçants, des acteurs publics ou autres, etc.). Deux entretiens avec des institutions publiques et semi-publiques sont venus compléter ce corpus. Le Tableau 1 présente les ECW de l’étude, le nombre de places disponibles et l’estimation de la fréquentation quotidienne des ECW sur la base des entretiens effectués auprès des community managers et des créateurs.
ECW enquêtés en Centre-Val de Loire
ECW enquêtés en Centre-Val de Loire
Auteurs : Divya Leducq, Christophe Demazière, Aurélie Coquel (2018)*Sauf mention contraire, réalisés en 2018
19Le recours successif à ces outils méthodologiques répond à une chronologie de recherche préalablement définie : analyser et vérifier l’hypothèse de la diffusion régionale des ECW en Centre-Val de Loire ; comprendre l’articulation ECW-ville à travers une sélection d’études de cas représentatifs ; et offrir une lecture exploratoire du rapport au territoire à partir des discours et pratiques des gestionnaires et usagers des ECW. Toutefois, avant de présenter les premières conclusions de notre étude, il est nécessaire d’introduire la région du Centre-Val de Loire, qui présente comme double spécificité d’être à proximité de Paris tout en étant faiblement métropolisée.
3 – Le contexte particulier d’un espace régional peu métropolisé
20Au sein du Bassin Parisien, le Centre-Val de Loire constitue traditionnellement un espace de desserrement de l’Ile-de-France pour certaines fonctions et populations. Ainsi, pendant les Trente Glorieuses, la décentralisation d’industries fordistes l’a érigé en puissance économique. La région a alors bénéficié de l’implantation de 800 établissements et de 95 000 postes de travail, soit un quart des opérations et 15 % des emplois créés par ce biais en France (Mirloup, 1984). L’activité décentralisée s’est limitée surtout aux tâches de fabrication et cette orientation est devenue source de fragilité. Entre 2003 et 2013, l’emploi salarié industriel a reculé de 21,4 %, contre 18,2 % pour la France de province (Insee, 2015). Dans le même temps, l’ensemble de l’emploi salarié a reculé de 1,5 % dans le Centre-Val de Loire, alors qu’il a progressé de 1,8 % dans la France de province, ce qui signale une perte de dynamisme.
Trois espaces hétérogènes en Centre-Val de Loire
Trois espaces hétérogènes en Centre-Val de Loire
21Au regard de nombreux indicateurs, le Centre-Val de Loire a un rayonnement modeste. Ainsi, en 2016, avec 3,9 % de la population nationale, une densité moyenne de 66 hab/km2 (deux fois inférieure à la moyenne française) et 4 % de l’emploi métropolitain, elle ne contribue qu’à 3,2 % du PIB français, contre 20 % de la population et 30 % du PIB pour l’Ile-de-France. De même, la région se situe en 2015 au 11e rang des régions françaises pour les dépenses de recherche et développement des entreprises. Ce positionnement peut être mis en rapport avec la structure spatiale du peuplement et des activités économiques, marquée par l’absence d’une (ou plusieurs) métropole(s) suscitant une dynamique de développement à l’échelle régionale (fig. 1).
22Au sein du Centre-Val de Loire, on peut distinguer trois grands espaces aux dynamiques contrastées (Demazière et Boutet, 2001 ; CRCI, 2006). Le nord de la région, correspondant aux franges franciliennes du Loiret et de l’Eure-et-Loir, est directement sous l’influence de la région parisienne. Il s’agit d’un espace de desserrement pour certaines fonctions banales et des populations attirées par les faibles coûts du foncier et de l’immobilier. À l’inverse, le sud (départements du Cher et de l’Indre) présente un profil démographique et socio-économique proche de celui du Massif central, marqué par la ruralité, le déclin démographique, le vieillissement et la désindustrialisation. Le semis urbain est formé essentiellement de gros bourgs et de petites villes (Banovac, 2017). Enfin, la Loire est l’élément géographique majeur qui identifie la région. Les infrastructures de transport reliant l’Ile-de-France à l’Ouest et au Sud-Ouest français font de l’axe ligérien le support de l’essentiel du développement économique régional. L’axe ligérien rassemble la moitié de la population régionale et l’essentiel des forces de recherche et d’innovation. On y relève la présence des trois agglomérations principales que sont Blois, Orléans et Tours. Orléans, capitale administrative de la région, et Tours – où l’enseignement supérieur, la recherche et les activités culturelles sont très développés – sont classées respectivement au 22e et 20e rang national des aires urbaines. Entre 2006 et 2011, l’emploi a progressé de 1,8 % dans l’aire urbaine de Tours et de 0,4 % à Orléans, alors que dans l’aire urbaine de Blois il a reculé de 1,5 % [1]. Agglomérations de 300 000 habitants au sein d’aires urbaines de moins d’un demi-million d’habitants, Orléans et Tours ne peuvent être assimilées à des métropoles, mais sont des agglomérations intermédiaires (Grésillon, 1995 ; Demazière, 2007). Sous l’impulsion de leurs élus, elles sont pourtant devenues des métropoles institutionnelles en 2017, en même temps que d’autres agglomérations intermédiaires françaises qui n’ont pas davantage de rayonnement métropolitain : Dijon, Clermont-Ferrand, Metz, Saint-Étienne et Toulon (Demazière, 2018).
