Notes
-
[1]
Cf. J. Schmitz, L’Islam en Afrique de l’Ouest : les méridiens et les parallèles, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 2000.
-
[2]
Y. Sodiq, “Muslim-Christian Relations in Nigeria: Causes of Tensions”, Journal of ecumenical studies, vol. 31, 1994, pp. 279 -306.
-
[3]
En prévision de l’opération finale contre les insurgés, un millier d’hommes étaient arrivés de Calabar (Sud) et les militaires avaient reçu des véhicules blindés équipés de canons de 90 mm et des mitrailleuses lourdes de 12,7 mm.
-
[4]
Aliyu Maikano, un responsable local de la Croix-Rouge, a rapporté que les autorités nigérianes avaient récupéré plus de 200 cadavres dans les rues de Maiduguri à la suite des affrontements.
-
[5]
Le mouvement taliban (terme signifiant « étudiant » ou « chercheur » en arabe) est un mouvement fondamentaliste musulman qui est apparu en Afghanistan en octobre 1994. Durant la guerre contre les soviétiques, des millions de jeunes Afghans furent éduqués dans les madrassas de la zone tribale pakistanaise. Dans ces madrassas, ils furent fortement influencés par une école de pensée, l’école de Déobandi, qui prône le retour à « un islam pur », proche de celui existant au temps du Prophète, selon leur guide spirituel. Les chefs de guerre qui se déchirent pendant et après l’occupation de l’Afghanistan par les Russes sont des islamistes, ayant des objectifs politiques : ils veulent d’abord établir un État islamiste, des lois et un état respectant la parole de Dieu, pour que les mœurs deviennent islamiques. Pour eux, l’alcool, le théâtre, le cinéma et la télévision sont interdits ; la possession d’appareils photographiques et de magnétoscopes est illégale.
-
[6]
R. Suberu, “Religion and Institution : Federalism and the Management of Conflicts over Sharia in Nigeria”, Journal of international development, vol. 21, mai 2009, pp. 547-560.
-
[7]
S. M. Sakah, “Islamism in West Africa”, African studies review, 2004, vol. 47, n° 2, p. 83-95.
-
[8]
Voir à ce sujet : M. Klare, “The New Geography of Conflict”, Foreign Affairs, vol. 80, mai-juin 2001, p. 49-61.
-
[9]
R. D’A. Henderson, « Nigeria : chances et stabilité », Commentaire, n° 66, février 1996.
-
[10]
Les régimes militaires nigérians des vingt dernières années : général Muhammadu Buhari (homme du Nord-Bornou, 1983-1985) ; général Ibrahim Babaginda (homme du Nord- Niger, 1985-1993) ; général Sani Abacha (homme du Nord-Kano, 1993-1998) ; général Abdulsalami Abubakar (homme du Nord-Niger, 1998-1999).
-
[11]
B. Badie, L’État importé, l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, 1992, p. 73.
-
[12]
B. Badie, op. cit.
-
[13]
T. R. Gurr, “Ethnic Warfare on the Wane”, Foreign Affairs, vol. 79, mai-juin 2000, p. 52-64.
-
[14]
G. Dougueli, « Nigeria : peur sur le Delta », Jeune Afrique, n° 2479, 13-19 juillet 2008, p. 32.
1Depuis presque trente ans, le Nigeria est habitué à des violences sur fond religieux. Les mouvements véhiculant lesdites violences se réclament de l’islam Mai Tatsine, Qalaqato, aujourd’hui Boko Haram, qui se veut une version subsaharienne des Talibans afghans, mais sa vision radicale de l’islam n’est pas partagée par la majorité des musulmans nigérians dont l’organisation représentative, la Jamaatu Nasril Islam, condamne les méthodes violentes. Phénomène nouveau, les violences des fondamentalistes, jadis orientées vers les populations non musulmanes, sont désormais orientées vers le gouvernement. La religion a toujours joué un grand rôle dans la politique. Les politiciens s’en sont souvent servie pour gagner un appui lors des élections. C’est peut-être pour cela que les 36 États de la fédération ont tous des commissions d’assistance publique pour s’occuper des pèlerins, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. En fait, la vie politique concerne le pouvoir et le contrôle des ressources matérielles. Et depuis toujours, les dirigeants politiques ont compris l’importance de la religion dans l’exercice de contrôle du pouvoir. Pour éviter les conflits religieux, la Constitution nigériane a opté pour l’État laïque. En d’autres termes, il n’y a pas de religion d’État. Lors de l’indépendance en 1960, la charia telle qu’elle était appliquée dans le Nord fut modifiée. Le code criminel qui stipulait comme châtiment l’amputation des jambes fut aboli. La Constitution défend aujourd’hui à tout chef de gouvernement, qu’il soit régional ou fédéral, d’imposer une religion particulière à la population. Toute personne est libre de choisir et de pratiquer la religion qui lui plaît. Toutefois, la laïcité au Nigeria présente des étrangetés dans sa mise en œuvre et évolue dans une relative singularité.