4 – Résultats : diffusion régionale, choix de localisation et intégration urbaine contrastés des ECW en Centre-Val de Loire
4.1 – Entre diffusion spatiale et polarisation ligérienne
23En France, le premier ECW a vu le jour à Paris en 2008 et plus de mille tiers-lieux contenant un espace de coworking étaient recensés en 2018 par La Fondation Travailler autrement et le CGET (Lévy-Waitz et al., 2018 : 222). L’Ile-de-France se trouve en tête du classement, en raison du vivier central que représente la région-capitale pour les activités créatives, intellectuelles ou innovantes. Toutefois, le Centre-Val de Loire connaît lui aussi une dynamique de coworking notable. La figure 2 permet de comprendre la croissance et la diffusion spatiale des ECW dans les différentes villes au sein de la hiérarchie urbaine régionale.
Répartition pluriannuelle et diffusion spatiale des ECW en Centre-Val de Loire
Répartition pluriannuelle et diffusion spatiale des ECW en Centre-Val de Loire
24Avec trois ECW implantés dès 2012, Tours constitue le berceau régional du coworking. C’est ensuite à Orléans que se créent et s’implantent deux ECW entre 2013 et 2015. La carte 2016-2018 permet de voir que la majorité des places proposées par des ECW se trouvent toujours à Tours et Orléans, communes-centres des deux plus grandes agglomérations de la région. Selon les indicateurs classiques mesurant la métropolisation, ces agglomérations ne peuvent pas être qualifiées de métropoles (Insee, 2016 ; Talandier, 2015). Cependant, la proximité avec la métropole parisienne les dote d’une fonction d’accueil du desserrement d’activités et de population quittant l’Ile-de-France. À l’échelle régionale, ces agglomérations se distinguent des autres pôles urbains par leur masse et par leur densité de population, par le nombre important de structures de production et de recherche et une certaine diversité sociale, soit les variables qui favorisent la naissance et le développement de tiers-lieux (Besson, 2017). À Tours et Orléans, 70 % de l’activité économique est tournée vers l’économie des services et du tertiaire (Insee, 2016). Par ailleurs, Orléans accueille 15 000 étudiants et Tours le double. Enfin, ces territoires sont attractifs dans l’installation de ménages franciliens représentant des CSP+. Par ce biais, on a un vivier significatif de travailleurs de la « classe créative », de travailleurs indépendants et de créateurs d’entreprises. Cette caractéristique confirme l’argument d’un développement préférentiel des tiers-lieux, et en particulier les ECW, dans des villes qualifiées de créatives, mais aussi disposant d’un certain nombre de ressources utiles à ces types de structures (Suire, 2015). De plus, la concentration spatiale d’acteurs et d’activités au sein des villes permet des interactions facilitées pour les ECW (Brown, 2017).
25L’apparition d’un ECW entre 2013 et 2016 à Vendôme, Bourges et La Loupe a été suivie pour la période 2016-2018 de la création de 80 % des nouveaux ECW dans des villes moyennes et petites du Centre-Val de Loire, caractérisant un desserrement progressif du coworking vers l’ensemble des territoires. Les ECW se trouvent ainsi dans les villes-centres des six autres agglomérations - dont Blois, Chartres et Châteauroux - ou dans les pôles énoncés comme structurants par le Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire. Ces territoires subissent très souvent le poids de la désindustrialisation et recherchent une nouvelle vocation économique. Par ailleurs, le coworking commence à apparaître dans des espaces moins denses en milieu rural (Salgueiro et al., 2017). Un apport des ECW est de réduire la distance ou la fréquence des trajets domicile-travail, permettant de fixer des populations actives sur un territoire plus resserré (Scaillerez et Tremblay, 2017), mais également de valoriser les déplacements doux de proximité et ainsi de désengorger partiellement les réseaux de transports (IAURIF, 2017). En Centre-Val de Loire, on trouve certains ECW dans des villages comme Mézières-en-Brenne ou La Ferté-Saint-Cyr.