2Aussi peut-on à partir d’une analyse portée sur la formation de l’État essayer d’appréhender la violence religieuse rampante. Une telle étude implique de saisir le phénomène religieux dans son positionnement originel en tant que facteur de fixation de l’entreprise coloniale. Le débat observé de nos jours, entre gouvernement fédéral et certains États fédérés du Nord, quant à la conception et l’application de la laïcité pourtant consacrée par la Constitution fédérale, suscite en réalité bien des questionnements. Cependant, force est de relever que les politiques à l’échelle fédérale hésitent, dans bien des cas, à contenir les extrémismes religieux dont les fidèles, malgré tout, constituent un important « bétail électoral ». Somme toute, malgré la détermination du gouvernement fédéral à garantir le respect de la laïcité, on ne peut manquer de relever que la religion influence de façon significative le comportement politique à l’échelle fédérale. De toute évidence, se pose la question de savoir si le déroulement de la démocratie, contrairement aux différents régimes militaires qui se sont succédé avant 1999, ne constitue pas un terrain propice au développement des fondamentalismes ? Et même, l’éducation des populations sur les dangers de l’extrémisme religieux n’estelle pas une urgence pour la stabilité de la société nigériane ? Cette étude examine ces différents aspects.
Le cloisonnement religieux : un processus lointain
3À travers les conflits religieux, il y a en filigrane de vieilles rancœurs ethniques et un passé lourd à porter. Les tensions ethniques et religieuses trouvent vraisemblablement leurs racines dans le passé colonial du Nigeria. Dès le XVIe siècle, les Européens s’établissent dans le Golfe de Guinée et établissent la traite négrière. Les ethnies du Sud, demeurant au bord de la côte maritime, souffrent le plus de la déportation. Les ethnies du Nord restent les plus puissantes. Au XIXe siècle, les Anglais explorèrent l’intérieur du pays et installèrent leur suprématie. Le Royaume-Uni avait alors adopté un système d’administration indirecte (Indirect rule). Les chefs traditionnels de chaque ethnie feront régner l’ordre, au nom des Hauts Commissaires anglais, et ce en échange de minces avantages. Les ethnies du Nord, contrairement à celles du Sud vivant de manière clanique, habituées à cette forme d’organisation étendue, se sont rapidement adaptées à ce système.
4Les colons anglais ayant beaucoup plus de mal avec le Sud souvent révolté favorisèrent les missions chrétiennes, alors bien accueillies. Lesdites missions apportèrent avec elles la civilisation occidentale à travers la construction des écoles et des hôpitaux. Par contre, le Nord plus coopératif s’inscrira plus tard dans la modernité. Les autorités anglaises avaient interdit toute mission chrétienne dans le Nord musulman, afin d’éviter toute tension religieuse susceptible de mettre fin à la coopération des chefs musulmans. Le moins que l’on puisse dire est que le Sud se frottera plus tôt à la modernisation tandis que le Nord baignera encore pour longtemps dans la tradition. Ces trajectoires différentes d’émancipation constituent la base de la société duale observée aujourd’hui : d’un côté, une société qui intègre les valeurs républicaines impulsées par le gouvernement fédéral (États du Sud chrétien) ; de l’autre côté, une société peu réceptive à tout changement profond qui heurte les valeurs anciennes dont l’autorité traditionnelle est dépositaire (États du Nord).
5Dans ce contexte, une nouvelle Constitution a été adoptée en mai 1999, confirmant la vocation fédérale de l’État. Toutefois, malgré le passage observé des régimes militaires à un système qui se veut démocratique, la multitude d’ethnies du Nigeria éprouve encore des difficultés à s’accepter dans ses différences religieuses. Le pays est notamment soumis à de fortes tensions entre communautés musulmanes et chrétiennes.
6L’islam reste majoritairement présent au nord. Il y a pénétré le long des voies commerciales du Sahara, et s’est développé lentement dans le pays haoussa [1]. Dès 1804, Ousmane dan Fodio, un peul du Gobir, lança la guerre sainte contre les païens et le syncrétisme pagano-islamique des chefs haoussa, et fut ainsi à l’origine de l’empire peul et de la flambée islamique qui pénétra les populations, d’abord dans le Nord, puis vers le sud dans le pays yoruba. Quant au christianisme, il faut véritablement attendre la moitié du XIXe siècle pour voir les premières tentatives d’évangélisation. Elles se firent par d’anciens esclaves revenus d’Amérique, qui appelèrent des catéchistes anglicans et méthodistes dans le pays yorouba. En 1844, Henry Townsend fonda, avec d’anciens esclaves, la première mission anglicane au nord de Lagos. Samuel Ajayi Crowther, ancien esclave de la région d’Oyo, fut sacré évêque anglican en 1864 et établit son siège à Lagos. Après les anglicans, ce sont surtout les Églises baptistes et méthodistes qui se sont implantées par la suite au Nigeria. Les missionnaires catholiques arrivèrent une vingtaine d’années après leurs collègues protestants. En 1863, le pasteur Francesco Borghera, de la Société des missions africaines, arriva à Lagos, où il trouva des anciens esclaves catholiques revenus du Brésil. La première mission permanente y fut fondée en 1868. Les Pères du Saint-Esprit s’installèrent à Onitsha en 1885, et la préfecture apostolique du Nigeria du Sud, en pays ibo, fut érigée en 1889. D’autres instituts missionnaires arrivèrent ensuite, jusqu’à couvrir tout le pays. Les premières ordinations de prêtres nigérians datent de 1929. En 1953 fut sacré le premier évêque nigérian, Mgr Dominic Ekandem, qui deviendra cardinal en 1976.
7Les catholiques au Nigeria comptent aujourd’hui environ 14 millions de fidèles, soit près de 10 % de la population totale ou près d’un quart des chrétiens nigérians. Au cours du lent développement de cette Église, on peut souligner le rôle éminent qu’elle a joué dans l’éducation. Depuis le début, les missionnaires se sont beaucoup investis dans les écoles, comme un moyen d’évangélisation et de promotion humaine. Cette stratégie eut une réponse positive de la population, de sorte que très rapidement l’Église catholique disposa d’un vaste réseau d’écoles primaires et secondaires. Celles-ci produisirent des diplômés qui, plus tard, occupèrent des postes importants dans la vie publique de la nation. Cependant, au début des années 1970, après la guerre civile, les gouvernements de la plupart des États ont décidé de nationaliser les écoles confessionnelles. Beaucoup y ont vu l’influence des musulmans, qui auraient voulu ainsi réduire l’influence chrétienne dans le pays.
8Le christianisme est marqué par la multiplicité des Églises, dont un grand nombre peut être appelé « Églises indépendantes », c’est-à-dire séparées des Églises traditionnelles. De nombreuses Églises africaines se sont déjà séparées des Églises baptistes, méthodistes et anglicanes, entre 1888 et 1917. Elles souhaitaient avoir leurs propres responsables africains et donner leur place aux polygames. Elles ont cependant gardé la doctrine et la forme du culte de leurs Églises mères. Leurs membres se veulent souvent d’authentiques chrétiens. Ils interprètent généralement la Bible d’une manière littérale et fondamentaliste et présentent la doctrine chrétienne de manière assez simplifiée. Ils aiment mettre l’accent sur le rôle de l’Esprit et voient en Jésus-Christ le Seigneur et le Guérisseur. La raison principale d’adhésion à ces Églises semble être en effet le besoin profond de guérir et de solutionner des problèmes. Leurs prophètes promettent aide et soulagement rapides et souvent miraculeux. Les services y sont extrêmement vivants, avec une grande chaleur humaine, chargée d’émotions. De plus, la foi chrétienne y est exprimée sous des formes religieuses à travers des expressions authentiques de la culture africaine.
9Aujourd’hui, il est difficile de connaître le nombre exact de musulmans et de chrétiens au Nigeria. En l’absence de statistiques officielles, les deux groupes s’observent parfois par une guerre de chiffres. Certains musulmans prétendent représenter 80 % de la population, ce qui est manifestement inexact. Différents analystes s’accordent sur le fait qu’un peu plus de 50 % de Nigérians se déclarent musulmans et près de 40 % seraient chrétiens. Toutefois, la répartition territoriale permet de relever la plus forte concentration de musulmans dans le Nord (le pays haoussa) alors que le Sud-Est (pays ibo) est majoritairement chrétien. Dans les autres régions (particulièrement dans le Sud-Ouest, le pays yorouba) les deux groupes sont mélangés.
Coexistence islamo-chrétienne aujourd’hui : entre suspicions et repli identitaire
10Les tensions entre musulmans et chrétiens sont une réalité continue au Nigeria [2]. Il serait toutefois trop facile et simpliste de les réduire à une guerre de religions. Souvent des éléments ethniques y interviennent, soit entre le Nord et le Sud, soit aussi dans le Nord, entre les ethnies dominantes majoritairement musulmanes et d’autres, d’abord de religion traditionnelle et ensuite devenues chrétiennes. D’autre part, la formation plus poussée des gens du Sud provoque des ressentiments au Nord. Les flambées de violence sont alors récurrentes dans le Nord du pays entre musulmans et chrétiens. Les manifestants s’attaquent notamment aux symboles religieux dont la destruction des églises et des mosquées. Les violences demeurent un phénomène épidermique et révélateur de sentiments plus profonds : l’incompréhension, une sourde rivalité, une profonde méfiance, etc. ; l’existence de groupes fondamentalistes chez les musulmans ; et chez les chrétiens, un sentiment d’insécurité et la crainte de voir les musulmans majoritaires imposer des mesures incompatibles avec la liberté de culte inscrite dans la Constitution.
11L’adhésion du Nigeria à l’Organisation de la conférence islamique (OCCIS) en 1986 avait provoqué une grande controverse. Les chrétiens soulignèrent que le Nigeria était un État séculier et que cette adhésion était contraire à la Constitution. Le président Babangida (1985-1993) essaya de les rassurer, en soulignant que le gouvernement n’avait aucune intention d’imposer une religion d’État et que le Nigeria avait adhéré à l’OCI comme il l’avait fait précédemment aux Nations unies, à l’Organisation de l’unité africaine, au Commonwealth et à l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEC).
12En 1992, en prévision d’un retour à un régime civil, les musulmans voulurent introduire la charia dans le projet de nouvelle Constitution. Les chrétiens s’y opposèrent arguant du caractère séculier de la Constitution. Quand les musulmans rétorquèrent que dans un État multi-religieux les intérêts des différents groupes religieux devaient être garantis, les chrétiens parlèrent même d’introduire le droit canon. En fin de compte, le gouvernement militaire approuva l’inclusion d’une version affaiblie de la charia. Toutefois, ladite Constitution ne vit jamais le jour ; le pays plongeant une nouvelle fois dans un régime militaire entre 1993 et 1999.