4.2 – Deux hiatus remarquables par rapport à la figure de l’ECW métropolitain
26Les terrains investigués pour cet article correspondent à des agglomérations de taille intermédiaire ou moyenne dans une région à densité moyenne et ne comptant aucune aire métropolitaine. Il en résulte deux décalages avec la figure de l’ECW en milieu métropolitain esquissé par la littérature sur le coworking. Le premier constat ressortant de nos cas d’étude est le caractère limité des effets de régénération urbaine par l’ECW a contrario des externalités positives mesurables ou quantifiables dans des territoires métropolitains (CGET, 2015 : 26-28). Pour l’expliquer, on fera ici l’hypothèse que les ECW sont moins une ressource mobilisable pour le changement du quartier qu’ils ne dépendent des caractéristiques urbaines, sociales et économiques du quartier pour leur développement. Or, une agglomération intermédiaire ou moyenne semble moins riche en facteurs favorables qu’une métropole. Cette hypothèse est testée à travers une analyse de l’insertion urbaine des ECW.
27Deuxièmement, à côté de projets d’ECW portés par des acteurs privés dans un but lucratif ou coopératif, on relève dans les trois agglomérations où ont été menées les enquêtes la présence d’ECW créés par la puissance publique. Celle-ci en a assuré la maîtrise d’ouvrage et contribue à assurer leur fonctionnement, en concordance avec ce que montrent des études récentes sur le coworking dans diverses régions françaises (Lévy-Waitz et al., 2018 ; Région Nouvelle-Aquitaine, 2018). L’hypothèse énoncée ici est donc celle de la diversité de portage des ECW. Elle contredit l’idée d’un modèle unique métropolitain dans lequel les seuls acteurs privés seraient à l’initiative des projets d’ECW et porteurs de leur développement. Il s’agit pour nous de documenter et d’expliquer cette diversité. Les collectivités territoriales des agglomérations moyennes se seraient-elles saisies de l’objet ECW dans une visée stratégique, y voyant un levier du développement économique et/ou urbain ? Ou bien agissent-elles plutôt par opportunité (y compris immobilière), tant l’ECW serait la figure montante d’un développement métropolitain qu’il s’agirait de mimer ? On rejoint ici un dilemme énoncé par Sophie Deraëve (2014 ; 26) à propos des agglomérations françaises de 200 à 500 000 habitants : elles sont « trop petites pour prétendre développer les mêmes stratégies d’appui à la performance économique et à l’innovation que les métropoles, elles sont aussi trop grandes pour y renoncer ». La présence simultanée dans une même agglomération d’ECW privés et d’ECW à portage public (tableau 2) questionne la complémentarité ou la concurrence des initiatives menées par des collectivités porteuses ou facilitatrices et des ECW issus d’une forme de génération spontanée (Région Nouvelle-Aquitaine, 2018). Quelle est la capacité des collectivités locales à ériger les ECW en marqueur du développement local de l’économie numérique, du savoir, de l’innovation, qu’ils soient financés par elles ou non ?
Objectifs des ECW et vision du quartier d’insertion
Mode de portage | Objectifs du projet | Vision du quartier par les porteurs de l’ECW |
---|---|---|
Public | Développer l’activité économique, notamment par la création d’entreprises | Le quartier est à transformer et l’implantation d’activités y contribue : effet d’image transformation indirecte, juxtaposition d’activités économiques. |
Privé marchand | Objet lucratif - créer sa propre activité - ou collaboratif entre des acteurs économiques qui mutualisent le coût de leurs locaux professionnels | Le quartier comme ressource pour le développement de l’activité. Facteurs clés : localisation, accessibilité ; présence de commerces et de services |
Privé non marchand (Économie Sociale et Solidaire) | Affirmer des valeurs de solidarité et d’entraide, en permettant le travail collaboratif (accueil permanent de salariés d’associations) et en y incitant les projets d’innovation sociale et territoriale | Aider la communauté à se transformer, au sein de et au-delà du quartier d’implantation (people-based approach) |
Objectifs des ECW et vision du quartier d’insertion
28Le tableau 2 (page précédente) distingue, pour trois catégories de portage des ECW, des objectifs et la relation au quartier. En sus des ECW privés ou à portage public, nous avons pu repérer des ECW non marchands, qui se singularisent non seulement au niveau de leurs objectifs – différents de ceux des ECW marchands –, mais aussi dans leur vision du quartier. Celle-ci n’est pas restreinte à un périmètre, ce qui les distingue des ECW à portage public. Tandis que les derniers sont pensés dans une démarche de projet urbain et de développement économique, les premiers affirment leur contribution au développement des capabilités des habitants où qu’ils résident. Ainsi, ils ne s’adressent pas seulement aux populations d’un quartier désigné comme « prioritaire ». Dans les sous-sections qui suivent, nous analysons ces hiatus et la diversité des ECW à travers la question de leur insertion paysagère et dans l’espace urbain. Puis, nous abordons les relations développées par les gestionnaires des ECW ou les coworkers eux-mêmes à la ville, c’est-à-dire aux rapports avec les équipements, les activités et la population alentour.
4.3 – Une intégration architecturale et paysagère fonction du portage de l’ECW
29L’analyse de l’insertion paysagère de l’ECW dans le milieu urbain consiste à étudier l’architecture du bâtiment abritant l’ECW, mais aussi la signalisation s’y rapportant, dans la mesure où celle-ci permet d’identifier et de situer l’espace au sein de la rue, du quartier ou de la ville. Notre étude révèle une insertion paysagère très différenciée entre ECW d’initiative privée et ECW d’initiative publique. La visibilité physique d’un ECW passe tout d’abord par la qualité architecturale de son bâtiment. Les ECW à portage privé et à finalité lucrative de notre échantillon d’ECW du Centre-Val de Loire occupent toujours un bâtiment ancien (fig. 3).
30Les ECW étudiés occupent tantôt un ancien rez-de-chaussée commercial, un immeuble de bureau ou même une maison à usage antérieur d’habitation. Par différence avec certaines métropoles françaises ou étrangères (Desbois, 2014 ; Besson, 2017), aucun ECW privé n’occupe une ancienne friche industrielle. Ceci est lié à la taille des projets : dans les trois villes, les ECW sont généralement de petite taille, que l’on considère la surface occupée ou le nombre de postes de travails proposés – par exemple 150 m2 pour l’accueil de 20 coworkers dans l’Eurêka Coworking. Les entretiens montrent que les porteurs d’ECW arbitrent entre une localisation souhaitée la plus centrale possible, car synonyme de visibilité et d’accessibilité, et un coût du loyer toujours plus élevé dans le centre-ville qu’en dehors. À la différence de métropoles, les agglomérations considérées ont un seul centre qui rassemble des fonctions de décision, des rues commerçantes, des nœuds de transport en commun, du patrimoine bâti remarquable, etc. La volonté de maîtriser le coût d’un local professionnel correspond au comportement courant d’un créateur d’entreprise (Mariotti et al., 2017). À ceci près que, dans le cas d’un ECW, les caractéristiques du local – extérieures comme intérieures – sont cruciales pour attirer des coworkers et espérer atteindre les objectifs du modèle d’affaires (Région Nouvelle-Aquitaine, 2018). Un ECW doit être visible depuis la rue, comporter des espaces de travail ouverts mais aussi des espaces fermés propices à des négociations d’affaires ou à des exercices de créativité, et enfin disposer de certains espaces de vie et de détente (cuisine, bar, jardin…) (Merkel, 2015 ; Petch, 2015 ; Blein, 2016 ; Fabbri, 2016). La disponibilité de locaux correspondant à ces critères est bien plus grande dans la commune-centre d’une agglomération moyenne qu’en première ou seconde couronne plus spécialisée, ce qui contribue à expliquer la localisation centrale des ECW privés enquêtés.
Intégration architecturale et paysagère des ECW privés
Intégration architecturale et paysagère des ECW privés
31En matière d’insertion paysagère, les arbitrages pour la localisation et pour les espaces intérieurs conduisent à ce que l’ECW soit souvent hébergé dans un bâtiment qui s’inscrit dans le cadre bâti environnant. La visibilité extérieure est moyenne voire faible, ce qui est un handicap pour la commercialisation des espaces de travail. Le comportement de localisation pourrait sans doute être différent si les porteurs d’ECW étaient dans une démarche d’achat de leur local. Toutefois, la jeunesse de l’ECW et l’étroitesse actuelle du marché du coworking en agglomération intermédiaire ne les y incitent pas. Au contraire, on peut envisager qu’en cas de cessation d’activité de l’ECW, le bâtiment occupé pourra alors être rendu à une occupation commerciale, de bureau, d’atelier ou même de logement.
32À Tours, le cas du HQ illustre la recherche d’une centralité et d’une accessibilité majeures. Initialement, le projet développé par deux membres actifs de la communauté numérique tourangelle était hébergé dans un immeuble loué et accueillait 18 postes de travail sur 40 m2. S’associant à des partenaires pour acquérir une aile de l’ancienne poste centrale de Tours (pour un investissement total de 2,5 millions d’euros), ces deux fondateurs ont relocalisé l’ECW à l’endroit le plus central de Tours. L’espace peut désormais accueillir une centaine de coworkers sur 1 000 m2. Ce projet permet une visibilité renforcée (fig. 3). Parmi tous ceux étudiés en Centre-Val de Loire, il est le seul à manifester un changement de fonction tel que souvent décrit dans la littérature pour les métropoles (Moriset, 2014, 2017 ; Gagnebet, 2016).
33La création des ECW à portage public, s’inscrit quant à elle à chaque fois dans le cadre d’un projet global de revitalisation urbaine engageant de nombreux acteurs, dont l’État à travers le ministère de la ville et l’ANRU, et le niveau local, notamment la communauté d’agglomération (devenue métropole dans le cas d’Orléans et Tours) et la commune (fig. 4).