13Les relations islamo-chrétiennes se trouvent souvent compliquées par l’attitude des gouvernements, suspectés de favoriser les musulmans dans des nominations à des postes stratégiques, tant politiques que militaires. Les chrétiens sont largement convaincus que l’islam est traité, dans la pratique, comme une religion d’État et que le pays est sous la menace d’une islamisation parrainée officiellement. Cependant, des personnalités éminentes de l’islam au Nigeria ont toujours condamné sévèrement les violences et désirent vivre en harmonie avec les chrétiens.
14En 1987, le gouvernement fédéral avait institué un Conseil religieux consultatif (Religious Advisory Council), qui était présenté comme un forum permanent d’interaction mutuelle entre groupes religieux, favorisant l’entente et la bonne intelligence. Ce Conseil devait compter 24 membres dont 12 musulmans et 12 chrétiens. Toutefois, les suspicions mutuelles et la crainte de manipulations de la part du gouvernement ont empêché la mise en œuvre effective de cet organisme. Les chrétiens, aujourd’hui, sont réunis autour de l’Association chrétienne du Nigeria (Christian Association of Nigeria - CAN), regroupant notamment le Christian Council of Nigeria, l’Église catholique, les Églises pentecôtistes et les Églises indépendantes. Mais leurs approches des enjeux sont souvent divergentes voire contradictoires.
Démocratie et extrémisme religieux : la liberté dans la peur
15Au mois de juillet 2009, le Nigeria a encore présenté une enième manifestation de violence, émanant sur un fond religieux, conjonction dont il a l’habitude. La violence a éclaté le 26 juillet à la suite de l’arrestation dans l’État de Bauchi (au nord) des membres de la « secte » Boko Haram, accusés de fomenter une attaque contre un poste de police. Les activistes de Boko Haram, armés de machettes, de couteaux, de fusils de chasse et de cocktails molotov, ont alors attaqué quatre États du Nord en saccageant des églises, des commissariats de police, des prisons et des bâtiments publics. Cette première vague de violence a coûté la vie à une douzaine de policiers, de soldats et de gardiens de prison.
16Le gouvernement fédéral est intervenu à travers des mesures répressives ; « décidé à en finir une bonne fois pour toutes », selon les propres mots du président de la fédération Umaru Yar Adua. Face à de multiples attaques et devant l’impuissance des forces de police, le président Umaru Yar Adua avait ordonné l’intervention de l’armée, laquelle avait lancé un raid sur les enclaves des « Talibans ». L’armée avait par la suite reçu des renforts [3] et prit position à Maiduguru, la capitale de l’État de Borno. Le colonel Mohammed Yerima, porte-parole de la Défense nationale, avait promis une « démonstration de force » pour rassurer la population civile. Des soldats et des policiers patrouillaient dans les rues de Maiduguri à bord de blindés et de camions, procédant à des fouilles systématiques des habitations à la recherche des partisans d’Ustaz Mohamed Youssouf, leader du Boko Haram.
17Après une semaine de « combat », le bilan avait été évalué à plus de 600 morts. Des centaines de personnes, pour la plupart des membres de la secte de Mohamed Youssouf, hostile à la culture occidentale, ont été tuées dans au moins quatre États du Nord du pays [4]. La technique du bombardement systématique et de l’élimination physique a été utilisée par l’armée. Le chef du mouvement, Mohamed Youssouf, a été capturé et exécuté au siège de la police de la ville septentrionale de Maiduguri, fief du prédicateur de 39 ans qui voulait imposer la charia - la loi islamique - dans l’ensemble du pays. Les forces de sécurité nigérianes ont une terrible réputation, et des groupes de défense des droits de l’homme les accusent régulièrement d’exécutions extrajudiciaires. Éric Guttschuss, un représentant de l’ONG Human Rights Watch au Nigeria, a déclaré que la mort de Mohamed Youssouf constituait « un exemple choquant du mépris éhonté de la police nigériane pour l’État de droit ». L’Organisation de la conférence islamique (OCI) en avait appelé au calme, rejetant la violence commise au nom de l’islam, tout comme le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, qui avait condamné « les pertes inutiles de vies ».
18La répression des mouvements religieux au Nigeria pose le problème de la hiérarchisation de la violence dans une démocratie. Toutefois, on relève que le souci de plafonnement des forces par l’autorité fédérale, afin de ne pas projeter immédiatement les armées dans une entreprise qui relève du maintien de l’ordre public, a souvent été qualifié par maints observateurs nationaux comme une stratégie de pourrissement. À travers cette lecture, les vagues de violence sont le résultat du laxisme de la gouvernance démocratique face aux agissements des religieux, qui peuvent aboutir à des dérives comme celle observée en juillet 2009. Certes, le leader Ustaz Mohamed Youssouf a été neutralisé par l’armée ; mais, d’autres fidèles sont toujours là, prêts à prendre le relais. L’ampleur du mouvement des Boko Haram, qui s’est étendu à quatre États en moins de deux jours, prouve qu’il ne s’agit pas d’une action spontanée mais d’une ambition qui pourrait être bien structurée.