Intégration architecturale et paysagère des ECW publics
Intégration architecturale et paysagère des ECW publics
34L’orientation générale du programme national de rénovation urbaine, lancé en 2003, était de mener des opérations de démolition et de reconstruction pour attirer de nouveaux habitants et créer une plus grande mixité fonctionnelle (Epstein, 2005). À ce titre, il s’est agi de créer, souvent ex nihilo, des équipements susceptibles de faciliter l’arrivée d’activités économiques dans des quartiers de logements sociaux marqués par des taux de chômage élevés. À Blois et à Tours, un bâtiment a été construit ou rénové pour abriter une pépinière d’entreprises (fig. 4), ce qui correspondait à la recommandation faite de soutenir les tiers-lieux dans les quartiers en difficulté (Lévy-Waitz et al., 2018 : 173). Dans les deux cas, la pépinière comprend, en plus de bureaux, des espaces ouverts collectifs qui accueillent des coworkers. À Tours, le bâtiment construit est aux normes BBC et est équipé en fibre à très haut débit. Situé à l’arrière du centre commercial de proximité et du centre des services à la population, il jouxte un jardin public créé sur l’espace libéré par la destruction d’une tour de logements sociaux. L’injonction de l’ANRU à la mixité fonctionnelle a été vécue par les élus locaux comme une intrusion dans les affaires municipales. Mais finalement, ceux-ci ont été sensibles à l’opportunité de financement d’une pépinière qui a été la première réalisée dans l’agglomération, comblant un manque certain dans l’accueil de créateurs d’entreprise. Cependant, le maire de Tours (Jean Germain - PS) a été soucieux de ne pas susciter de conflit ou de controverse locale sur la création de la pépinière. Lors du concours architectural, les projets jugés les plus « provoquants [2] » ont été écartés. Ouverte en 2013, la pépinière se situe dans un bâtiment cubique de même hauteur et même gabarit que ceux qui abritent des logements sociaux alentour et sa signalisation est discrète (fig. 4). Comme pour mieux fondre le bâtiment dans son environnement, des fresques qui représentent les façades des logements alentour y ont été intégrées. Celles-ci ont été peintes par des habitants du quartier, pour mieux les associer au démarrage du projet et en faciliter l’acceptabilité. Cinq ans plus tard, on constate qu’aucun créateur d’entreprise ni coworker passé par la pépinière n’est issu du quartier. Et les coworkers interrogés déclarent ne pas fréquenter le jardin public situé de l’autre côté du trottoir. Celui-ci a été approprié par les jeunes du quartier.
35À Blois, la pépinière portée par la Communauté d’Agglomération se situe dans un bâtiment construit en 1970, anciennement occupé par France Télécom et La Poste. Le bâtiment a été rénové en 2016 grâce aux crédits de l’ANRU et à la labellisation « croissance verte ». Par la volonté des élus, il se démarque des barres de logements sociaux grâce à la charte graphique choisie (noir, blanc, jaune) et par un logo visible de loin. Comme le bâtiment est entièrement entouré de barrières, on pourrait escompter une coupure, non seulement visuelle, mais fonctionnelle, entre la pépinière et son environnement proche. Mais, sous l’impulsion de la gestionnaire de l’espace de coworking, le déjeuner collaboratif hebdomadaire destiné aux résidents de la pépinière est également ouvert à toute personne extérieure. La mixité se joue sur le parking, qui est alors ouvert, et autour des food trucks qui y sont stationnés.
36Au final, dans le Centre-Val de Loire, l’insertion paysagère des ECW à portage privé est relativement homogène et traduit une transformation à bas bruit des activités dans la ville. Par contraste, les ECW initiés par la puissance publiques ont mis en avant, même s’ils sont souvent mêlés à des dispositifs beaucoup plus classiques de soutien à la création d’entreprise. Pour autant, l’orientation prônée par l’ANRU – transformer le quartier par l’implantation d’activités économiques – a été appropriée diversement à Blois et à Tours. Ceci conduit à un degré de visibilité bien différent du bâtiment où se développe aujourd’hui le coworking et à une ouverture limitée sur le quartier.
4.4 – Intégration urbaine : plus l’ECW est à vocation commerciale et plus sa localisation est centrale
37Élargir la focale de la relation de l’EWC à la rue et à l’îlot à celle au centre de l’agglomération et à d’autres pôles urbains permet de mieux appréhender ses différents rapports à l’espace. Dans les trois agglomérations intermédiaires où les enquêtes ont été menées, le rapport de l’ECW à son environnement non immédiat – de l’agglomération concernée aux pôles urbains majeurs à l’échelle régionale ou nationale – a été apprécié par la localisation et l’accessibilité, données essentielles pour les mobilités des coworkers (Lejoux et Ohlmann, 2016 ; Perrin et Aguiléra, 2017). L’accessibilité se rapporte notamment au nombre de choix de modes ouverts au coworker pour rejoindre l’ECW qu’il utilise mais aussi à la durée d’un trajet en transport en commun jusqu’à la gare centrale. Comme nous l’avons précédemment vu, les ECW à portage privé privilégient tous une localisation en centre d’agglomération ou, dans un cas, à quelques centaines de mètres de celui-ci. Les motivations avouées sont le prestige et la visibilité de l’adresse, mais aussi l’accessibilité (tableau 3, page suivante).