19Pour certains Nigérians, deux griefs significatifs pourraient être retenus contre la démocratie : premièrement, l’observation des principes liés au concept a facilité l’émergence des extrémismes de tout bord, et ce au nom de la liberté d’association ; ensuite, la stratégie politique (calculs électoraux) au niveau fédéral ne permet guère aux gouvernants de prendre à brasle-corps la dérive religieuse. Ainsi le contexte démocratique ambiant ne permet-il pas au gouvernement fédéral de contenir de façon « appropriée » la violence religieuse rampante, comme le faisaient jadis les différents régimes militaires.
Démarche d’un acteur religieux atypique : le phénomène Boko Haram
20Le mouvement islamiste, composé essentiellement d’étudiants ayant abandonné leurs études, a pris naissance en 2002 à Maiduguri et s’est fait connaître en janvier 2004 en établissant son campement baptisé « Afghanistan » dans le village de Kanamma, dans l’État de Yobe à la frontière avec le Niger. Le profil des membres apparaît comme hétéroclite : on retrouve d’anciens recalés du système éducatif, des enfants de notables, des âmes sensibles, mais surtout des dés œuvrés qui sont à la merci des fondamentalistes. Les séances de prêche dans les mosquées permettent d’enrôler de nombreuses personnes qui s’engagent à faire respecter « leurs » principes de l’islam autour de leur leader.
21Le mouvement est connu sous différents noms, dont « Al-Sunna Wal Jamma », « les fidèles à l’enseignement de Mahomet » en arabe et « Boko Haram » ou « l’éducation occidentale est un péché » en dialecte local. Le chef de la police nationale, Ogbonnaya Onovo, désigne les adeptes par le nom de « Talibans », bien qu’il n’y ait à vrai dire pas de lien connu avec les fondamentalistes d’Afghanistan [5].
22Le mouvement veut instaurer un État islamique obéissant à une interprétation stricte de la loi coranique, la charia, et ce en lançant un djihad (guerre sainte) contre les institutions inspirées du monde occidental. Un idéal fort ambitieux dans cette république laïque de 140 millions d’habitants.
23La charia a été instaurée dans 12 États du Nord [6] après le retour au gouvernement civil en 1999 à l’issue de plusieurs années de régime militaire. Dès lors, plus de 10 000 Nigérians ont péri dans les violences sectaires. Toutefois, même si plusieurs États fédérés du Nord ont instauré depuis 2000 la charia, elle n’est pas entrée en vigueur effectivement, le gouvernement d’Abuja la justifiant contraire à la Constitution fédérale. Le « règne taliban » impliquerait la fin de l’éducation occidentale, l’interdiction faite aux filles d’aller à l’école, la fermeture des débits de boissons, le contrôle des ports vestimentaires. La fédération nigériane serait, si cet objectif était atteint, prise en otage par un groupuscule qui, pourtant, n’est pas sociologiquement dominant. Certes, le Nord du pays est majoritairement musulman, mais le Sud est chrétien ; l’islam qui, faut-il le souligner, ne professe pas les valeurs défendues par les Talibans, concerne à peu près 40 % de la population, très loin des pays comme le Sénégal ou le Mali où les musulmans représentent presque 90 % de la population.
24Les Talibans ne bénéficient d’aucune solidarité, que ce soit de la part des populations locales qui sont prises en otage encore moins d’Al-Qaïda qui procède autrement que par des attaques frontales des forces de sécurité étatiques.
25La population nigériane du Nord n’est pas solidaire : lors des violences de juillet 2009, cette dernière s’est réfugiée dans les casernes de gendarmerie et les postes de police, et ce parce que le gouvernement n’ayant pas réagi assez vite a dû utiliser des moyens de guerre pour reprendre le contrôle des positions talibanes. Certains observateurs ont parlé du déploiement de blindés et de moyens aériens. Ce qui a occasionné des victimes collatérales dans les populations qui, pourtant, ne se sentent pas impliquées. Ces mouvements n’entretiennent pas forcément de liens systématiques avec Al-Qaïda. Toutefois, le fait de se réclamer « taliban » leur procure un écho médiatique et certainement une notoriété internationale. Il n’y a pas de lien organique avec Al-Qaïda comme au Maghreb, le mode opératoire n’étant pas le même. Les Talibans nigérians ne font pas de prise d’otages d’occidentaux pour exercer de pressions. La stratégie déployée laisse penser qu’il s’agit d’un mouvement qui a des objectifs politiques, notamment l’instauration de la charia.
Le fondamentalisme rampant : une préoccupation pour l’autorité fédérale
26Ces violences dont les victimes sont avant tout des Nigérians, sans compter les innocents de toute confession, devraient forcément conduire le gouvernement fédéral nigérian à s’attaquer à l’idéologie qui donne le courage aux partisans de Boko Haram de se lancer les mains nues contre des commissariats de police et autres symboles de l’État. Et même, la récurrence des violences suscite une réflexion sur l’éducation religieuse dans la plupart des pays africains subsahariens multiconfessionnels. Après cinquante années d’indépendance, la plupart desdits pays n’ont pas su mettre l’accent dans la gestion des populations particulières, notamment musulmanes. On peut alors rappeler qu’en Afrique subsaharienne l’islam avait précédé le colonialisme, et son installation avait généré un certain nombre de structures (école, administration, religion, culture). Pour de nombreux analystes, les musulmans géraient de petits États et il n’y a pas eu de véritable intégration de ces États dans l’administration coloniale ni dans celle de l’après-indépendance.
Principaux troubles depuis l’instauration de la charia (loi islamique) en 2000 dans 12 états du Nord du Nigeria
27 janvier : La charia entre en vigueur dans l’état de Zamfara (Nord).
21-22 février : Entre 2 000 et 3 000 morts dans des affrontements entre chrétiens et musulmans qui éclatent à Kaduna (Nord) lors d’une manifestation de chrétiens contre la charia.
24 février : Le président Olusegun Obasanjo, un chrétien du Sud, déclare que l’application de la charia dans les affaires criminelles “viole la Constitution”. 28-29 février : Les affrontements s’étendent au sud-est : près de 450 morts à Aba (Abia).
22-23 mai : Plus de 300 morts à Kaduna.
2001
19 juin-4 juillet : Plusieurs centaines de personnes sont tuées et des milliers fuient leurs maisons après des violences intercommunautaires dans l’état de Bauchi (Nord) intervenues à la suite d’un incident entre musulmans et chrétiens.
7-12 septembre : 915 morts lors d’affrontements entre chrétiens et musulmans à Jos et les villages avoisinants (plateau, centre).
2002
3 janvier : Un homme est pendu dans la prison de Kaduna après avoir été condamné pour meurtre par le tribunal islamique de Katsina. Première exécution depuis l’entrée en vigueur de la charia dans cet état.
21 mars : Le gouvernement fédéral déclare contraire à la Constitution la loi islamique.
25 mars : Safiya Hussaini, une femme condamnée en 2001 à la mort par lapidation pour adultère, est acquittée.
20-23 novembre : Près de 220 personnes sont tuées dans des émeutes entre chrétiens et musulmans à Kaduna après la publication d’un article consacré à l’élection de Miss Monde et jugé blasphématoire par les musulmans. Ce concours, prévu à Abuja, se tiendra à Londres.
2003
25 septembre : Amina Lawal, condamnée à la lapidation pour adultère, est acquittée en appel. Depuis l’instauration des tribunaux islamiques, une série de peines, dont des condamnations à mort, des coups de fouet, des amputations et des flagellations, ont été prononcées, mais rarement exécutées.
2004
2 mai : Des centaines de musulmans sont tuées par des milices chrétiennes dans l’état du Plateau (centre). Selon Human Rights Watch (HRW), quelque 900 personnes ont été tuées entre février et mai à Yelwa et dans les représailles qui ont suivi à Kano.
2006
février : Affrontements interconfessionnels dans le Nord en marge de manifestations contre la publication en Europe de caricatures du prophète Mahomet.
2008
28-29 novembre : émeutes politico-religieuses à Jos (Centre) : 200 morts (officiels), plus de 700 morts selon Human Right Watch.
2009
21-22 février : Affrontements entre chrétiens pentecôtistes et musulmans à Bauchi (Nord).
26 juillet : Début d’affrontements dans le Nord entre forces de l’ordre et islamistes radicaux membres de la secte “Taliban”. Les violences se propagent dans quatre états : Bauchi, Borno, Kano et Yobe.
27La question de la prolifération des sectes musulmanes dans les principales villes du Septentrion nigérian est un sujet de grande préoccupation pour l’autorité fédérale en charge de faire appliquer la Constitution [7]. Les violences observées reflètent des crises de gouvernance et accélèrent l’effondrement étatique. Les conflits se nourrissent également de la guerre pour le « profit », c’est-à-dire d’une forte concurrence pour la maîtrise des ressources [8]. Toutefois, force est d’observer que dans la lutte contre le fondamentalisme, les moyens déployés par l’autorité fédérale dépendent de la nature du régime. À la grande surprise de nombreux analystes, les différents régimes militaires qui se sont succédé au Nigeria peu avant 1999, bien qu’ayant à leur tête des leaders musulmans (hommes du Nord), ont pourtant constitué un réel obstacle à la montée des fondamentalismes religieux en empêchant par exemple l’application de la charia.
Les régimes militaires : un obstacle à la profusion du fondamentalisme ?
28La politique du Nigeria vise à absoudre la diversité ethnique dans la Défense nationale. Dans une étude portée sur la « nation » nigériane, Robert D’A. Henderson relevait en 1990 : « Le Nigeria n’est pas le plus grand pays d’Afrique en terme de territoire, mais il en est le plus peuplé, puisqu’il compte environ 100 millions d’habitants, d’après le recensement de 1992, et une mosaïque de plus de 250 groupes ethniques ou linguistiques … [9] ». Les initiatives de l’État fédéral dans la recherche de la cohésion entre ethnies sont également diversifiées. Les trois principales ethnies (les Haoussa Fulanis dans le Nord, les Yorubas dans le Sud-Ouest, les Ibos dans le Sud-Est) représentent environ les trois quarts de la population. Il existe depuis toujours des tensions sociales et économiques entre le Nord musulman et le Sud principalement chrétien, mais même ces grands pôles sont eux-mêmes divisés. En outre, les États du Middle Belt dont la population est dispersée sont constitués de minorités ethniques musulmanes. Cette superposition culturelle, en l’occurrence religieuse, est annonciatrice de conflits éventuels. Le mal nigérian mis en exergue en 1967 lors de la guerre civile du Biafra reprend de l’ampleur avec les revendications des peuples (les minorités) que véhiculent notamment les exigences de la bonne gouvernance (répartition équitable des ressources, etc.).