Accessibilité et desserte des ECW
Accessibilité et desserte des ECW
38Cette accessibilité compte fortement pour espérer attirer des coworkers à l’échelle de l’agglomération, voire de l’aire urbaine, comme pour permettre à ceux-ci de développer, par le truchement de l’ECW, des liens d’affaires à l’échelle régionale ou nationale. Par leur localisation centrale, les ECW se trouvent à proximité d’un ou plusieurs pôles d’échanges, ce qui assure une bonne desserte par les transports en commun. À Orléans, les ECW Espace&Co et Eurêka Coworking se trouvent à proximité immédiate d’une station du tramway et à 7 minutes à pied de la gare ferroviaire et de la gare routière d’agglomération. À Blois, agglomération moyenne dépourvue de ligne de tramway et de BHNS, l’ECW L’Hôte bureau est accessible par deux lignes de bus, ce qui permet de rejoindre rapidement la gare ferroviaire. À Tours, le HQ a une excellente accessibilité, il est desservi par 17 lignes de bus et la ligne de tramway. Il est proche de deux pôles d’échanges majeurs de la ville.
39La contrepartie à une localisation centrale de ces ECW est une limitation des possibilités de stationnement d’un véhicule automobile un coût de ce stationnement, payant la plupart du temps. De leur côté, les ECW à portage public se situent en retrait du centre-ville dans les trois agglomérations étudiées et sont moins bien desservis par les transports en commun. Dans le quartier prioritaire de Blois où est implanté Le Lab, il y a peu de lignes de bus et la fréquence est réduite, surtout pour les actifs qui ont des horaires de travail décalés. L’existence d’un parking privé répond donc à une utilisation majoritaire d’une voiture par les coworkers pour leurs déplacements. À Tours, le maire a voulu que le tramway desserve les quartiers prioritaires de Tours et de Joué-les-Tours, afin de les désenclaver. La pépinière START’inbox et l’ECW qu’elle héberge en bénéficient : ils se trouvent à une station de tramway de la gare ferroviaire et de la gare routière. La desserte par le tramway a aussi été l’occasion d’encourager les déplacements doux dans le quartier, ce qui est également à l’avantage de l’ECW.
40À la lecture du tableau 2, les deux ECW à portage public les plus récents – le Lab’O à Orléans, MAME à Tours – intriguent car ils ne sont pas desservis par une ligne de tramway et le temps d’accès à la gare d’agglomération est deux à trois fois plus long que pour les ECW privés. Or, il s’agit de projets phares pour chacune des deux communautés d’agglomération, situées dans des bâtiments où plusieurs dizaines de millions d’euros ont été consacrées récemment à l’accueil d’entreprises et de porteurs de projets de l’économie numérique. Ces projets ont pour origine commune l’appel à labellisation Métropole French Tech initié par le gouvernement Valls en 2014. Pour Renaud Epstein et Nicolas Maisetti (2016), la French Tech participe du gouvernement des territoires par les labels. Censé distinguer, dans le domaine de l’économie numérique, la qualité des projets locaux et de la gestion territoriale, ce label a suscité, dans toutes les grandes villes françaises et même certaines villes moyennes, une forte émulation d’acteurs privés et publics. Orléans et Tours n’y ont pas échappé [3]. Le label French Tech a une forte dimension symbolique (Epstein et Maisetti, 2016). La mise en visibilité des acteurs et des territoires qui l’obtiennent – par exemple lors du déplacement annuel d’une délégation française au CES de Las Vegas – semble au moins aussi importante que la possibilité d’accéder à des outils de financement octroyés par l’État. De fait, les financements étant réservés aux start-up, une collectivité ne pouvait espérer capter du label Métropole French Tech que des avantages en termes d’image.