29Dans le passé, même si les successions des dirigeants à travers les coups de force furent opérées sous mobile de revendication identitaire, il n’en demeura pas moins pour autant une réelle maîtrise des confrontations interethniques et interreligieuses par l’autorité militaire. Bien que les régimes militaires aient été dominés par des officiers musulmans du Nord [10], ils n’ont pas imposé la loi islamique (charia) à l’échelle du pays et ils ont même suspendu la participation du Nigeria à l’Organisation de la conférence islamique (OCI) dont il était membre depuis 1986. La plupart des leaders politiques militaires ressortissant du Nord n’ont pas donné un écho favorable à certaines velléités théocratiques de l’État, affirmant de ce fait la volonté d’ériger un ordre politique sécularisé, c’est-à-dire dont les références au sacré s’éteignent pour laisser place à la raison et à des éléments de l’ordre étatique [11].
30Les violences « religieuses » au Nigeria sont des manipulations politiques. Les mouvements religieux sont instrumentalisés. Les violences récurrentes apparaissent comme le fait des intégristes chrétiens ou des intégristes musulmans qui veulent sans cesse manipuler soit les ethnies, soit la religion, pour servir des stratégies politiques. Face à cette situation, l’on voit l’Église catholique romaine travailler sur certains axes à travers la multiplication des communiqués, toutefois ses déclarations ne sont pas entendues. Il apparaît urgent de renforcer le travail de sensibilisation et d’éducation : sensibiliser notamment les populations au rapport entre la religion et la politique.
31Sous différents régimes militaires, le pouvoir visait une structuration sur la base d’une identité stato-nationale au détriment des identifications particularistes liées au phénomène ethnique et religieux. L’objectif étant fixé sur les solidarités horizontales articulées autour d’un credo commun à savoir le rayonnement de l’État fédéral au détriment d’une structuration communautaire au sens où l’appréhende Bertrand Badie [12] : « Les solidarités horizontales achèvent de libérer l’individu de ses identifications particularistes pour l’amener à concevoir son rôle en fonction non plus d’une construction segmentaire de la société, mais d’une conception qui, au gré des visions, se veut organique, solidaire ou fonctionnellement concurrentielle ». Pour l’analyste, tout communautarisme ne peut donc être que résiduel, legs de tradition et appelé à disparaître : la gouvernabilité des systèmes politiques passe alors par sa résorption.
32L’option militaire de légitimation du pouvoir se focalisait ainsi sur une occidentalisation « forcée » de la société, mais dont la vitesse ne permettait pas au peuple de suivre. Cette forme d’emprunt de la modernité génère des mécanismes d’entropie parce qu’elle érige des règles universelles, somme toute, normatives mais virtuelles, vidées de leur substance et, par conséquent, ne faisant plus sens. Il s’ensuit face à l’entropie de l’État une génération de contre-modèles. Toute forme d’innovation trouve ainsi des limites parce que le premier défi à surmonter est cette opposition entre « culture de gouvernement » et les mobilisations identitaires qui usent leurs ressources dans l’inévitable recours à des stratégies réactives.
L’urgence de sensibilisation et d’éducation des masses
33La loi islamique a depuis lors été proclamée à Kano, Sokoto, Bauchi, Katsina, Kebbi, tandis que Yobe, Jigawa, Gombe et Niger se préparent à le faire. Il est intéressant de relever que certaines sectes musulmanes condamnent cette avalanche de proclamations de la charia. Ces sectes, appelées fondamentalistes par les autres musulmans, relèvent que les gouverneurs ne peuvent pas imposer la charia parce qu’ils sont des politiciens. El-Zaky Zaky, le porte-parole des sectes, souligne que « les gouverneurs n’ont pas la sainteté morale et religieuse requise pour protéger la charia ». C’est aussi l’opinion de la majorité des musulmans du Sud du pays. On peut relever que l’imposition de la charia dans certaines parties du Nord a vu les gouverneurs du Sud, pour la plupart des chrétiens, se battre pour la survie de la démocratie et d’un véritable fédéralisme.
34Le Nigeria, bien que sorti des régimes militaires depuis 1999 pour embrasser la démocratie, voit celle-ci emprunter des chemins de traverse. La religion est un double levier. Elle constitue une modalité de rassemblement des populations et, par ailleurs, un facteur de regroupement du « bétail électoral » qu’aucun dirigeant ne peut à vrai dire négliger dans un contexte démocratique. En outre, conscients de leur poids en matière électorale, les différents gourous ont constitué des micro-États appliquant progressivement la charia qui enfreignent les principes républicains défendus par la Constitution fédérale.
35Depuis l’an 2000, 12 États du Nord appliquent la charia. Les populations chrétiennes desdits États sont obligées de se soumettre aux pratiques islamiques. Les femmes doivent porter la tenue légale. La mixité est interdite dans les transports en commun. Les femmes n’ont pas le droit d’adresser la parole aux hommes dans la rue. L’adultère et l’homosexualité sont punis de mort. Le ou la coupable est enterré(e) jusqu’au cou et sa tête est lapidée. Le vol est puni par l’amputation d’un membre. La construction d’église est interdite.