41En rupture avec la culture aménageuse des collectivités territoriales françaises (technopôles, parcs d’activités…), les éléments immatériels (animation, financement) sont mis en avant dans le dossier de candidature. Mais, à la fin du formulaire, il est stipulé que les collectivités territoriales doivent attester de la présence « [des] aménagements, [des] infrastructures et [des] services existants ou projetés les plus favorables à la croissance et à l’attractivité internationale de l’écosystème numérique » (Ministère de l’Économie, 2014, p. 20). Au titre de l’existant, le dossier de candidature doit faire état d’une « zone géographique du territoire clairement identifiée et favorable au développement numérique ». Au titre du projet, il s’agit de mettre en avant « un bâtiment-totem emblématique » avec « présentation de ses fonctions et de ses infrastructures ». Le développement de l’économie numérique étant limité à Orléans comme à Tours, aucune des villes ne pouvait mettre en avant un « quartier numérique » ou son caractère de smart city. Dès lors, le choix a été fait de promouvoir la candidature au label essentiellement à partir de friches industrielles pouvant faire office de bâtiment totem. Orléans souhaitait justement reconvertir les locaux de l’entreprise FAMAR. À Tours, la communauté d’agglomération était devenue propriétaire des murs de l’imprimerie Mame, entreprise emblématique de Tours depuis un siècle. Elle y avait initié un projet urbain en y localisant l’École municipale des Beaux-Arts et en vendant des droits à lotir pour la construction de logements, de bureaux et de commerces. La candidature à la French Tech était l’occasion de poursuivre la démarche. Même si le label French Tech n’a pas été obtenu, Tours consacre actuellement 20 millions d’euros à la restructuration et à l’aménagement intérieur du bâtiment, pour y implanter un ECW de plus de 1 500 m2 pouvant accueillir plus de 100 coworkers, mais aussi un incubateur et un accélérateur de startups, un fab lab, etc. À Orléans, la métropole a la même ambition et consacre des moyens quasiment analogues au développement du Lab’O. Les deux ECW correspondants s’inscrivent dans un projet de développement économique qui permet la reconversion d’une friche industrielle en un « bâtiment totem » dont l’accessibilité n’était pas un critère mentionné dans le cahier des charges. Ceci pourrait limiter la commercialisation des ECW. Au final, bien que les pépinières en quartier prioritaire et les bâtiments totem de la French Tech illustrent tous deux, à quinze ans d’écart, le « gouvernement à distance » (Epstein, 2005), il existe une différence. Dans le premier cas l’équipement à vocation économique est mis au service du renouvellement urbain, en visant notamment la mixité fonctionnelle et le changement d’image des quartiers de logements sociaux. Avec le label Métropole French Tech, il s’agit plus simplement de réaffirmer la vocation économique de locaux d’activités désertés. Envisager les relations du « bâtiment totem » avec le tissu urbain alentour (en termes de services, d’accessibilité…) n’est pas impératif pour obtenir la labellisation.
4.5 – À l’échelle du quartier : interactions potentielles entre lieu (ECW) et milieu (voisinage)
42Dans cette dernière sous-section, nous analyserons les différentes formes d’interactions entre les ECW et le quartier où ils s’implantent. Avant de repérer les équipements et activités économiques mobilisées par les coworkers et les actions mises en place volontairement par les gestionnaires ou porteurs d’ECW en direction du grand public et de la population alentour, il faut examiner les fonctions présentes dans le quartier. En lien avec leur quartier d’implantation, les ECW sont plus ou moins proches de commerces et de services et le nombre et la diversité de ceux-ci peut varier considérablement (fig. 5), comme le montrent les cas du HQ et de MAME à Tours qui seront, une fois les travaux d’aménagement de MAME achevés, les deux plus grands ECW de la région Centre-Val de Loire.
43Les entretiens réalisés auprès des usagers et des gestionnaires ont montré que, lorsqu’il y a des commerces ou des services proches de l’ECW, les coworkers les fréquentent durant la journée et parfois à l’issue de leurs heures de travail. Ceci tend à confirmer une conclusion démontrée par une étude menée dans le pays de Murat en Auvergne (Ocalia, 2014), où le coworking est une source supplémentaire de dépenses dans les commerces de proximité (restauration, nuitées…). Dans certains cas d’ECW à portage privé, le gestionnaire a initié, à l’intention des coworkers, des partenariats avec certains commerçants locaux. Là où les commerces et services sont peu nombreux aux abords de l’ECW, il y a peu d’interactions de la part des coworkers avec le milieu urbain environnant. Ce cas se présente pour MAME à Tours et le Lab’O à Orléans. La proximité d’infrastructures sportives ou culturelles peut inciter des coworkers à les fréquenter. Ainsi, de nombreux coworkers de START’inbox à Tours se rendent régulièrement, en fin de journée, un des clubs sportifs du Palais des Sports, qui est tout proche.
44Les liens économiques d’un ECW sont également à apprécier à une échelle spatiale élargie, en l’occurrence celle de l’agglomération. En effet, c’est à cette échelle que les porteurs d’ECW – singulièrement à portage privé – travaillent à se faire connaître et peuvent nouer des liens avec d’autres structures de développement économique. Ainsi, les créateurs du HQ s’appuient depuis l’origine sur PaloAltours, une association particulièrement active au sein de l’agglomération. Avant la création du HQ, cette association organisait régulièrement des évènements dans les locaux du (S)TART’inbox, ECW public. En 2018, entré dans ses nouveaux locaux, le HQ héberge le Startup Weekend dont il est l’un des sponsors principaux. Cet événement officiellement organisé par PaloAltours peut faire bénéficier cet ECW privé d’un rayonnement important dans l’écosystème de l’innovation numérique locale et régionale. Les porteurs du HQ mettent aussi en place d’autres activités afin d’augmenter la visibilité du lieu, mais aussi de l’ouvrir à des personnes et organisations extérieures à la communauté numérique.
Comparaison des environnements urbains des ECW publics et privés
Comparaison des environnements urbains des ECW publics et privés
45Quant aux effets sociaux des ECW, nos enquêtes montrent que les interactions avec les habitants du quartier dépendent d’abord de l’existence d’une démarche d’ouverture sociale des acteurs de l’ECW. Les cas les plus développés correspondent aux ECW à statut associatif, qui se fixent un objectif social ou de transformation urbaine et non pas économique. À Joué-lès-Tours, la Grange numérique organise des ateliers et des activités pour l’insertion professionnelle, ouverts aux habitants du quartier. En parallèle, cet ECW s’appuie sur un réseau associatif à l’échelle de l’agglomération, ce qui lui permet de rayonner à cette échelle.
Conclusion
46L’objectif de notre article était, à partir d’un travail empirique, de mettre en avant les ressemblances et les spécificités des ECW d’une région française faiblement métropolisée par rapport au modèle métropolitain couramment exploré dans la littérature grise et scientifique. La seconde ambition était de tester une méthodologie cohérente, à l’épreuve du jeu des échelles, pour pouvoir analyser les relations complexes entre ECW, ville et territoires.
47Nos résultats montrent qu’à la différence des ECW étrangers, les ECW français sont issus de deux types de portage : privé et public. Par ailleurs, la plupart du temps, les ECW des agglomérations intermédiaires sont modestes dans leur taille et leur rayonnement. Enfin, en raison d’une création récente à Orléans, Tours et Blois, les effets positifs ou négatifs des ECW sur le tissu urbain ne sont guère perceptibles. Toutefois, l’intégration architecturale, paysagère et urbaine est contrastée entre des ECW d’initiative privée qui privilégient des localisations de type métropolitain, en cœur de ville dense, à proximité des nœuds de transports en commun et dans des quartiers à la vie commerciale dynamique et à l’identité patrimoniale forte, et des ECW d’initiative publique utilisés comme des outils de régénération urbaine devant contribuer à transformer l’image d’un quartier et à renouveler l’espace alentour. Cependant, à la lumière de nos analyses, les stratégies seraient presque inversées, l’ECW public ayant tendance à se fermer physiquement et symboliquement à son environnement, ne contribuant pas à son appropriation par la population, tandis que l’ECW privé s’ouvre à davantage de partenariats avec la ville et ses habitants, allant de l’entente avec le commerce de bouche situé à proximité de l’ECW, à l’accueil d’événements numériques, culturels, festifs ou associatifs à destination du grand public.
48Afin de poursuivre le débat scientifique, il nous semble important de prolonger les études sur les ECW à l’échelle nationale tout en privilégiant les comparaisons inter-régionales, internationales et les regards croisés sur ce modèle en circulation. Ceci permettrait de répondre à plusieurs questions majeures et aux conséquences territoriales importantes. Existe-t-il par exemple un risque de bulle spéculative liée à ce renouveau de l’immobilier de bureau où s’engouffrent à la fois les indépendants, les start-upeurs, les grands groupes tels que WeWork ou International Workplace Group (ex-Regus) et enfin les promoteurs immobiliers comme Nexity en France ? En dépit de leur côté atypique, hybride ou novateur, les ECW subissent-ils une forme de standardisation ? Quelles sont les conditions qui permettent aux ECW de se développer ou, au contraire, celles qui favorisent leur disparition ? Enfin, quels sont les effets territoriaux de long terme des ECW, selon qu’ils se localisent en milieu urbain, périurbain ou rural isolé ?
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Mots-clés éditeurs : insertion urbaine, villes intermédiaires, espaces de coworking, localisation
Date de mise en ligne : 16/10/2019
Notes
-
[1]
Ce recul est cependant limité, car, à l’exception de Chartres (+ 1 %), les autres agglomérations régionales de taille comparable ont connu un recul allant de 2 à 7 %.
-
[2]
Selon les termes du technicien de la communauté d’agglomération qui a piloté le projet (entretien mené le 17/01/2018).
-
[3]
De septembre 2014 à mars 2015, un des auteurs de l’article a eu accès, par l’observation participante, à une dizaine de réunions préparant la candidature de l’écosystème tourangeau au label French Tech. La démarche était animée par la communauté d’agglomération de Tours sous l’impulsion de son vice-président au développement économique, élu maire de Tours quelques mois plus tôt et ancien président de la chambre de commerce et d’industrie d’Indre-et-Loire. Le gouvernement a incité au regroupement des candidatures d’Orléans et de Tours – à l’origine disjointes. Mais, faute d’écosystème suffisamment dense (à l’égal de Nantes ou de Toulouse, par exemple) ou suffisamment spécialisé (comme à Angers), la « French Tech Loire Valley » n’a pas été labellisée. Par contre, comme le gouvernement l’a autorisé, la communication locale sur le label n’a pas cessé, dans l’objet de renforcer peu à peu l’économie numérique des deux territoires.