36Au regard de la récurrence des violences, il est opportun d’informer le peuple nigérian sur les dangers du fondamentalisme, à l’instar du phénomène Boko Haram. La formation religieuse peut être le contre-pied des mouvements islamistes dont les membres et sympathisants sont mus par une éducation, une formation et une doctrine. On ne peut par conséquent les en dissuader qu’en leur enseignant les dangers et la vanité de cette doctrine pour la stabilité du pays. Ce qui semble vrai, c’est qu’il s’agit tout simplement de groupuscules voire de marginaux qui exploitent certaines situations notamment la démographie galopante, l’approximation de l’éducation et la pauvreté qui sévit au nord de la fédération.
37En outre, parallèlement à la sensibilisation et à l’éducation des masses nécessaires, la lutte efficace contre la pauvreté peut également engendrer le recul des mouvements fondamentalistes. C’est de la pauvreté que prolifèrent les germes du fondamentalisme religieux. Profitant du dénuement des populations, les leaders extrémistes de tout bord gagnent leur sympathie en leur donnant ce que l’État ne parvient guère à octroyer individuellement, c’est-à-dire de l’espoir et des meilleures conditions de vie. Les extrémismes se présentent comme les défenseurs des intérêts de la classe dénuée et, de ce fait, n’éprouvent aucune difficulté pour enraciner leur doctrine et recruter des adeptes.
38Le moins que l’on puisse dire est que le Nigeria présente aujourd’hui une grande tendance à la désintégration nationale amplifiée d’une part parce que Ted Robert Gurr qualifie de « minorités à risques » [13] et dont le MEND [14] est le porte-étendard et, d’autre part, la montée des extrémismes religieux. Malgré les moyens de lutte de l’État, les « Boko Haram » par exemple tiennent à aller au bout de leur ambition, procédant à une diffusion du discours « taliban ». À preuve, la violence est désormais orientée vers le gouvernement fédéral. Vraisemblablement, le mouvement s’est doté de moyens logistiques considérables.
Notes
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[1]
Cf. J. Schmitz, L’Islam en Afrique de l’Ouest : les méridiens et les parallèles, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 2000.
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[2]
Y. Sodiq, “Muslim-Christian Relations in Nigeria: Causes of Tensions”, Journal of ecumenical studies, vol. 31, 1994, pp. 279 -306.
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[3]
En prévision de l’opération finale contre les insurgés, un millier d’hommes étaient arrivés de Calabar (Sud) et les militaires avaient reçu des véhicules blindés équipés de canons de 90 mm et des mitrailleuses lourdes de 12,7 mm.
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[4]
Aliyu Maikano, un responsable local de la Croix-Rouge, a rapporté que les autorités nigérianes avaient récupéré plus de 200 cadavres dans les rues de Maiduguri à la suite des affrontements.
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[5]
Le mouvement taliban (terme signifiant « étudiant » ou « chercheur » en arabe) est un mouvement fondamentaliste musulman qui est apparu en Afghanistan en octobre 1994. Durant la guerre contre les soviétiques, des millions de jeunes Afghans furent éduqués dans les madrassas de la zone tribale pakistanaise. Dans ces madrassas, ils furent fortement influencés par une école de pensée, l’école de Déobandi, qui prône le retour à « un islam pur », proche de celui existant au temps du Prophète, selon leur guide spirituel. Les chefs de guerre qui se déchirent pendant et après l’occupation de l’Afghanistan par les Russes sont des islamistes, ayant des objectifs politiques : ils veulent d’abord établir un État islamiste, des lois et un état respectant la parole de Dieu, pour que les mœurs deviennent islamiques. Pour eux, l’alcool, le théâtre, le cinéma et la télévision sont interdits ; la possession d’appareils photographiques et de magnétoscopes est illégale.
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[6]
R. Suberu, “Religion and Institution : Federalism and the Management of Conflicts over Sharia in Nigeria”, Journal of international development, vol. 21, mai 2009, pp. 547-560.
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[7]
S. M. Sakah, “Islamism in West Africa”, African studies review, 2004, vol. 47, n° 2, p. 83-95.
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[8]
Voir à ce sujet : M. Klare, “The New Geography of Conflict”, Foreign Affairs, vol. 80, mai-juin 2001, p. 49-61.
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[9]
R. D’A. Henderson, « Nigeria : chances et stabilité », Commentaire, n° 66, février 1996.
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[10]
Les régimes militaires nigérians des vingt dernières années : général Muhammadu Buhari (homme du Nord-Bornou, 1983-1985) ; général Ibrahim Babaginda (homme du Nord- Niger, 1985-1993) ; général Sani Abacha (homme du Nord-Kano, 1993-1998) ; général Abdulsalami Abubakar (homme du Nord-Niger, 1998-1999).
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[11]
B. Badie, L’État importé, l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, 1992, p. 73.
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[12]
B. Badie, op. cit.
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[13]
T. R. Gurr, “Ethnic Warfare on the Wane”, Foreign Affairs, vol. 79, mai-juin 2000, p. 52-64.
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[14]
G. Dougueli, « Nigeria : peur sur le Delta », Jeune Afrique, n° 2479, 13-19 juillet 2008, p. 32.